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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 25 janvier 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 329) M. Dethuinµ fait l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la dernière séance: la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ. présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Bruyère prie la Chambre de statuer sur sa demande en date du 18 juin et demande le payement des intérêts de son double cautionnement fourni lors de son installation comme comptable de la cour des comptes ».

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Mamet propose d'accorder aux brasseurs la faculté de payer l'impôt calculé sur le poids du malt employé. »

- Renvoi à la commission permanente de l’industrie.


« Des habitants de Naninne demandent l'abatage des arbres qui bordent la route de Namur à Arlon. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Denis demande que l'échevin chargé de l'état civil à Saint- Nicolas soit obligé de célébrer les mariages aux jours désignés par les parties, conformément à l’article 75 du Code civil. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres du conseil communal de Ransart prient la Chambre d'annuler la délibération du conseil du 19 août 1869, concernant le compte présenté par le receveur communal pour l’exercice 1868. »

- Renvoi la commission des pétitions.


« Le sieur Poncelet-Liénart propose de permettre au conseil de fabrique de nommer un receveur comptable ou d'étendre à plusieurs années le mandat de trésorier. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Longneville prient la Chambre d'accorder à la société Rosart la concession d'un chemin de fer de Hal à Maestricht, par Waterloo, Wavre, Jodoigne, Landen et Tongres. »

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions et que cette commission veuille bien joindre cette pétition aux autres de même nature qui parviendront probablement à la Chambre afin de faire, sur toutes ces demandes, un prompt rapport.

- Adopté.

« MM. Jouret, Broustin, Van Overloop, retenus par des indispositions, demandent des congés. »

- Accordé.

Demande de levée d’un immunité parlementaire

MpDµ. - Messieurs, j’ai reçu, de M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles, la dépêche suivante :

« Messieurs,

« J’ai l'honneur de porter à votre connaissance les faits suivants :

« Le parquet d'Anvers a entamé, an mois d'octobre dernier, contre M. Edouard Coremans, avocat et membre de la Chambre des représentants et contre M. l'avocat Edouard une poursuite correctionnelle du chef de contravention à l'article premier de la loi du 10 mai 1867, sur les fraudes électorales.

« Le tribunal d'Auvers a rejeté, par un jugement du 29 octobre dernier, un moyen d'incompétence soulevé par les prévenus, et ceux-ci ont interjeté appel de ce jugement le même jour, et comme la prescription du délit prévu par l’article premier de la loi du 19 mai 1869 s’acquiert par trois mois ; que, d'un autre côté, l’ouverture de la session législative met le parquet dans l’impossibilité d'agir sans l'autorisation de la Chambre, j'ai eu l’honneur de m’adresser, par une lettre du 15 janvier courant, n°379, à M. le ministre de la justice, pour le prier de demander à la Chambre des représentants l'autorisation de continuer la poursuite commencée à charge de M. Coremans.

« M. le ministre de la justice me répond, par une lettre du 21/22 janvier, qui m'est seulement parvenue hier, qu’il me laisse la liberté de saisir la Chambre des représentants de cette demande d'autorisation. J'ai donc l’honneur de vous l’adresser directement, messieurs. et je vous prie d’agréer l’assurance de mon profond respect

« Le procureur général, (signé) de Bavay. »

M. Coremansµ. - Je prie la Chambre de bien vouloir consentir d’emblée à la demande formulée par M. le procureur général près la cour de Bruxelles. (Interruption.)

Si la Chambre croyait ne devoir consentir à l'autorisation qu'on lui demande qu’après un débat contradictoire ; si elle ne voulait émettre un vote qu’après s'être mise entièrement an courant des faits. je la prierais de ne pas remettre l’affaire à plus tard que demain.

MpDµ. - Je propose de renvoyer cette affaire en sections.

M. Vilain XIIIIµ. - Oui, aux sections. La demande assez grave pour cela.

MpDµ. - Les sections seront convoquées demain afin de s'occuper de la demande de M. le procureur général de Bavay.

Projets de loi portant les budgets de l’exercice 1871

Dépôt

MfFOµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau :

1° L'exposé de la situation générale du trésor public au 1er janvier 1870 ;

2° Les budgets pour l'exercice 1871 ;

Projet de loi ouvrant un crédit au budget du ministère des affaires étrangères

Dépôt

3° Un projet de loi qui ouvre au département des araires étrangères un crédit spécial de 1,230,000 francs pour la construction de deux steamers destinés au transport des voyageurs et des dépêches entre Ostende et Douvres.

- Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt cet expose

Les projets loi seront renvoyés à l'examen des sections.

Demande de levée d’un immunité parlementaire

MpDµ. - Vous paraissez, M. Muller, avoir une observation à faire sur la demande de M. le procureur général.

M. Mullerµ. - Je voulais faire remarquer, M. le président, qu'il devrait y avoir des pièces jointes à la demande de M. le procureur général. Il ne me semble pas rationnel de statuer sur une simple demande qui ne fait connaître aucun fait. (Interruption.)

On nous dit tout simplement qu’un de nos collègues a été traduit pour contravention à un article de la loi électorale. Evidemment, cela ne suffit pas. Pour examiner en connaissance de cause et avec maturité une question aussi grave que cette demande de poursuite contre un de nos collègues, nous devons avoir au moins une communication sommaire du dossier de l’affaire.

MpDµ. - Jusqu'ici je n'ai reçu aucune pièce.

M. Jacobsµ. - Je ne pense pas que la Chambre ait à entrer dans l'examen des faits imputés à M. Coremans, et voici pourquoi.

L'inviolabilité parlementaire et la nécessité l'autorisation de la (page 350) Chambre pour exercer des poursuites contre un député, n'ont qu'un but, celui d'empêcher qu'un membre de la législature soit arraché de son bane, soit privé de son droit de participer aux délibérations, en un mot,, d’empêcher que son vote soit annihilé.

Or. la poursuite exercée contre M. Coremans ne peut aboutir qu’à une amende ; elle ne peul empêcher un membre de siéger dans cette enceinte, d'y représenter ceux qui l'ont élu.

Dans ces conditions, il n'existe aucune raison de refuser l'autorisation demandée par M. le procureur général, quel que soit le fondement de la poursuite.

Je ferai remarquer, en outre, que, si elle entre dans l'examen des faits, la décision prise par elle peut, à certains égards, revêtir le caractère d’un préjugé.

A tous les points de vue, du moment qu'il est établi que la demande d'autorisation ne peut aboutir au résultat de distraire l'honorable M. Coremans de son siège à la Chambre, du moment qu'il insiste lui-même pour que la poursuite soit autorisée, la Chambre n'a pas à entrer dans l'examen des faits et doit prendre, séance tenante, une décision.

M. Mullerµ. - L’honorable député d'Anvers s'occupe ici d'un cas spécial. Il pense que pour ce cas, comme il ne peut y avoir lieu qu'à une amende en cas de condamnation, l'autorisation de poursuivre doit être immédiatement accordée. Mais je soulève, moi, une question de principe général dont il a pas lieu de se départir. Je ne puis admettre que du moment où le procureur général viendrait nous réclamer l'autorisation de poursuivre judiciairement un de nos collègues, la Chambre n'aurait qu'à consentir et enregistrer.

Nous avons à faire dans certaines limites l'appréciation non de la culpabilité, mais du point de savoir s'il y a des éléments suffisants de poursuite.

Peu importe que, dans le cas qui nous occupe, il puisse y avoir lieu à une amende en cas de condamnation ; la théorie de l'honorable M. Jacobs, pour peu qu'on l'étendît à d'autres cas, enlèverait évidemment au parlement des prérogatives dont la Constitution a voulu l'investir pour garantir son indépendance. Sans cela, un procureur pourrait, dans certaines circonstances, déposséder momentanément de son siège un membre du parlement.

MpDµ. - Faites-vous une proposition, M. Muller ?

M. Mullerµ. - Il me semble, M. le président, qu'il serait convenable qu'on nous communiquât des renseignements sur les faits. En définitive, quels sont les actes répréhensibles imputés à M. Coremans ?

MpDµ. - La demande du procureur général dit : « Du chef d'une contravention à la loi électorale. » .

M. Mullerµ. - Il n'est fait aucune mention des faits, et on nous demande de statuer !

M. Coremansµ. - Messieurs, le jugement dont appel date, si je ne me trompe, du 28 ou du 29 octobre dernier ; il va donc y avoir, d'ici à très peu de jours, prescription du délit qui m'a été imputé. Dès lors, il est indispensable, en présence du long retard mis par le parquet à s'adresser à la Chambre pour demander l'autorisation de continuer les poursuites, que la Chambre se prononce dans le plus bref délai ; sinon, la prescription pourrait m'être opposée.

Peut-être pourrait-on satisfaire au désir de l'honorable. M. Muller, si l'on réclamait immédiatement à M. le procureur général le dossier de l'affaire, de façon à pouvoir le mettre dès demain à la disposition des sections. De cette façon, le travail des sections pouvant se faire utilement dès demain, la Chambre pourrait, statuant sans retard, accorder, en temps utile encore, l'autorisation requise.

Je prie la Chambre de mettre la plus grande célérité à statuer sur la demande de M. le procureur général, afin d'empêcher que la prescription rende impossible la continuation des poursuites commencées.

M. de Brouckereµ. - Il y aurait, je crois, un moyen bien simple d'aplanir la difficulté qu'on soulève : ce serait de renvoyer la demande de M. le procureur général à une commission. Cette commission se mettrait en rapport soit avec M. le ministre de la justice, soit avec M. le procureur général qui demande l'autorisation de poursuivre ; elle nous ferait un rapport après avoir examiné l’affaire dans tous ses détails.

Je propose donc que la demande d’autorisation de poursuite adressée à la Chambre par le procureur général suit renvoyée à une commission.

MjBµ. - Je dois exposer à la Chambre la question telle qu'elle se présente. M. le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles demande à la Chambre l'autorisation de continuer des poursuites contre un député d'Anvers. Cette demande arrive très tard, puisque. dans quelques jours. l'action sera prescrite. D’après ce que vient de dire M. Coremans, c'est le 28 ou le 29 octobre que le jugement de compétence a été rendu ; par conséquent, la prescription sera acquise dans trois ou quatre jours.

M. Vilain XIIIIµ. - C’est la faute du parquet.

MjBµ. - Evidemment, et c’est à lui que s'adresse mon observation. Le parquet m'a demandé l'autorisation par lettre du samedi 15 janvier, qui n'a pu être lue que le lundi 17 ; mes bureaux ont dû consacrer quelques jours à l'examiner, attendu que la demande soulève une question de droit constitutionnel. Ce n’est donc qu'après quelques jours d'examen qu'il a pu répondu à la demande du procureur général.

Cette demande m’a donc été faite tardivement, mais ce n’est pas une raison pour abandonner les droits des membres de la Chambre. Je ne pense pas que, quelles que soient les conséquences de ce retard, nous puissions adopter des formes de procédure qui ne présenteraient pas des garanties suffisantes pour les droits des membres de la Chambre.

Quoi qu'il advienne, il faut que ces garanties soient assurées. A chacun la responsabilité de ses actes ; mais je ne crois pas qu'il soit bon de livrer l'examen d'une pareille question à une commission. Il faut évidemment que la Chambre tout entière fasse cet examen, en sections d'abord, en séance publique ensuite. Il y a des droits supérieurs à ceux de la poursuite actuelle et il faut que ces droits soient complètement garantis et sauvegardés. Il faut donc suivre les formes ordinaires et ne pas agir avec précipitation dans une affaire de cette importance, quelles que doivent être les conséquences du retard apporté à la demande de poursuites.

MpDµ. - M. de Brouckere propose-t-il le renvoi à une commission ?

M. de Brouckereµ. - Non, je n'insiste pas.

MpDµ. - Donc, le renvoi aux sections est maintenu.

Reste savoir si la Chambre désire que les sections soient convoquées pour demain ou un autre jour.

- Plusieurs membres. - Pour demain.

MpDµ. - Il est à remarquer que les sections pourraient délibérer demain en présence de la demande de renseignements qui est faite.

Les sections auront le droit de demander les renseignements dont elles jugeront la production nécessaire.

M. Thibautµ. - Les sections, après avoir terminé leurs travaux, nommeront-elles des rapporteurs ?

MpDµ. - Nous procéderons conformément aux dispositions règlementaires ; les sections nommeront des rapporteurs qui formeront la section centrale.

Les sections restent donc saisies.

M. Coremansµ. - Messieurs, si les sections devaient se réunir plus tard que demain, et constituer ensuite une section centrale, laquelle aurait à déposer un rapport, qui ne serait discuté qu'après impression et distribution, je crains bien que nous n'allions au delà du 28 janvier.

Or ce serait là une espèce d'étouffement de l'affaire. Je désire vivement que les poursuites qu'on a commencées contre moi puissent avoir leur cours régulier.

J'insiste donc auprès de la Chambre pour qu'elle s'occupe d'urgence de la requête de M. le procureur général. J'espère que le rapport sera fait assez tôt et que la Chambre aura statué avant que la prescription puisse m’être opposée, comme elle a été opposée naguère à l’honorable M. Van Wambeke.

MpDµ. - Je ne pois pas faire convoquer les sections plus tôt que demain.

MjBµ. - Si la Chambre le désire, je pourrai demander au parquet le dossier que je communiquerai soit aux sections, soit la section centrale.

- De toutes parts/ - C'est cela.

MpDµ. - Les sections seront donc convoquées demain..

Projet de loi autorisant l’acquisition des terrains et des bâtiments des anciennes colonies de bienfaisante de Merxplas-Ryckevorsel et de Wortel

Discussion générale

M. de Borchgraveµ. - Il est bien triste, lorsque l'un vient plaider une cause de la savoir perdue d'avance.

Je crois que telle était l'opinion de mes honorables amis MM. Thonissen et Julliot, lorsqu'ils ont pris la parole sur le projet de loi en question ; telle est aussi la mienne.

L'honorable ministre de la justice nous a fait comprendre qu'il n’entend en aucune façon modifier sa manière de voir ; qu'il accepte les chiffres et les opinions émises par MM. les ingénieurs et autres employés du gouvernement chargés de faire des rapports sur la valeur respective des domaines de Merxplas et de Reckheim.

(page 331) Quoi qu’il en soit, notre devoir est de défendre les intérêts de nos commettants. Nous le ferons ; et ce d'autant plus que, dans la question qui nous occupe, l'intérêt de la province s'identifie à celui du gouvernement. Il suffit, si l'on est agriculteur ou tant soit peu agronome, de voir Merxplas et Reckheim, pour se convaincre que le premier est un terrain aride, impropre à la culture, même en y faisant de grands frais ; tandis que le second, plus riche en lui-même. peut, au moyen de dépenses beaucoup moindres, devenir fertile.

Que l'on ait obtenu à Merxplas des récoltes de lin, colza, betteraves, cela ne dit rien. Il faut voir au prix de quels sacrifices ces résultats ont été obtenus. Toute la question est là.

Si l'on établissait le bilan de l'exploitation de Merxplas, il est probable qu'il en résulterait, à l'évidence, que le rapport est nul à raison des dépenses immenses faites en semences et engrais artificiels.

Les bruyères de la campine limbourgeoise, défrichées et travaillées avec soin, donnent bientôt des récoltes magnifiques. Ceci est hors de doute.

Pour s’en convaincre, il suffirait de se rendre dans quelques grandes exploitations de la Campine. En voyant ces champs superbes, beaucoup d'entre vous se refuseraient à croire que, il y a dix ou quinze ans, c'étaient des bruyères abandonnées. Et, je me hâte de le dire, les dépenses figurent pour un chiffre relativement petit à côté de l'immense intérêt qu'ont retiré de leur travail ces hommes intelligents qui ont ainsi augmenté la richesse publique.

Comme je viens de vous le dire, et je crois vous l'avoir prouvé, les bruyères de la Campine limbourgeoise, bien cultivées, peuvent devenir des terres riches, c'est-à-dire que, par la bonne fumure et les irrigations, le sol y acquiert toutes les conditions voulues de fertilité.

Il n'en est pas de même, à ce qu'il paraît, à Merxplas. La terre peut y produire au moyen de grands sacrifices pécuniaires ; mais elle ne peut s'améliorer. Il faudra tous les ans les mêmes sacrifices pour obtenir de maigres résultats.

Tout le monde sait que le guano, par exemple, fait produire la terre ; mais que celle-ci ne s'améliore pas sous l'action de cette sorte d'engrais et que la récolte de l'année seule s'en ressent.

Ces considérations suffiraient, me semble-t-il, pour décider le gouvernement à ne pas se lancer dans l'incertain, lorsqu'on lui offre le certain.

Messieurs, il n'est pas nécessaire, je crois, de discuter encore une fois l'estimation, ou plutôt, de poser des chiffres pour assigner une valeur soit à Merxplas soit à Reckheim. Rien de plus facile, en faisant une expertise, d'élever ou d'abaisser son chiffre. Tout dépend du but que l'on veut atteindre.

Je ne discuterai pas davantage l'opinion de M. Jacquemyns ; je me contenterai de lui remettre les yeux ce simple fait :

Le 30 janvier 1865, S. A. R. le prince Frédéric des Pays-Bas a vendu le domaine de Merxplas moyennant le prix de 450,000 francs.

Aujourd’hui que l'on a vendu pour plus de 100,000 francs de sapins, l'on assigne au domaine, d'après nous amoindri dans sa valeur par le fait de cette vente, une plus-value de plus de 300,000 francs ; les chiffres seuls devraient engager le gouvernement à agir avec la plus grande circonspection, et lui prouver que les rapports qui lui sont parvenus sont erronés.

