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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 décembre 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 281) M. Dethuinµ fait l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Saint-Laurent se plaignent que le deuxième vicaire de la paroisse dit journellement sa messe dans un couvent au lieu de la célébrer à l'église paroissiale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Harvengt demande des modifications dans la publication du Recueil des lois et arrêtés royaux et une réduction de prix de ce Recueil. »

- Même renvoi.


« Des électeurs de Ham-sur-Heure demandent que la loi oblige l'électeur à écrire lui-même son bulletin dans le local de l'élection. »

- Même renvoi.

Projet de loi relatif au domicile de secours

Dépôt

MjBµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi portant révision de la loi sur le domicile de secours.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi relatif à la cession et au démantèlement de la citadelle sud à Anvers

Discussion des articles

Article 2

MpDµ. - La discussion continue sur l'article 2. La parole est continuée à M. Couvreur.

M. Couvreurµ. - Je me suis placé hier, non pas sur le terrain des adversaires absolus des fortifications d'Anvers, mais sur celui des membres de cette assemblée qui ont sanctionné ces travaux sans enthousiasme, mais avec le sentiment d'un devoir a accomplir ou qui, la loi votée, se sont résignés à son exécution.

Jugeant la question à l'un ou à l'autre de ces points de vue, j'ai essayé de vous démontrer qu'en réalité, les propositions sur lesquelles nous sommes appelés à statuer comportent deux catégories de travaux, les uns dont on peut contester l'utilité et la nécessité in abstracto, mais qui sont nécessaires si l'on tient compte des faits accomplis ; ce sont les travaux destinés à remplacer la citadelle du Sud ; les autres, au contraire, qui pourraient, qui devraient être ajournés, si l'on observait les déclarations faites dans cette enceinte par l'ancien ministre de la guerre et les ordres du jour motivés votés par l'assemblée.

Je ne suis entré dans cette partie du débat qu'après y avoir été invité, en quelque sorte, par l'amendement déposé par l'honorable député de Nivelles et par la réponse trop insuffisante, à mon avis, qu'y avait donnée le gouvernement.

Aujourd'hui, je compte aborder la question par un côté plus général, celui que je m'étais plus spécialement proposé de traiter. J'essayerai de montrer que, même au point de vue de la sécurité du pays, nous n'avons nullement besoin de tant nous presser d'exécuter à Anvers des travaux complémentaires, des travaux que j'appelle des travaux de luxe ; qu'il n'y a, au point de vue de notre sécurité, nulle urgence à accroître les difficultés très grandes, que nous rencontrons déjà, de peupler les remparts d'Anvers, avec ses développements actuels, de défenseurs en nombre suffisant ; que nous n'avons nul besoin, dis-je, d'aggraver le danger résultant du grand développement de ces fortifications, qui invitent soit l'ennemi, soit nos alliés à s'y installer, deux éventualités également dangereuses pour nos intérêts.

Quel moment, en effet, messieurs, choisissons-nous pour édifier à Anvers cet immense camp retranché de la rive gauche et ce fort de Merxem qui doit nous coûter deux millions et que la réponse faite par le gouvernement à la section centrale de 1864 avait déclaré n'être pas d'une nécessité absolue ? Quel moment choisissons-nous pour dépenser encore à Anvers sept millions de travaux supplémentaires ?

La patrie est-elle en danger ? L'orage gronde-t-il à nos portes ? Y a-t-il, en Europe, à l'heure qu'il est, quelque grand conflit imminent, dans lequel nous puissions être compromis ? L'étranger convoite-t-il notre territoire ? Dirige-t-il contre nos institutions, contre notre nationalité, ces attaques que nous avons vues se produire autrefois ? Point. C'est tout le contraire qui est vrai.

Nous faisons du luxe militariste, du superflu au point de vue même de notre défense, à l'heure où le militarisme et le despotisme qui l'avait engendré succombent, après un règne de vingt années, à l'heure même où la liberté, exclue d'un grand nombre d'Etats, reprend ses droits. Nous augmentons ces fortifications d'Anvers précisément au moment où les dangers qui, pendant dix-huit années, nous ont menacés, s'éloignent de toutes parts, au moment où les orages se dissipent, où l'horizon s'éclaircit.

Nous nous préparons à voter ces travaux supplémentaires condamnés jadis, je ne saurais assez le répéter, condamnés par un ordre du jour motivé, dans cette assemblée ; le jour même où, s'il faut en croire un des organes les plus accrédités de la presse européenne, le gouvernement français, gouvernement militariste par son origine, arrivé au pouvoir par l'armée, obligé de ménager les intérêts de l'armée, le jour même où ce gouvernement fait des propositions de désarmement...

M. Hymansµ. - C'est démenti. (Interruption.)

MpDµ. - N'interrompez pas ; vous répondrez.

M. Couvreurµ. - C'est démenti, me dit l'honorable M. Hymans. Croit-il que je l'ignore ou que le démenti me surprenne ? Je répète que la nouvelle a été publiée par un des journaux les mieux informés du monde, et dont les renseignements rivalisent avec ceux des gouvernements les mieux et les plus promptement servis par leur diplomatie. J'ajoute que, dans le pays où ce journal s'imprime, la nouvelle a eu un grand retentissement. La Bourse de Londres, qu'il ne faut pas confondre avec la Bourse de Paris, a vu hausser, dans de fortes proportions, toutes les valeurs publiques.

Je sais que le fait a été démenti et que le démenti est venu de la ville même d'où était partie la nouvelle.

Le fait est-il vrai ? Je n'en sais rien et l'honorable ministre des affaires étrangères, interpellé à ce sujet par M. Coomans, sera sans doute bien embarrassé de répondre, car, je crois qu'il n'en sait pas plus que nous.

MaeVSµ. - En effet, je n'en sais pas plus.

M. Couvreurµ. - Mais tel que ce fait est présenté, il ne nous est pas défendu de l'apprécier ; il ne nous est pas défendu d'examiner jusqu'à quel point il peut être vraisemblable, jusqu'à quel point il peut se réaliser un jour.

Et d'abord, je constate que l'affirmation du fait et le démenti qui l'a (page 282) frappé ne sont pas sortis des sources où s'ébattent habituellement les canards politiques et diplomatiques. Le Times, qui a lancé la nouvelle, n'est pas le premier journal venu, et les auteurs des télégrammes qui ont démenti le fait ne sont pas non plus des hommes sans autorité.

L'affirmation de l'un et les dénégations des autres sont des ballons d'essai, des tentatives pour tâter le pouls à l'opinion publique, pour la préparer. Ces manœuvres, très légitimes, très naturelles, commandées par la gravité même des questions soulevées, s'expliquent tout naturellement par la position respective qu'occupent en Europe, vis-à-vis l'un de l'autre, la France et la Prusse.

Nous n'avons pas besoin, je pense, de nous arrêter davantage sur ce point ; il n'entre pas dans les habitudes de cette Chambre de se livrer à de grandes considérations sur la politique extérieure et je ne veux pas être le premier à entrer dans cette voie. Je limiterai la question aux nécessités de ma thèse.

Ce qui est plus sérieux que la nouvelle et le démenti, c'est que, par la force même des choses, le gouvernement français, et nous devons nous en réjouir, a un intérêt majeur à donner à l'Europe des gages de ses intentions pacifiques.

Je ne sais pas si le gouvernement français a fait ou n'a pas fait des propositions de désarmement ; je ne sais pas quel moyen il compte adopter pour éviter que ses propositions, s'il les formule, ne soient repoussées ; car, en ces matières très délicates, il importe surtout de ne pas compromettre par une imprudence le résultat à atteindre.

Mais ce que je sais, c'est que dans un temps donné, dans un temps rapproché, nous verrons se produire en France, soit une proposition de désarmement, soit un acte qui équivaudra, pour l'Europe, à une mesure de ce genre, et cela parce que pareille proposition ou pareil acte, dans la situation spéciale où se trouve la France, est devenue pour elle, pour son gouvernement, une nécessité se greffant sur un grand et noble projet politique, conçu jadis par le souverain qui dirige ses destinées.

