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d’intention
« AUX
ALENTOURS DE
Par A. Simons (1949). (Extrait de « L’Eglise
catholique et les débuts de
« Persuadé que
tout point de contact entre l’autorité civile et religieuse doit être
scrupuleusement écarté de nos lois. »(Jottrand)
(page
11) Dans la salle
des séances de l’ancien Palais des États Généraux à Bruxelles, face au Parc et
à ses arbres encore meurtris par la mitraille des Quatre Glorieuses, de
Gerlache préside le Congrès National. Il demande: « Je prie les membres qui
regardent
Rendue obligatoire à
l’accession au pouvoir du régent Surlet de Chockier,
Toutefois, son
élaboration, sa mise en pratique et sa première interprétation ne se firent pas
sans heurts. Les discussions qui accompagnèrent sa naissance, les courants
d’opinion qui la nuancèrent, l’accueil qu’elle reçut dans certains milieux ne
manqueraient pas de nous intéresser, surtout si l’on veut y découvrir les
lignes qui, dessinées alors, se prolongent aujourd’hui dans notre vie publique
et certaines de nos traditions constitutionnelles.
(page 12) Je voudrais éclairer quelque peu les remous d’où sortirent le
texte constitutionnel et sa pratique et tout particulièrement, fixer, textes en
mains, l’incidence religieuse qui les rencontra.
Il importe pour cela
d’observer les mouvements du Congrès National, l’un ou l’autre acte du
Gouvernement provisoire, certaines réactions du Saint-Siège. Il ne serait pas
étonnant que, en fin de récit, l’on admît que cette Constitution a pu accomplir
son œuvre d’union et d’ordre public en Belgique grâce à l’attitude franchement
constitutionnelle des catholiques et â l’adhésion du Saint-Siège.
A. SOUS LE REGIME HOLLANDAIS
Le rappel de quelques
rétroactes est nécessaire.
L’on sait comment, devant
les dispositions de plus en plus marquées de Guillaume, roi des Pays-Bas, en
matière d’enseignement, le prince de Méan, archevêque
de Malines, avait réagi vigoureusement, au moment où le souverain voulait
prendre en main la formation des futurs prêtres. C’était en 1825. L’archevêque
organisa alors la résistance religieuse.
Autour de lui se forma ce
que j’ai appelé l’école de Malines, c’est-à-dire une doctrine
politico-religieuse qui entendait régler les rapports entre l’Eglise et l’Etat,
non plus comme sous l’Ancien Régime en admettant l’exclusivité de la religion
catholique et la religion d’État, mais en reconnaissant dans la pratique, «
sous le rapport civil », comme on le disait, la liberté des cultes.
L’école de Malines, où s’illustrèrent Van Bommel,
futur évêque de Liège, de Ram qui deviendrait le recteur magnifique de
l’université de Louvain, Sterckx le vicaire général
de Malines et l’avocat Van der Horst, voulait trouver dans l’accord avec
l’État, un moyen de libre expansion pour l’enseignement et l’apostolat.
En cela d’ailleurs, ils
ne faisaient qu’accepter les principes inscrits dans
(page 13) Les libéraux, après avoir, durant de nombreuses années,
soutenu les efforts centralisateurs de Guillaume, en étaient venus, eux-mêmes,
vers les années 1826-1827, à supporter malaisément la tendance centralisatrice
du souverain hollandais et, se refusant à admettre l’arbitraire du gouvernement
et la surveillance en laquelle la presse était tenue, ils essayèrent eux aussi
de réagir.
Lorsque, en 1828, l’union
des oppositions fut conclue, l’on se trouvait au point de rencontre momentané
de deux bonnes volontés. Encore se plaçait-on sur le terrain de la pratique,
celui de la réaction à Guillaume et à ses ministres.
Sans doute, une volonté
commune de liberté existait, mais il est évident qu’il y avait de profondes
divergences au sujet des revendications et de l’usage de cette liberté. En
définitive, celle-ci était désirée et voulue pour des fins différentes. Les
libéraux y voyaient une rupture avec le passé, une émancipation de l’homme,
puis de. la société civile tout entière, vis-à-vis de
l’État, mais surtout à l’égard de l’Église; les catholiques y découvraient le
moyen certain, à l’abri des entraves de l’État, de favoriser la vie et le
développement de l’Église catholique. Il serait exagéré de dire que les
catholiques voulaient la liberté pour l’Église et les libéraux contre l’Église.
C’est là une de ces formules qui semblent dire beaucoup et qui souvent, comme
tous les slogans, ne sont que des sophismes.
De fait, de 1828 à 1830,
et même en 1831, moment où s’élabore et se fixe le texte constitutionnel, l’on
vit en pleine équivoque les mots « liberté » et « Église » sont
compris différemment. Aux alentours de 1830, les libéraux ne sont pas contre
l’Église, société spirituelle fondée par Jésus-Christ et chargée de la
diffusion de la vérité révélée, ils sont contre une Église qui, d’une façon ou
d’une autre, voudrait considérer l’État comme un moyen de sa domination
spirituelle, en tous cas contre une Église qui tendrait à devenir un des corps
constitués, une des branches du pouvoir civil. C’est ce que les libéraux
entendaient lorsqu’ils unissaient leurs efforts
(page 14) pour assurer ce
qu’ils appelaient l’indépendance du pouvoir civil. Pour eux, la liberté indique
que l’homme en est arrivé à sa maturité et qu’il n’a plus à se ranger sous la
tutelle ni de l’État, ni de l’Église.
Les catholiques au contraire
avaient comme préoccupation primordiale de donner à l’Église les possibilités
d’action les plus grandes et s’ils acceptaient la liberté, avec un certain
enthousiasme, c’est parce qu’elle leur apparaissait momentanément le moyen
d’échapper aux prises de l’État. Ils y voyaient une tactique. Je ne veux pas
dire qu’ils ne la voulaient pas sincèrement, mais, manifestement, du moins le
plus grand nombre ne la désirait pas pour elle-même.
L’entente dès lors sera
possible si, d’une part, les libéraux ne veulent pas faire des institutions de
l’État un obstacle â la diffusion du catholicisme, si, d’autre part, les
catholiques se contentent de la liberté et si, revenus à leurs facilités
apostoliques de l’Ancien Régime, ils ne s’évertuent pas, après s’être libérés
d’un gouvernement hostile, de créer, dans l’État renouvelé, des institutions
qui leur soient favorables et de les plier au service de leur culte. C’est-â-dire que l’entente entre catholiques et libéraux
aurait pu se maintenir plus aisément si le gouvernement hollandais avait
continué de régir les Pays-Bas. Mais lorsque, la révolution achevée, les
catholiques et les libéraux ont voulu, le danger hollandais passé, constituer
le nouvel État belge, les catholiques, presque inévitablement, en sont arrivés à
vouloir l’établir tel que non seulement il respecte les libertés des
catholiques, mais inscrive dans
B.
C’est au sein du Congrès
National que se manifestèrent surtout ces deux tendances et qu’elles
influencèrent le texte de la constitution belge. Cependant, il est opportun de
saisir sur le vif le comportement du Gouvernement provisoire pour se rendre
compte du climat primitif en lequel les révolutionnaires évoluaient.
Ce Gouvernement avait été
rapidement constitué et cela avant même que le territoire national ne fût
totalement dégagé: il était composé de libéraux; Mérode y avait été adjoint
comme représentant de l’opinion catholique. Potter y jouait un grand rôle; il y
était arrivé avec enthousiasme, il apportait une bonne volonté évidente de
s’entendre avec les catholiques, mais à la condition menaisienne
qu’il y eût entre l’Église et l’État une entière séparation.
A n’en pas douter, ce
gouvernement maintint une distinction bien nette entre le pouvoir spirituel et
le temporel, mais, d’autre part, il témoignait à l’Église une déférence
marquée. Il lui demandait même son aide, sinon pour l’organisation du nouvel
État, du moins pour en assurer l’ordre public et la cohésion. Quelques documents
en font foi.
Voici une lettre très
suggestive. Le 8 octobre 1830, donc à une date très proche des journées de
septembre, l’abbé De Geert avait demandé une place
d’aumônier dans la troupe nationale. Ce n’est que le 16 octobre que le
Gouvernement décrète la liberté des cultes, mais déjà, en marge de la lettre de
cet abbé, le Gouvernement trace la minute de la réponse: « Répondu: En vertu du
principe de la liberté des cultes, cet emploi est supprimé. Chaque militaire se
choisira son confesseur à volonté, si tant est qu’il en choisisse un ».