Le gouvernement agirait sagement en faisant procéder à une contre-expertise par des hommes compétents, ne dépendant ni l'Etat ni des provinces, et je ne doute pas qu'il sera clairement démontré que le sol de Merxplas, outre qu'on le dit insalubre, est d'une infécondité telle, qu'il ne correspond pas du tout au but que le gouvernement se propose d'atteindre en faisant cette acquisition.

Du reste, l'expérience du passé est amplement suffisante pour éclairer ceux qui cherchent de bonne foi la vérité. Le prince Frédéric des Pays-Bas a enfoui à Merxplas et Wortel plus de 2 millions de francs, sans obtenir le moindre résultat. Je crois que vous ne réussirez pas mieux que lui.

M. Jacobsµ. - Messieurs, l’une des principales considérations sur lesquelles le projet de loi est basé est une considération d'économie ; concentrer les cinq établissements en un seul sera plus économique que de les laisser éparpillés dans différentes parties du pays. Cela peut être vrai, si les dépôts existants appartiennent à l'Etat, et si leur réalisation produit de quoi constituer le dépôt central ; si, au contraire, les tribunaux, saisis de la question, décident que les dépôts appartiennent aux provinces, bien loin d'avoir réalisé une économie, nous aurons fait une dépense très considérable, huit cent mille francs pour commencer.

Nous avons donc à nous préoccuper sérieusement de la question de propriété ; attendons sa solution : Est-elle favorable à l'Etat ? La combinaison proposée par le gouvernement pourra se réaliser ; lui est-elle défavorable ? Il se gardera de nous demander de retirer 800,000 francs du public pour créer un dépôt central à Merxplas.

Pour moi, je fais des réserves formelles au sujet des droits de la province d'Anvers sur le dépôt d'Hoogstraeten, comme l’honorable M. Thonissen a fait les siennes pour les droits du Limbourg sur Reckheim.

Le dépôt d'Hoogstraeten est l'ancien château de Salm-Salm ; il a été confisqué par la république française, avec un terrain de 25 hectares. Ce château était en ruine ; la province d'Anvers a dépensé près de 300,000 fr. pour le remettre en état ; depuis, 85 hectares ont été acquis des économies du dépôt, aux frais des communes de la province et inscrits au nom de la province.

Voilà la situation. 300,000 francs et 85 hectares, voilà l'ensemble des revendications de la province d'Anvers.

Au point de vue économique, mieux valait rester dans la situation d aujourd’hui.

Je ne suis pas partisan du dépôt unique et le conseil provincial d'Anvers, appelé à se prononcer sur cet objet en 1868, ne l'a pas été davantage. Une considération qui a frappé le conseil, c'est que rassembler tous les vagabonds du pays dans une localité près de la frontière, dans un pays peu habité, où il y a beaucoup de bois, n'est pas rassurant pour les habitants de cette partie du pays. Il y a en ce moment 750 détenus à Hoogstraeten ; et il y en aura au moins le double.

750 nous suffisaient ; nous n'en demandions pas davantage.

Ensuite, messieurs, la grande distance à laquelle le dépôt central va se trouver de différentes parties du pays occasionnera de grands frais de transport qui réduiront encore les économies qu'on espère réaliser.

L'idée de consacrer l'agriculture tous les reclus ne me semble pas heureuse.

Remarquez que c'est en hiver que le dépôt est le plus peuplé, à l'époque où les travaux de la terre sont presque nuls. La population du dépôt se compose en grand nombre de citadins qui ne sont pas aptes aux travaux agricoles ; même au dépôt de Hoogstraeten l'on a établi une filature de poils de vache qui occupe la plus grande partie des reclus. Il y a au plus 70 reclus sur 700 qui s'occupent des travaux de terre.

Le conseil provincial d'Anvers, en émettant le vœu que le dépôt d'Hoogstraeten fût conservé que, s'il y avait lieu de créer un dépôt central, on plutôt le dépôt existant, fait ressortir que la qualité des terres. quoique les deux localités soient voisines, est assez sensiblement différente ; qu'Hoogstraeten, situé dans un milieu beaucoup plus habité, est aussi beaucoup mieux cultivé et que, sous ce rapport encore, Hoogstraeten aurait été bien préférable à Merxplas et à Ryckevorsel.

Je rappellerai que dans un rapport sur la loi du 6 mars 1866, l'abbé N. Dewandre faisait observer que, dès 1842, on a dû abandonner l'expérience des colonies agricoles par suite de leur déplorables résultats. Ces résultats, messieurs, se produiront vraisemblablement encore dans les mêmes mauvais terrains où ces résultats se sont déjà produits.

Enfin, l'acte de vente de 1865 produit par l'honorable M. Thonissen, et ce prix d'acquisition de 450,000 francs mis en regard de l'estimation de 650,000 francs, alors que la propriété a été plus ou moins ravagée depuis l'acquisition, me paraît peu compatible avec la bonne administration des deniers publics.

Je crains fort qu'il y ait là du gaspillage, pour ne pas dire du tripotage, et, pour ma part, je n'entends m'en rendre ni dupe ni complice. La Chambre aurait intérêt à ajourner le vote du projet de loi. L'honorable M. Tesch. lors de la discussion de la loi de 1866, déclarait que l'expérience de la loi nouvelle devait être faite avant de prendre des mesures en remplacement des dépôts actuels. Cette expérience n'est pas suffisante ; quelques années d'attente dans le statu quo seraient préférables. Dans l'intervalle, la question de propriété des dépôts serait résolue ; on saurait à quoi s'en tenir et on pourrait apprécier combien reviendra le coût projet actuel.

Enfin, messieurs, il serait préférable que M. le ministre de la justice se présentât à la Chambre muni d'une promesse de vente des propriétaires, car aujourd'hui qu'il n'y a pas de promesse de vente, en présence des discussions qui ont eu lieu, en présence de l'adoption du projet, il est certain que les propriétaires vont se montrer exigeants. On a déclaré que c’était là une situation unique qu'il fallait ne pas laisser échapper, parce que si cette propriété était jamais morcelée, on pourrait difficilement en acquérir une autre, équivalente.

M. le ministre de la justice a dit aux propriétaires en (page 332) disant que l'Etat payerait nécessairement plus que n'importe quel acquéreur ; tout cela, je le crains bien, va leur donner des prétentions exorbitantes.

Si nous attendons, au contraire, M. le ministre pourrait négocier en l’absence d'une loi ; il obtiendra une promesse de vente à des conditions plus favorables. Nous pourrions délibérer à nouveau après une expérience faite, après solution tous les procès par rapport à la propriété des dépôts, en présence d'une promesse de vente qui permettrait aux Chambres de savoir au juste à quoi nous nous engageons.

Je propose donc l'ajournement du projet.

MpDµ. - Je fais remarquer que le délai d'ajournement être indiqué.

M. Jacobsµ. - A la session prochaine.

MjBµ. - Messieurs, je dois m’opposer à la demande d'ajournement, qui arrive bien tard. En effet, cette question de Merxplas a été examinée d'une manière très approfondie et elle a été discutée dans des pièces, dans des écrits ; car on comprend parfaitement qu'un pareil objet ne peul se traiter oralement. C'est dans des rapports, dans des documents élaborés avec soin qu'une pareille question peut être étudiée.

Or, on n'a, contre les rapports, objecté que de simples allégations dénuées de toute preuve et qui sont complètement contredites par des affirmations de fonctionnaires responsables, dont la position est menacée si ce qu'ils disent est contraire à la vérité.

L'honorable membre vient vous demander l'ajournement. Est-ce. après une étude qui date de plusieurs années que l'on va remettre la solution de cette question ? Et je fais remarquer que la proposition d'ajournement n'a pas même été faite en section centrale. L'honorable M. Thonissen, qui défend avec beaucoup de zèle les intérêts du Limbourg, les seuls en cause, n'y a mène pas fait allusion. Les intérêts de la commune de Reckheim sont les seuls qui dictent l'opposition que le projet de loi rencontre dans cette enceinte.

Je le dis en toute franchise, l'opposition faite au projet n'est pas sérieuse. Vous allez le comprendre en quelques mots.

La première objection, c'est que nous achetons trop cher. Or, j'ai dit que le gouvernement n'avait pas de prix. Est-ce clair ? Il vous demande un maximum. Mais c'est son devoir.

Avant de traiter, il doit avoir les moyens de remplir son engagement, et quand le gouvernement aura traité, si vous trouvez qu'il a payé trop cher, vous le blâmerez. Mais ne venez pas dire que le gouvernement telle ou telle somme. Cela n'est pas exact. Le gouvernement n'est lié pour aucun prix.

Quelle est maintenant la situation ? Nous avons le dépôt de la Cambre, le dépôt de Bruges, le dépôt d'Hoogstraeten et le dépôt de Reckheim, c'est-à-dire pour peu près francs de propriétés immobilières qui sont affectées au service de la mendicité. Nous vous demandons de vous débarrasser d'à peu près la moitié de cette charge.

Nous n'avons pas besoin, pour nos mendiants, de dépôts situés à proximité des grandes villes ; il est préférable que nous ayons, dans une partie éloignée du pays, un grand établissement agricole qui puisse donner du travail aux reclus. Nous aurons, avec Merxplas, un dépôt de beaucoup plus important que ceux que nous avons ; ce dépôt suffira à tous les besoins et rendra inutile le maintien des établissements que j'ai indiqués tout à l'heure.

On vient constamment parler de l’échec des colonies agricoles. Nous n'avons pas du tout l'intention de faire à Merxplas une spéculation.

Evidemment la fertilisation du sol sera une des conséquences de la création du dépôt central, mais nous ne faisons ni une opération industrielle ni une opération commerciale.

Nous avons besoin d'un dépôt de mendicité. Nous l'établissons là où nous pouvons l'obtenir au meilleur marché.

Mon honorable ami a ajouté que (les habitants des Communes intéressées

La loi, messieurs, nous oblige à créer des dépôts de mendicité. Si vous ne voulez pas les établir à Merxplas, vous serez obligés de les installer ailleurs et vous en serez réduits à transporter dans les Flandres.

Le dépôt de Reckheim est bien tenu, mais il ne répond en aucune façon à nos projets.

Je pense donc que si la Chambre veut faire acte de bonne administration elle votera le projet de loi dans l'intérêt de l'Etat et en même temps dans l'intérêt des communes.

M. Thonissenµ. Messieurs, l'honorable ministre de la Justice a terminé en décochant une nouvelle flèche contre le dépôt de Reckheim.

Je me permettrai de dire à l'honorable ministre qu'il ne connaît pas le dépôt de Reckheim. Je vais le prouver.

Dans son premier discours, l'honorable ministre m'a objecté qu'il y avait une distance de trois quarts de lieue entre le dépôt de Reckheim et la colonie agricole. Ce fait était exact ; mais M. le ministre a ajouté que la colonie agricole était dégarnie de bâtiments. C'est là une erreur. La colonie agricole possède une ferme magnifique qu'on pourrait facilement agrandir. P

L'honorable ministre a prétendu qu'il faudrait 800,000 francs pour établir dans cette colonie quelque chose de convenable. Je le renverrai au rapport de M. Besme, communiqué à la section centrale. Il y est dit qu'il faudra, pour mille reclus, construire des bâtiments pour une somme de 420,000 francs. Il y a loin de là à 800,000 francs.

Mais je crois que l'honorable M. Besme s'est lui-même trompé ; car d'après les calculs auxquels il a été procédé par les ordres de la députation permanente du conseil provincial du Limbourg, il ne faudrait que 270,000 francs.

MjBµ. - Vous oubliez les terres.

M. Thonissenµ. - M. Besme évalue la dépense à 420,000 francs avec les terres et les bâtiments. Lisez son rapport et vous verrez.

On a avancé, messieurs, une accusation plus grave. On a dit qu'à Reckheim on ne fait rien.

Je voudrais bien savoir comment un dépôt de mendicité où l'on ne fait rien peut subsister par ses propres ressources, et même, très souvent, obtenir un excédant. Il est de fait qu'on s'y occupe sérieusement. Les mendiants valides sont envoyés aux champs et les mendiants invalides sont seuls employés à l'intérieur.

L'honorable ministre a également parlé des terres qu'offrent de vendre les communes de Reckheim, d'Op-Grimby et de Mechelen, et il a dit que ces trois communes voulaient faire là une détestable opération.

Mais, messieurs, ces communes ne feraient, sous aucun rapport, une opération détestable ; la commune de Reckheim offre, il est vrai, de vendre au-dessous du prix réel ; mais, si elle consent à s'imposer un sacrifice, c'est pour conserver un établissement dont elle profite. Quant aux communes de Mechelen et d'Op-Grimby, elles veulent vendre à la valeur réelle, et dés lors elles ne feraient pas une mauvaise opération. Il est vrai qu'on leur dit : Vous n'aurez pas l'autorisation de vendre ; mais ce refus ne prouve absolument rien contre l'opération.

L'honorable M. Jacquemyns a, de son côté, commis des erreurs que je dois signaler. L'honorable membre nous a parlé de colonie libre ; à l’entendre, on aurait dit aux mendiants de Merxplas et de Wortel : Voilà de la terre, travaillez pour votre compte.

Il est très vrai, messieurs, qu'il y avait une colonie libre, celle de Wortel ; mais, à côté d'elle, il y avait l'établissement de Merxplas, où les colons étaient de véritables reclus, astreints au travail. Or, la colonie de Merxplas a échoué tout aussi bien que celle de Wortel. On y travaillait de la même manière qu'à Hoogstraeten. Hoogstraeten a réussi et Merxplas a misérablement échoué.

Mais, s'écrie l'honorable ministre, nous ne voulons pas faire une opération mercantile. Il me semble, messieurs, que c'est mal poser la question : quand le terrain ne vaut rien, quand le travail ne produit pas, le gouvernement et les communes doivent payer ; si, au contraire, le terrain est bon et si le travail est productif, le gouvernement et les communes ne payent rien, ou, en tout cas, payent moins. Remarquez, messieurs, qu'il s'agit de 1,000 à 1,200 reclus à nourrir, à vêtir et à loger, et dès lors il me semble que dire : On travaillera ou on ne travaillera pas avec fruit, c'est tenir peu de compte des finances des communes et des finances de l'Etat.

Mon honorable ami M. de Zerezo s'est aussi trompé en disant que les communes de Reckheim, de Mechelen et d'Op-Grimby s'étaient bornées à manifester l’intention de vendre leurs terres communales. Ces communes sont allées beaucoup plus loin. je tiens à la main les délibérations des conseils communaux ; elles renferment une promesse de vente formelle avec indication de prix.

Mon honorable ami a ajouté que des habitants des communes intéressées réclament. L'honorable membre sait aussi bien que moi que, dès qu'on veut défricher des terrains incultes, il y a toujours des gens qui réclament.

Allez dans la Campine, allez dans le Luxembourg ou la province d'Anvers, partout vous verrez surgir des réclamations énergiques, quand l'administration manifeste l'intention de vendre 500 à 600 hectares de bruyères. On réclamera toujours et pourquoi ? Parce que les habitants peu aisés perdent les avantages qu'ils trouvent dans les terrains incultes, tels que le chauffage pour eux, la pâture et la litière pour leur bétail.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je crois vous avoir prouvé, dans mon premier discours et accessoirement dans mon discours actuel, que les faits ne sont pas complètement connus. C'est en vain que l'honorable ministre me dit : Vous ne faites que des allégations ; je lui répondrai : Vos (page 533) fonctionnaires sont pas plus infaillibles que moi ; à mes allégations ils répondent par d’autres allégations.

Je pense, messieurs, qu'il faut une contre-expertise et que le seul moyen d'arriver à un résultat favorable, c'est l'ajournement du projet de loi avec un nouveau examen.

J’appuie donc de toutes mes forces la proposition d'ajournement faite par M. Jacobs.

MjBµ. - Pour vous faire voir la manière dont l'honorable M. Thonissen discute et quelle confiance on peut avoir dans ses allégations, je n'ai qu’à vous lire trois lignes.

M. Thonissen vous a dit que M. Besme avait évalué ce qu'il y avait à faire à Reckheim à 420,000 francs, je lui ai fait observer que les terres n’étaient pas comprises dans son estimation. Avec les terres, répond M. Thonissen. Eh bien, messieurs, écoutez.

M. l'architecte Besme estime dans la note ci-jointe, que la construction, au milieu des bruyères de Reckheim, de bâtiments exactement semblables ceux qui existent à Merxplas, reviendrait à 420,000 fr.

L'acquisition des terres étant de 385,000 fr., l'érection d'une colonie agricole à Reckheim entraînerait une dépense de 805,000 fr.

Eh bien, messieurs, tontes les allégations de l'honorable M. Thonissen sont du même genre. (Interruption.) L'honorable membre veut faire un établissement agricole sans terre, il cultivera sans doute alors sur le plancher de l'établissement. (Interruption.) Si vous voulez estimer la valeur de l'établissement, il faut tenir compte de la valeur des terres.

M. Thonissen a discouru, il y a quelques jours, pendant une demi-heure sur la distance qu'il y a entre Merxplas à Reckheim et la station de chemin de fer la plus rapprochée.

Or, toute son argumentation reposait sur une erreur. L'honorable membre a beaucoup parlé de l'établissement actuel de Reckheim. Mais il doit bien savoir que cet établissement ne peut plus servir. Il nous faut aujourd'hui un dépôt pour 1,200 mendiants. Les terres qu'on nous offre dans le Limbourg sont assez éloignées du château de Reckheim ; et c'est évidemment au milieu de ces terres que nous devrions élever, et à grands frais, le bâtiment destiné au logement des reclus.

