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d’intention
LES HOMMES POLITIQUE DE
§ 1. Parti catholique
aristocrate § 2. Parti catholique opposant § 3. Parti républicain
§ 4. Parti libéral d’opposition § 5. Parti
gouvernemental
(page
5) Je ne m’occuperai pas ici de rechercher les causes qui ont amené le divorce
de
Maintenant, que cette révolution ne
présente qu’une contrefaçon de Paris, événement de hasard que le hasard eût pu
faire avorter, ou bien qu’elle ait été préconçue dans les traités de 1814 et de
1815, elle n’en demeure pas moins un grand fait qui touche pas tous les points
à l’histoire générale de l’avenir.
Une nouvelle planète s’est formée
dans le ciel orageux de la diplomatie par suite de cette commotion de la comète
révolutionnaire. Un royaume de Belgique a été constitué.
Soit ignorance, soit mauvais vouloir,
presque tous les publicistes se sont obstinés jusqu’ici à nier l’importance de
cette création. A peine ont-ils consenti à tracer sur la carte politique le
contour de ce petit état, comme on indique un îlot désert qu’un volcan fait
surgir au milieu de l’Océan. Un pays dont l’industrie agricole sert de modèle à l’Angleterre, un
pays dont la (page 7) concurrence
manufacturière fait trembler des royaumes qui ont huit fois sa surface et sa
population, un pays qui peut mettre cent vingt mille hommes sous les armes,
doit pourtant peser quelque chose dans la balance européenne. Sous ce rapport
il mérite qu’on s’occupe de lui.
Une étude complète du pays serait
longue, et il faudrait des volumes pour l’examiner sous toutes les faces. Je ne
me propose dans ces pages que de toucher divers points ignorés qui se
rattachent immédiatement à mon sujet, c’est-à-dire qui peuvent servir à faire
connaître les principaux acteurs du drame politique dont
Ce n’est pas, comme on pourrait le
croire, la question de dynastie qui divise les partis en Belgique. La querelle
des maisons de Nassau et de Saxe-Cobourg n’arrive que comme auxiliaire de la
grande bataille des opinions. La célèbre UNION des catholiques et des libéraux
qui refoula le roi Guillaume sur le territoire hollandais, ressemblait à ces
armes indiennes qui contiennent deux épées dans le même fourreau. Chacun des
principes vainqueurs a tiré la sienne ; et le duel recommence. A qui le
champ restera-t-il des libéraux et des catholiques ? C’est là la question
du moment. Plus tard un autre duel se présentera, celui des communes contre le
principe d’unité gouvernementale, c’est-à-dire contre la royauté. C’est là la
question de l’avenir. Cependant, comme nous le verrons plus loin, la question
n’est pas encore là toute entière.
La première couche bien tranchée que
l’on rencontre à la superficie de l’opinion (page 9) en Belgique, est composée d’un amalgame de ces deux
principes opposés qui luttent entre eux, le libéralisme et le catholicisme.
Mais si l’on creuse plus avant, chacune de ces deux divisions se subdivise
elle-même en deux autres catégories, et chacune de ces catégories forme un
parti politique qui a son étendard, ses soldats, son mot de ralliement. La
chambre des représentants, qui est censée traduire la pensée du pays, offre
donc les quatre classifications suivantes : 1° un parti catholique aristocrate ;
2° un parti catholique opposant ; 3° un parti libéral
gouvernemental ; 4° un parti libéral d’opposition.
Les catholiques aristocrates ont fait
alliance avec une fraction du parti libéral, et leur réunion constitue la
majorité parlementaire qui soutient le gouvernement du roi Léopold. Cette
majorité englobe les quatre cinquièmes de la chambre. L’opposition ne compte
que dix-huit voix, sur cent deux, qui lui soient complètement acquises. La
république a seulement trois organes, et l’orangisme n’est nullement représenté
(page 10). Nous passerons en revue
les hommes qui appartiennent à chacun de ces quatre partis, soit dans les deux
chambres, soit en dehors de l’action parlementaire, tout en annonçant d’avance
que nous n’avons aucunement l’intention de développer ici des théories
politiques, ni d’agiter devant nos lecteurs une grave et savante dissertation,
mais bien de nous borner à quelques notes biographiques et anecdotiques,
lesquelles, à défaut d’autre intérêt, offriront du moins celui de la nouveauté.
Certes, ce ne dut pas être un léger
sujet d’étonnement pour ceux qui avaient apprécié l’influence ecclésiastique
dans le mouvement révolutionnaire belge, d’entendre cette population si
amoureuse de processions et de messes, appeler, par la voix de son congrès, un
prince protestant à la gouverner ; et la surprise ne s’accrut-elle pas
encore quand on vit ce nouveau trône schismatique défendu par une majorité (page 11) catholique contre les attaques
d’une opposition libérale ? C’est que d’une part l’aristocratie du parti
catholique, menacée dans son essence par le débordement de l’élément populaire,
jugea du premier coup d’œil qui fallait à tout prix faire la chaîne autour de
ce faible et tendre rejeton de l’arbre monarchique, l’environner de ses soins
et l’arroser de son sang s’il était nécessaire, afin qu’il pût quelque jour
porter à ses branches les fruits dorés du privilège et des emplois de cour,
fruits doux et sucrés à toute lèvre aristocratique. La nouvelle monarchie, de son
côté, se souvenant du mot d’Henri IV : Paris
vaut bien une messe, alla, non pas renier la foi de ses pères sur le seuil
d’une sacristie, mais fraterniser aristocratiquement
avec l’orthodoxie flamande qui venait à elle parée de son bonhomie campagnarde,
la bouche mouillée de bière, et de l’eau bénite au bout du doigt.
Ainsi fut conclu le pacte tacite de
l’aristocratie catholique et de la royauté protestante. Cette alliance se fit
sans protocole, sans conférence ; il n’y eut besoin, (page 12) pour l’aristocratie comme pour la royauté, que d’un regard
jeté sur leur position respective. L’une apporta dans l’alliance son influence
sur les Flandres, sur le Limbourg et la province d’Anvers, et l’autre des
promesses et des poignées de main, papier-monnaie des royautés du jour.
Maintenant, si l’on me demande qui
eut tort ou raison, je répondrai que toutes deux firent sagement, et la royauté
et l’aristocratie ; elles en seront quittes plus tard pour vider entre
elles le différend.
Les catholiques aristocrates qui occupent
aujourd’hui le pouvoir dans la personne de leurs principaux chefs, et qui
tendent moins à régénérer la morale chrétienne qu’à résister aux envahissements
démocratiques, sont combattus très violemment par une fraction dissidente,
laquelle prétend allier la liberté avec les doctrines de l’Evangile, et compte
dans son sein quelques jeunes abbés, remarquables par leur talent et par la
ferveur de leur conviction. Mais cette fraction catholique, presque toute
entière en dehors de (page 13) la
chambre des représentants, est souvent entravée dans ses efforts par les
remontrances ecclésiastiques, et subit la loi de sa position.
On ne doit pas cependant s’exagérer
la puissance du parti catholique, ni s’imaginer que les neuf provinces de
C’est principalement dans les
Flandres que le parti catholique se rend maître des élections, par l’influence
qu’il exerce sur les habitants des campagnes. Ces votes dévoués (page 15) et aveugles constituent une majorité
compacte et inébranlable, contre laquelle vient de se briser la voix des
villes.
Quand le jour de l’élection est
arrivé, les chefs-lieux voient accourir dans leurs murs, de tous les points de
l’horizon, de petites troupes de paysans, conduites par des hommes en soutane,
qui marchent le front rayonnant et la canne à la main. Ce sont les villages qui
viennent voter, avec leurs curés en tête. Arrivés aux salles d’élection, les
curés embataillonnent leurs ouailles comme un sergent aligne ses recrues, par
rang d’intelligence, les plus grands les premiers, et, derrière, les plus
petits. Puis ils leur répètent la harangue de la veille, et leur distribuent
sur des cartes le nom du candidat qu’ils soutiennent, menaçant au besoin les
récalcitrants de leur chicaner les billets de confession.
Aux dernières élections, quelques
libéraux résolurent de ranger de leur côté, par la ruse, cette force brutale et
décisive, et en conséquence ils se placèrent de grand matin aux portes de leur
ville, pour attendre (page
16) la venue des paysans. Lorsque ceux-ci se montrèrent avec leur cortège
habituel, les loups constitutionnels, revêtus de la peau des agneaux
catholiques, se glissèrent traîtreusement au milieu de l’innocent troupeau, et
là, feignant de voter aussi pour le candidat des curés, ils escamotaient
habituellement la carte catholique, et y substituaient une autre carte
semblable, portant le nom du candidat opposant. Mais la manœuvre resta sans
succès, et cette fois le libéralisme en fut pour sa courte honte.
Les premiers noms que l’on rencontre
à la tête du parti catholique sont ceux de Monseigneur Van Bommel, évêque de
Liége, et de Monseigneur Sterx, archevêque de Malines. Ces deux personnages ne
prennent pas, il est vrai, une part active et avouée aux affaires du gouvernement,
mais on les regarde comme la pensée incarnée du synode. Les autres dignitaires
ecclésiastiques transmettent leurs volontés aux branches les plus infimes du
clergé, et par ces divers canaux les eaux de la grâce et de la saine doctrine apostolique se répandent (page 17) dans toutes
les parties de la population.
M. Félix de Mérode, ministre d’état
sans portefeuille, est, par leur influence, placé au conseil pour le maintenir
dans la droite voie, tandis que l’amitié bien connue qui lie M. de Theux, ministre
de l’intérieur, à Monseigneur de Malines, donne aux chefs de l’église toute
garantie pour la direction et le maniement des affaires. Le premier peut être
considéré comme un ambassadeur du pouvoir spirituel après du pouvoir
temporel ; le second, comme un général d’armée qui met les plans en œuvre.
Du reste, il n’y a rien à dire de particulier sur les antécédents de
Monseigneur Sterx, sinon qu’il est fils d’un fermier de M. le baron
d’Hoogvorst.