Cette lettre est une claire interprétation du décret du 16 octobre. C’est
bien comme le demandait l’opinion du temps, « l’Église placée hors des
institutions civiles et politiques ».
Cependant, l’Église est
une force, et voilà trop longtemps, depuis des siècles, que l’Église et l’État
se sont habitués à marcher en s’appuyant l’un sur l’autre. Aussi remarque-t-on
des deux côtés des tendances embarrassées à se porter un bras secourable.
1. La suppression de la
prière pour le Roi
Le 30 octobre, la gouvernement écrit à l’archevêque de Méan
pour lui demander la suppression de la prière pour le Roi. Il se propose de
publier un arrêté dans les termes suivants:
« Considérant que les
gouvernements sont faits pour les (page
16) peuples et non les peuples pour les gouvernements, considérant que les
gouvernements passent et que les peuples restent, arrête: le clergé catholique
est invité à substituer à l’ancienne formule de prière Domine salvum fac Regem, la formule
suivante: Domine, salvum fac populum.
Le secrétaire de l’Intérieur est chargé de l’exécution du présent arrêté. »
Et le Gouvernement provisoire dans son adresse à l’archevêque précise : « Les
principes de la liberté civile et religieuse sur lesquels repose notre
révolution m’imposent l’obligation de vous soumettre ce projet, Monseigneur,
avant de le réaliser. Je m’acquitte de ce devoir en vous priant de vouloir bien
me confier s’il aura votre approbation. »
Après deux jours
d’hésitations, l’archevêque répondit:
« En réponse à votre
lettre, je dois vous dire ma pensée à cet égard avec toute la franchise et la
loyauté dont j’ai toujours fait profession. D’abord, cette mesure me paraît
totalement insolite, puisqu’il n’existe pas d’exemples où des prières semblables
auraient été demandées en conséquence d’un arrêté et il est assez connu que
c’est en vertu de stipulations faites dans les concordats que celles qui
étaient en usage sous le gouvernement précédent ont été introduites. Je pense
ensuite que la publication de cet arrêté serait de nature à effrayer les
habitants catholiques de
2. Le Te Deum
En outre, le Gouvernement
provisoire, respectueux de l’opinion catholique, accepte que l’on chante un Te
Deum pour les victoires et il fait célébrer des services funèbres; celui de
Mérode entre autres, le 20 novembre 1830 et un autre « pour tous les braves
morts pour la cause nationale ». Le vicaire général Sterckx
présida cette dernière cérémonie, le 4 décembre, et c’est le gouvernement qui
avait demandé cette présence.
Pourtant, il est
intéressant de noter un détail dans les démarches préliminaires au service de
Mérode. C’est un certain Van Hoorde, marguillier de
l’Eglise Sainte-Gudule et maître de musique dans
cette église qui proposa au gouvernement d’organiser cette cérémonie comme il
l’avait fait pour le Te Deum, « décidé par les autorités compétentes ».
Le gouvernement accepta, mais il ne me paraît pas inutile de faire remarquer
que, dans la minute de la réponse à Van Hoorde,
l’adresse a été modifiée. Alors que le texte primitif portait: « à M. J. J. Van
Hoorde, maître de musique de l’église Sainte-Gudule », un membre du gouvernement biffe cette
formule et écrit: « à M. J.J. Van Hoorde,
négociant» C’est donc à un (page 18)
particulier que l’on écrit, c’est lui citoyen parmi les citoyens, qui organise
le service et il n’y a pas une demande expresse de l’autorité civile au pouvoir
religieux. Certains pourraient croire que le détail est de nulle importance,
mais l’attitude prise plus tard et fréquemment par les ministres libéraux qui
se refusaient â reconnaître au clergé n’importe quelle autorité inclinent à
retrouver dans ce changement d’adresse plus qu’une correction de style, il y a
là l’expression d’un principe, celui de l’indépendance du pouvoir civil.
3. La réglementation sur le
mariage
Un autre indice prouve la
volonté de séparation entre l’Eglise et l’Etat, en même temps que le respect
absolu de la liberté des cultes, c’est la décision prise par le Gouvernement
provisoire en matière de mariage.
La législation française
et celle des Pays-Bas avaient imposé que les cérémonies civiles du mariage
précédassent le sacrement. Les conséquences civiles n’étant assurées que par le
contrat civil, l’on comprend que ces deux gouvernements aient voulu sauvegarder
les intérêts des conjoints et des enfants en ne tolérant le mariage religieux
que s’il entraînait les conséquences civiles tellement désirables. Toutefois,
certains y voyaient une limitation du ministère sacerdotal et donc de la
liberté des cultes. Plus que cela, il n’y a pas à douter qu’il y eut dans ces décisions
gouvernementales une volonté de concurrencer, si l’on peut dire, le mariage
religieux en donnant aux unions contractées en dehors de l’Eglise un statut
légal qui les distinguât du concubinage.
Toujours est-il que le
Gouvernement provisoire décréta le 16 octobre « que les lois générales et
particulières entravant le libre exercice d’un culte quelconque et
assujettissant ceux qui l’exercent à des formalités qui froissent les
consciences et gênent les manifestations de la foi professée, sont abrogées. »
Deux jours après, Van der Linden, secrétaire du Gouvernement provisoire,
envoyait une circulaire déclarant aux évêques, (page 19) en suite de cet arrêté: « tout prêtre catholique peut
donner ou refuser la bénédiction nuptiale aux citoyens mariés ou non mariés
devant la loi. »
L’évêque de Gand
manifesta son contentement: « J’ai l’honneur de vous accuser réception de la
missive par laquelle vous m’annoncez l’arrêté du 16 de ce mois, arrêté qui
rompt nos chaînes et nous débarrasse des entraves mises à l’exercice de la
religion de la presque totalité des habitants de
« Le point spécial
et relatif au mariage dont vous m’avez entretenu a été également bien
accueilli. Nous saurons en user sans exposer les fidèles aux maux que des
unions non reconnues devant la loi civile pourraient attirer sur eux, ainsi que
sur les fruits de leur union. Des mesures sont déjà prises pour prévenir ce
malheur et le clergé continuera de prouver qu’il comprend sa mission et qu’il
ne demande la liberté aujourd’hui que pour répandre chez les peuples les
bienfaits de la religion. »
De fait, une circulaire
du prince de Méan demandait aux curés de n’admettre
les fiancés au mariage qu’au sortir de la cérémonie civile. Sans doute,
l’archevêque semblait rétablir ce que le Gouvernement provisoire avait aboli,
mais c’était librement. Et cette disposition, tout eu marquant que l’épiscopat
comprenait les nécessités du mariage civil et son antériorité affirme la
volonté de ne pas ignorer le pouvoir civil, mais souligne en même temps la
séparation nette de l’Église et de l’Etat.
4. Les exemptions
ecclésiastiques
Une même entente se
remarque en une autre occasion. Il s’agit du service de la garde civile. Le
décret du 31 octobre exemptait les ministres du culte. Le fait que ces derniers
se trouvent placés dans le texte du décret après la catégorie (page20) des impotents et des fous ne doit pas
émouvoir ! D’autre part, l’on aurait tort de voir dans cette disposition du
gouvernement provisoire comme un privilège issu de l’ancien régime ou comme un
souci de ne pas alarmer l’opinion catholique qui aurait, à ce moment-là, réagi
douloureusement en voyant « les curés à la caserne ». Il n’y a pas là une
prérogative, mais la reconnaissance d’une fonction sociale indispensable
remplie par le clergé. Dans un rapport, de Brouckère est explicite : « Les
exemptions, dit-il, ne comprennent que ceux dont le ministère sacré est de tous
les instants et ceux dont le service ne peut souffrir d’interruption sans
préjudice pour l’Etat ». Il s’agissait dans ce dernier cas des professeurs, par
exemple. En somme, si le clergé est exempté c’est parce que son devoir civique
le retient ailleurs. C’est bien ainsi que l’avait compris le vicaire
capitulaire Sterckx, lequel, plusieurs années plus
tard, se demandait si les religieux, même prêtres,
pouvaient jouir de cette exemption puisque, aux yeux de l’État, ils ne
semblaient pas remplir une fonction sociale.
