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Le projet de la
personnification civile de l’Université catholique de Louvain en 1841-1842, par
A. DE RIDDER (1931)
(Extrait de Fragments d’histoire contemporaine de Belgique, par A. DE
RIDDER, Bruxelles et Paris, Librairie nationale d’art et d’histoire, 1931)
1. Le contexte politique
belge en 1841. La chute du gouvernement Lebeau
(page 25) Léopold Ier, dès les débuts de son règne, s’était appliqué
à former des ministères mixtes. Les ministères composés d’hommes d’un seul
parti lui paraissaient contraires aux intérêts généraux du pays parce qu’ils
étaient trop exposés à prendre comme but de leur activité les intérêts de leurs
seuls électeurs et celui de leur propre maintien au pouvoir. Lorsque le cabinet
unioniste de Theux tomba le 14 mars 1840 par suite d’une véritable aberration
des catholiques qui formaient son principal soutien, le Roi, à cause de leur
esprit impolitique, ne crut pas pouvoir les faire entrer dans une nouvelle
administration ministérielle. Il fit appel exclusivement aux éléments les plus
modérés du libéralisme. Ceux-ci, sous la direction de M. Lebeau, prirent
possession du pouvoir.
Léopold 1er ne se dissimulait
cependant pas que, malgré son programme relativement pondéré, le nouveau
cabinet ne serait pas animé d’un véritable esprit d’impartialité. « J’ai
soutenu ces Messieurs, dit-il en parlant du ministère de Theux, dans une
audience qu’il accorda au comte de Dietrichstein, ministre d’Autriche, au mois
de mai 1840, aussi longtemps que cela m’a été possible; ils se sont perdus par
leur propre maladresse; d’un autre côté, les catholiques les ont abandonnés
avec une légèreté qu’ils déplorent à présent amèrement après avoir cependant
prêté eux-mêmes les mains à l’arrivée au pouvoir des nouveaux ministres
hostiles à leurs intérêts (Note de bas de page : Dietrichstein au prince de Metternich, 19 mai
1840. Toutes les dépêches des représentants de l’Autriche à Bruxelles que nous
citons sont conservées aux archives de l’Etat à Vienne).
Le Roi n’aimait pas M.
Lebeau malgré les grands services que ce dernier avait rendus à la cause de
« L’internonce, raconte
le comte de Dietrichstein dans une dépêche adressée à Metternich le 21 mai
1840, ne m’a pas caché toutes les appréhensions que lui fait éprouver l’arrivée
au pouvoir des nouveaux ministres qui, loin de donner des garanties à l’opinion
catholique, lui sont même plus ou moins hostiles. Mgr Fornari m’a confié qu’une
altercation très vive s’était récemnent élevée à cet égard entre M. Lebeau et
M. le comte d’Oultremont, ministre belge près le Saint-Siège, et dont celui-ci a
rendu compte à l’internonce. Dans la première entrevue que M. d’Oultremont, à
son retour de Rome, a eue avec M. Lebeau, celui-ci non seulement ne cacha pas
sa répugnance contre la prépondérance de l’élément catholique dans
On s’aperçut bientôt
combien le Roi voyait juste quand il (page
27) s’attendait à l’hostilité des nouveaux ministres envers les intérêts
catholiques. Pendant toute la durée de leur présence au pouvoir, ils
s’appliquèrent à exclure leurs adversaires des fonctions publiques, à tel point
que Léopold Ier pouvait, lorsqu’ils eurent abandonné leurs portefeuilles, dire
au ministre d’Autriche à Bruxelles : « Passez en revue toutes les
places de la magistrature, de la plupart des autres fonctionnaires publics, des
agents diplomatiques même, ne sont-elles pas presque exclusivement occupées par
des libéraux? » (Dietrichstein
au prince de Metternich, 14 juin 1841)
Cet ostracisme dont ils
étaient frappés, des articles où ils démêlaient des intentions hostiles à leur
égard et que publiait M. Devaux, l’inspirateur et un des principaux soutiens du
ministère, amenèrent en peu de temps les catholiques à retirer l’appui qu’ils
avaient d’abord prêté à M. Lebeau. La discussion du budget des Travaux publics
amena des discussions violentes à
M. Lebeau réclama alors
la dissolution des Chambres. Il ne cacha pas au Roi son espoir de réduire par
de nouvelles élections le nombre des voix catholiques à
Léopold 1er, toujours
partisan de la politique unioniste, ne pouvait accepter d’assurer ainsi
l’influence exclusive d’un des partis qui divisaient
Il n’entrait pas dans les
intentions de Léopold de rendre le pouvoir aux catholiques. Il estimait que le
ministère de Theux, renversé par ses propres adhérents en 1840, avait commis
des fautes rendant impossible leur retour à la direction des affaires. Dès
l’ouverture de la crise, il songea à confier le gouvernement à l’un des chefs
du parti libéral modéré, M. Nothomb, et à lui donner comme collaborateurs des
hommes pris dans les deux,partis, attribuant toutefois la majorité des
portefeuilles à des libéraux.
Il fallut des efforts
sérieux pour amener les catholiques à accepter cette combinaison alors qu’ils
étaient à ce moment en majorité à
2. Léopold Ier et les
catholiques belges
Si Léopold 1er s’opposait
à la domination exclusive du parti (page
28) libéral, il s’opposait autant à celle du parti catholique. En appelant
des membres de ce dernier à faire partie du ministère, il ne voulait pas les
autoriser à réaliser toutes les aspirations de leurs partisans. Il savait que
les ministres tombés guettaient une imprudence de leurs remplaçants pour
provoquer dans le pays un intense mouvement de réaction anticléricale. Aussi
prêchait-il et faisait-il prêcher aux catholiques la prudence et une extrême
modération.
Après les élections de
1841 qui avaient conservé au parlement une majorité favorable au ministère
Nothomb, il disait à un diplomate étranger accrédité près de sa Cour « Pensez
ce que nous serions devenus si j’avais accordé la dissolution générale des
Chambres demandée par le dernier ministère avec tant d’instance ! Le
libéralisme, il ne faut pas se le dissimuler, grâce surtout à la dernière
administration ici, a fait des progrès en Belgique. Que les catholiques, et je
me suis expliqué franchement à cet égard envers plusieurs notabilités de cette
opinion, que les catholiques soient sur leur garde! Qu’ils ne commettent pas
d’imprudence, pas d’exagérations; que, d’un autre côté, ils ne flattent pas
l’élément démocratique qui leur échappe évidemment aujourd’hui; qu’ils
soutiennent le pouvoir, qu’ils se groupent autour de
(page 29) A un autre diplomate, le comte Crotti di Costiglione,
chargé d’affaires piémontais, le monarque exprimait la même pensée
« Quant au parti catholique, c’est le plus ferme soutien de mon gouvernement,
et c’est sur lui seul que je compte, aussi je le soutiens de tout mon crédit et
je lui en ai donné une grande preuve à l’occasion du renvoi du ministère Lebeau
qui voulait le réduire dans les Chambres au tiers de membres par de nouvelles
élections générales et je m’occupe dans ce moment d’un projet d’instruction
primaire : si je réussis à mettre cet enseignement primaire dans les mains
des évêques et le retirer de celles des conseils communaux plus ou moins soumis
aux intrigues libérales, l’avenir de
Léopold Ier n’était pas
le seul à prêcher la modération et la prudence aux catholiques. Les mêmes
conseils leur étaient donnés par l’internonce apostolique Mgr Fornari. « Je
voue tous mes efforts, disait ce prélat, à contenir ce parti dans les bornes de
la modération. Il est de toute nécessité pour la bonne cause que le ministère
actuel (le ministère
Nothomb) se maintienne
aux affaires. Il vaut même mieux qu’il continue à porter le cachet d’un cabinet
libéral modéré qu’une couleur catholique plus tranchée. Si une réaction avait
lieu, elle serait indubitablement dans un sens plus libéral. Le retour de la
personne de M. Lebeau aux affaires est impossible, mais, si son parti arrivait
au pouvoir, lui et M. Devaux, les plus grands ennemis du catholicisme, seraient
derrière les coulisses et nous feraient plus de tort que si ils étaient
ministres. Nous avons des antagonistes rusés, et les catholiques en partie sont
malheureusement plus ardents que parlementairement roués. L’évêque de Liége,
Mgr van Bommel, est si entier et si emporté dans ses opinions et ses vues de
domination exclusive, qu’il nous fait infiniment de mal. Mgr l’archevêque de
Malines est faible, et depuis (page 30)
qu’il est revêtu de la pourpre, il a atteint le but de son ambition et s’efface
de plus en plus dans les affaires politiques (Note de bas de page : Les appréciations de Mgr
Fornari, au sujet de Mgr Stercx, ne doivent pas être accueillies sans réserves.
Il ne paraît pas y avoir eu entente très grande entre les deux prélats et la
position de Mgr Fornari finit par devenir impossible en Belgique à cause de ses
rapports avec l’archevêque de Malines). Cependant, j’espère dans la réunion annuelle des évêques
qui aura lieu à Malines au mois d’août et à laquelle j’assisterai, pouvoir
exercer quelque influence sur les déterminations politiques du haut
clergé. » (Note de
bas de page : Le comte de Muelenaere, ministre des Affaires étrangères, à
qui le comte de Dietrichstein rapportait ces propos de MgrFornari, répondait au
diplomate autrichien « Je rends pleinement justice à ses vues et à ses efforts.
Mgr Fornari exerce souvent une excellente influence sur le clergé et sur
beaucoup de députés de l’opinion catholique à la chambre, mais il ne faut pas
se le dissimuler, son pouvoir n’est pas très grand sur les déterminations des
Evêques. Ces prélats, qui forment une
espèce d’aristocratie très exclusive, ne considèrent pas l’internonce
comme leur égal et n’obéissent à ses conseils que quand bon leur semble. S’il
était revêtu du caractère de nonce, son influence serait indubitablement plus
grande. » Dietrichstein à Metternich, juillet 1841.)
3. La proposition
Brabant-Dubus
L’exposé qu’on vient de lire était
nécessaire pour qu’on puisse bien comprendre le récit qui va suivre
En 1840, afin de donner à
l’université de Louvain une situation financière stable, les évêques de
Belgique conçurent le projet de lui faire accorder la personnification civile.
Par l’entremise du cardinal Stercx, ils soumirent leur projet à Léopold 1er.
Celui-ci l’approuva, se déclarant heureux de faire quelque chose pour l’Université
et conseillant même à l’archevêque de ne pas s’émouvoir d’une probable
opposition du parti libéral. Il s’engagea à arranger l’affaire avec M. Lebeau.