L'honorable M. Thonissen vous dit que nous sommes en désaccord en fait. Mais qui nous mettra d'accord ? Si l'honorable membre croit nécessaire de faire vérifier les faits attestés par les fonctionnaires du département des finances et de la justice, qu'il propose la Chambre d'ordonner une enquête.

Sinon, comment viderez-vous le débat ? Aurez-vous plus de confiance dans l'appréciation de particuliers, citoyens irresponsables, qu’à des fonctionnaires agissant sous leur responsabilité ?

A entendre M. Thonissen, des communes sont disposées à nous céder leurs terres à très bas prix. Nous savons ce que valent ces offres. Quand on a voulu grossir l'exploitation dépendant du dépôt de Reckheim, voulez- vous savoir ce qui est arrivé ? Il a fallu procéder contre les communes propriétaires des terres par la voie de l'expropriation forcée. Les communes ont obtenu de leurs terres 208 francs l'hectare et M. Thonissen pense qu'elles les céderaient maintenant à 150 francs.

M. Thonissenµ. - Oui !

MjBµ. - Vous le dites, mais vous n'ignorez pas qu'il y a déjà des réclamations et des protestations contre les projets que l'on prête à ces communes. Au surplus, si nous pouvions avoir des terres à ce prix, nous n’aurions pas encore créer, à grands frais, un dépôt à Reckheim ; cette localité est trop éloignée des provinces où se recrute en grande partie la population des dépôts.

En présence de la nature des allégations de l'honorable M. Thonissen, la Chambre ne croira sans doute pas devoir s'y arrêter. Je le répète, il ne s’agit ici que l'intérêt de Reckheim. Eh bien, la Chambre n'a pas se préoccuper exclusivement d’intérêts locaux.

La loi ordonne de créer des établissements pour les mendiants. Si l'on veut conserver des établissements placés dans de mauvaises conditions, soit, c'est l'affaire de la Chambre, et si, plus tard, on vient nous demander 2 ou 3 millions pour fonder un dépôt central, Je serai en droit d'en attribuer la responsabilité à ceux qui veulent empêcher aujourd'hui le gouvernement de réaliser le projet qu'il a soumis vos délibérations.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je laisserai de côté tout qui touche à la convenance et à la situation des localités ; je ne m’occuperai pas davantage de la question financière ; je me borne à constater que, selon une opinion qui tend se propager, toutes les fois qu’on traite avec le gouvernement, on se croit permis de lui demander beaucoup. Plus on en obtient, plus c'est de bonne guerre.

C'est là une théorie qu'il faut blâmer et arrêter. parer que, non seulement elle conduirait à la dilapidation des deniers publics, mais qu'elle amènerait une situation où la dignité même du gouvernement pourrait se trouver en quelque mesure tôt ou tard engagée.

Tout à l'heure, M. le ministre de la guerre disait que, dans cette question, on se trouvait seulement en présence de la rivalité des intérêts de deux provinces. Je voudrais, messieurs, élever ce débat et rechercher si, au contraire. nous ne nous trouvons pas en d'un grand intérêt social. Je voudrais examiner si, au lieu d'organiser de nouveaux dépôts de mendicité, il ne faut pas déclarer tout haut et de la manière la plus formelle qu'il y a lieu de prévoir, dans un avenir plus ou moins éloigné, la suppression complète des dépôts de mendicité.

Messieurs, à côté de ces questions si intéressantes qui touchent à l’amendement des condamnés, au système pénitentiaire et qui embrassent à tous les degrés de la répression la criminalité, il en est d'autres qui ne sont pas moins dignes de votre sollicitude. Ce sont celles qui ne se rapportent qu'à la mendicité ; car si la mendicité n'est pas encore la criminalité, elle n'est que trop souvent l'école d'où sort la criminalité et l'échelle qui y conduit. Il y a, dans la mendicité, deux catégories essentiellement distinctes : il y a les mendiants valides et les mendiants invalides.

Lorsqu'il s'agit des mendiants invalides, nous sommes aisément portés à les excuser et notre commisération s'explique par des considérations diverses. Ainsi, pour les mendiants invalides, je comprends qu'on leur ouvre le plus possible certains hospices, ceux notamment qui ont reçu des dotations si généreuses précisément dans ce but.

Je comprends parfaitement que la charité publique vienne en aide à ces misères, car souvent il n'y a là que des misères Mais quand, au contraire, on se trouve en présence de mendiants valides qui, au lieu de gagner leur subsistance par le travail, la cherchent dans la fainéantise et la paresse, il y a quelque chose de plus à faire que de créer des dépôts de mendicité : il faut la répression la plus immédiate et la plus énergique.

Les dépôts de mendicité offrent-ils les caractères de cette répression ? J'invoque avec confiance l'expérience qui s'est faite dans ces dernières années : elle constate que la grande majorité des hommes qui traversent les dépôts de mendicité y retournent ; sont en quelque sorte des pensionnaires de l'Etat. Nous avons là, messieurs, la paresse, la fainéantise officiellement entretenues et soldées par le budget de l'Etat.

Y a-t-il, messieurs, quelque amélioration dans la situation actuelle, et dans ce moment où le salaire ne manque pas au travail, n'est-il pas de quelque intérêt de rechercher, dans l'exposé des motifs mêmes de la loi que nous discutons, quelle est la situation et de quel côté penche la balance, si ce sont les mendiants valides ou les mendiants invalides qui affluent en plus grand nombre dans les dépôts de mendicité.

Lorsque, il y a quelques années, à propos de la loi de 1866, je traitai la même question dans cette enceinte, je constatai qu'à cette époque dans le dépôt de la Cambre, la proportion des mendiants invalides aux mendiants valides était de 4 à 5 et je voyais là une situation profondément fâcheuse, profondément regrettable.

Eh bien, messieurs, cette situation si fâcheuse et si déplorable s'est encore aggravée depuis lors et tous les jours elle s'aggrave encore.

Dans l'exposé des motifs présenté par le département de la justice, on rappelle qu’en 1867 il y avait à peu près égalité dans les dépôts de mendicité entre les mendiants valides et les mendiants invalides : il y avait, au 31 décembre 1867, 1,017 mendiants invalides 964 mendiants valides.

Par conséquent les deux catégories présentaient, comme je le disais, un nombre à peu près égal.

Un an après, le 31 décembre 1868, la population des dépôts de mendicité s’était de nouveau accrue. Elle s'élevait à près de 2,300 détenus ; mais quelle était la catégorie qui s’était le plus développée ? C'était celle des mendiants valides.

Il y avait 1,105 mendiants valides et seulement 1,062 mendiants invalides ; de telle façon que le nombre des mendiants valides dépassait celui des mendiants invalides dans les dépôts de mendicité.

Voilà une situation grave qui mérite la sollicitude du gouvernement et de la législature.

Messieurs, lorsqu’il s'agit de mendiants valides, peut-on espérer quelque de sérieux de l'organisation des dépôts de mendicité ? Ce sont des hommes qui détestent le travail, qui ont accepté l'oubli de leur dignité, l'abdication de leur indépendance, aimant mieux tendre la main et demander à l’aumône leur subsistance si précaire et c'est de ceux-là que vous attendez le travail ! C’est à ces hommes que vous voulez confer le soin de (page 334) fertiliser les de la Campine ! Quels sont donc les antécédents de ces hommes ? La plupart, avant d'arriver là, ont exercé des professions différentes. Ces mains trop promptement habituées à l'oisiveté craignent de manier la truelle ou la brosse du peintre. Et c'est à ces hommes-là que vous voulez imposer le rude travail de l'agriculteur !

Que résulterait-il de là ? Nous avons devant nous une expérience qui a déjà résolu toutes ces questions, et lorsque je me reporte quelques années en arrière, il me semble que le gouvernement et la législature étaient complètement d’accord pour mettre fin à cet état de choses. Le gouvernement reconnaissait, avec la législature, dans cette enceinte, qu'à une situation qui tendait à se perpétuer, il fallait apporter un système de répression nouveau, un remède énergique.

Lors de la discussion de la loi en 1866, l'honorable M. Tesch, à cette époque ministre de la justice, avait eu soin d'inscrire dans Ir projet de loi un article qui portait que le gouvernement se réservait le droit de supprimer les dépôts de mendicité. L'honorable M. Tesch, dans la discussion, nous faisait connaître que, selon lui, les dépôts de mendicité devaient disparaitre dans un délai plus ou moins rapproché.

Mais c'est surtout dans le rapport de l'honorable M. Dewandre que cette question a été traitée avec les développements les plus intéressants.

La section centrale avait examiné quels étaient les résultats de l'établissement des dépôts de mendicité, à quoi ils avaient servi. quel avait été l'amendement de ceux qui y avaient passé ; voici les considérations sur lesquelles s'appuyait son honorable rapporteur, M. Dewandre, pour résumer les tristes leçons de l'expérience. Ces considérations me semblent présenter l'intérêt le plus évident dans la question qui nous occupe. L'honorable rapporteur disait :

« Le législateur, en établissant les dépôts de mendicité, croyait parvenir à y reformer la plupart des mendiants et des vagabonds : il pensait que, dans ces dépôts, les reclus se moraliseraient, contracteraient le travail, apprendraient un métier, et deviendraient ainsi, pour le moment de leur mise en liberté, des hommes honnêtes, désireux de travailler et capables de le faire utilement.

« Une longue expérience a démontré l'erreur cette prévision, au moins en ce qui concerne les reclus adultes.

« Loin que ces reclus se moralisent dans les dépôts de mendicité, les plus mauvais y corrompent ceux qui le sont le moins.

« Les reclus n'y travaillent pas, ou n'y travaillent que très peu ; plusieurs circonstances s'y opposent.

« D’abord il n'est pas possible de trouver, dans les dépôts, des travaux appropriés aux aptitudes de chacun des reclus, et qui en même temps ne fassent pas concurrence à l'industrie libre.

« Les travaux agricoles ont été préconisés ; mais l'essai qui en a été fait a complètement démontré l'inefficacité de ce moyen pour les reclus adultes : les colonies agricoles de Merxplas-Ryckevorsel et de Wortel ont dû être supprimées en 1842, avoir nécessité des dépenses considérables ; au dépôt de mendicité de Reckheim, un reclus de première classe, employé aux travaux agricoles, gagne dix centimes par jour ; un reclus valide ordinaire en gagne sept.

« Et il devait en être ainsi : sauf de rares exceptions, les mendiants et les vagabonds reclus sont des individus paresseux, insouciants, déhontés ; à la plupart de ces hommes, la vie recluse, mais tranquille et assurée du dépôt, paraît préférable à la vie libre, où chacun doit se faire son existence, gagner à la sueur de son front le pain, souvent incertain, de chaque jour.

« Au dépôt, rien ne stimule au travail ces natures paresseuses ; et, dans ces conditions, la surveillance la plus active n'obtient qu'un labeur insignifiant.

« Si la réclusion dans les dépôts ne moralise pas, si elle n'apprend pas à travailler, elle n'agit pas non plus comme moyen de répression, elle n'intimide pas le mendiant et le vagabond.

« La progression croissante de la population des dépôts, le nombre des récidivés, le prouvent l'évidence.

« La population moyenne des dépôts a doublé depuis trente ans.

« Et pour faire juger de la fréquence des récidives, il nous suffira de faire connaître ce fait, que sur une population de 542 reclus que contenait le dépôt de Reckheim le 1er janvier 1863, il y avait 366 dont 155 avaient été plus de cinq fois au dépôt ; 44 s'y trouvaient pour la dixième fois et au delà ; quelques-uns étaient à leur quinzième, seizième et vingtième séjour. Et que l'on ne croie pas que ce nombre de récidives est exceptionnel : il résulte d'un relevé statistique, fait il y a quelques années, que le nombre des récidivistes était de 65 p. c. de la population du dépôt à la Cambre, de 66 p. c. à Bruges, de 49 p. c. à Mons, de 60 p. c. à Reckheim et de 58 p. c. à Hoogstraeten.

« Aussi longtemps que l'on a pensé que les reclus se moraliseraient et apprendraient à travailler dans les dépôts, on a dû chercher à obtenir ces résultats et, par suite, repousser pour cette espèce de détenus, l'emprisonnement cellulaire. Mais, aujourd'hui qu'une longue expérience a démontré l'erreur de cette théorie, rien ne s'oppose plus, tout nous engage, au contraire, à essayer de ce moyen rigoureux.

« L'isolement du détenu rendant la peine plus sévère inspirera plus de crainte et préviendra beaucoup mieux la mendicité et le vagabondage que ne le fait le système actuel de répression.

« L'emprisonnement cellulaire moralisera plus, ou tout au moins engendrera moins de corruption, que la vie en commun dans les dépôt. »

C'est ce même établissement de Merxplas, dont l'honorable M. Dewandre signalait les énormes et stériles dépenses, qu'il s'agit de reconstituer aujourd'hui.

Il y a là, messieurs, on ne peut le nier, une situation très grave. Il y a quelques jours, un criminaliste français faisait remarquer que tous les ans, en France, 300,000 individus sortent des prisons, et il se demandait quelle influence funeste, quel danger, quelle menace il y avait dans le fail de 300,000 individus, la plupart non amendés, rentrant dans la société ?

Eh bien, messieurs, en Belgique la proportion est à peu près la même, mais si vous voulez bien remarquer qu'il y a aussi un grand nombre d'individus qui traversent les dépôts de mendicité qui y persévèrent dans les mauvaises traditions de la fainéantise et de la paresse et qui en sortent non corrigés ; si vous voulez bien vous souvenir que parmi les détenus il y a un tiers on un quart de repris de justice, ne croyez-vous pas, je le répète, qu'il faut apporter à cette situation des choses le remède le plus énergique et le plus efficace ?

Que demandait la section centrale de 1865 par l'organe de l'honorable M. Dewandre ? Elle insistait vivement sur la répression la plus prompte des mendiants valides. En effet, la paresse et la mendicité de l'homme valide sont un trouble apporté à la paix publique, un trouble apporté au travail, et il importe que par une peine, peu prolongée d'abord, mais efficace et sévère, l'on punisse celui qui s'y livre, comme coupable d'un véritable délit... Nous étions unanimes alors pour demander qu'on appliquât aux mendiants valides l'emprisonnement cellulaire, et si M. le ministre de la justice fait remarquer que jusqu'à ce moment ce système de répression n'a pas été justifié par ses fruits, qu'il n'a pas passé suffisamment dans la pratique des faits, j'ai hâte d'ajouter que la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant ne tardera pas disparaitre.

Si, aujourd'hui, les cellules sont encombrées, c'est qu'elles renferment encore un trop grand nombre de détenus militaires, et je sais que M. le ministre de la guerre comprend mieux que personne qu'il faut faire sortir des cellules les détenus militaires pour les renvoyer aux compagnies de discipline. La situation actuelle qui donne lieu à tant de difficultés ne tardera donc pas à s'améliorer.

Eh bien, messieurs, lorsque cette situation sera modifiée, lorsque les cellules de prisons ne seront plus occupées par des détenus militaires, il faudra y envoyer ceux qui, pour la première fois, offrent le triste et révoltant spectacle de la mendicité, de la paresse et du vagabondage, et la plupart de tous ceux que le dépôt de mendicité n'effraye pas, reculeront devant cette épreuve.

Messieurs, ne l'oubliez pas, si vous maintenez les dépôts de mendicité. vous ne ferez que consolider une situation déplorable : celle d'un paupérisme officiel, offrant aux populations voisines le triste et honteux spectacle d'une agrégation d’hommes méprisables et méprisés, qui ne veulent pas travailler librement, qu'on force à travailler officiellement ; hier et aujourd'hui également dégradés et qui le seront de plus en plus sous l'influence de cette triste contagion du vice.

Il y a, messieurs, des exemples qui sont utiles, ce sont ceux du travail, ce sont ceux de l'honnêteté et de la probité ; mais écartons autant que nous pouvons ceux qui ne retracent que la honte.

Je crois que le gouvernement, au lieu de songer organiser des dépôts de mendicité, doit pourvoir à leur suppression complète dans le délai le plus prochain. J'espère qu'il renoncera à demander à la législature un crédit aussi considérable qui, loin de représenter une dépense utile et féconde, ne tend, selon moi, qu'à perpétuer une situation mauvaise.

Il est pour nous un devoir bien différent à remplir : c'est de consacrer les ressources disponibles des budgets à l'encouragement du travail et au développement de la prospérité publique.

MjBµ. - Je ne puis attribuer le discours de l’honorable membre qu'à l'absence de sa part de la lecture des pièces.

(page 335) Qu’est-ce en définitive que le projet du gouvernement ? C’est l’exécution de la loi présentée par l’honorable M. Tesch et dont l’honorable M. Kervyn de Lettenhove faisait l’éloge tout à l’heure.

Le projet de loi débute ainsi :

« Aux termes de l'article 11 de la loi du 6 mars 1866, le gouvernement est autorisé à supprimer les dépôts de mendicité. Il déterminera l'organisation,, le régime et la discipline des établissements qu'il sera nécessaire de conserver ou de créer en exécution de la présente loi. »

C'est que nous avons fait ; nous avons commencé par supprimer le dépôt de Mons ; puis nous avons dit : Nous allons supprimer les dépôts de la Cambre, de Reckheim et en créer un pour les valides, à Merxplas, et un pour les invalides, à Bruges.

Voilà quelle est la situation.

C'est précisément parce que dans les dépôts comme Reckheim ne travaille pas suffisamment, qu'il faut établir un autre système, et l'expérience a démontré que celui que nous proposons est le meilleur, car les reclus sont peu disposés à revenir à l'établissement d'Hoogstraeten, où le prix de la journée est certainement moins élevé que dans les autres dépôts et où les mendiants sont occupés aux travaux de la terre.