Un fait confirme que, en
cette matière, la bienveillance du Gouvernement provisoire était réelle.
Lorsque, le 13 novembre 1830, un nouveau décret précisa l’organisation de la
garde civique et fixa une nouvelle fois les exemptions, l’archevêque de Malines
écrivit au Gouvernement pour demander si les étudiants en théologie jouissaient
de la même exemption et il ajoutait : « Ce serait désirable ». Il ne reçut pas
de réponse, mais lorsque, le 10 décembre, Rogier présenta au Congrès national
le projet de la loi sur la milice, il plaçait ses étudiants au nombre des
exemptés. Comme le vicaire général Sterckx le
remarquait, « cette disposition était l’effet de la lettre du prince de Méan ». Très en contact avec le gouvernement
provisoire, dont « il connaissait tous les messieurs », comme il
l’écrivait, Sterckx apporte ainsi un témoignage
certain de cette compréhension mutuelle de l’Église et de l’État.
5. L’incident de Coolscamp
C’est une même attitude
qui se découvre dans une difficulté surgie à propos d’enseignement. L’abbé Descamp, curé de Coolscamp, avait
fait un sermon contre les écoles établies par l’État. Il refusait à
l’administration civile le droit de construire un local pour une école, il
défendait en tous cas à ses paroissiens d’y envoyer leurs enfants, sous peine
d’être privés des secours de la religion, il prétendait qu’aucune école ne
pouvait être établie sinon celle sur laquelle l’autorité spirituelle exercerait
sa surveillance.
Je n’ai pas à rencontrer
pour le moment les prétentions du curé de Coolscamp ;
je le ferai plus tard, en soulignant l’état d’esprit dont elles sont la
manifestation. Je retiens que le gouvernement, alerté par le bourgmestre, se
plaint à l’archevêque et regrette cette intervention et, dit-il, « puisque le
gouvernement marche dans une voie large et franche de liberté, il serait
déplorable que des excès vinssent confirmer l’opinion de ceux qui ont repoussé
cette marche et la réprouvent toujours. Il serait déplorable encore que le
magistrat fût obligé de sévir contre les ministres du culte ».
Qu’est-ce à dire sinon
que le gouvernement, tout en affichant une politique de modération et de
compréhension, veut se situer entre les farouches partisans d’une liberté
absolue et les tenants de la suprématie de l’État ; qu’est-ce à dire sinon que,
dans une affaire épineuse, le Gouvernement provisoire veut s’entendre avec le
chef de l’Eglise et l’employer pour qu’il use de son prestige et de son
influence. Il n’est pas inutile d’ailleurs de faire remarquer que le
Gouvernement s’adresse au primat de Belgique et non à l’évêque du délinquant.
N’est-ce pas une preuve de la particulière considération que l’on porte à de Méan?
Celui-ci répondit avec mesure;
il convie le gouvernement de s’adresser à l’évêque de Gand, il conseille de ne
pas demander le déplacement du curé, ce qui aurait fait mauvaise impression et
il termine répondant avec sérénité à la menace à peine cachée: « Je déplore
comme vous que des excès semblables (page
22) aient lieu mais ce serait bien injustement que l’on s’en prévaudrait
pour désapprouver que le gouvernement marche dans la voie large et franche de
la liberté qu’il s’est tracée, puisque ces excès sont toujours inséparables d’un
changement tel que celui que nous avons éprouvé et que tout fait espérer que,
cette première effervescence passée, ils ne se renouvelleront plus. »
C’était une leçon de
sagesse, le conseil d’un ancien à ces hommes ardents de la révolution, c’était
aussi un hommage au gouvernement provisoire qui, de l’aveu du primat, marchait
donc réellement dans la voie large et franche de la liberté.
6. L’accord tacite entre le
Gouvernement Provisoire et le clergé
Le Gouvernement
provisoire considérait l’Eglise comme une force et une aide possible. Aussi,
n’hésite-t-il pas à faire appel à elle.
Le 7 novembre 1830,
Paissant, administrateur de la sûreté publique, écrit dans ce sens au prince de
Méan. Les circonstances sont particulières. Dans le
mouvement patriotique qui a fait suite aux journées révolutionnaires, il y a eu
des excès. Certains dans leur opposition aveugle aux orangistes, d’autres dans
un but de déprédation et de pillage ont saccagé des champs, des usines. Le
gouvernement croit devoir réagir. C’est ce qui amène la lettre suggestive
suivante: « Au milieu des troubles qui ont affligé les Flandres, j’ai invoqué
l’assistance des membres du saint ministère pour calmer les passions. Un
semblable appel ne pouvait être vain et les heureux effets que promettent les mesures
qu’a bien voulu prendre Mgr l’évêque de Gand ont engagé le Gouvernement
provisoire à m’enjoindre de m’adresser en son nom à Votre Altesse Celcissime pour la prier d’inviter MM. les curés de son
diocèse de seconder les efforts des autorités civiles pour le maintien de
l’ordre et de la sûreté publique. Ce n’est pas auprès de vous, Monseigneur,
qu’une semblable demande doive être appuyée. Si la liberté repose sur la large
base qui protège sans distinction les personnes et les propriétés, aucune voix
ne peut mieux faire fructifier ces principes que celle des ministres des saints
autels, dont la mission empreinte de cette divine charité qui (page 23) appelle sur la société entière
le bien-être que nous désirons pour nous-mêmes est toute bienfaisante et conservatrice.
Qu’il me soit permis cependant, Monseigneur, de vous représenter que dans les
circonstances actuelles, l’appui que j’ose réclamer est d’autant plus
nécessaire que la majorité des individus complices des excès qui ont effrayés (sic)
plusieurs provinces ont été séduits par des instigateurs, qui les
poussaient dans une voie où rien ne les retenait plus et que, en règle
générale, ils sont bien plus égarés que coupables. Le plus grand nombre d’entre
eux n’aurait ni détruit les manufactures ni pillé les grains, ni dévasté les
forêts si on eût pu leur faire sentir qu’ils anéantissaient en même temps
l’industrie et la source de leur travail, qu’ils fesaient
(sic) déserter les marchés et hausser le prix des denrées et qu’enfin
les bois dans lesquels ils croient exercer des repraisailles
(sic) sur le domaine d’un roi qui les a pressurés, sont des propriétés
particulières. Ces vérités mises à leur portée par des voix qui ont mérité leur
confiance et qu’ils écoutent avec respect seraient sans doute plus puissantes
que les moyens de rigueur et la force des armes »
L’importance de cette
lettre est réelle. C’est un appel à cette Église dont l’État est séparé, à
laquelle on ne veut pas reconnaître d’autorité civile, mais dont on admet le
prestige, (page 24), l’influence,
l’intervention, j’allais dire la nécessité. La séparation est une attitude
politique, ce n’est pas dans la pensée des contemporains, du moins
nécessairement, une volonté antireligieuse. De plus, qu’on veuille le
remarquer, le Gouvernement provisoire reconnaît que l’usage de la liberté a
besoin d’un frein, exige une éducation morale avertie sous peine de devenir de
la licence, et que les lois sont en cela insuffisantes et fragiles. Quid leges sine moribus?
D’ailleurs de Méan avait prévenu cette demande du Gouvernement
provisoire, il avait composé une pastorale d’apaisement; elle était datée du 27
octobre, mais n’avait pas encore pu être lue au moment où Paissant écrivait à
l’archevêque. Celui-ci l’envoya à l’administrateur de
C. Au congrès national
1. Les prêtres du Congrès
Tandis que le
gouvernement provisoire s’évertue de rester fidèle à la pratique la plus
intégrale de la liberté, au Congrès national la différence s’établit entre
libéraux et catholiques. Elle devait s’inscrire dans notre charte fondamentale.
Le Congrès national
comprenait treize prêtres ; cette présence demande une explication.