Quant à Monseigneur Van Bommel,
évêque de Liége, il a déployé, dans la courte carrière qu’il a parcourue
jusqu’ici, plus de tact et de finesse qu’il n’en faudrait pour illustrer un
diplomate. C’est un homme d’un esprit cultivé, aimable, et dans toute la
vigueur de l’âge. Son extérieur rappelle le temps où les princes de l’église
laissaient (page 18) percer
volontiers sous le rochet épiscopal le jabot musqué de l’homme à bonnes
fortunes ; quelques-uns de ses fidèles vont même jusqu’à le regarder comme
dangereux pour leurs femmes, tant la calomnie s’accrédite facilement dans ces
petites villes de province, dont la brutale clairvoyance ne sait respecter
aucun voile.
L’abbé Van Bommel dirigeait, avant la
révolution belge, un petit séminaire près de
Cette sortie un peu vive n’empêcha
pas le gouvernement hollandais de l’envoyer, en 1829, prendre possession de
l’évêché de Liége, ce qui contribua peut-être à opérer dans son esprit ce
changement subit qu’on y remarqua tout d’abord. Après sa promotion, ce
publiciste frondeur, ce champion intraitable de la liberté de l’enseignement,
prêchait en pleine église, dans son diocèse, le droit divin et l’obéissance
passive. La révolution de 1830 arrêta dans son vol l’éloquence de Monseigneur
de Liége. Il lui fallut de nouveau, embarqué sur un radeau d’arguments
improvisés, franchir la cataracte écumante qui séparait le pouvoir déchu du
pouvoir naissant, un abîme grondant, plein d’orages et de sinistres, qu’il
passa comme Moïse fit de la mer Rouge, sans se mouiller seulement le bout du
pied. Monseigneur Van Bommel, malgré les difficultés sans nombre dont sa
qualité de Hollandais, et plus encore ses antécédents politiques, hérissaient
son chemin, parvint néanmoins à rentrer en grâce auprès de la révolution à
l’avènement du roi Léopold. Il sut se concilier les esprits, et il marche
aujourd’hui, avec l’archevêque de Malines (page 20), à la tête d’un parti
tout-puissant.
Les catholiques aristocratiques, qui
reconnaissent l’évêque de Liége et monseigneur Sterx pour leurs chefs
spirituels, appuient principalement leurs espérances sur trois grandes familles
dont les noms, la fortune, et la considération résument ce que
Les avis sont cependant partagés sur
l’arrière-pensée que l’on suppose à M. le comte Félix de Mérode, ministre
d’état et frère du jeune Frédéric, blessé à mort en combattant contre les
troupes de Guillaume. M. Félix de Mérode fait publiquement (page 21) profession de vouloir la
liberté en tout et pour tous, mais la position qu’il occupe dans son parti, et
l’intimité qui l’unit à l’archevêque de Malines, sont de nature à faire douter
de sa sincérité politique. Sa vie privée est des plus honorables, et ses
adversaires s’accordent à reconnaître qu’aucune de ses actions ne fut jamais
dictée par l’intérêt personnel. L’estime dont il jouit est si haute et si
entière, qu’en 1830, avant qu’il fût question d’offrir la couronne de Belgique
au duc de Nemours, il fut porté comme candidat à la royauté. L’antique souche
de sa maison, dont l’aîné porte le titre de prince de Rubempré, rendait
peut-être moins ridicule les projets de grandeur que ses partisans avaient
conçus pour lui. Le souverain marqué se borna à participer au gouvernement des
affaires en acceptant le portefeuille de l’extérieur, puis celui de la guerre
par intérim. Il siége maintenant au conseil comme ministre sans portefeuille.
Ses deux frères eurent encore moins d’ambition. L’aîné de contenta d’un
fauteuil au sénat, et le cadet, (page 22) dans la curée des places, n’en voulut prendre une que sur
les bancs de la chambre des représentants. Plût à Dieu que tous les fervents
catholiques eussent poussé aussi loin l’abnégation et le mépris des biens
terrestres !
L’aîné de la famille de Robiano, le
comte François, ancien chambellan du roi de Hollande et aujourd’hui sénateur
belge, le seul qui, parmi ses paisibles collègues, se laisse aller quelquefois
à des velléités d’opposition, fait tache dans l’unité catholique et absolutiste
de sa lignée. C’est un gracieux conteur d’anecdotes, qui passe parmi les siens
pour avoir lu sans horreur les abominables compositions en prose et en vers de
l’école philosophique du dix-huitième siècle. Il est même accusé de savoir par
cœur des tirades entières de Voltaire, et de ravaler la dignité de la noblesse
jusqu’à fréquenter d’habitude des plébéiens qui n’ont pas même passé la
première épuration de l’anoblissement royal.
On raconte à ce sujet qu’un sénateur
d’extraction populaire, célèbre en Belgique (page 23) par sa fortune industrielle, vint un jour visiter l’un des
membres de l’illustre famille. Sa démarche fut trouvée si inconvenante, que les
dames levèrent le siège et jugèrent à propos d’abandonner le salon. Je cite ce
fait moins comme une critique que parce qu’il exprime à merveille ce sentiment
d’aristocratie dont on chercherait vainement chez nous une aussi énergique
tradition.
M. de Robiano d’Ostreignes, frère du
comte François de Robiano, siège aussi parmi les membres du sénat. Quoique plus
franchement dévoué à son parti, il est loin, par sa position sociale et
politique, autant que par ses moyens intellectuels, de jouir du même crédit que
son frère aîné.
M. Robiano de Borsbeke se fait
remarquer plus encore que ses deux frères par l’ardeur de ses opinions. Il est
un de ces qui excitèrent le plus violemment le peuple contre le gouvernement du
roi Guillaume. C’est un homme de mœurs irréprochables, sévère pour lui comme
pour les autres, et jaloux par-dessus tout de l’honneur de sa (page 24) maison et de ses privilèges de
caste, privilèges perdus et abolis à tout jamais, mais dont il conserve les
titres comme un droit qui plus tard peut reprendre son empire. L’anecdote
suivante le peindra tout entier.
L’année dernière un enfant lui
naquit. Il se présenta devant le curé de sa paroisse avec le parrain et la
marraine qu’il avait choisis. Questionné sur les noms et qualités de ce nouveau
fils : Inscrivez, dit-il, MESSIRE
de Robiano.
Le curé objecta que cette
qualification de messire n’avait plus de cours, et qu’il était plus simple
d’inscrire le nouveau-né sous le nom de comte de Robiano, sur quoi M. de
Borsbeke prouva gravement que l’aîné de sa famille avait le droit de porter le
titre de comte, et que de temps immémorial celui de messire avait été l’apanage
des cadets de sa maison. Nouveaux refus de l’ecclésiastique. Le père alors,
plutôt que de subir cette infraction aux us de ses aïeux, emporta le jeune
messire dans ses bras, et un curé de village, plus respectueux pour la
tradition historique, (page
25) baptisa le noble enfant avec les égards et le titre auxquels son
origine lui donne droit.
M. de Robiano de Borsbeke faisait
partie de la chambre des représentants ; il se démit de ses fonctions
quand parut la fameuse encyclique du pape dirigée contre les principes
démocratiques. Malgré l’antipathie que tout homme raisonnable éprouvera
nécessairement pour de pareilles doctrines, il est impossible de ne pas estimer
ceux qui les professent avec tant de franchise et de loyauté. Pour moi,
j’admire réellement cette ténacité que rien ne saurait émouvoir, ni le temps,
ni le malheur, ni le danger ; il me semble voir ces vieux portraits de Van
Dyck et de Velasquez descendre de leurs cadres vermoulus pour juger les siècles
qui les ont mis au tombeau.
Quoiqu’on les nomme aussi parmi les
chefs du parti catholique, les Vilain XIV restent bien en arrière de MM. de
Robiano, quant à la verdeur des opinions et à l’exagération des principes. Ils
appartiennent cependant, si on veut les en croire, à la (page 26) plus ancienne noblesse flamande. Ils descendraient
immédiatement des comtes de Gand, dont il est souvent question dans l’histoire
des comtes des Flandre et des ducs de Bourgogne. Le comte Philippe Vilain XIV
fut maire de Gand en 1808, et Napoléon attacha sa femme, la baronne de Feltz, à
l’impératrice Marie-Louise, en qualité de dame du palais. Depuis 1815 jusqu’en
1829, il siégea aux états-généraux des Pays-Bas, où il s’occupait
principalement de questions financières. Après que le gouvernement hollandais
eut empêché sa réélection dans les Flandres, soit timidité, soit nonchalance,
il laissa la révolution marcher sans chemin. Plus courtisan que champion
politique, il ne figura pas dans les rangs de l’insurrection aux jours d’orages
et de tempêtes. Cette étoile disparue ne se remontra dans le ciel patriotique
qu’aux rayons de soleil du lendemain, quand l’air fut redevenu serein et
limpide, et que la rosée des grâces et des faveurs commença à laver les traces
du sang répandu.
(page
27) Le vicomte Charles Vilain XIV, son fils, entra au contraire avec
vigueur dans la guerre que la presse fit au gouvernement hollandais. Ce fut lui
qui rédigea la célèbre pétition en faveur de la liberté d’enseignement. Le roi
Léopold, à son avènement, le choisit sur les bancs du congrès, où il
représentait le Limbourg, pour l’envoyer, comme ministre plénipotentiaire,
auprès du Saint-Siège et des gouvernements d’Italie. Il est aujourd’hui
gouverneur de
J’ai dit que les trois familles que
je viens de nommer pouvaient être considérées comme la tête du parti catholique
aristocratique. Ce n’est pas que l’on doive regarder ces hommes comme les
penseurs et les (les pages 28 et 29 sont
manquantes).
(page 30) Ces éléments de discorde
brouilleront longtemps encore les classifications que l’on tentera d’établir
sur la situation des partis en Belgique. Toutefois celle que j’ai indiquée me
paraît la meilleure et la seule praticable pour le moment. Mais revenons à
notre biographie des catholiques aristocratiques, sans craindre de l’entremêler
de digressions, si elles peuvent servir à mieux faire comprendre le sujet.
