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« Révolution belge de 1828 à
1839. Souvenirs personnels », par Louis DE POTTER (Bruxelles, Meline, Cans et compagnie, 1839)
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Brochure du général Richemont. - Je
refuse la candidature à la seconde chambre. - M. Tielemans.
- Notre correspondance.
(page 61) Après cette
digression indispensable pour bien faire connaître les ennemis que j'avais à
combattre et les moyens qu'eux-mêmes me fournissaient pour les renverser, je
rentre dans ma cellule aux Petits-Carmes. J'eus à y remplir plusieurs
devoirs. Le premier fut de réfuter une brochure du général Richemont qui, pour
préparer la réalisation des projets de conquête du ministère Martignac, avait
prétendu que les Belges appelaient de tous leurs vœux la domination française.
Je le fis dans deux articles du Courrier des Pays-Bas (25
et 26 septembre), où, pour le cas d'une agression, j'appelai tous les citoyens
à la défense de la patrie et de l'indépendance nationale, tous sans distinction
d'opinions, tous sans égard à leurs querelles intérieures et, pour ainsi
parler, de famille. J'en prends acte ici parce que, comme on (page 62) verra plus loin, mes idées à
ce sujet n'ont jamais varié.
Le second de mes devoirs était de détourner l'attention des électeurs sur
un représentant plus capable que moi de remplir le poste qui se trouvait vacant
à la seconde chambre. Le Courrier des Pays-Bas m'avait proposé, dans le
but probablement d'embarrasser le gouvernement par l'élection d'un détenu
politique. Je n'aurais pas fait difficulté d'accepter la candidature si j'avais
cru avoir à assister à une révolution prochaine, c'est-à-dire, à la mise en
question de ce qui faisait le fondement de notre édifice civil. Mais cette idée
ne m'était jamais entrée dans l'esprit, ni, je pense, à personne en Belgique.
Je ne croyais possible qu'une réforme péniblement élaborée, acquise chèrement,
et lentement progressive ; et tous mes efforts ne tendaient qu'à avancer dans
la voie où cette réforme s'opérerait tout naturellement. Il fallait donc, et
pour longtemps encore, des hommes pratiques et de détail, et j'avouais
franchement qu'homme de principes généraux exclusivement et de théories plus
sociales encore que politiques, mon insuffisance pour les questions, par
exemple, d'administration, de finances, de douanes, dans les circonstances
données, devait faire porter sur tout autre que sur moi les yeux des vrais amis
de la Belgique. (page 63) C'est ce
que j'écrivis au Courrier des Pays-Bas le 1er
décembre : ma lettre parut dans ce journal.
Jusqu'à cette époque mes occupations ordinaires, pendant le peu d'heures
que laissaient à ma disposition les nombreuses visites des indifférents et les
conférences politiques avec les membres de l'opposition, avaient été la
préparation d'une histoire ecclésiastique plus conforme à mes idées
modifiées que n'étaient mes premières publications sur cette matière, histoire
que je ne pus livrer à l'impression qu'en 1836, sous le titre d'Histoire du
Christianisme, puis mes écrits de circonstance, des articles dans divers
journaux, mes brochures sur l'union, etc., enfin ma correspondance avec M. Tielemans. Je m'arrêterai un instant sur celle-ci, parce
que, lors de mon second procès, elle fit en quelque sorte oublier l'affaire
principale en attirant sur elle seule toute l'attention publique.
M. Tielemans était encore fort jeune lorsque
j'avais fait sa connaissance chez l'imprimeur de mon Ricci, dont depuis
il a épousé la fille aînée. Il débuta auprès de moi par me présenter des vers à
ma louange, sincères, je le crois, mais beaucoup trop flatteurs pour être
vrais. Il venait de terminer ses études avec succès, et il brûlait du désir,
d'ailleurs fort naturel, d'utiliser ses connaissances et de faire (page 64) son chemin. Je me prêtai
d'autant plus volontiers à lui servir d'appui pour le pousser dans l'une ou
dans l'autre carrière, que ses habitudes graves et
sérieuses promettaient qu'il ferait honneur à tout ce dont on voudrait bien le
charger. Je sollicitai vivement pour lui auprès du ministre de l'intérieur ; je
représentai qu'il était bon de faire nommer quelques Belges au milieu de tant
d'employés hollandais, et de récompenser au moins une fois le mérite pour faire
oublier tant de faveurs prodiguées à la naissance et à l'argent. Enfin j'obtins
que mon protégé ferait aux frais du gouvernement un voyage en Allemagne, pour
étudier comment on s'y prenait dans les divers états et nommément en Autriche,
où l'on voulait comprimer et ministérialiser
le clergé catholique. M. Tielemans se maria, et
partit de Bruxelles (novembre 1827). Notre correspondance commença aussitôt, et
fut de plus en plus active jusqu'à l'année 1830.