Le clergé avait été très
proche du peuple lors des pétitionnements, il avait, surtout en Flandre, d’où
les députés ecclésiastiques furent les plus nombreux, une influence
considérable sur la population. Lors des élections pour former
Cette intrusion du clergé
sur le terrain de la politique était (page
25) la suite d’une vieille accoutumance. Antonucci
l’expliqua dans une longue lettre alors qu’il voulut dissiper les craintes que
le Saint-Siège avait formulées â propos de l’intervention du clergé belge dans
l’opposition, même révolutionnaire, au roi Guillaume. Ce diplomate romain qui
était le secrétaire de Capaccini et qui remplaçait ce
dernier parti pour Londres, justifia l’intervention du clergé en insistant sur
le fait qu’en Belgique la lutte politique était en définitive une lutte
religieuse et que la participation à la politique était pour le clergé belge le
moyen le plus efficace, sinon unique, d’assurer le maintien et la vitalité de
la religion.
C’est dans cet esprit que
le clergé participa au Congrès, mais il se plaça en majorité parmi la fraction
démocrate de l’assemblée, c’est-à-dire du côté des jusqu’auboutistes
de la liberté. C’est sur les lèvres des ecclésiastiques et dans leurs votes que
se recueillirent les affirmations les plus enthousiastes et aussi
désintéressées en faveur de la liberté en tout et pour tous. Mais en cela aussi
ils défendaient leur culte. Au sortir de la période hollandaise et dans le
souvenir du régime français, ils croyaient que la liberté était le palladium de
la religion catholique.
Toutefois, étrange
conséquence, leur présence au Congrès, par suite de leur tendance démocratique
et du mécontentement qu’ils suscitèrent parmi les conservateurs catholiques et
en particulier chez les membres de la noblesse, infirma la cohésion catholique
et favorisa le progrès libéral. Un observateur ecclésiastique, lui-même membre
du Congrès mais que l’âge plaçait parmi les conservateurs écrivait: « Il eut
mieux valu qu’il n’y eut pas de prêtres au Congrès, leur manière de voter fait
bien du mal à notre cause. »
2. La montée de
l’antagonisme
C’est que, en fait, au
Congrès national une division se fit rapidement jour. Divers contemporains
l’ont fait connaître. Je puis verser au dossier le témoignage d’un
congressiste, le chanoine Boucqueau de
Il se lamentait, le 16
décembre 1830: « Il est pénible de s’avouer â soi-même que plus nous avançons,
plus il se manifeste des mauvaises dispositions, des dispositions hostiles même
pour tout ce qui a rapport avec les affaires religieuses chez un grand nombre
de membres de l’assemblée. Je ne sais à quels fâcheux résultats cela conduira.
Presque tous ceux qui tiennent la plume pour les rédactions des rapports et
projets nous sont très défavorables. » Il ajoutait : « Ceux des membres qui
nous seraient naturellement favorables, savoir des hommes de l’ancienne
noblesse, s’aliènent de ce qui peut être avantageux au clergé, parce qu’ils
voient des hommes du clergé qui sont du Congrès voter pour les partis les plus
démocratiques et pour tout ce qui peut plaire aux libéraux qui cependant n’ont
aucune bonne volonté pour le clergé et qui ne les soutiendront nullement,
tandis qu’ils votent, les membres du clergé, contre les vues de la noblesse,
comme par exemple en votant contre le sénat... Je ne comprends que ces
messieurs ne voient pas où cela les conduit. Les
nobles les abandonneront à leur tour lorsqu’il s’agira des articles essentiels
à nos affaires religieuses et c’est ce que les nobles ont annoncé positivement
»
C’est donc au début de
décembre que, dans les cercles favorables au clergé, la conviction se forme que
les libéraux, sont de plus en plus opposés aux revendications catholiques.
« Il a été arrêté,
écrit Boucqueau, que l’on commencera lundi (page 27) prochain, après demain (c’était le 20 décembre), à 1
heure, la discussion du titre II du projet de
Constitution… et c’est dans ce titre que sont nos principales questions, je
veux dire celles relatives au culte etc.., aussi il
faut nous préparer pour lundi à un vif combat. »
3. « Considérations sur
la liberté religieuse »
Les milieux malinois et
liégeois avaient constaté cette opposition de plus en plus marquée entre
catholiques et libéraux. Rome elle-même en avait été avertie. On n’en attendait
rien que de défavorable. Si l’on s’entendait difficilement au moment encore tout
proche de l’enthousiasme révolutionnaire, il y avait à craindre dans la suite
une discordance plus véhémente. L’on crut donc dans les curies épiscopales
qu’il était d’autant plus opportun d’obtenir un texte constitutionnel propre à
garantir les droits religieux.
C’est à ce moment là que
commence à se dessiner chez les catholiques la tendance, malgré la séparation
entre l’Église et l’État, de glisser dans
Un projet de constitution
fut remis aux congressistes à la séance d’entrée le 10 novembre 1830. Mais
précisément durant les premiers jours de ce mois une brochure sous couverture
verte circulait entre les mains des députés tant libéraux que catholiques. Elle
était intitulée : Considérations sur la liberté religieuse. Éditée à
Louvain en novembre 1830, elle ne portait pas de nom d’auteur sinon les mots «
par un unioniste », ce
qui était cependant l’affirmation d’un principe.
J’avais attribué la
paternité de ces pages à de Ram, pour lors archiviste à l’archevêché. Mgr
Simenon voudrait que Van Bommel en fût l’auteur. Une
lettre postérieure du recteur de Ram - elle date de 1862 apporte les précisions
suivantes: « Après de longues recherches, j’ai enfin trouvé un exemplaire de la
brochure politico-religieuse de 1830 dont il a été question lorsque
dernièrement j’ai eu l’honneur de voir Votre Éminence. Les notes dont je me
suis servi pour la rédaction de cet écrit que je viens d’envoyer sous bande
m’avaient été fournies par Mgr Van Bommel et parmi
ces notes il y en (page 28) avait de
la main de Votre Éminence ». En somme, cette brochure est un écho de cette
École de Malines dont j’ai parlé plus haut, mais un écho quelque peu modifié par
les bruits des querelles qui divisaient les congressistes.
L’œuvre du Congrès,
disait de Ram, risque d’être brisée par les partis, soit que ceux-ci obtiennent
la rédaction d’une mauvaise Constitution, soit que, plus tard,
Or, poursuit de Ram, pour
avoir la faveur du clergé, l’on doit « ne pas se contenter d’écrire la liberté
religieuse dans le pacte fondamental, mais l’y munir de toutes les garanties
qui lui sont propres. »
Aussi, reprenant le
projet de
L’on ne peut qu’admirer
la clairvoyance des auteurs de la brochure. Ce sont, en effet, ces questions et
surtout celle de la dotation des associations, qui allaient envenimer les
rapports entre l’Église et l’État Belge durant plus de cinquante ans.
En possession de cette
brochure, les congressistes en discutèrent, ce qui amena quelques modifications
au projet de
4. La lettre du prince de Méan, archevêque de Malines
L’on en était donc â la
mi-décembre. Dans quelques jours, on allait discuter le texte constitutionnel.
C’est alors que se plaça une intervention presque solennelle de l’archevêque de
Malines. Le 15 décembre, il envoyait une lettre que l’on peut appeler la charte
catholique des libertés de
Cette lettre à la
publication de laquelle l’archevêque avait été sollicité par plusieurs hommes
politiques catholiques était elle aussi une œuvre de collaboration. Van
Crombrugghe, Van Bommel et Sterckx,
de Ram sans doute, y avaient beaucoup aidé. On en a attribué la paternité
exclusive à Sterckx, d’autres à Van Bommel, d’autres encore à de Ram. Il est difficile de fixer
pour le moment une réponse définitive. Il me paraît bien qu’une nouvelle fois
nous nous trouvons devant un manifeste de l’École de Malines dont l’âme
intellectuelle était Van Bommel, dont l’initiateur
était de Méan et dans laquelle de Ram intervenait
avec son talent particulier de publiciste et Sterckx
avec son bon sens et sa modération.
Ce dernier, en tout cas,
suivit la chose de près. C’est lui qui fut chargé de faire admettre par le
prince la minute rédigée de commun accord. Et l’on connaît trop l’influence du
vicaire général dont on disait à Rome que pratiquement c’est lui qui dirigeait
le diocèse durant les dernières années (page
30) de l’archevêque de Méan, pour ne pas
pouvoir lui attribuer une grande part de responsabilité dans cet acte de
l’archevêque.
Quoi qu’il en soit, par
cette lettre, l’école de Malines adaptait son enseignement à la réalité politique
de 1830, mais elle restait fidèle à son principe essentiel : l’accord entre
l’Église et l’État grâce à la liberté des cultes.