(A. SIMON, La question de la personnification civile de l’Université de Louvain en
184r-1842. Revue Générale de
1925, t. n, p. 150)
Ainsi encouragés les évêques
envoyèrent au Roi et an Parlement une demande officielle, deux membres de
La demande de personnification civile
n’avait d’autre but que celui que nous avons indiqué. Cependant certains y
virent une manoeuvre politique.
« Le ministère Lebeau, écrivait
Dietrichstein à Metternich le 11 janvier 1841, est menacé encore d’un coup que
le clergé vient de préparer et qui, de l’aveu même des hommes ministériels,
pourra lui susciter de graves embarras. Votre Altesse daignera (page 31) se souvenir que l’Université
catholique de Louvain est un établissement créé par le haut clergé et
exclusivement dirigé dans le sens et l’esprit du catholicisme. Afin de
consolider le pouvoir, l’influence et la richesse de cette institution et
peut-être aussi avec l’arrière-pensée d’embarrasser le ministère, Mgr.
l’archevêque et les évêques de Belgique viennent d’adresser une pétition au Roi
et à
Pour apprécier les sentiments
hostiles que le chargé d’affaires d’Autriche montre à l’égard des catholiques
dans ce rapport, il faut tenir compte de l’esprit de dénigrement systématique
que le diplomate autrichien montra, pendant ses séjours dans notre pays, pour
les Belges et surtout pour les catholiques. A ces. derniers, il ne pouvait
pardonner l’appui donné aux libéraux pour faire triompher
Lebeau ne fit pas d’objection à la
prise en considération de la proposition Brabant-Dubus. Même dans les
discussions qui précédèrent sa chute il garda le silence le plus absolu à ce
sujet. Obéissait-il aux désirs du Roi ou une pensée plus machiavélique le
guidait-elle? Désirant annihiler l’influence catholique au sein du parlement et
conscient des progrès réels du libéralisme dans le pays, ne voulait-il pas,
comme ou lui a en encore attribue le plan après sa retraite du ministère
provoquer, en cas d’adoption de la proposition Dubus-Brabant, « une réaction
formidable en faveur du libéralisme »? (Dietrichstein à Metternich, 23 juillet 1841)
On avait espéré voir
répondre à la proposition faite en faveur de l’université de Louvain par une
proposition semblable en faveur de l’Université de Bruxelles. Mais l’acuité de
la lutte clérico-libérale était trop vive pour amener dans cette question
d’enseignement (page 32) une
solidarité qu’il fallut la grande guerre pour établir. Désirant faire échec à
l’Université catholique, le parti libéral fit déclarer dans ses journaux que
l’Université de Bruxelles n’entendait pas chercher un moyeu d’existence « dans
le rétablissement des mains mortes ». Aujourd’hui le mot fait rire. En 1841-1842, il devait amener la
faillite des projets épiscopaux.
Ainsi dressé, le spectre de
la mainmorte fit prendre à la question de la personnification civile de
l’Université catholique l’aspect d’une question politique. « On y vit, ou
on affecta d’y voir, écrit Nothomb dans un mémoire sur la question qu’il fit
transmettre à Metternich, l’expression d’un système et le commencement de sa
mise à exécution ». L’adoption de la proposition Dubus et Brabant, disait
le conseil provincial de Liége dans une adresse qu’il envoyait aux Chambres le 14 juillet 1841, « est le
rétablissement en germe des mains mortes avec le cortège de calamités qu’elles
traînent à leur suite et dont l’agriculture, le commerce et l’industrie auront
nécessairement à souffrir. » (Note de bas de page : Quarante-cinq membres du Conseil
provincial de Liége étaient présents lors du. vote de l’adresse. Trente-sept
votèrent pour, trois seulement contre, cinq catholiques s’abstinrent, cinq
autres s’absentèrent).
4. La volonté du nouveau
gouvernement et du Roi de faire retirer la proposition Brabant-Dubus
La question pesa sur la
formation du ministère appelé à prendre la succession du cabinet Lebeau.
Léopold Ier aspirait avant tout à un ministère d’union. Mais les libéraux ne
consentaient pas à y entrer si la proposition Dubus et Brabant ne se trouvait
écartée. Le Roi essaya de peser sur le cardinal pour en obtenir le retrait.
Mgr. Stercx refusa, mais consentit à un ajournement laissant au Roi de choisir
le moment opportun à la discussion du projet de loi. (A. SIMONS, op. cit., p.152)
Le ministère, en se
formant le 13 avril, se hâta, dans une circulaire qui exposait son
programme, d’annoncer cet ajournement tout en réservant son opinion sur le fond
même de la question.
« Une proposition
qui se rattache à l’exercice de la liberté d’enseignement, disait-il, a, dans
ces derniers temps, excité de vives préoccupations; sans rien préjuger sur le
fond de la proposition, le désir du gouvernement est qu’elle ne soit discutée
qu’à l’époque où l’organisation de l’instruction publique recevra son
complément; cet ajournement, nous avons lieu de le croire, ne rencontrera pas
d’obstacle. Si, définitivement, il venait à être reconnu que cette proposition,
faite d’ailleurs dans des intentions louables, renferme des dangers, elle
serait, nous en avons la conviction, abandonnée par ceux-là même qui croient en
avoir besoin. «
Cette déclaration ne
calma pas l’agitation commencée.
« Un imprimeur de Namur,
ayant laissé, écrit Nothomb dans son mémoire à Metternich, dans un catéchisme
subsister un chapitre relatif à la dîme, l’on prétendit qu’il s’agissait
de rétablir cette redevance an profit du clergé. Cette calomnie, propagée dans
(page 33) les campagnes et la
proposition faite en faveur de l’Université de Louvain ont exercé l’influence
la plus fâcheuse sur les élections du 8 juin (1841); il a fallu les plus grands
efforts pour maintenir le statu quo parlementaire, et aujourd’hui que
l’on a pu se rendre compte de l’imminence du danger, ce maintien est considéré
comme un succès. »
Le danger de voir les
élections amener la prédominance du parti libéral n’était qu’écarté. Il pouvait
se représenter en 1843 si on ne parvenait pas à rassurer le pays sur les
tendances envahissantes prêtées au clergé et aux catholiques belges. Léopold I
et Nothomb estimaient indispensable, pour dissiper les craintes, l’abandon de
la proposition Dubus et Brabant. Nothomb exposa ses idées à ce sujet dans les
conclusions du mémoire que nous venons de mentionner.
« Ne pas chercher à
rassurer les esprits, écrit-il, c’est compromettre les élections de 1843...
Qu’adviendra-t-il si la proposition faite en faveur de l’Université de Louvain
n’est pas retirée ?
« Il est à remarquer
que dans deux provinces, Liége et
« Quant au Cabinet,
il est certain que plusieurs de ses membres sont contraires à la proposition,
soit par principe, soit par intérêt local; des deux choses l’une le cabinet se
dissoudra si le dissentiment subsiste, ou bien, si le dissentiment cesse, ce
sera parce que tous les ministres se seront déclarés contre la proposition, et,
dans ce cas, le ministère fait au moins en apparence un pas vers le parti
libéral en s’éloignant du parti catholique. Vainement compterait-on sur un
troisième cas, celui de l’adhésion unanime du ministère au fond de la
proposition.
« Dès que la situation
intérieure du cabinet sera connue, et elle ne tardera pas à l’être,
l’opposition comprendra qu’elle doit faire cesser l’ajournement et demander la
discussion immédiate de la proposition.
« Quant aux
élections de 1843, dans toutes les hypothèses, le maintien de la
proposition doit exercer sur elles une influence fatale.
« Si la
proposition reste ajournée, d’après le vote primitif du Cabinet, elle
deviendra en 1843 le motif de l’exclusion de tel ou tel député; les électeurs
demanderont à Gand et à Liége est-il pour on contre la proposition destinée à
anéantir notre université?
(page 34) « Si la proposition est rejetée, ceux qui
auront voté pour seront par cela seuls désignés à l’exclusion de 1843,
surtout dans les provinces de Liége et de
« Si la
proposition est adoptée, la loi sera, comme toute loi, révocable, et la
révocation de cette loi deviendra le mot d’ordre des élections de 1843.
« Ainsi, ajournée,
rejetée, adoptée, la proposition est dans toutes les hypothèses également
impolitique.
« Dans l’hypothèse
la plus favorable, celle de l’adoption, la loi pourra être révoquée à la suite
des réélections de 1843 par une majorité libérale; cette loi n’est pas un de
ces actes dont l’effet reste acquis; on aura obtenu une loi de deux ans
peut-être et, en la révoquant,
« (…) Il n’y a qu’un
parti à prendre le retrait de la proposition dès l’ouverture de la
session et avant tonte discussion.
« Conserver en 1843
le statu quo parlementaire de 1841, c’est là le grand but qu’il faut ne pas
perdre un instant de vue; à ce but se rattache l’avenir de
« Si, comme on
l’annonce ouvertement, le statu quo parlementaire change en 1843 au
profit de ce qu’on appelle le libéralisme, le gouvernement belge sera
invinciblement attiré dans des voies nouvelles. En demander la cause, c’est
demander pourquoi le gouvernement de
« La révolution de
Nothomb n’eut pas de
peine à convertir à ses idées le comte Félix de Muelenaere, son collègue
catholique au ministère. « Beaucoup de membres de
L’internonce promit
également son appui au ministre. « Je crains, (page 35) disait Mgr Fornari, que la proposition de MM. Dubus et
Brabant, tendant à déclarer l’Université de Louvain personne civile, je crains,
dis-je, que ce projet de loi réveillerait toutes les passions à
5. La position initiale de
l’épiscopat
Pour donner gain de cause
à la politique préconisée par M. Nothomb, il fallait obtenir l’adhésion des
évêques au projet de retrait. La chose n’allait pas être aisée. Encouragés par
Léopold Ier lorsqu’ils lui avaient fait part de leur désir de demander la
personnification civile, d’accord avec lui et même avec le cabinet sur un
simple ajournement, les prélats ne devaient pas consentir aisément à tenir le
Roi quitte des engagements attribués au souverain à leur égard. Aussi les
démarches tentées à la suggestion de Léopold près de Mgr Stercx par diverses
personnalités trouvèrent-elles le cardinal irréductible. Il n’insistait
toujours pas toutefois sur la discussion immédiate de la proposition
Dnbus-Brabant, il continuait à laisser au Roi de décider quand il serait
possible d’en provoquer la mise à l’ordre du jour du Parlement.
