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« Le Parti Catholique Belge de 1830 à 1884 », par
G. GUYOT de MISHAEGEN (Bruxelles, Larcier,
1946)
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CONCLUSION
Le parti catholique belge peut
s’enorgueillir d’un passé des plus glorieux. Ses cadres ne datent certes que du
XIXème siècle, il ne pourrait en être autrement. Mais
l’esprit qui l’anime, est l’esprit profondément religieux, libéral au sens
propre, et loyaliste des Belges de toujours. Sa tâche consiste à défendre, en
régime parlementaire, les conceptions chrétiennes qui ont
façonné l’âme de notre pays. Telle est aussi sa raison d’être. Et c’est
finalement la cause de sa grandeur... « Il
représente
1. Sens de
la liberté, sens de l’unionisme
La doctrine du parti catholique belge
se centre sur la liberté. Woeste, Jules Van den Heuvel et Maurice Damoiseaux le proclament à l’envi.
Liberté de l’Eglise avec ses corollaires immédiats d’enseignement et
d’association, self-government
plongeant dans la souveraineté nationale et couronné par la royauté, autonomie
communale et provinciale maintenue contre les entreprises du pouvoir central,
union de toutes les forces religieuses, politiques et sociales pour sauvegarder
les bases chrétiennes et traditionnelles de la société, progrès de la
législation en faveur de la classe ouvrière : tels sont ses principaux articles
de foi ((2) C. Woeste, A
travers dix années, 1885-1894, t. I, p. 61. Bruxelles, 1895, 2 vol. J.. Van den Heuvel,
Préface à Vingt-cinq années de
gouvernement catholique, p. XX. Bruxelles,
Le parti catholique belge n’est pas
confessionnel. Le parti confessionnel est celui dont tous les membres
professent la même foi religieuse et dépendent étroitement de l’autorité
ecclésiastique. Les catholiques belges n’en ont pas voulu, de peur d’aliéner
leur liberté d’action. Leur éducation unioniste, leur respect de
Telle quelle, cette doctrine suffit-elle
à vivifier le parti ? On peut estimer qu’elle est trop engagée dans le siècle
qui l’a vu naître. Elle est trop « catholique-libérale
», trop menaisienne, partant, trop optimiste. Centrée
sur la liberté, suivant les conceptions de l’heure, elle confine les
catholiques dans une attitude trop exclusivement négative. Elle les habitue à
faire la part du feu, à céder du terrain, à composer. Ce qui leur manque
peut-être le plus, aux catholiques belges du XIXème
siècle, ce sont des solutions constructives. Ils ne s’élèvent que trop rarement
au-dessus des préoccupations immédiates du moment. Ils vivent au jour le jour,
et arrivent parfois trop tard.
Les catholiques ont le sens national,
le sens de la patrie, le sens d’une communauté qui, depuis des siècles, habite
le même territoire, vit la même histoire, partage les mêmes traditions,
pratique la religion romaine. Pour eux, cette religion est le facteur
primordial de la formation du pays et, donc, la base même du patriotisme. « La
nationalité est moins un fait matériel qu’une idée morale, qu’une croyance.
L’idée de patrie est essentiellement religieuse », écrit P. de Decker en 1852 ((5)
L’esprit de parti et l’esprit national,
p. 69). Beaucoup pensent, avec de Decker, que l’esprit de
parti est « une coterie se haussant à la taille d’une nation, la passion
usurpant le rôle de la raison, l’expédient détrônant le principe... la division
introduite dans le pays » ((6) L’esprit de parti et l’esprit national, p. 11). Les querelles partisanes engendrent bien des maux : les crises de
notre histoire ne le montrent hélas ! que trop
clairement. L’union de tous est un facteur de force, un gage de paix. Pourquoi
se diviser pour des vétilles, pensent les catholiques, alors que tous les
Belges sont d’accord sur les principes de leur Constitution ?
