Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 avril 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 779) M. Reynaertµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Joly demande que la loi permette l'envoi, par la poste, de livres cartonnés ou reliés. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant abaissement de la taxe des lettres simples.4


« Le sieur Landrien prie la Chambre de s'occuper de sa pétition relative à l'envoi, par la poste, de livres cartonnés, et présente des observations sur la carte-correspondance. »

- Même disposition.


« Des meuniers dans le canton de Ghistelles proposant des mesures pour faire disparaître la coutume dite : Dryven of ketsen. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Marchin prie la Chambre de statuer, avant la fin de la session, sur sa pétition relative aux dépenses des cultes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition rappelée.

M. de Macarµ. - Messieurs, cette pétition a été renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport ; j'ai été chargé du rapport ; il est prêt depuis deux mois et demi. Je suis à la disposition de la Chambre pour le lui présenter ; il n'a pu être discuté plus tôt, parce que M. le ministre de la justice a exprimé le désir que l'on n'interrompe point une première fois la discussion du projet de code de commerce, titre « des Sociétés », une seconde fois celle du projet de code militaire. La question soulevée a une assez grande importance pour la commune de Marchin et même au point de vue des rapports des communes avec les fabriques d'église. Je demande que la Chambre veuille bien mettre cet objet à l'ordre du jour après le projet de loi dont elle s'occupe actuellement.

M. Preud'hommeµ. - J'appuie la proposition de l'honorable M. de Macar ; les habitants de Marchin désirent beaucoup que la Chambre se prononce sur leur pétition avant sa séparation.

- Des membres. - Il n'y a rien d'urgent.

MpMoreauµ. - Cet objet est l'ordre du jour ; il est compris dans les prompts rapports dont la Chambre s’occupera immédiatement après le projet de loi en discussion.


« Les administrations communales et des habitants d'Houffalize, Bovigny, Beho, Mout, Wibrin, Les Tailles, Cherain, demandent que la halle de Courtil-Bovigny du chemin de fer de Spa à la frontière Grand-Ducale, soit convertie en station. »

M. Schmitzµ. - Messieurs, dans la séance du 21 mars, une pétition du même genre a été renvoyée à la commission, avec prière de faire un prompt rapport ; je demanderai que la nouvelle pétition soit jointe à celle-là pour faire l'objet d'un seul et même rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi abolissant les droits sur le sel et le poisson, abaissant la taxe des lettres et augmentation les droits sur les eaux-de-vie

Discussion générale

M. Thonissenµ. - L'honorable ministre des finances a défendu le projet avec son habileté ordinaire ; mais il s'en faut de beaucoup qu'il ait calmé les craintes que j'ai manifestées et les objections que j'ai fait valoir dans une séance précédente.

En ce qui concerne les distilleries agricoles, l'honorable ministre a fait une déclaration qui a sa valeur. Il m'a dit que, si des inconvénients se manifestaient, si le nombre de ces distilleries devenait trop considérable, le gouvernement s’empresserait de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l'équilibre. Mais cette déclaration même prouve que le gouvernement ne s'est pas rendu un compte exact de la situation où les distilleries ordinaires vont se trouver sous le régime de la loi nouvelle. Ces distilleries ne sont pas seulement en présence d'un danger éventuel ; elles sont en face d'un péril certain, d'un dommage inévitable.

M. le ministre des finances disait hier, au début de son discours, qu'il ne voulait pas discuter les principes de la législation existante. Il se contentait. Disait-il, de maintenir une situation particulière qui existe depuis un grand nombre d'années.

L'honorable ministre réduit son rôle à des proportions trop modestes. Il ne maintient pas du tout la situation existante. Il accorde, en réalité, une nouvelle et considérable faveur aux distilleries agricoles. En doublant l'impôt et en maintenant la déduction de 15 p. c., il double leur privilège. Au lieu de 5 fr. 25 c. par hectolitre de genièvre, elles recevront désormais prime de 9 fr. 75 c. C’est là, me semble-t-il, une étrange manière de maintenir la situation existante.

M. le ministre. répondant une autre partie de mon discours, a voulu me prouver que, depuis 1843, les faits étaient venus démontrer l'inanité des craintes conçues par les distillateurs ordinaires.

Cette démonstration n'a pas été heureuse.

L'honorable ministre se trouvait en présence d'une série de vingt-sept années. Et que fait-il ? Base-t-il ses calculs sur les chiffres fournis par toute la série ? En aucune manière. Parmi les vingt-sept années, il en choisit deux qui lui conviennent, et il néglige toutes les autres. En 1843, dit-il, les distilleries agricoles employaient 849,494 hectolitres de matières imposables ; en 1868, elles n'ont employé que 681,274 hectolitres : soit une diminution de 168,220 hectolitres.

Messieurs, avec des statistiques pareilles, on peut faire dire aux chiffres tout ce qu'on veut. Si l'on désire bien établir une situation, il faut nécessairement opérer sur un certain nombre d'années et prendre les moyennes. D'année en année, le chiffre des matières employées varie souvent dans une proportion considérable. Ainsi en 1846, le chiffre est de 601,621 hectolitres ; en 1849, il s'élève à 850,776 hectolitres ; en 1850, il est de 901,442 ; en 1854, il descend à 602,196 hectolitres. Ce n'cst pas de cette manière que j’ai procédé. J'ai basé mes calculs sur toute la série de 1846 à 1870, et c'est ainsi que j'ai prouvé que la quantité de matières employées par les distilleries agricoles, loin d'avoir diminué, a augmenté dans une proportion assez considérable.

Que sera-ce donc quand le privilège accordé aux distilleries sera réellement doublé ? N'est-il pas évident que le nombre des distilleries agricoles et surtout la quantité des matières distillées ne peut manquer de s'accroître dans une forte proportion ?

C’est avec un grand étonnement, je l'avoue, que j'ai entendu l'honorable ministre des finances répéter, lui aussi, la vieille erreur du rendement différent obtenu par ceux qui distillent en grand et par ceux qui distillent (page 780) sur une petite échelle. Que les cuves aient 20 ou 40 hectolitres de capacité, le rendement est absolument le même, quand le distillateur connaît son métier. Je suis autorisé à déclarer qu'on mettra à la disposition de M. le ministre une distillerie agricole des environs de Hasselt, et que là, sous les yeux des agents de l'administration, on prouvera par le fait que le rendement est au moins égal : je dis « au moins » parce que, plus l'établissement est petit, mieux on peut tenir les locaux et les ustensiles dans un parfait état de propreté.

Oui, en fait, je l’ai déjà reconnu dans un précédent discours, beaucoup de distillateurs agricoles n'obtiennent pas le rendement légal. Mais pourquoi ? Uniquement parce qu'ils travaillent mal. Mais faut-il encourager le mauvais travail au détriment du bon, le travail stérile au détriment du travail fructueux ? Que dirait-on d'un gouvernement qui accorderait des primes à la bêche pour soutenir la concurrence avec la charrue, aux navires à voiles pour lutter contre les bateaux à vapeur ?

C'est un argument qu'il faut mettre de côté, de même que celui déduit de la rédaction du nombre des distilleries agricoles.

L'honorable ministre des finances lui-même nous a prouvé, dans son discours d'hier, que, sous le rapport du nombre, la diminution a été plus forte pour les distilleries ordinaires que pour les distilleries dites agricoles.

Depuis 1843, le nombre des distilleries agricoles a diminué de 43 p. c. ; tandis que le nombre des distilleries non agricoles a diminué de 58 p. c.

MfFOµ. - Mais la quantité de produit imposable n'a pas diminué.

M. Thonissenµ. - Je ne m'occupe actuellement que du nombre, et je constate que, sur ce point, nous sommes tout à fait d'accord. Mais que cela prouve ? Cela prouve simplement que, pour les deux catégories de distilleries, on a obéi à un mouvement de concentration en vue de réduire les frais généraux ; voilà tout. Je n'ai pas nié que, dans les distilleries ordinaires, il y a eu une augmentation considérable de fabrication ; mais il ne faut pas oublier, d'autre part, que la mise en macération des matières dans les distilleries agricoles a également augmenté dans une notable proportion. J'ai cité les chiffres dans mon premier discours.

L'honorable ministre a accolé à mon amendement une épithète singulière. II l'a qualifié de téméraire, et, à ce propos, il a parlé de spéculations faites par des distillateurs que je compte parmi mes commettants.

MfFOµ. - Je n'ai rien dit de cela.

M. Thonissenµ. - Alors je vous ai mal compris ; mais, en tout cas, je puis vous donner l'assurance, en ce qui concerne les distillateurs de Hasselt, qu'ils n'ont aucunement spéculé.

Ils ont vendu avec bénéfice le genièvre qu'ils avaient en magasin au jour de la présentation du projet de loi ; mais, depuis lors, ils ont conclu des marchés qui occuperont leurs usines jusqu'à l'époque de la mise en vigueur de la loi nouvelle. Le genièvre fabriqué est vendu au jour le jour.

Ils n'ont pas spéculé, et je ne saurais dès lors compromettre des spéculations qui n'ont pas existé.

Je maintiens donc mon amendement, malgré sa prétendue témérité. Si la Chambre l'adoptait, je n'aurais aucune inquiétude sur le sort qui l'attendrait au Sénat. Cette assemblée est, en effet, trop équitable et trop éclairée pour ne pas voter un amendement raisonnable et juste tous égards.

Si je demandais l'égalité pour toutes les classes de distilleries indistinctement, on pourrait me répondre que je ne suis pas juste, parce que, dans les petites usines, les frais généraux sont proportionnellement beaucoup plus élevés ; mais, en consentant à une réduction de 10 p. c., nonobstant l'élévation du droit d'accise, je crois complètement rétablir l'égalité, si même je ne vais pas au delà.

Quand même la proposition serait adoptée, les distilleries agricoles conserveraient un véritable privilège.

Je mantiens, en effet, qu'il y a privilège ; et, sous ce rapport, j'ai été étonné d'entendre un argument passablement étrange sortir de la bouche d'un homme aussi éminent que l'honorable M. Vermeire ; il a dit, en d'autres termes, que le privilège n'existe pas, parce que 274 établissements en jouissent.

M. Vermeireµ. - Je maintiens qu'il n'y a pas de privilège.

M. Thonissenµ. - Ecartons le mot « privilège ». Au lieu du mot, voyons la chose. Ce sera, si vous le voulez, une faveur exceptionnelle accordée à certains distillateurs.

M. Vermeireµ. - Ce sont des distillateurs agricoles limités dans leur travail.

M. Thonissenµ. - Pardon, M. Vermeire, les distilleries dites ordinaires et principalement celles de Hasselt, sont aussi agricoles que celles des Flandres. Tons les distillateurs que je compte parmi mes commettants engraissent da bétail, tous ont une culture importante, et même la plupart d'entre eux défrichent des bruyères avec la plus grande activité et le plus grand succès.

Or, en vertude la législation existante, on accorde à leurs concurrents une réduction d'impôt de 5 fr. 23 c. par hectolitre, et demain, sous le régime de la loi que nous discutons, on leur accordera une réduction de 9 fr. 75 c.

J'insisterai maintenant un instant sur un sujet que j'ai déjà traité dans mon premier discours ; je veux parler des fraudes qui pourront se pratiquer dans les distilleries qui emploieront les divers produits de la bette ave.

On m'a reproché de traiter de fraudeurs toute une catégorie d'industriels. Jamais cette pensée ne m'est venue. J'ai parlé uniquement des fabricants qui voudraient frauder. N'y a-t-il pas toujours des fraudeurs dans tous les temps et dans toutes les classes, quand la fraude est facile et qu'elle procure un bénéfice élevé ?

C'est précisément cette facilité et ce bénéfice qu'on rencontre dans le cas qui nous occupe.

Quand on distille le jus de betterave, on obtient 8 litres d'eau-de-vie, tandis que, quand on mêle au jus une certaine quantité de mélasse, on obtient 14 litres. C'est une différence de six litres, lesquels, pour l'impôt seul, représentent un bénéfice de 3 fr. 90 c.

On m'a objecté que le mélange serait bien difficile à pratiquer.

Ne perdons pas de vue, messieurs, que les distilleries où l'on utilise les produits de la betterave se trouvent, presque toutes, à la campagne, souvent à une grande distance du lieu où demeurent les commis des accises ; qu'elles ne peuvent être toutes l'objet d'une surveillance de tous les instants. Ajoutez-y qu'il est facile de se procurer de la mélasse, et plus facile encore de la cacher. Songez enfin que, dès l'instant où le mélange a eu lieu, la fraude est consommée, sans qu'on puisse en constater la trace. Le tour est irrévocablement joué, parce qu'il n'y a aucun chimiste qui soit à même de constater la présence d'une quantité anormale de mélasse dans les cuves où le mélange a été opéré.

Croyez-vous, me disait hier l'honorable ministre des finances, croyez- vous que, pour gagner 350 francs, on ira s'exposer à payer une amende de 10,000 francs ?

Et pourquoi pas ? Cela se voit, pour ainsi dire, chaque jour. N'a-t-on pas vu naguère, dans le Hainaut, un baron distillateur avoir une distillerie clandestine, et s'exposer à une amende de 500,000 francs ? Et ici, il s'agissait d'une fraude on ne peut plus difficile à pratiquer. Il s'agissait d'une distillerie clandestine. Il fallait un établissement caché, des ustensiles dérobés à tous les regards ; il fallait des ouvriers capables de garder un secret absolu. Une amende de 500,000 francs était là comme une menace permanente. A-t-on reculé devant une fraude aussi facile à découvrir et à constater ?