On peut le dire, je pense, sans blesser aucune convenance internationale, aujourd'hui surtout que les faits sont accomplis et que nous commençons à en ressentir les heureux effets, on peut le dire, sans nuire à nos bonnes relations avec notre puissant voisin, ce qui a compromis chez lui l'existence du pouvoir personnel, malgré la force dont il disposait lors de son établissement, malgré les services qu'il a rendus au pays, ce qui a ruiné l'existence de ce pouvoir personnel pour y substituer le pouvoir parlementaire, ce n'est pas, et que la leçon nous profite, ce n'est pas tant la perte des libertés essentielles que l'exagération du principe et des institutions militaires.

Les classes supérieures seules ont été sensibles à la privation de la liberté ; les masses, les populations des campagnes ne se sont émues et n'ont fait entendre la voix par le suffrage universel que lorsqu'elles se sont senties sans recours contre les expéditions aventureuses ; lorsqu'elles ont vu la loi leur enlever, sans appel possible, leurs enfants, pour les envoyer, hier en Chine, aujourd'hui en Italie ; elles n'ont parlé que lorsqu'elles ont pu craindre de voir tous les hommes valides enrégimentés et la France transformée en une vaste caserne. La guerre du Mexique et les conséquences qu'elle a entraînées au point de vue du rôle de la France en Europe, voilà ce qui a tué, en France, l'empire autoritaire.

Cette vérité, messieurs, le souverain très intelligent qui gouverne la France l'a sentie tout aussi bien que ceux qui en bénéficient aujourd'hui. Il comprend qu'il doit entrer dans des voies nouvelles ; qu'émanation des volontés du suffrage universel, il doit obéir aux aspirations du peuple tout entier. Il comprend que l'heure des guerres et des conquêtes est passée ; il comprend que, s'il veut consolider sa dynastie, son premier intérêt est de donner satisfaction à ces huit millions d'hommes qui lui crient, par leurs suffrages : Nous ne voulons plus de batailles, nous voulons la paix et le travail qu'elle féconde.

La paix, le désarmement, tel sera, tel devra être le premier point du programme du premier ministère parlementaire de l'empereur Napoléon III.

Jugez maintenant, messieurs, quelle influence heureuse doit exercer, sur notre pays, cette transformation assurée, dans un temps plus ou moins rapproché, des institutions françaises. Et ne sentez-vous pas qu'augmenter encore les fortifications d'Anvers dans ces conditions, c'est commettre un véritable anachronisme ?

Quel rôle aura la Belgique devant l'Europe ? Quel rôle le gouvernement aura-t-il devant le pays si, pendant qu'il édifie ces nouveaux remparts à Anvers, les grandes puissances de l'Europe, sous l'impulsion de la France ou de tout autre pays, se concertent pour donner à l'Europe, à la Belgique, aux pays neutres, de nouvelles assurances, de nouvelles garanties de paix ? Quel rôle jouerons-nous si l'Europe réduit ses armements, rase ses forteresses inutiles avant que vous ayez achevé les forts que vous allez encore élever à Anvers ? Quel rôle jouerons-nous si, par extraordinaire, quelque délibération commune des puissances décide qu'Anvers, de même que la forteresse de Luxembourg, est un obstacle à la consolidation de la paix européenne ; si cette délibération va jusqu'à inviter la Belgique à faire disparaître ces fortifications dans l'intérêt même de la neutralité ?

Je comprends qu'il y a quinze ans, vous ayez été pressés de faire décréter et exécuter les travaux d'Anvers : un courant despotique entraînait alors toute l'Europe.

Des conflits nous menaçaient de toutes parts ; même dans les conseils des nations, on nous dénonçait comme des révolutionnaires. Je comprends, dis-je, les angoisses patriotiques qui alors ont pu troubler ceux qui étaient responsables de nos destinées.

Je comprends qu'ayant, à tort ou à raison, considéré les fortifications d'Anvers comme une œuvre indispensable et urgente, vous ayez eu hâte de les terminer ; mais aujourd'hui qu'elles sont achevées dans des conditions jugées suffisantes jadis ; aujourd'hui que la liberté reprend ses droits en France comme en Italie, en Prusse comme en Autriche ; aujourd'hui je ne comprends plus que vous éprouviez le besoin d'agrandir votre œuvre.

Dans tous les pays qui nous entourent, les peuples se lèvent pour réclamer la paix, pour protester contre les folies militaires, et c'est cette heure que vous choisissez pour exagérer nos armements !

Mais vous devriez saisir avec joie, avec empressement ce courant d'idées nouvelles, vous les représentants d'un peuple libre et pacifique, non sans doute pour démolir les fortifications d'Anvers, mes exigences ne vont pas si loin, mais du moins pour ne pas en aggraver les charges.

J'ajoute, messieurs, que si je pouvais avoir encore quelque doute sur l'efficacité, sur la sincérité, sur la puissance de ce courant pacifique qui circule en ce moment en Europe, et qui l'entraînera vers de nouvelles destinées, ces doutes seraient levés pour moi par l'action d'une véritable conspiration ourdie en ce moment dans toute l'Europe, précisément contre l'exagération des dépenses militaires.

Oui, un véritable complot, un complot pour le bien de l'humanité, étend, depuis deux ans, ses ramifications à travers l'Europe ; partout ses affiliés sont à l'œuvre pour battre en brèche le militarisme : à Berlin comme à Paris, à Londres et à Vienne, à Pesth et à Florence. Et ces conspirateurs se sont recrutés non pas dans les rangs des sociétés secrètes, non pas dans les rangs de ces amis de la paix souvent plus révolutionnaires que pacifiques qui, chaque année, proclament leurs opinions dans les congrès de Genèse ou de Lausanne.

Non, ces conspirateurs se recrutent sur les bancs des parlements européens, parmi les hommes investis du pouvoir de consentir les impôts et dont le cœur saigne à voir à côté des misères populaires, du travail arrêté, du paupérisme grandissant, tant de millions engloutis dans les forteresses, dans les canons, dans les armées permanentes. Pendant que les gouvernements n'avaient qu'une pensée, celle d'augmenter leurs effectifs militaires, leurs moyens de destruction ou de défense, leurs flottes, leurs arsenaux et leurs forteresses, ces hommes de paix se sentant, eux aussi, au nom de leurs mandataires, investis d'une grave responsabilité ; comprenant que, si l'on persévérait dans cette voie, on jetait l'Europe dans les bras du paupérisme et de tous les maux qu'il engendre, ces hommes se mettaient en communication les uns avec les autres ; ils échangeaient leurs idées ; ils arrêtaient une ligne de conduite, ils se préparaient au mouvement qui se produit en ce moment.

Ils ont eu bien des difficultés à vaincre, et leur lourde besogne n'est pas terminée ; mais ils ont eu aussi déjà bien des succès à enregistrer. Tantôt les événements politiques venaient les prendre sur les bancs de l'opposition pour leur donner la glorieuse mission de gouverner leur pays ; tantôt, pendant qu'ils délibéraient sur les meilleurs moyens de présenter l'œuvre dans un autre pays sans compromettre le succès, les élections y venaient donner à leur œuvre dix alliés pour un. Ailleurs, il fallait attendre que des divisions, nées de la guerre elle-même, fussent apaisées ; ailleurs encore, que des questions spéciales fussent vidées.

Cette phase préparatoire est close.

La motion que vous avez vue se produire au parlement de Berlin, que cent progressistes ont votée et à laquelle une autre et très importante fraction de ce même parlement n'a opposé que des raisons d'opportunité et d'incompétence, tout en l'approuvant au fond ; cette motion qui a été acclamée par la chambre saxonne, et à laquelle la chambre de Suède s'était déjà ralliée antérieurement ; cette motion n'est que le premier signal d'un mouvement qui fera le tour des tribunes libres de l'Europe. Elle éclatera avant peu au parlement de la Confédération de l'Allemagne du Nord, (page 283) elle se représentera à Londres où elle se fût produite déjà, sans des circonstances locales qui l'ont fait ajourner ; des esprits dévoués à la cause de la paix la préparent à Paris ; enfin, vous la verrez surgir quelque jour à Vienne, à Florence, à Pesth.