6. Le rôle de la diplomatie
autrichienne et la décision pontificale
Le Monarque et M. Nothomb s’efforcent, pour vaincre cette résistance, d’obtenir
l’appui du Saint-Siège et, afin de bien disposer celui-ci à répondre à leurs
voeux, ils réclament l’intervention du prince de Metternich, grâce à qui le Roi
a déjà obtenu l’établissement d’une nonciature à Bruxelles (Le comte Crotti, chargé d’affaires
piémontais à Bruxelles, au comte Solaro della Margarita, ministre sarde des
Affaires étrangères, 2 septembre 1841. Archives de l’Etat à Turin). A la fin de juillet 1841, le ministre remet au
comte de Dietrichstein un long mémoire dont on a déjà lu quelques extraits et
dans lequel il expose l’opinion du gouvernement belge au sujet de la
personnification civile de l’Université de Louvain. «M. Nothomb, écrit le 23
juillet le diplomate autrichien, m’avait fortement engagé à en soumettre un
résumé à Votre Altesse, en La priant de se conformer également sous ce rapport
aux voeux du roi Léopold, et de bien vouloir venir à l’aide du ministère et de
la bonne cause qu’il défend en engageant le Saint-Siège de provoquer de la part
de l’épiscopat belge le retrait de la proposition Dubus et Brabant dès
l’ouverture de la session et avant toute discussion. (Dietrichstein à Metternich, 23 juillet 1841).
(page
36) Dans une audience
accordée le 19 juillet au ministre d’Autriche, le Roi lui-même avait appuyé sur
l’identité de ses vues avec celles de M. Nothomb. «Il serait dangereux,
avait-il ajouté, de se contenter à l’ajourner
(la proposition) parce qu’elle resterait alors comme un ferment
continuel et qui tiendrait les partis en présence. Dans un avenir plus ou moins
rapproché, on pourra toujours la reproduire avec des modifications, lorsque le
ministère sera plus consolidé et que les élections de 1843 ne menaceront plus
d’être influencées dans un sens libéral par une proposition qui trouve même des
opposants parmi les catholiques les plus zélés. »
Dès le 15 juillet
Mgr Fornari s’empresse d’écrire à Rome. Il demande au Saint-Siège d’inviter les
évêques à retirer leur demande. Dans une conversation qu’il a avec le comte de
Dietrichstein le 26 du même mois, il se montre confiant dans les résultats de
son intervention. Il croit d’ailleurs avoir gagné du terrain et avoir déjà fait
fléchir l’intransigeance de Mgr van Bommel, l’évêque de Liége, « le plus raide
et le plus entier dans ses opinions parmi les évêques. » Ce prélat a
discerné dans une résistance à des demandes adressées au conseil provincial de
Liége, « une recrudescence de l’opinion libérale qui commande une grande circonspection
à l’épiscopat belge. Celui-ci doit sentir et sent effectivement la nécessité,
dans son propre intérêt, de ne pas embarrasser la marche du cabinet
actuel. » L’internonce croit cependant devoir faire appel, lui aussi, à
l’appui du chancelier autrichien pour être soutenu à Rome dans ses efforts (Dietrichstein au prince de
Metternich, 27 juillet 1841).
De son côté, le
gouvernement belge insiste sur l’intervention à Rome du prince de Metternich.
«M. Nothomb, écrit à ce dernier Dietrichstein le 28 juillet, qui est venu me
trouver de la part du Roi, m’a prié de fixer l’attention de Votre Altesse sur
les faits suivants la réunion des évêques aura lieu le 4 août. Mgr Capaccini (Nonce à Bruxelles du temps du royaume
des Pays-Bas) doit
également venir y assister; ce prélat, à ce que m’a assuré le ministre de
l’Intérieur, est d’avis que la proposition soit retirée. Les évêques, au
contraire, paraissent vouloir se borner à s’abstenir de la mettre en
avant, et la laisser ainsi en suspens. Tout le danger est là; il devient dès
lors très urgent que l’action du Saint-Siège soit prompte et péremptoire.
A ce moment, Rome avait
parlé. Le 26 juillet, une lettre de Mgr Lambruschini, cardinal secrétaire
d’Etat,, prévenait Mgr Fornari du voeu du Pape de voir l’épiscopat belge
déférer aux désirs du Roi. Mais, à en croire Mgr Stercx, l’internonce se serait
abstenu
de communiquer aux évêques les instructions reçues de Rome (SIMONS, op. cit., p. 156). Aussi la décision prise à la
réunion du 7 août ne répondit-elle
pas aux voeux de Léopold Ier et de son gouvernement.
7. Les évêques résistent
« Il a été décidé, disait
le procès-verbal de cette réunion :
« 1° Que l’épiscopat
conserve la conviction que sa demande est juste et raisonnable; que cette
demande étant devenue l’objet d’une proposition à
« 2° Que si le
gouvernement croit que la proposition Dubus-Brabant donne lieu à des
inconvénients graves et que le projet de loi soit de nature à devoir subir de
nouvelles modifications, le corps épiscopal désire en être informé
officiellement, qu’il s’empressera à examiner de nouveau cette affaire afin
d’aviser aux moyens de concilier le désir du gouvernement avec les intérêts de
l’université de Louvain et de la cause catholique;
« 3° Qu’au
reste, l’épiscopat a la confiance que le gouvernement ne refusera pas son appui
à une demande qui n’a d’autre but que de consolider un établissement qui rend
aux science les services les plus signalés, donne à l’Etat tant de garanties
d’ordre, et à la stabilité duquel la religion est souverainement
intéressée. »
8. L’embarras de Léopold Ier
Cette décision exaspéra
le Roi. Il manda le comte de Dietrichstem à Laeken le 13 août à la veille d’un
voyage en France où l’appelaient les négociations commerciales entamées entre
« Je sais que M.
Nothomb vous a mis entièrement au fait de la proposition Dubus-Brabant et des
graves considérations qui s’y rattachent, tant pour l’existence de mon cabinet
actuel, que j ‘ai eu tant de peine à constituer, que pour la cause catholique,
et, je dirai même, la possibilité de gouverner ce pays. Le clergé n’ignore pas
tout ce que j ‘ai fait dans son intérêt; c’est aussi à moi qu’il s’adresse
chaque fois qu’il se trouve menacé ou embarrassé, souvent par sa propre faute;
et il ne peut ou ne devrait pas se faire illusion sur l’état des esprits en
Belgique, qui s’est clairement manifesté lors des dernières élections, où, en
dépit de tous les efforts et de toutes les prévisions du parti catholique,
beaucoup des élections, nommément celles de Lebeau, Rogier et Devaux, ont mis
au grand jour la force prépondérante de la franc-maçonnerie, car c’est elle qui
a dirigé et triomphé dans les opérations électorales à Bruxelles.
« Eh bien ces signes
du temps ont passé inaperçus pour des hommes dont l’aveuglement et l’entêtement
sont aussi funestes à leur propre cause qu’à celle de mon gouvernement. Il
s’est élevé en Belgique un pouvoir inconnu dans d’autres pays, et qui s’arroge
des droits incompatibles avec ceux qu’un gouvernement régulier doit exercer. Ce
pouvoir, c’est l’Episcopat. (Note de bas de page : Léopold Ier se montrait
notamment très hostile aux réunions de l’épiscopat. Le 1er septembre 1845, il
écrivait au prince de Metternich « Les questions religieuses méritent la
plus grande attention; en conséquence, il serait utile que Rome recommandât la
plus grande prudence à nos évêques. Ceux-ci éprouvent surtout une dangereuse
inclination à se réunir de temps à autre et à prendre alors, au nom des
évêques, toutes sortes de résolutions. On sait que cela ne devrait pas
avoir lieu et que cela est en soi incompatible avec la position des évêques;
nos anticatholiques invoquent ces faits pour faire croire aux gens qu’ils sont
en réalité gouvernés par ces réunions des évêques; cela exaspère aussi, à un
degré extrême, les paisibles conservateurs qui ne veulent pas d’une domination
du clergé. A cet égard, cette attitude des évêques ne peut avoir
que des conséquences fâcheuses.Il ne
peut certainement rien sortir de bon de tout cela, car, vu la grande proximité,
ces Messieurs peuvent s’entendre sans ces réunions. L’évêque de Liége surtout
est toujours animé d’un zèle intempestif qui ne peut être que nuisible
dans les circonstances actuelles, et il serait fort à désirer qu’on le lui fît
sentir dans l’intérêt de la bonne cause. » Archives de l’Etat à Vienne.)
(page 38) « Je n’ai omis aucun moyen d’exercer
sur les esprits des évêques, dernièrement réunis à Malines, une influence
salutaire, pour les déterminer au retrait de la proposition, qu’ils veulent
mettre en avant par l’organe de MM. Dubus et Brabant, lors de la prochaine
session. En effet, M. de Briey, le membre du cabinet, auquel personne ne contestera
ses opinions catholiques, s’est rendu à Malines pour parler au nom de mon
ministère. M. Ribaucourt, catholique zélé, s’est également chargé d’une mission
confidentielle à cet effet; l’internonce et Mgr Capaccini ont fortement appuyé
le désir de mon gouvernement; tous ces efforts ont échoué contre l’entêtement
des évêques et, chose curieuse, surtout contre celui du cardinal-archevêque,
prélat modéré d’ailleurs, mais si borné qu’il ne comprend pas la portde de la
question en instance. L’évêque de Liége, malgré l’exagération connue de ses
principes, a penché pour le retrait de la proposition. J’ai eu un long
entretien avec le recteur de l’Université catholique, l’abbé de Ram, qui est,
dans cette affaire, le moteur principal et l’âme du parti exagéré. Je ne crois
pas que mes explications, quelque pratique qu’elles fussent, aient changé les
convictions opiniâtres de cet ecclésiastique. Il y a vraiment un grand
aveuglement et de l’ingratitude envers moi de la part des évêques qui, dans la
décision à laquelle ils se sont arrêtés, au lieu de se rendre, dans leur propre
intérêt, aux sollicitations de mon gouvernement, dont tous les membres sont
décidés, le cas échéant, de voter contre la proposition, veulent laisser
l’affaire en suspens par un ajournement.