Je n'ai pas besoin de vous raconter ce qui s'est passé en cette circonstance, comme dans une foule d'autres.

Il n'est pas nécessaire, messieurs, de vous dire que je ne suis animé d'aucun sentiment d'hostilité à l'égard des distillateurs contre lesquels je demande des mesures préventives ; je ne désire qu'une chose : c'est qu'on oppose des barrières à ceux qui éprouveraient la tentation de frauder.

Comment empêcherez-vous un fraudeur d'avoir de la mélasse chez lui ?

Vous n'avez pas même le droit de venir pratiquer chez lui une visite domiciliaire. Les lois sur la matière n'autorisent les perquisitions que dans les usines et les dépendances des usines. La maison d'habitation n'est ni une usine, ni une dépendance de l'usine ; vous n'avez donc pas le droit d'y venir. (Interruption.)

Soit ; vous prétendez le contraire, vous me citerez le texte qui vous autorise à visiter les habitations, car, pour ma part, je ne le connais pas. D'ailleurs, cette faculté ne vous sauverait pas. On mettrait la mélasse dans la maison du fermier ou dans une habitation voisine ; et quand vos employés se seraient éloignés, on irait prendre la mélasse et on la jetterait dans les cuves. Où sera la difficulté, où sera l'obstacle sérieux ?

J'avais indiqué M. le ministre des finances un moyen facile de parer à cette fraude ; mais il pas répondu ; je voudrais cependant connaître son opinion à son égard.

Je lui ai dit : Faites payer tous les distillateurs de jus de betterave comme s'ils employaient de la mélasse. Quand vous les aurez taxés de la sorte, tous emploieront la mélasse, et il n'y aura plus de fraude possible. J'ai demandé à l'honorable ministre pourquoi ce système si simple ne pourrait pas être appliqué ; il ne m'a pas répondu.

(page 781) MfFOµ. - Ma réponse est que ce serait une injustice.

M. Thonissenµ. - Où serait l'injustice ?

MfFOµ. - Vous voulez présumer et parce qu'il y a présomption vous voulu sévir.

M. Thonissenµ. - Je demande qu'on prenne des précautions contre un danger certain. Supposons que demain vous découvriez que le rendement du jus de betterave ne peut pas être bien constaté. Que feriez-vous ? Vous prendriez toutes les mesures nécessaires pour arriver à le constater avec une certitude entière ; vous feriez votre devoir et vous le feriez avec empressement. Vous diriez : « Les moyens actuels ne suffisent pas ; des moyens nouveaux sont nécessaires : je vais les employer. »

Je ne demande pas autre chose ; je dis que vous ne sauriez empêcher la fraude sans prendre de nouveaux moyens de contrôle ; et comme tous les distillateurs peuvent se procurer de la mélasse, il n'y aurait pas l'ombre d'une injustice dans l'emploi du moyen que j'indique. On ne pourrait pas davantage vous reprocher de blesser les intérêts industriels d'une classe de nos concitoyens ; car vous répondriez avec raison : « Le mode de fabrication que je vous impose est tout à votre avantage ; je ne fais que vous empêcher de frauder. »

Pour moi, messieurs, j'ai examiné longtemps cette question et, je le répète, je ne vois pas l'ombre d'une injustice dans le procédé que j’indique.

Au premier abord, je le sais bien, la proposition paraît injuste ; mais je ne désespère pas de voir un jour M. le ministre, quand il aura bien étudié le problème, se ranger à mon avis.

M. Lambertµ. - Messieurs, dans la séance d'avant-hier, j'ai eu l'honneur de dire que si j'avais la conviction que le traité du mai 1863 fût contraire à mon amendement, je le retirerais, avec le regret d'avoir tenu aussi longtemps et aussi inutilement les moments de la Chambre. J'avais alors la conviction que rien dans le texte du traité de 1863 ne s'opposait que l'amendement que je proposais soumis à l'examen de la Chambre.

J'avais été conduit à cette appréciation par le texte même du projet soumis à nos délibérations. L'honorable ministre des finances, discutant l'opportunité du droit d'entrée, c'était la reconnaissance qu'un droit d'entrée pouvait être établi sans porter atteinte au traité, a affirmé hier, avec toute l'autorité que je lui reconnais, que le traité de 1863 était obstatif à mon amendement. L’affirmation du chef du département des finances a été corroborée par l'auteur même du traité, M. de Vrière.

Dans ces conjonctures, j'ai un devoir de loyauté à remplir, une parole, pour ainsi dire, à tenir, et je déclare retirer mon amendement.

M. de Vrièreµ. - Messieurs, j'ai entendu hier avec regret M. le ministre des finances repousser avec un certain dédain les réclamations des sauniers.

L'honorable ministre n'a pas contesté que la conséquence inévitable de la loi serait d'anéantir l'industrie du raffinage ; il a, au contraire, très nettement reconnu qu'en supprimant l'impôt sur le sel, nous allions briser de nos mains cette industrie séculaire.

Mais cette conséquence qui semblait hier toucher assez vivement la Chambre pour que mon amendement parût être accueilli avec une certaine faveur sur quelques bancs, cette conséquence n'émeut pas l'honorable ministre.

Et voici quelles sont les raisons son indifférence.

Nous pensions, nous, que le raffinage du sel était une industrie comme une autre ; que cette industrie pour laquelle on paye une patente à l'Etat, qui réclamc des magasins, un établissement aménagé d'une certaine manière, renfermant, entre autres choses, des fosses d'une grande dimension pour recevoir l'eau de mer, un matériel assez considérable comprenant d'immenses tonneaux sur chariot, des bateaux de transport et une quantité d'ustensiles, nous pensions, dis-je, que cette industrie, exercée par plus de 200 familles, devait leur procurer des moyens d'existence. Eh bien non, M. le ministre nous a appris hier que tout cela était de la fantasmagorie.

On appelle cela une industrie, dit-il, je vais vous dire, moi, ce que c'est : c'est une chaudière dans laquelle on fait foudre du sel, et un ouvrier pour faire quelques petites opérations d'une extrême simplicité.

Eh bien, messieurs, je suppose que cette définition soit exacte, s'en suit-il que nous soyons dispensés de toute espèce de ménagements envers les nombreuses familles qui exercent cette profession ?

Les grandes industries mécaniques qui réclament des capitaux considérables, qui sont exercées par de grands capitalistes ou par l’association des capitaux, sont-elles seules dignes de notre sollicitude, et les industries infimes, celles qui constituent l'immense majorité des branches du travail, celles-là ne méritent-elles que les dédains de la législature ? Devons-nous les accoster, les couler sans pitié, et sans même tendre une main secourable aux naufragés, parce que ces naufragés n'occupaient qu'un degré inférieur sur l'échelle du travail ?

M. le ministre repousse certainement aussi énergiquement que qui que ce soit de pareils sentiments, mais il se rassure lui-même en se disant : Les raffineurs se feront marchands de sel et ils gagneront au change, car ils n'auront plus à prendre la peine, si peine il y avait, de faire fondre le set brut pour obtenir du sel raffiné ; l'étranger leur enverra du sel raffiné tout fait. Voyez donc comme ce sera plus commode !

Mais veuillez remarquer, messieurs, que les raffineurs étalent protégés par un droit de 40 p. c. sur le sel raffiné étranger. Ils vendraient donc le sel que chacun d'eux produisait, et de plus les petits raffineurs vendraient en outre le sel produit par quelques très grands industriels qui existent dans le pays. Ils feraient ainsi un commerce lucratif, mais la situation ne sera plus la même pour eux du moment que le sel étranger ne sera plus frappé d'un droit d'entrée.

Ils ne seront plus alors que les intermédiaires des fabricants étrangers.

Si je ne craignais, messieurs, de vous faire croire que je ne parle pas sérieusement, je dirais que le raisonnement de M. le ministre peut s'appliquer à une foule d'autres industries qui sont ou plus pénibles ou plus difficiles à exercer que le raffinage du sel. Ainsi il serait certainement plus commode d'être marchand de fer que d'être forgeron, et il serait plus facile de vendre des mécaniques étrangères que d'être mécanicien indigène.

Seulement, il y a deux raisons graves qui s'opposent toujours à de pareilles métamorphoses : la première, c'est que l'on ne passe pas d'un état à un autre sans éprouver un préjudice.

Selon M. le ministre, ce préjudice est minime quant aux sauniers ; il est minime, sans doute, lorsqu'on le compare à la perte que ferait, par exemple, le propriétaire d'une grande fabrication, si un pareil établissement venait à tomber, mais il est toujours considérable pour celui dont l'état de fortune ne permettrait pas d'exercer une industrie qui réclame de plus grands capitaux.

La deuxième raison gît dans le capital : pour exercer sur une échelle assez grande le commerce des produits étrangers, il faut un capital assez considérable, et s'il était vrai, comme le déclare M. le ministre, que le raffinage n'est, pour beaucoup de sauniers, qu'une industrie accessoire, et que le commerce du sel constitue leur principale ressource, ne faudrait-il pas conclure de ce fait que c'est l'insuffisance de capital qui empêche les sauniers de renoncer au raffinage pour se livrer entièrement à cette partie de leurs opérations qui leur procure leur plus grand bénéfice ?

Ah ! messieurs, combien de petits industriels ne changeraient pas volontiers leur pénible métier contre celui de commerçant ! Que vous répondrait, par exemple, le premier cordonnier venu si vous lui disiez : Laissez la vos formes et vos alènes et faites-vous négociant en cuir. Il vous répondrait probablement : Je ne demande pas mieux, mais donnez-moi le capital ; et d'autres vous répondraient peut-être : Je fais un état modeste, peu lucratif, mais j'ai une clientèle locale qui me permet de vivre moi et ma famille ; et j'aime mieux conserver cet état, quelque misérable qu'il soit, que de me livrer, avec de l’argent emprunté, à des spéculations commerciales, au bout desquelles je ne trouverai peut-être que la ruine et la misère.

L'honorable ministre nous a objecté aussi nous n'étions pas fondés à réclamer un dédommagement quelconque pour les sauniers parce que, dans des circonstances analogues, nous n'avions eu aucun égard aux pertes que nos décisions devaient causer à des industriels ; ainsi il nous a cité la typographie qui avait dû subir la suppression de la contrefaçon ; il nous a cité les agents de change qui avaient perdu leurs charges. J'ai pris la liberté d'interrompre M. le ministre, en lui disant qu'il n'y avait pas d'analogie entre ces faits et le cas actuel, parce que les typographes comme les agents de change n'avaient pas été expropriés de leur profession, et j'ajouterai aujourd'hui que, sans avoir dû recourir à une autre industrie, les imprimeurs et les agents de change ont pu continuer, malgré la loi que nous avons faite, à retirer de beaux bénéfices de leur profession, et que plusieurs d'entre eux sont arrivés à faire une fortune considérable.

Mais l'honorable ministre s'est prévalu d'une raison plus péremptoire que toutes les autres pour repousser mon amendement ; il a trouvé un raffineur qui lui a écrit pour le remercier d'avoir bien voulu tuer le raffinage. « Caesar, morituri te salutant ».

Ce saunier est un caractère antique et demande publiquement pour lui la décoration.

(page 782) Il a assisté aux réunions de ses confrères, il a signé avec eux les pétitions qu'ils nous ont adressées, mais seulement pour faire nombre, et puis il s'est mis à écrire au ministre : Dépêchez-vous de faire votre loi, elle fait mon affaire, je la déclare excellente ; n'acceptez donc aucun amendement.

Eh bien, qu'est-ce que cela prouve ? C'cst qu'il y a parmi les sauniers, comme dans toutes les industries, des individualités qui se trouvent dans des conditions spéciales, soit par la fortune, soit par la localité où elles exercent leur profession, soit par la manière dont elles l'exercent.

Ainsi voilà un homme riche, par exemple, qui fait un grand commerce de sel, qui n'exerce que très accessoirement l'industrie du raffinage, et seulement parce qu'il a hérité d'une usine et du matériel propre à cette industrie. Cet homme prévoit que, grâce à la localité, peut-être, qu'il habite, le commerce du sel va prendre une grande extension, qu'il ainsi doubler et tripler ses affaires : que lui importe ce matériel peu important relativement à la situation qu'il va perdre pour la regagner au centuple ? Et parce qu'il existe une pareille individualité, est-il juste, messieurs, de conclure tous les sauniers vont nous être reconnaissants de les avoir dépouillés de leur état !

Mais, messieurs, si le correspondant enthousiaste de M. le ministre représentait fidèlement l'intérêt général des membres de sa profession, comment, dans ces réunions dont il a fait partie, ne leur a-t-il pas révélé la vérité qui l'éclairait, comment n'a-t-il pas même cherché à les amener à ses idées ?

Pourquoi donc l'immense majorité de ses confrères cherche-t-elle à sauver l'industrie du raffinage en nous demandant le maintien d'un droit d'entrée sur le sel raffiné ?

C'est, messieurs, comme j'ai l'honneur da vous le dire, parce qu'à côté d'une ou de quelques exceptions peut-être, il y a la masse des raffineurs qui se trouveront cruellement frappés par la perte de leur industrie et de leur matériel.