M. de Theux, ministre actuel de
l’intérieur, que nous avons déjà présenté comme l’âme damnée de Monseigneur
Sterx, archevêque de Malines, occupe l’une des plus importantes positions pour
le parti, car il a dans son ministère les cultes et l’instruction publique. M.
de Theux est un homme d’administration plutôt qu’un orateur ; c’était,
avant la révolution, un simple propriétaire de la province de Limbourg ;
il n’a d’autre importance que celle qu’il tire de son titre. C’est sous son
influence que fut consommée de fait la dissolution du monopole universitaire
exercé autrefois par le gouvernement, et cet (page 31) événement, qui sera fécond
plus tard en graves conséquences, laissera rejaillir quelque célébrité sur le
ministère de M. de Theux.
La première idée d’une université
libre appartient aux catholiques. L’archevêque de Malines s’entendit à cet effet
avec les évêques belges, et ils publièrent des mandements pour engager les
fidèles de leurs diocèses à se faire actionnaires dans l’université libre,
qu’on n’appelle université catholique
que depuis que les libéraux en ont tenté une contrefaçon à Bruxelles. De cette
manière les deux enseignements, livré à une active concurrence, se préparent à
se disputer l’avenir du pays. L’éducation publique gagnera-t-elle à ce
démembrement ? C’est ce dont personne ne peut répondre. Toujours est-il
vrai de dire que les trois universités royales de Gand, de Liége et de Louvain
ont perdu dans ce choc les meilleurs éléments de leur succès. Les deux
universités libres, de leur côté, ne sont pas encore en mesure de guérir le mal
que la révolution a fait aux universités de l’état ; sous le futile
prétexte que (page 32) l’éducation
devait être confiée à des nationaux, on a éliminé à Liége, par exemple, deux
professeurs allemands du plus haut mérite, M. Denzinger, professeur de
philosophie, et M. Bronn, professeur de minéralogie. Le Hollandais Kinker,
professeur de littérature, le philologue Limburg-Brouwer, Van Rees, professeur
de mathématiques, ont eu à subir la même humiliation. A Louvain, on a congédié
MM. Mone, Holtius, et plusieurs autres encore.
L’université catholique, fondée sous
le patronage direct de l’archevêque de Malines, et qui se voit entourée par
conséquent de toute la sollicitude de M. de Theux, obtint du saint Père une
bulle d’institution qui fut publiée en Belgique avec tout l’éclat imaginable.
Elle fit sa séance d’ouverture le 4 novembre dernier à Malines où une messe du
saint-Esprit fut chantée solennellement dans la cathédrale, par l’archevêque en
personne. L’abbé de Ram, nommé par l’épiscopat belge recteur magnifique de la nouvelle université (c’est le nom qu’on
donne en Belgique aux chefs de (page 33) l’instruction), monta en chaire et prononça un discours
latin qui dura plus d’une heure, et dans lequel il s’appliqua à démontrer que
les idées catholiques n’étaient hostiles en rien au progrès des sciences et des
arts. Cette université est maintenant en pleine activité, et déjà l’esprit
prêtre qui l’anime fermente dans son sein et menace de déborder. La petite
ville de Malines ne suffit plus à sa domination ; elle couve du regard la
vieille cité de Louvain, où elle fut fondée, en 1426, la première université
belge. M. de Theux, qui n’a rien à refuser à monseigneur de Malines, qui de son
côté ne peut en conscience rien refuser aux universités catholiques, a promis
de céder aux désirs de ses frères en dévotion, et c’est déjà une chose convenue
qu’à l’automne prochain l’université de Louvain deviendra le siège de la
propagande catholique. Si Dieu prête vie aux projets de ces saints
régénérateurs de l’éducation, et aussi au portefeuille apostolique de M. de
Theux, il sortira du séminaire catholico-ministériel une armée de curés
docteurs dans toutes (page 34) les
sciences, et prêts à débarrasser les laïques du soin des affaires de ce monde
comme de l’autre.
L’université libérale ouvrir ses
portes à la jeunesse studieuse quinze jours après l’installation de sa rivale.
Son secrétaire, homme de savoir, ancien professeur à l’école normale de Paris,
M. Baron, prononça le discours d’ouverture dans la salle gothique de
l’hôtel-de-ville de Bruxelles, au bruit de mille bravos prolongés. Il accepta
franchement, au nom de ses collègues, la guerre déclarée par le parti
catholique, et fit ressortit les avantages d’une cinquième faculté, consacrée à
l’étude des sciences politiques et administratives, que l’université libre
venait d’admettre dans la liste de ses travaux. (Note de bas de page :
Cette cinquième faculté se compose : 1° du droit public interne et
externe ; 2° de l’histoire politique, traités, diplomatie, etc. ; 3°
de l’économie politique ; 4° de la science financière ; 5° de la
statistique ; 6° du droit administratif ; 7° de l’histoire des
assemblées délibérantes, chartes et constitutions.)
(page 35) L’université libre de
Bruxelles compte parmi ses fondateurs, comme parmi les savants professeurs qui
lui ont consacré leurs talents, des hommes avantageusement connus dans les
sciences et dans les lettres. Tels sont, entre autres, MM Henri de Brouckere,
le philosophe Ahrens, M. Baron, et le célèbre Polonais Lelewel. Il est à
craindre cependant que l’appel fait au patriotisme des souscripteurs ne
rencontre beaucoup de sourdes oreilles. Le parti nommé vulgairement libéral ne
fut jamais libéral, comme on sait,
dans toute l’acception du mot. Le parti catholique, au contraire, est tout de
dévouement, et ne laissera jamais chômer son recteur magnifique. Déjà quelques-uns de ces libéraux à grands
sentiments avaient eu l’impudeur de demander à la nouvelle université qu’elle
professât gratuitement, ignorant ou feignant d’ignorer que la plupart de ceux
qui se consacrent à cette carrière si honorable et si digne d’encouragements
sont aussi pauvres que peut l’être le premier manœuvre d’atelier ; aussi
le secrétaire de l’université (page 36), M. Baron, dans son discours d’ouverture, releva-t-il avec
convenance et dignité cette prétention mesquine et indélicate.
Les catholiques qui, par M. de Theux,
ministre de l’intérieur, ont commencé à détourner à leur profit l’influence
universitaire, dominent également la politique extérieure par M. de Muelenaere,
ministre des affaires étrangères, qui n’est pas moins dévoué au parti.
Hâtons-nous d’ajouter cependant que M. de Muelenaere est un homme d’une autre
portée que M. de Theux. S’il seconde les catholiques dans leurs projets
d’envahissements, c’est moins par bigoterie et par faiblesse de caractère que
par une prévision politique qui lui fait craindre le développement illimité de
l’esprit révolutionnaire. M. de Muelenaere est un diplomate habile, qui ménage
au besoin toutes les factions, et qui n’appartient réellement à aucune. Chacun
des actes de sa vie porte ce cachet de prudence égoïste qui caractérise ce que
l’on a appelé les hommes du lendemain,
pour donner un nom honnête (page 37) à la couardise élevée à l’état de système. Simple
procureur du roi à Bruges en
Cet homme d’état est très simple dans
ses manières et dans ses goûts. Quoiqu’il possède une grande fortune, il vit en
bon bourgeois flamand, fait ses courses à pied, (page 39) et dîne d’habitude avec plusieurs de ses collègues dans le
salon banal d’un petit restaurateur de Bruxelles, au prix maximum de deux
francs par tête. Pendant son ministère de 1832, il logeait chez un apothicaire,
rue de
Il y a loin de M. de Muelenaere à M.
Raikem, président de la chambre des représentants ; je ne les séparerai
cependant pas. M. Raikem a mérité d’être placé au premier rang dans l’armée catholique
aristocrate, par sa loi d’organisation judiciaire au moyen de laquelle il a
introduit le parti dans la magistrature. C’est un service que les catholiques
ne doivent pas oublier ; toutefois ils ont plus de confiance dans les
intentions de M. Raikem qu’en son talent. (page 41) M. Raikem, ancien avocat au
barreau de Liége, daigna, comme tant
d’autres, le lendemain de la révolution, accepter l’une des premières places de
sa province. Il se laissa jeter sur les épaules une robe de procureur général,
ce qui l’amena successivement à la vice-présidence du congrès national, au
ministère de la justice et à la présidence de la chambre des représentants. M.
Raikem est un orateur abrupte et sans élégance, mais qui ne manque pas d’une
certaine clarté. Il est parfois tout aussi bourgeois dans son éloquence que son
collègue M. de Stassart, président du sénat, lequel dit un jour en pleine
assemblée de la chambre : Messieurs,
l’honorable M…. ne pourra pas venir à la séance parce que sa femme est malade,
et son petit bonhomme enrhumé.
De même que M. Raikem fut
procureur-général après les événements de septembre, M. de Stassart accourut de
France, où il attendait l’issue de la lutte patriotique, pour accepter les fonctions de gouverneur de
Namur. M. de Stassart était (page 42)
doublement odieux au gouvernement hollandais, comme membre actif de
l’opposition et comme ancien préfet de Napoléon à La Haye, où les souvenirs
qu’a laissés son administration faillirent plusieurs fois le faire mettre en
pièces par le peuple. Le préfet réquisitionnaire de l’empire a cependant des
instants de bonhomie comme le Shahabaham de M. Scribe. Il se délasse en prose
et en vers de cette chimère, hélas ! que l’on nomme
grandeur, ainsi qu’il le dit lui-même, dans une épître datée de 1817.
Napoléon,
1811.
Quelle phrase, quelle période
oratoire pourrait valoir ce cri populaire qui s’échappe de tous les
cœurs : Vive Napoléon-le-Grand et le Bien-Aimé.
1818. Au prince d’Orange :
Que j’aime à retracer nos époques de
gloire,
A peindre nos anciens héros !