Ce ne sont pas les catholiques des
premières années de l’indépendance qui eussent songé à se constituer en parti,
si les adversaires ne les y avaient poussés par leurs attaques. La chose
accomplie, leur doctrine politique se révèle comme le meilleur soutien de la
nation et de la patrie, parce qu’elle met en relief les idées
constitutionnelles et traditionnellement belges : la liberté ordonnée, la
décentralisation, la monarchie, l’initiative privée, la famille. Les
catholiques du XIXème siècle ont-ils suffisamment
exploité ces notions anciennes qui se prêtent peu à la surenchère d’une
propagande tapageuse et demandent à être présentées d’une manière vivante,
attrayante et persuasive ? Ils ne se sont peut-être pas assez rendu compte des courants contraires, destructeurs des
croyances ancestrales. Leur libéralisme juvénile les a un peu abusés de ses
mirages. Ils se sont fiés à l’esprit religieux, au bon sens et à la modération
des Belges comme à des positions inexpugnables. Ayant pour eux la force
numérique et des principes répondant aux aspirations de toutes les classes
sociales, ils ont mésestimé les moyens d’attirer et de retenir le pays légal.
Un parti ne peut négliger l’élément représentatif, voire même spectaculaire.
2.
Organisation tardive
De 1846 à 1863, les catholiques
semblent paralysés ; de 1863 à 1879, ils s’éveillent à la vie publique ; de
1879 à 1884, ils agissent avec ensemble et enthousiasme. On ne peut certes leur
reprocher l’audace, mais plutôt d’être timorés. Ils ont peur de tout : de se
compromettre, à l’époque du qu’en dira-t-on ; de rompre un unionisme qu’ils
sont encore seuls à pratiquer ; d’exciter des adversaires, qui n’ont vraiment
pas besoin de cela. C’est ainsi qu’ils découragent les indifférents, les
velléitaires, les indisciplinés, ainsi qu’ils affaiblissent leurs cohortes. En
1850, Malou cherche en vain des éligibles pour plusieurs arrondissements. Il
écrit : « Le même phénomène de l’abstention ou du refus de bons candidats se
présente dans plusieurs localités » ((7) H. de Trannoy,
Jules Malou, p. 199). En 1860, il constate que « la vie et l’âme du gouvernement
représentatif demeurent compromises tant que la lutte sera sur le terrain où
elle est avec l’obéissance passive chez les adversaires, l’indépendance absolue
et l’inertie chez nous ». Et Jules Renkin
(1862-1935), citant ces paroles, ajoute : « Malou fait allusion à la
désorganisation et à l’indiscipline de ses amis, non pas à l’indépendance du
caractère, essentielle au contraire à la pratique des libertés » ((8)
« Luttes et crises du parti catholique », dans Un siècle d’histoire de Belgique, t. II,
p. 455. Bruxelles, 1930, 2 vol.). Barthélemy Dumortier, dont
on connaît la manière, écrit que le parti catholique belge est un parti de
poules mouillées ((9) H. de Trannoy, op. cit., p. 245).
Les critiques abondent dans le même
sens. « Soumis dans l’ordre purement religieux à des enseignements publics et
semblables pour tous, les catholiques font de la politique suivant leurs
propres inspirations et leurs propres maximes. Ils manquent de véritable unité
dans la doctrine et le programme » ((10) « Quelques mots sur
le parti catholique ». Extrait du Catholique,
8 février 1868). « Loin de gouverner pour un parti,
ils craignent trop toute mesure qui aurait l’air d’appliquer résolument leurs
convictions. Une fois au pouvoir, ils sont moins soucieux de faire passer dans
les lois leurs principes que de ne pas soulever l’opposition. Prétendant être
toujours modérés, ils ne font pas assez sentir que le char de l’Etat est
conduit ; ils manquent d’énergie et de vigueur ; la main sur les chevaux,
laissant flotter les rênes, ils ne sont jamais bien maîtres de l’équipage. Dans
les questions de personnes, ils cherchent plutôt à ne pas mécontenter leurs
adversaires qu’à satisfaire leurs partisans. Se croyant habiles, ils sont
souvent dupes » ((11) D. de Garcia de
C’est pour se défendre qu’ils se
constituent en parti. Une fois le parti constitué, c’est encore une tactique
purement défensive que la leur. Ils devraient choisir délibérément le terrain
religieux : ils y seraient imbattables et pour cause ! On dirait presque qu’ils
s’y laissent acculer. Adolphe Dechamps écrit dans
Une tactique n’est efficiente que par
les moyens mis en oeuvre. Ceci pose le problème de l’organisation. Tout parti
suppose un programme, expression concrète de la doctrine, des chefs pour donner
l’impulsion, un organe permanent de direction, des associations électorales,
une presse et des institutions diverses répondant aux nécessités du moment.