L'honorable M. Kervyn dit : L'on ne doit plus faire travailler les mendiants. Mais allons-nous recommencer la discussion de la loi de 1866 ? La loi de 1866 prononce la prison contre les mendiants ; on doit les tenir en prison pendant un certain temps. Mais vous ne prétendez pas qu'on peut les tenir en prison pendant six mois, pendant un an, parce qu'ils auront mendié.

On les tient en prison huit ou quinze jours, mais ensuite il faut les envoyer ailleurs ; il faut les envoyer dans des établissements, que vous les appeliez dépôts de mendicité ou autrement, mais ce qu'il faut, c'est que ces établissements soient organisés de manière que les mendiants soient obligés de travailler.

Lorsque les reclus devront travailler, vous n'aurez plus les inconvénients que présentent des établissements comme Reckheim.

Ce n'est pas avec de pareils établissements que vous réprimerez la mendicité.

Par conséquent, je prie la Chambre de ne voir dans le projet que ce qui y est réellement, à savoir la suppression des dépôts et leur remplacement par un établissement pénitentiaire.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. Je crois avoir étudié avec attention les documents parlementaires. J'ai ici entre les mains le rapport de l'honorable M. Dewandre où se trouvent, à côté de l'opinion de la section centrale, les notes explicatives du gouvernement et l'article même que j'ai rappelé. article qui porte que le gouvernement se réserve le droit de supprimer tous les dépôts de mendicité. Voici d'ailleurs le texte même de la note par laquelle le ministre de la justice, l'honorable M. Tesch, s'explique à cet égard :

« Le gouvernement n'a aucune opinion arrêtée en ce qui concerne la création de nouveaux établissement. »

Or, aujourd'hui même, il s'agit de la création d'un établissement.

M. Bouvierµ. - Avec la suppression d’autres.

MjBµ. - Il y a quatre ans de cela.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Il y a quatre ans, le gouvernement n'avait aucune opinion arrêtee en ce qui concerne la création de nouveaux établissements.

MjBµ. - La loi n'était pas votée.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - « Avant de pouvoir se prononcer à cet égard, continuait M. le ministre de la justice, il importe de connaître les résultats que produira le nouveau principe de la loi qui autorise une certaine tolérance de la mendicité, afin d'apprécier l'influence qu’elle exercera sur le nombre des individus qui seront mis à la disposition du gouvernement.

Or, il est constaté par la statistique que c'est surtout le nombre des mendiants valides qui se développe. La situation est donc digne de toute la sollicitude du gouvernement et de la Chambre.

Je poursuis la lecture de la note de l'honorable M. Tesch.

« En attendant, les enfants seront envoyés dans les écoles de réforme. Les mendiants et les vagabonds adultes (l'expression est de M. le ministre de la justice) auxquels il y a lieu d'appliquer le régime pénitentiaire, seront renfermés, autant que possible, dans les prisons cellulaires existantes. »

Je tiens à faire remarquer, en passant, que les mendiants valides ont été, dans une trop faible proportion, il est vrai, soumis à l'incarcération cellulaire. M. le ministre de la justice regrette sans doute autant que moi que nous n'ayons pas un nombre suffisant de cellules pour l'application de loi.

« Quant aux invalides, l'administration maintiendra, pour les recevoir, suivant les besoins, quelques dépôts existants et de préférence les dépôts agricoles.

Il résulte de cette note que, dans l'opinion de l'honorable M. Tesch, il y avait lieu d'appliquer le régime cellulaire aux mendiants valides et de se borner à conserver les dépôts agricoles pour les mendiants invalides.

Si l'on nr peut confondre les catégories des mendiants valides et des mendiants invalides, on ne saurait pas davantage comparer les dépôts de mendicité aux écoles de réforme.

Je tiens à répéter que j'admire beaucoup les écoles de réforme, que je suis convaincu que l'Etat remplit là une grande mission et le plus utile de ses devoirs en soumettant à la loi du travail ces jeunes intelligences qui peuvent encore s'assouplir et s'éclairer ; mais non moins vif, non moins consciencieux, est le sentiment que j'éprouve en considérant comme contraire à la fois à la sage administration de nos finances et aux progrès du système pénitentiaire toute organisation de colonies de mendiants valides.

MjBµ. - L'honorable membre se trompe ; M. Tesch a dit : « En attendant l'établissement des nouveaux dépôts de mendicité », nous tiendrons les mendiants en prison ; et le gouvernement demandait par l'article 11 le droit de créer les nouveaux établissements, et quels établissements ? Evidemment des établissements comme celui d'Hoogstraeten.

Il n' y avait pas d'autre tradition au ministère de la justice et tous les documents prouvent que, lorsque l'on faisait le projet de loi, on considérait Hoogstraeten comme le meilleur établissement du pays.

Le passage cité par l'honorable M. Kervyn n'était relatif qu'à une situation provisoire, et comment aurait-on pu dire que les invalides devaient travailler à la terre ? C'était évidemment pour les valides que l'établissement agricole devait être organisé.

M. Vleminckx, rapporteurµ. - Après les discours des honorables MM. Jacquemyns et de Zerezo, après les observations faites par l'honorable ministre de la justice, le rôle de votre rapporteur se trouve singulièrement simplifié et je n'aurais certes pas pris la parole si le projet du gouvernement, si l'exposé des motifs de ce projet et du même coup le rapport de la section centrale n'eussent été attaqués avec tant d'aigreur par l'honorable M. Thonissen. (Interruption.)

Je dis plus, je dis que si les reproches faits au projet étaient quelque peu fondés et qu'une section centrale fût venue vous en proposer l'adoption, je dis que cette section eût manqué à tous ses devoirs.

Voici ce qu'a dit l'honorable M. Thonissen :

« Cette affaire présente, messieurs, un côté extrêmement étrange. Tous les faits énoncés par le gouvernement dans l'exposé des motifs du projet de loi, sont radicalement erronés. Oui, parmi les faits cités par le gouvernement, sur le rapport de ses fonctionnaires, il n'y en a pas un seul qui soit conforme à la réalité. »

Jamais, messieurs, langage plus acerbe n'a été tenu ; jamais ; mais rassurez-vous, ces reproches sont complètement immérités. Si des exagérations ont été commises, si des faits erronés, inexacts, faux, ont été apportés dans cette discussion, c'est de la bouche de l'honorable M. Thonissen qu'ils sont sortis, et je vais m'empresser de vous le démontrer.

Le premier grief de l'honorable membre, c'est que le département de la justice a estimé que le gouvernement, en acquérant le domaine de Merxplas Ryckevorsel, au prix de 650,000 francs, ferait une excellente affaire, alors qu'il résulte du rapport d'un expert envoyé sur les lieux par un riche propriétaire hollandais, que ce domaine ne vaut en réalité que 405,000 francs, et cela encore avant qu'il eût été dépouillé de ses grands sapins.

Messieurs, l’honorable M. Thonissen n'a pas pensé qu'ici même dans cette enceinte se serait élevé un autre expert d'une compétence indéniable.

Vous connaissez tous, messieurs, la compétence de l'honorable M. Jacquemyns et vous savez de quelle manière il a répondu sur ce point à mon honorable ami. Je tiens à répéter ses paroles, car elles sont d'une grande importance.

« Celui qui tient avoir cette propriété, celui qui sait en tirer parti, sera enchanté de la posséder à ce prix : et l’on ne parviendra pas à procurer, dans le pays, un domaine de cette étendue, de même qualité à ce prix ; mais, pour celui qui ne peut en faire emploi, comme moi, qui ai fait estimer la colonie de Wortel-Merxplas lorsque à certain moment j’ai songé à en faire l’acquisition, il ne vaut peut-être pas cette somme ; mais je ne suis pas dans la position du gouvernement qui a l’emploi de tous ces grands bâtiments. »

Evidemment, messieurs, l’expert du gouvernement qui, d'après l'honorable M. Thonissen, ne serait qu'un âne, eût manqué tous ses devoirs, s'il n'avait pris en considération, dans son expertise, la position du gouvernement (page 336 vis-à-vis de la colonie à acquérir, et nécessairement il a dû conclure comme l'a fait l'honorable M. Jacquemyns.

Voici un second reproche adressé par l’honorable M. Thonissen au gouvernement.

Le gouvernement entend trouver sur le produit de la vente de certains dépôts, les sommes nécessaires pour acquérir Merxplas. Or. dit l'honorable membre, le dépôt de Reckheim, à coup sûr, est la propriété du Limbourg.

J'engage mon honorable ami à attendre un peu. Il n'est pas la justice, lui, La justice est saisie de la question de propriété et il est impossible d'affirmer hic et nunc que le dépôt de Reckheim appartient bien réellement à cette province.

A cette occasion, je demande à la Chambre la permission de lui citer un fait qui a une grande analogie avec celui-ci.

Plusieurs de mes honorables collègues de cette Chambre ont fait partie avec moi du conseil provincial du Brabant, pendant une longue série d'années.

Jusque dans les derniers temps, il n'y avait pas de doute pour nous que le dépôt de la Cambre n'appartînt à cette province. Nous dormions là-dessus sur nos deux oreilles, lorsqu'un beau jour, un des membres de l'assemblée se leva pour nous dire que si nous avions pensé jusqu'ici que la Cambre nous appartenait, nous étions dans l'erreur la plus profonde.

Voici, disait-il, des pièces qui prouvent que le Brabant peut revendiquer tout au plus la propriété d'une partie de l'établissement et que la plus grande appartient au gouvernement.

Cependant il était écrit dans des actes officiels que la Cambre. appartenait bien à notre province.

L'honorable Thonissen a, lui, invoqué la déclaration d'un ministre de la justice, que le dépôt de Reckheim est la propriété du Limbourg, mais un autre ministre a très bien pu trouver que son prédécesseur s’était trompé. et erreur fait pas compte.

M. Thonissenµ. - Et l'acte d'achat ?

M. Vleminckxµ. - Il y a aussi des actes d'achat pour la Cambre. Laissez faire la justice, et nous verrons après.

Messieurs, je suis vraiment fâché de devoir entrer dans une grande série de détails ; mais, je le répète, tant d'inexactitudes ont été dites dans cotte discussion ! Et comme un peu d'hésitation me semble exister dans l’assemblée, il me paraît indispensable de les réfuter.

Ainsi, par exemple, vous avez entendu l'honorable M. Thonissen faire un grief aux agents du département de la justice d'avoir trompé la Chambre en établissant faussement les distances existantes de Turnhout à Merxplas et de Lanaeken à Reckheim.

Vous avez entendu là-dessus M. Jacquemyns ; l'honorable membre a prouvé à la Chambre de la façon la plus péremptoire que les agents du département de la justice avaient parfaitement bien jugé et que l'honorable M. Thonissen, qui avait pourtant devant lui une carte, s'était trompé du tout au tout.

L'honorable membre vous a dit encore : Mais il n'y a pas de route de Turnhout à Merxplas, la route dont on parle dans le projet n'est que projetée et elle passera à 2,000 mètres de cette localité. Comment M. Jacquemyns a-t-il répondu à cette allégation ? M. Jacquemyns, qui n'est pas, lui, député du Limbourg, mais qui a parcouru la localité, a répondu tout de suite : « Mais cette route que vous déclarez ne pas exister, existe elle existe en grès et en terre ; je l'ai parcourue plusieurs fois : elle existe de Turnhout à Hoogstraeten à 400 mètres près, et il y a une bonne route de Turnhout à Merxplas. »

je n'accuse pas précisément l'honorable M. Thonissen d'avoir voulu induire la Chambre en erreur ; les renseignements et les faits qu'il est venu vous apporter, il les tenait bien certainement de ses concitoyens du Limbourg, Mais ceux-ci l'ont évidemment trompé, et si j'entrais dans d'autres détails, vous seriez vraiment étonnés. Par exemple, en section centrale on est venu nous tenir à peu près ce langage : « Mais ces murs de Merxplas n'existent pas, ce sont des murs en torchis ; de l'eau potable, il n'y en a pas une goutte. »

Ces révélations naturellement venaient du Limbourg. Néanmoins nous en avons été émus et à l'instant même nous avons écrit à M. le ministre de la justice pour lui demander ce qu'étaient ces murs de Merxplas et s’il était vrai qu'il n'y eût pas de l’eau potable dans la colonie dont on projetait l'acquisition.

Vous avez lu, messieurs, le rapport de la section centrale. Le ministre nous a répondu que les murs des bâtiments de Merxplas étaient des plus solides, et tellement solides, qu'on projetait de les charger d'un étage, et quant à l'eau potable, qu'il y avait dans la localité sept puits, dans lesquels il y avait de l'excellente eau.

Ce que je reproche à M. Thonissen, car ici le fait vient de lui seul, c'est l'allégation qu'Il a produite au sujet de la capacité de Merxplas au point de vue des mètres cubes d'air qu'il renfermera ; il est venu nous dire : « Mais à Merxplas si sous deviez suivre les indications fournies par M. Vleminckx, si vous deviez donner 13 mètres cubes d'air à chaque reclus, vous, n’en pourriez placer que 650. »

Ici l'honorable M. Thonissen n’avait qu’à lire le rapport, il y aurait vu que sur ces murs en torchis on allait élever l'étage dont je viens de vous parler, et que, grâce à ce nouvel étage, l'établissement pourrait renfermer 1,200 à 1,400 mendiants, ayant chacun dans les dortoirs 13 mètres cubes d'air.

Et puisqu'il est question ici de la capacité de Merxplas au point de vue de la quantité d'air que les dortoirs renferment, j'appellerai l'attention de M. le ministre de la justice sur la grosse question de ventilation.

Je sais qu'il est mode de reprocher au gouvernement qu'il traite trop bien les détenus et les reclus.

Quant à moi, je protesterai toujours contre ce reproche ; je proteste pour avoir vu les faits par moi-même pendant un grand nombre d'années. La gouvernement ne donne aux détenus et aux reclus que juste ce qu'il faut et rien de plus. Ce qu'il ne peut surtout leur refuser, c'est l'air, l'air que la Providence nous donne à profusion et qui est surtout nécessaire aux malheureux privés de la liberté.

Un gouvernement qui reculerait devant les dépenses à faire pour leur procurer cette chose essentielle à 1'existence, ferait preuve la plus cruelle inhumanité. Quant à moi, messieurs, je ne saurais blâmer trop énergiquement un pareil système d'économie, et je fais remarquer à l'honorable ministre de la justice que toutes les dépenses qu'il fera pour donner de l'air aux reclus, se traduiront, en dernière analyse, en une diminution considérable des journées de malades et en une augmentation considérable des journées de travail.

On a adressé encore un autre reproche au projet du gouvernement, et c'est toujours l'honorable M. Thonissen qui s'est chargé de le formuler. Mon honorable ami vous a dit que l'installation à Merxplas sera infiniment plus coûteuse qu'à Reckheim. Eh bien, voyons !

Et tout d'abord (et ce fait n'a pas été mis assez en évidence dans la discussion) il faut bien vous représenter que, préalablement à toute installation, la province de Limbourg commence par demander 200,000 francs au gouvernement (première dépense).

Ensuite le gouvernement vous a dit de son côté, dans l'exposé des motifs, et cela ne peut pas être nié, que, pour organiser le dépôt dans cette localité, il faudrait acquérir au moins 1,100 hectares de bruyères. Mais, nous dit- on, ces bruyères ne coûteront presque rien. Attendez ; il y a une vingtaine d'années, quand on y a établi le petit dépôt agricole, il a fallu acheter 53 hectares de ces bruyères ; et croyez-vous que la commune se soit empressée de les livrer ? Pas du tout, il a fallu recourir l'expropriation et on a payé chaque hectare au prix de 208 francs. Est-ce trop présumer que l'hectare actuel coûterait au moins 350 francs ? C'est-à-dire que, de ce seul chef, il faudrait encore dépenser 385,000 francs. (Deuxième dépense.)

Maintenant, il faut autre chose encore à Reckheim. Le dépôt actuel ne peut contenir que 300 détenus ; il faudra l'agrandir considérablement pour pouvoir en placer 1,200 ; or, je prétends que ce n'est pas exagérer, que d'évaluer à 400,000 francs la dépense à faire de ce chef. Nous arrivons donc à une somme ronde d'un million à onze cent mille francs, pour l'installation du dépôt dans le Limbourg, tandis que le gouvernement ne nous demande que 800,000 francs pour l'établir à Merxplas.

Enfin, messieurs, vous avez entendu, dans cette séance, faire un éloge pompeux de la fertilité des bruyères de Reckheim, et signaler en même temps l'infécondité certaine, indéniable, des terrains de Merxplas. Or, que vous a dit dans la séance de jeudi dernier notre honorable collègue, M. Jacquemyns ? Il vous a déclaré que les bruyères de Merxplas valent beaucoup mieux que les terrains de Ruysselede, et tout le monde sait les résultats qu'a produits dans ces terrains une bonne et intelligente culture.

Tels sont à peu près les griefs que l'honorable M. Thonissen a produits contre le projet de loi ; je pense qu'il n'en reste plus grand-chose ; ils se sont tous écroulés comme un château de cartes.

Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, le gouvernement va entreprendre une œuvre colossale ; ce n'est pas une raison pour l'en détourner ; il faut, au contraire, l'y encourager. De tous les travaux auxquels on puisse employer le plus les mendiants. les travaux agricoles sont incontestablement les meilleurs de tous, parce qu'ils sont les plus moralisateurs et en même temps les plus salubres.

(page 337) Je sais parfaitement qu'il est très difficile de convertir des mendiants en bons agriculteurs. Mais, messieurs, cette difficulté ne doit arrêter ni la Chambre, ni l'honorable ministre de la justice ; nous avons devant nous les établissements d'Hoogstraetcn et de Ruysselede dans lesquels, à l'aide de mendiants, on a obtenu d'excellents produits.