Mais, prince, vos nobles travaux
Nous rendent bien mieux leur
histoire !
1819.
Flatter un ministre insolent
Ou ramper devant une altesse,
Applaudir un sot opulent,
Faire trafic de la bassesse ;
Triste jouet des favoris,
Se soumettre à la servitude,
Voilà la cour, mes bons amis :
Vive la solitude !
On
peut remarquer, dans le style de l’illustre fabuliste, un détournement
ultra-romantique du sens naturel et de la valeur (page 44) des expressions : dans la boutade de 1819, par
exemple, le mot solitude se trouve
signifier préfet impérial à La Haye, chambellan autrichien, poète de cour
orangiste et gouverneur révolutionnaire. En vérité, n’est-ce pas abuser
étrangement de la langue. M. de Stassart traite les mots du dictionnaire comme
il traitait les conscrits autrefois. Il faut bon gré mal gré qu’ils aillent se
faire tuer sur la ligne de ses hémistiches sous peine de se voir conduits à la
bataille entre deux gendarmes. Il est à regretter que l’œuvre politique de M.
le gouverneur du Brabant ne se borne pas à des fables comme son œuvre
littéraire ; personne ne songerait à la tirer du tombeau. M. de Stassart a
certainement moins de peine à gouverner ses sénateurs que ses rimes : sur
les cinquante-deux honorables confiés à sa présidence, il n’y a pas trois
récalcitrants. Tous passent plus ou moins glorieusement dans les eaux
catholiques. On ne voit, sur cet heureux océan, ni orages ni coups de
mer ; ce sont de vieux navires calfeutrés qui sommeillent (page 45) à l’ancre au plein milieu de
la rade, et si l’on entend quelques sifflets dans les manœuvres, à coup sûr ils
viennent toujours du dehors. Quarante ans et mille florins de contributions,
patente comprise, constituent ce que l’on nomme un pair belge. L’élégance et
l’étude de la période sont des accessoires inutiles, attendu que l’on traite là
des affaires comme dans le château de
Le président de la chambre des représentants a besoin de tenir le timon d’une main plus ferme que le président du sénat. Il est secondé aussi d’une façon plus active, non seulement par les membres que nous avons déjà nommés, mais par d’autres encore qui, dans leur sphère, ont leur valeur et leur influence.
Et d’abord les frères Rodenbach, cosaques du parti, qu’on envoie en éclaireurs pour flairer le terrain des questions. L’un, Constantin Rodenbach, est devenu commissaire du district de Malines, de médecin qu’il était sous le gouvernement du roi Guillaume. L’autre, Alexandre Rodenbach, a complètement perdu la vue depuis l’âge de dix ans, ce qui ne l’empêche pas, avec une rare sagacité, de s’occuper activement à la chambre, non seulement de questions générales, mais aussi des discussions financières qu’il suit dans leurs moindres détails avec une incroyable facilité de mémoire. Ils ont un troisième frère, qui ne (page 47) fait point partie de la chambre, le colonel Pierre Rodenbach, ancien sous-lieutenant de l’empire, que la révolution de 1830 tira d’une distillerie pour lui donner le commandement militaire de la place de Bruxelles. Cette famille s’est fait une illustration à sa manière par la passion qu’elle montra contre la maison de Nassau. L’aveugle, Alexandre Rodenbach, fit signer les premières pétitions dans les Flandres, et son frère Constantin fut mis en avant pour proposer au congrès l’exclusion à perpétuité de la famille d’Orange, mission périlleuse qu’il accomplit avec le sang-froid d’un Baskir livrant aux flammes la belle ville impériale de Moscou. C’est sur le colonel Rodenbach que l’opinion publique fait peser la responsabilité des pillages commis à Bruxelles les 6 et 7 avril 1834, à propos d’une prétendue démonstration orangiste. Un petit journal avait même très bien caractérisé la conduite du commandant de la place pendant ces déplorables événements, en l’appelant : le colonel Rôde-en-bas-pendant-qu’on-pille-en-haut. Ce mauvais (page 48) calembour se trouvait une excellente traduction des mouvements incroyables de Pierre Rodenbach. La vérité est que dans ce tumulte la faute fut à tout le monde et à personne. Les autorités eurent peur, et les troupes demeurèrent en face de l’émeute, l’arme au bras, attendant une signature qui ne trouva pas de plume pour se formuler.
Parmi les enfants perdus de l’armée ecclésiastique, il faut aussi ranger M. Desmet, surnommé plaisamment l’Iconoclaste, parce que les caricatures ont le privilège d’exciter sa fureur, et qu’il les déchire dans les cafés quand elles offrent à sa vue la personnification de quelques bévues catholiques. Mentionnons pareillement M. Legrelle, représentant d’Anvers, qui s’est immortalisé par l’épithète de lubrique qu’il eut l’heureuse idée d’appliquer au Tartufe de Molière, à propos de la discussion sur la censure théâtrale.
Dans le corps de la bataille de l’aristocratique catholique, l’abbé de Foere, député des Flandres, tient le pennon de (page 49) M. de Muelenaere, son suzerain et son ami. L’abbé de Foere est un petit homme ramassé, de cinquante ans environ, qui se distingue par des connaissances assez étendues en économie politique. Quand la question de la liberté commerciale sera mûre, on le verra se poser le champion du système prohibitif. Il fut condamné sous le roi Guillaume comme écrivain de l’opposition : enfant de la presse de 1830, il renie aujourd’hui sa mère. Puis viennent M. Liedts, autre député des Flandres, appelé à trente ans à la présidence du tribunal d’Anvers ; M. de Sécus, fille du sénateur, M. Adolphe Dechamps, le plus jeune catholique de la chambre, versificateur et orateur à la fois, le spes altera du catholicisme à la tribune, jeune homme de vingt-six ans, qui partagea d’abord les idées palingénésiques de M. de Lamennais, qui soutint que le pape ne devait avoir aucune puissance temporelle, et qu’il pouvait gouverner, simple citoyen des Etats-Unis, aussi bien que souverain dans Rome, mais qui maintenant voit ouvrir devant sa jeune ambition une (page 50) route plus large dans le parti monarchique.
Ainsi se composent les forces catholiques aristocratiques dans les chambres et en dehors des chambres, en y ajoutant toutefois le nom d’un homme qui joua son rôle durant les premiers temps de la révolution, et qui s’est réfugié depuis dans une position moins en évidence, tout en conservant cependant une influence sourde, et non moins réelle pour cela, sur les affaires du gouvernement. Je parle de M. de Gerlache, qui cessa de faire partie de la représentation nationale pour entrer dans l’ordre judiciaire comme premier magistrat du royaume. M. de Gerlache, président de la cour de cassation, ne sert pas moins le parti catholique que lorsqu’il présidait le Congrès et la chambre des représentants. Mais c’est dans l’ombre qu’il s’occupe à coudre quelques mailles au grand filet apostolique, que la nouvelle congrégation belge doit étendre un jour sur toute la surface du pays.
(page 51) J’ai dit quels étaient les hommes sur lesquels s’appuient en ce moment les espérances du haut parti catholique, c’est-à-dire du parti qui tend à reconstituer la monarchie absolue sur les bases de la prédominance ecclésiastique. On a vu ce parti, allié à la jeune monarchie du roi Léopold, s’en faire un bouclier contre les prétentions libérales, jusqu’à ce qu’il en puisse forger une épée tranchante et aiguë, qui soit dans sa main un instrument aveugle de terreur et de nivellement de toute autre puissance et de toute autre autorité.
En attendant que le pourvoir royal devienne assez fort pour revendiquer son droit, une fraction du parti catholique se sépare violemment de la masse et s’allie à la pensée libérale en lutte avec cette pensée de réaction. Cette fraction, au lieu de faire rétrograder l’élément religieux, le met en tête du mouvement des idées et le fait peuple dans toute l’acception du mot. Cette fraction demande le suffrage universel et (page 52) la nationalité avant tout. Elle ne veut pas de privilèges pour les prêtres, point de salaire pour eux, ni d’exemptions, même pour le service militaire, qui serait remplacé par une contribution en argent. Elle nage en pleine eau de républicanisme, et n’a plus qu’un pas à faire pour suivre M. l’abbé de Lamennais sur le terrain où il s’est placé. Il n’est pas jusqu’au pape dont elle n’improuve la conduite. Ecoutons M. Bartels, l’un des plus fervents rédacteurs du Catholique des Pays-Bas, formuler ce principe dans son livre remarquable sur les Flandres et la révolution belge.
« Une discussion approfondie sur l’encyclique exigerait un traité spécial ; je me contenterai ici, n’envisageant que sous ce point de vue politique cet inconcevable manifeste du souverain pontife contre la liberté de l’église même, d’examiner s’il y a le moins du monde influé sur la conduite des catholiques belges comme citoyens. Pour ne chercher nos exemples que dans l’assemblée représentative, semble-t-il que MM. Dumortier et Doignon en soient moins (page 53) opposés à la diplomatie étrangère, MM. De Smet et Liedts aux inconstitutionnalités du pouvoir ? Et si MM. Charles Vilain XIV et de Muelenaere professent ou approuvent l’arbitraire large et très large, ce n’est pas l’encyclique apparemment qui a modifié leur conviction ; car nous ne pensons pas que cette malencontreuse conception eût déjà vu la lumière, lorsque le premier vota l’abandon aux Hollandais de la province qui l’avait élu, ou lorsque le second adhéra au message du 11 décembre 1829… »
Dans un seul paragraphe, voici donc deux des plus influents catholiques aristocratiques, et le pape en personne, attaqués par un catholique non moins croyant qu’eux-mêmes, mais qui obéit à une idée politique diamétralement contraire, et l’encyclique, qui condamne les principes de la démocratie, taxée d’inconcevable manifeste et de malencontreuse conception. Et plus loin, M. Bartels ajoute :
« M. Charles Vilain XIV est nommé gouverneur de Gand la veille du quatrième (page 54) anniversaire d’une révolution accomplie au cri de justice et de liberté ! Ce fait isolé caractérise toute une situation. – Ainsi, nous n’avons que déplacé, nous n’avons pas écrasé le despotisme. Patience !... »
Ces lignes donneront une idée de l’effervescence du parti
catholique de l’opposition, qu’on peut nommer sans crainte parti catholique démocrate, quoique tous ses membres n’admettent
pas la doctrine laméniste jusqu’au principe républicain inclusivement. Ce parti
d’opposition religieuse n’a de représentants parlementaires que MM. Dubus et
Dumortier, tous deux députés de Tournay, le premier, vice-président de la
chambre ; le second, l’un des questeurs ; encore faut-il faire des
restrictions avant de placer ces deux membres sur la liste des orateurs de la
démocratie. L’opposition de MM. Dubus et Dumortier a toujours été plutôt dirigée
contre la personne des ministres que contre un principe bien arrêté. C’est un
reste de ce levain de haine qui avait si bien fermenté sous le ministère de M.
