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« Le Parti Catholique Belge de 1830 à 1884 », par
G. GUYOT de MISHAEGEN (Bruxelles, Larcier,
1946)
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(page I) A moins qu’il ne s’agisse de communautés nationales minuscules où
il serait possible de recourir à la législation directe par les individus
eux-mêmes, la démocratie appelle, comme un corollaire nécessaire, le système
représentatif, c’est-à-dire le fonctionnement d’un parlement qui soit l’organe
de la volonté populaire. A son tour, tout parlement comporte des partis
politiques, c’est-à-dire des groupes d’opinions, au sein desquels se
rencontrent et opèrent les diverses conceptions que les citoyens se sont faites
des exigences et des conditions du bien commun. Qui dit démocratie dit :
confrontation, accord ou lutte des partis. A la vérité, nous avons vu
apparaître, depuis quelques années, dans la terminologie des Etats
totalitaires, une formule nouvelle : celle du « Parti unique ». Mais aucun
esprit averti ne s’y est trompé. Le Parti unique n’est qu’un leurre ou, si l’on
veut, un hommage hypocrite rendu par une dictature ou une oligarchie à la
véritable notion de la démocratie.
Pour qui veut comprendre la politique
intérieure des nations modernes, il est donc indispensable de s’initier à
l’histoire des partis qui y sont nés, qui y ont exercé alternativement, parfois
concurremment, leur contrôle sur le gouvernement ou leur action dans l’exercice
du pouvoir. C’est ainsi que l’étude de
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*
Il semble que les origines de ce
parti remontent à
(page II) Ce groupement prend corps face à la
politique de Joseph II, l’empereur philosophe, et à
son anticléricalisme. S’il ne manifeste que sporadiquement et par à-coups son
existence sous la domination française, il récupère en revanche sa vitalité
dans le jeune royaume des Pays-Bas où il s’oppose au « despotisme éclairé » de
Guillaume Ier, qui a repris lui-même beaucoup des doctrines et des méthodes de
Joseph II. A ce moment, on voit les catholiques
belges, soit aux Etats généraux, soit dans des comités locaux, soit dans la
presse, réclamer la liberté d’enseignement, la liberté d’association, la
liberté des cultes, celle-ci impliquant non seulement le libre exercice du
culte par les fidèles, mais le droit exclusif de l’épiscopat à la formation du
clergé ainsi que la liberté des rapports de l’épiscopat avec le Saint-Siège.
A côté de ce parti catholique très
sensible aux idées que Lamennais professait avec éloquence, se dresse le parti
libéral, qui, lui, a hérité de la tradition du vonckisme
et se réclame directement des principes de
L’union ainsi conclue put se maintenir,
tout en devenant de plus en plus fragile, jusqu’en 1846, date à laquelle sa
rupture, proclamée par le Congrès libéral, provoque, dans les rangs de
Il prétend, dès lors, être le
faisceau des grandes forces traditionnelles de la nation. Les élections de juin
1884 sonnent pour lui la victoire. Avec Beernaert, il prend bientôt la
direction des affaires du pays, ne cessant d’agir dans le sens de l’unité
nationale, du respect de la liberté, de l’ordre et de la prudence en matière
financière, se caractérisant aussi par le souci des valeurs spirituelles et
justifiant de la sorte ce que Charriant a écrit de lui « Le parti catholique
belge a voulu être un parti politique avec une base morale ». En même temps, il
s’imprègne d’un plus grand souci social auquel l’avènement du parti ouvrier ou
socialiste sert d’aiguillon.
Jusqu’en 1884, il s’était appelé « le
parti conservateur ». Il s’appelle désormais « le parti catholique », sauf à
accueillir d’ailleurs des hommes qui, acceptant ses principes généraux, restent
fermés à toute croyance confessionnelle et dogmatique. Dans ses rangs mêmes,
des novateurs, que l’on appellera «
Lorsque, le 2 août 1914, éclate
brusquement la tempête, le pays fait confiance au gouvernement catholique.
Celui-ci, bien qu’en possession d’une majorité homogène et solide, invite en
1916 ses adversaires libéraux et socialistes à prendre leur part de son action
et de ses responsabilités. Au lendemain de la libération, il poursuit cette
politique d’union nationale et s’associe à l’instauration du suffrage universel
pur et simple, non sans obtenir des satisfactions dans le sens de l’égalité
scolaire et de la consécration légale de la liberté d’association. En octobre
1921, un conflit surgit à l’occasion de la remise par un des ministres
socialistes, à des jeunes gens appelés au service militaire, de drapeaux qui
portent l’emblème du fusil brisé. Cet (page
IV) incident, qui révèle les illusions nourries à ce moment par les
socialistes belges au sujet du camouflage démocratique auquel l’Allemagne a eu
recours, risque de mettre en danger la garde belge du Rhin. Il a pour résultat
de rompre l’union sacrée et de rendre les partis à leur liberté d’action, Cette
rupture laisse libre cours, jusqu’à l’explosion d’une guerre nouvelle, en
septembre 1939, au jeu des coalitions gouvernementales à deux ou à trois et ce
long intervalle entre les deux guerres, est influencé, dans la vie du parti
catholique plus que dans celle des deux autres, par les réactions secrètes ou
avouées que suscitent parmi les nouvelles générations les doctrines d’autorité
et de désaffection du régime parlementaire.