Nous avons déjà dit combien tout cela manquait aux catholiques belges au moins
jusqu’en 1863. Ils ont eu cependant des chefs de valeur. Mais de Theux,
Dechamps, Dumortier, Félix de Mérode, de Decker, ces artisans de l’indépendance
nationale, sont unionistes jusqu’aux moelles, sauf Dumortier ; ils ne pèchent
pas par excès de combativité. C’est Malou qui domine la génération suivante. Il
est énergique et clairvoyant. On lui doit bien des choses : une presse digne de
ce nom, le premier manifeste du parti (1852), le manifeste pour les élections
de 1857, l’Association constitutionnelle
conservatrice (1858). Mais on ne peut s’empêcher de remarquer qu’il est
venu bien tard à la politique. Et ce n’est pas un paradoxe de prétendre que les
plus belles initiatives catholiques en ce temps-là émanent de personnalités non
parlementaires : un Edouard Ducpétiaux, par exemple,
l’organisateur des Congrès de Malines et le précurseur de tant de réformes
sociales. C’est peut-être à l’égard de cet outsider que le parti catholique ;
pour les années que nous venons de raconter, a contracté la dette la plus
lourde.
Les Congrès de Malines ont exercé une
influence décisive sur l’évolution du parti. Ils ont appris aux catholiques à
se connaître, à s’entendre pour une action commune, à rechercher l’union. Ils
ont précisé leur doctrine dans le sens de la liberté chrétienne et de la
hiérarchie nécessaire des fonctions sociales. Ils leur ont montré l’urgence de
défendre l’Eglise dans la vie publique aussi bien que dans les autres domaines.
Ils ont ainsi dissipé toute équivoque. Ils ont dirigé les regards vers d’autres
horizons : la question sociale et l’Internationale catholique. Bien des
réalisations pratiques sont sorties du creuset de leurs discussions : une
presse plus consciente de ses devoirs et plus forte, l’association Sainte-Barbe, les écoles d’art Saint-Luc, les
Ecoles Spéciales d’Ingénieurs annexées à l’Université de Louvain,
Les catholiques ont longtemps négligé
la presse. Peut-être pour en avoir sous-estimé l’influence, spécialement à
cette époque moins trépidante, où les gens jouissaient de plus de loisirs. A
partir de 1853, date de la fondation du Bien
public à Gand, la situation s’améliore en province. Elle reste déplorable
dans la capitale où, malgré les efforts de Malou, le vénérable Journal de Bruxelles est presque seul
sur la brèche. Elle est meilleure pour les périodiques. Le Journal historique et littéraire, de Kersten,
s’aperçoit, un des premiers, de la nécessité de la lutte.