Eh bien, messieurs, c'est en faveur de ce très grand nombre que j'invoque la bienveillance de la Chambre.

L'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer ne modifie d'aucune manière la portée de la loi, il ne dérange en rien les combinaisons financières sur lesquelles l'ensemble du projet est fondé ; il n'a d’autre portée, au point de vue financier, que de diminuer d'une somme peu considérable des recettes qui vont constituer un excédant sur les prévisions primitives du gouvernement, et il permet à la législature d'atténuer, dans une certaine mesure, les conséquences désastreuses que l'adoption de la loi aura pour un grand nombre de familles vivant de leur travail.

J'espère donc que la Chambre, se laissant guider par les sentiments de modération et d'équité qui l'animent toujours, adoptera mon amendement et que l'honorable ministre des finances ne persévérera pas dans l'opposition qu'il lui a faite.

- M. Dolezµ remplace M. Moreau au fauteuil.

M. Vander Doncktµ. - Messieurs, je viens attirer l'attention toute spéciale de l'honorable ministre des finances sur la situation des distillateurs de jus de betterave. La pétition qui se trouve déposée sur le bureau demande que de nouvelles expériences soient faites pour constater le rendement réel. Les pétitionnaires prétendent que le rendement, tel qu'il est fixé actuellement, est exagéré, et ils allèguent une raison qui est assez plausible : c’est que la betterave diffère complètement d'année en année quant à la matière saccharine qu'elle contient, de manière qu'il y a des années ou le rendement n'atteint pas le taux fixé par le fisc. Il y a donc lieu, et j'appelle l'attention de l'honorable ministre sur ce point, de prendre en considération la réclamation des distillateurs de jus de betterave et d'établir le rendement par de nouvelles expériences, celles qui ont servi à établir le rendement actuel ayant été faites, selon eux, dans une année où la betterave, contenant beaucoup de matière saccharine, donnait un rendement bien supérieur à celui qu'elle donne ordinairement.

Je dirai maintenant quelques mots des 15 p. c. dont jouissent les distillateurs agricoles. L'honorable M. Thonissen le reconnaît lui-même qu'il y a quelque chose à faire, mais il demande que les 15 p. c. soient réduits à 10 p. c.

Messieurs, de deux choses l'une, ou la loi est mauvaise et alors il faut la réduire non pas de 5 p. c., mais supprimer l'indemnité tout entière.

M. Thonissenµ. - J'aimerais mieux cela.

M. Vander Doncktµ. - Où la loi est bonne, et alors il faut maintenir les 15 p. c.

Et à l’appui de cette dernière manière de voir, j'aurai l'honneur de vous dire que, dans nos Flandres, ce n’est pas pour les distillateurs qu'on réclame, c'est pour les terres arables, c'est dans l'intérêt de l'agriculture. Les distilleries agricoles ont eu les résultats les plus heureux dans nos Flandres. Elles ont contribué considérablement non seulement à l'amélioration de nos terres, mais encore à l’engraissement du bétail.

Quant à l'amélioration des terres, on a dit, l'honorable M. de Macre surtout nous a dit ; Mais où sont établies ces distilleries agricoles ? Dans les meilleures terres des Flandres.

Messieurs, l'honorable membre doit savoir qu'il y a dans les Flandres beaucoup de mauvaises terres. Toutes ne sont pas des terres de première classe ; il y en a beaucoup de quatrième classe. Il a fallu défricher certaines terres, déroder des bois, et il a fallu, à la longue, réduire ces terres en terres arables plus on moins bonnes, qui, à défaut d'engrais, rentreraient de nouveau dans leur état primitif, et il n'y aurait pour les Flandres d'autre ressource, si l'on supprimait les distilleries agricoles. que de reboiser ces terres. Cette suppression serait inévitable, si l'on n'accordait pas les 15 p. c.

Ces 15 p. c., messieurs, sont une petite indemnité qu'on accorde aux distilleries en compensation des taux limités pour la macération, et elle est de beaucoup insuffisante. La preuve, c’est que d'année en année, nombre des distilleries agricoles diminue.

Je répondrai aussi quelques mots à l'honorable M. Kervyn de Lettenhove. Il a exalté beaucoup les mérites de la bière ; il a dit que c'est une boisson saine, une boisson bienfaisante et, par contre, il s'est élevé avec force contre l'usage du genièvre.

L'un et l'autre contient une quantité quelconque d'alcool qui, pris à l'excès, devient nuisible à la santé, dans des proportions différentes, bien entendu, et pour rester dans les termes de la vérité, je dis que ni la bière ni le genièvre ne mérite « ni tant d'honneur ni tant d'indignité ».

J'ai vu dans ma longue pratique médicale beaucoup de gens qui sont morts par suite de l'usage excessif de la bière et j'ai pu me convaincre aussi que le genièvre, pris avec modération, n'est pas aussi nuisible qu'on veut bien le dire.

Les agriculteurs qui m'écoutent et ceux qui me liront me donneront bien certainement raison. Il n'est pas aujourd'hui un cultivateur qui ne soit obligé de se procurer tous les ans plusieurs hectolitres de genièvre pour être donné à ses ouvriers, et s'il ne leur donnait pas du genièvre, il n'obtiendrait pas les rudes travaux auxquels ses ouvriers sont assujettis.

L'impôt qu'on propose d'établir sur le genièvre frappera en partie sur les agriculteurs et les industriels qui emploient beaucoup d'ouvriers.

Il est vrai que l'ouvrier consomme quelquefois du genièvre là 'excès dans les cabarets, mais aujourd'hui il est indispensable d'avoir du genièvre et vous décupleriez le droit que vous n'en feriez pas cesser la consommation. Réellement le genièvre, aujourd'hui, est indispensable aux cultivateurs, et d'autre part, la bière prise en trop grande quantité peut devenir aussi très nuisible à la santé.

Ce n'est donc pas dans un but moral que le projet de loi est fait, car sous ce rapport, il ne peut avoir aucune efficacité, comme notre honorable collègue, M. Thonissen, l'a dit avec beaucoup de raison ; c'est par de tout autres moyens qu'il faut parvenir à moraliser le peuple ; ce n'est pas en élevant le droit sur les boissons distillées, et, à cet égard, je vous ferai une autre observation et je vous dirai ce que l'honorable M. Coremans a déjà dit : que la loi a été faite dans un but plus ou moins démocratique et qu'elle produira des intérêts diamétralement contraires.

On a réduit la taxe sur les lettres. C'est là certainement une faveur accordée à la classe aisée, car ce ne sont ni les ouvriers ni cultivateurs qui usent de la poste ou bien rarement.

D'autre part, on surtaxe le genièvre qui est consommé en général par la classe ouvrière. C’est donc plutôt un préjudice qu'un avantage pour le peuple.

C'est ainsi qu'on raisonne dans le public et je dirai à la Chambre toute la vérité.

J'ai entendu dire maintes fois : Pourquoi imposer le genièvre, la seule boisson que nos moyens nous permettent de consommer, tandis que le droit sur le vin n'est pas augmenté ?

Ce sont, messieurs, les classes aisées, celles qui boivent le vin qui usent le plus de la poste et c'est en leur faveur et contre l’ouvrier et le travailleur des campagnes que la loi est faite.

Je crois que la loi n'est pas populaire, qu'elle est accueillie dans le pays avec défaveur et qu’elle compte de nombreux adversaires.

C'est ce qui m'engagera ne pas la voter.

M. Janssensµ. - Messieurs, j'approuve, dans son ensemble, le projet de loi qui nous est soumis.

(page 783) J'ai quelques réserves à faire quant au système des droits d'accise et quant aux inconvénients économiques des impôts indirects.

Je fais également mes réserves quant à l'élévation des impôts, qui pourraient, à mon sens, être réduits si l'action de l'Etat était sagement limitée.

Je veux, pour la moment, borner mes observations à ce qui peut être d'une utilité pratique et immédiate dans la discussion qui nous occupe.

Je partage, messieurs, l'opinion de plusieurs collègues, qui ont parlé avant moi et qui vous ont indiqué combien l’industrie importante du raffinage du sel avait été traitée avec peu de ménagements dans le projet de loi.

A mon sens, l'article premier est trop absolu et l'article 11 est insuffisant.

Je ne viens pas, pour cette industrie, demander une protection permanente. Je pourrais en avoir le désir lorsque je vois, dans l'arrondissement qui m'envoie parmi vous, combien d'intérêts importants sont engagés dans cette question et je pourrais en avoir le droit quand je vois que presque toutes nos industries jouissent encore d'une certaine protection. Cependant, dans cette circonstance, je n'hésite pas le déclarer, comme je l'ai fait dans bien d'autres, le système protecteur a, depuis longtemps, perdu ma confiance et sympathies. Et je n'en demanderai certainement pas l'application, lorsque celle-ci peut avoir pour effet de faire renchérir un condiment qui est d'une consommation nécessaire pour tous, dont chacun consomme une quantité presque égaie et que la Providence a répandu si généreusement dans la nature.

Ce que je viens vous demander et ce que vous ne pouvez pas raisonnablement refuser, ce sont ces deux choses : d'abord que les sauniers ne soient pas exposés à subir des pertes par suite des droits d'accise qu'ils ont payés sur des matières dont ils ne pourraient faire la vente avant la mise à exécution de la loi, et ensuite que la transition du régime actuel au régime nouveau se fasse pour eux avec un certain ménagement.

Pour atteindre le premier de ces buts, on vous a demandé le recensement ; le gouvernement n'a pas accueilli cette demande ; cependant les sauniers, dans la pétition qu'ils vous ont adressée, ont fait remarquer, avec beaucoup de justesse que le gouvernement n'est pas admis à invoquer les difficultés de cette opération alors qu'il l'a faite quand elle devait profiter au trésor.

Je n'admets pas davantage un autre argument qu'on a opposé à ce système, il se trouve consigné dans le rapport de la section centrale et il consiste à dire que, pour parfaitement juste, le recensement devrait pouvoir se faire pour toutes les quantités de sel qui existent dans le pays, chez les intermédiaires et même chez les simples consommateurs.

Il est à remarquer que cette matière ne se trouve jamais en grande quantité chez les intermédiaires ; c'est une matière dont la production et la consommation sont régulières, qui n'est pas sujette à des variations de prix. Il n'existe aucun motif pour faire un approvisionnement et l'on n'en fait point. L'argument est donc bien faible et il n'a pas plus de valeur que celui qu'on pourrait invoquer pour justifier toutes les iniquités en disant que la justice absolue ne peut pas être atteinte en ce monde.

Il est vrai que le recensement peut être remplacé par un dégrèvement qui serait mis en rapport avec les termes de crédit qui sont pas échus. C'est ce que le gouvernement a consenti à faire et il propose de porter cette décharge à 12 p. c. du montant de ces termes ; je ne crois pas qu'il se montre trop généreux.

Pour établir que cette décharge est largement comptée, le gouvernement estime à vingt jours la durée de la fabrication du sel ; ce laps de temps est bien court si l'on tient compte des différentes manipulations, de l'évaporation, du séchage, des transports qui doivent s'effectuer depuis l'emmagasinement du sel brut jusqu'à l'expédition du sel raffiné.

On aurait pu prendre un temps plus long et je ne me contenterais pas de cette base si c'était là la seule satisfaction qui devrait être donnée aux sauniers.

J'ai demandé en second lieu qu'il y ait une protection temporaire accordée à ces Industriels et je crois qu'elle a été parfaitement justifiée par les discours de plusieurs honorables collègues.

On vous a fait remarquer avec raison que jamais une transition n'a été aussi brusque, qu'on n'a jamais passé d'une protection aussi grande à une complète, sans s'arrêter à un droit intermédiaire. Les réformateurs les plus convaincus ont admis ce tempérament, cette espèce de transition, ce moyen terme ; et l'honorable M. Frère qui, il y a peu de temps encore, s'opposait à la réforme qu'il propose aujourd'hui, parce qu'il trouvait qu'elle n'avait pas l'importance que l'opinion y attachait, ne peut pas être admis aujourd'hui à soutenir qu'il est impossible d'accorder certains ménagements transitoires,

Messieurs, les intérêts engagés dans cette question sont plus importants qu'on n'a cherché à vous le faire croire. Il n'y a pas seulement des industriels dont la fortune est en jeu ; il y a des ouvriers qui ont leur existences attachée à cette industrie. Je demande qu'on laisse aux uns et aux autres le temps de chercher une position nouvelle.

Dans le discours qu’il a prononcé hier, M. le ministre des finances a réduit à bien peu de chose ce double intérêt ; à l'en croire, les capitaux engagés dans cette industrie sont peu considérables ; le nombre des ouvriers qu'elle emploie est insignifiant ; on ne compte guère, a-t-il dit, qu'un ouvrier par usine.

Messieurs, tout cela est bien loin de la vérité : Je connais des usines qui emploient jusqu'à quarante ouvriers ; quarante pères de famille dont vous mettez subitement l'existence en question. Je connais des localités où les capitaux engagés en établissements, en installations, en outillage se comptent par centaines de mille francs. Certainement, ce sont là des intérêts assez importants pour qu'on doive en tenir compte.