Enfin, le projet de loi aura pour effet certain de diminuer d'une manière considérable les dépenses que les communes doivent s'imposer aujourd'hui pour l'entretien des mendiants. Pour tous ces motifs, messieurs, je vous demande, au nom de la section centrale, de ne pas ajourner le vote du projet et de l’accueillir favorablement.

M. de Zerezo de Tejadaµ. - Messieurs, je désire rectifier une assertion qui me concerne et que M. le ministre de la Justice a produite dans la séance de jeudi dernier. Je tiens à la relever parce qu'elle pourrait donner lieu à une interprétation qui ne serait pas exacte.

L'honorable M. Bara vous a dit : « Vous avez ici deux personnes, MM. Jacquemyns et de Zerezo, qui habitent la Campine, et qui ne se sont pas élevés contre les évaluations. »

En présence de ces paroles, je dois faire observer à l'honorable ministre de la justice qui les a prononcées. et la Chambre qui les a entendues que, si je n'ai pas protesté contre le chiffre de 650,000 francs auquel M. l'inspecteur Oudart a évalué le domaine de Merxplas-Wortel, il ne s'ensuit aucunement que l'on ait le droit d’en conclure que j'ai donné mon adhésion à ce prix d'expertise.

Et cela est tellement vrai, que lorsque M. Thonissen nous a signalé le chiffre de 650,000 francs comme trop considérable, je lui ai répondu que je me garderais bien de combattre son opinion à cet égard.

Je pense que ce même chiffre, à l'heure qu'il est, constitue le principal argument qu’on fait valoir contre le projet de loi.

On ne doit pas perdre de vue qu'en insistant sur cette objection, on se place dans l'hypothèse que le gouvernement serait disposé à donner 650,000 francs pour le domaine de Merxplas-Wortel. Mais il n'en est pas ainsi, puisque M. le ministre de la justice nous a déclaré être parfaitement libre de tout engagement, et n'être convenu jusqu'ici d'aucun prix d'achat avec les propriétaires.

Je suppose que, quant à la valeur du domaine, le gouvernement doit en ce moment savoir à quoi s'en tenir. Les éléments d'appréciation ne lui manquent pas et dans tous les cas la discussion qui vient d'avoir lieu dans la séance actuelle et dans celle de jeudi passé lui aura donné les renseignements supplémentaires, dont il peut faire son profit.

M. le ministre de la justice nous a déclaré à diverses reprises qu'il nous faisait la promesse formelle qu'il aurait soin dans les négociations futures de sauvegarder les intérêts du trésor. C'est à cause de cette assurance, laquelle M. le ministre tout le premier a intérêt de demeurer fidèle, que, pour ma part je voterai le projet de loi.

M. Dumortierµ. - Messieurs, je n'entends pas discuter devant vous la question de savoir si des colonies agricoles sont ou ne sout pas utiles. Je prends la parole pour deux choses seulement : d'abord pour examiner le contrat d'achats et la valeur estimative de l'ingénieur qui se trouvent annexés au rapport et, en second lieu, la qualité des terres constituant l'opération dont il s'agit.

J'ai parcouru plusieurs reprises les terres de la colonie de Merxplas-Ryckevorsel qu'on appelait, sous le gouvernement hollandais, Fredericksoord et je puis en parler en connaissance de cause.

Quelle a été, messieurs, l'origine de cette entreprise ? A la suite de la formation du royaume des Pays-Bas en 1816, le gouvernement hollandais n’a pas tardé à voir que les deux parties du royaume, le nord et le sud était séparés par une lande immense qu'il était très désirable de voir cultiver, afin de faire du royaume un tout homogène ; c'est là le point de départ des colonies.

Il fallait arriver au défrichement de la Campine, et ce défrichement, disait-on, était possible, puisque les trappistes étaient parvenus à le réaliser dans une certaine partie de ce pays. C'était même pour cela qu’alors qu'on expulsait tous les ordres religieux, on a toujours conservé les trappistes comme exemple de la possibilité du défrichement.

On devait donc arriver à ce défrichement pour réunir les deux partie du pays, et pour cela il fallait démontrer la possibilité de cette opération.

On a donc pris, sur la limite des deux parties du royaume, le plus mauvais terrain et l'on s'est mis à l'œuvre sous le patronage du prince Frédéric qui lui-même a perdu à ces travaux un million de florins. J

'ai visité ces travaux à cette époque, 1823 ou 4824 ; ils étaient admirablement conçus ; il y avait de magnifiques allées et une foule de petites maisons bâties pour recevoir des familles ; ces constructions étaient charmantes.

Eh bien, quelques années seulement après le commencement des travaux, ces constructions étaient abandonnées, parce que les familles qui s’y étaient installées se trouvaient sur un sol tellement mauvais que les travailleurs devaient y mourir de faim. Il était impossible, avec ces sables qu’un souffle de vent peut emporter, de récolter la moindre chose. Les colonies ont donc dû être abandonnées à cause de l’impossibilité d’en tirer parti.

Plus tard, la question est revenue à diverses reprise à la Chambre. Déjà, en 1832, en 1833, en 1834, on est venu nous demander de reprendre cet établissement, on s'en est beaucoup occupé ici, et la Chambre a rejeté en disant : C'est une ruine. Nous ne voulons pas constituer le pays en ruine. nous savons l'argent que le prince Frédéric y a mis, les pertes qu'il a souffertes. Par conséquent nous refusons de continuer cette entreprise. Plus tard, des demandes ont encore été faites. Le gouvernement a chargé un homme dont le mérite est connu de beaucoup d'entre vous, surtout en matière d'institutions de bienfaisance, l'honorable M. Ducpetiaux, de faire un rapport qui se trouve dans les archives de cette Chambre. La Chambre a refusé d'accepter ce marché.

Maintenant lorsqu'on a de pareils précédents, lorsque l'établissement fondé par le gouvernement des Pays-Bas sous le patronage du prince Frédéric n'a pu continuer à cause de la mauvaise, de la détestable qualité du sol, qui n’est pas de la bruyère, qui est simplement du sable, lorsque l'établissement a dû être abandonné, parce que les colons employés ne pouvaient obtenir aucune récolte de ces terres, lorsqu'on a dû laisser tomber en ruine toutes les maisons qui avaient été construites, je demande comment il est possible de venir reprendre en sous-œuvre une affaire qui a si mal réussi !

Donc l'expérience a été faite à deux ou trois reprises différentes et la Chambre a écarté l’affaire à deux ou trois reprises différentes.

MjBµ. - Nous ne la reprenons pas.

M. Dumortierµ. - Vous proposez l'achat de cette propriété.

MjBµ. - Pour une maison pénitentiaire.

M. Dumortierµ. Acheter une maison alors et pas toute la propriété. Quand vous achetez toute la propriété, c'est pour en tirer parti. Eh bien, cette propriété sera un chancre pour les finances de l'Etat comme elle en a été un pour les finances du prince Frédéric.

Messieurs, j'ai visité deux ou trois fois dans ma vie cette colonie, et je déclare que je n'ai jamais vu, sur le sol de la Belgique, excepté dans les sables des dunes, quelque chose de plus détestable, de plus incapable de produire que les terrains dont il s'agit.

Le prince Frédéric, fatigué de cette opération qu'il avait sur les bras, cherchait depuis longtemps à s'en débarrasser. Plusieurs sociétés se sont formées pour faire l'acquisition de ce domaine ; et une propriété comme celle-là, par le chiffre des hectares qu'elle contient, était de nature à tenter beaucoup de personnes.

Toutes ces sociétés ont reculé lorsqu'elles ont vu la nature du sol et les résultats qui avaient été obtenus. La terre était tellement mauvaise que le prince Frédéric finit par vendre la propriété pour la somme de 400,000 francs.

Sur cette propriété on avait planté des sapins, et il n'y avait dans toute la propriété qu'une valeur sérieuse, la valeur des sapins ; on a abattu ces sapins. On nous a dit dans cette discussion que ces arbres étaient évalués 200,000 fr., mais on a réduit, par une approximation très modérée, le prix de vente à 100,000 francs.

Voilà donc le domaine acheté 400,000 fr., on vend pour 100,000 fr. d'arbres. L'acquéreur a ainsi la propriété, dans l'état oµ elle se trouve, pour 300,000 fr. Eh bien, c'est cette propriété que l'acquéreur a payée 400,000 fr.

MjBµ. - Le chiffre est inexact et vous oubliez les droits d’enregistrement.

M. Dumortierµ. - Nous arriverons tout à l'heure aux droits d'enregistrement.

C'est cette propriété qui ne revient aujourd'hui qu'à 300,000 francs, que l'acquéreur estime, d'après l'exposé des motifs, à 650,000 francs. Les frais d'enregistrement étant de 50,000 francs, le bénéfice serait donc de 300,000 francs.

Eh bien, dans ma conviction, il y a des pots-de-vin là dedans. Je prie M. le ministre de la justice, lui honnête homme, de suspendre l'affaire et de faire une enquête. (Interruption.)

Comment ! une propriété qui coûte 300,000 francs, on veut la vendre à l'Etat 650,000 francs. Et vous direz qu’il a pas de pots-de-vin là-dessous ? Il yen a ! il y e na ! il y en a ! (Interruption.)

Et voilà pourquoi j’ai été forcé de me ; je dis qu'il y a là-dessous (page 338) quelque chose que la Chambre ne peut pas tolérer, que M. le ministre de la justice, honnête homme, ne peut pas permettre.

Il faut qu’une enquête soit faite par M. le ministre ou par nous pour savoir ce qui s'est passé dans une pareille affaire.

Comment ! une propriété vendue 400,000 francs, sur laquelle on a abattu pour 100,000 francs d'arbres, qui ne revient par conséquent qu'à 300,000 francs, plus les frais d'enregistrement, on l'estime 650,000 francs dans les actes qui nous sont remis ! Mais c’est par trop fort, ct, je le répète, l'honnête ministre de la justice ne doit pas permettre une chose comme celle-là. Il doit vouloir, comme moi, une enquête pour voir clair une pareille affaire.

Nous devons empêcher des faits semblables. Nous trouvons cette fois la pie au nid.

- Un membre. - Quelle pie ?

M. Dumortierµ. - C'est la pie voleuse (interruption), la pie qui voudrait nous emporter 300,000 francs.

Voilà comment j'envisage cette affaire.

J'engage donc la Chambre à ne pas continuer cette discussion. Que M. le ministre de la justice, à l'honnêteté duquel je rends hommage, fasse une enquête sur ces faits ; qu'il demande comment il se fait qu'une propriété achetée, il y a trois ans, 400,000 francs et ne coûtant plus que 300,000 francs, est aujourd'hui évalué à 650,000 francs dans les actes qui nous sont présentés. Voila ce que nous avons le droit de savoir.

Lors de la chute du tunnel de Cumptich, nous avons fait une enquête ; cette enquête a produit un résultat considérable. C'était l'honorable M. Delfosse qui présidait. Là aussi on avait découvert des abus, des pots-de-vin et la Chambre a su prouver qu'elle voulait faire respecter la justice et le droit ; eh bien, messieurs, dans la circonstance actuelle, nous devons en agir de même, et je demande qu'il y ait des investigations sérieuses sur le point de savoir comment une propriété qui a été offerte à tout le monde et dont personne n'a voulu, qui a été définitivement vendue 400,000 florins, sur laquelle on a vendu pour 100,000 francs d'arbres, qui, par conséquent, ne coûte plus que 300,000 francs, comment cette propriété peut valoir aujourd'hui 650,000 francs.

M. le ministre dit : « Je ne suis pas engagé. » Non, vous n'êtes pas engagé, mais il y a un engagement moral, c'est que vous donnez, d'après vos agents, l'estimation de 650,000 francs et qu'on peut venir nous dire : Il me faut 650,000 francs ; la Chambre les a votés sur la foi de notre exposé motifs. Eh bien, j'engage beaucoup la Chambre à suspendre l'examen de ce projet. Je n'examine pas si les colonies sont utiles ou si elles ne sont pas utiles.

Ce que signale ici est d'un ordre bien plus élevé.

Quand on se place comme législateur devant la possibilité, je dirai pour moi l’évidence d'abus qui se sont passés administrativement, votre devoir est de ne point voter avant d'avoir tiré les choses au clair, avant de mendicité, s'il n'y a pas des faits qui sont de nature à être déférés aux tribunaux.

MjBµ. - Messieurs, je ne serais pas rentré dans le débat, car l'honorable membre n'a rien dit rien qui vaille une réfutation, s'il n'avait incriminé l'honneur de fonctionnaires parfaitement honorables.

Messieurs, je n'ai pas à juger les intentions de l'honorable membre mais je dois dire que ses allégations sont purement calomnieuses.

M. Dumortierµ. - Je demande la parole.

MjBµ. - C’est une allégation calomnieuse que de venir dire d'honorables fonctionnaires, sans aucune preuve à l'appui, qu'ils ont fait des expertises favorables, à cause de pots-de-vin.

Cette allégation est d'autant plus odieuse, d’autant plus imméritée et je dirai d'autant plus inopportune qu’elle ne peut avoir d'influence sur vous.

En effet, le gouvernement ne s'est pas lié, le gouvernement n'a pas conclu, le gouvernement n'a pas de prix arrêté avec les vendeurs. Il n'y a absolument rien de fait.

Et c’est alors qu'on vient vous parler de pots-de-vin !

Cette simple explication suffirait, messieurs, pour prouver que ce n'est qu’un calcul de la part de l'honorable membre pour servir ses amis du Limbourg, afin de faire repousser par la Chambre le projet qui lui est soumis. (Interruption.) Je ne puis l'interpréter autrement, car on ne vient pas dans cette Chambre attaquer sans motifs l'honneur de fonctionnaires.

Si l'on veut, on peut exproprier, pour cause d'utilité publique, le domaine qu'il s’agit d'acquérir, et alors le gouvernement devra débourser peut-être des sommes plus importantes que celles dont il est aujourd'hui question.

Que s’est-il passé ?

Est-ce un fonctionnaire du département de la justice seul qui a l'expertise ? Pas le moins du monde.

C'est d'abord un fonctionnaire du département de la justice ; puis ce sont les fonctionnaires du département des finances, et comment ceux-ci ont-ils fait leur évaluation ? En calculant d'après les prix des propriétés vendues.

Voilà la situation.

Il y a plus, le fonctionnaire qu'on attaque avait fait la première expertise en 1862, c'est-à-dire bien longtemps avant qu’il pût s'agir d'acquérir Merxplas, bien longtemps avant que les propriétaires actuels fussent devenus propriétaires des anciennes colonies de bienfaisance.

On vient de vous dire que l'Etat va payer 650,000 francs. Qu'en savez-vous ?

Si encore vous veniez dire au gouvernement : Prenez garde, ne payez pas trop cher, j'estime que l'évaluation est trop élevée, je vous comprendrais.

Mais quand vous savez qu'il n'y a pas de traité de fait, pourquoi avez-vous parlé de pot-de-vin ?

Vous devriez reconnaître que cette parole est déplorable. Elle ne devrait pas sortir de la bouche d'un député.

C'est précisément parce que vous êtes inviolable, parce que l'on ne peut vous attaquer, que vous devriez être modéré dans vos attaques. It ne suffit pas de vous couvrir de votre manteau d'inviolabilité pour être un député courageux et honorable, il faut pouvoir dire au dehors ce qu'on dit dans cette enceinte.

Voilà comment un député doit comprendre ses prérogatives, il ne doit revendiquer son inviolabilité qu’à la dernière extrémité. Mais il n'a pas le droit de trainer sur la claie un citoyen, fût-ce même un fonctionnaire. (Interruption.) Quand vous voulez attaquer un fonctionnaire, sortez de cette enceinte et attaquez-le en face.

Voilà ce que j'avais à dire, non pour défendre mon projet, non pour faire accepter le prix indiqué, mais pour répondre à des calomnies.

M. Dumortierµ. - Vous n'avez pas le droit de vous servir de pareilles expressions. Je demande le rappel à l'ordre de M. le ministre de la justice.

M. Vleminckxµ. - Vous n'avez pas le droit de calomnier.

M. Dumortierµ. - Il y a des formes parlementaires à respecter. M. le ministre de la justice n'a pas le droit de me traiter de calomniateur. Si un membre de l'opposition s'était servi de cette expression, je demande si depuis longtemps il n'aurait pas été rappelé à l'ordre ! (Interruption.)

MpDµ. - Je dois faire remarquer à M. Dumortier que la justice du président est égale pour tous ses collègues. Si je n'ai pas adressé d'observation à l'honorable ministre de la justice, quand il s'est servi du mot calomnie, c'est parce que les paroles dont vous vous étiez servi étaient empreintes d'une déplorable exagération.

M. Dumortierµ. - Ainsi vous justifiez les paroles de M. le ministre de la justice ?

MpDµ. - Vous avez affirmé d'une manière positive qu'il y avait des pots-de-vin dans cette affaire : Parler ainsi, c'est attaquer l'honneur des fonctionnaires...

M. Rogierµ. - M. Dumortier a dit qu'il y avait eu pot-de-vin donné...

M. Dumortierµ. - J’ai dit qu'il devait y avoir eu pot-de-vin donné.

MpDµ. - C'est précisément parce que M. Dumortier a cédé à cette exagération, que je n'al pas cru devoir interrompre le ministre de la justice.

M. Dumortierµ. - Je demande la parole.

MpDµ. - Vous l'avez, M. Dumortier.

M. Dumortierµ. - Sur le fond ou sur l'incident ?

MpDµ. - Sur l'incident.