Le parti catholique belge n’a jamais
péché par excès d’organisation. Ses membres n’aliènent en rien leur liberté :
on ne leur demande même pas de profession de foi. Ses chefs ne reçoivent pas de
mandat impératif ; ils ne voudraient d’ailleurs pas l’accepter. Il n’a ni
caucus ((15) Le caucus
est une organisation fondée Birmingham par le parti libéral-radical
anglais, dont les associations locales et nationale, « manipulent la matière
électorale » à l’entremise d’agents spéciaux et contrôlent sévèrement la
conduite de ses membres. (M. Ostrogorski, La
démocratie et l’organisation des partis politiques, t. I, p. 305. Paris,
1903, 2 vol.)), ni wire-pullers
((16) Les wire-pullers
ou « tireurs de ficelles » transforment les hommes en rouages, leur ôtant le
sentiment de la responsabilité et donnant la primauté à des éléments de seconde
zone intellectuelle et même morale et sociale. (M. Ostrogorski, op. cit., p. 415)). Sa
discipline lui vient avant tout de sa doctrine de la conscience que les
catholiques belges ont de la nécessité de défendre leur religion par des moyens
politiques, dans un pays où tous les autres partis, sans exception, sont
anticléricaux. Pour qu’il perde sa raison d’être, il faudrait d’abord que l’on
proclame sincèrement la paix religieuse ou que l’on
supprime le parlement.
3. Sens de
Le parti catholique est royaliste
depuis toujours, et partisan de l’union nationale - de l’unionisme, comme on
disait en ce temps-là. En 1840, la majorité des sénateurs s’adresse à Léopold I
: « Le maintien de l’union nationale peut seul permettre le développement des
nombreux éléments de prospérité que possède le royaume et garantir son
existence politique ». En 1846, de Muelenaere défend la prérogative royale «
Dans toutes les hypothèses, l’usage de cette faculté doit être un acte libre de
la sagesse du monarque. Le roi ne peut être lié par aucun engagement
préexistant, de quelque nature qu’il soit » ((17) Annales parlementaires, 26 avril 1846). Vers 1848, une partie de l’opinion s’éprend d’enthousiasme pour la
république ; dans un banquet, à Tournai, le fougueux Dumortier se dresse à sa
place et boit à la santé du Roi ((18) L. de Lichtervelde,
Léopo1d Ier, p. 236). «
Les ministres, quels qu’ils soient, déclare Félix de Mérode à
Léopold Ier apprécie la fidélité des
catholiques ((20) Au début du règne, il réprouve un petit groupe
d’entre eux dirigé par quelques prêtres, qui veut limiter l’autorité royale et
gouvernementale pour empêcher les empiètements du pouvoir civil en matière
religieuse. Ce démocratisme chrétien lui inspire une vive horreur. - E. de
Moreau, « Belgique », col. 737, dans Dictionnaire
d’histoire et de géographie ecclésiastique, t. VII,
col. 522-751) ; il ne leur ménage pas son estime.
Dans ses lettres à Metternich, il constate que
Les catholiques ne témoignent pas
moins d’attachement à Léopold II. Mais le Roi se
méfie de l’antimilitarisme de certains : de Woeste, de Jacobs, du Meeting - anversois. A deux reprises, en
1871 et 1884, il semble les sacrifier aux adversaires. Il soulève ainsi leurs
protestations, il ne saurait s’aliéner leur amour, ni changer leurs convictions
monarchiques. « Dieu, Roi et Patrie, voilà notre devise », écrit le Journal de Bruxelles, le 21 février
1872. C’est la devise qui brille au fronton de la scène dans bien des salles
catholiques. C’est celle que les enfants des écoles libres écrivent en tête de
leurs devoirs.
Les catholiques sont aussi les
défenseurs de
Sous le régime censitaire, la
question du recrutement parlementaire se pose autrement qu’en temps de suffrage
universel. Elle se pose cependant, Garcia de
Il faut avoir la franchise de
l’avouer, les catholiques belges abordent les questions sociales sous l’angle
du libéralisme économique. Ils professent le « Laissez faire, laissez passer »
des libéraux, et n’y ajoutent que le correctif de la charité privée, ou plus
exactement de l’aumône. Ils ont horreur de l’intervention de l’Etat, même en ce
domaine. Des subsides, quelques mesures douanières, voilà tout ce qu’ils osent
préconiser, de temps en temps, pour remédier à la misère des classes
laborieuses. Périn pense que cela suffit. C’est en
vain que le grand Ducpétiaux et, à côté de lui,
Auguste Visschers (1804-1874), fonctionnaire des
mines, demandent autre chose, par exemple la réglementation et la limitation du
travail, surtout en faveur des femmes et des enfants... A partir de 1867, il
faut signaler l’action sociale de
4.