Il est une autre considération encore, messieurs, qui doit vous porter à accorder un certain délai à cette industrie comme vous l'avez fait pour presque toutes les autres. C’est qu’il peut très bien se faire que des fabricants aient des engagements avec leurs fournisseurs de matières premières et doivent recevoir, pendant plusieurs mois encore, des quantités de sel peut-être considérables. Si vous les mettez, par la loi nouvelle, dans l'impossibilité d'employer avantageusement ces matières, vous leur causerez un dommage très sérieux et qu'il importe de prévenir.

La saunerie doit-elle être considérée comme une industrie absolument condamnée à périr en Belgique sous le régime nouveau ? Cela me paraît assez difficile à dire, je n'oserais pas l'affirmer ; cependant, les hommes les plus compétents que j'ai consultés n'ont pas hésité à se prononcer pour l'affirmative. Ce qui est certain, c'est que si cette industrie a quelques chances de se maintenir sous le régime de la liberté, ces chances sont bien plus grandes quand elle peut se faire peu à peu ce régime. Cela est vrai pour toutes les branches de travail.

Telle industrie qui serait perdue si on la faisait passer subitement des serres chaudes de la protection à l'air vif de la liberté, peut s'y maintenir et s'y fortifier, si elle y est prudemment acclimatée par degrés.

Vous comprenez, messieurs, par les considérations que je viens d'exposer, que je voterai l'amendement présenté par l'honorable M. Visart. Je consentirais à aller plus loin que lui et à voter la suppression complète de tout droit dans un temps donné.

On a objecté que les traités internationaux s'opposent à l'établissement d'un droit temporaire. J'avoue que cela ne me paraît pas tout à fait évident ; mais en tout cas, pour qu'une nation voisine nous fît des observations à ce sujet, il faudrait qu'elle fût réellement lésée.

Eh bien, messieurs, veuillez remarquer que, sous l'empire de la législation actuelle, les droits sont prohibitifs ; il n'entre pas de sel raffiné dans le pays.

Le droit qui serait établi dans la première période, d'après le système de l’honorable M. Visart, sera également prohibitif, dit-on, et je l'admets ; dans ce cas encore, la situation ne sera pour aucun de nos voisins plus dure que celle qui existe aujourd'hui. Au contraire, la certitude de voir successivement cette situation s'améliorer pour eux et les barrières disparaître bientôt devrait les porter à accueillir favorablement la réforme.

Messieurs, si l'amendement qui a été présenté par l'honorable M. Visart n'était pas accueilli par la Chambre, je voterais l'amendement de l'honorable de Vrière.

Après le discours si plein de raison que l'honorable auteur de cet amendement vient de prononcer, je crois absolument inutile de rien ajouter pour le défendre.

M. de Macarµ. - Messieurs, j'ai d'abord un regret à exprimer et un remerciement à faire à M. le ministre des finances : le regret, c'est que l'honorable ministre n'ait pas cru pouvoir accueillir mes réclamations en faveur de notre vin du pays, que celui-ci n'ait pu trouver grâce à ses yeux ; mon remerciement se rapporte à la déclaration qu'il m'a faite, au sujet des cautionnements.

« En ce qui concerne les cautionnements, a dit l'honorable ministre, je dirai à l'honorable membre que l'administration est disposée à faire tout ce qui est possible pour donner aux contribuables toutes les facilités compatibles avec les intérêts du trésor, et avec ceux des receveurs, qui ont la responsabilité des cautionnements qu'ils ont. »

Je crois que cette déclaration suffira pour assurer que les effets fâcheux, résultant nécessairement des augmentations de cautionnement, si l'on ne procédait avec une extrême prudence et une grande modération, ne seront pas par trop préjudiciables aux petits distillateurs,

Messieurs, le n'ai pas demandé la parole uniquement pour exprimer ces deux sentiments ; j'ai à parler d'une autre question que je croyais voir traiter par un honorable collègue de la province de Liége, mieux à même (page 784) que moi de défendre la cause des secrétaires communaux. C'est de cette cause, en effet, qu'il s'agit.

Dans l'exposé des motifs du projet de loi, l'honorable ministre des finances a exprimé toutes ses sympathies pour ces fonctionnaires. Il nous faisait espérer qu’une partie de l'augmentation que recevra le fonds communal serait consacrée à l'amélioration de leur sort.

L'honorable M. Dupont, ayant manifesté l'intention de se faire l'organe de ces réclamations, je n'en avais pas parlé dans mon premier discours, persuadé que la cause qui avait pour défenseur mon honorable ami pouvait se passer de mon concours ; mais je reçois, à l'instant, un billet de cet honorable collègue, qui m'informe qu'il est dans l'impossibilité d'assister à la séance, il me prie de le suppléer.

Messieurs, je dois le dire, j'avais espéré, j'espère encore, que l'on ne se bornera pas à un vœu purement spéculatif en faveur des secrétaires communaux.

L'honorable ministre des finances ne lance pas d'habitude dans le débat des idées qu'il n'a pas la volonté et le pouvoir de faire triompher.

Je ne demande pas qu'une partie de l'augmentation réservée au fonds communal soit retenue par le gouvernement, afin de constituer un fonds destiné à rétribuer directement les secrétaires, parce que je comprends les scrupules constitutionnels que ce fait soulèverait. Mais je crois qu'une circulaire qui serait adressée aux communes par M. le ministre de l'intérieur, dont je suis très disposé à reconnaître les bons sentiments pour les secrétaires communaux, produirait d'excellents effets. Il faudrait engager les administrations communales à consacrer une partie de leurs nouvelles ressources à ces fonctionnaires, en fixant dans de bonnes conditions de budget un minimum de traitement qu'il conviendrait de leur attribuer en raison de l'importance des communes.

Ce fait pourrait se produire sans toucher aux prérogatives communales, rien n'empêchant l'Etat d'imposer certaines conditions lorsqu'il accorde de nouvelles ressources.

C'est le moment ou jamais pour la Chambre de manifester son avis sur la question, Remarquez-le bien, les 4/5 de la Chambre peut-être ont déjà exprimé leur opinion sur la nécessité d'améliorer la position des secrétaires communaux.

Je suis persuadé que personne ne se lèvera pour combattre ma proposition. Je ne doute pas qu'une circulaire faite dans les conditions que j'indique et avec l'appui moral de toute la Chambre, aura assez d'influence sur les communes pour que les incessantes mais justes réclamations des secrétaires reçoivent enfin satisfaction.

M. de Naeyerµ. - Messieurs, il a été établi d'une manière incontestable que les distilleries agricoles vont en diminuant chaque année, non seulement en nombre, mais aussi en importance, au point de vue de la production.

Ainsi l'honorable ministre des finances nous a donné des renseignements dont il résulte qu'en 1843, il y avait 455 distilleries agricoles et qu'en 1868, il n'y en avait plus que 299, et, suivant l'honorable M. de Maere, ce nombre est même réduit aujourd'hui à 274.

M. de Maereµ. - D'après le rapport de la section centrale.

M. de Naeyerµ. - Je prends donc les chiffres officiels qui sont ceux que nous a donnés hier l'honorable ministre des finances.

Il y a donc sous ce rapport une diminution de 34 p. c. quant au nombre.

Maintenant, quant à l'importance de la production, il résulte encore de renseignements officiels qu'en 1843, la matière imposable employée par ces distilleries était de 849,494 hectolitres et qu'en 1868, elle n'était plus que de 681,000 hectolitres ; je néglige la fraction ; c'est-à-dire une diminution de 20 p. c. Donc diminution de 34 p. c. quant au nombre et diminution de 20 p. c. quant à l'importance de la fabrication.

Voyons maintenant quelle est la situation des autres distilleries, de celles qui ne sont pas agricoles, qui ne sont pas limitées quant à leur travail.

Eh bien, depuis jusqu'à 1868, nous nous trouvons ici en présence d'une augmentation de production de 58 p. c.

M. Thonissenµ. - Et le nombre ?

M. de Naeyerµ. - La diminution du nombre mise rapport avec une augmentation très considérable de la production prouve une chose : c’est qu'il y a un immense avantage pour cette industrie à fabriquer en grand, et cet avantage, les distilleries agricoles en sont privées. La loi leur impose une limite infranchissable, quant à la fabrication. Cette diminution du nombre prouve donc précisément le contraire de ce que vous voulez établir.

M. Thonissenµ. - Nous verrons.

M. de Naeyerµ. - Nous verrons, évidemment ; Je ne puis pas tout dire à la fois.

Eh bien, messieurs, en présence de ces faits qui sont incontestables, il me semble assez étrange qu'on vienne nous dire que la position accordée aux distilleries agricoles est trop belle et qu'elle leur permet de faire aux autres distilleries une concurrence ruineuse, une concurrence écrasante.

Cette conclusion, je le répète, me semble excessivement étrange, il me paraît que je traduirais plus fidèlement la pensée des honorables adversaires du projet en disant : Les distilleries agricoles meurent trop lentement, il faut saisir cette occasion pour leur donner le coup de grâce. Eh bien, c'est là un argument par trop écrasant.

Messieurs, je crois que mes honorables adversaires, dans toute leur argumentation, s'appuient sur une véritable pétition de principe ; il nous disent sur tous les tons : Il y a là un privilège énorme en matière d'impôt en faveur des distilleries agricoles.

Mais ils ne prouvent pas que ce privilège existe ; ils ne le prouvent en aucune façon et ils ne le prouvent pas parce qu'ils perdent absolument de vue que l'accise sur le genièvre ne frappe pas directement le genièvre. La base de cet impôt est une simple présomption. Ainsi, par exemple, je trouve que les distillateurs de Hasselt ne payent que 4 fr. 55 c. par hectolitre de matière de macération, tandis d'autres distillateurs payent 5 fr. 20 c., d'autres 7 fr. 80 c. Il y en a même qui payent 9 fr. 10 c. pour la même contenance de matières imposables.

M. Thonissenµ. - A cause de la différence de rendement.

M. de Naeyerµ. - Direz-vous maintenant que les distillateurs de Hasselt sont privilégiés, parce que, pour la même contenance de matière, ils payent un droit moins élevé que les autres ? Mais non ; comme vous le dites fort bien, c'est une présomption de rendement. On présume, à raison des matières employées par les distillateurs de Hasselt, qu'ils ont un rendement moindre que ceux qui emploient d'autres matières plus riches en alcool.

Maintenant je dis qu'il est également incontestable que les petites distilleries, les distilleries qui sont limitées quant à leur fabrication, ce que nous appelons les distilleries agricoles, ont un rendement moindre que les autres. Comment en serait-il autrement ? Vous perdez toujours de vue qu'ils sont limités dans leurs moyens de production ? N'est-il pas incontestable pour tout homme un peu familier avec l'industrie en général que c'est la plus détestable des conditions que cette limitation de fabrication ?

Vous dites que s'ils obtiennent un rendement moindre, c'est parce qu'ils sont moins intelligents, parce qu'ils ne fabriquent pas aussi bien. Mais vous perdez de vue que, pour apprécier la valeur d'un travail, il faut surtout faire attention au but qu'on se propose. J'admets volontiers que si ces distillateurs n'avaient qu'un but industriel, ils feraient preuve d'ignorance, preuve d'impéritie.

Mais ils ont, avant tout, un but agricole.

Le but industriel n'est qu'un but accessoire et le simple bon sens nous dit que le but accessoire doit rester subordonné au but principal. Il faut tenir compte de toutes les conditions ; il y a d'abord la limitation de fabrication que la loi leur impose formellement ; ensuite, les circonstances dans lesquelles elles doivent le placer en général pour compenser ce désavantage par des services rendus directement à l'agriculture.

Si vous tenez compte de tout cela, il est évident que vous ne pouvez pas dire qu'il y a là un travail mauvais, que les distillateurs agricoles accusent une espèce d'ignorance. Je déclare positivement que la description que l'honorable M. Thonissen a faite de nos distilleries agricoles est une description de pure imagination, et qu'elle n'est fondée sur rien de réel. Je lui garantis que les distillateurs agricoles que je connais sont des hommes très intelligents, qui connaissent parfaitement leur métier, mais qui, à raison des conditions dans lesquelles on les place, ne peuvent obtenir les mêmes résultats que les autres,

L'honorable M. Thonissen nous a dit qu'une partie des distillateurs de Hasselt pourraient être des distillateurs agricoles. Je reconnais que, dans la situation où ils se trouvent, ils pourraient nourrir un certain nombre de têtes de bétail et exploiter un certain nombre d'hectares de terre. Je crois même qu'un certain nombre d'entre eux sont dans ces conditions.

M. Thonissenµ. - Tous !

M. de Naeyerµ. - Mais il y une autre condition qu'ils n'acceptent pas : c’est la limitation du travail. Et ce qui se passe Hasselt prouve les distilleries agricoles n'obtiennent pas le même rendement que les (page 785) distilleries qui travaillent en grand. Les distillateurs de Hasselt ne veulent pas être considérés comme des distillateurs agricoles. Il préfèrent payer l’intégralité des droits et être grands distillateurs qu’être petits distillateurs avec la réduction prétendument privilégiée de 15 p. c.

Ce qui se passe à Hasselt prouve donc qu’il y a réellement infériorité de rendement dans les distilleries agricoles, c’est-à-dire dans les distilleries qui consentent à accepter la limitation de fabrication.