M. Dumortierµ. - J'ai demandé la parole pour dire que lorsque j'exprime une pensée que tout député a le droit et le devoir d'exprimer, il n'appartient pas à un ministre de traiter ce député comme il l'a fait ; il ne faut pas avoir la moindre idée des convenances parlementaires pour agir comme l'a fait M. le ministre de la justice. Dans aucun parlement, vous ne verrez un député traité de la manière dont je l'ai été. Et pourquoi suis-je traité ainsi ? Parce que je signale à la Chambre un abus que la plupart d'entre vous, la main sur la conscience doivent reconnaître.

M. de Brouckereµ. - Non...

M. Dumortierµ. - Il y en a un qui ne le reconnaît pas, et c'est dans de pareilles circonstances que M. le ministre de la justice vient parler de calomnie !

Mais, dit M. le président, mis vous êtes livré à un examen trop sévère. Soit, qu'un me réponde ; ; mais je ne me suis pas de ces expressions qui ne sont propres qu’aux bouges et aux mauvais lieux.

(page 339) MpDµ. - Ceci prouve le danger des exagérations d'expressions. Il est évident que les expressions dont M. Dumortier s'est servi ont dépassé sa pensée.

M. Dumortierµ. - Non.

MpDµ. - Je suis fâché que vous ne soyez pas d'accord avec moi pour regretter l'exagération de sus expressions. On ne peut pas dans cette Chambre, sans preuves, accuser d'honorables fonctionnaires d'avoir reçu des pots-de-vin.

M. Dumortierµ. - M. le président, vous délibérez et vous avez pas le droit !

MpDµ. - Je ne délibère pas ; j'use de l'autorité que la Chambre m'a confiée.

Je répète donc qu'il ne faut pas mettre en cause dans de telles conditions des personnes qui ne font pas partie de cette Chambre. J'engage donc tous mes collègues à s'abstenir d'expressions de ce genre ; je répète cette invitation pour tout le monde. Maintenant, demandez-vous encore la parole sur le fond ?

M. Dumortierµ. - Certainement.

MpDµ. - Vous avez la parole sur le fond.

M. Dumortierµ. - Messieurs, j'ai demandé à la Chambre une enquête sur un fait que vous pouvez apprécier, sur une différence de chiffres qui est flagrante. J'ai émis une opinion personnelle, une conviction intime, sans cependant la donner comme reposant sur un fait positif. J'ai dit que, dans ma conviction, il devait y avoir là-dessous des pots-de-vin. Eh bien, n'avais-je pas le droit de le dire ? Mais, messieurs, il n'y aurait donc plus de gouvernement représentatif. Quoi ! je remarque un grave abus et je ne pourrais pas le signaler !

Mais voyez ce qui se passe à la tribune française, la tribune anglaise et dites-moi si les députés y sont ainsi vinculés et si le président y délibère et y discute avec les membres.

MpDµ. - M. Dumortier, je crois que le reproche que vous m'adressez est parfaitement immérité et que mes honorables collègues eux-mêmes me défendent contre ce reproche.

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. Dumortierµ. - Vous avez, M. le président, toléré une expression qui n'est pas parlementaire et vous aurez voulu justifier cette tolérance en m'accusant.

MpDµ. - J'ai expliqué ma tolérance par celle dont j'avais usé envers vous.

M. Thibautµ. - Le cas n'était pas le même.

MjBµ. - Parfaitement et même plus fort.

M. Thibautµ. - M. Dumortier avait le droit d'émettre une appréciation.

M. Dumortierµ. - J'avais le droit de dire ce que j'ai dit et M. le ministre de la justice n'avait pas le droit de dire ce qu'il a dit. Comment ! je découvrirai un abus ; je verrai qu’une propriété vendue 400,000 francs il y a quatre ans et sur laquelle on a abattu du bois pour une somme de 100,000 francs, est aujourd'hui évaluée à 650,000 francs, soit une différence de 300,000 francs, et je n'aurais pas le droit de le signaler, et je n'aurais pas le droit de demander une enquête sur un pareil fait !

MfFOµ. - Vous avez le droit de discuter, mais vous abusez de votre droit en disant qu'il y a des pots-de-vin dans cette affaire.

M. Dumortierµ. - Je demande une enquête pour voir s'il y en a et j'invite M. le ministre à faire cette enquête pour s'assurer s'il y a ou s'il n'y a pas de pots-de-vin.

Si un député ne peut pas s'exprimer comme je l'ai fait sur un fait aussi grave que celui qui résulte des pièces que nous avons sous les yeux ; si un député ne peut pas demander une enquête sur un tel fait, et si, pour appuyer sa demande, il ne peut pas dire que, dans sa conviction personnelle il y a là dessous des pots-de-vin, je demande ce que devient la prérogative du député.

Maintenant, ai-je accusé qui que ce soit d'avoir reçu ces pots-de-vin ? En aucune façon. (Interruption.) Non, je n'ai accusé personne ; j'ai dit que je ne concevais pas comment cette propriété était estimée à 650,000 francs, alors qu'elle a été vendue au prix de 200,000 florins il y a quatre ans.

Voulez-vous que je vous dise que ce sont des tripotages ? Eh bien, soit je me servirai de cette expression.

MpDµ. - Elle ne vaut guère mieux.

M. Dumortierµ. - Il y a donc eu des tripotages dans cette affaire. Eh bien, s'il en est ainsi, la Chambre est bien dans son droit en voulant examiner cette affaire et rechercher jusqu'à quel point ce chiffre de francs est sérieux, comment une propriété vendue, il y a quatre ans, 200,000 francs peut être évaluée aujourd'hui à 650.000 francs.

M. le ministre nous dit qu’il n'est pas lié par l'évaluation des experts ; mais pourquoi donc alors nous demande-t-il un crédit de 800,000 francs' Votre chiffre vous lie en raison de l'évaluation qui se trouve dans votre exposé des motifs, cet exposé est le développement du chiffre que vois demandez.

J'ai le droit et le devoir de demander que, soit la Chambre, soit le ministre de la justice, fasse une enquête ; cette enquête est indispensable ; il s'agit de savoir comment un domaine qui a été vendu pour somme de 400,000 francs, réduite à 300,000 francs, par suite d'une vente d'arbres est estimée 650,000 francs.

M. le ministre de la justice vient m'accuser de défendre ici l'intérêt de la province de Limbourg dans cette question ; dois-je répondre à cette accusation ? Je ne connais pas le premier mot de l'intérêt du Limbourg dans cette question ; M. le ministre vient m'attribuer une mauvaise intention pour détourner l'attention de l'accusation formelle que j'ai dirigée contra les évaluations ; mon accusation était basée sur le chiffre que vous donné vous-même. Encore une fois, il est des plus étrange qu'un ministre vienne de traiter de calomnieuse la dénonciation faite par un député de ce qui est, à ses yeux, un abus réel.

Comment ! il faudra donc à l'avenir que nous ne disions plus rien, que nous ne dénoncions pas les abus qui existent ; il faudra donc que nous nous bornions à voter ce que vous nous proposez, c'est-à-dire accepter aveuglément toutes les déclarations que vous venez nous faire. Nous avons pour nous notre vieille expérience parlementaire, nous n'abdiquerons pas notre vieille indépendance, et cette indépendance, nous la maintiendrons, malgré vos expressions déplacées.

Oh ! si nous voulions nous servir d'un pareil langage, il nous serait bien facile de renvoyer la balle à M. Bara, de trouver dans son dictionnaire des expressions analogues à celles qu'il a employées ; mais ces expressions ne sont ni dans vos dictionnaires, ni dans mon dictionnaire. En ne lui répondant pas sur le même .ton, je crois qu'il sera beaucoup plus confus de s'être servi d'un pareil langage envers moi. Mais je maintiens qu'il y a dans cette affaire quelque chose de scandaleux. Quand M. le ministre de la justice vient nous demander un crédit de 800,000 francs reposant sur une évaluation de 650,000 francs pour l'acquisition d'un domaine qui a été vendu 300,000 francs, défalcation faite de 100,000 francs pour un abatis d'arbres, je dis qu'il y a là un fait sérieux que la Chambre ne pcut pas sanctionner, sans avoir toutes les explications nécessaires.

« Mais, dit M. le ministre de la justice, il y avait des évaluations antérieures. » C'est possible ; mais ces évaluations avaient été énormément exagérées, à tel point que le prince Frédéric a dû vendre le domaine pour 200,000 florins ; ces évaluations n'avaient aucune espèce de justification, et les actes d'enregistrement sont là pour établir que le domaine a été vendu 200,000 florins ; et cette propriété dont la valeur a diminuée de 100,000 francs par la vente d'un abatis d'arbres, on vient nous la présenter comme valant 650,000 francs !

Qui de nous, ayant acheter une propriété, et possédant les éléments d'enregistrement, consentirait à payer cette propriété le double de ce qu'elle vaut ? Eh bien, ce que nul de nous ne ferait, le gouvernement le fait: il vient nous demander pour l'acquisition du domaine de Merxplas le double de la valeur de ce domaine !

Je ne regrette pas du tout ce que j'ai dit ; et quoi qu'en dise M. le ministre de la justice, si, dans notre position de membre de la Chambre des représentants, nous ne pouvons pas signaler les abus qui se passent sous nos yeux, et ici l'abus est saillant pour tout le monde, si nous ne pouvons pas signaler de pareils abus sans nous exposer à des injures, sans risquer d'encourir des rappels à l'ordre, je demande ce que nous venons faire dans cette enceinte.

M. Rogierµ. - La Chambre trouve quelquefois que l'honorable membre qui vient de se rasseoir apporte l'exagération dans ses discours ; ce qui peut d'ailleurs arriver à chacun de nous. Mais il arrive aussi que la Chambre n’accorde pas toujours à ses paroles l’importance que l'orateur pourrait y attacher. Il est violent, emporté ; on lui passe beaucoup de choses.

Cette fois, messieurs, je trouve que les paroles de l'honorable M. Dumortier sont graves, qu'elles méritent l'attention de la Chambre et da gouvernement.

Il a légèrement atténué. il est vrai, dans son second discours la grave accusation produite dans le premier.

Ce n'était pas, comme l'a dit M. le président. avec beaucoup d'indulgence, une simple violence de parole ; c'était une accusation en termes (page 340) exprès. Il est incontestable, a dit l'honorable M. Dumortier, qu'il y a eu corruption, qu'il y a eu des pots-de-vin, pour me servir de ses expressions, dans l'affaire.

M. Dumortierµ. - J'ai dit : dans ma conviction.

M. Rogierµ. - Dans ce cas, c'était un devoir pour vous de signaler la Chambre ce que vous venez encore d'appeler des tripotages et j'applaudirais à votre courage si vous apportiez quelques preuves à l'appui de cette grave accusation.

Messieurs. nous sommes représentants de la nation, nous avons des devoirs à remplir envers elle, et nos paroles sont entendues de tout le pays ; c'est précisément pourquoi nous ne devons point lâcher légèrement des inculpations qui peuvent porter le deuil et le déshonneur dans des familles honorables ; nous devons être deux fois sûrs de ce que nous avançons.

Apportez des preuves et nous serons les premiers à vous appuyer. Mais sans preuve aucune, sans aucune pièce à l’appui de vos graves accusations, comment voulez-vous que la Chambre s'associe à vous ?

Quoi qu'il en soit, je trouve, messieurs, que la discussion ne peut pas en rester là. Ou il y a eu un vol, ou il y a calomnie dans cette affaire.

Il faut que le jour se fasse ; et si les fonctionnaires inculpés l'ont été à juste titre, il qu'ils soient punis.

Si, au contraire, ils ont été calomniés, il faut que les calomniateurs reçoivent la peine morale qu'ils ont méritée.

Voilà comment j'envisage cette affaire. Lorsque de pareils faits se produisent dans cette Chambre, lorsque de pareilles accusations émanent de la bouche d'un représentant, dont d'ailleurs je ne veux pas suspecter la bonne foi, il est impossible que la Chambre passe à l'ordre du jour. Je suis bien convaincu que MM. les ministres eux-mêmes demanderont que la lumière se fasse. L'honorable M. Dumortier ne s'en tiendra pas, sans doute, à la vague accusation produite dans son discours. Il doit comprendre que des preuves à l'appui de son inculpation sont indispensables ou du moins un commencement sérieux de preuves.

Pour conclure, messieurs, je demande que la discussion ne soit pas close. Il y a longtemps que la Chambre n'a pas été saisie de pareils incidents qui sont très rares en Belgique. Heureusement pour l’honneur du pays, nos fonctionnaires publics ont rarement, bien rarement, donné ce spectacle scandaleux qu'on a vu se produire dans d’autres contrées.

C'est le patrimoine public que l’honneur des fonctionnaires publics ; c’est au moins une partie de notre patrimoine moral.

Nous devons défendre cet honneur s'il est injustement attaqué ou mis en suspicion ; mais nous ne devrions pas non plus hésiter à poursuivre rigoureusement ceux qui déshonoreraient leurs fonctions par une corruption d'autant plus condamnable qu'elle se présente plus rarement.

M. Dumortierµ. - Je suis vraiment surpris d'entendre l’honorable M. Rogier me dire que c'est avec légèreté que j'ai présenté mes observations à la Chambre. J

Je n'ai, dit-il, apporté aucune preuve. Qu'ai-je fait ? J'ai fourni une preuve élémentaire. propriété vendue par acte public 400,000 francs, enregistrée au prix de 400,000 francs, sur laquelle on a vendu pour 100,000 francs d'arbres, ce qui est encore enregistré, les estimations produites dans l’exposé des motifs en portent la valeur à 650,000 francs ! Et ce n'est pas là, M. Rogier, un commencement de preuve ? Mais si ce n'est pas là un commencement de preuve, que vous faut-il ?

Comme commencement de preuve, je vous ai donné une appréciation ; et quand je viens demander une enquête, je ne dois pas produire la preuve. Si j'avais la preuve, je ne demanderais pas d'enquête ; je viens donner une appréciation tirée des documents officiels qui nous sont remis et vous viendrez dire que ce n'est rien ? Qu'est-ce que puis vous dire de plus fort que les documents officiels ? Est-il vrai, oui ou non, que dans l'exposé des motifs la propriété est évaluée 650,000 francs ?

MjBµ. - Cela est faux.

M. Dumortierµ. - Voilà encore le langage de M. Bara ; C'est le langage des halles !

M. de Zerezo de Tejadaµ. - Ce chiffre se trouve dans les annexes du rapport de la section centrale.

M. Dumortier.µ. - Ce chiffre est produit dans les annexes du rapport de la section centrale, et le rapport de la section centrale est un document parlementaire.

MjBµ. - Ce n'est pas l'exposé des motifs.

M. Dumortierµ. - Est-il vrai, oui ou non, que cette propriété est évaluée, dans le rapport, à 650,000 francs ? Est-il vrai, oui ou non, qu'elle a été achetée, il y a trois ans, pour 200,000 florins ?

M. Vleminckxµ. - Cela n'est pas dit dans le rapport. Je prie M. Dumortier de me permettre une observation.

M. Dumortier. - Je voudrais acheter.

M. Vleminckxµ. - Je désire dire un mot pour éclairer l’honorable M. Dumortier.

MpDµ. - Y consentez-vous, M. Dumortier ?

M. Dumortierµ. - Oui, M. le président.

M. Vleminckx, rapporteurµ. - Dans le rapport, il ne se trouve qu'un seul chiffre, celui de 650,000 francs auquel a été fixée la valeur de la propriété par agents du gouvernement. Mais quant au chiffre auquel a été vendue la propriété, il n'en est rien dit dans le rapport, comme il n'est rien dit non plus, dans le rapport, du chiffre qu'a produit la vente des sapins. C’est l'honorable M. Thonissen qui a introduit dans la discussion ce chiffre de 400,000 francs d'après son expert du Limbourg.

M. Dumortierµ. - Non, d'après l'acte de vente.

M. Vleminckx, rapporteurµ. - Et c'est l'honorable M. Thonissen qui a produit le chiffre de 100,000 francs comme prix de la vente des sapins. Or, ni l'honorable M. Thonissen, ni aucun membre de cette Chambre ne sait d'une manière précise quel est le prix auquel la propriété a été vendue au propriétaire actuel, pas plus que nous ne savons quel est le rapport de la vente des sapins.

- Des membres. - Il y a des actes authentiques.

M. Vleminckxµ. - Personne ne les a ; il a pour la Chambre qu’un seul chiffre : C’est le chiffre de 650,000 fr. et ce chiffre est celui d'une évaluation, ce n’est pas un chiffre absolu pour la Chambre.

M. Dumortierµ. - L'honorable rapporteur conteste et a contesté les chiffres que j'ai indiqués, je vais donner lecture à la Chambre de l'extrait authentique de la conservation des hypothèques.

M. Vleminckxµ. - Oui, mais on parle du rapport.

M. Dumortierµ. - Vous n'aviez qu'à vous assurer des faits. Mais les experts, en faisant l'estimation, ont dû nécessairement connaître l'acte de vente.

Voici un extrait délivré par le conservateur des hypothèques de Turnhout :

« Le 21 mars 1865, volume 383, n°65, il a été transmis un acte passé devant Maître Henri-Jean Nuten, notaire à Turnhout. le 30 janvier 1865, portant vente par S. A. R. Guillaume-Frédéric-Charles, prince des Pays-Bas, demeurant à La Haye, 1° à Maître Charles-Louis Van Eecke, 2° Désiré Vanden Bogaerde, notaire à Poperinghe ; 3° Auguste de Coop, propriétaire à Poperinghe, et Adolphe Vanden Nogaerdc, notaire à Proven, de la propriété dite : la colonie de Merxplas-Ryckevorsel, etc., consistant en : 1°sous la commune de Merxplas 373 hectares 15 ares 10 centiares, sous la commune de Ryckevorsel 197 hectares 19 ares 75 centiares, et sous la commune de Wortel 252 hectares 42 ares 30 centiares pour la section C et 264 hectares 8 ares 65 centiares pour la section B, moyennant la somme de 450,000 francs, Reçu pour timbre et salaire 4 fr. 45 c.