Elle ne roula d'abord que sur les choses qui nous regardaient
personnellement, lui et moi : c'étaient tantôt son mariage, son voyage et des
réflexions sur les observations que ce voyage le portait à faire, relativement
surtout à l'état d'oppression gouvernementale de l'église catholique allemande,
que l'on appelait ses libertés nationales ; tantôt mon petit intérieur,
les projets que je formais pour l'éducation (page 65) future de mon enfant, et le développement naïf de mes
idées, de mes opinions et de mes principes : une fois je lui rendais compte des
démarches que je ne cessais de faire pour le placer promptement et
avantageusement ; une autre fois je versais dans son sein la confidence de mes
pensées les plus intimes, et des circonstances les plus privées de ma vie et de
celle des êtres qui m'étaient le plus chers. Et au milieu de tout cela force
anecdotes et portraits, et des plaisanteries sans fin sur les choses que je ne
croyais, moi, et ne crois encore mériter que le ridicule, bien qu'elles soient
les objets d'une vénération intéressée ou hypocrite pour la grande masse du
genre humain.
A l'époque de mon emprisonnement, M. Tielemans
occupait l'emploi distingué de référendaire au ministère des relations
extérieures. Lorsqu'il quitta la Belgique avec la cour, notre correspondance
reprit son allure franche et vive comme auparavant, mais d'autres matières y
furent traitées : ma vie, alors toute politique, s'y refléta comme dans un
miroir. J'étais bien le même démocrate qu'avant mon procès, me moquant toujours
des petitesses des grands, n'estimant les hommes ni sur leur nom, ni sur leur
fortune, voulant de la probité et de la droiture partout et avant tout, et
désirant des lumières s'il était possible : mais j'avais acquis plus
d'expérience des hommes et des choses ; j'avais (page 66) sur eux des idées plus arrêtées ; je savais positivement
ce que je voulais et comment je le voulais, et je sentais la possibilité de
l'exécuter ; enfin la conception formulée par moi de l'union de tous les amis
de la liberté et de la justice, sans distinction de croyances, toutes les
croyances ayant intérêt et droit à être libres, et la vérité que toutes ont
pour but de posséder ne pouvant surgir que de l'égalité en droits entre elles
et de la liberté pour toutes, cette conception si simple
et si sublime avait en quelque sorte régénéré tout mon être, car elle avait mis
ma tête d'accord avec mon cœur, c'est-à-dire qu'elle m'avait permis de ne plus
voir autour de moi que des frères, et de traiter comme tels ceux-là même
auxquels, les supposant dans l'erreur, j'avais auparavant cru devoir refuser,
mais je n'avais cependant jamais refusé qu'à regret, une partie de leurs droits
de citoyens.
La correspondance, tout en conservant sa forme légère et badine, devint
donc quant au fond beaucoup plus sérieuse, et, quand le gouvernement eut commis
l'inconcevable faute de la publier, elle acquit réellement, mais seulement
contre lui, l'importance qu'il avait voulu lui donner pour me perdre. Dans les
trois derniers mois de 1829, les lettres se succédèrent rapidement, et je fis
part à mon ami, sans crainte ni détour, et en n'usant que des seules (page 67) précautions indispensables
pour lui dans la position délicate où il se trouvait, de mes espérances et des
obstacles que je rencontrais dans ma route. Ces obstacles étaient et n'étaient
que les hommes ; car les circonstances étaient toutes favorables à mes projets
de réforme et d'affranchissement. Aussi ne me fis-je pas faute de peindre les
hommes politiques de cette époque comme je les voyais, ni d'en traiter
quelques-uns fort durement, comme on s'exprima alors : depuis la révolution, au
contraire, on m'a accusé de ne les avoir pas traités avec assez de sévérité. Je
montrai enfin l'opposition, tant parlementaire qu'extra-parlementaire, petite
et remuante plus que généreuse et active ; je la montrai vaniteuse et puérile,
animée de vues personnelles, soit d'intérêt, soit d'amour-propre, et jamais de
dévouement : mais j'ajoutai toujours qu'il ne fallait pas perdre courage, la
force des choses en laquelle je manifestais une confiance sans bornes parce
qu'elle est le résultat des efforts de l'humanité, ayant bien plus de puissance
que quelques intrigants et quelques sots ; et les serviteurs du roi, courtisans
et ministres, et le roi lui-même étant encore bien plus mesquins, plus
tracassiers, plus présomptueux et plus égoïstes que nous qui, d'ailleurs,
avions pour nous le bon droit d'opprimés demandant justice contre leurs
oppresseurs.