Cette lettre rencontra
l’adhésion des personnalités politiques catholiques. Sterckx
avait eu à Bruxelles diverses conversations à ce sujet. C’est à la suite de
cela que dc Méan l’avait
lancée, mais au lieu de la publier au nom de tout l’épiscopat, comme il l’avait
primitivement voulu, il s’était engagé tout seul, par suite de l’urgence et
aussi parce que, disait-il, « les députés ... partageaient tous l’avis que la
démarche ne fût faite que par moi » Ils craignaient sans doute que l’épiscopat
ne se présentât comme un corps constitué, ce qui précisément allait à
l’encontre de la pensée libérale. Mais, que le primat fût convié à faire cette
démarche prouve que l’on accordait encore un grand crédit à l’Église.
D’ailleurs, de Méan jouissait, comme tous les
citoyens, du droit de pétition.
On remarqua cependant un
certain embarras parmi les congressistes catholiques lorsqu’il s’agit
d’introduire cette lettre au Congrès. Boucqueau écrit : « J’ai reçu la lettre
que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire et la lettre et le paquet destiné à
être remis en main d’un haut personnage. Je me suis empressé, suivant
vos instructions, de me rendre chez le baron de S. (de Sécus) pour conférer sur
la meilleure marche â suivre pour remplir les vues de S. A. C. et le but
qu’elle se propose... On a trouvé qu’aujourd’hui l’assemblée était entièrement
absorbée par la grande et importante question du sénat, il ne convenait pas de
l’interrompre par la remise d’une lettre qui traite d’objets très essentiels
mais tout-à-fait différents du sénat de telle sorte que M. de S. a organisé une
nouvelle réunion pour le 15 décembre chez lui pour délibérer sur ce qu’il y
avait de mieux à faire. Cette réunion a réellement eu lieu et MM. de Gerlache,
Raikem, les deux de Sécus, M. d’Hoogvorst (page 31) et moi s’y sont trouvés et il
a été convenu après discussion que j’irais le lendemain matin faire à Monsieur
le Président une visite chez lui avant la séance à l’effet de remettre la
lettre de S. A., et c’est ce que j’ai fait ce matin vers 9 heures. Il a très
bien accueilli cette communication et a promis d’en faire part à l’assemblée
mais en se réservant de choisir le moment convenable, mais pas aujourd’hui (le
16 décembre). Je lui ai suggéré l’idée qu’il voulût bien s’entendre avec le
vice-président de l’assemblée qui est M. de Gerlache, pour la présentation de
cette lettre au moment le plus propre, ce qu’il a promis de faire ».
Deux jours après,
Boucqueau pouvait écrire : « Monsieur le Président a annoncé à l’assemblée
qu’il avait reçu une lettre de S. A. le prince de Méan,
une lettre dont il a demandé de donner lecture au Congrès National, ce qui a eu
lieu et après cela il a proposé de faire distribuer à tous les membres un
exemplaire imprimé de la lettre de S. A. au Congrès. Ce qui n été adopté. La
lecture de cette lettre a produit bon effet et on a rendu publiquement hommage
aux intentions de S. A. et au style extrêmement modéré dans lequel elle était
rédigée. Le fonds même de ses idées e de ses propositions a fait une bonne et
favorable impression sur nombre de membres du Congrès et je crois que S. A.
peut s’applaudir de la démarche qu’elle a faite en l’écrivant. Mais
malheureusement, il reste vrai, et nous avons acquis depuis quelques jours une
fâcheuse conviction à cet égard, c’est qu’il y a un grand nombre de membres du
Congrès qui sont dans des dispositions défavorables par rapport à tout
ce qui a trait à
Cette missive commence
par un reproche: « Les divers projets de Constitution qui ont été publiés
jusqu’à ce jour sont loin d’avoir suffisamment assuré cette liberté de
Comme on le remarque ce
sont les craintes que de Ram soulignait dans les Considérations. L’archevêque
désire des garanties et il réclame en faveur des catholiques « la bienveillance
et la protection » de l’assemblée.
Il précise ensuite « les
stipulations qui doivent être consignées ». Ce sont: « que l’exercice public du
culte catholique ne pourra jamais être empêché ou restreint.., que toute intervention
de l’autorité dans les affaires des cultes est interdite, qu’ils peuvent
établir leurs ministres et se régir avec une entière indépendance.., que
La lettre se terminait
par un discret rappel d’un des motifs les plus clairs de l’opposition à
Guillaume. « Vous aurez la satisfaction d’avoir rempli le principal mandat
qu’ils [les concitoyens] vous ont confié, parce que vous aurez consolidé la
liberté à laquelle ils attachent le plus de prix, celle de pouvoir librement
pratiquer la religion de leurs ancêtres. »
5. Les débats autour de la
question de l’antériorité du mariage religieux
Boucqueau de
Le Gouvernement
provisoire avait, du moins dans la pratique, laissé tomber l’antériorité. Le
Congrès allait revenir sur cette décision.
Sans doute, comme de Ram
lui-même l’avait souligné dans ses Considérations, une entente sur cette
matière, et eu égard aux intérêts naturels et sociaux en jeu, était nécessaire
entre les puissances spirituelle et temporelle. Il avait écrit en toute
franchise: « Il est donc impossible de s’inscrire en faux contre les
inconvénients excessivement graves qu’il y a, soit à enchaîner, soit à
affranchir le mariage religieux considéré dans son entière séparation d’avec
l’ordre civil, et ceux-là les apprécieront le mieux que leur fonction sociale a
mis en mesure de les voir en détail et de plus près. De là, il suit une
conséquence pratique de la plus haute importance. C’est le devoir rigoureux qui
incombe et aux ministres du culte et aux législateurs civils, de multiplier,
chacun dans le cercle de leurs attributions, les mesures et les précautions
nécessaires pour parer autant que possible aux inconvénients sans nuire ni à la
liberté religieuse ni à la liberté civile. »
Le 22 décembre, l’article
12 du projet de
Cette dernière formule
était une heureuse conciliation, elle acceptait l’antériorité du mariage civil,
elle respectait la liberté des cultes là où celle-ci paraissait indispensable.
Mais aux yeux de certains, la formule de Le Grelle laissait encore trop de jeu
à la liberté: les abus pouvaient reparaître. Aussi, (page 34) beaucoup voulaient, pour plus de sécurité, assurer
l’antériorité pure et simple du mariage civil.
Devant la somme
considérable d’amendements,. - il y en avait une
douzaine -, on jugea bon de renvoyer le tout, l’article 12 et les amendements,
aux sections, pour mettre de l’ordre dans toutes ces propositions. Le 26, de
Theux rapporteur de la section centrale, affirmait que celle-ci « avait pensé
qu’il ne fallait pas déterminer dans
On aura remarqué les
mots: « aux cérémonies religieuses ». C’était, du moins les libéraux pouvaient
le croire, reconnaître une portée essentielle au mariage civil auquel on ne
faisait qu’ajouter « des cérémonies religieuses » ; de plus, pour les cas
d’exception, on admettait encore l’intervention du pouvoir civil et l’on
exigeait les garanties de l’autorité religieuse.
La question ne paraissant
pas mûre, les catholiques, désireux de créer un mouvement d’opinion, jugèrent
bon de temporiser. Aussi, le 26 décembre, rien ne fut fait. A la lecture du
décret de Le Grelle, de Stassart proposa le renvoi aux sections. Ce (page 35) retard devait être
préjudiciable, pensait Boucqueau de
En tous cas, il est
certain que plusieurs congressistes, soutenus en cela par les membres
ecclésiastiques, espéraient former, avec le temps, une majorité opposée à
l’antériorité du mariage civil. L’archevêque de Malines avait été alerté « pour
employer tous les moyens qui sont en son pouvoir afin de maintenir la libre administration
du mariage ». Le vicaire général Sterckx agissait
auprès de Boucqueau et de Van Crombrugghe « pour montrer, disait de Méan, l’inconséquence dans laquelle tomberait le Congrès,
si après avoir décrété que les cultes sont libres et que leur exercice public
ne peut jamais être empêché ou restreint, il venait à mettre une entrave â
l’administration d’un sacrement ». L’archevêque essayait de convaincre
le Baron de Stockem, Boucqueau et Olislaeger
qui étaient venus le trouver.