« Turnhout, le 10 juin 1869. »

Voilà, messieurs, le fait ; je crois qu'on ne peut pas le contester. Voilà un acte authentique. La propriété a été vendue 450,000 francs et elle est aujourd'hui évaluée 650,000 francs d'après des documents fournis par le gouvernement. L’honorable M. Thonissen, qui a parfaitement étudié la question, nous a dit qu'il avait été vendu pour 100,000 francs d'arbres, reste donc 350,000 fr., qui se trouvent aujourd'hui portés à 650,000 tr. Il y a donc, comme je l'ai dit, 300,000 francs de plus, et l’honorable M. Rogier aura, je pense, ses apaisements. Ce sont là des preuves.

MfFOµ. - Des preuves de pots-de-vin ?

M. Dumortierµ. - Ce sont des preuves de la différence des chiffres, 300,000 francs de différence, d'où cela vient-il ?

Que des agents du gouvernement aient évalué cette propriété aujourd'hui dépouillée de ses bois 200,000 francs de plus qu'elle n'a été vendue par l’acte d'enregistrement que je viens de vous lire.

Admettez-vous que des agents du gouvernement aient fait une pareille estimation sans s'être fait présenter l'acte d'enregistrement qui est toujours leur disposition ? Cela n'est pas possible.

Eh bien, quand je vois de pareils faits, moi député indépendant, mon devoir est de les signaler à la Chambre et de demander une enquête. J'ai dit et je répète que, dans ma conviction, cette différence de 300,000 francs sur un pareil marché ne pouvait provenir que d'une seule chose ; c'est qu'il y avait des pots-de-vin en jeu.

Ai-je dit que c'était au profit de tel ou tel fonctionnaire du gouvernement ? C’est ce que l’enquête doit démontrer.

Ne venez pas dire que lorsqu’un député remplit ainsi son devoir, il doit être réprimandé par la Chambre.

(page 341) Je conçois cela de la part d’un ancien ministre qui n’a jamais beaucoup aimé à être critiqué.

En députés indépendants, nous avons le devoir de signaler les abus lorsque nous les voyons. Qui de vous oserait dire qu'il n'y a pas d'abus ? Comment ! une propriété vendue 450,000 francs il y a quatre ans, et sur laquelle on a vendu 100,000 francs d'arbres, est évaluée à 650,000 francs ! On vous propose un crédit en conséquence, car la section centrale n'a donné cette évaluation que pour justifier le chiffre demandé de 800,000 fr.

Si un député ne peul signaler da pareils faits à la Chambre, je dis qu'il n’y a plus de gouvernement parlementaire.

Des pots-de-vin, il peut y avoir de plusieurs côtés : pots-de-vin de la part d'autorités civiles, pots-de-vin de la part d'autorités administratives, c'est ce que je ne sais pas.

Je vois très bien l'énormité de la différence de l'évaluation au prix d'achat. Voilà ce que je vous apporte comme commencement d'instruction. C'est l'enquête qui doit dire le reste.

Si, après de pareils faits, la Chambre, non contente de voter un pareil projet, allait jusqu'à flétrir le député qui remplit son devoir en les signalant, c’en serait fail chez nous du gouvernement représentatif et vous auriez des leçons à demander à un pays voisin qui relève sa tribune alors que vous auriez abaissé la vôtre.

MjBµ. - Messieurs, les faits qui viennent de se passer sont très graves et ils ne peuvent se terminer ainsi.

A cet égard l'honorable M. Rogier a prononcé de sages paroles.

Evidemment l'impunité du député doit exister, mais il faut aussi respecter l'honneur des citoyens et nous nous montrerions injustes envers des fonctionnaires attaqués si nous leur refusions le droit de se justifier.

Voici la question telle qu'elle se pose.

L'honorable M. Dumortier a déclaré qu'il y avait ou des pots-de-vin...

M. Dumortierµ. - Dans ma conviction, j'ai dit...

MjBµ. - Evidemment, ce peut pas être dans la conviction de vos voisins.

L'honorable membre a donc déclaré qu'il y avait des pots-de-vin.

M. Dumortierµ. - Expliquez vos chiffres, s'il n'en est pas ainsi.

MjBµ. - C'est vous qui aurez à justifier votre mot.

L'honorable membre a donc déclaré qu'il y avait des pots-de-vin et en s'asseyant maintenant il dit ; Je signale un méfait.

Eh bien, messieurs, il faut que la situation soit bien précisée.

Le gouvernement n'a pas traité, il n'est donc pas lié vis-à-vis des propriétaires de Merxplas. Or. M. Dumortier a accusé des fonctionnaires d'avoir, en vue de forcer le gouvernement à traiter pour le prix de 650,000, francs fait des expertises contraires à la vérité et d'avoir, pour cela, touché des pots-de-vin. .

M. Dumortierµ. - Je n'ai pas dit cela...

MhBµ. - Le prix de 650,000 francs est fixé par un agent, mais il y a un autre agent qui fixe un autre prix. Les pièces confidentielles qui contiennent ces estimations n'ont été communiquées à la section centrale que sur sa demande et le gouvernement déclarait ce qui suit :

« Le gouvernement n'est pas fixé sur le prix de l'acquisition, mais il ne négligera aucune précaution pour s'assurer de la valeur réelle et sérieuse de la propriété. » Voilà la déclaration du gouvernement. Sollicité par la section centrale, nous avons loyalement livré à l'honorable M. Vleminckx, son rapporteur, les pièces de l'expertise, mais nous l'avons en même temps prié de ne pas faire figurer les chiffres dans son rapport, afin de ne pas les faire connaitre aux propriétaires et de ne pas nous gêner dans les négociations que nous devions suivre avec eux.

Or, voici ces expertises et vous allez voir ce qu'il y a de fondé dans l'accusation de M. Dumortier.

D'après l'acte que M. Dumortier a lu tout l'heure, les immeubles ont été vendus 435,000 francs, mais les acheteurs prétendent que, pour échapper au fisc, ils ont dissimulé une partie du prix et, l'appui de cette allégation, il y a certains faits qui ont leur importance. Mais je n’en tiens pas compte.

Sur ces 450,000 francs, il fallait payer les droits d'enregistrement, ce qui portait la propriété à 500,000 francs.

On a défoncé certaines parties, on en a défriché d'autres, il y a de cela cinq ans et l'intérêt a été perdu. L'amélioration de la propriété vaut plus que les coupes faites. L’agent du département de la justice évalue les terres sans les bâtiments à 510,000 francs et l'agent du département des finances à 498,770 soit une différence de 11.000 francs ou, à peu de chose près. la même évaluation que celle qui a été faite par le fonctionnaire du département des finances.

Restent les bâtiments. Ici une grande controverse a surgi et c’est de là que provient la différence.

Pour un propriétaire ordinaire, dit-on, les bâtiments ne valent rien ; mais pour l'Etat qui veut créer un établissement pénitentiaire, ils ont une valeur certaine, et c’est ainsi qu'en se plaçant à ces points de vue différents, l'agent de la justice a évalué les bâtiments à 135.000 francs.

Voilà, messieurs, la cause de cette différence de 100,000 à 140,000 francs, et c'est précisément que je me réservais de faire tous mes efforts pour diminuer le plus possible le prix d'achat que j'aurais voulu ne pas à faire connaître ces chiffres.

Mais quand l’honorable M. Dumortier parle de la valeur du domaine, il laisse de côté les bâtiments, il ne nous dit pas que ceux-ci ont été évalués à 130,000 francs et qu'ils sont sans valeur pour un particulier.

Eh bien, en présence de cette accusation il faut que la chose soit éclaircie. Ce n'est pas la première fois que l’honorable M. Dumortier se livre à de pareilles accusations.

Vous vous rappelez encore, messieurs, son accusation contre M. Hochsteyn, directeur des postes à Bruxelles, vous n'ayez pas oublié qu'il a accusé l’honorable fonctionnaire d'ouvrir les lettres.

M. Dumortierµ. - Et c'était vrai. (Interruption.)

MfFOµ. - Vous avez été confondu dans cette affaire.

MtpJµ. - Je vous ai démontré la fausseté d'accusations analogues portées par vous, il y a un an, contre un de mes fonctionnaires.

M. Dumortierµ. - Commencez par surveiller vos fonctionnaires et ne leur permettez pas d'ouvrir les lettres.

MjBµ. - En définitive, il n'y a d'honnête homme que le député de Roulers. Et parce qu'il est investi du mandat de député, il se croit autorisé à lancer contre des personnes étrangères à cette assemblée toutes les accusations imaginables.

Voilà donc, d'après l'honorable Dumortier, le droit du député ; le député a le droit de lancer toutes les accusations qu'il lui plait, Sans les appuyer d'aucune preuve.

Eh bien, puisqu’il en est ainsi, puisque nous sommes en présence d'une accusation formelle, je prierai le bureau de veiller à ce qu'elle soit maintenue, telle qu'elle a été formulée et sans que les termes en soient atténués.

Je demande à la Chambre de faire une enquête sur cette accusation dirigée par l'honorable membre contre des fonctionnaires des départements des finances et de la justice d'avoir touché des pots-de-vin pour faire des rapports de nature à amener le gouvernement à traiter pour une valeur supérieure à la valeur réelle de la propriété. Comme l'a dit l'honorable M. Rogier. en présence d'une pareille accusation, il faut nécessairement qu'une enquête ait lieu pour que nous sachions s'il y a eu des calomniateurs ou des voleurs.

M. Vleminckxµ. - Je tiens à dire à M. le ministre de la justice que la section centrale a ordonné l’impression des pièces telles qu’elles lui ont été envoyées. C'est ainsi que ce dernier chiffre a été imprimé parce qu'il se trouvait sur le manuscrit et qu'elle en a conclu qu'il n'y avait pas d'inconvénient à le publier.

Maintenant, quant à l'acte de vente, je déclare, au nom de la section centrale, que c'est la première fois que j'en entends parler ; jusqu'à ce moment personne de nous n'en avait connaissance.

M. Dumortierµ. - Nous sommes d'accord sur l'enquête, mais pas sur vos paroles, et je dois y répondre quelques mots.

Messieurs, c'est une chose vraiment étrange de voir l'honorable M. Bara se livrer encore une fois à des personnalités contre moi et m'accuser de profiter de mon inviolabilité pour accuser des citoyens à cette tribune, alors que nous l'avons vu. dans la discussion de la loi sur les bourses d'étude, ne cesser de trainer dans la boue tout ce qu'il y a de plus honorable en Belgique.

C'est vous qui êtes venu ici traîner dans la boue les hommes les plus honorables. C’est vous qui êtes venu accuser ici un vieux et respectable abbé d'avoir été un voleur ; c’est vous qui, dans cette enceinte, traité des chanoines, vos anciens bienfaiteurs, de malhonnêtes gens. Et c'est vous qui venez me dire que je me livre à des accusations calomnieuses contre des fonctionnaires publics, alors que je viens dénoncer ici ce qui, dans ma conviction, est un véritable et grave abus. Oui, chaque fois que j'aurai connaissance d'un de ces abus de nature à (page 342) compromettre la dignité du gouvernement, à engager sa responsabilité, sur laquelle la Constitution nous fait une obligation de porter un œil vigilant, je viendrai le signaler à la Chambre, et en le signalant, je remplis le devoir d'un député intègre qui ne peut tolérer que dans le gouvernement belge il se passe des abus de ce genre.

Mais vous qui me lancez l'accusation de produire ici une assertion calomnieuse, vous venez accuser le prince Frédéric d’avoir diminué la valeur du domaine pour le vendre plus cher ; voilà la langage que tenez envers le frère de l'ancien roi des Pays-Bas, envers l'oncle de celui qui règne aujourd'hui en Hollande.

Ce n'est pas tout: vous accusez quatre notaires d'avoir fait un acte malhonnête, et vous les accusez sans preuve aucune. Si je voulais recourir votre langage, c'est ici que je pourrais me servir du mot « calomnie ».

Et pourquoi toutes ces accusations ? Pour justifier des faits qui ne peuvent être justifiés par personne. J'ai signalé les faits à fa Chambre ; je les ai signalés, parce que j'ai été frappé de la différence entre l'acte de vente et l'estimation donnée à l'appui du chiffre et qui se trouve dans le rapport de la section centrale.

J'ai demandé l'enquête ; il faut que la vérité se fasse jour ; il faut qu'on établisse comment une propriété vendue 400,000 fr. et qui par suite d'un abatis d'arbres ne valait plus que 300,000 fr., soit évalué aujourd'hui 650,000 francs.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je crois qu'on a donné à cet incident une extension et une importance qu'il ne devait avoir en aucune manière.

L'honorable M. Dumortier, voyant une différence de 100 p. c. entre le premier prix de vente et l'estimation actuelle, s'est étonné, et il a cru pouvoir dire à la Chambre que, dans son opinion, cette différence de chiffres indiquait un tripotage et peut-être une malhonnêteté. M. le ministre de la justice est venu aujourd’hui expliquer la chose à la Chambre d'une autre manière : il a dit qu'on avait éludé le droit d'enregistrement. Vous dites qu'on a éludé les droits d'enregistrement.

MjBµ. - Les acheteurs prétendent cela.

M. de Theuxµ. - Eh bien, messieurs, je crois que M. le ministre de la justice aurait bien mieux fait de commencer par donner ces explications à M. Dumortier et à la Chambre que de parler de calomnie.

MiPµ. - C'est M. Dumortier qui a commencé par parler des pots-de-vin.

MfFOµ. - M. le ministre de la justice avait déjà fourni ces explications.

M. de Theuxµ. - Je suis aussi légitime appréciateur de ce qui se passe dans une discussion : personne ne me contestera ce droit. Pour détruire l'accusation produite par M. Dumortier, M. le ministre de la justice, au lieu de parler de calomnie, aurait donc mieux fait d'expliquer les faits comme il vient de le faire ; la discussion n’aurait pas été aussi loin.

Maintenant, messieurs, je crois qu'Il ne faut pas songer à ouvrir une enquête. Que pourrait-on ?

On ne peut pas prouver que M. Dumortier se soit trompé ni qu'il y ait eu en réalité de pots-de-vin donnés.

Dans cette enceinte, messieurs, si ma mémoire est fidèle, et je suis sûr de ne pas me tromper, il s'est souvent élevé, depuis 1830 jusqu'à présent, des discussions dans lesquelles on articulait des accusations formelles soit contre des particuliers, soit contre des fonctionnaires publics. Eh bien, il n'a jamais été donné lecture des réclamations des personnes accusées et on a même prononcé l'ordre du jour sur une réclamation faite par un fonctionnaire public très haut placé. Il y a quelques années encore, dans la discussion d'un projet de loi, une administration publique a été formellement attaquée.

Cette administration a adressé à la Chambre une réclamation dont il n'a pas même été donné lecture. On a dit que tout ce qui se passait dans cette Chambre était inviolable et que conséquemment ni particuliers ni fonctionnaires publics n'avaient le droit non seulement de poursuivre en justice mais même d'adresser des réclamations à la Chambre.

Il est certainement regrettable que parfois on s'avance trop dans une discussion, mais je crois que nous ne devons pas donner à cet incident une importance qu'en réalité il n’a pas.

MfFOµ. - Messieurs, je crois que l'honorable M. de Theux cherche à tirer l'honorable M. Dumortier du mauvais pas dans lequel, selon moi, il est engagé. (Interruption.)

C'est là mon appréciation ; j'ai le droit de la donner.

Mais, messieurs, l'honorable M. Dumortier est lui-même l'auteur de la motion que critique l'honorable M. de Theux. L'honorable M. Dumortier dit : Il nous faut une enquête parlementaire ; il faut que cela soit examiné ; nous devons connaître à fond toute cette affaire, afin de constater l'existence des pots-de-vin. Nous déclarons, nous, que nous acceptons, que nous voulons, que nous demandons une enquête parlementaire. Quel motif y a-t-il de la refuser ? C’est donner trop d'importance, dit l'honorable M. de Theux, à ce qui s'est passé. Mais, messieurs, je ne vois pas que ce soit donner trop d'importance à cette affaire que d'accepter de faire éclaircir par une enquête parlementaire une allégation aussi grave que celle qui a été produite par l'honorable M. Dumortier, et qui pourrait porter atteinte à l'honneur d’un fonctionnaire public.

Il faudrait déclarer, dans ce cas, qu'on n'attache aucune espèce d'importance aux paroles de l'honorable M. Dumortier, qu'elles sont sans valeur aux yeux de la Chambre, si l'enquête que lui-même demande est écartée, alors que le gouvernement y accède. (Interruption.) Cette enquête, elle doit avoir lieu.

M. Thibautµ. - Soit !

MfFOµ. - Sans doute. Mais je réponds à ceux qui le contestent.

On établira si, en effet, il y a des pots-de-vin dans cette affaire. La Chambre, investie du droit le plus étendu, se livrera aux investigations les plus complètes, les plus absolues. Elle a des pouvoirs tellement grands en cette matière, que rien ne pourra lui échapper ; alors on saura de quel côté est la vérité.

Et cela servira, en tout cas, à une chose. Si, comme cela n'est pas douteux pour moi, la Chambre acquiert la conviction qu'il n'y a eu dans cette affaire que des faits très réguliers, l'enquête aura ce résultat utile de démontrer qu'il ne faut pas légèrement incriminer ceux qui ne peuvent pas se défendre.