« Les catholiques,
je le regrette vivement, se sont préparés bien des déboires par la malheureuse
tendance démocratique et antigouvernementale qui, par leur influence, a
constamment prévalu dans
9. Deuxième intervention
autrichienne et maintien de la décision pontificale
Le prince de Metternich
ne se refusa pas à exaucer les voeux du roi Léopold. A trois reprises, le 1er,
le 5 et le 9 août, il envoya des instructions au comte de Lützow, qui
représentait l’Autriche près du Saint-Siège. Il l’invita à appuyer les demandes
du gouvernement belge pour autant, disait-il, que le permettait « le
principe bien arrêté chez nous de ne jamais faire entrer qu’avec la plus
extrême réserve, dans le domaine de notre action, des affaires qui, de leur
part, nous sont complètement étrangères. » (Metternich à Dietrichstein, 12 septembre 1841) (Note de bas de page : Le prince de Metternich ne
semble pas avoir répondu avec beaucoup d’enthousiasme à la demande
d’intervention de Léopold Ier. Rapportant les paroles que le Roi avait
adressées à ce sujet au comte de Dietrichstein, il écrit dans ses instructions
du 1er août au comte de Lützow « veuillez porter ces paroles à la
connaissance du Cabinet pontifical. Sa sagesse décidera de l’usage qu’il pourra
ou voudra en faire. Je me permettrai d’autant moins de vouloir agir sur son
esprit relativement aux décisions à prendre que d’un côté je ne suis pas à même
de juger du degré d’influence qu’il a l’habitude d’exercer sur ce clergé belge
par rapport à des questions intérieures de plus (du genre?) de celle dont il
est question, et d’un autre côté, il m’est impossible de savoir en combien il y
a de l’exagération ou non dans le tableau des dangers que le ministère belge
entrevoit dans la poursuite d’une mesure au fond aussi simple que le paraît
être celle de la concession des droits d’une personne morale à une université
solennellement reconnue par l’Etat et par l’Eglise. Ma tâche vis-à-vis du
gouvernement belge est remplie si le Saint- Siège veut bien prendre
connaissance des pièces que l’on m’a prié de lui soumettre et s’il se détermine
en conséquence. »)
(page 40) Le 28 août, le
comte de Lützow rendit compte au chancelier
impérial de l’entrevue qu’il avait eue avec Mgr Lambruschini.
« J’ai fait part au
Cardinal Secrétaire d’Etat, écrit-il, des directions de V. A. qui
accompagnaient les rapports de M. le comte de Dietrichstein du 23 et 27
juillet; il en prit connaissance avec tout l’intérêt que méritaient l’exposé de
notre envoyé et les judicieuses réflexions de V. A., qui constataient à ses
yeux le respect pour l’Eglise et ses décisions, et des égards pour la situation
politique d’un jeune royaume qui a besoin de l’appui des Puissances qui
concoururent à sa création et auxquelles
« Le cardinal
Lambruschini me répéta itérativement qu’il envisage la question en instance,
savoir la demande que faisaient les évêques belges au gouvernement d’accorder à
l’Université de Louvain les droits et les qualités d’une personne morale comme
inopportune, intempestive même, et qu’il abonde dans votre sens, Mon Prince. Il
nie promit que sans délai il adressera les instructions les plus précises à ce
sujet à Mgr Fornari, puisqu’il y était autorisé par le Saint-Père à qui il
avait eu soin de rendre compte des rapports de l’internonce. Après quelques
réflexions que je fis à Son Eminence nommément sur la circonstance que
l’opinion si sage et si correcte de Mgr Fornari n’avait pu prévaloir dans la
conférence des évêques à Malines, le cardinal me demanda si j’étais content
que, pour gagner du temps, il mettrait Mgr Brunelli - favorablement connu à
Votre Altesse - à part de cette question et lui donnât les instructions
nécessaires pour rédiger celle à adresser à l’internonce de Sa Sainteté à
Bruxelles. Je ne pouvais qu’accueillir avec empressement une proposition si
loyale.
(page 41) « Effectivement, Mgr Brunelli ne tarda pas à nous
rejoindre en se rapportant au compte que Mgr Fornari lui avait rendu de la
proposition concernant l’université de Louvain traitée à la susdite réunion des
évêques belges à Malines, le Cardinal le mit plus à part des communications que
je venais de lui faire et lui traça les points principaux d’un projet
d’instructions qu’il aurait à rédiger en réponse au dit rapport de Mgr Fornari.
Le Cardinal, tout en rendant pleine justice aux vertus apostoliques des prélats
qui composent le haut clergé belge, n’en reconnaît pas moins les erreurs que
l’un et l’autre commettent parfois en se laissant entraîner par une ardeur, par
un zèle irréfléchi qui peuvent devenir préjudiciables à la cause catholique et
compromettre l’attitude politique d’un gouvernement que le Saint-Siège, par
principe et par affection, est empressé non moins qu’obligé de ne pas laisser
sans appui. Le Cardinal imposa à Mgr Brunelli de faire connaître à l’internonce
que Sa Sainteté entend (che é assolutamente la mente di Sua Santita) que
les évêques de Belgique auraient à retirer leur proposition concernant
l’Université de Louvain et à y renoncer. La retirer après avoir fait un premier
essai, si elle serait accueillie ou non, l’ajourner même, ne serait pas la même
chose, observa le Cardinal; le mal serait fait, le germe subsisterait, et ce
serait à peu près comme si l’on voudrait s’efforcer d’éteindre un incendie
auquel on avait apporté le combustible et tout ce qui pouvait alimenter le feu.
Le Cardinal ne laissa point ignorer à Mgr Fornari que ces instructions ont été
dictées par les considérations que mérite le roi Léopold, et qui Lui sont dues
même, par
« Par le langage que
Mgr Fornari a reçu l’ordre de tenir à l’épiscopat belge au nom et d’ordre du
Saint-Père, le but que se propose S. M. le roi Léopold en s’adressant au
cabinet impérial me paraît désormais atteint, car une action plus directe sur
les évêques n’aurait pu être obtenue, et encore ce n’est point un ajournement
de la proposition que veut le Pape. Il exige péremptoirement qu’elle soit
retirée et que l’opportunité de la reproduire soit abandonnée au jugement du
gouvernement.
Les instructions dont
parle le comte de Lützow sont datées dit 26 août. Mgr Fornari ne les communiqua
toutefois à Mgr Stercx qu’à la mi-octobre (SIMONS, op. cit., p. 156). En attendant, il s’attacha à gagner plusieurs évêques aux
vues du Pape. D’après le marquis de Rumigny, ambassadeur de France à Bruxelles,
il s’était réservé de signifier aux autres prélats les ordres de Sa Sainteté au
moment de l’ouverture des Chambres de manière à ôter à ceux dont il craignait
les dispositions récalcitrantes les moyens « d’intriguer à Rome pour essayer de
(page 42) les faire modifier (Le marquis de Rumigny à Guizot, 11
octobre 1841. Archives du ministère des Affaires étrangères à Paris). Le cardinal-archevêque de Malines ne voulut voir
d’abord dans les directions pontificales qu’une invitation et non un ordre à
retirer le projet de loi. L’internonce avait d’ailleurs manqué de netteté dans
la transmission des instructions de Mgr Lambruschini.
Le roi Léopold ainsi que
son gouvernement recevaient bientôt connaissance de la missive pontificale.
Elle leur donnait pleine satisfaction. Le 3 octobre, Léopold Ier s’ouvrait à ce
sujet au comte de Dietrichstein. Il se flattait que le langage « aussi sage que
catégorique » du cardinal secrétaire d’Etat, organe du Saint-Siège,
exercerait une influence salutaire sur les déterminations de l’épiscopat belge
et que si MM. Dubus et Brabant, inspirés peut-être par un amour-propre déplacé
et poussés par le zèle ardent et exagéré de M. l’abbé de Ram, recteur de
l’Université de Louvain, persistaient à mettre en avant leur proposition
intempestive, ces députés ne trouveraient que peu d’échos à
10. Les évêques résistent
encore !
La soumission désirée mie
se produisit cependant pas immédiatement comme on l’avait espéré à
« Les dernières
instructions du Saint-Siège, écrivait au prince de Metternich, le 14 octobre,
le comte de Dietrichstein, qui tenait (page 43) soigneusement le chancelier au
courant des divers épisodes de la question, adressées à M. l’internonce de
Bruxelles sur l’affaire en instance sont péremptoires et en parfait accord avec
les explications dans lesquelles Mgr le cardinal secrétaire d’Etat est entré
vis-à-vis de M. le comte de Lützow.
« Mgr Fornari,
ministre éclairé et au-dessus des intrigues étroites de l’esprit de parti, fort
d’ailleurs de l’appui et des volontés clairement énoncées de sa Cour, est sorti
de son état habituel de réserve et ne cache, ni aux membres de l’épiscopat
belge, ni à ceux de la représentation nationale, habitués à recevoir le mot
d’ordre des évêques, que le Saint-Père, désireux de voir la consolidation de
l’ordre en Belgique, désapprouve une proposition qui ne serait qu’un brandon
jeté dans les Chambres et dans le pays, et n’assurerait, dans un avenir plus ou
moins rapproché, que le triomphe du libéralisme. Mgr Fornari n’a pas perdu
l’espoir de faire entendre la voix de la raison à ceux qui n’écoutent
malheureusement que les conseils d’un étroit égoïsme, et qu’il faut sauver malgré
eux.
« Malheureusement,
l’archevêque-cardinal se montre le plus intraitable. Dans un entretien de
plusieurs heures qu’il a eu avec M. Nothomb, et dont ce ministre m’a rendu un
compte détaillé, Monseigneur de Malines a reconnu les progrès effrayants que
« Le roi Léopold,
qui m’a itérativement chargé de remercier Votre Altesse de tout l’appui éclairé
et puissant qu’Elle a donné à Son gouvernement dans cette affaire, me charge de
lui transmettre la lettre ci-jointe.
« Sa
Majesté semble craindre une influence hostile de la part de Mgr Capaccini, (Note
de bas de page : Mgr Capaccini était venu en Belgique pour y bénir le
mariage du prince Aldobrandini avec une fille du duc d’Arenberg. Il alla
occuper peu après la nonciature de Lisbonne.) étroitement lié avec les évêques belges, dont, d’après ce
que j’ai appris, il reçoit une pension annuelle de 7,000 francs. Ce prélat et
M. l’abbé de Ram, recteur de l’Université, (page 44) paraissent exercer une grande influence sur l’esprit de
l’archevêque de Malines et l’encourager dans son esprit d’opposition aux vues
du gouvernement.
« Le
Roi craint beaucoup que Mgr Fornari, auquel Sa Majesté et Son cabinet actuel
ont beaucoup d’obligations, ne devienne, malgré l’approbation que lui accorde le
Saint-Père, la victime des intrigues cléricales, et que Mgr Capaccini, dont les
intentions bienveillantes pour le gouvernement belge semblent être mises en
doute ici, ne parvienne à remplacer provisoirement l’envoyé actuel du
Saint-Siège.