Le vicaire général Sterckx projetait, sous l’impulsion de l’archevêque, d’en
venir parler â Bruxelles à quelques congressistes. Même, l’archevêque était sur
le point de faire une nouvelle démarche personnelle auprès du Congrès.
Boucqueau le déconseillait; le moment était, d’après lui, mal choisi. Mais il
approuvait que Sterckx vînt à Bruxelles: « Je reviens
â votre demande si un voyage de votre part pour parler à divers membres â
l’effet du maintien du dit article 12 serait convenable. A quoi je réponds que
cette démarche ne peut faire que du bien, que je n’ai vu personne qui &ait
témoigné respect et confiance à ce que vous avez dit, lorsque vous êtes (page 36) venu les autres fois.
L’essentiel est de venir au bon moment... à celui de la discussion... mais
personne ne peut dire quand ce sera, surtout avec un président aussi peu sûr et
qui a une partialité insupportable en faveur de nos adversaires. »
La discussion reprit
l’avant-veille de la clôture, le cinq février. On était pressé d’en finir.
L’opinion libérale s’était plus ou moins détachée des catholiques et
l’intervention épiscopale n’était pas parvenue à persuader ceux-ci.
C’est Forgeur qui emporta
le morceau. Il proposa un amendement additionnel qui reprenait et le décret de
Le Grelle et la suggestion de faire appel à une loi future: « Le mariage civil
devra toujours précéder la bénédiction nuptiale sauf les exceptions à établir
par la loi. » Celle-ci confirmerait la pleine et entière liberté
des cultes, c’était là une concession. Mais comment les congressistes
catholiques n’ont-ils pas vu que le texte de la disposition additionnelle, sans
le dire ouvertement, tranchait la fameuse querelle entre le mariage-contrat
et le mariage-sacrement, puisque Forgeur fait la
distinction entre mariage civil et bénédiction nuptiale? Sans doute, la hâte de
terminer
Mais un petit incident
mérite l’attention. Voilà qu’en fin de discussion, Destouvelles demande
d’abroger le décret du 16 octobre qui, d’après l’interprétation de Van der
Linden, supprimait l’antériorité du mariage civil. Depuis quelques temps les
libéraux militaient en faveur de cette abrogation. Ils le voulaient, dit
François Dubus, sous le prétexte que la liberté des spectacles y était trop
grande et qu’elle engendrerait la licence, mais en fait c’était pour s’assurer
le mieux possible l’antériorité du mariage civil. Si l’amendement de Forgeur
n’avait pas été admis, la suppression du décret donnait gain de cause aux
libéraux.
Cependant, comme les
catholiques ont cédé, l’on peut (page 37)
difficilement admettre que
Rien ne prouve aussi
clairement l’adhésion des catholiques sur le point du mariage que les
déclarations faites, quelques semaines plus tard, par le vicaire capitulaire Sterckx.
« Les catholiques du
Congrès ont fait tous les efforts possibles pour maintenir la liberté du
mariage, que le Gouvernement provisoire avait accordée... Quelques uns n’ont
pas voulu de cet article, mais d’autres ont cru devoir céder à cause des
inconvénients qui résulteraient de la liberté du mariage. Ils ont pensé que les
mesures déjà prises par les évêques et celles qu’ils pourraient encore prendre
dans la suite pour empêcher l’omission des formalités civiles seraient
insuffisantes et qu’ainsi la loi civile devait leur apporter son appui.
Puisque cette restriction
est apportée, essayons de la justifier. Il est certain que les époux sont
obligés en conscience de remplir les formalités civiles du mariage, puisque
sans cela ils négligeraient en matière grave leurs intérêts mutuels et ceux de
leurs enfants et qu’ils occasionneraient des procès, des injustices et des
dissensions dans leur famille. Par une conséquence naturelle, les curés ne
peuvent admettre au saint sacrement du mariage les époux qui négligeraient de
remplir ces formalités, sinon dans des cas exceptionnels... Si on leur laissait
la liberté de remplir ce devoir après qu’ils auront contracté mariage devant le
curé, un grand nombre, les pauvres surtout, le
négligeraient. C’est pour ce motif que, lorsque le Gouvernement Provisoire a
accordé la liberté pleine et entière du mariage, feu l’archevêque de Malines,
et (page 38) à son exemple les
autres évêques ont ordonné que les curés continuassent â exiger qu’au préalable
les époux remplissent les formalités civiles sauf lorsque le salut des âmes s’y
opposait.
« Or, c’est cette
disposition que le congrès a consacrée... La loi déterminera les cas
extraordinaires et elle doit incessamment le faire de manière que la liberté du
culte catholique (article 14) soit sauvegardée. On a d’autant plus d’espoir
d’obtenir ce résultat que tout porte à croire que nous aurons des chambres très
catholiques. S’il en était autrement, encore ne pourrait-on l’imputer à
6. L’accord dans la
pratique : le Te Deum en l’honneur de l’inauguration du roi Léopold
Et, tandis que, presque
sans se l’avouer, les partis se formaient et prenaient position au Congrès
national, le Gouvernement s’évertuait d’appliquer
Le vicaire capitulaire
alla trouver Surlet de Chockier. Celui-ci le reçut
aimablement et, à une question posée par le chanoine Sterckx,
le Régent étendit la main, prit le texte de
(page
39) Jottrand avait
dit au Congrès National: « Tout point de contact entre l’autorité civile
et religieuse doit être scrupuleusement écarté de nos lois. » C’est bien cela
que le Gouvernement Provisoire avait voulu, c’est à cette conduite que l’on
s’attachait sincèrement.
Toutefois, en dehors de
la loi, il y a la pratique. Un incident très suggestif va montrer le Congrès
national et le Gouvernement s’évertuer de rencontrer l’Église. C’est l’affaire
du Te Deum d’inauguration du Roi Léopold. Je laisse parler Boucqueau de
« Je m’empresse de
remplir ma promesse en vous rendant compte de ce qui regarde le Te Deuin. Arrivé au Congrès aujourd’hui à 1 heure, il se
trouve que nous ne sommes qu’à cent présents, de sorte qu’il reste à attendre
jusqu’à trois heures. Nous sommes obligés de nous reposer sans rien arrêter.
Mais, lorsque je suis entré dans la salle, les messieurs qui sont membres de la
commission chargée de régler ce qui concerne l’entrée et l’inauguration du Roi,
sont venus à moi et ils ont même commencé à me parler du Te Deum en
commençant toutefois par me dire qu’on devait absolument rester dans les termes
et les principes de
« Ces messieurs m’ont dit: Nous ne
doutons pas que le Roi ne vienne et ne trouve bon de venir au Te Deum, cependant
comme on ne lui en a pas encore parlé, on ne peut absolument l’affirmer; mais
ce sera la première chose qu’ils se proposent de lui demander, lorsqu’il
arrivera mardi.
« Mais, si, même
contre toute apparence, il ne voulait pas y venir, le roi, un Te Deum n’en
aurait pas moins lieu vendredi à 11 heures. Ces messieurs ont témoigné qu’on
désirerait extrêmement que ce fût un évêque qui voulût bien faire le Te Deum
et ils ont ajouté que si ce pouvait être, par exemple l’évêque de Tournay,
ce serait mieux, parce qu’il a si bonne mine, et qu’il a une voix si bonne,
quoique les autres monseigneurs les évêques
conviendraient parfaitement aussi... J’ai dit à ces messieurs que vous aviez
aussi pensé à un évêque. Si le Roi consent, mardi, comme il est à croire, à
venir au Te Deum le vendredi à Sainte-Gudule,
ces messieurs feront élever un dais et trône pour le Roi à la droite du grand
autel (côté de l’évangile) et un autre dais à gauche de l’autel (pour Mgr
l’évêque), c’est-à-dire à l’endroit où les prêtres s’assoyent pour le Gloria
et le Credo.