M. de Theuxµ. - Si, chaque fois qu’un député avance un fait grave qui n’est pas justifié par des preuves matérielles authentiques, la Chambre ordonnait une enquête, si la Chambre, dans le passé, avait ordonné des enquêtes dans chaque circonstance semblable, je dis que le pouvoir parlementaire se serait couvert de ridicule.

Il y a plus : je vous disais tout à l'heure et je répète qu'on a refusé un fonctionnaire très haut placé de donner lecture à la Chambre de sa réclamation, dans laquelle il démontrait la fausseté de ce qu'on avait avancé ici. On a aussi refusé à des fonctionnaires de la Flandre occidentale de donner lecture de leur réclamation contre une assertion de M. le ministre de la justice.

MfFOµ - Cela n'a pas de rapport.

M. de Theuxµ. - Cela a beaucoup de rapport.

M. Dumortierµ. - C'est la même chose.

M. de Theuxµ. - Si, à la suite de cette réclamation, nous avions demandé une enquête sur l'assertion de M. le ministre de la justice, vous auriez dû, d'après vos principes, l'ordonner. Voilà un rapport bien direct entre les deux circonstances.

Si, sur cette réclamation de fonctionnaires, des membres de la législature avaient demandé une enquête parlementaire sur ce qui avait été allégué, vous auriez dû la voter pour être conséquents avec les principes que vous proclamez aujourd'hui.

Je dis que votre enquête serait une enquête contre un membre de la Chambre.

M. Dumortierµ. - C'est cela.

M. de Theuxµ. - Et je répète qu'une enquête de ce genre ne peut guère aboutir.

Lorsque, au commencement de cette séance, un honorable député vous a demandé d'autoriser immédiatement des poursuites, vous avez dit : Non, c’est contraire à la dignité de la Chambre. Il faut qu'elle examine, qu'elle statue.

Et ici, notez bien qu'il s'agit d'un objet sur lequel la Chambre doit nécessairement statuer.

Quant à moi, je me prononce contre une enquête parlementaire.

M. Ortsµ. - Je veux répondre deux mots aux observations de l'honorable M. de Theux, dont la parole toujours beaucoup d'influence sur cette Chambre.

L'honorable M. de Theux croit que c'est compromettre la dignité parlementaire que d'ordonner des enquêtes à propos toute accusation dirigée par un membre contre les agents du gouvernement en général ; je suis de son avis. Mais lorsque l'accusation, dirigée contre un fonctionnaire, comporte une accusation de crime, qui, si elle était fondée, mènerait droit à la cour d'assises, il n'y a plus là de ces accusations qu'on peut traiter légèrement ; là il y a lieu, précisément parce que le fonctionnaire ne peut pas venir devant la Chambre, il y a lieu de mettre un fonctionnaire en face de ceux qui ont le droit de le juger.

(page 343) C'est pour cela que, dans l'exemple cité par l’honorable M. Dumortier, c'est pour cela qu'on a fait l'enquête relative au tunnel de Cumptich. On a très bien fait, et la suite de cette affaire devant la justice répressive a prouvé que l'accusation de pots-de-vin était parfaitement fondée. S'il en est de même aujourd'hui, Dumortier aura la satisfaction d'avoir consciencieusement rempli son devoir : si c'est le contraire, il y aura, je ne dis pas pour l'honorable M. Dumortier, mais pour nous tous. il y aura une leçon : C'est que plus le député a le droit de parler haut et ferme, sans responsabilité, plus il doit être modéré. Il doit se souvenir qu'il est inviolable et que les personnes auxquelles il s'adresse ne peuvent pas lui répondre.

M. Dumortierµ. - Je dois protester contre une parole que vient de prononcer l'honorable M. Orts et qui dénature complètement ma pensée. It a dit que quand une accusation lancée contre un fonctionnaire on doit faire une enquête.

M. Ortsµ. - Une accusation de crime !

M. Dumortierµ. - Dirigée contre un fonctionnaire. Eh bien, je n'ai dirigé d'accusation contre aucun fonctionnaire.

J'ai demandé à connaître les faits pour savoir s'il y avait des fonctionnaires coupables. J'ai demandé une enquête pour vérifier si, oui ou non, il y avait des abus, mais l'enquête que vous demandez maintenant c'est, comme l'a dit l'honorable M. de Theux une enquête dirigée contre l'inviolabilité parlementaire. Vous demandez une enquête contre moi, Eh bien, ceci n'est pas honnête et cela ne se ferait dans aucun gouvernement représentatif ; jamais cela ne s'est va ni en Angleterre ni France ; cela est essentiellement inconstitutionnel.

J'ai demandé une enquête contre des abus que j'ai signalés et maintenant le gouvernement propose une enquête contre moi. (Interruption.) Si c'est contre moi, c'est le député qu'on veut rendre justiciable d'une enquête. N'est-ce pas une violation flagrante de notre inviolabilité ? Je dis que c'est intolérable et qu'un gouvernement qui se respecte ne doit pas pousser les choses à cette extrémité.

C’est contre l'indépendance des députés que vous demandez une enquête et cette enquête-là, je n'en veux pas. J'en veux d'autant moins que rien n'est plus difficile démontrer que l'existence d'un pot-de-vin. Eh bien, si le fait existe et qu'on ne puisse pas le prouver, ce sera donc le député qui sera le coupable. Je dis qu'avec un pareil système, c'en est fait de l'indépendance parlementaire.

MpDµ. - Je dois constater que la demande d'enquête émane de M, Dumortier.

M. Dumortierµ.- Je la retire.

M. de Brouckereµ. - Que M. Dumortier retire son expression de pots-de-vin.

MpDµ. - J'avais raison de dire que les paroles de M. Dumortier avaient excédé sa pensée ; mais si j'avais usé de tolérance à l'égard de ses paroles, je pouvais pas me montrer plus sévère pour l'expression dont s'est servi le ministre de la justice.

Je répète que l'enquête a été demandée par M. Dumortier.

M. Dumortierµ. - Je déclare que je n’ai dirigé aucune accusation contre aucun fonctionnaire spécial. J'ai dit cela dès le commencement. Je ne connais pas les noms de vos employés, Je ne vois que des faits.

J'ai demandé une enquête pour savoir si des fonctionnaires se sont rendus coupables... Mais, autre chose est de traiter une question générale et, comme vient de le faire l'honorable M. Orts, sans intention je le veux bien, de m'accuser d'avoir porté une accusation contre des fonctionnaires. Je ne connais que les faits, je ne connais pas les fonctionnaires.

MfFOµ. - Messieurs, nous avons accepté l'enquête telle qu’elle a été proposée par l'honorable M. Dumortier. L'honorable membre a dit qu'il y avait eu des pots-de-vin dans cette affaire.

M. Dumortierµ. - Dans ma conviction.

MfFOµ. - Dans votre conviction ; et qu'ayant cette conviction, vous réclamiez une enquête.

C'est cette enquête que nous acceptons ; c'est cette enquête que nous demandons.

L'honorable M. Dumortier vient dire maintenant que l'enquête à laquelle nous adhérons n'est plus celle qu'il a demandée, que c'est une enquête dirigée contre lui. En quoi l'enquête qu'il a sollicitée et à laquelle nous adhérons est-elle dirigée contre lui ? C'est donc lui-même qui a proposé de faire une enquête contre lui ! Il dit : Je n'ai accusé nominativement personne. S'il avait mis un nom propre à côté de l'accusation, tout serait dit. Mais il s'attache aux faits. On ne peut, selon lui, avoir fait cette évaluation de 650,000 francs et avoir conseillé au gouvernement de se rendre acquéreur à ce prix, sans qu'il y ait eu de pots-de vin.

Vous n'avez pas, dites-vous, nommé les fonctionnaires auxquels vous faisiez allusion mais ils ont signé leurs rapports ! Eux seuls peuvent donc avoir été désignés par vous.

Eh bien, il ne faut pas qu'à raison de la retraite de M. Dumortier, le doute et l'incertitude enveloppent les faits qu'il a signalés. Il importe, au contraire, qu'ils soient éclaircis. Il ne faut pas que l'on recule devant l'équivoque des soupçons qui ont été exprimés. Cette enquête, c'est nous qui la demandons, uniquement pour vérifier vos allégations. S'il y a un coupable, il sera poursuivi ; s'il y a un imprudent, pour ne pas dire plus, il sera puni par le résultat même de l'enquête.

M. de Theuxµ. - Messieurs, ne conçois pas que M. le ministre des finances insiste pour l'enquête, si ce n'est pour justifier le mot de calomniateur.

Je dis, messieurs, que c'est là un moyen d'influencer le vote de la Chambre en faveur du projet et que l'enquête est demandée par le gouvernement contre M. Dumortier, en vue de compromettre son indépendance parlementaire.

Je dis que si une enquête de ce genre est ordonnée, je suis convaincu que le pays blâmera la décision de la Chambre.

M. Dumortierµ. - Messieurs, quand j'ai demandé l'enquête, c'était pour savoir s'il y avait, oui ou non, des fonctionnaires qui s'étaient rendus coupables de cette immense majoration chiffre que j'ai signalée.

J'étais donc dans mon droit quand j'ai demandé cette enquête.

J'ai dit alors que, dans ma conviction, je ne pouvais m'expliquer ces chiffres que par un pot-de-vin. Si le gouvernement avait voulu l'enquête dans le sens que j'indiquais, il se serait rallié ma proposition.

MfFOµ. - C’est ce qu'il a fait.

M. Dumortierµ. - Pas du tout. Au lieu de cela, M. le ministre de la justice s'est servi des expressions que vous avez entendues. C'est moi qui ai été mis en cause. (Interruption.)

Oui, maintenant le gouvernement demande une enquête et pourquoi Pour flétrir un homme qui lui est opposé. (Interruption.) Vous savez que rien an monde n'est plus difficile que d'arriver la découverte d'un pot-de-vin.

Or, si l'on découvre rien, ce sera un député flétri, ce sera l'indépendance parlementaire frappée.

Voilà pourquoi j'ai retiré ma demande d'enquête. (Interruption.) Je voulais une enquête dans la plénitude des droits de la Chambre. (Interruption)

Laissez donc, M. Frère, vous n'en voulez pas de celle-là. Je voulais une enquête parce qu'aux termes de la Constitution, les agents du pouvoir sont responsables de leurs actes, mais ce ne sont pas les agents du pouvoir qui vous touchent, vous, et vous ne demandez l’enquête que parce que vous y voyez l'occasion de frapper un député contre lequel vous une vieille rancune.

MjBµ. - L'honorable membre dit que nous n'avons pas accepté l'enquête. C'est une erreur ; j'ai commencé par dénier tous les faits articulés par l'honorable membre. Alors M. Rogier s'est levé et a fait la proposition d'adhérer à l'enquête. J'ai immédiatement pris la parole après M. Rogier pour dire que je me ralliais à son avis ; à cette occasion, j'ai même déclaré que les paroles de M. Rogier étaient de sages paroles.

M. Dumortier dit que l'enquête est dirigée contre lui ; les conséquences de l'enquête peuvent lui être funestes s'il n'est pas établi qu'il y a eu réellement des pots-de-vin, mais l'enquête n'cst pas dirigée contre lui. N'y a-t-il pas eu une enquête à propos de l'affaire de Cumptich ?

La Chambre examinera ce qu'il y a lieu de faire ; mais avec le système de MM. Dumortier et de Theux, je me demande quelle réparation il y aurait pour les fonctionnaires injustement accusés ? On a mis en cause leur honneur. M. Dumortier a lancé contre eux les imputations les plus graves et tout serait dit, et ces fonctionnaires devraient rester sous le poids de ces accusations !

M. Dumortierµ. - Je demande la parole.

MjBµ. - Les fonctionnaires qui peuvent être mis en cause ne sont pas nombreux, ils sont trois tout au plus et sont parfaitement désignés. Il faut donc une enquête.

- Plusieurs voix. - La clôture

M. Rogierµ. - Cette affaire avait eu un début sérieux, très sérieux. Quant à moi du moins, j’avais été ému du discours de l'honorable M. Dumortier et de ses accusations, et tout en faisant mes réserves, je l'avais loué de son courage. Mais véritablement, le dénouement ne répond pas au début, il tourne presque au ridicule.

(page 344) Voilà un courageux député qui dénonce un abus dont il est convaincu en âme et conscience, qui réclame en termes exprès une enquête sur cet abus. Je m'étais demandé d’abord si cette affaire méritait les honneurs d'une enquête parlementaire. Mais, voyant l'insistance de l'honorable M. Dumortier, je m'y rallie, le gouvernement s'y rallia également et voilà que l'enquête est dirigée, dit-il, contre lui !

Voilà que l'honorable membre, d'accusateur qu'il était, pose en accusé : voilà, dit-il, qu'on veut lui jouer un mauvais tour en acceptant sa proposition, et il la retire !

En vérité, messieurs, c ne serait qu'un procédé risible, pour ne rien dire de plus, si les choses en restaient là.

L'honorable M. Dumortier retire sa proposition d'enquête ; mais retire-t-il aussi son accusation ?

Voilà ce qui importe aux fonctionnaires inculpés (Interruption.) Ils n'ont pas été nommés, Sans doute ; mais il n'en est pas moins vrai que le soupçon reste suspendu sur ceux qui ont été mêlés à affaire.

Eh bien, retirez l'accusation, M. Dumortier. Vous avez emporté par un premier mouvement de défiance, en constatant, sans autre examen, une différence d'environ 400,000 francs entre l'évaluation actuelle et le prix de vente d'il y a quatre ans.

On s'échauffe tout d'abord, on se persuade qu'il y a là-dessous des choses qui ne sont pas délicates, on accuse des agents de corruption ; on demande une enquête parlementaire. Mais quand le jour se fait et que le calme revient, on trouve qu'on a été trop loin. Eh bien, si l'on trouve qu'on a été trop loin dans l'accusation, qu'on le dise.

Que l'honorable M. Dumortier retire donc son accusation ; déjà il l'a beaucoup adoucie. M. le président, de son côté, l'a également adoucie, eh bien, qu'il la retire tout à fait et tout sera dit.

MpDµ. - C’est ce que je demande la permission de répéter encore et particulièrement à l'honorable M. Dumortier.

Je suis convaincu que l'expression dont il s'est servi a dépassé sa pensée.

Il croyait à une erreur commise par certains fonctionnaires et, emporté par une fougue de parole qui est quelquefois le résultat de la chaleur de son cœur, il a employé cette expression de pot-de-vin.

J'invite mon honorable collègue et vieil ami à donner son assentiment à cette interprétation, et cet incident sera clos.

M. Dumortierµ. - Je n'ai parlé que de soupçons. (Interruption.) Mais, messieurs, personne ne peut l'avoir entendu autrement.

- Un membre. - On ne fait pas d'enquête sur des soupçons.

M. Dumortierµ. - Je n'ai parlé que de soupçons et depuis une heure M. le ministre de la justice s'évertue à faire de moi un accusateur. Comment que je rétracte un soupçon

MfFOµ. - Vous aviez donc la conviction intime que vous aviez des soupçons ?

M. Dumortierµ. - Je répète que je n'ai accusé personne, que je me suis borner à formuler des soupçons. Eh bien, qu'on me démontre que les chiffres sur lesquels ces soupçons sont basés sont fautifs, qu'on me démontre qu'il est juste d'évaluer à 600,000 francs une propriété qui n'en valait que la moitié, il y a quatre ans, et je me déclarerai satisfait, Mais me demander de me rétracter quand je me suis borné à de simples soupçons, c'est impossible.

M. Vilain XIIIIµ. - L'honorable M. Dumortier demande quelques explications au sujet de la différence des chiffres qu'il a signalée. Il me semble qu'il est facile de les trouver dans le dernier discours de M. le ministre de la justice. L'honorable ministre nous a dit, en effet, que les acheteurs au prince Frédéric disaient qu'il y avait en 100,000 francs de droit d'enregistrement non déclarés au trésor ; cela nous fait déjà 550,000 francs au lieu de 450,000 francs. De plus il y a la différence d'appréciation de la valeur dos terrains bâtis ; mais ceux qui ont acheté au prince Frédéric ont considéré ces terrains bâtis comme étant de nulle valeur pour eux, parce qu'ils avaient l'intention d'y établir des bois, des sapinières.

En vendant leur propriété au gouvernement ils ont dû dire : « Il y a des terrains vagues qui valent une centaine de mille francs ; pour vous, c’est une valeur ; pour le prince Frédéric, ce n'en était pas une ; mais dès que vous voulez acheter les terrains pour un but déterminé, la valeur de ces terrains doit entrer en ligne de compte.

Nous sommes arrivés une somme de 550,000 francs ; ajoutez-y 130,000 francs pour les bâtiments ; nous voilà à 680,000 francs ; si nous y ajoutons les 50,000 francs pour les droits d'enregistrement, nous voilà arrivés à un chiffre de plus de 700,000 francs ; Otez la valeur des arbres vendus, il reste toujours plus de 600,000 francs.

Il me semble que les explications données par M. le ministre de la justice dans son discours doivent complètement éclairer l'opinion de l’honorable M. Dumortier, et, si mon vieil ami veut bien me le permettre, je retirerai, en son nom, le mot « pots-de-vin ».

Je propose à la Chambre de passer à l'ordre du joue sur l'incident et de continuer à demain la discussion du projet de loi.

M. Dumortierµ. - Je retire le mot « pots-de-vin », après les explications que vient de donner mon honorable collègue, M. Vilain XIIII.

MpDµ. - M. Dumortier relire l'expression dont il s’était servi et qui n'avait pas la portée qu'on aurait pu lui attribuer. L'incident est donc définitivement clos.

- La séance est levée à six heures.