Antimilitarisme, erreur du parti
Le parti catholique belge ne se
distingue certes pas par son esprit militariste. C’est le contraire qui est
vrai. On peut lui reprocher d’avoir rejeté les crédits pour « la petite
enceinte » d’Anvers (1858), d’avoir fait cause commune avec le Meeting anversois, de s’être opposé à
l’introduction du service personnel, à l’augmentation du contingent, bref,
d’avoir pratiqué une politique antimilitariste de mauvais aloi. Pourquoi le
nier ? Mais il y a des correctifs et aussi des circonstances atténuantes.
Antimilitariste ? Presque tout le monde l’était à cette époque, à l’exception
du Roi. On faisait confiance aux traités, à la parole des garants. Pourtant,
dès 1847, Malou se déclare partisan d’une neutralité « armée ». Pourtant, en
1858, Dechamps, qui ne fait pas partie de
« Dieu, Roi, Patrie ». Le parti
catholique belge a réalisé sa devise malgré ses défaillances. Il a contribué à
maintenir la religion dans le pays en défendant la liberté d’enseignement et
celle d’association. Dans un sens réaliste, il s’est adapté à la mentalité du
siècle et n’a pas cherché à ressusciter des privilèges périmés pour l’Eglise.
Il a entretenu les rapports les meilleurs avec la hiérarchie ecclésiastique
sans tomber dans les excès du cléricalisme. En promulguant une législation
sincèrement libérale, il a permis à l’Eglise d’exercer une action multiple et
profonde dans tous les domaines de la vie privée. Par la sauvegarde du principe
d’autorité, il s’est montré respectueux des prérogatives royales et le plus
ferme appui du trône. Son souci constant d’observer
5.
Nécessité d’une organisation politique des catholiques
Les cinquante premières années
d’histoire du parti « enseignent que les citoyens catholiques doivent
s’intéresser à la chose publique » ((29) Un siècle de l’Eglise catholique en Belgique, t. II, p. 457). Cette leçon, c’est Jules Renkin qui la dégage. Et S. E. le Cardinal van Roey la donne en termes équivalents « Le parti catholique,
dont l’organisation fut rendue nécessaire par l’évolution historique de la
politique en nos provinces, a rendu d’incalculables services à la cause de la
religion ; il a empêché ou redressé bien des atteintes à la liberté des
consciences et aux droits essentiels de l’Eglise : ce fut sa raison d’être dans
le passé, et c’est encore sa raison d’être à présent. Il serait insensé, comme
les catholiques l’ont fait trop souvent en d’autres pays où ils paient cher
cette négligence, de laisser les adversaires de la foi chrétienne disposer
arbitrairement des moyens que confère le pouvoir pour brimer nos droits et vinculer nos libertés religieuses. Tous ceux qui ont à
coeur la sauvegarde des valeurs spirituelles, doivent continuer par conséquent
à former sur le terrain politique, un parti compact, bien organisé et fortement
discipliné, capable de servir au besoin de rempart inexpugnable. Nous croyons
devoir le dire en toute franchise, spécialement à l’adresse de certains milieux
de jeunes catholiques, qui ne tiennent pas toujours compte des contingences et
prennent leurs rêves pour la réalité » ((30) Cardinal
J. E. van Roey, Au
service de l’Eglise, t. II, pp. 51-52. Turnhout,
1939, 2 vol.).
Certains auteurs français critiquent
l’utilité d’une défense catholique organisée sur le plan de la vie politique.
Ils s’appuient sur l’argument du dommage que l’étiquette de parti « catholique
» peut causer au spirituel ((31) J. Maritain, Du régime temporel et de la liberté, p.