« Toutes les autorités y seront
invitées par ces messieurs de la commission et la musique de
D. Le Saint-Siège et
1. L’hostilité papale et
l’influence de Lamennais
Dès les premiers jours de
Rome se contenta
généralement d’accueillir ces nouvelles; elle ne réagissait que pour conseiller
la prudence au clergé. Toutefois il est évident que la révolution belge lui
déplaisait, sans même que les rapports de Paris dussent l’exciter à la
méfiance. Conservateur par tradition, et aussi par principe, désireux
d’épargner à ses États les soulèvements populaires, le Saint-Siège, malgré les
concessions faite à
Grégoire XVI (1831-1846) lui succédait. Le nouveau pape alors qu’il
était encore le cardinal Cappellari avait été chargé
de négocier le concordat de 1827 avec les Pays-Bas. Il connaissait donc notre
pays et il était parvenu à un accord, en fonction du principe de la liberté des
cultes inscrit dans
C’est que le projet de
Constitution avait déplu à Lambruschini. Celui-ci
reprochait tout particulièrement d’admettre la liberté de conscience et d’être
pratiquement « athée, alors que le pays était catholique ». Surtout, il
prétendait y voir le résultat des idées de Lamennais. Ce dernier, théoricien en
France, voyait sa doctrine mise en pratique en Belgique. C’était, aux yeux du
nonce de Paris, un épouvantable danger. Metternich
pensait de même et, durant de nombreuses années, comme en témoignent les
archives du Vatican, dans le fonds de la nonciature de Vienne, il devait agir
sur le nonce de cette ville et sur le Secrétaire d’État romain pour éveiller la
suspicion, la précaution, la réaction du Saint-Siège contre le novateur
français et ses émules. (page 43) La vogue était à Lamennais.
Certains évêques tel Van Bommel, des hommes considérables
comme de Ram étaient franchement de son côté ; et dans les séminaires, les
clercs, durant de longs mois, à Gand, à Liège, à Malines devaient s’acharner à
sa suite. C’est par gros paquets que les articles de l’Avenir étaient
déversés au grand séminaire de Malines pour être distribués aux séminaristes et
être avidement lus. On savait cela à Rome. Bien intentionné, sans doute, un
certain abbé Vrints en avait longuement écrit. Cela
confirmait l’opinion de ceux qui voyaient en Lamennais tout le mal. Et la
conviction se formait, très précise, que
2. La question du serment et
le rôle conciliateur de Sterckx
Au long de ces
inquiétudes,
A ce moment, Rome crut
devoir agir. Capaccini demanda à Sterckx
ce qu’il pensait de
L’on sait combien Rome
appréciait le vicaire capitulaire Sterckx, qui devait
devenir le premier archevêque de
Sterckx composa un véritable plaidoyer en
faveur de
Ce plaidoyer qui devait
convaincre Rome, manque de valeur logique. Je n’ai pas le droit de douter de la
sincérité de Sterckx, En tous cas, il se trompe. Les
documents que j’ai rapportés plus haut affirment que le Gouvernement provisoire
voulait la séparation complète entre l’Eglise et l’État. Les démarches par
lesquelles il s’adresse, de même que le Congrès national, au clergé pour les
services funèbres, pour le Te Deum, pour les exemptions de milice,
témoignent d’une réelle condescendance, mais celle-ci au lieu de prouver, comme
Sterckx le laisse entendre, que
Qu’allait faire le
Saint-Siège? Capaccini ne répondit pas. Sterckx interpréta ce silence comme un acquiescement. En
fin de compte, il eut raison de le faire. Mais au moment où il se croyait déjà
assuré, c’est-à-dire au milieu de l’année 1831, il se trompait: Rome ne consentait
pas, elle se recueillait. L’attention se portait de plus en plus sur Lamennais
et le Souverain pontife préparait la fameuse encyclique Mirari
vos. Laissant de côté
Déjà avant la
promulgation de l’encyclique, l’on s’était inquiété en Belgique au sujet du
serment. Mgr Delplancq, évêque de Tournai
(1829-1834), Mgr Van de Velde, évêque de Gand (1829-1838), ne le jugeaient pas
licite et demandaient l’avis de Sterekx. Dans le
Hainaut, l’autorité civile voulait même imposer cette prestation aux curés. Ce
à quoi Sterckx s’opposait, et le Régent, qu’il allait
trouver, lui donnait raison: les curés ne sont pas des fonctionnaires. Les
ecclésiastiques qui occupaient une fonction civile, tels les directeurs
d’assistance publique, ceux-là, mais à ce dernier titre seulement, étaient
tenus à ce serment.
Rien n’éclaire le débat
comme la réponse que le vicaire capitulaire Sterckx
fit à l’un de ces correspondants: « Si vous jugez en conscience ne pouvoir
faire ce serment, je vous conseille que vous refusiez uniquement pour le motif
que le Congrès national n’a pas visé les curés en imposant ce serment ».
Il ne s’agissait donc pas de repousser le serment en général. Les évêques et
les curés se rangèrent à l’avis modérateur de Sterckx.
3. L’encyclique Mirari vos
Les affaires paraissaient
donc apaisées en Belgique, lorsque Mirari
vos parut. C’était une attaque d’une extrême violence contre les libertés.
Tout, dans ces pages pontificales, était frémissant, les idées et les mots; et
c’était comme une bourrasque qui passait sur les âmes. Les échos en furent
assourdissants en Belgique, malgré la précaution que les évêques prirent de ne
pas publier la lettre pontificale. Ce n’est pas qu’ils n’aient
immédiatement accepté les idées exprimées dans ces pages fulgurantes, et telle
lettre de Van Bommel, évêque de Liège (1829-1852), au
préfet de Congrégation de la (page 47)
propagande atteste la conversion totale de cet esprit menaisien
- mais ils avaient jugé bon de ne pas étendre la publicité de cette encyclique,
au sujet de laquelle ils prévoyaient d’ardentes controverses.
Les ultramontains, qui en
Belgique avaient critiqué
A Bruxelles, aux dires de
François Dubus, l’on parlait d’une espèce de schisme qui allait surgir après la
publication de Mirari vos et le député tournaisien ajoutait: « Il paraît que Nosseigneurs les évêques
s’en sont occupés à leur dernière réunion. » Cependant, l’épiscopat
restait calme. A sa réunion d’octobre, il s’intéressa sans doute aux
répercussions de l’encyclique, mais se décida à permettre le serment, du moins
officieusement, aussi longtemps que Rome n’intervenait pas (page 48) directement. Malgré l’avis de
Van Bommel qui aurait aimé interroger le Saint-Siège,
l’archevêque crut sage de ne pas le faire. Il attendait.
Cependant, les
inquiétudes de Robiano et des catholiques-libéraux,
les exaltations des ultramontains, les espérances orangistes, les
attaques libérales étaient vaines. Mirari
vos n’était pas la condamnation de notre charte fondamentale; je serais
tenté de dire qu’elle était la preuve du contraire.
L’encyclique était écrite
pour tout l’univers chrétien. Si l’Église jugeait que, en Belgique, le fait des
libertés devait être admis, elle crut nécessaire, ne fût-ce que pour soutenir
dans d’autres pays l’action des catholiques non encore acquis aux idées
révolutionnaires, de réaffirmer les principes. Telle est la portée de Mirari vos.
Entre le rapport
favorable de Sterckx et la publication de
l’encyclique, Rome avait, en effet, étudié la question belge.
Un long rapport d’une
séance de
(page 49) On saisit l’importance de cette conclusion. Sterckx tout libéral qu’il fût, tout partisan qu’il se
montrât dans la défense de notre Constitution, est promu archevêque. Pour le
moins, Rome le laissait faire. Il n’échappe à personne que Rome, si prudente,
n’aurait pas agi de la sorte si elle avait voulu condamner
Mais précisément, devant
cette attitude de Sterckx et devant les conséquences
que certains pouvaient tirer du laisser-faire romain, n’était-il pas nécessaire
de rappeler les principes. C’est ce que Mirari
vos entendait faire. Il n’y a pas trace que Sterckx
ait reçu avant d’être promu archevêque quelques recommandations que ce soit.
L’encyclique s’adressant à tous serait le moyen d’éviter toutes
généralisations. En avril 1832, moment où l’on nommait Sterckx,
Home se disposait déjà à lancer l’encyclique qui est du mois d’août de la même
année. Et ainsi, l’on peut conclure que l’encyclique est, au contraire, la
preuve que Rome acceptait le « fait » belge.