Ce qui le prouve encore, c’est la diminution du nombre de ces distilleries et de l'importance de leurs produits. Car enfin, en quoi consiste l'effet ordinaire et normal du privilège ? Il consiste à faire une concurrence écrasante à ceux exercent la même industrie. Or, ici la concurrence est écrasante pour ceux à qui vous attribuez le privilège, et comme l’effet ne se produit pas, il est évident que c'est à tort qu'on nous parle de la cause, c'est-à-dire du prétendu privilège ; ce serait évidemment une cause sans effet.

Je le répète donc, messieurs, il pas du tout vrai de dire qu'il y ait là un privilège en matière d'impôt ; ces industriels supportent l'impôt dans la même proportion que les autres, attendu que leur rendement est inférieur. C’est là un fait incontestable, reconnu formellement par l’administration, qui a tant de moyens de constater le véritable état des choses, et puisque en définitive c'est le genièvre qui doit supporter l'impôt, il serait souverainement injuste de frapper du même droit pour une quantité moindre de genièvre.

Toute la question est de savoir s'il bon qu'il y ait un certain nombre de petites distilleries disséminées dans les communes formant un accessoire des exploitations rurales, et se trouvant ainsi en contact plus immédiat avec les besoins de l'agriculture. C’est là une situation depuis longtemps et qui ne peut être bouleversée sans porter une atteinte grave à la production agricole. Or, cette situation ne peut être maintenue si l'on abolit la déduction de 15 p. c., car alors l'impôt pèserait plus lourdement sur ces petites distilleries que sur les autres.

J'admets volontiers que toutes les distilleries sont utiles à l'agriculture, mais les distilleries agricoles se trouvent en contact plus immédiat avec les besoins de l'agriculture ; elles constituent des fabriques d'engrais établies précisément là où les engrais peuvent être employés sans exiger des frais de transport, et l'on perd trop souvent de vue que les frais de transport sont une bien lourde charge pour la production agricole.

On a été jusqu'à contester aux petites distilleries dont nous parlons un caractère véritablement agricole, parce qu'on les rencontre même dans des parties du pays où les terres sont excellentes ; mais je demanderai si engrais ne sont pas nécessaires partout où l'on exerce l’agriculture ?

Est-ce que les terres fertiles n'ont pas besoin d'engrais ? Cela vous étonnera peut-être, messieurs, mais je dirai que dans les contrées fertiles les engrais sont plus nécessaires qu'ailleurs, et la raison en est bien simple : dans les bonnes terres, il y a une végétation riche et vigoureuse qui absorbe une quantité considérable d'engrais, et il est indispensable de rendre à la terre les éléments qui lui été enlevés ; sans cela, elle perdrait de sa valeur et le pays perdrait ainsi des parties les plus précieuses de son capital.

Je pense, messieurs, qu'il est inutile d'ajouter d'autres considérations et je suis certain que la Chambre sera à peu près unanime pour repousser l'amendement proposé par l'honorable député de Hasselt.

(page 791) M. De Lexhyµ. - Messieurs, je ne serais pas intervenu dans ce débat, si l'honorable M. Thonissen n'avait dirigé les philippiques les plus acérées contre la distillation des jus de betteraves...

M. Thonissenµ. - Contre la fraude...

M. De Lexhyµ. - ... et même contre les modestes et utiles distilleries agricoles. Je ne traiterai pas cette question. L'honorable M. de Naeyer, qui m'a précédé, a réfuté avec tant d'éloquence les arguments de ceux qui ont critiqué les avantages dont jouissent les distilleries agricoles, que je crois inutile d'insister. L'honorable membre a démontré péremptoirement qu'il y avait équité et justice à maintenir la faveur dont cette catégorie de distilleries jouit, dans l'intérêt de l'agriculture.

Je ne parlerai pas de la distillation des jus de betteraves et des mélasses.

Je comprends que l'ardeur que met M. Thonissen à défendre les intérêts de ses commettants a pu l'entraîner à être injuste à l'égard des distilleries de jus de betteraves et de mélasses, qui semblaient lui porter ombrage.

Je suis le premier à reconnaître combien la distillation du grain contribue puissamment à la richesse publique et à la prospérité de l'agriculture, mais ce n'est pas une raison pour être injuste à l'égard d'un autre genre de distillation qui mérite également la sollicitude de la Chambre.

En effet, la distillation du jus de betteraves et des mélasses se trouve souvent dans des conditions de fabrication très pénibles et très difficiles à cause des différences qui se produisent dans la richesse saccharine des matières premières.

Cette industrie cependant ne réclame pas. Elle accepte le rendement fixé par le gouvernement comme parfaitement établi.

Mais nous voyons cette industrie a priori et systématiquement accusée de fraude.

La distillation des betteraves, messieurs, est évidemment une de celles qui méritent le plus notre bienveillance, car elle produit des alcools avec des matières impropres à toute autre destination.

Il n'en est pas de même de la distillation des grains qui opère sur des quantités considérables de seigle et produit ainsi fatalement le renchérissement d'une denrée nécessaire à l'alimentation des classes pauvres.

Je fais donc des vœux pour le développement des distilleries de jus de betterave et de mélasses.

Ce qui inquiète l'honorable M. Thonissen, c'est le système proposé par le gouvernement en ce qui concerne cette industrie, système qui, selon lui, aura pour conséquence inévitable des fraudes journalières des droits du trésor pratiquées sur une vaste échelle. Ce sont les termes mêmes dont l'honorable Thonissen s'est servi.

L’honorable membre a préconisé un système qui, selon lui, est très simple, très efficace et en même temps, très équitable, pour rendre cette fraude impossible, c'est d'imposer les distillateurs de jus de betterave comme s'ils ajoutaient à leurs cuves de la mélasse.

Il faut convenir, messieurs, que ce système n'est ni simple, ni juste, ni équitable. Il consacrerait l'injustice la plus flagrante que l'on puisse imaginer, car il présumerait la fraude et, en droit, la fraude ne se présume pas, l'honorable M. Thonissen doit le savoir.

Messieurs, l'honorable ministre des finances a démontré hier que la fraude n'était pas aussi facile que l'honorable M. Thonissen voulait bien le dire.

En effet, pour un simple gain de 3 fr. 50 c. le distillateur de jus de betteraves s'exposerait à une amende qui peut aller jusqu'à 10,000 fr. On ne peut donc supposer qu'il aille de gaieté de cœur s'exposer à de pareils dangers.

Le gouvernement du reste, grâce à la recommandation spéciale de l'honorable membre, veillera à réprimer les fraudes des distillateurs de jus de betterave aussi bien que celles des distillateurs de grains.

Que l'honorable membre me permette de le dire : ses craintes sont chimériques.

L'industrie hasseltoise est trop puissante et trop vivace pour redouter la concurrence.

J'ajouterai que je porte le plus grand intérêt à l'industrie hasseltoise et je crois lui en avoir donné une preuve irréfragable dans une circonstance qui n'est pas éloignée.

Je dirai, messieurs, un mot du sel.

Je me rallie entièrement aux idées émises à cet égard par mon honorable collègue da Huy dans la séance du 26.

L'agriculture bénéficiera si largement de l'abolition de l'impôt sur le sel que je désire vivement que cette grande industrie puisse entrer en possession de ce régime dans le plus bref délai et je voterai contre toute proposition tendante à affaiblir la proposition primitive du gouvernement.

J'espère qu'il surgira un amendement, lors de la discussion des articles, qui proposera l'abolition de l'impôt sur le sel, à partir du 1er juin.

L'honorable M. de Macar vous a parlé tout à l'heure des secrétaires communaux ; je reconnais que ce n'est pas le moment de nous occuper de ces utiles agents, mais puisqu'on les a fait intervenir, je demande la permission d'en dire quelques mots. Le gouvernement a déjà plusieurs reprises manifesté ses sympathies pour ces fonctionnaires, mais il serait temps de voir ces sympathies se traduire en faits. Il faut aussi que les communes fassent largement leur part.

J'engage donc vivement M. le ministre de l'intérieur à vouloir bien stimuler le zèle des communes afin qu'elles accordent aux secrétaires communaux une rémunération suffisante. L'accroissement du fonds communal permettra d'augmenter l'émolument de ces modestes fonctionnaires qui sont les véritables pivots de l'administration publique.

Projet de loi prorogeant les tarifs télégraphiques

Rapport de la section centrale

(page 785) M. Couvreurµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant prorogation des tarifs télégraphiques.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi abolissant les droits sur le sel et le poisson, abaissant la taxe des lettres et augmentation les droits sur les eaux-de-vie

Discussion générale

M. Delcourµ. - J'ai attendu la fin de la discussion générale pour relever une inexactitude qui se trouve dans le rapport de la section centrale.

Voici ce que je lis dans ce rapport :

« Il résulte des réponses parvenues à M. le ministre que de nombreuses restrictions sont mises à la liberté du commerce du poisson, que souvent elles servent à dissimuler des prélèvements au préjudice des consommateurs, à ce point que dans la ville de Louvain, après l'abolition des octrois, la vente du poisson était encore grevée de 23 p. c. de frais divers. »

L'honorable rapporteur a puisé ce renseignement dans le rapport de la commission sur la pêche nationale ; je crois même que la partie du rapport d’où le renseignement a été extrait émane de notre honorable collègue, M. Jacquemyns.

M. Jacquemyns a cité dans son rapport un fait extrêmement grave. Je le retrouve dans une lettre adressée. en 1866, à M. le ministre de l'intérieur par l'administration communale de Louvain. Voici ce fait : En novembre 1865, il avait été payé 17 fr. 45 c. sur un produit de 76 fr. 75, c'est-à-dire qu'il avait coûté 23 p. c. pour faire vendre à Louvain du poisson frais venant d'Anvers, et cela malgré la suppression de l'octroi.

L'administration communale de Louvain a réclamé contre cette allégation ; elle a adressé sa réclamation à M. le ministre de l'intérieur, le 20 septembre {1866, qui l'a communiquée à son collègue des affaires étrangères.

M. le bourgmestre de Louvain pria M. le ministre de communiquer sa demande à M. Jacquemyns pour que cet honorable membre pût redresser l'erreur qui avait été commise. Il lui demandait, en second lieu, de vouloir faire la même communication à la Chambre lors de la discussion du rapport sur la pêche maritime. la même proportion 'TIP. les autres, attendu que leur rendement est inté

La réclamation de l'administration communale de Louvain fut adressée, par M. le ministre de l'intérieur, à son collègue M. le ministre des affaires étrangères.

L'honorable ministre des affaires étrangères que la commission était dissoute depuis plusieurs mois déjà et que, selon toute apparence, il n'y aurait de discussion au sujet de l'enquête dans nos Chambres législatives.

M. Jacquemynsµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Delcourµ. - Permettez-moi de vous présenter une analyse de la lettre de l'administration communale de Louvain. Elle affirme, en premier lieu, qu'aucun droit n'est perçu au profit de la ville sur la vente du poisson à Louvain. Les ventes sont faites encore à la minque, il est vrai ; mais c'est à la demande des commissionnaires de Louvain que les choses ont continué à se pratiquer ainsi, et il est perçu un pour cent au profit du maître de la minque.

Je ne nie pas qu'il y ait eu à Louvain des ventes où les prix ont été réellement exagérés ; mais les causes de ces exagérations ne peuvent être imputées à l'administration communale.

Si le prix a été aussi élevé dans certains cas, c'est qu'on y a compris les frais de transport, les droits d'entrée (c'est du poisson venant de la Hollande), les frais de bureau, de port de lettres, de crieur, d'ouvriers, de paniers, de provision, etc. En d'autres termes, messieurs, pour mettre le poisson en vente, on a fait des frais, mais ceux-ci résultent d'une convention passée entre l'expéditeur et le commissionnaire. Non, il n'y a de ce chef aucun reproche à adresser à l'administration communale, car il s'agit de conventions qui lui sont étrangères.

Quoique la réclamation dont je viens de parler émane d'une administration communale, appartenant une opinion politique qui n'est pas celle que nous représentons aujourd'hui à Louvain, je suis heureux de saisir cette occasion de relever une inexactitude qui aurait pu faire croire que dans une ville considérable du pays, on prélevait encore 23 p. c. sur la vente du poisson.

J'avais aussi l'intention, messieurs, de dire un mot sur les distilleries agricoles ; mais après le discours de l'honorable M. de Naeyer, il reste bien peu de chose à dire.

Selon moi, la déduction de 15 p. c. n'est pas du tout un privilège ; ce n'est pas même une faveur, dans le sens qu'on attribue ordinairement à ce mot.

Je me suis donné la peine d'étudier tous les documents parlementaires relatifs à ce point, et je remarque que, dans la pensée du gouvernement qui a présenté la loi, dans la pensée des diverses sections centrales qui s'en sont occupées, la déduction des 15 p. c. n'a jamais été considérée comme un privilège, mais plutôt comme un moyen de rétablir l'égalité de l'impôt, car a toujours reconnu que, le rendement des distilleries agricoles étant inférieur, il était équitable de rétablir l'équilibre par la réduction du droit.

Laissez-mol, messieurs, vous citer un document extrêmement important où la question a été appréciée sous son véritable jour ; c'est un rapport fait au nom de la commission permanente de l'industrie, et présenté à la Chambre le 12 juillet 1863, relatif aux distilleries agricoles.