« Je
n’aurais pas osé entrer vis-à-vis de Votre Altesse dans tous ces détails,
auxquels on pourrait attribuer la valeur de commérages,. si je ne voyais
au-dessus de la question en instance, personnelle pour l’épiscopat,
personnelle, jusqu’à un certain point, pour le ministère actuel, qui y
entrevoit avec raison sa durée ou sa chute, si je ne voyais, dis-je, au-dessus
de ces considérations particulières,. celle, majeure et dominante, de la
consolidation de l’ordre ou d’un nouveau ferment propre à agiter ce pays et à y
ramener le triomphe des doctrines démagogiques. »
Après
l’entrevue qu’il avait eue avec M. Nothomb, Mgr Stercx en eut une autre, le 13
octobre, avec l’internonce. Dans l’entretien qui s’échangea, Mgr Fornari
combattit, avec grande supériorité de raisonnement, s’il faut en croire le
comte de Dietrichstein,, les objections du cardinal archevêque. Il s’attacha à
lui faire comprendre que le Pape désapprouvait la proposition Dubus-Brabant non
sous le rapport de la légalité, mais sous celui de l’opportunité politique. Il
ajouta qu’en s’inclinant dans cette question devant les désirs du gouvernement
belge, le Saint-Père « envisageait la question comme se rattachant aux
plus graves considérations de l’ordre européen et des principes
conservateurs. » (Note
de bas de page : « Dans ce
conflit il est sûr, écrivait le comte Crotti dans un rapport du 14 octobre, que
le parti catholique se fractionnerait et que le clergé non seulement perdrait
la cause qu’il défend avec tant d’opiniâtreté, mais perdrait aussi beaucoup de
cette influence morale qu’il est d’un si grand intérêt pour
Quelle que fût l’impression produite par ces paroles
sur l’esprit du cardinal, celui-ci manifesta son intention de s’adresser
directement au Pape. Mgr Fornari ne cacha pas à ses confidents sa persuasion de
l’impossibilité d’un recul à Rome. A son avis, un nouvel ordre direct et
catégorique obligerait l’épiscopat belge à se soumettre « aux justes exigences
du cabinet de Bruxelles » (Dietrichstein à Metternich, post-scriptum à la dépêche du 14 octobre 1841).
11. Troisième intervention
diplomatique autrichienne
(page 45) Irrité de ces
tergiversations, Léopold Ier écrit lui-même à Metternich. Son langage se fait à
nouveau très dur pour l’épiscopat belge « Je vous suis infiniment
reconnaissant, écrit-il, le 14 octobre, de votre intervention si nécessaire à
Rome; l’effet
a été tout à fait ce que je désirais qu’il fût là-bas; mais ici, nous
avons affaire à des gens dont la cervelle doit être organisée d’une manière
tout à fait particulière. Fornari se comporte d’une façon vraiment parfaite,
mais je me vois obligé de vous dire que Capaccini a beaucoup nui à
l’affaire. Ses rapports avec les évêques belges ne sont pas heureux. Alors que
l’on avait pour ainsi dire renoncé à la chose à Malines (Note de bas de page :
L’exactitude de ce détail ainsi que l’action prêtée par Léopold Ier à Capaccini
sur Mgr Stercx a été contestée. Cf. SIMON, op. cit., p. 156) Capaccini, au cours d’une seconde
visite à l’archevêque, l’a approuvé d’une manière inconcevable et a rendu ainsi
vain le travail pénible qui était déjà accompli. Aussi, depuis lors, ils
comptent sur lui et cherchent à appuyer leur manière d’agir sur toutes sortes
de sophismes, en disant, par exemple, que le Saint-Père peut comprendre les
affaires spirituelles, mais non les affaires politiques, que l’internonce n’est
ici qu’un agent diplomatique du Souverain temporel, mais qu’il n’a pas à
s’occuper des questions religieuses; pour se mettre encore plus à couvert, ils
disent que « le retrait de la proposition était impossible » parce que MM.
Dubus et Brabant, qui en avaient été chargés par les évêques et qui ne sont
donc que leurs mandataires, ne se prêteraient en aucun cas à ce retrait. Vous
ne pouviez guère vous attendre à autant de démence de la part de ces gens, mais
malheureusement c’est ainsi et je doute qu’ils obéissent au Saint-Père dans
cette affaire qui dépend entièrement de lui puisque toute l’Université n’existe
que grâce à un bref venu de lui. Avant toutes choses, je sollicite donc encore
une fois votre intervention si importante et si nécessaire. Je vous prie
d’abord de bien vouloir protéger et soutenir de toutes les manières Fornari à
Rome, car les évêques et principalement l’archevêque et l’évêque si infiniment
nuisible de Liége feront tout pour lui nuire à Rome (Note de bas de page : Mgr van Bommel, évêque de Liége, est cependant un des premiers
évêques qui se soient montrés partisans du retrait de la proposition
Dubus-Brabant, Léopold Ier lui en voulait probablement de son
intransigeance dans la question de la loi sur l’enseignement primaire,
intransigeance qui était également une cause de soucis pour le cabinet Nothomb) ; en second lieu, je vous prie
d’appuyer ma demande faite en vue de son avancement hiérarchique et aussi de
faire sentir à Rome la nécessité de nous donner un nonce. Ce n’est pas un
simple Monsignore et internonce qui peut faire entendre raison à ces
gens, car la raison ni l’intérêt et l’avenir de tout le catholicisme en
Belgique ne font impression sur des gens comme cet abbé de Ram qui, en fait,
dirige pourtant l’archevêque.
« Si
la proposition n’est pas retirée, le dommage sera grand et un ministère
réellement, étonnamment bon, peut en être la (page 46) victime. Un ministère purement catholique ne pourrait en
ce moment ni se former ni se maintenir et les prochaines élections devront être
libérales. Il ne me restera donc qu’à former un cabinet d’une nuance se
rapprochant de Lebeau-Rogier et qui nous donnera une orientation
française. » (Archives
de l’Etat à Vienne.)
Le
cardinal Stercx aurait désiré adresser au Saint-Père des représentations au
sujet des instructions du 25 août. Mais
il ne fut pas suivi dans cette voie par ses collègues de l’épiscopat mieux
instruits par Mgr Fornari que l’archevêque du caractère impératif de la lettre
du cardinal Lambruschini. Voulant prévenir d’ailleurs de nouveaux retards, Rome
transmet le 28 octobre à Mgr Fornari une lettre « qui s’adresse
particulièrement à Monseigneur de Malines en rendant ce prélat responsable des
dangers auxquels serait exposée la cause du catholicisme et de l’ordre eu
Belgique, si Son Eminence, par sa résistance aux voeux formellement exprimés du
Saint-Père, encourageait directement ou indirectement des députés catholiques à
mettre en avant une proposition que Sa Sainteté déclare intempestive et
dangereuse pour la cause de la religion » (Dietrichstein à Metternich, le 10
novembre 1841. Le comte Crotti
au comte Solaro della Margarita, 15 novembre
1841)
Cette
dépêche arrivée à Bruxelles le 9 novembre est immédiatement communiquée à
Léopold Ier ainsi qu’au primat de Belgique (Le comte Crotti au comte Solaro della Margarita, 15 novembre 1841)
Mgr Stercx alors s’incline. Dès le 14
novembre, l’internonce se trouve en possession d’une lettre écrite par
l’archevêque et contenant la soumission explicite de ce prélat et de tous les
évêques de Belgique aux ordres de Rome (Dietrichstein à Metternich, 14 novembre 1841) (Note de bas de
page : D’après SIMON, op. cit., p. 159, Mgr Fornari aurait, déjà le 29 octobre, réclamé
à Mgr Stercx le retrait de la proposition Dubus-Brabant « selon l’ordre de
Rome ». Il semble cependant avoir fallu la lettre de Mgr
Lambruschini du 28 octobre pour faire céder le cardinal.
En communiquant cette lettre à Mgr Stercx, Mgr Fornari lui aurait écrit,
d’après le rapport du comte Crotti du 15 novembre, qu’il eût bien à
réfléchir sur sa conduite dans cette circonstance d’autant plus que plusieurs
évêques s’étaient déjà fait un devoir de lui écrire qu’ils entraient
parfaitement dans les vues du Saint-Père ». « Poussé dans ses derniers
retranchements, continue le diplomate sarde, le cardinal a vu qu’il lui était
impossible de pousser plus loin la résistance et dans une longue lettre à
l’internonce où il cherche encore à prouver que la proposition aurait pu
passer, qu’on donnait ainsi gain de cause au parti antireligieux et qu’on avait
cherché à mettre la désunion entre les évêques du Royaume, il finit par
déclarer qu’il se soumet entièrement aux ordres de Rome. »)
Cette
soumission était-elle pleine et entière? Le gouvernement en douta. Le ministère
belge, écrit Dietrichstein, craint encore que les machinations secrètes et
détournées de ce prélat et du parti ultra-clérical pourraient faire surgir
cette question irritante durant la session prochaine (Dietrischstein à Metternich, le
novembre 1841)
(page 47) Ces craintes n’étaient pas
sans fondements. Le 17 novembre, Mgr Stercx écrivait au cardinal secrétaire
d’Etat pour lui faire part de l’adhésion de l’épiscopat aux ordres du
Saint-Siège, mais pour lui faire connaître en même temps la répugnance de MM.
Dubus et Brabant à retirer le projet de loi déposé à
« Au
fond, a écrit M. Simon (op.