L'année 1870 ne s'écoulera pas sans que, de toutes les tribunes européennes, la voix autorisée de mandataires des nations, répondant aux sentiments, aux besoins, aux aspirations, aux volontés populaires, fasse entendre ce cri d'union et de fraternité : Nous voulons la paix, la paix avec la liberté !

A ces manifestations qui intéressent la Belgique à un si haut degré, dont elle surtout doit recueillir les bienfaits, à ces manifestations se rattachent d'autres projets qu'il serait prématuré d'indiquer en ce moment. Tout ce que je puis dire, c'est que des hommes politiques influents les patronnent et qu'ils seront comme le couronnement de l'édifice. Mais ces projets dussent-ils ne pas réussir, leurs promoteurs dussent-ils renoncer à la joie et à la gloire de les exécuter et de les faire fonctionner, ce que je puis affirmer c'est qu'ils ont déjà assez d'influence et d'autorité pour venir en aide aux gouvernements qui voudront donner satisfaction au vœu populaire et embarrasser ceux qui placeraient leurs ambitions au-dessus des intérêts de l'humanité.

Voilà, messieurs, les perspectives qui s'ouvrent à cette heure devant nous, perspectives voilées encore, mais qui ne sont pas un mirage, qui correspondent à un paysage réel et palpable.

Nous sera-t-il donné, sera-t-il donné à notre génération de jouir des bienfaits de cette terre promise ?

La question, pour moi, n'est pas douteuse. Je crois que nous recueillerons ce que nous avons semé. Je crois que nous aurons encore le bonheur de voir naître et se développer, je ne dis pas une paix éternelle et inaltérable, mais tout au moins un état de choses dans lequel nous, peuple belge, couvert par notre neutralité, couvert par le fonctionnement en Europe d'institutions démocratiques analogues aux nôtres, nous pourrons alléger sans craintes ni arrière-pensées nos populations des charges militaires qui les grèvent ; nous pourrons songer, je ne dis pas à démolir les fortifications d'Anvers, mais à ne plus vivre sous le cauchemar constant d'avoir à nous en servir et considérer comme un mauvais rêve le temps d'épreuve pendant lequel nous avons cru devoir les élever.

Cette conviction, messieurs, abstraction faite des autres considérations qui m'ont toujours fait considérer l'établissement des fortifications d'Anvers comme une faute politique, cette conviction, pour moi, serait un motif suffisant de refuser mon vote à l'article 2 du projet de loi et, par voie de conséquence, à l'ensemble de ce projet de loi, si le gouvernement persistait dans son intention d'exécuter à Anvers des travaux dont la nécessité et l'urgence ne nous ont pas été jusqu'à présent démontrées.

M. Delaetµ. - Messieurs, dans la séance de samedi dernier, M. le ministre des finances a cherché à passionner quelque peu le débat en accusant la ville d'Anvers de ne consulter, même dans les questions les plus hautes et les plus graves, que ses finances communales et son intérêt local.

Mon honorable ami, M. Jacobs, a en partie répondu. Il l'aurait fait plus amplement, et très victorieusement, j'en suis sûr, si l'heure avancée de la séance lui en avait laissé le loisir. Je comptais répondre en sous-œuvre, et reprendre la réplique là où mon honorable ami a dû la laisser.

Mais nous avons fait, à cette accusation, dans la séance d'hier, une réponse qui vaut mieux que le meilleur des discours ; nous avons, par notre vote, prouvé que la ville d'Anvers, lorsqu'il s'agit de questions sérieuses et grandes, sacrifie volontiers l'intérêt de sa caisse communale à l'intérêt national, à l'intérêt du commerce d'Anvers. Je puis donc me dispenser de revenir sur cette question, sur laquelle, du reste, le pays est depuis longtemps édifié.

Maïs, dans cette même séance de samedi, il s'est produit, dans la bouche de M. le ministre des finances, une affirmation qui me semble devoir donner lieu à une équivoque.

M. le ministre, abandonnant en apparence le système de sa réponse à la section centrale, nous a dit qu'il dépendait absolument d'Anvers de faire disparaître la citadelle du Nord. Il a dit : « Vous pouvez vous donner toute satisfaction ; nous l'avons dit, ces travaux vous offusquent, faites-les disparaître ; sacrifiez-y un million. »

Il y a là, messieurs, une équivoque que tout le monde, dans cette Chambre, a intérêt à faire cesser : d'après les paroles de M. le ministre des finances, il s'agirait de faire disparaître la citadelle du Nord entièrement ; il ne s'agirait plus de la débaptiser, d'en faire nominalement une batterie de côte ; il s'agirait de supprimer complètement la citadelle et non plus seulement de supprimer les servitudes intérieures, S'il en était ainsi, je ne dis pas que la ville d'Anvers reculât devant la dépense non pas d'un million, mais des quelques centaines de mille francs qu'entraînerait ce travail.

Je ne puis certes pas engager la ville d'Anvers, mais dans ma pensée elle ferait très bien d'intervenir si le gouvernement lui propose d'abattre, pour les jeter, non pas dans les bas-fonds du terre-plein, mais dans les fossés, les fronts qui actuellement menacent la ville. Si, au contraire, le système du gouvernement, dans sa réponse à la section centrale, est maintenu, la situation est bien différente.

Voici, en effet, cette réponse :

« L'établissement militaire, connu sous le nom de citadelle du Nord, est réduit à une batterie de côte, servant à la défense de la rade, indispensable pour cette défense dans l'intérêt d'Anvers, et ne pouvant avoir aucune action vers la ville. Il ne saurait être envisagé comme une citadelle puisque, non seulement le terre-plein n'en est point formé, mais qu'il ne renferme aucun établissement militaire, ni casernes, ni abri d'aucun genre, pour les troupes.

« Dans cette situation, il y aurait peu d'inconvénients à jeter les remparts dans les bas-fonds, à remblayer ainsi une partie du terre-plein, et à remplacer la clôture actuelle par un mur crénelé. »

Si c'est là le système du gouvernement, je crois, messieurs, que non seulement Anvers n'interviendra en rien dans les frais d'une pareille opération, mais qu'il la repousserait, même à titre gratuit.

Car, en définitive, ce serait assécher un terre-plein qui, aujourd'hui, ne peut servir de rien, et constitue, je ne crois pas exagérer, en disant qu'en ce moment ce n'est plus, comme on l'a affirmé naguère, une chasse aux canards ou aux bécassines, mais un terrain vraiment navigable. Il n'y aurait donc rien à gagner et tout à perdre pour Anvers à laisser se faire ces travaux. Si cependant M. le ministre des finances, qui a eu le bon esprit de ne pas maintenir toutes les conditions qu'il avait anciennement, et même en 1868, déclaré être indispensables à la défense d'Anvers, croit pouvoir faire un pas de plus et rendre à destination civile l'espace occupé aujourd'hui par les glacis, les fronts, les fossés et le terre-plein, je crois, pour ma part, qu'il y aurait lieu, pour Anvers, d'entrer en pourparlers avec le gouvernement et de s'entendre sur les frais de cette opération.

Nous attendons des explications claires et complètes, qui fassent cesser tout doute sur les intentions du gouvernement, disparaître toute équivoque.

M. Coomansµ. - Messieurs, je prends la parole pour justifier, en peu de mots, l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous soumettre hier. Mais d'abord j'ai deux ou trois observations à faire : la première, c'est que j'attends une réponse du gouvernement au sujet de la question très sérieuse que je lui ai posée hier, à savoir si notre diplomatie a des nouvelles du grand fait annoncé par le Times ; quelle que soit la réponse, j'y tiens, car si le gouvernement nous déclare qu'il ne sait rien, nous saurons au moins quelque chose. Nous saurons que le Times s'est trompé, à moins que notre diplomatie ne soit tout à fait impuissante, j'allais dire ignorante.