Le comice du premier district agricole du Luxembourg s'était adressé à la Chambre pour demander la révision de la loi sur les distilleries un sens plus favorable aux distilleries agricoles.

La commission permanente d'industrie n’a pas cru devoir accéder à (page 786) cette demande ; mais, à ce sujet, elle a recherché si la déduction de 15 p. c. du droit d'accise pouvait être considérée comme donnant lieu à une faveur non justifiée.

Pour résoudre cette question, la commission fait d'abord remarquer que si la fabrication de l'eau-de-vie n'était assujettie à aucun droit, la remise de 15 p. c. constituerait une prime qui viendrait briser l'égalité et la libre concurrence. Personne n'en voudrait dans ces conditions.

Mais la situation change dès qua la loi soumet les distilleries à l'impôt.

Si, continue la commission d'industrie, l’impôt était perçu sur l'hectolitre d'eau-de-vie, une déduction du droit ne serait même qu'une prime, car tous les distillateurs se trouvant dans la même condition, la déduction de 15 p. c. devrait être repoussée, parce qu'elle serait contraire encore la libre concurrence.

Mais lorsque l'impôt est basé, comme il l'est par la loi, sur la capacité des vaisseaux, il faut rechercher, avant tout, quel peut être le rendement des distilleries agricoles.

Or, il n'y a qu'une voix pour reconnaître que la rendement est inférieur dans les distilleries agricoles.

A toutes les époques, on parlé de privilège, et chaque fois, il a été reconnu que la déduction de 15 p. c. répondait seulement à la différence du rendement.

En 1865, la commission permanente d'industrie a posé les questions suivantes à M. le ministre des finances :

« Quelle est la différence que l'administration a pu constater entre le rendement obtenu par les distilleries agricoles et celui qu'obtiennent les distilleries qui opèrent sur une grande échelle et avec les appareils les plus perfectionnés ?

« S'il y a une infériorité constatée pour les établissements de la première catégorie, jusqu'à quel point cette infériorité tient-elle invinciblement à la nature de ccs établissements, aux limites dans lesquelles leurs opérations sont circonscrites ? »

Nous avons reçu, à ces questions, les réponses suivantes :

« L'administration ne possède pas d'élément qui lui permette de déterminer exactement l'influence exercée sur le rendement par l'usage d'appareils plus ou moins perfectionnés. Mais les conditions imposées par la loi pour donner droit à la déduction de 15 p. c. sur la quotité de l'accise, ne mettent aucun obstacle ce que les distillateurs agricoles se servent d'appareils perfectionnés.

« Quant au rendement en alcool résultant de la dimension des cuves à fermentation, des expériences effectuées en 1852, en présence des agents du gouvernement, ont établi que la déduction de 15 p. c. sur le droit compensait largement l'infériorité de rendement des petites cuves. Les résultats de ces expériences sont consignés à la suite de l'exposé des motifs de la loi de 1853. (Document de la Chambre des représentants n°113, session de 1852-1853.) »

Ces solutions répondent à celles que M. le ministre des finances indiquait hier à la Chambre.

Vous le voyez, c'est toujours le même résultat qui apparaît, et c'est ce qui me fait dire avec la commission permanente d'industrie qu'on ne peut avec certitude traduire en chiffes l'influence de toutes les causes qui diminuent le rendement dans les petites distilleries, mais qu'en l'estimant à 15 p. c., le législateur s'est montré bienveillant pour l'industrie des campagnes.

Si l'expérience démontre, a dit M. le ministre des finances, que la déduction de 15 p. c. ne serait plus justifiée par les faits, la législature aurait à aviser. J'ajoute cependant que dans la pensée de M. le ministre, les conditions relatives des deux catégories de distilleries ne seront point modifiées par l'accroissement du droit proposé.

M. Jacquemynsµ (pour un fait personnel). - L'honorable orateur qui vient de se rasseoir est revenu sur une réclamation qui avait été élevée dans le temps par l'administration communale de Louvain contre une allégation consigné dans mon rapport sur les minques.

Je demanderai à l'honorable orateur s'il conteste l’exactitude de mon allégation ; Je me permettrai de lui dire que la commission de la pêche maritime tout entière a vu le reçu original des frais de minque à Louvain, tel qu'il a été publié dans mon rapport.

Lorsque l'administration communale de cette ville a réclamé, la réclamation a été adressée à M. le ministre de l'intérieur, qui l’a transmise, à son tour, à son collègue M. le ministre des affaires étrangères ; dès qu'elle me fut connue, j'ai montré à l'honorable M. Rogier, qui occupait alors ce dernier département, le compte original des frais mentionnés dans le rapport.

Plusieurs années se sont écoulées depuis lors, et j'ignore si la pièce originale est encore en ma possession, mais les anciens membres de la commission savent parfaitement que les détails consignés dans mon rapport sont la copie littérale de la pièce dûment signée qui nous avait été transmise et dont chaque membre a pris connaissance.

Je ne puis par conséquent pas admettre que l'authenticité de la pièce, ou l’exactitude de la copie soit contestée. Du reste, je n'ai jamais soutenu qu'il y eût 23 p. c. de frais de minque à Louvain. J'admets que l'administration communale de Louvain, par charité pour certains employés, a établi un simple droit d'un pour cent sur l'entrée dans la minque : mais ce petit droit d'un pour cent s'est augmenté d'un certain nombre de pour cent accessoires, si bien qu'il a fini par s'élever, y compris les frais d'Anvers à Louvain, à 23 p. c. Je maintiens donc l'exactitude des faits avancés. L'honorable membre, messieurs, a dit qu'il s'agit dans les 23 p. c. de frais d'entrée dans le pays, etc.

Mais les détails se trouvent dans le rapport et consistent en frais pour octroi de place 95 centimes, frais du bureau pour du poisson d'une valeur de 76 francs, 3 fr. 77 c., emploi de paniers 75 centimes, de cuves 10 centimes, provision 1 fr. 89 c., transport à la minque 2 fr. 70 c., etc. Si bien qu'avec les frais de transport d'Anvers à Louvain, qui s'élèvent à 6 fr. 34 c., on arrive à 23 p. c. de frais pour parvenir à faire vendre à Louvain du poisson venant d'Anvers.

Et, messieurs, voici pourquoi cette notice a été publiée : Anciennement il en coûtait 22 p. c. pour envoyer des tonneaux de morue d'Ostende à Bruxelles et on trouvait cela énorme. J'ai tenu à prouver qu'à l'époque où notre rapport s'est fait les frais étaient encore plus élevés et j'ai fini par dire, avec raison, et pièces en mains, que, s'il en coûtait 22 p. c. anciennement pour faire vendre à Bruxelles de la morue d'Ostende, il en coûtait, après la suppression des octrois 23 p. c., pour faire vendre à Louvain du poisson venant d’Anvers.

Et pourquoi tous ces frais ? Je vais vous faire connaître, messieurs, les avantages qu'on obtient en imposant ces frais aux consommateurs : c'est de constater que le poisson est frais au moment où il entre en ville ! A l'heure le poisson arrive en ville, on constate qu'il est frais ; mais, selon moi, il manque quelque chose aux précautions que l'on prend : c'est de constater que le poisson est frais quand on le livre à la consommation et c'est précisément là le plus important. Or, je crois que, pour cette constatation, la cuisinière est tout au moins aussi compétente que l'expert auquel on donne cette modeste somme d'un pour cent qu'on découvre à peine parmi ces divers frais accessoires.

M. Delcourµ. - Messieurs, vous comprenez que je n'ai pas été rechercher quelle était la commission payée et le compte présenté par chaque commissionnaire il y a sept ou huit ans. Mais voici ce que je trouve dans la lettre de l'administration communale de Louvain. Cette lettre émane d'une autorité que vous ne récuserez pas ; elle aura pour vous comme pour moi un grand degré de vérité.

« Le fait allégué d'une vente faite en novembre 1863GS, au sujet de laquelle il aurait été perçu fr. 45 c. sur une valeur brute de 76 fr. 75 c. paraît imaginaire. Le maître de minque le commissionnaire qui ont été invités à s'expliquer, affirment qu'il n' a pas eu de vente d'un produit de 76 fr. 75 c, dans le mois indiqué »

C'est le seul renseignement que je puis vous fournir ; il suffit pour vous mettre à même d'apprécier les autres.

M. Watteeu, rapporteurµ. - Je n'ai pas l'intention de rentrer dans la discussion pour rencontrer une à une les objections qui ont été faites. C'est une tâche dont l'honorable ministre des finances s'est acquitté de manière à ne rien laisser à glaner après lui.

Il est un point cependant sur lequel je crois qu'il importe de donner quelques éclaircissements nouveaux. ce point touche aux traités internationaux dont plusieurs orateurs ont parlé de manière à laisser croire qu'il nous serait permis, sans manquer à ces traités, d'accorder un droit protecteur, si pas pour un temps indéfini, au moins pour une certaine période d'années.

C'est, messieurs, à l'erreur dans laquelle ces honorables membres ont versé et à la suite de laquelle ils ont donné de fausses espérances à un certain nombre de sauniers, qu'il faut attribuer les reproches parfaitement immérités que quelques-uns d'entre eux om adressés à la section centrale,

La section centrale n'a pas négligé de se préoccuper à un très haut point des intérêts des sauniers. Elle a parfaitement compris que la législation qui allait apparaître était un coup funeste porté au sort de leur industrie ; aucun doute ne peut subsister à cet égard, si l'on veut se (page 787) donner la peine de lire impartialement l'appréciation qui en a été faite dans le rapport de la section centrale et ne pas oublier l’initiative qu’elle a prise des amendements.

Mais elle avait à voir la question de plus haut. Elle avait à se préoccuper de considérations d'un ordre bien supérieur. Il s'agissait de savoir si, dans la situation nouvelle, il fallait qui l'intérêt public prévalût sur l'intérêt privé ou s'il fallait, au contraire, tenir largement compte de l’intérêt privé, au détriment de l'intérêt public. La question posée dans ces termes ne pouvait, vous êtes tous d'accord sur ce point, recevoir qu'une solution ; il fallait nécessairement que l'intérêt public eût le pas sur l’intérêt particulier.

Aussi, messieurs, nous ne l'avons pas dissimulé ; nous nous sommes demandé tout d'abord s'il fallait maintenir un droit protecteur sur le sel, et cette qualification est même trop douce, je devrais plutôt dire un droit prohibitif. Car, il n'est pas d'exemple, dans notre régime douanier, d'un droit aussi élevé que celui qui équivaut à la valeur de la marchandise ; c'est cependant un tel droit que les plus modérés réclament.

Evidemmcnt, ce premier point de vue nous amenait à nous demander si en principe un impôt frappant le sel pouvait être maintenu, s'il n'y avait pas les raisons les plus sérieuses, les plus solides, pour faire disparaître de notre législation un impôt qui, à toutes les époques, avait été frappé d'une réprobation si juste et si générale.

Et, messieurs, eussions-nous même voulu aller plus loin, eussions-nous voulu faire pour les sauniers plus que nous n'avons fait, et dépasser ce que l'intérêt général pouvait admettre, nous nous serions trouvés arrêtés par les conventions internationales. Un pays doit, avant tout, donner l'exemple de la fidélité aux traités et ne doit pas chercher à éluder l'exécution franche et sincère des engagements qu'il a contractés.

Quatre des orateurs que nous avons entendus ont pensé que le traité franco-belge de 1861 n'est point obstatif au maintien d'un droit modéré, je le veux bien, relativement au droit ancien, mais exorbitant relativement à la valeur de la marchandise. Ces orateurs sont MM. Lambert, Visart, Vermeire et Janssens.

Celui d'entre eux qui a le premier traité la question, l'honorable M. Lambert a loyalement déclaré, dans cette séance, qu'après un nouvel examen des traités, il s'est convaincu que le droit ne pouvait pas être maintenu.

Des trois autres, il n'en est qu'un qui a commenté le texte, c'est l'honorable Visart, et voici, messieurs, ce qu'il disait dans la séance d'hier.

Il cite d'abord l'article du traité, qui est ainsi conçu :

« Art. 8. Disposition finale. Le sel raffiné d'origine française sera admis en exemption de droits d'entrée pour les usages auxquels la législation belge accorde l'exemption du droit d'accise sur le sel brut. »

Or, d'après le projet de loi, il n'existe plus de droit d'accise ni sur le sel raffiné ni sur le sel brut.

L'honorable M. Visart, interprétant le texte sans rechercher la pensée qui l'a inspiré, nous a dit :

« A première vue, ce texte un peu ambigu a fait croire à plusieurs personnes que le sel raffiné étranger pourrait entrer librement pour tous les usages, si le sel brut était exempté du droit d’accise également pour tous les usages.

« Il n'en est rien, messieurs ; le traité de 186I a uniquement en vue la législation de cette époque et s'est servi de ces expressions « pour les usages auxquels la législation belge accorde l'exemption du droit d'accise sur le sel brut » simplement pour ne pas allonger le texte très inutilement en énumérant les usages bien déterminés et bien connus auxquels l'exemption s'appliquait. Bien certainement aucun des deux contractants ne songeait alors à la suppression complète du droit d'accise. Le mot même d'exemption qu'on a employé le démontrer, car il n'est plus question d'exemption ni de faveur exceptionnelle pour un droit d'accise qui n'existe pas.