174. Paris, 1933. P. H. Simon, Les
catholiques, la politique et l’argent, p. 181, Paris,
Tant que le régime parlementaire
subsiste, les partis répondent à une nécessité de fait. Le Cardinal van Roey écrit encore : « Un régime de liberté suppose le droit
pour les citoyens de se grouper en partis politiques : un Etat sans partis ne
peut être qu’un Etat autoritaire. Dès lors, étant donné que la politique belge
ne s’occupe pas seulement de questions d’ordre exclusivement matériel et
économique, mais se trouve mêlée aux intérêts moraux et religieux, il est de
toute nécessité, pour la sauvegarde de ces intérêts supérieurs, qu’il existe un
groupement politique puissant, ouvert à tous les citoyens, respectueux des
droits de la conscience, qui porte à son programme le maintien et la défense
des droits sacrés de la conscience et de l’Eglise. Si, un jour, ces droits ne
sont plus mis en cause, mais sont respectés par tous les partis, il est
manifeste que les groupements politiques pourront s’organiser sur d’autres
bases, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons. Mais nous n’en sommes pas
là en Belgique » ((33) Cardinal J. E. Van Roey,
op. cit., p. 182).
L’action politique des catholiques
belges doit être étayée de conceptions doctrinales solides. Qui n’aperçoit le
rôle qui revient en ce domaine à l’Université de Louvain, et spécialement à sa
Faculté de droit ? Pendant la période que nous avons étudiée, des professeurs
de droit de Louvain s’intéressent vivement à la politique de leur parti. Ainsi Thonissen, Delcour (1811-1899) et
Périn. Beernaert est docteur de la même Faculté...
Mais on ne peut s’empêcher de noter que Ducpétiaux,
Woeste, Jacobs et de Moreau, pour ne citer que ceux-là, ne sont pas issus de
l’Université catholique...
L’action, basée sur la doctrine, doit
aller de pair avec l’union. « En régime parlementaire, écrit Renkin, il faut grouper une majorité, sinon c’est
l’impuissance. Or un parti ne peut s’imposer à l’opinion que s’il apparaît
comme un bloc d’intérêt général et non pas comme une coagulation, un total
d’intérêts particuliers. Ainsi firent nos aînés. C’est pourquoi ils
triomphèrent. La plus grande leçon qu’ils nous laissent est que dans la vie
publique l’abnégation est la loi, qu’elle seule exalte et fortifie à la fois la
cause que nous servons et le parti que nous aimons » ((34) Luttes et crises du parti catholique, p.
459). Au Congrès de Malines de 1864, le vicomte de
Kerckhove rêvait de bien autre chose encore : « Si nous ne voulons pas être
renversés légalement ou abattus révolutionnairement, il faut arriver à l’union
la plus étroite possible des catholiques en Europe, dans le monde entier, de
manière à former une seule et même nationalité ». .. Hélas !
L’union se réalise par le dévouement
à la même cause, au même idéal, à l’idéal le plus élevé qui soit. La
prépondérance du point de vue matériel a été l’un des agents les plus efficaces
de la déchristianisation des masses au XIXème siècle.
« Les catholiques ont résisté à cette contagion, écrit Woeste, peut-être ne
l’ont-ils pas fait avec suffisamment de vigueur et d’ensemble ; peut-être aussi
leur bonne volonté s’est-elle trop éparpillée sur des soucis de toute nature,
mais la voie est tracée et rien ne doit être désormais négligé pour que
l’action religieuse reprenne son empire sur la société » ((35)
Lettre à Vingt-cinq années de
gouvernement catholique, p. XVIII ). Cette action sera telle à
condition que « les catholiques se montrent catholiques ; les hommes craintifs,
versicolores qui cherchent à ménager toutes les opinions sont la perte de leur
parti » ((36) Assemblée
générale des catholiques en Belgique, 1863, t. I, pp. 8-21).
Les cinquante premières années de son
histoire, le parti catholique belge a bien mérité de l’Eglise et de la patrie.
Il a bien mérité de l’Eglise, dont il a défendu les droits que