MaeVSµ. - Je déclare que je ne sais rien du tout.

M. Coomansµ. - Et moi je me déclare satisfait de cette réponse-là. Je suis loin d'en conclure toutefois qu'il n'y a rien. Je constate que le ministère belge ne sait rien. Quant à moi, je demeure convaincu que le fait sera vrai demain s'il ne l'est pas aujourd'hui.

Mais à ce propos, une remarque : deux grands personnages, par exemple, l'ambassadeur de France et un ministre influent du gouvernement prussien peuvent parfaitement avoir une conversation préalable dans le sens indiqué par le Times ; on ne fait pas de but en blanc des propositions formelles de cette nature ; en supposant même qu'il y eût eu des ouvertures officieuses faites par la France à la Prusse, on s'explique l'ignorance où le gouvernement belge se trouve aujourd'hui, ignorance qui pourrait être moins complète qu'il ne le dit.

Car, ainsi que l'honorable M. Couvreur l'a démontré, rien n'eût pu être plus désagréable pour le gouvernement belge que la confirmation de l'heureux événement annoncé par le Times. Voilà en quoi nous différons ; mes amis et moi, nous souhaitons la réalisation de cet événement ; vous autres, vous devez faire des vœux contraires, parce que le bonheur de la Belgique serait le malheur de votre politique. (Interruption.)

Evidemment ; et M. Couvreur n'avait pas tort en posant cette hypothèse-ci.

Si l'Europe aboutit au désarmement, les fortifications sont condamnées, peut-être rasées par ordre supérieur, par l'aréopage européen.

Je sais qu'un tel dénouement vous paraîtrait une atteinte à l'honneur belge.

(page 284) Eh bien, moi je dis que j'en serais charmé, car j'y verrais le bonheur de la Belgique et l'honneur de l'humanité tout entière.

Je crois avec l'honorable préopinant qu'il faut que l'on s'explique au sujet de la citadelle du Nord, qui a déjà été l'objet de tant de commentaires divers.

Je ne puis oublier cette déclaration, faite itérativement par des ministres belges, qu'en supposant que l'on rasât les fronts intérieurs de la citadelle du Nord, Anvers n'y gagnerait rien, attendu qu'en temps de guerre et de nécessité, il suffirait de quelques jours pour les relever.

Si cela est vrai, et je crois que cela est vrai, il faut que la citadelle, soit supprimée, qu'elle devienne ce qu'elle aurait dû être, un simple bastion sur le bas Escaut.

Il faut non seulement que les servitudes soient supprimées, mais que les remparts disparaissent, et que ces terrains, sans en excepter le fameux terre-plein de la citadelle du Nord, soient rendus à l'industrie privée.

Au fond, je crois que le gouvernement est très désireux de nous donner satisfaction au sujet de la citadelle du Nord, car il est honteux, et il a raison, de cette œuvre.

Messieurs, il ne peut rien en faire. Nos miliaires de toutes catégories, les savants en tête, prétendent que la citadelle du Nord sera toujours inhabitable et, à ce sujet, un souvenir encore : je disais, il y a quelques années avec d'autres honorables membres que, dans l'état où l'on avait mis ou laissé la citadelle du Nord, la défense y était impossible. On me donnait un démenti ; on me disait que cette citadelle était suffisante et qu'elle était le dernier, le glorieux refuge de la nationalité belge.

Messieurs, je voudrais que tous ceux de mes honorables collègues qui auront la faiblesse de voter ce projet de loi, fussent condamnés à se promener deux heures dans la citadelle du Nord. (Interruption.)

Je l'ai vue naguère. Elle est toujours couverte d'eau. (Interruption.)

C'est une chasse, me dit l'honorable M. Nothomb qui s'y connaît. On m'assure même qu'on y a commis un délit de chasse l'autre jour, et qu'on y a tiré des bécassines et que les autorités n'avaient pas osé dresser procès-verbal parce que nous aurions eu la preuve officielle que le dernier refuge de la nationalité est une mauvaise mare, non seulement indigne de la nation belge, mais des canards domestiques même.

M. Bouvierµ. - Elle n'est pas dangereuse alors.

M. Coomansµ. - Allez y méditer, M. Bouvier !

On considérait, il y a deux ans, comme une plaisanterie la proposition que j'avais faite sous l'inspiration de négociants très compétents d'Anvers, de transformer la citadelle du Nord en une huîtrière. (Interruption.)

Mais, messieurs, il y a des industriels anversois qui ont offert 10,000 fr. de location pour faire de la citadelle du Nord une vaste huîtrière, un des plus beaux parcs d'huîtres de toute l'Europe. Et rien ne serai plus facile, attendu que le terre-plein, notre beau terre-plein où vous vouliez nous mettre tous, dynastie, Chambres, armée, se trouve à trois mètres et demi au-dessous de l'Escaut. L'eau y suinte constamment et il faudrait des millions de mètres cubes de terre pour le rehausser suffisamment. Je l'ai affirmé, d'abord, parce que j'en étais sûr, ensuite, parce que tous les hommes compétents, que vous aimez tant à citer quand ils sont de votre avis, affirmaient qu'il faudrait des millions de mètres cubes de sable pour en faire un terre-plein à peu près abordable.

Eh bien, à quoi nous servira jamais la citadelle du Nord ? Vous devriez être heureux que nous ayons encore la naïveté de vous en demander la suppression, car vous n'en saurez jamais rien faire.

Ah ! si vous ameniez les Anversois à jeter les remparts dans le terre-plein, à le rehausser de 3 à 4 mètres, et si, plus tard, vous refaisiez ces remparts avec d'autres terres, ah ! oui, vous auriez fait un bon calcul. Mais ce calcul sera déjoué, j'espère, par la prévoyance des Anversois.

J'arrive maintenant à mon amendement d'hier. J'en avais un meilleur à vous proposer, mais je n'ai pas osé de crainte de n'être suivi que par une douzaine de collègues tout au plus. J'aurais voulu proposer, le plus sérieusement du monde, à la Chambre d'employer les 14 millions du docteur Strousberg à la démolition totale de l'appareil militaire d'Anvers à plusieurs lieues à la ronde. (Interruption.) Voilà ce qui eût été raisonnable ; voilà ce qui eût été le meilleur de tous les amendements, y compris le mien, (interruption) et c'est pour cela qu'il n'aurait pas eu de chance d'être voté.

Je me borne donc à essayer, peut-être en vain, de sauver 2,061,000 francs du nouveau désastre que vous méditez.

Je vous demande la non-exécution de la citadelle de Merxem, dont vous n'avez jamais voulu, dont vous avez toujours nié non seulement la nécessité, mais encore l'importance. Deux millions, ce n'est pas peu de chose ; avec ces deux millions vous pourrez supprimer la citadelle du Nord et hâter un peu certains travaux d'utilité publique autour d'Anvers.

Messieurs, ce qui m'étonne le plus dans toute cette discussion, c'est de voir l'audace, l'extrême audace des défenseurs du projet de loi devant des gens qu'ils déclarent confus, battus, et qui sont triomphants ! La presse ministérielle a beau dire que les députés d'Anvers sont plongés dans une confusion profonde et que le ministère triomphe sur toute la ligne ; cela me paraît une fanfaronnade un peu forte.

Après tout, que faites-vous devant les députés d'Anvers ? Mais vous leur donnez raison : vous supprimez deux citadelles ; c'est déjà quelque chose pour eux, attendu que c'est l'article premier et malheureusement presque unique du meeting d'Anvers.

Mais, vous autres qui vous vantez si fort, soyez modestes. C'est vous qui devriez être confus, car vous ne cessez pas de faire à chaque instant le contraire de ce que vous ayez fait longtemps.

A vous en croire, il ne s'agit que de fortifier la rive gauche, et la rive droite n'est pouf rien dans vos projets de lois.

Messieurs, le fort de Merxem est bien sur la rive droite. Il doit coûter, d'après vous, 2,061,000 francs, chiffre que je double de mon autorité privée sans crainte de me tromper et j'en appelle à un prochain avenir. (Interruption.)