cit., p. 159), le
cardinal semblait abandonner difficilement son idée, il attendait de sa lettre
au secrétaire d’Etat un heureux effet. Il comptait, en traitant avec le
Saint-Siège, gagner du temps et peut-être empêcher le retrait. Il y allait pour
lui de l’avenir de l’Université. D’ailleurs, dans une série d’entretiens qu’il
eut avec Mgr Capaccini, il tomba d’accord avec lui sur un moyen de sortir
d’embarras. Que l’on fasse la distinction entre la demande de l’épiscopat et la
proposition parlementaire la première serait retirée, ainsi le prestige de
l’internonce serait sauvegardé; mais le projet des députés ne pouvait être abandonné
que par ceux-ci, et, comme les évêques n’ont en somme sur eux aucun pouvoir,
que le Gouvernement le réclame lui-même de ces derniers. »
12. Monseigneur Capaccini et
les tergiversations des évêques
La politique
préconisée par Mgr Capaccini déplut profondément au Roi, à ses ministres ainsi
qu’à l’internonce. De plus, l’attitude adoptée en même temps en Belgique par ce
prélat amena un conflit violent entre lui et Mgr Fornari (Note de bas de page : « Avant-hier,
au soir (le 14 décembre 184,), écrit le comte Crotti, Sa Majesté m’a pris à
part, (à un bal de cour) et m’a fait l’honneur de me confier qu’il avait été
fort mécontent de Mgr Capaccini. que sa tournée chez les évêques et sa conduite
en cette circonstance si différente des sentiments exprimés par
Mgr Capaccini, écrit le
comte Crotti le 8 décembre, est venu en Belgique dans les premiers jours d’août
dernier à l’occasion du mariage du prince Aldobrandini avec une fille du duc
d’Arenberg et a en une longue conférence avec les évêques réunis à Malines
auprès du cardinal. C’est à la suite de cette conférence qu’on a (page 48) remarqué l’insistance des
évêques pour que
« Il vient
maintenant de se passer un fait qui vu les antécédents des choses a beaucoup de
gravité et semble devoir sérieusement compromettre son auteur. Mgr Capaccini,
après avoir terminé ses affaires à
« J’ai pensé qu’il
était de mon devoir de porter confidentiellement à la connaissance de Votre
Excellence le différend survenu entre ces deux personnages haut placés et
m’abstiens des tristes réflexions qui en découlent, car il est pénible de voir
que l’amour-propre et la faiblesse des hommes percent partout. »
Le comte de Dietrichstein
reçut également les plaintes du Roi, de l’internonce et de M. Nothomb au sujet
de l’attitude prise par Mgr Capaccini. Dans son rapport au prince de Metternich
du 15 décembre, le diplomate impérial relate les faits de la même manière mais
plus succinctement que son collègue piémontais. Quoique estimant l’action de
Mgr Capaccini peu propre à amener la conciliation, il n’ose affirmer que ce
prélat ait « donné un appui manifeste aux vues exagérées de l’épiscopat
belge ». Il estime cependant que le prélat voyageur a réussi à se faire passer
comme opposé dans une certaine mesure à « la marche sage et conciliatrice » de
l’internonce conçue entièrement dans l’intérêt du clergé dont les
exigences inopportunes » risquaient de provoquer contre lui une formidable
réaction libérale ». Insistant sur ce danger, le comte de Dietrichstein
ajoutait «Il ne faut pas se le dissimuler, et S. M. elle-même m’a parlé hier
dans ce sens, que l’opinion libérale .a fait d’effrayants progrès ici, grâce à
l’influence délétère de l’administration de M. Lebeau et que ce n’est qu’en
marchant prudemment qu’on peut espérer de se préserver du retour d’un cabinet
de sa couleur, qui, comme me l’a répété le Roi, finirait par assimiler
13.
Nouvelle tergiversations épiscopales. Le retrait de la proposition Dubus-Brabnt
ne se fait pas
(page 50) Rome ne devait voir dans la tactique suggérée par Mgr
Capaccini qu’un simple subterfuge destiné à éluder les instructions
pontificales.
M. Dubus et Brabant
n’avaient pas agi spontanément mais à la demande des évêques. Incités par eux à
retirer leur proposition et avertis des désirs du Saint-Père au sujet de
ce retrait, ils ne pouvaient se refuser à s’incliner devant la nouvelle
invitation de l’épiscopat.
Peu après l’arrivée à Rome de la missive de Mgr Stercx en partit le 17 décembre
une réponse où, sous l’aménité des formes habituelles à la diplomatie
pontificale, se dissimulait un blâme catégorique des tergiversations de
l’archevêque de Malines et un ordre formel d’obéissance.
Après avoir loué la
soumission affirmée par Mgr Stercx, le cardinal Lambruschini ajoutait :
« J’ai vu avec
regret que cet article était suivi d’un autre objet tendant à m’informer de la
contrariété exprimée par MM. Brabant et Dubus à retirer leur motion,
c’est-à-dire qu’il laissait en substance trop à désirer dans l’acte de leur
adhésion à nos justes et respectables désirs. Cependant ne voulant pas sur cet
objet précipiter son jugement, le Saint-Père préféra attendre l’ouverture des
Chambres belges pour voir si, en fait, ladite motion laissée dans l’inaction
resterait inoffensive de manière à rendre un retrait superflu. Mais,
malheureusement, les nouvelles arrivées aujourd’hui de Bruxelles font
douloureusement foi de la nécessité qu’il y a de la retirer sans hésitation. Il
suffit de lire dans les journaux la séance du 3 courant de la seconde Chambre
pour en rester convaincu et pour reconnaître combien est grand l’embarras où se
trouve le ministère de se défendre de l’opposition qui se prévaut du silence de
MM. Brabant et Dubus comme d’un motif de tirer parti de la proposition non
retirée comme d’une épée qu’au premier moment on peut retirer du fourreau.
« Maintenant me
rapportant aux rapports véritablement authentiques que j’ai reçus de plusieurs
côtés, il me paraît que les deux députés ne se prêtent pas au retrait de la
proposition parce que plusieurs évêques (parmi lesquels je ne dois pas
dissimuler que l’on veut comprendre Votre Eminence) se montrent décidés à ne
pas le vouloir et qu’ils ont déclaré qu’ils se prêteront à tel acte aussitôt
qu’ils en auront reçu le conseil.
(page 51) « Des personnes qui sur cela ont causé avec M.
Brabant m’en assurent au point de ne m’en laisser aucun doute, Dans cet état de
choses, le Saint-Père désire ardemment et insiste pour que Votre Eminence
veuille sur-le-champ faire usage de tout son crédit pour amener par ses
insinuations et par son exemple les évêques qui seraient encore récalcitrants à
se prêter au vouloir du Saint-Père. Ce parti est le seul qui puisse convenir
dans les circonstances actuelles à la cause de l’Eglise que nous sommes en
devoir de soutenir.
« Si cette motion,
comme Votre Eminence l’observe, a été dans une autre session bien accueillie,
cela n’est arrivé que parce que le succès même était désiré par l’opposition
d’alors, tandis qu’aujourd’hui, au contraire, l’issue en serait tout à l’opposé,
par la bonne raison que le parti qui alors la provoquait avait tout un autre
but.
« Quoiqu’on en
puisse dire, le parti catholique va ainsi perdant chaque jour du terrain et les
élections (de Bruxelles), dans lesquelles on ne peut nier que les catholiques
ont pris toute la part qu’ils y pouvaient prendre, en est une démonstration
trop évidente pour notre malheur.
« Bornons-nous donc
à faire des voeux pour que d’autres circonstances meilleures se présentent, pour
que le projet puisse être aventuré avec une garantie fondée de succès et
laissons intriguer ou crier à leur gré les personnes d’une foi douteuse et
celles aussi dont le zèle n’a pas tonte la prudence nécessaire. L’union des
évêques avec le parti catholique et de celui-ci avec le ministère actuel est un
trop grand bien pour ne pas devoir le cimenter sans prêter l’oreille à de
fausses insinuations.
« Le Saint-Père dont
dérivent toutes les réflexions exposées jusqu’ici désire que Votre Eminence
s’unisse aux intentions dont
il est animé pour l’Université de Louvain dans laquelle le Pape voit une oeuvre
sienne. Il espère que Votre Eminence ne voudra pas se faire un défenseur plus
ardent de cet établissement que lui- même et qu’au contraire Elle voudra s’unir
à Lui pour conjurer une complication de circonstances telles que la présente,
dans lesquelles si le parti réellement catholique venait à succomber, on aurait
préparé une catastrophe qui, peut-être, causerait la ruine de cette
intéressante institution. Le Saint-Père ne peut douter que Votre Eminence verra
autre chose qu’une simple invitation dans l’avertissement énergique dont il est
l’auteur bien qu’il se serve de mon entremise. » (Archives diplomatiques du ministère
des Affaires étrangères à Bruxelles, Saint-Siège, t. II1, pièce n° 60, et Archives
de l’Etat à Vienne). (Note de
bas de page : Mgr
Fornari, à qui cette lettre avait été adressée pour la faire parvenir à Mgr
Stercx, s’était empressé d’en remettre une copie au comte de Dietrichstein qui
l’avait envoyée à Metternich. Il la communiqua également au comte Crotti et
peut-être encore à d’autres diplomates, Il semble que l’internonce aurait pu
être plus discret et épargner au cardinal de Malines cette communication d’un
document au fond humiliant pour lui. Mais on connaît le désir de Mgr Fornari de
devenir nonce à Vienne. De là sans doute sa complaisance excessive notamment
pour le représentant de l’Autriche à Bruxelles).
(page 52) La secrétairerie d’Etat
adressa cette lettre à cachet ouvert à Mgr Fornari, afin qu’il pût la lire et
trouver dans ce procédé une nouvelle marque de confiance et une haute
approbation de sa conduite en cette affaire (Rapport du comte Crotti du 2 janvier
1842).
Le
retrait de la proposition Dubus-Brabant ne s’opéra cependant pas aussi vite
qu’on aurait pu l’espérer. Dans l’audience qu’il obtint de Léopold Ier le 1er
janvier, l’archevêque de Malines fit état près du Roi de la résistance à sa
demande qu’il rencontrait près des deux auteurs du projet de loi. « Une
dernière fois a-t-il voulu ébranler la volonté royale, c’est possible », a
écrit M. Simon (op. cit.
p. 160)
Léopold
Ier, contrairement à ce que fit savoir à Rome Mgr Stercx, se refusa de croire
au manque d’influence de ce dernier sur MM. Dubus et Brabant. « Au bal de
Cour, qui a eu lieu mercredi, écrit le comte Crotti le 8 janvier 1842, le Roi
m’a fait l’honneur de m’entretenir fort longtemps des affaires du pays. Il m’a
répété qu’il craignait une scission dans le parti catholique soit relativement
à la proposition Brabant-Dubus, soit dans la question des indemnités que la
ville de Bruxelles doit payer aux propriétaires qui ont été pillés à diverses
époques depuis 1830. Il a bien voulu aussi me confier que le
cardinal-archevêque de Malines était venu le voir pour lui donner l’assurance
que ni lui, ni les évêques né s’opposaient plus à ce que la proposition
relative à l’Université de Louvain fût retirée, mais qu’ils ne pouvaient pas
forcer à cet égard la volonté de MM. Brabant et Dubus dont l’amour-propre se
trouvait compromis. Le Roi m’a paru prêter peu de foi à cette assertion et a
ajouté qu’il ne comprenait pas en vérité une résistance si opiniâtre et si
contraire aux vrais intérêts du clergé et de la religion dans les circonstances
actuelles. Il m’a ensuite témoigné sa reconnaissance envers le Saint-Père pour
la part active et loyale qu’il a bien voulu prendre dans cette affaire. »
Sans doute, le
gouvernement attribua-t-il l’attitude de l’archevêque aux manoeuvres de l’abbé
de Ram, recteur de l’Université, que M. Simon représente cependant comme ayant
été un des premiers à se rallier au retrait de la proposition Dubus-Brabant (SIMON, op. cit. 159). Le 11 janvier 1842,
vraisemblablement d’après des instructions reçues de Bruxelles, le comte
d’Oultremont, ministre de Belgique près le Saint-Siège, remercie le cardinal
Lambruschini de la lettre adressée le 17 décembre au cardinal Stercx, mais en
même temps il porte contre le recteur de Louvain de vives accusations. «
Toute cause d’irritation aura-t-elle cessé par cette désapprobation, écrit-il.