Lebeau. (page 55) M. de Theux,
ministre de l’intérieur, et l’ex-libéral M. Ernst, ministre actuel de la
justice, ont bien encore quelquefois à s’en plaindre ; mais MM. Dubus et
Dumortier n’useraient pas de la même violence vis-à-vis de M. de Muelenaere ou
de M. Félix de Mérode. Ils sont retenus par une secrète sympathie de famille,
qui se fait jour à travers la mauvaise humeur d’un moment. Quand la question
catholique pure est en jeu, M. Dubus devient le conseil du parti, et M.
Dumortier son orateur par excellence. Mais si la question monarchique montre
seulement le bout de l’oreille, M. Dumortier se transforme en tribun populaire
et refuse au roi jusqu’au droit de dissoudre les conseils provinciaux. Si les
orateurs du ministère parlent de concessions diplomatiques, M. Dumortier se
lève et fulmine : « Tant qu’il y aura un drapeau brabançon sur un clocher
de
La sentinelle la plus avancée du parti laméniste est l’abbé
de Haerne, jeune ecclésiastique âge de trente ans, qui vota, dans le congrès,
pour la république, et qui, aux dernières élections, fut mis à l’index par les
catholiques eux-mêmes. On peut citer, après lui, l’abbé de Smet, lequel, étant
régent au collège d’Alost, composa un abrégé de l’histoire de
C’est ici que se touchent, par leurs extrémités, ces deux irréconciliables partis, qu’on appelle les libéraux et les catholiques, les laménistes d’une part, et les républicains de l’autre.
La république, en Belgique, n’a pas encore fait de nombreux
adeptes. Nous avons dit qu’elle ne comptait que trois organes dans le sein de
la chambre des représentants ; encore ses partisans n’ont-ils jamais cru à
la possibilité d’une installation directe. Ce n’est que par la réunion de
Le club de la rue de
Dans les séances du gouvernement provisoire, où les membres discutaient sur le pied de l’égalité, M. de Potter ne manquait jamais de signer, le premier et le plus près possible du texte, les arrêtés et les délibérations. M. Gendebien alors affecta de signer encore plus haut, entre le texte et (page 59) la signature de M. de Potter, comme pour dissiper la fumée d’aristocratie qui semblait parfois troubler le cerveau de son collègue.
Battu sur ce point, M. de Potter prit l’habitude d’arriver le premier aux réunions, et il s’emparait ainsi du fauteuil de présidence, qui de droit n’appartenait à personne, et dont il fit sa chose propre par sa ponctualité à se rendre aux séances une heure entière avant l’heure convenue. Ces petits envahissements, qui n’avaient rien, du reste, de bien coupable, prirent fin de la manière suivante. En arrivant à son heure habituelle, M. de Potter trouva un soir M. Gendebien installé dans le fauteuil. Il comprit la leçon, et depuis ce temps il renonça à ses projets de dictature. Aujourd’hui M. de Potter a complètement disparu de la scène politique, et M. Gendebien, au contraire, supporte à peu près à lui seul toutes les discussions dans lesquelles l’opinion républicaine se trouve engagée à la chambre ; son thème, du reste, n’est ni long, ni difficile, ni considérablement (page 60) varié ; il ne sort pas de deux ou trois axiomes qu’il jette à la tête de ses ennemis avec une singulière impétuosité. Son duel avec M. Charles Rogier a fait assez de bruit pour qu’on se le rappelle ; à quarante pas en marchant sur son adversaire, M. Gendebien logea une balle de pistolet dans la bouche de l’honorable orateur : singulière façon de le réduire au silence !
Les deux aides de camps de M. Gendebien sont MM. Dérobaulx
et Séron. A eux trois, ils forment tout le corps d’armée républicain. M.
Déroubaulx est de toute façon inférieure à M. Gendebien, pour l’influence
contre le talent ; c’est un ancien avocat du barreau de Liége, orateur
prolixe, incolore et sans aucune forme littéraire ; il était
libéral-unioniste avant la révolution, et depuis, il est devenu l’antagonisme
le plus acharné des catholiques. Ce qui distingue éminemment M. Séron,
représentant de Philippeville, c’est qu’il est le seul membre de la chambre qui
porte un chapeau à cornes, une queue et des bottes à
(page 61) Nous voici arrivés au parti libéral proprement dit ; nous parlerons d’abord des principaux membres du libéralisme opposant, et nous rejetterons parmi les libéraux gouvernementaux ou ministériels, non seulement ceux qui marchent dans la ligne du ministère d’aujourd’hui, mais aussi ceux qui prirent part au gouvernement depuis 1830, et que l’on ne saurait classer dans aucune des trois autres catégories. Cette seconde partie de la tâche comporte des développements qui nous obligent d’esquisser la première plus rapidement que nous ne voudrions le faire.
Sur les vingt membres environ dont se composer la minorité
libérale à la chambre des représentants, ceux dont les noms suivent méritent
une attention particulière : ce sont MM. Henri de Brouckère, Fallon,
Jullien, Corbisier, Meeus et Rouppe. M. Rouppe, bourgmestre actuel de
Bruxelles, remplissait déjà cette fonction quand Bonaparte était premier (page 62) consul de
la république française. L’indépendance de son caractère et la libéralité de
ses idées d’administration eurent l’honneur de porter ombrage au grand général,
qui, pour débarrasser
MM. Meeus et Corbisier brillent surtout dans les questions financières et industrielles ; mais le dernier se hasarde rarement à prendre la parole en public. C’est alors son collègue M. Fleussu, conseiller à la cour de Liége, qui le supplée à la tribune. M. Fleussu, quoiqu’opposant à la nomination du roi Léopold, fut choisi par le congrès pour faire partie de la députation à Londres. Il (page 63) est de tous les membres de la représentation nationale celui qui met le plus de sens commun dans ses discours. Cet éloge en vaut bien un autre.
M. Jullien, Français naturalisé Belge depuis trente ans, et qui exerça longtemps à Bruges la profession d’avocat avec une honorable distinction, se pose au contraire comme l’homme d’escarmouche du parti. Il sacrifie tout à un sarcasme, et c’est d’ordinaire contre les prêtres qu’il dirige le feu roulant de sa plaisanterie, renouvelée quelque peu des diatribes voltairiennes. M. Fallon se montre aussi mesuré dans sa conduire parlementaire que M. Jullien l’est peu. On ne connaissait à M. Fallon aucun antécédent politique avant 1830. Il avait cédé le champ à son frère cadet, aujourd’hui président de la cour des comptes, et qui, pendant plusieurs années, s’était assis sur les bancs des états-généraux. M. Fallon n’est pas un discoureur brillant ni chaleureux, mais son vote entraîne d’habitude la partie timide de l’opposition.
En regard de M. Fallon, il faut placer (page 64) M. Henri de Brouckère, jeune
homme plein d’énergie, et le plus élégant orateur de la chambre. M. Henri de
Brouckère vota au congrès pour l’élection du roi Léopold, et fut l’un des
commissaires envoyés à Londres pour le déterminer à accepter la couronne. Il
combattit le traité des 18 articles qui enlevait à
En finissant la nomenclature des hommes qui marchent à la tête de l’opposition (page 65) en Belgique, et après avoir nommé M. Henri de Brouckère, c’est ici le lieu de parler de M. Charles de Brouckère, frère du précédent, quoiqu’il se soit retiré depuis quelques temps du monde politique, et qu’il ne siège même plus parmi les représentants du pays.
M. Charles de Brouckère a été mêlé à toutes les affaires importantes qui se sont débattues en Belgique depuis quatre années. Il a occupé successivement le ministère des finances, celui de l’intérieur et celui de la guerre, et toujours dans les circonstances difficiles, quand les ambitions les plus voraces se tenaient cachées sous la table du festin gouvernemental, craignant que quelque bombe hollandaise ne vînt briser les bouteilles et les plats.
Lorsque M. Coghen eut renoncé à diriger les finances d’un coffre vide, c’est M. Charles de Brouckère qu’on vint trouver. Lorsque le désastre de Louvain eut montré la faiblesse de l’armée belge et sa déplorable organisation, opposées à la forte armée du roi Guillaume, encore (page 66) menaçante, c’est M. Charles de Brouckère qu’on supplia de se laisser investir de la responsabilité du portefeuille de la guerre. Toujours flatté et caressé au moment du péril, toujours éconduit aux jours de triomphe, M. de Brouckère n’a jamais failli à ceux qui ont fait appel à son coeur ou à son bras au nom des libertés belges. Son front pâle et malade dans sa main, les yeux creusés par le chagrin de se voir trompé, méconnu, humilié, calomnié, M. de Brouckère a bu le plus terrible breuvage qu’il soit donné au sort d’approcher des lèvres humaines, à savoir l’ingratitude populaire mêlée au poison de la courtisanerie, abominable mélange de fiel et de vinaigre, comme l’éponge de Jésus sur la croix.