Ne fût-ce que deux millions, c'est quelque chose, même dans un pays que vous dites assez riche pour payer toutes ses sottises militaristes.

Sauvons ces deux millions. Le fort de Merxem est-il utile ? Vous l'avez dit, beaucoup plus inutile que tous les autres forts de la rive gauche. Attendez au moins quelques années, je vous en supplie ; ne gaspillez pas cet argent-là. Vous avez déjà gaspillé plus de 200 millions depuis quinze à seize ans dans vos excès de militarisme. (Interruption.)

Si nous avions économisé, chaque année, une dizaine de millions depuis le jour où l'honorable M. Frère voulait réduire le budget de la guerre, avec toutes ses ap et dépendances, à 25 millions, nous serions riches ; nous pourrions, pendant deux ans, faire un magnifique cadeau aux contribuables belges et supprimer tous les impôts.

A coup sûr, une bonne réduction d'impôts, une bonne réduction de la conscription eût fait beaucoup plus de plaisir à tous les Belges sensés que toutes les extravagances militaristes que nous avons commises.

Quand je dis nous, c'est par politesse. Je devrais dire vous.

Messieurs, ne l'oubliez pas, le fort de Merxem vient se poser comme un champignon entre les autres forts dont vous avez fait un si brillant éloge pendant de longues années.

Eh bien, 2 millions, 4 millions, vraisemblablement 5 peut-être. C'est vraiment trop.

Je vous en supplie, respectons davantage, je ne dirai pas seulement la logique et la loyauté, mais la bourse des contribuables.

- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

MpDµ. - Messieurs, je viens de recevoir un nouvel amendement de l'honorable M. Van Overloop, ainsi conçu :

« Au cas que l'amendement de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ne soit pas admis, j'ai l'honneur de proposer de rédiger l'article 2 de la manière suivante :

« La somme de 13,900,000 francs sera (le surplus comme à l'article).

« La somme restante de 100,000 francs sera affectée à l'assainissement de la rive gauche de l'Escaut. En conséquence un premier crédit spécial de pareille somme est ouvert au ministère des travaux publics pour les travaux d'assainissement sur la rive gauche. »

M. Van Overloopµ. - Messieurs, je n'ai plus qu'un mot à dire à l'appui de mon amendement.

J'ai déjà expliqué ma manière de voir, il y a huit jours, en ce qui concerne les fortifications sur la rive gauche de l'Escaut. J'ai dit que ces travaux seraient parfaitement inutiles si l'on n'assainissait en même temps cette contrée.

L'honorable M. Vleminckx vous a démontré cela d'une manière irréfutable, et le gouvernement a si bien reconnu la vérité de mes allégations que, par l'organe de l'honorable ministre des finances, il a promis d'instituer une grande commission chargée d'examiner tout ce qui serait convenable dans l'intérêt de l'assainissement de la rive gauche.

Je vais un peu plus loin, je suis plus logique, je dis que les travaux des fortifications ne serviront à rien si vous n'avez pas de soldats valides pour les défendre et vous ne pourrez y avoir de soldats valides si vous ne faites pas de travaux d'assainissement en même temps que des travaux de fortifications.

Je crois que l'on devrait, en conséquence, adopter mon amendement. La diminution de 100,000 francs que je propose ne gênerait certes pas le ministère de la guerre.

(page 285) Que l'on fasse les travaux d'assainissement sur la rive gauche au moyen de ce premier crédit ; ce serait un grand encouragement, et le gouvernement témoignerait ainsi une profonde sympathie non seulement pour la population de la rive gauche de l'Escaut, mais encore pour les braves soldats qui pourraient être appelés un jour (ce que je ne souhaite pas), à défendre les fortifications.

J'espère que dans ces conditions le gouvernement ne combattra pas mon amendement.

MpDµ. - L'amendement de M. Van Overloop étant appuyé par cinq membres, il fait partie de la discussion.

MgRµ. - L'honorable M. Couvreur s'est efforcé de combattre le projet qui vous est soumis en me mettant en contradiction avec un de mes honorables prédécesseurs. Selon lui, d'après les déclarations antérieures du gouvernement, la place d'Anvers, telle qu'elle est actuellement constituée, répond parfaitement à sa destination et M. le lieutenant général Chazal aurait déclaré que l'établissement de fortifications sur la rive gauche est inutile.

Parlant de là, l'honorable membre estime que le projet actuel est une œuvre de fantaisie ; que nous nous passionnons pour les constructions ; que nous travaillons en artistes pour le plaisir de l'art.

Il demande, en conséquence, que nous apportions la justification de nos projets, que nous disions comment ils ont été élaborés, à quel examen ils ont été soumis. J'espère, messieurs, donner sous ce rapport toute satisfaction à l'honorable membre.

Si l'on considère la position d'Anvers dans son état actuel, on peut soutenir, avec raison, comme l'a soutenu mon honorable prédécesseur, qu'elle est puissamment défendue et qu'elle peut soutenir avec honneur un siège à outrance.

Je rte parlerai pas des ouvrages de la rive droite qui ne sont pas en question ; je me borne à la rive gauche. Comment la ville est-elle protégée de ce côté ? D'abord, par un large fleuve soumis à de fortes marées, puis par une inondation d'une étendue considérable. De plus, fleuve et inondations sont défendus par les deux citadelles Nord et Sud, par les forts de la Tête de Flandre, de Burght et d'Austruweel, et par les batteries supplémentaires qu'on pourrait établir sur les digues.

Tous ces obstacles sont, pour ainsi dire, insurmontables, et je n'hésite pas à dire, avec mon honorable prédécesseur, que la ville d'Anvers est imprenable par la gorge, aussi longtemps qu'on maintiendra les fortifications qui battent efficacement la rade.

S'il ne s'agissait que de l'intérêt militaire, tout serait donc pour le mieux ; mais dans cette éternelle question d'Anvers, l'intérêt militaire a toujours dû se concilier avec les intérêts civils et, pour ma part, je ne le regrette nullement.

Il est arrivé, ce qui devait arriver dans une ville aussi prospère, aussi florissante que la ville d'Anvers ; la vieille citadelle Sud a fini par gêner considérablement le commerce, on a spéculé sur la valeur des terrains qu'elle occupe et on a réclamé son démantèlement avec énergie.

Le gouvernement, parce que la citadelle était utile et suffisante au point de vue militaire, devait-il s'opposer à son démantèlement ? Evidemment non ; le gouvernement a mûrement examiné la question ; il s'est trouvé heureux de prêter les mains à une combinaison qui concilie à la fois les intérêts militaires, les intérêts généraux du pays et les intérêts particuliers du commerce d'Anvers.

En ce qui concerne la citadelle du Nord, la ville d'Anvers s'est évidemment exagéré les dangers qu'elle peut lui faire courir. Du moment qu'on supprime la citadelle du Sud, il faut de toute nécessité reporter la défense en avant sur la rive gauche ; dès lors la citadelle du Nord perd de son importance comme citadelle et son rôle principal se borne à la défense de la rade.

Grâce à ce déplacement de la ligne de défense de la gorge d'Anvers, nous avons pu donner une certaine satisfaction aux plaintes d'Anvers en supprimant les servitudes intérieures et en déclarant que la citadelle ne constituera désormais qu'une formidable batterie de côte.

Je dis donc que c'est parce que nous démolissons la citadelle Sud et que nous restreignons le rôle de la citadelle Nord que nous sommes obligés de construire les forts de Burght, de Zwyndrecht et la digue défensive qui constitueront la nouvelle ligne de défense de la gorge d'Anvers.

Si ces travaux ne se faisaient pas nous serions obligés de maintenir l'état de choses existants pour sauvegarder l'intégrité de la position.

M. Coomansµ. - Eh bien, faites cela.

MgRµ. - Le fleuve et les inondations de la rive gauche sont des obstacles purement matériels ; ils ne suffissent qu'à la condition d'être énergiquement protégés.