(page 53) L’acte avait un auteur et
l’auteur d’un mauvais acte devient-il
meilleur par cela seul que son oeuvre est jugée mauvaise? Se trouve-t-il réduit
à l’impuissance par cela seul que son projet a été repoussé? Non et le coeur
humain est si mal incliné qu’il n’en cherche souvent qu’avec plus d’ardeur une
autre occasion d’atteindre le but qu’il s’est proposé. » Tel est, affirme
le comte d’Oultremont, l’abbé de Ram, qui, dans toute cette affaire a dominé le
cardinal Stercx. Il a l’esprit remuant, plein d’ambition, il tend sans cesse à
s’élever à l’égal de toute supériorité afin de se créer une situation
importante qui satisfasse son penchant dominant, la vanité. »Il s’oppose
avec d’autant plus de facilité qu’il n’apparaît point dans ces circonstances,
que les instructions du Saint-Siège ne lui sont pas adressées et qu’il n’a pas
à y répondre. Le comte d’Oultremont reproche à l’abbé de Ram ses tentatives de
provoquer une crise ministérielle. Il affirme que le recteur de Louvain cherche
à détacher de la majorité des députés ralliés à M. Nothomb en leur faisant
entrevoir la perspective d’un portefeuille dans la constitution d’un nouveau
cabinet. Le diplomate belge, persuadé que M. de Ram dépend de Rome comme
recteur de l’Université érigée en vertu d’un bref du Saint-Père, demande au
Saint-Siège d’interdire à cet ecclésiastique toute action politique et de
l’obliger à se renfermer uniquement dans son rôle d’enseignement. Ainsi seront
écartés les inconvénients de « l’importance factice que cet abbé s’est
donnée. » (Archives
diplomatiques du ministère des Affaires étrangères, à Bruxelles. Saint-Siège, t. II1.)
Nous
ignorons si le Saint-Siège donna une suite quelconque à cette plainte.
L’archevêque
de Malines répondait à Mgr Lambruscbini le 16 janvier. Mais vraisemblablement
mécontent de ses rapports avec l’internonce, il évitait de faire passer la
missive par son canal et l’envoyait directement au cardinal secrétaire d’Etat.
Mgr Fornari devait ainsi, pendant quelque temps, rester dans l’ignorance des dispositions
de Mgr Stercx et de ses collègues de l’épiscopat.
« Aussitôt
que j’eus reçu la lettre que V. E. m’a fait l’honneur de m’adresser le 17
décembre dernier, écrit le primat de Belgique, je me suis empressé de faire de
nouveaux efforts pour engager MM. Dubus et Brabant à retirer leur proposition:
Comme le premier se trouvait à Tournai et le second à Namur, à l’occasion des
vacances que
« L’évêque de
Tournai n’ayant pu parler à M. Dubus que le 11 de ce mois, ce n’est qu’hier que
j ‘ai pu recevoir sa réponse. L’un de ces députés a répondu qu’il ne savait ce
qu’il conviendrait de faire en pareille occurrence, niais qu’il aurait un
entretien avec son collègue et d’autres personnes pour examiner la question. (page 54) L’autre a dit qu’il ne pouvait
guère se prononcer avant d’en avoir conféré avec son collègue et ses amis de
« J’ai également
fait part aux autres évêques des ordres que V. E. m’a transmis et je les ai
priés de contribuer à remplir les désirs du Saint-Siège. Je suis persuadé
qu’ils ne négligeront rien pour atteindre ce but car tous, j’en suis sûr,
désirent aussi vivement que moi de terminer cette affaire, qui nous a causé
tant de peine et de soucis et dont nous ne pouvons plus espérer, dans les
circonstances actuelles, un bon résultat pour l’université.
« Dans l’audience
que le Roi a daigné m’accorder à l’occasion du Nouvel An, j’ai dit à Sa Majesté
que je regrette de n’avoir pu parvenir à remplir entièrement le désir qu’il
m’avait fait connaître au mois d’avril et au mois de juillet passés; que si
notre demande (qui n’a été adressée à la législation qu’après avoir obtenu son
consentement) fût restée seule, elle aurait été retirée depuis longtemps, mais
comme il s’agit principalement de retirer une proposition de loi, dont les
auteurs seuls sont les maîtres, nous n’avons pu faire tout ce que nous aurions
voulu; que l’ajournement de la discussion et la grande réserve que les députés
favorables à la proposition ont montrée dans les séances des premiers jours de
décembre, avaient jusqu’ici écarté les inconvénients qu’on a craint, et qu’il y
a lieu d’espérer qu’ils continueront sur ce pied jusqu’à ce que le retrait soit
fait; que l’épiscopat, de son côté, continuera à travailler pour obtenir le
retrait, mais que c’est une chose très difficile et qui exige beaucoup de
ménagement parce que c’est une question d’honneur et quasi d’existence
parlementaire pour MM. Dubus et Brabant, surtout depuis que MM. de Verhaegen et
consorts ont attaqué leur proposition à
La réponse de
l’archevêque de Malines déplut profondément à Rome. Le cardinal secrétaire
d’Etat exprima son mécontentement à l’internonce en lui en envoyant une copie (Mgr Fornari ne la reçut que le 15 février). Mgr Stercx paraissait vouloir,
malgré les ordres formels du Saint-Siège, continuer son système de
tergiversations et s’en tenir à la politique arrêtée avec Mgr Capaccini dont
l’attitude en Belgique avait d’ailleurs reçu un blâme à Rome (Dietrichstein à Metternich, 4 janvier
1842)
14. Nouvel incident
Les efforts de
l’internonce pour amener le retrait de la proposition paraissaient cependant en
bonne voie lorsqu’un incident faillit tout remettre en question. Le journal Le
Fanal, qui passait pour être l’organe du ministère, publia, le 7 janvier,
un article affirmant que, malgré les assertions contraires de MM. Dubus et
Brabant, ces membres du parlement seraient obligés d’abandonner leur
proposition, parce que le Saint-Siège l’avait désapprouvée, parce qu’il la
regardait comme inopportune et parce qu’il en exigeait le retrait. En même
temps, ce journal se livrait à une censure amère de la conduite tenue en
Belgique par Mgr Capaccini.
Cette nouvelle parut au
public une communication officielle, ce qui envenima l’affaire, une polémique
de presse s’ensuivit (Note
de bas de page : MM. Nothomb et de Briey, ce dernier ministre des Affaires
étrangères, affirmèrent être complètement étrangers à l’article du Fanal). Les journaux libéraux s’empressèrent
d’exploiter dans leur intérêt l’indiscrétion du Fanal.
L’Observateur expliqua à sa manière les vues de
L’action pacificatrice de
Mgr Fornari se trouva considérablement entravée
par de tels articles.
« L’indiscrétion du Fanal, dit-il
au chargé d’affaires d’Autriche, a failli compromettre le résultat de mes
démarches en faveur du retrait de la proposition Dubus-Brabant. Mgr
l’Archevêque et M. l’abbé de Ram, tout en déclarant leur soumission à la
volonté du Saint-Siège, ont laissé entrevoir que les deux députés, blessés par
la publicité qu’on a donnée aux ordres de Rome, et provoqués par les libéraux,
refuseront probablement de retirer leur proposition pour ne pas avoir l’air de
céder aux exigences des libéraux. Si ces messieurs avaient persisté dans leur
refus, il ne me serait resté d’autre moyen que de forcer les évêques à révoquer
solennellement la pétition collective qu’ils ont adressée à
Mgr Fornari ne fit pas
mystère à MM. Dubus et Brabant de la politique arrêtée dans son esprit pour le
cas où ils auraient persisté dans leur refus de retirer leur projet de loi. Ils
ne voulurent pas être la cause de divisions dans leur parti. Après une réunion
de plusieurs membres de la droite catholique où la question du retrait fut
vivement débattue, et « après bien des hésitations, dans lesquelles
l’amour-propre, les intérêts privés, et, il faut bien l’avouer, aussi le zèle
religieux ont eu leur part », on décida de se « soumettre sans restriction
à la volonté du Saint-Siège » (Handel, chargé d’affaires ad interim d’Autriche, à Metternich,
19 janvier 1842).
15. 15 février 1842 :
Le retrait de la proposition
M. Brabant se rendit à
Malines pour s’entendre avec le Cardinal au sujet de l’envoi au
président de
Le Président de
(page 57) Le 11, le cardinal Stercx avait déjà annoncé
au cardinal secrétaire d’Etat la décision des deux députés.
M. Nothomb montra de l’issue donnée à l’affaire une satisfaction complète. Au
cours même de la séance du 15 février, il écrivit un billet au chargé
d’affaires d’Autriche pour lui faire part de ce qui venait de se passer. Le
soir, il rencontra le diplomate autrichien. «M. le ministre de l’Intérieur»,
écrit le 16 février M. de Handel au prince de Metternich, m’a chargé d’être
auprès de V. A. de nouveau l’interprète des sentiments de la reconnaissance
dont il est pénétré pour l’intérêt que, dans cette affaire, vous avez accordé,
mon Prince, au gouvernement belge; Mgr Fornari, de son côté, m’a exprimé la
même gratitude envers V. A. pour l’appui qu’Elle a daigné lui prêter en
cette circonstance. M. Nothomb m’a parlé avec un véritable enthousiasme des
services signalés que l’internonce a rendus à
Cette dernière
appréciation semble empreinte d’une forte exagération. A aucun moment, la
situation personnelle de Mgr Fornari ne paraît avoir été mise en danger. Le
seul inconvénient de cette affaire pour lui fut une réelle brouille, il l’a
reconnu expressément, survenue entre l’épiscopat belge et lui et de lui faire
sentir la nécessité d’un changement plus on moins prochain de poste, son
influence sur les évêques belges étant devenue nulle. Les honneurs et les
hommages qu’il reçut au moment de sa victoire et l’espoir d’obtenir, grâce aux
hautes protections qu’il s’était acquises, une mission près d’une des grandes
Cours européennes, atténuèrent sans doute pour lui les regrets que dut lui
causer cette mésintelligence.
Le baron de Haudel, le
chargé d’affaires d’Autriche, se faisait illusion lorsqu’il écrivait à
Metternich le 18 mars.