Quoique M. Charles de Brouckère eût voté dans le congrès contre l’élection du prince de Saxe-Cobourg, et qu’il eût quitté le conseil des ministres pour entrer dans les rangs de l’opposition, il fut appelé par le roi Léopold à la direction de l’intérieur le 3 août 1831, c’est-à-dire lorsque le général (page 67) Chassé venait de dénoncer l’armistice, et que les Hollandais envahissaient le territoire du nouveau souverain des Belges. Le roi Léopold était alors occupé à visiter les établissements industriels de Liége, quand lui arriva la nouvelle de l’invasion hollandaise. Ce fut un coup de foudre pour tout le monde. Le roi revint en hâte à Bruxelles, ne sachant si l’ennemi n’était pas déjà sur sa trace, et craignant de le voir entrer dans la capitale avant lui. Le généra de Failly, qui remplaçait à la guerre le général d’Hane, général du génie, eut avec le ministre une conférence qui se prolongea une grande partie de la nuit, sans amener le plus léger résultat. Les instants étaient cependant précieux ; il y allait du sort d’un royaume. M. Charles de Brouckère se rendit au palais, où le roi le chargea de pourvoir à tout et d’employer son activité bien connue à rallier l’armée au plus vite et à mettre au moins la capitale à l’abri d’un coup de ain.
M. de Brouckère se transporta immédiatement (page 68) au ministère de la guerre, où, en vertu des pouvoirs qu’il avait reçus du roi, il ordonna à M. de Failly de partir sans plus attendre pour l’armée de l’Escaut, tandis que M. Goblet courrait s’emparer des deux rivières qui coulent entre Anvers et Malines.
Le roi partit le 4 pour Anvers, M. de Brouckère, ministre de l’intérieur, revêtit son ancien uniforme de colonel d’artillerie, et lui servit d’aide-de-camp. Cependant on reçut au quartier-général la nouvelle de la défaite du général Daine, et ce fut encore M. de Brouckère que l’on chargea de ramener sur Louvain le corps d’armée qui se trouvait dans la province de Liège. En vingt-quatre heures, le ministre de l’intérieur eut réorganisé ses troupes, et les eut pourvues d’armes et d’habillements. Quand il arriva sur le lieu de l’action, à la tête de dix mille hommes, la capitulation était signée.
De retour à Bruxelles, M. de Brouckère, cédant aux instances de ses amis, consentit à se charger du portefeuille de la guerre. (page 69) C’était une tâche immense qu’il entreprenait, et si périlleuse, que personne ne voulait en accepter le poids. Il s’agissait non seulement de reconstituer une armée, mais de rompre en visière au déchaînement de toutes les ambitions, et de se défendre à la fois contre les petites conspirations de cour et contre les grandes injustices populaires. Le nouveau ministre de la guerre réunit et équipa en quelques mois quatre-vingt mille hommes, prêts à entrer en campagne. Pour le récompenser de son repos sacrifié, de sa santé perdue dans les veilles et le travail, pour couronne civique, on l’accusé d’avoir laissé dilapider les deniers de l’état.
La diplomatie, pendant ce temps, ne cessait non plus de travailler au renversement de M. Charles de Brouckère, qui ne promettait pas de toujours plier aux exigences de sir Robert Adair et aux complaisances que demandait M. Sébastiani. Les ministres eux-mêmes jugèrent à propos de ne point soutenir leur collègue dans les débats du budget de la guerre, et on alla (page 70) jusqu’à lui chicaner une allocation de cinq cens florins pour le fourrage de ses chevaux. Outré de tant de persécutions mesquines et offensantes, M. de Brouckère se retira du ministère, et dès lors le roi, qui lui avait donné tant de marques de bienveillance et d’intérêt, cessa de le considérer comme un ami.
Un commérage de famille, parti du château des Tuileries, acheva d’éloigner M. de Brouckère de toute participation aux affaires publiques. Lorsque le roi Léopold quitta Bruxelles, pour aller épouser à Compiègne la fille aîné du roi des Français, toute sa maison militaire reçut l’ordre de l’accompagner ; M. de Brouckère ne fut pas invité. Le jour même du départ, il se présenta au palais pour faire son service d’aide-de-camp. Ce fut le suisse qui lui annonça le voyage de la cour et du roi. Le lendemain on se contait en riant, dans les salons de Bruxelles, le motif de l’exclusion de M. de Brouckère. Il s’agissait d’un propos qui aurait été tenu par l’ex-ministre de la guerre sur le compte (page 71) de l’auguste beau-père de la royauté belge. Ce propos, qui avait paru suffisant pour motiver l’impolitesse dont M. de Brouckère venait d’être l’objet, était tellement grossier, que la supposition qu’il en pût être l’auteur devenait une double insulte pour lui. Il n’hésita donc pas à prier humblement sa majesté de vouloir bien accepter sa démission d’aide-de-camp, la seule place qui lui restât avec le grade de colonie d’artillerie.
M. Charles de Brouckère est maintenant directeur de la monnaie, et se tient éloigné des affaires. Après avoir occupé les fonctions les plus éminentes, rendu à son pays les plus utiles et les plus brillants services, il a subi le destin de tout homme de cœur qui apporte une conscience droite au milieu des intrigues de nos gouvernements modernes ; jeune encore, il sait ce que la vieillesse seule apprit à tant d’autres. Profitera-t-il de son expérience ? Nous craignons qu’il l’oublie, s’il voit quelque jour, nouvel Achille retranché dans sa colère, la patrie, cette mère repentante, les yeux en pleurs (page 72) et les bras au ciel, appeler à sa défense les enfants que son lait a nourris.
Maintenant, nous avons fait connaître
les hommes politiques que la passion agite autour de la nouvelle royauté
belge ; nous avons montré les efforts des uns pour la défendre, les
manœuvre des autres pour l’attaquer, et tous se disputant ses faveurs comme les
paladins d’autrefois se battaient dans la lice pour les couleurs d’une
maîtresse. Il nous reste à caractériser les hommes qui se groupent autour du
gouvernement pour lui-même et sans arrière-pensée d’envahissement ni du côté de
l’absolutisme ni du côté des libertés populaires.
Ces hommes, ainsi que les précédents,
sont nés de la révolution de 1830. le trône de Léopold est leur œuvre aussi, et
la monarchie constitutionnelle représentative est leur dernier mot. C’est sur
eux que s’appuie l’espoir de la dynastie ; il s représentent l’arsenal où
la royauté prendra (page 73)
toujours ses plus sûres armes. Tous sont en place ou ont rempli des fonctions
publiques. L’amour du pouvoir tient plus d’espace dans leur esprit que les
affections politiques. Sans éducation première dans les matières ardues de
l’administration et de la diplomatie, ils se sont trouvés lancés tout à coup au
milieu d’un monde inconnu où les lumières seules de la raison et de leur
intelligence pouvaient leur servir de guides. Quand ils sont venus, après les
scènes du combat, mandataires plus paisibles, mais non moins méritants de leur
pays, mettre la main au gouvernail pour empêcher le navire de s’en aller à la
dérive, d’eux seuls ils avaient reçu leur mission. Lorsqu’il fallut, le
désordre passé, renouer ensemble les actes du gouvernement aboli et ceux du
gouvernement nouveau, et dresser, comme après une faillite, le bilan de ce
royaume improvisé, il se trouva que les pièces manquaient. Les cartons des ministères
restaient vides ; c’était à La Haye qu’il aurait fallu aller feuilleter
les archives de
L’extrême jeunesse des mandataires
belges ne fut pas le moindre sujet de surprise des négociateurs étrangers. M.
Paul Devaux, qui fut ministre des affaires étrangères en 1831, n’avait à cette
époque que vingt-huit ans, de même que M. Van de Weyer, à qui le régent confia
le même portefeuille, et que le roi Léopold envoya depuis à Londres en qualité
d’ambassadeur, M. Charles Rogier, nommé ministre de l’intérieur en 1832,
atteignait à peine sa trentième année, et M. Nothomb, l’un des membres les plus
actifs de la commission envoyée à Londres, et auteur du bel ouvrage qu’il a eu
la modestie d’appeler un Essai sur la
révolution belge, M. Nothomb ne comptais que vingt-cinq ans.
Avant d’entrer dans quelques détails
(page 75) sur ces
jeunes hommes d’état et sur leur collègue M. Lebeau, qui fut comme
l’incarnation de leur doctrine collective, nous parlerons d’abord d’un homme à
qui échut une destinée singulière, bien rare dans les annales des
familles : celle de se trouver tout à coup investi du pouvoir royal sans
que la naissance eût rien fait pour lui, et de rentrer presque aussi
soudainement dans la condition d’un simple bourgeois après cinq mois de
souveraineté effective.
Erasme Louis, baron Surlet de
Chokier, ex-régent de Belgique, naquit à Liége le 27 novembre 1769. On a
prétendu à tort qu’il devait son anoblissement au roi Guillaume, car le nom de
Surlet se rencontre fréquemment dans l’histoire de Liége dès le commencement du
XVe siècle. A l’entrée de l’armée française républicaine en Belgique, il fut
l’un des administrateurs du département de
Dans les sessions de 1828, 1829, et
1830, il soutint, avec Charles de Brouckère et les autres opposants, les
pétitions sur les griefs du pays et sur toutes les garanties demandées alors
par
Les dissertations de M. de Chokier ne
répondent pas le moins du monde aux qualités qui constituent le véritable
orateur. On fait trop bon marché de ce titre aujourd’hui comme de tous les
titres, et l’on peut affirmer que, parmi les Démosthène et les Cicéron qui
affluent dans nos chambres représentatives, il n’y a pas dix hommes dont les
meilleures phrases, livrées à l’impression, s’élèvent au-dessus de la
médiocrité littéraire. Il en est donc de l’éloquence de M. Surlet comme de tant
d’autres orateurs qui font beaucoup de bruit chez nous. Il n’y faut pas
chercher le côté artiste, ni la puissance de la forme où s’enchâsse l’idée, ni
la délicatesse dans le choix des mots, ni l’éclatant coloris qui rend la pensée
vivante, et la fixe d’un seul trait dans l’imagination des masses comme un fait
qui s’est passé sous leurs yeux. Les discours de M. de Chokier étaient plutôt (page 78) des causeries que des morceaux
de tribune. Ses phrases se présentaient à l’état de trituration, courtes, sans
rythme, sans esprit aucun, complètement dépourvues d’images ; et si
parfois une métaphore se faisait jour à travers l’assemblage de ses incolores
substantifs, c’était pour revêtit la forme grotesque d’une plaisanterie
vulgaire et déchaîner le rire des assistants. De vieilles ruines d’érudition
classique lui revenaient souvent à la mémoire, et il parsemait ses étranges plaidoiries
de citations d’Horace et de Virgile, qu’il entremêlait de noms hollandais et
flamands, prononcés à dessein avec l’accent français, afin de mieux exciter l’hilarité
de ses confrères ; ce qui fit dire, au mois de décembre 1830, lorsqu’il
fut nommé président du congrès national, qu’il ne savait pas maintenir la
dignité de la chambre.