Supprimez les citadelles qui les couvrent de leurs feux sans les remplacer par d'autres ouvrages, et les défenses passives deviennent à peu près inutiles ; Anvers peut être attaqué et pris par la gorge, et dès lors s'écroule l'imposant dispositif d'ouvrages qu'on a établi sur la rive droite. Au point de vue militaire, on se trouve donc en face de ce dilemme : ou maintenir ce qui existe ou ne le démolir qu'à la condition de le remplacer par un dispositif équivalent.

Tel est le sens dans lequel la question doit être posée. Du reste, messieurs, je ne veux en aucune façon me parer des plumes du paon ; le système qui vous est présenté ne m'appartient pas uniquement.

Lorsque, vers la fin de 1865, des offres plus ou moins sérieuses furent faites au département de la guerre pour la cession de la citadelle du Sud, mon prédécesseur, M. le lieutenant général Chazal, comprenant qu'il y avait de grands intérêts à concilier, voulut faire étudier la question au point de vue militaire.

Il institua une commission dont j'eus l'honneur de faire partie. Cette commission était composée de la manière suivante :

MM. le lieutenant général baron Chazal, président, les lieutenants généraux Renard, Dupont, les généraux-majors Eenens, Soudan de Niederwerth, Donny, les colonels De Man, Chauchet, les lieutenants-colonels Collignon, Brialmont, Carrette, Liagre et le capitaine Mockel, secrétaire.

L'honorable M. Couvreur voit que la commission instituée était sérieuse.

Voici maintenant les questions posées :

« 1ère question. Dans la supposition que le gouvernement consentît à aliéner la citadelle du Sud et l'arsenal de guerre dans l'intérêt du commerce national et de la ville d'Anvers, par quels travaux conviendrait-il de les remplacer pour que la défense de la place ne fût point affaiblie ?

« 2ème question. Faudra-t-il construire une nouvelle citadelle sur la rive droite ou sera-t-il préférable de reporter ce point d'appui sur la rive gauche à une assez grande distance des établissements maritimes pour éloigner de ce côté tout danger de bombardement ?

« 3ème question. La démolition de la citadelle du Sud et de la batterie Saint-Michel devant avoir pour résultat d'affaiblir la défense du fleuve, quels travaux sera-t-il nécessaire de construire pour mettre la position à l'abri d'une attaque navale ?

« 4ème question. La construction éventuelle de travaux de défense sur la rive gauche, au delà du Blockersdyk, n'aura-t-elle pas pour conséquence :

« A. De rendre inutiles les fortins de Burght, de la Tête de Flandre et d'Isabelle ;

« B. De transférer le réduit de la défense sur la rive gauche en avant de Zwyndrecht ;

« C. De modifier le rôle de la citadelle du Nord ?

« 5ème question. Examiner la question de la défense des inondations et indiquer les moyens propres à restreindre l'étendue de ces inondations dans l'intérêt des particuliers comme dans l'intérêt de la salubrité. »

Telles sont les questions qui ont été posées. Les résolutions ont été prises à la suite de discussions prolongées, et ce sont les décisions de cette commission qui servent de base à la partie militaire du projet de loi qui vous est présenté. Ceci répond d'une manière catégorique à l'honorable M. Couvreur, et lui prouvera, j'espère, que je ne fais pas de l'art pour l'art, qu'il ne s'agit pas d'un projet de fantaisie, mais bien d'un plan arrêté après des études complètes.

Cette commission, messieurs, a demandé l'établissement permanent du fort de Merxem, comme l'avaient également demandé toutes les commissions antérieures et comme l'avait particulièrement prescrit l'empereur Napoléon Ier, dont nous avons l'honneur, en ce moment, de vous présenter les idées. Car il est important que je vous dise, messieurs, que la défense sur la rive gauche, telle que nous vous la soumettons, est une conception de l'empereur Napoléon, conception que nous avons respectée et dans son esprit et dans son principe.

Je répète que le fort de Merxem est indispensable, car de ce côté se trouvent les grands établissements maritimes. Aussi, lorsque les Anglais sont venus, en 1814, vis-à-vis d'Anvers, c'est à Merxem qu'ils ont établi leurs batteries pour bombarder le port et la rade.

Dans le dispositif actuel, les inondations seront un obstacle à ce que les troupes du camp retranché puissent se porter très promptement du côté de Merxem ; il est donc indispensable d'avoir là un point d'appui assuré. Ce point d'appui avait déjà été indiqué en 1859.

On reconnaissait en principe la nécessité d'un fort avec réduit ; mais comme la ville n'est guère susceptible d'attaque de ce côté et qu'il n'y a à craindre qu'une diversion ou un bombardement, on s'était proposé de ne (page 286) construire que le réduit, sauf à faire les terrassements du fort au moment du danger.

La commission a jugé qu'il était imprudent d'attendre la guerre pour élever ces terrassements. Elle a demandé, et avec infiniment de raison, qu'on construisît en temps de paix un ouvrage qui, dans certaines circonstances, devait préserver du bombardement une des parties les plus importantes de la ville d'Anvers. La précipitation avec laquelle on conduit maintenant les opérations de la guerre ne laisse plus, comme autrefois, le temps de faire des fortifications respectables.

Pour établir à Merxem un fort capable de résister à une simple attaque de diversion, il faudrait deux mois de travaux, et de travaux incessants.

Eh bien, je dis qu'il serait de la plus grande imprudence de compter sur deux mois de temps pour fortifier ce point.

Ainsi donc, c'est dans l'intérêt du commerce et de la population d'Anvers que nous demandons qu'on établisse, aussi bien à Merxem que sur la rive gauche, des forts qui éloignent les batteries de bombardement de la ville. Lorsque ces travaux seront exécutés, Anvers jouira, sur tous les points de son périmètre, de la protection la plus efficace qui puisse lui être assurée.

MfFOµ. - Messieurs, vous venez d'entendre les explications de l'honorable ministre de la guerre au point de vue technique. Fidèle au système que j'ai pratiqué depuis que je siège dans cette enceinte, je n'émets guère d'opinion sur les affaires considérées sous cet aspect, et je laisse aux hommes spéciaux, aux hommes compétents, le soin de se prononcer sur ces questions. Je forme mon appréciation, comme les membres de la Chambre doivent former la leur en cette matière.

Est-il raisonnable, oui ou non, d'admettre la proposition qui vous est soumise ? La question se pose nettement. Il s'agit de savoir si vous voulez conserver tout ce qui existe actuellement à Anvers, ce que vous avez décrété, ce que vous avez exécuté, ce qui, on l'a toujours déclaré, permet une défense énergique ; ou bien, si vous voulez modifier cette situation, pour mieux satisfaire aux intérêts civils, tout en conservant, en accroissant même les moyens de défense, et adopter, en conséquence, le plan qui vous est présenté et qui ne doit entraîner aucune charge pour le trésor.

Les deux systèmes se comprennent parfaitement. Avec les points d'appui qui existent, qui ont été établis ou maintenus en vue de la situation de la place le long du fleuve, on peut défendre la ville de ce côté. Mais voulez-vous, pour étendre les établissements maritimes, supprimer des établissements militaires ? il faut les remplacer par d'autres défenses capables de donner la même sécurité. Or, quelles défenses plus économiques pourrait-on établir que celles qui vous sont proposées ?

Nous restons, messieurs, en présentant la question sous cette face, nous restons parfaitement conséquents avec les déclarations que nous avons faites à la Chambre à diverses époques, qui ont été sanctionnées par elle, qui ont été approuvées encore par l'ordre du jour rappelé plusieurs fois dans cette discussion, notamment par l'honorable M. Couvreur, qui, en l'invoquant contre nous, à l'appui de la thèse qu'il soutient, paraît n'en avoir pas compris la signification et la portée.

Il ne s'agit pas, en effet, de décréter de nouvelles dépenses ; il s'agit purement et simplement de transformer un domaine militaire en un autre domaine militaire, et, comme vous le verrez dans un instant, c'est ce que nous avons toujours admis comme possible, c'est ce que nous avons toujours admis comme exclusivement praticable. Mais avant que je donne des explications sur ce point, je crois utile de dissiper encore une fois les étranges assertions, les singulières erreurs que l'on ne se fatigue pas de reproduire sur cette question, en répétant toujours les mêmes discours, erreurs qu'à mon tour je ne laisserai pas de combattre et de réfuter, comme j'ai eu déjà à le faire si souvent.