La libération de 1944, qui est aussi
la victoire des démocraties, ouvrit, comme l’avait fait la libération de 1918,
une ère d’union nationale, mais ce climat d’apaisement que la guérison de tant
de plaies cruelles justifiait à l’évidence, fut bientôt troublé et gâté par le
problème royal. Le parti catholique, convaincu que la monarchie est la
meilleure sauvegarde de l’unité du pays et que la solidité même de
l’institution monarchique est inséparable du prestige de celui qui l’incarne,
se retire du gouvernement, plutôt que de s’associer à une campagne contre le
Roi où sont méconnus les droits de la vérité et ceux de la justice.
* *
*
Voici, d’ailleurs, que ce grand parti
se réincarne dans le « Parti social chrétien », où doit se canaliser, gonflé
d’un souci plus accusé des réformes sociales, le vaste courant de traditions et
d’aspirations qui ne cesseront de réclamer leur rôle dans notre vie nationale.
La métamorphose à laquelle se prête ainsi le parti catholique laisse intact
l’idéal qui lui a toujours été propre et qui continuera à rallier chez nous
toute une masse d’esprits, soucieux du progrès dans tordre et qu’inspire le
sens de la fraternité chrétienne entre les hommes, nés d’une même origine et destinés
à une même fin.
Maurice Barrès, qui fut, dans
l’épanouissement de son prestigieux talent, un de ces « apologistes du dehors »
qui défendent l’idée religieuse, tout en se tenant, comme le publicain de
l’Evangile, à une longue distance du sanctuaire, disait à
Ce langage, qui est d’un profond
psychologue, a trouvé dans le passé et trouvera dans l’avenir, en Belgique plus
qu’ailleurs, son application à toute politique véritablement sociale. Pas de
progrès social sans que soit sauvegardée, dans notre vie nationale, une
tradition chrétienne dont le Décalogue est le programme succinct. Cette
tradition qui, à 1’encontre du laïcisme, exige que Dieu ne soit pas exclu de la
société humaine, demeure, dans notre nation menacée par tant de dangers, la
meilleure digue contre l’égoïsme ou la lutte des classes, contre le désordre
économique et contre le matérialisme.
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L’histoire du parti catholique est
difficile à faire. Les Belges n’ont guère le goût d’écrire. Si l’on en excepte
Charles Woeste, les leaders de la droite n’ont pas laissé de mémoires ou de
souvenirs. Certes, il existe quelques monographies ou études d’une grande valeur
telles que celles consacrées au baron de Gerlache par son petit-neveu Pierre de
Gerlache, à Malou par le baron de Trannoy, à Victor
Jacobs par Alphonse Bellemans, à Adolphe Dechamps par
le R. P. de Moreau, à Ducpétiaux par Edmond Rubbens. Après l’ouvrage général de l’abbé Sylvain Balau, qui a beaucoup vieilli, nous disposons des
excellentes publications dues au vicomte Charles Terlinden
et au comte Louis de Lichtervelde.
Et comment ne saisirais-je pas
l’occasion de cette préface pour rendre hommage à la mémoire d’un autre
historien du parti catholique, M. Auguste Mélot, qui
fut député de Namur et qui exerça, pendant la guerre de 1914-1918, les
fonctions de ministre plénipotentiaire à Buenos-Aires. Ecrivain d’une culture
étendue et d’un jugement sûr, il fut l’auteur d’un ouvrage : « Le Parti
catholique en Belgique » qui serait parfait si la matière en (page VI)
avait été plus développée. A cette oeuvre de bon partisan, Auguste Mélot donna le plus émouvant épilogue. Le 15 juillet 1944,
il fut arrêté chez lui par
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Voici que, complétant tous ces
travaux d’histoire, G. Guyot de Mishaegen vient de
nous enrichir d’une oeuvre savante et définitive qui prendra une place de choix
dans la bibliothèque de « l’honnête homme ». Le premier tome, qui paraît
aujourd’hui, étudie le parti catholique belge de 1830 à 1884. Il est le fruit
de recherches laborieuses et souvent ingrates et témoigne d’une méthode
d’objectivité rigoureuse. Je ne m’attarderai pas à en faire longuement l’éloge,
laissant ce soin à ceux qui le liront et qui attendront impatiemment la
parution du tome suivant où sera exposée l’histoire de notre Parti depuis 1884
jusqu’à nos jours. Mais je veux dire que ce livre vient à son heure, à un
moment où nous voyons enfin se dissiper, dans les jeunes générations, cette
sorte de mépris ou d’ignorance de la vie politique qui a caractérisé si
fâcheusement, dans certains milieux intellectuels, la période de
l’entre-deux-guerres. En même temps (page
VII) qu’une telle publication est une forme de la
reconnaissance que nous devons aux hommes politiques qui ont bien servi nos
institutions, elle donnera aux jeunes la fierté d’avoir eu de tels aînés.
Puisse-t-elle développer aussi en eux le désir de poursuivre en l’adaptant aux
exigences des temps nouveaux, la tâche de ce grand Parti dont mon regretté
frère d’armes, Jules Renkin, disait qu’il a été et
doit demeurer la colonne vertébrale du pays.
Bruxelles, 28 octobre 1945.
H. CARTON DE WIART