« Le texte même de l'article suppose l'existence du droit d'accise. Il est donc clair qu'il n'est pas rédigé en vue de la situation que nous allons établir. Si maintenant nous n'enlevons aux raffineurs français aucun des avantages dont ils jouissent en Belgique, si nous leur en accordons même de nouveaux, le gouvernement français n'aura ni raison ni prétexte de nous faire des remontrances.»

La convention, conclue en 1862 avec l'Angleterre, porte, dans son article 14, que chacune des parties s'engage à faire profiter l'autre de toute faveur, de tout privilège ou abaissement dans les tarifs des droits à l'importation des articles mentionnés ou non dans le présent traité, que l’une d’elles pourrait accorder à une tierce puissance.

Il en résulte que l'article 8 du traité avec la France devient également applicable à l'Angleterre et ce sont précisément ces deux pays que les sauniers redoutent le plus, à raison des sources salines qui y existent.

L'honorable M. Visart ajoute :

« Je crois, messieurs, que le gouvernement partage mon opinion sur ce point, car, dans l'exposé des motifs, l'honorable ministre des finances s'exprime comme si nous avions parfaitement la faculté d'établir un droit de douane sur le sel raffiné. «

Eh bien, il faut prendre absolument le contre-pied du commentaire donné par l'honorable M. Visart.

Il est évident qu'à cette époque les deux contractants ne s'occupaient pas de l’abolition du droit sur le sel. Il n'en était pas question en Belgique, el le droit existait en France. Or, comme on stipulait au point de vue de la législation qui régissait les deux pays, il est certain que si la Belgique voulait aujourd'hui donner à ce traité l'interprétation qu'y donne l'honorable M. Visart, les pays qui ont contracté avec nous pourraient nous dire : Vous vous êtes ménagé une échappatoire.

Il était dans notre pensée que le jour où vous ne percevriez plus de droit d'accises, vous ne pourriez plus exiger de mes producteurs un droit d'entrée.

Le contraire n'est pas admissible. Le doute même ne justifierait-il pas les réclamations, les remontrances que les pays avec lesquels nous avons traité pourraient nous adresser à ce sujet ?

Faut-il s'exposer à de pareilles réclamations ? Ne sont-elles pas toujours fâcheuses, pénibles et n'est-il pas de la dignité du pays d'éviter qu'elles puissent se produire ?

La question a, du reste, été examinée sérieusement par la section centrale.

Nous avions dans la section centrale des jurisconsultes. Il y avait notre honorable président et M. Thonissen. Pour tous, le traité n'a pas été susceptible d'un autre sens ; mais, après l'opinion adoptée par la section centrale, s'est produite celle de l'honorable ministre des finances, du gouvernement et celle de l'honorable baron de Vrière qui, à l'époque de la conclusion du traité, était, si je ne me trompe, ministre des affaires étrangères, et en cette qualité partie contractante, et l'on viendrait, après cela, prétendre, sans manquer à notre dignité, que nous pourrions maintenir un droit d’entrée tout en respectant la foi des conventions !

Il n'est personne dans cette Chambre qui voudrait s'exposer à un pareil reproche.

J'en ai la certitude.

On a, messieurs, comparé le droit perçu sur le sel au droit perçu sur les farines.

D'abord, le droit sur les farines n'a jamais été frappé de la même réprobation que le droit sur le sel. La raison en est fort simple ; c'est que non seulement il y avait, pour repousser l'impôt sur le sel, des considérations d'économie politique et d'humanité, puisque c'est un condiment indispensable à la vie, mais encore parce que c'est une substance éminemment utile à l'agriculture, à l'élève du bétail et à une foule d'industries pour lesquelles il est élément indispensable.

Il n'en pas de même des farines. Et, d’ailleurs, notez-le bien, le droit d'entrée sur les farines n'élève pas la valeur de la denrée, car la matière première, c'est-à-dire les céréales ne sont pas imposées et, par conséquent, nos meuneries peuvent non seulement utiliser les produits indigènes, mais encore ceux qui viennent de l'étranger.

Il n'en résulte donc pas un dommage pour les consommateurs.

Mais, messieurs, ce n’est pas à dire pour cela que je sois partisan du maintien d'un impôt quelconque sur les farines pas plus que d'un impôt sur la bière.

Je désire ardemment que tout ce qui sert à l'alimentation et surtout l'alimentation des classes peu aisées puisse être affranchi de toute espèce d'impôt.

Nous faisons aujourd'hui, je l'espère, une première étape dans cette voie.

Quand je dis une première étape, je me trompe, car, antérieurement déjà, on a fait disparaître des droits ayant un caractère plus ou moins odieux.

Eh bien, le gouvernement doit s'efforcer de faire disparaître successivement tous ces impôts qui ont un caractère impopulaire, parce qu’ils ont une base injuste ; mais il ne faut pas tout exiger en un jour.

La suppression des droits sur les farines viendra en son temps, de même que la suppression des droits sur la bière. Cette dernière devrait (page 788) se faire par respect, dirai-je, pour les principes, mais pas pour l’avantage de la consommation. L'impôt Sur la bière ne grève pas le consommateur, surtout le petit consommateur.

M. Kervyn de Lettenhove vous a donné un exemple dans la séance d’avant-hier, si je ne me trompe.

Il comparaît ce que rapporte le droit d'accise perçu sur la bière, avec ce que rapporte le droit sur le sel et il vous disait que la valeur de l'impôt du sel est de 2 fr. 50 c. par tête.

Or, je n'hésite pas à dire, ajoutait M. Kervyn, que l'impôt qu'on perçoit sur le peuple à raison de la consommation de la bière, puisse aller au décuple de ces 2 fr. 50 c.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je pas voulu parler de l’impôt, mais de la valeur du sel consommé par chaque individu.

M. Watteeu, rapporteurµ. - Vous avez dit que l'impôt sur la bière...

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - La valeur de la bière consommée...

M. Watteeu, rapporteurµ. - Qu’importe la valeur ? Nous n'avons pas à nous occuper des produits ; c'est l'affaire de l'industrie, nous n'avons à envisager que ce qui touche à l'impôt.

M Kervyn de Lettenhoveµ. - J'ai parlé du prix payé par les consommateurs...

M. Watteeu, rapporteurµ. - Nous n'avons pas à examiner si tel brasseur vend sa bière à tel ou tel prix, nous avons à examiner ce que peuvent occasionner de charges les deux natures d'impôt.

Or, quels sont vos calculs ? Vous avez dit, et avec raison, que la cuve matière qui sert à faire la bière est fixée à 4 francs par hectolitre. Les données que nous tenons du gouvernement constatent que l'hectolitre de cuve-matière donne un rendement de 219 litres de bière.

- Une voix. - C'est inexact !

M. Watteeu, rapporteurµ. - Jusqu'à ce que vous ayez produit des documents qui renversent les documents officiels, vous me permettrez de prendre ces derniers pour base de mon raisonnement.

Nous verrons si, lorsque vous prendrez la parole, vous pouvez détruire l'exactitude des chiffres qui nous ont été fournis par le gouvernement.

Chaque litre de bière est donc grevé de 1 82/100 de centime par litre. Eh bien, M. Kervyn n'allait pas jusqu'à demander l'abolition complète des droits perçus sur la bière, il demandait simplement une réduction notable, et je crois rester dans ses idées en abaissant l'impôt de moitié, en le réduisant de 4 francs à 2 francs. Il en résulte que chaque litre de bière ne serait grevé que de 91/100 de centime par litre.

Or, il est évident que les débitants de boissons ne feront pas une réduction d'un centime, alors que l’impôt dont il est dégrevé ne sera pas d'un centime.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - J'exprimais le vœu du dégrèvement complet.

M. Watteeu, rapporteurµ. - Pardon ! si vous voulez voir ce que les Annales vous attribuent, vous verrez que vous n'avez pas été jusque-là ; vous vous seriez contenté d'une réduction notable. Et, messieurs, cette réduction ne profiterait en aucune façon consommateurs.

Cependant, comme je le disais tantôt, si le gouvernement parvient, par de nouvelles études, à trouver moyen de remplacer cet impôt sur la bière, je déclare, dès à présent, que je n'hésiterai pas à y donner un vote approbatif.

Je me suis demandé, messieurs, si les plaintes, amèrement exprimées par MM. les sauniers, plaintes qui avaient certainement rencontré beaucoup de sympathies chez tous les membres de la section centrale et particulièrement chez moi ; je me suis demandé, dis-je, si ces plaintes n'avaient pas dépassé la proportion qu'il était convenable de leur donner.

L'honorable organe du gouvernement vous a dit hier : Ces messieurs sont tout à la fois industriels et commerçants. Leur industrie succombera, cela ne paraît pas douteux ; leur industrie est condamnée et il est peu probable qu'elle parvienne à se relever. Mais il reste leur commerce et leur commerce deviendra beaucoup plus vivace, il prendra une extension beaucoup plus grande qu'il n'en avait jadis.

Eh bien, je pense également qu'il en sera ainsi. Un professeur de chimie, à Bruxelles, a publié en 1861 un opuscule fort intéressant sur la question du sel ; cet opuscule renferme, à différents points de vue, des renseignements précieux et, entre autres, une statistique qui constate quel est l'effet immédiat, la conséquence nécessaire de toute suppression de droit sur le sel ; et comme le passage sur lequel j'attire l'attention de la Chambre n'est pas très long, je me permettrai de lui en donner lecture. L’auteur auquel je fais allusion est M. Bergé, professeur de grand mérite à Bruxelles. Voici ce qu'il nous révèle au sujet du sel :

« Dans le canton de Neuchâtel, la consommation est de plus de 15 kilogrammes par tête.

« Dans le canton de Berne, 18 kilogrammes par tête.

« D'après M. Porter, directeur de la statistique de Londres (traduit par Cjemin-Supontès), la consommation moyenne de 1801 à 1817 était de 2,000,000 de boisseaux.

« En 1827, elle était de 9,318,000 boisseaux.

« En 1833, de 11,504,286 boisseaux.

« Ainsi, deux ans après l'abolition de la taxe, la consommation a quadruplé ; six ans après, elle était sextuplée. Aujourd'hui, la consommation du sel en Angleterre est de 23 kilogrammes par tête.

« Dans la Prusse rhénane, un abaissement de 20 p. c. a élevé la consommation de 30 p. c.

« Dans le pays de Bade, un abaissement de 25 p. c. a quadruplé la consommation en 7 années.

« En 1788, la consommation du sel était, en France, de 40,000,000 de kil. ; les gabelles étaient inscrites, au budget, pour 76,600,000 francs : c'était donc 1,90 d'impôt au kil.

« En 1847, sous le régime de l'impôt à 30 centimes, le chiffre de la consommation humaine s'était élevée à 211,000,000 de kil.

« En 1848, sous le régime de la taxe à 10 centimes, la consommation domestique s'est élevée subitement de 58,000,000 de kil., soit 269,000,000 de kil.

« La progression continue, car la consommation y est, à présent, de plus de 350,000,000 de kil. Les rapports sont donc :

« En 1788 de 1 1/2 kil. par habitant, en 1812 de 5 kil., en 1850 de 10 kil., en 1860 de 11.66 kil.

Il est donc indubitable qu'un des effets certains et les plus salutaires du projet de loi sera une augmentation considérable de l’emploi du sel. Par conséquent, comme je le disais tantôt, les sauniers redoutent un avenir qui sera probablement moins noir qu'ils ne le pensent.

Maintenant, quant à la question des indemnités, on nous a déjà cité de nombreux exemples. Je me permettrai d'en ajouter un seul.

Le nouveau projet sur le code de procédure civile propose la suppression des avoués.

Voilà des hommes qui n'ont pas d'autre profession, qui ont eu à dépenser un capital considérable, non pas en ustensiles, en matériel, mais en études pour parvenir à acquérir les connaissances indispensables à leur profession.

On supprimera les avoués, je le suppose, mais je ne l'espère pas ; eh bien ? Est-ce qu'on leur accordera une indemnité ? Ils ont embrassé leur profession, non pas sous l'empire d'une loi fiscale sujette à de fréquentes modifications, mais sous l'empire d'une loi organique qui date depuis bientôt trois quarts de siècle.

Et cependant, messieurs, il n'est pas dans les vues des auteurs du projet qu'il leur soit accordé aucune indemnité, parce que si l'on devait consacrer le principe que lorsqu'on décrète la transformation d'une industrie ou qu'on supprime certaines professions, il faut payer des indemnités à ceux qui les exerçaient, vous n'adopteriez plus de réformes, vous reculeriez devant les conséquences auxquelles elles donneraient nécessairement lieu.

Je ne pense pas, messieurs, devoir développer davantage les quelques observations que je voulais ajouter pour justifier le rapport de la section centrale.

M. Hymansµ. - Messieurs, on a beaucoup parlé, dans cette discussion, du traité avec la France, comme si le texte de ce traité était le seul argument qu’on eût à faire valoir contre les amendements présentés par les honorables MM. Lambert et Visart, et dont l’un, maintenu par son auteur, vient d'être appuyé tout à l'heure encore par l'honorable M. Janssens.

Je tiens à dire deux mots sur cette question.