Ainsi, messieurs, il n'est pas exact de dire, comme l'a fait M. Coomans, que le génie militaire n'a pas laissé passer une année, pas même un semestre, sans prouver qu'il n'avait pas d'opinion non seulement raisonnable, mais raisonnée sur la matière. M. Coomans a affirmé un fait inexact, en prétendant que l'on avait fait voter, il n'y a pas longtemps, des dépenses pour des travaux à exécuter à la citadelle du Sud, afin de la rendre habitable, en affirmant que l'on n'avait aucun but défini, que l'on marchait piano et dans l'ombre, parce qu'on avait un but caché que l'on dissimulait avec soin : c'était de dépenser une centaine de millions dans ce gouffre des fortifications d'Anvers. On n'avait, disait-il, demandé d'abord que 49 millions ; mais plus tard d'autres millions ont été successivement demandés et ajoutés à ceux-là.

Vous allez juger, messieurs, de l'exactitude de toutes ces assertions que M. Coomans produit devant vous avec une si imperturbable assurance.

Depuis que le système de défense a été adopté, en 1859, il n'y a pas eu d'autres propositions soumises à la Chambre pour les fortifications d'Anvers que celles-ci :

Loi du 8 septembre 1859, 48,925,000 francs pour les travaux d'agrandissement et de défense de la ville d'Anvers.

Loi du 12 septembre 1864, 5,573,000 francs, résultant du découvert du chef des expropriations et du tantième plus élevé qu'avaient donné les chiffres des adjudications.

Sur ces dépenses, s'élevant à 54,500,000 francs...

M. Coomansµ. - Et vos forts du bas Escaut ?

MfFOµ. - Voulez-vous récapituler tout ce qui a été fait depuis l'an de grâce 1830 ?

Votre raisonnement est celui-ci :

On a induit la Chambre en erreur en lui cachant ce qu'ont coûté les travaux d'Anvers. On l'a trompée sur l'importance de ces travaux. On a successivement entassé millions sur millions, et le total s'en élève à un chiffre que vous fixez à votre guise, feignant de croire que le gouvernement n'oserait l'avouer.

Voilà votre thème. Voilà les affirmations que vous avez produites pour combattre le projet dont la Chambre s'occupe actuellement. C'est ce thème dont je m'empare pour en démontrer l'erreur, ce sont ces affirmations que je rencontre pour les renverser.

C'est donc 54,500,000 francs qui ont été votés par la Chambre, et rien de plus. La dépense effective, pour donner jusqu'aux centimes, a été de 44,499,606 fr. 40 c.

Mais il faut en déduire, ce que ne fait jamais, ce que ne veut absolument pas faire l'honorable M. Coomans, le produit obtenu des anciennes fortifications d'Anvers que nous avons vendues pour le prix de 10 millions de francs, ne parlant que pour mémoire d'un grand nombre d'hectares qui ont été réalisés en sus ; si bien que les dépenses pour les fortifications d'Anvers, pour lesquelles les Chambres avaient ouvert un premier crédit de 48,925,000 francs, et un second crédit de 5,575,000 francs, ont, en réalité, imposé au trésor une charge de fr. 44,499,606 40 c. Voilà la vérité !

Où sont maintenant, messieurs, ces opinions si raisonnables et si raisonnées de M. Coomans en ce qui touche les fortifications d'Anvers ? Où sont ces dépenses pour de prétendus travaux de caserne et autres faites à la citadelle du Sud pour la rendre habitable ? Où sont les dépenses faites pour cette citadelle depuis que le projet de l'abandonner, qui est tout récent, a été arrêté ?

Quand la Chambre a-t-elle voté une dépense quelconque depuis cette époque pour la citadelle du Sud ?

M. Coomansµ. - Vous n'avez fait aucun travail depuis 1859 ?

MfFOµ. - Vous avez prétendu que des crédits avaient été votés pour la citadelle du Sud ; vous avez même indiqué l'objet de ces crédits. Il s'agit, d'après vous, de travaux de casernes et autres pour rendre la citadelle habitable. Des crédits auraient été votés dans ce but.

M. Coomansµ. - Tous les budgets les indiquent.

MfFOµ. - Les budgets n'indiquent que les crédits nécessaires pour l'entretien des places fortes. Ce n'est pas de cela que vous avez parlé.

Je crois, messieurs, avoir suffisamment rectifié les assertions erronées produites par M. Coomans et vous avoir rappelé les faits dans leur stricte et simple vérité. En présence de cette démonstration, la Chambre peut se convaincre une fois de plus que l'on est resté dans les limites tracées par la loi de 1859, et que le système sanctionné par cette loi a été mis à exécution sans absorber les millions dont M. Coomans a parlé.

Je dois maintenant rencontrer les deux observations qui ont été présentées par M. Delaet. Il vous a dit que j'avais accusé la ville d'Anvers de ne se préoccuper que de ses finances, quand il s'agit d'un projet aussi vaste que celui sur lequel vous êtes appelés à délibérer et qui doit accroître, dans de si grandes proportions, la prospérité d'Anvers.

L'assertion de M. Delaet est malheureuse. Je n'ai pas parlé de la ville d'Anvers, dont je ne connais pas l'opinion et qui n'en a pas exprimé.

J'ai critiqué le motif d'abstention donné par un honorable représentant d'Anvers, et qui était tiré de ce que les finances de la ville pouvaient être compromises, dans une certaine mesure, par les travaux que l'on allait décréter. Ma critique s'adressait au représentant qui a émis cette opinion, non à la ville qui n'a point parlé, et, dans ma conviction, la ville d'Anvers ne s'associe, en aucune façon, à un pareil système.

La seconde observation s'applique à la citadelle du Nord.

(page 287) Ici nous avons une nouvelle preuve qu'il est absolument impossible, qu'il sera à jamais impossible de ramener les irréconciliables députés d'Anvers.

Toujours il a été demandé au nom d'Anvers que l'on supprimât les remparts intérieurs de cette citadelle, ceux qui pouvaient avoir quelque action vers la ville. C'était toute la satisfaction que l'on réclamait. Si ces remparts étaient supprimés, on se déclarait satisfait. Si l'établissement militaire ne pouvait plus servir comme citadelle et comme refuge, et si les terribles servitudes militaires venaient à disparaître, tous les griefs venaient à tomber. Voilà du moins ce qu'on ne cessait de répéter.

Eh bien, nous offrons la faculté de supprimer ces fameux remparts, si l'on veut se passer cette fantaisie, et nous déclarons formellement que les servitudes intérieures seront abolies. Est-on satisfait ? Pas du tout. Ce n'est point assez : il faut quelque chose de plus ! Il faudrait donner une destination civile à cet emplacement de la citadelle du Nord. J'espère bien que l'on en demandera la concession gratuite. (Interruption.)

Mais enfin, aussi longtemps que cette destination civile n'est pas donnée, rien n'est fait, il ne peut pas y avoir d'apaisement de ce chef, il n'y en aura pas dans Anvers. (Interruption.)

Je crois, en effet, qu'on serait assez contrarié que l'apaisement pût se faire sur cette question. Mais si l'on doit tenir, d'après la prétention qui vient de naître, à la transformation de cet établissement militaire en établissement civil, je crois, et vous en serez bien heureux, je crois que vous devrez attendre longtemps. Ceci doit contribuer singulièrement à votre bonheur.

L'honorable M. Couvreur a pensé qu'il était intéressant de démontrer, ce dont ne se chargeait pas l'opposition, que le ministre des finances était en contradiction avec lui-même, et, de plus, que ses honorables amis de la majorité, tous, étaient aussi en contradiction ou du moins allaient se mettre en contradiction avec un vote solennel qu'ils ont émis sur l'ordre du jour motivé présenté en 1863 à propos de la question d'Anvers.