Avant d’arriver à cette présidence du
congrès, qui lui valut plus tard la régence du royaume, il quitta Bruxelles
avec les autres représentants pour se rendre à La Haye, où le roi Guillaume,
espérant encore (page 79) calmer le
premier incendie de la révolution, voulait agiter devant les chambres la
question de séparation administrative et la révision de la loi fondamentale. De
retour dans la capitale de
(page
80) Voici deux anecdotes dont nous pouvons garantir l’authenticité, et qui
démontreront la fausseté de cette allégation ; la première se rapporte au
roi Louis-Philippe lui-même, et l’autre à lord Ponsomby, ambassadeur
d’Angleterre.
M. de Chokier pria le roi des
Français de vouloir bien faire deux changements dans le discours qu’il devait prononcer
en réponse à celui de la députation belge. Dans ce discours, le roi disait
qu’il ne permettrait à aucun membre de sa famille de s’asseoir sur un trône
quelconque de l’Europe. M. Chokier lui rappela que par ces mots, les membres de
sa famille, il semblait exclure les princesses comme les princes ses fils, dans
le cas où le nouveau roi des Belges trouverait convenable de rechercher son
alliance. Le roi répondit que telle n’était point son intention, et il fit
appeler M. Sébastiani, qui promit de substituer ces mots, les princes mes fils. M. de Chokier se retira satisfait. A une
heure de la nuit, il fut réveillé par un visiteur inattendu. C’était le
rédacteur en chef du Moniteur qui venait (page
81) le trouver au lit pour savoir s’il était content du changement de
rédaction, et qui venait lui demander son bon à tirer, parce qu’il avait ordre
de suspendre l’impression du Moniteur jusqu’à ce qu’il l’eût reçu bien en
règle. Il est donc évident qu’à l’époque de sa présidence du congrès, M. de
Chokier agissait déjà dans le sens de l’alliance française.
L’autre fait se passa entre M. de
Chokier, alors régent de
La régence de M. Surlet de Chokier
dura cinq mois moins cinq jours, et dans ce court laps de temps, il vit passer
devant ses yeux ce qui aurait dégoûté du pouvoir l’homme le plus ambitieux.
Cette parodie de la royauté commença par une conspiration qui avorta plutôt par
le manque d’énergie des conspirateurs qui par la prévoyance du gouvernement. A
peine échappé à ce premier danger, le régent vit son ministère en butte aux
attaques les plus violentes ; il le changea par un autre qui ne réussir
pas mieux, et qui fut inauguré par des émeutes et des pillages. On reprochait
au premier de continuer la révolution, on fit un crime au second de la conduire
dans des (page 83) voies rétrogrades
et à a remorque des cabinets étrangers, comme si
Si nous ne nous trompons, ce dut être
un beau jour pour M. de Chokier que le 21 juillet 1831, quand il déposa ses
pouvoirs entre les mains du président du congrès, et qu’il vit s’avancer le
prince de Saxe-Cobourg au milieu des salves et des bravos populaires, pour
prendre à son tour ce sceptre si lourd à porter. Avec quel plaisir il dut
revoir son petit village de Gingelom, et troquer le trône de la régence contre
le bon fauteuil de bourgmestre qu’il
occupe aujourd’hui.
Ce n’est pas que pendant ses jours de
grandeur il ait eu le temps de se blaser sur les luxueuses jouissances de la
vie royale. Il n’avait ajouté à ses habitudes de bon bourgeois qu’une voiture
de louage qu’il payait prudemment au mois, ne voulant pas engager dans les
liens d’un bail les chances de son éphémère souveraineté. Le (page 84) jour de son installation comme
régent, il fit pour la première fois l’essai de ce remise aristocratiquement
vernis et attelé de deux gros chevaux brabançons. Comme on venait de replier le
marche-pied derrière lui, il vit tout d’un coup les chevaux disparaître au
milieu d’un flot de peuple, et il sentit la voiture s’ébranler sous l’effort de
cent bras qui cherchaient à la tirer en avant. Peu habitué à ces sortes
d’ovation, le régent eut peur, et il s’échappa en ouvrant brusquement la
portière ; puis il courut à toutes jambes à travers le parc, suivi d’une
foule immense qui ne voulait pas en être pour ses frais d’enthousiasme. Harassé
et haletant, il arriva enfin à son hôtel de la rue Ducale dont il ferma
violemment la porte à la barbe des poursuivants.
Le régent commençait d’habitude sa
journée par recevoir en robe de chambre et en bonnet de coton les députations
de la garde civique et les solliciteurs recommandés. Il présidait ensuite le
conseil des ministres sans changer grand’chose à son costume. Puis il donnait
une heure (page 85) aux soins de son empire, c’est-à-dire
qu’il signait les pièces ministérielles, et le reste du jour était rempli par
des audiences et des causeries. Après dîner, il allait passer une heure avec
quelques amis dans une petite maison de Laeken qui avait appartenu au roi
Guillaume, et il rentrait à Bruxelles pour recommencer le lendemain.
Un jour par semaine, il y avait
audience publique chez le régent, et toute l’audience se passait à distribuer
des pièces de 5 francs, empilées sur un bureau, aux malheureux qui venaient
réclamer des secours. Ces aumônes patriotiques et les trois deniers par semaines
que M. de Chokier se croyait obligé de prendre pour resté fidèle à la
représentation qui lui commandait le budget, absorbaient à peu près les dix
mille francs par mois que le souverain provisoire de
C’est bien à tort que l’on s’est
escrimé à critiquer l’administration du régent. Le bonhomme avait
spirituellement compris sa position. Le
régent, disait-il, le régent régente
et ne gouverne pas. Fidèle à cette maxime, il changea son ministère quand (page 87) il eut
cessé de rallier la majorité, et cependant plusieurs membres de ce ministère
étaient ses amis personnels. Il leur donna comme successeur M. Lebeau, qu’il
détestait cordialement, mais que l’opinion de la majorité portait à la tête des
affaires. Les pillages du mois de mars 1831 eurent lieu pendant l’interrègne
ministériel. Le défaut d’organisation militaire, qui fut si funeste à
Le premier ministère du régent mit en
relief trois hommes qui eurent une grande influence sur la plus difficile de
toutes les questions belges, la question diplomatique, de laquelle dépendait,
on peut le dire, tout l’avenir du pays. Parmi ces hommes, les deux premiers
soutinrent brillamment leur réputation, soit à la tribune, soit par des
publications politiques ; le dernier s’éclipsa entièrement dès qu’il cessa
de prendre une part directe au gouvernement. (page 88) Ce triumvirat était formé de
MM. Lebeau, Nothomb et Devaux. Tous trois avaient fait leurs premières armes
contre le gouvernement hollandais dans la presse libérale ; tous trois
appartenaient, par leur âge et par la direction de leurs idées, au parti qui
combattait pour l’émancipation du siècle.
M. Lebeau, qui a longtemps été aux
yeux de l’Europe la personnification vivante des doctrines du cabinet belge, ne
doit qu’à un hasard de position les deux tiers de la renommée qu’il s’est
acquise. En bonne justice, ces deux parts devraient revenir à MM. Nothomb et
Devaux, qui l’aidèrent avec tant de succès, le premier comme membre du comité
diplomatique d’abord, et ensuite comme commissaire auprès de la conférence de
Londres, et le second comme ministre d’état et comme défenseur du traité des
dix-huit articles devant la représentation nationale.
M. Jean-Louis-Joseph Lebeau est né à
Huy, province de Liége, le 2 janvier 1794. Il fut d’abord avocat à Huy, puis à
Liége, (page 89) où il plaida avec
bonheur quelques procès criminels. En 1824, il fonda, concurremment avec MM.
Devaux et Rogier, un journal d’opposition, le
Mathieu Laensberg, plus tard le
Politique. C’est dans ce journal que furent exposées les premières idées
sur un projet d’union catholique libérale. Dans les années suivantes, M. Lebeau
établit une imprimerie d’où sortirent, entre autres publications, des
contrefaçons de Mme de Staël, de M. Thiers et de M. Daunou. En 1829, il publia
son ouvrage politique ayant pour titre : Observations sur le pouvoir royal, dont la première partie fut
surtout remarquée.
Lorsque vint la révolution de
septembre, le gouvernement provisoire nomma M. Lebeau à la place de
secrétaire-adjoint de la commission de constitution, où siégeait comme secrétaire
M. Nothomb. Le district de Huy ne tarda pas à envoyer M. Lebeau au congrès, où
s’effectua l’alliance dont nous avons parlé entre MM. Lebeau, Devaux et
Nothomb. Ils soutinrent la monarchie d’après les idées anglaises. Toutefois (page 90) les deux
premières se montrèrent souvent hostiles au comité diplomatique ; ce ne
fut que plus tard qu’ils s’associèrent, avec certaines modifications, au
système de politique extérieure représenté par M. Nothomb.
A l’époque de la députation de M.