« Pour ne pas
blesser la susceptibilité de l’épiscopat, pour ne pas compromettre l’influence
salutaire que le Saint-Siège doit exercer, par son organe diplomatique, sur le
clergé belge, il a fallu beaucoup de modération après la victoire. C’est dans
cette intention que S. M. le Roi a fait exprimer au cardinal archevêque de
Malines toute sa reconnaissance pour l’esprit de conciliation dont l’épiscopat
a fait preuve en retirant sa pétition adressée aux Chambres en faveur de
l’université catholique. C’est ainsi que Mgr Fornari a pris à tâche de
représenter le retrait de la susdite proposition comme un acte spontané de
l’épiscopat, comme un hommage du patriotisme du clergé belge. C’est dans ce but
enfin que M. Nothomb a fait (page 58)
déclarer, par la voie d’un journal ministériel, que tous les hommes d’ordre
doivent savoir gré au sacrifice que l’épiscopat belge a fait à l’union de
toutes les opinions modérées. »
Les déclarations de
l’internonce ne pouvaient tromper personne. Lui-même, par ses confidences,
avait mis trop de personnes au courant du véritable état des choses, pour que
l’on pût donner pleine foi à ses assertions actuelles. Les indiscrétions du Fanal,
dont il était bien un peu responsable, et la polémique des journaux
autorisaient le public à douter du désintéressement spontané de l’épiscopat
belge.
(Note du
webmaster : l’article original contient, des pages 58 à 71 une description d’un incident diplomatique né en
Allemagne par suite de la parution d’un article commentant cette affaire dans
un journal officiel. Compte tenu de son intérêt plus marginal, ce récit n’a pas
été repris dans cette version numérisée.)
16. La création d’une
nonciature belge
(page 71) Le Roi ne devait pas se montrer ingrat envers ceux qui
l’avaient efficacement aidé à prolonger la vie du ministère Nothomb. Envers Mgr
Fornari s’exerça surtout sa sollicitude. On sait que (page 72) le 14 octobre
1841, il avait prié le prince de
Metternich de s’interposer à Rome afin d’obtenir pour l’internonce une dignité
épiscopale et le remplacement de son titre diplomatique par celui de nonce (Note de bas de page :
L’ambassadeur de France à Bruxelles aurait désiré voir son pays appuyer
également à Rome les désirs de Léopold Ier au sujet de l’établissement d’une
nonciature à Bruxelles. « Je crois être assuré, écrivait, le 11 octobre 1841, le marquis de Rumigny à
Guizot, que le roi Léopold désirerait que l’on rétablît l’ancienne nonciature
qui a toujours existé en Belgique; si elle pouvait l’être en la personne de Mgr
Fornari, ce serait certainement un grand bien. Si
L’érection d’une
nonciature en Belgique, « érection, écrivait le diplomate belge, le 23 novembre
1841, au cardinal secrétaire d’Etat, si vivement désirée par le Roi et par tous
les catholiques belges, sera en quelque sorte, de la part du Saint-Siège,
achever et consolider l’oeuvre de paix et d’ordre, à laquelle le gouvernement
papal prêta son puissant concours et qui vient de se terminer si heureusement
par l’adhésion des évêques belges aux idées de prudence gouvernementale qu’ils
n’avaient pu comprendre jusqu’ici. A ce propos, qu’il me soit permis de répéter
par écrit, au nom de mon gouvernement, les expressions de notre vive gratitude
envers Sa Sainteté et envers Votre Eminence. Par cette intervention
conciliatrice si digne du caractère saint et vénéré du gouvernement pontifical,
« Car il n’y avait pas
seulement à craindre que notre haut clergé se mit en opposition avec le
gouvernement du Roi, il y avait à redouter peu d’obéissance envers la suprême
autorité de Rome (Note
de bas de page : Ici, le comte d’Oultremont calomnie quelque peu
l’épiscopat belge. Celui-ci tergiversa, voulut discuter, mais ne songea jamais
à un refus d’obéissance).
Cette sainte autorité a été reconnue, Dieu en soit loué. Mais afin de la maintenir
dans une certaine élévation qui la place au-dessus des rivalités personnelles,
il est à désirer, plus que jamais, que le représentant de l’autorité
pontificale reçoive une position qui le rende supérieur de fait et de droit aux
chefs de notre clergé, en lui conférant le caractère de nonce. Ce titre en
Belgique jouit d’une considération éminente. L’absence de ce titre, au
contraire, rabaisse, je dois le dire, aux yeux du public l’importance des
rapports officiels de
(page 73) Léopold Ier écrivit personnellement au Saint-Père pour
appuyer les démarches faites par ses représentants à Rome (Le comte d’Oultremont au comte de
Briey. Archives du ministère des Affaires étrangères à Bruxelles. Saint-Siège,
t. II1, n° 59). Le 20
décembre le cardinal secrétaire d’Etat faisait savoir au comte d’Oultremont que
le Saint-Père, ayant senti « toute la force des raisons pour lesquelles S.
M. le Roi des Belges verrait volontiers promu à un rang plus élevé le digne
prélat qui représentait le Saint-Siège et demande de voir adjoindre une
nouvelle splendeur à sa représentation dans le dit royaume », se proposait
de nommer immédiatement Mgr Fornari è. un archevêché in partibus. Quant
à l’élévation de ce prélat à la dignité de nonce le Pape se réservait de faire
connaître ultérieurement sa décision à ce sujet (Archives du ministère des Affaires
étrangères à Bruxelles. Saint-Siège, t. II1, n°
Une missive du même jour,
émanée de la secrétairerie d’Etat, faisait part à Mgr Fornari de la surprise et
de la douleur éprouvée pas le Saint Père en apprenant l’attitude prise en
Belgique par Mgr Capaccini, attitude dont les conséquences fâcheuses ne
pouvaient lui échapper. « Le Saint-Père, continuait la lettre, voulant de
son côté concourir par quelque acte de grande publicité à soutenir le crédit de
Votre Seigneurie comme celui du seul représentant qu’Il a en Belgique et lui
donner en même temps une preuve manifeste de Sa satisfaction au sujet de la
conduite qu’elle a tenue dans les actuelles circonstances et qu’Il a pleinement
approuvée, se propose de la promouvoir à un archevêché in partibus dans
le prochain consistoire. » (Archives de l’Etat à Turin) (3). Mgr Lambruschini ajoutait que
le Pape avait encore d’autres vues sur Mgr Fornari. « Elles ne peuvent être,
écrivait le comte Crotti le 2 janvier 1842, que de l’élever à la dignité
de nonce soit pour adhérer aux désirs du Roi, soit pour lui donner plus
d’autorité et, par conséquent, plus d’influence sur le clergé belge et sur le
parti catholique. »
En même temps, le Pape
transmettait à Léopold Ier « une lettre conçue dans les termes les plus
bienveillants et les plus flatteurs Le Saint-Père y rendait justice « aux
vues et aux efforts éclairés du Roi Léopold dans l’intérêt du catholicisme et
de l’ordre en Belgique » (Dietrichstein à Metternich, 4 janvier 1842).
(page 74) Le Pape ne tarda pas à prendre une décision au sujet de
l’élévation de sa représentation de Bruxelles au rang de nonciature. Le comte
d’Oultremont, en quittant Rome pour aller passer un congé en Belgique, le 5
avril, put emporter les lettres qui accréditaient Mgr Fornari en qualité de
nonce près le roi des Belges (Archives du ministre des Affaires étrangères à Bruxelles. Saint- Siège t. II1, n° 73)
La victoire de l’envoyé
pontifical était complète. Le Saint-Siège donnait une approbation sans réserves
à son attitude par le blâme adressé à Mgr Capaccini, par l’octroi à Mgr Fornari
de la dignité archiépiscopale et par son élévation au plus haut grade de la
carrière diplomatique romaine. Le Pape devait encore accentuer vis-à-vis du
cardinal archevêque de Malines l’approbation qu’il donnait ainsi à son
représentant à Bruxelles en imposant à Mgr Stercx, malgré les sentiments de «
mésestime » et même « d’inimitié » - le mot est de Mgr Fornari (Archives du ministre des Affaires
étrangères à Bruxelles. Saint- Siège t. II1, n° 63) - qui séparaient les deux prélats, l’obligation d’accorder,
dans son église cathédrale, la consécration épiscopale à son adversaire.
Mgr Stercx s’inclina avec
dignité devant cette injonction.
D’après le récit que les
journaux de l’époque font de la cérémonie, elle surpassa en éclat et en
splendeur celle réalisée dans la métropole, le 8 avril 1832, pour la
consécration de Mgr Stercx. Du moins, dit le Journal de Bruxelles du 4
avril, c’est ce qu’assurent les personnes qui ont assisté à l’une et à l’autre
cérémonie ».
Tous les évêques de
Belgique, le comte de Briey, ministre des Affaires étrangères, et le baron de
T’Serclaes de Wommersom, secrétaire général de ce département, plusieurs
membres du corps diplomatique, des députés, des sénateurs, et diverses
autorités civiles et militaires ainsi que d’autres notabilités y assistèrent.
Le Roi envoya au nouvel archevêque une croix pectorale ornée de brillants de
grande valeur et des dames belges lui offrirent tous les ornements de sa
chapelle.
Un mois après, le 6 mai,
Mgr Fornari remettait au Roi ses nouvelles lettres de créance pour
Léopold Ier aurait désiré
que de cet incident aucun ressentiment ne subsistât dans l’épiscopat belge. A
la veille de la consécration épiscopale de Mgr Fornari, il fit remettre au
cardinal Stercx le grand cordon de l’ordre de Léopold. Le baron de Handel, en
annonçant cette nouvelle au prince de Metternich, écrivait que l’arrêté relatif
à cette distinction, donnait les motifs de son octroi. L’arrêté, signé le 28
mars et publié au Moniteur, mais non intégralement, le 5 avril, disait :
« Voulant donner à Mgr Englebert Stercx, cardinal archevêque de Malines, un
nouveau témoignage de Notre Haute satisfaction et de Notre estime particulière
pour les vertus qui le (page 75)
distinguent et les preuves de dévouement qu’il nous a données, etc. » Il
portait le contreseing des ministres de l’intérieur et de
Mgr Stercx, froissé
peut-être d’avoir été abandonné et combattu par Léopold Ier après avoir d’abord
été encouragé par le Roi dans ses projets pour l’université de Louvain,
n’a-t-il pas refusé la distinction offerte? Nous trouvons en effet un autre arrêté,
non publié celui-là au Moniteur et signé par le Roi le 18 novembre 1844,
accordant au cardinal à nouveau le grand cordon de l’ordre de Léopold avec les
mêmes considérants que ceux contenus dans le premier. De plus, ce dernier
arrêté stipulait que Mgr Stercx prendrait rang dans l’ordre à dater du 28 mars
1842 et il se trouvait contresigné, cette fois, par le comte Goblet, ministre
des Affaires étrangères. Pour que ce second arrêté fût nécessaire il fallait
que le premier eût été considéré comme non exécuté et devenu nul. Nous n’avons
pu élucider ce petit problème (Note de bas de page : Nous n’avons pas retrouvé dans les archives du
ministère des Affaires étrangères le dossier de l’arrêté de 1844. Celui de