4. Les ultramontains
N’empêche que, en Belgique,
plusieurs persistaient à croire que les catholiques ne pouvaient faire le
serment de fidélité. Certains ultramontains ne se faisaient pas faute de le
dire et ils en écrivaient à Rome. C’étaient entre autres les abbés Vrindts et Helsen.
Ce dernier, fixé à
Nivelles, était prêtre de
(page 50) D’autre part, Metternich agissait
sur le Secrétaire d’Etat. Il connaissait les démarches de certains catholiques,
et faisait intercepter leurs lettres. Et pour contrecarrer l’effet que
ces dernières auraient pu avoir, il soulignait l’influence de Lamennais sur
Alertée par les lettres
venues de Belgique, excitée par Metternich, mue par
certains religieux qui, d’après Van Bommel, étaient
les Jésuites (9, Rome, que le cas de Lamennais préoccupait de plus en plus,
s’intéressa une nouvelle fois à
5. Nouvelle enquête
(1833-1834)
A la suite d’une lettre
dénonciatrice - sans doute de Helsen ou de Vrindts - la question constitutionnelle fut remise à
l’étude. Des renseignements furent demandés. Ce qui provoqua un long rapport,
des Annotationes, qui repoussait tous
les chefs d’accusation. Je ne m’attarde pas sur ces (page 51) griefs, ce sont les reproches
habituels: liberté des cultes, de l’enseignement, de la presse, souveraineté de
la nation. Les Annotationes ont dû être
composées sous l’inspiration d’une curie épiscopale de Belgique, Liège ou
Malines. Il ne m’étonnerait pas que le rédacteur en fut de Ram recteur
magnifique de l’université de Louvain, inspiré par Van Bommel
et Sterckx. Ce sont les idées de l’Ecole de Malines
qui y paraissent. Quoi qu’il en soit, ces Annotationes
présentaient les deux thèses, celle des ultramontains, celle des
constitutionnels, et, après un plaidoyer très nuancé, elles concluaient
victorieusement à la licéité du serment.
Il n’est pas sans intérêt
d’indiquer la raison majeure qui engage le rédacteur anonyme à admettre le
serment: « Le remède proposé par N.N. (c’est-à-dire
le refus du serment) est violent et bien qu’il [le dénonciateur] affirme qu’une
persécution ne serait pas la conséquence d’une telle attitude parce que le
gouvernement est encore trop faible, il n’en reste pas moins que tout serait
bouleversé et aucun bon résultat ne pourrait être attendu, étant donnée la
disposition actuelle de l’Europe ». Et, plus loin, repoussant la suggestion
d’ajouter au serment une restriction, comme celle de dire: «exceptés les
articles contraires à la religion catholique », les Annotationes
ajoutent : « Cependant entre les catholiques il y a une grande diversité
qui provient soit de la négligence soit du mépris de la religion, soit d’idées
politiques. Que si, dans de telles circonstances, les évêques imposaient la
restriction aux catholiques, il y aurait une nouvelle source de division entre
les catholiques. Il y aurait matière nouvelle à discussion entre ceux qui
feraient la restriction et ceux qui ne la feraient pas, ce qui aboutirait tout
simplement à ce que beaucoup ne voudraient plus être élus et que pratiquement
toute la gestion des affaires irait aux libéraux, ce qui serait destructif du
bien commun. »
Le motif urgent qui
pousse tous les Belges et les plus nombreux d’entre eux, c’est-à-dire les
catholiques, à se grouper autour de
6. L’encyclique Singulari nos et la position ambiguë de la papauté
Le 25 juin 1834,
l’encyclique Singulari nos paraissait.
C’était pour le Saint-Siège une occasion nouvelle, en réponse aux pressions de Metternich et en condamnant Les paroles d’un croyant, de
donner, s’il l’avait voulu, son avis sur la (page 52) Constitution belge qui, d’après les Annotationes
elles-mêmes, était inspirée par Lamennais.
Et cependant cette
seconde encyclique, qui réprouve une nouvelle fois la « damnable liberté de
conscience qu’on étend à tout », ne fait pas allusion à
On ne peut voir de
contradiction entre les deux attitudes du Saint-Siège, celle qui condamne les
principes, celle qui tolère un fait irrémédiable. Sans doute, aux yeux de Rome,
le régime belge est, à ce moment, un pis aller. Mais y a-t-il autre chose à
faire? C’est ce que Sterckx, Van Bommel,
de Ram, toute l’École de Malines en un mot, pensaient, c’est ce que les Annotationes avaient souligné : « Lorsqu’il
s’agit de juger la collaboration des catholiques qui établissent ou qui
soutiennent une Constitution proclamant les libertés pernicieuses susdites, il
faut distinguer. Autre chose s’il s’agit d’un pays où seule la religion
catholique, à l’exclusion d’autres sectes, est en vigueur, autre chose s’il
s’agit d’un pays où déjà depuis de nombreuses années la religion catholique a
perdu son monopole, où déjà les libertés sont en vigueur, où il n’y a plus
d’espoir de restituer ce monopole de la religion catholique ».
Un texte postérieur
prouve que les catholiques avaient le droit, dès 1831, d’être constitutionnels.
Alors qu’une autre encyclique, Quanta cura, allait remuer l’opinion, en
1864, Antonnelli disait â Carolus, l’envoyé belge
près le Saint-Siège: « Je ne me rends pas compte de ces scrupules (il
s’agissait des inquiétudes renouvelées chez certains catholiques). A mes yeux,
ils ne sont nullement fondés et s’ils l’étaient, il serait vraiment étrange
qu’ils aient mis trente trois ans à se produire. Quant au Saint-Siège, jamais
il n’a eu une parole de blâme pas plus contre la constitution belge que contre
toute autre. L’Église ne se préoccupe nullement de la forme des gouvernements
avec lesquels elle entretient des rapports, témoin la présence à Rome des
représentants des États-Unis, de
Je ne chicanerai pas à
propos de cette « tolérance passive ». L’attitude des évêques belges, et
de Sterckx en particulier, ne fut-elle pas une
tolérance « active » ? Et, n’est-ce pas cela qui fut précisément
en question, lorsque l’on discuta le cas du vicaire capitulaire Sterckx? Tout prouve, en effet, que les évêques de Belgique
ont très rapidement abandonné l’attitude passive pour assurer une collaboration
active à l’oeuvre de leurs coréligionnaires, c’est ce
qui pouvait inquiéter Rome, mais c’est ce qui pouvait sauver
E. CONCLUSIONS
Les événements que j’ai
racontés prouvent l’embarras en lequel se sont trouvés l’Église et l’État mis
en présence dans le système inédit de leur séparation ou plutôt de leur indépendance
réciproque. Il est évident qu’ils ont compté l’un sur l’autre pour assurer
l’ordre intérieur et que si, au lendemain des despotismes plus ou moins
éclairés, ils ont jugé devoir se séparer officiellement - dans les lois, comme
le disait Jottrand - ce ne fut pas dans l’hostilité, mais dans le respect
mutuel.
Les agissements du
Congrès national et du Gouvernement provisoire le démontrent.
D’autre part, il est
évident que l’attitude nettement constitutionnelle des évêques, la
compréhension que Rome manifesta, ne fût-ce que par son silence, ont continué
heureusement l’évolution commencée sous Guillaume par l’École de Malines et
fixée par l’importante lettre de Méan. Celui-ci a
ouvert les voies. Il a établi la transition entre la liberté des cultes
protégés par un gouvernement despotique et la liberté des cultes désormais
indépendants de l’État dans leur constitution, leur administration, leur
prosélytisme. C’est la formule de Méan qui, en
matière de serment, servit d’argument décisif pour que Rome se taise et Sterckx l’a judicieusement employé. En suite de quoi, les
catholiques ne pouvaient pas s’opposer à
L’histoire n’a que faire
d’hypothèses, elle se situe dans les faits; mais, dans un but d’exposition, ne
peut-on, pour souligner l’action favorable des évêques, se demander ce que le
pays serait devenu, â l’intérieur comme devant l’Europe, si les catholiques
retenus par Home et par l’épiscopat, avaient, eux qui étaient la grosse
majorité et qui étaient soumis à l’Église, tourné le dos à l’État belge, encore
incertain? C’était jeter un élément de discorde inutile et dangereux dans une nation
tellement instable et devenue, dès le premier jour, le point de mire de la
moquerie des Grandes Puissances et le sujet de leur scepticisme.
L’indépendance de