Chokier à Paris, MM. Lebeau, Nothomb et Duval de Beaulieu, qui connaissaient
d’avance le refus de la couronne par Louis-Philippe, au nom du duc de Nemours,
firent, auprès du prince de Ligne, cette singulière démarche qui depuis leur a
été si souvent reprochée. Ils se rendirent au château de Roeulx, qu’habitait le
prince, pour lui offrir la lieutenance-générale du royaume de Belgique, en lui
donnant à espérer que bientôt le congrès pourrait substituer à ce titre celui
de souverain. Le prince, avec cette finesse d’esprit qui semble un héritage de
famille, répondit à ces messieurs : Je
ne puis accepter la couronne belge, parce que je suis déjà chambellan de
l’empereur d’Autriche.
Cependant la terreur panique qui
avait (page 91)
poussé les deux hommes d’état en herbe à la démarche que nous venons de citer,
se dissipa peu à peu, et ils effacèrent jusqu’au souvenir de cette légèreté par
le talent qu’ils déployèrent au milieu des graves événements qui suivirent.
M. Lebeau devint ministre de
l’extérieur ; M. Devaux lui fut adjoint comme ministre d’état sans
portefeuille, et M. Nothomb, en conservant son titre de secrétaire-général des
affaires étrangères, apporta à ses deux amis l’expérience du comité
diplomatique et du premier ministère du régent. On peut affirmer que pendant
cette période ils tinrent entre leurs mains les destinées de la révolution
belge. Tout leur système se réduisait à ceci : - Sauver l’indépendance du
pays en nommant au plus vite un roi qui pût être reconnu par les
puissances ; transiger avec la conférence sur les limites et les autres
conditions d’existence du nouvel état ; profiter de la peur inspirée par
es révolutions de France, de Belgique, d’Italie, de Pologne, et ne pas attendre
le retour au calme en Europe (page 92)
pour constituer
J’ai dit que M. Nothomb, quoique
simple secrétaire-général des affaires étrangères, devait être placé sur la
même ligne que M. Lebeau, quant à l’influence exercée sur les affaires
diplomatiques. Je ferai donc marcher de front sa biographie politique avec
celle du ministre, son ami et son collègue actuel à la chambre des
représentants.
M. Nothomb, membre de la députation
qui alla notifier à Londres au prince de Saxe-Cobourg le décret qui l’appelait
au nouveau trône de Belgique, était chargé en outre par le ministre, ainsi que
M. Devaux, d’une mission secrète et non officielle. Il s’agissait de faire
accepter par la conférence un nouveau système d’enclave, qui, au moyen d’une
petite supercherie historique, agrandissait considérablement le territoire de
la partie belge des Pays-Bas. Cette délimitation, basée sur les droits hollandais
en 1790, était l’ouvrage de M. Nothomb. Il (page 93) résultait de l’article 2 des bases de séparation du 27
janvier 1831 que la souveraineté de Maestricht, qu’on avait crue indivise,
appartenait à
Ce fut M. Nothomb qui apporta de
Londres le traité des dix-huit articles ; et qui, dans un comité secret,
en rendant compte de sa mission
découvrit à l’assemblée le projet de partage que M. de Talleyrand (page 95) avait
proposé. Dans sa défense des dix-huit articles devant le congrès, il excita de
violents murmures, parce que, discutant les chances de victoire dans une guerre
contre
Les faits qui signalèrent les deux
ministères de M. Lebeau sont trop connus pour que je les rapporte ici ;
j’ajouterai seulement que sa disgrâce fut l’ouvrage des diplomates étrangers,
qui le minèrent sourdement dans l’esprit du roi. Le peu de caractère et de
présence d’esprit qu’il montra pendant les scènes de pillage des 6 et (page 96) 7 avril lui portèrent le
dernier coup, et dès lors des démarches furent faites à son insu pour le
remplacer. On agit envers cet homme d’état comme avec un laquais que l’on veut congédier ; MM.
Ernst et d’Huart avaient déjà accepté des portefeuilles, que M. Lebeau ignorait
encore ce qu’on tramait contre lui.
Quelque antipathie que l’on ait pour
le système de conduite politique suivi par M. Lebeau, il est impossible de ne
pas rendre justice à son talent d’orateur, et au noble désintéressement qui l’a
toujours distingué. M. Lebeau s’est retiré du ministère sans fortune ; pendant
dix mois, il a refusé d’accepter, comme ministre, le traitement auquel il avait
droit, se bornant aux 5,000 francs que lui rendait sa place de conseiller à la
cour de Liége. Plus tard il se démit de cette même place, s’exposant à quitter
le ministère sans pouvoir reprendre d’autres fonctions, le rang de conseiller
ne pouvant se conférer directement par le roi. Le plus grand reproche qu’on
puisse lui adresser, c’est d’avoir trop souvent obéi à un sentiment de vanité
incompatible avec la circonspection dont un homme d’état ne doit jamais
s’écarter. C’est ainsi que ces intempestives paroles de M. Lebeau : - Nous aurons le Luxembourg et nous n’aurons
pas la dette, lui attirèrent cette juste incrimination de M.
Gendebien : - Nous n’avons pas le
Luxembourg et nous avons la dette.
M. Lebeau est maintenant gouverneur
de la province de Namur et membre de la chambre des représentants. Malgré les
griefs qu’on lui suppose contre le gouvernement, il vote la plupart du temps
avec le ministère, et forme avec MM. Nothomb, Devaux et Charles Rogier, un
parti de juste-milieu monarchique entre les catholiques et les libéraux.
Un des plus beaux titres de M.
Nothomb, c’est sa défense de M. Lebeau, devant la chambre, contre les accusations
de M. Gendebien à propos des extraditions, où le jeune orateur, retraçant avec
feu les services politiques de son ami, fit accueillir son éloge par les
applaudissements (page
98) d’une assemblée prévenue d’avance contre lui.
M. Nothomb n’a pas trente ans, et
l’on peut affirmer, sans craindre de se voir démenti par les événements, qu’il
deviendra l’homme politique le plus remarquable de son pays. Dans les affaires
délicates qu’il a été appelé à traiter, il a fait preuve à la fois des qualités
les plus incompatibles. A la vigueur et à l’activité d’un jeune homme, il a uni
la prudence et la sagacité d’un vieillard ; son éloquence n’est pas une
avocasserie de convention portée sur les roulettes des vieilles métaphores de
tribune ; son style et ses idées sont de bon aloi, logiques et littéraires,
deux conditions de vie hors desquelles il n’y a pas d’orateur. L’Essai historique et politique sur la
révolution Belge, publié par M. Nothomb, en 1833, est parvenu, en moins
d’un an, à sa troisième édition ; il a pris sa place de lui-même dans
toutes les bibliothèques, et il restera comme le document de l’histoire
contemporaine le plus profondément pensé et le plus élégamment (page 99) écrit que les matières arides
de la diplomatie aient jamais su produire. Encore quelques années, et M.
Nothomb prendra certainement la direction du cabinet belge, du moins pour les
affaires étrangères. Les intrigues de l’aristocratie catholique s’opposeront
bien quelque peu à l’élévation d’un plébéien qui étudiait encore, il y a dix
ans, sur les bancs des écoles ; mais les lumières gouvernementales de MM.
Ernst et d’Huart ne suffiront pas longtemps à éclairer les ténèbres qui nous
envahissent.
Après MM. Lebeau et Nothomb, il faut y
mentionner MM. Rogier, Van de Weyer et Lehon parmi les défenseurs de la
nouvelle monarchie belge. Tous sont également sortis de la presse libérale pour
occuper les premiers postes du gouvernement. M. Charles Rogier, collaborateur
de MM. Lebeau et Devaux dans le journal le
Mathieu Laensberg et dans le
Politique, a été successivement gouverneur de la province d’Anvers en 1831,
ministre de l’intérieur en 1832, et il a repris sa place (page 100) de gouverneur lorsqu’il s’est retiré du ministère en août
Maintenant, si à tous ces noms l’on
veut joindre encore ceux des généraux Goblet et Evain, on aura la liste à peu
près complète des hommes qui exercent à cette heure de l’influence sur les
affaires en Belgique.
(page
101) Dans ce long article, je me suis efforcé moins d’écrire une histoire
des partis, de caractériser leur conduite politique et de pressentir quelque
chose de leur avenir, que de fournir au lecteur des notes, la plupart inédites
et recueillies sur les lieux, à l’aide desquelles il pourra lui-même étudier ce
pays, dont la destinée est si étroitement liée à la nôtre. Je terminerai sans
rien arguer des faits que j’ai produits : la conclusion de ceci n’est pas
dans le présent. Quand les armées combattent, le champ de bataille n’apparient
qu’à Dieu.
Bruxelles, ce 1er mars
1835.
(Cette
table n’était pas reprise dans le volume initial et est une création ad hoc
pour ce site. Seuls les personnes suffisamment importantes sont mentionnées
ici. Les numéros renvoient aux numéros des pages).
Baron (34-36), Bartels
(52-53), Corbisier (62), de
Brouckere (35, 64-72, 76), Dechamps (49), de Foere (48-49), de Gerlache (50), de Haerne (56), de Ligne (90), de Muelenaere (36-40), de Mérode (17, 21), de Potter (58-59), Derobaulx (60), de Robiano (20, 22-25),
de Sécus (49), de Smet (56), Desmet
(48), de Stassart (41-45), de Theux
(17, 30-31, 33),
Devaux (74, 87, 88,
91), Dubus (54-55), Dumortier (54-56), Fallon (63), Fleussu (62-63), Gendebien (58-60), Helsen (56), Jullien (63), Lebeau (75, 87-92, 95), Legrelle
(48), Lehon (99-100), Liedts (49), Meeus (62), Nothomb (74, 87-95, 98-99),
Raikem (40-41), Rodenbach (46-48), Rogier
(60, 74, 98-100),
Rouppe (61-62), Seron (60), Sterx
(archevêque de Malines) (16-17, 31-32),
Surlet de Chokier (75-87), Van Bommel (évêque de Liége) (16-20), Van de Weyer (74, 99-100), Vilain XIIII (20, 25-27, 37)