Je crois que si les traités nous permettaient de maintenir le droit d'entrée sur le sel, en supprimant le droit d'accise, ce qui me paraît admissible, ce qui a été repoussé à l'unanimité par la section centrale, ce que l’honorable M. de Vrière lui-même, qui accorde son appui aux sauniers, n'a pas cru pouvoir admettre, et que, usant de cette permission, on adoptait l'amendement de l'honorable M. Visart, on arriverait tout simplement à ce résultat, qu'on aurait supprimé le droit d'accise sur le sel, au seul profit de MM. les sauniers.

Et, en effet, messieurs, que ferait-on ? On accorderait aux sauniers un véritable monopole ; on leur donnerait le droit d'établir leurs denrées au prix qu'ils jugeraient convenable, à condition que ce prix fût inférieur d'un centime, d'un demi-centime ou d’un quart de centime au prix du sel étranger qui continuerait à payer les droits.

Or, il faut que la Chambre sache, il faut que le pays sache une chose (page 789) que messieurs les sauniers savent à merveille : certains pays étrangers, la France, l’Italie, l'Espagne, le Portugal et surtout l'Angleterre produisent du sel de source, qui n'a besoin que d'une préparation insignifiante pour être livré à la consommation, du sel qui n'a pas besoin d'être raffiné pour faire d'excellent sel de ménage.

Or, la suppression du droit d'entrée va nous donner ce sel en abondance.

Il sera importé comme lest ; il se débitera comme le sable se débite dans nos rues, à vil prix, pour les frais de transport.

Pour que ce sel ne vienne pas faire une redoutable concurrence au sel raffiné en Belgique, que nous demande-t-on ? Un droit de balance, un droit que l'honorable M. Visart propose de fixer à 3 francs, que l’honorable M. Lambert proposait d'établir à 2 francs, que l'honorable M. Visart veut bien consentir à réduire progressivement à 5 centimes pour le supprimer dans quelques années.

Or, ce droit de balance qui représente 80 à 100 p. c. de la valeur de la denrée, on appelle cela un petit droit de balance, et l'on s'imagine que nous allons bénévolement le voter, alors que ce droit insignifiant va tout simplement empêcher le sel étranger de faire la concurrence, sur nos marchés, aux produits du raffinage indigène.

La section centrale a été saisie de cette requête ; elle a repoussé ce système à l'unanimité ; elle a été d'avis qu'il n'y avait pas lieu de s'arrêter à des réclamations de ce genre.

Elle a de cette façon répondu à la question posée hier par l'honorable M. Vermeire.

L'honorable membre vous a demandé : « Est-il d'intérêt général que l'industrie des sauniers succombe ? » Moi, me plaçant au point de vue des principes économiques, et je ne serai contredit sur ce point par aucun économiste, je n'hésite pas à répondre : Oui, il est d’intérêt général qu'une telle industrie succombe, parce que je n'admets pas qu'une industrie qui ne peut vivre que de prohibitions et de primes soit autre chose qu'une industrie factice ; je n'admets pas qu'une industrie qui ne peut se perfectionner ni se transformer, puisse être maintenue en vertu d'un privilège, ni aujourd'hui ni demain.

Je ne comprendrais pas plus qu'une Chambre belge consentît à donner une prime aux sauniers, au détriment du public, que je ne comprendrais, par exemple, que l'Etat accordât une prime à une compagnie d'omnibus pour faire concurrence à son propre chemin de fer.

Mais l'honorable M. Vermeire a mal posé la question. Voici, à mon sens, comment il devait la poser : il devait se demander si l'intérêt général profiterait de la suppression de l'accise du sel, dans le cas l'on maintiendrait un droit d'entrée ?

Eh bien, je crois que supprimer l'accise et maintenir le droit d'entrée, cc serait défaire d'une main ce que vous auriez fait de l'autre ; autant vaudrait maintenir purement et simplement le d'accise dont depuis si longtemps l'opinion publique a demandé la suppression, et ne pas imposer au trésor public un sacrifice de 5 millions.

Aussi, quand l'honorable M. Watteeu a dit dans son rapport qu’admettre ces propositions, ce serait enlever tout prestige à la loi, à mon sens, il ne va pas assez loin : il aurait dû dire qu'admettre ces propositions, ce serait enlever à la loi son efficacité, ce serait en faire un non-sens.

Je crois donc que, quelle que soit l'interprétation des traités, il n'y a pas lieu de s'arrêter aux raisons données par d'honorables membres en faveur du maintien du droit de douane, et il me paraît impossible que la Chambre consente à accepter une semblable proposition.

M. Vermeireµ. - Messieurs, J'ai demandé la parole pour répondre quelques mots au discours prononcé hier par l'honorable ministre des finances. L'honorable ministre a surtout cherché à démontrer que le raffinage du sel n'était pas une industrie : qu'on n'avait pas besoin de grands bâtiments, ni de beaucoup d'ustensiles et que l'opération du raffinage était l'opération la plus simple du monde.

Je puis vous détromper sous ce rapport. Il y a, dans l’arrondissement de Saint-Nicolas, des sauneries qui ont coûté 200,000 francs et dans ma commune il y en a qui ont coûté de 60,000 francs à 100,000 francs.

Ces propriétés ne sont donc pas d'aussi peu de valeur qu'on semble vouloir le faire croire.

Si l'on avait l'intention de sacrifier des industriels qui exercent principalement leur industrie en Flandre, on aurait dû le leur dire plus tôt et leur tenir un langage moins méprisant.

Pour moi, je voterai tel amendement qui ne sera pas un obstacle au traité que nous avons conclu avec la France, qui aura pour but de maintenir l’industrie des sauniers dans le pays.

Je ne veux pas que la Belgique ressemble à un pays qui ne veut pas travailler par lui-même et qui doit tout acheter à l’étranger.

Quand on veut supprimer des droits d’entrée établis sur certaines matières, il faut qu'on prévienne, assez à temps, les industries qui se sont édifiées sur la foi de ces impôts : c'est ce qu'on a toujours fait.

Maintenant, messieurs, puisqu'on est entré dans cette voie, pourquoi ne décrète-t-on pas la libre entrée des farines qui sont certes beaucoup plus indispensables à nos populations que le sel et le poisson !

Pourquoi maintient-on l'accise exorbitante sur la bière ? Il me semble que quand l'ouvrier aura mangé plus de sel, sa soif augmentera en proportion (interruption), et alors la consommation excessive des boissons sera bien plus nuisible à sa santé.

Enfin, on augmente considérablement l'impôt sur le genièvre. Je veux pas m'y opposer, parce que je crois que cette augmentation peut avoir un bon résultat. Mais enfin si la consommation du genièvre ne diminue pas, le but moral qu'on veut atteindre sera manqué ; et si la consommation diminue, les ressources extraordinaires qu'on a en vue feront défaut.

MfFOµ. - Non. Nous avons calculé qu'il y aurait diminution de consommation.

M. Vermeireµ. - C'est possible, mais enfin il me semble que vous avez cherché une augmentation considérable de revenus sur une matière dont vous voudriez voir diminuer l'usage.

Je le dis donc en terminant : j'aurais préféré que l'on eût commencé par diminuer les droits d'entrée qui pèsent encore sur les matières alimentaires de première nécessité pour la nourriture du peuple. J'aurais voulu que l'on commençât par là.

MfFOµ. - Le sel est dans ce cas.

M. Vermeireµ. - Non, il n'est pas tout à fait dans ce cas.

MfFOµ. - Parce qu'il y a des sauniers.

M. Vermeireµ. - Non ; mais de quoi l'ouvrier peut-il se priver plus facilement, ou du sel ou du pain ?

MfFOµ. - Vous ne pouvez vous priver de sel.

M. Vermeireµ. - Vous pouvez vous en priver plus facilement que de pain.

- Un membre. - On ne peut faire du pain sans sel.

M. Vermeireµ. - Sans doute, on ne peut faire du pain sans sel, je le sais bien. Mais ce qui est certain, c'est que vous maintenez un droit d'entrée qui coûte à la consommation individuelle 3 fr. 20 c., tandis que vous supprimez le droit sur une matière qui ne représente que 90 centimes par tète. Car on a établi dans des documents que la consommation individuelle du sel est de 5 kilogrammes par année, tandis que celle du pain est de 300 kilogrammes.

Je me rallierai donc à tout amendement qui aura quelque chance d'être accueilli, afin que l'industrie ne tombe pas immédiatement.

M. Dumortierµ. - J'ai toujours professé une vénération profonde pour les convertis sincères et j'adresse des remerciements au ciel pour la conversion qui s'est opérée dans les doctrines de mon honorable et digne ami M. Vermeire (interruption), lui naguère libre-échangiste décidé, refusant toute espèce de protection qui que ce soit et aujourd'hui devenu le défenseur de la protection du Belge contre le Belge, alors qu'il ne voulait pas même de la protection du Belge contre l'étranger. C'est une conversion remarquable et je le félicite d'abandonner les principes du prétendu libre échange pour entrer dans les principes de la protection. Je lui adresse encore une fois mes remerciements et j'espère qu'il continuera à avancer dans la bonne voie où il vient d'entrer.

Cependant, messieurs ; tout en remerciant mon excellent ami de sa conversion, je crois qu'il va trop loin, et ordinairement les nouveaux convertis vont beaucoup plus loin que les vieux croyants.

L'honorable membre demande une protection pour les sauniers et il demande une protection pour les petits distillateurs. Pourquoi demande-t-il une protection pour les sauniers ?

Parce que l'Etat supprime un impôt, et on appelle cela une expropriation ! Quand l'Etat supprime un impôt, il n'exproprie personne. Si vous avez commencé votre industrie sous l'empire de l’impôt, vous pouvez la continuer après l'abolition de l’impôt. Si nous supprimions demain l'impôt sur la terre, pourrait-on dire que nous exproprions la terre ? On doit se féliciter quand des impôts sont supprimés, cela n'arrive pas assez souvent.

(page 790) Je crois donc que l’application que fait ici mon honorable ami de ses principes nouveaux est une application extrême, une application qui va beaucoup au delà des véritables principes protecteurs.

Ainsi quand mon honorable ami veut la libre entrée des farines, il ne réfléchit pas que le petit droit qui existe sur les farines étrangères équivaut à peine au droit que paye la farine indigène par l'impôt foncier. Le grain de notre pays paye aussi son droit d'entrée, non pas à la frontière, mais son droit d'entrée sur le marché ; il paye l'impôt foncier.

Quant aux distilleries, les petites distilleries sont évidemment respectables, mais on vous parle des distilleries agricoles, comme si toutes les distilleries n'étaient pas agricoles !

Il n'y a qu'une seule différence, c'est que dans les unes c'est le propriétaire de la distillerie qui emploie lui-même les engrais, tandis que dans les autres le propriétaire de la distillerie vend les engrais aux cultivateurs. Je ne connais de distilleries véritablement agricoles que celles qui servent à défricher les terres incultes.

Ceci étant posé, je me demande pourquoi ce privilège en faveur des petites distilleries contre les grandes. Je me demande si vous établissez un privilège pareil dans une industrie qui est éminemment agricole ? Je veux parler de la sucrerie indigène. Est-ce que vous établissez une différence de droits entre les établissements qui emploient les appareils nouveaux et ceux qui emploient les appareils anciens ?

Ainsi tous les arguments que vous présentez en faveur des petites distilleries viennent se heurter contre la vieille maxime protectrice, qu'il faut protéger le travail national contre le trayait étranger ; ce que vous voulez, c'est de protéger le travail national contre le travail national ; vous voulez protéger une industrie nationale, qui produit peu, contre une industrie nationale, qui produit beaucoup. Vous voulez favoriser une industrie arriérée contre une industrie qui est en progrès.

Si c'est ainsi que vous appliquez vos maximes de libre échange, j'avoue que je les trouve ou plutôt, puisque vous êtes converti à la protection, je trouve étranges vos conclusions

Je dis donc que tout en félicitant l'honorable membre de sa conversion aux excellents principes de la protection, je ne puis le suivre dans la voie où il veut me faire entrer.

M. Vermeireµ. - Je dois déclarer d’abord, messieurs, que si je suis converti à la doctrine prohibitionniste...

M. Dumortierµ. - Non, au système protectionniste.

MfFOµ. - Compensateur.

M. Vermeireµ. - Si vous m'interrompez, j'en aurai pour trois quarts d'heure.

Je dis donc que si je suis converti, ce n'est pas par les sermons du père Dumortier.

J'ajoute maintenant que je reste attaché, aujourd’hui, aux doctrines libre-échangistes comme je l'étais hier. Je vois pas ce que le libre échange a de commun avec la question du sel, car il y a beaucoup de pays où existe le libre-échange et où l'accise sur le sel est maintenue.

MfFOµ. - Demandez-vous le maintien de l'accise ?

M. Vermeireµ. - Vous dites que la suppression du droit d'entrée sur les farines, par exemple, constitue une faible protection qui est l'équivalent des droits que le cultivateur doit payer en Belgique. Mais comptez-vous pour rien le transport et les droits que ces farines ont déjà payés dans les pays originaires ?

Je maintiens que la protection de 1 fr. 20 c. pour les farines, de la moitié de ce droit, je crois, pour les céréales, coûte au consommateur, en Belgique, 3 fr. 20 c., tandis que la protection demandée pour le sel ne coûterait que 90 centimes.

- La discussion générale est close.

La séance est levée à 5 heures.