Je ne sais pas quel intérêt l'honorable membre pouvait avoir à soulever cette discussion ; mais, la soulevant, il me semble qu'il n'aurait pas été contraire à sa dignité ni à la position qu'il occupe sur les bancs de la majorité de rester strictement dans les termes de la vérité.

Que vous a-t-il dit hier ?

« L'ordre du jour proposé par MM. Dolez, Orts et de Brouckere, déclarant irrévocablement close l'ère des dépenses pour Anvers, fut déposé et voté en réponse aux propositions des nouveaux députés de cette ville.

« Plus tard surgit le programme de l'honorable M. Dechamps, le plan auquel celui qu'on nous soumet aujourd'hui ressemble beaucoup, sinon dans les détails, au moins dans ses lignes principales, à savoir : l'utilité de trois forts et d'une ligne de défense sur la rive gauche, moyennant la vente de la citadelle du Sud.

« L'honorable ministre des finances fit observer alors, avec beaucoup de raison, que prendre l'argent dans le trésor public ou le prendre dans la vente d'un domaine national était absolument la même chose, et que, quant à lui, il ne pourrait donner son assentiment à ce programme qu'à la condition de substituer à cette citadelle du Sud d'autres travaux destinés à reporter cette citadelle plus loin, c'est-à-dire, si ma mémoire ne me trompe pas, qu'on pouvait vendre la citadelle du Sud, mais que le produit de la vente ne pouvait servir qu'à rectifier la ligne d'enceinte sur la rive droite de l'Escaut. »

Ici j'ai interrompu l'honorable membre qui m'a dit : « Vous expliquerez votre pensée. » J'ai répondu qu'elle était très claire et qu'il la tronquait complètement.

L'honorable M. Couvreur n'avait pas eu à faire un bien grand effort d'imagination pour trouver l'argument ; il était purement et simplement le copiste de M. Coomans, qui s'était servi de la même argumentation dans une séance du mois de janvier 1868. Voici les propres paroles de M. Coomans : vous verrez que c'est un vrai plagiat.

« ... Je dis que je n'aurai qu'à réfuter M. Frère par M. Frère. En voici un exemple : Quand un de nos honorables amis, M. Dechamps, le premier protecteur officiel du système actuel de M. Frère, l'a publié, quand il est venu dire qu'il pouvait résoudre la question d'Anvers en vendant la citadelle du Sud et en fortifiant Anvers sur la rive gauche et quand il ajoutait erronément selon moi (interruption), que ce système n'occasionnerait pas de dépense quelconque à l'Etat, M. Frère a crié à l'absurde.

« Quoi, a-t-il dit, quand l'Etat vend un domaine, n'est-ce pas comme s'il dépensait de l'argent ? Quand l'Etat appliquera le produit de la citadelle du Sud à la construction d'autres fortifications anversoises, n'est-ce pas comme s'il puisait dans le trésor pour payer la dépense ? Ainsi parlait M. Frère, et son raisonnement d'alors, il le blâme à présent. »

Vous voyez, messieurs, que l'honorable M. Couvreur aurait pu se dispenser de reprendre textuellement à l'honorable M. Coomans un argument réfuté dès cette époque déjà, et, j'ose le dire, d'une façon péremptoire.

Comment se fait-il que l'honorable M. Couvreur, qui était présent, je crois, qui a assisté à cette discussion, ne s'en soit aucunement souvenu ? Comment se fait-il, en tous cas, que, se souvenant de 1864, il ne se soit pas souvenu de 1868 ? Et comment ses souvenirs pouvant le tromper, n'a-t-il pris le soin de rien vérifier avant d'accuser ?

Voici ce que j'ai répondu à l'honorable M. Coomans, et vraiment, messieurs, je suis désespéré de devoir me répéter si souvent, de devoir vous relire d'anciens discours que j'ai prononcés devant vous, et que certes vous n'avez pas tous oubliés. Mais enfin, vous comprendrez qu'il m'est impossible de faire autrement ; ce ne sont pas nos adversaires, ce sont maintenant ceux qui se disent nos amis qui m'y obligent. (Interruption.) Voici donc textuellement ce que je disais dans la séance du 14 juin 1864 :

« L'énoncé que je viens de faire des domaines dont on demande à l'Etat de se dessaisir, vous a sans doute permis de juger des avantages qu'aurait pour le pays la magnifique combinaison que l'on a imaginée ! Ah ! si l'on était venu dire : Voici des terrains qui sont en nature de fortifications ; nous nous proposons de les aliéner et de les remplacer par d'autres terrains qui seront, eux aussi, en nature de fortifications, j'aurais parfaitement compris une semblable opération. Mais, au lieu d'un pareil échange, que propose-t-on ? On vous demande d'aliéner des domaines de l'Etat, qui ont acquis aujourd'hui une immense valeur, tels que l'arsenal, les ateliers de construction, l'école de pyrotechnie, les bureaux du génie, l'hôpital ; on veut vendre tous ces immeubles, créés à grands frais, et en appliquer le prix à exécuter de nouveaux travaux de fortifications sur la rive gauche.

« Eh bien, je le demande, que signifie un pareil marché ? N'est-ce pas absolument comme si l'on puisait dans le trésor des sommes égales à la valeur de tous ces établissements ? Lorsque l'Etat aurait consenti à la cession de ces domaines, ne devrait-il pas, en effet, aller créer ailleurs une école de pyrotechnie, des ateliers de construction, un arsenal, des bureaux du génie, un hôpital ! On n'entend pas, sans doute, supprimer définitivement tous ces établissements indispensables, et pour les reconstruire, ne devrait-on pas demander au pays les sommes considérables, énormes, qui seront nécessitées par ces reconstructions ?

« Vous voyez donc, messieurs, que la combinaison annoncée, que je n'entends pas discuter autrement pour le moment, combinaison qui, comme toutes celles dont on a parlé précédemment, devait se réaliser sans bourse délier pour l'Etat, exigerait, au contraire, des dépenses très considérables, pour lesquelles il serait indispensable d'imposer de nouveaux sacrifices aux contribuables. »

Et après avoir rappelé ces paroles, je continuai en ces termes ma réponse à M. Coomans, le 16 janvier 1868, et je n'ai pas à y changer un mot pour répondre aujourd'hui à M. Couvreur.

« Il y a donc là deux choses clairement indiquées, disais-je : une solution que j'admettais, que je comprenais, l'aliénation de terrains militaires dont le prix aurait été suffisant pour les nouveaux terrains militaires projetés ; une solution que je combattais, parce que le prix des terrains militaires aliénés aurait été insuffisant pour les dépenses nouvelles et aurait exigé, non pas un sacrifice peu important, mais un sacrifice considérable.

« Ainsi, messieurs, j'ai dit précisément le contraire de ce qu'a voulu me faire dire M. Coomans. Voici, en effet, pour que la vérification puisse se faire commodément, voici, traduites en chiffres, l'une et l'autre proposition.

« Dans le système préconisé par M. Dechamps, on prolongeait l'enceinte sur la rive gauche de l'Escaut, on créait en face de cette enceinte un camp retranché et trois ou quatre forts en avant de l'enceinte.

« Voilà quel était le plan.

« On disait que l'exécution de ce plan devait coûter 15 à 16 millions. Il fallait en effet établir l'enceinte sur un parcours de 4,000 mètres, et en prenant pour base le prix de l'enceinte exécutée sur l'autre rive, ce travail devait absorber 9,800,000 francs ; les trois ou quatre forts qu'il aurait fallu construire auraient emporté une dépense de 6 à 7 millions, faisant ensemble, pour cette partie du travail seulement, les 15 à 16 millions indiqués par l'honorable M. Dechamps.

« Mais la trouée faite par la démolition de la citadelle du Sud, il n'en est pas question. Si les terrains de la citadelle du Sud avaient produit 15 à 16 millions, rien ne restait pour bouclier la trouée faite par la démolition de cette citadelle.

. « Rien ne restait pour reconstruire les établissements militaires supprimés, c'est-à-dire la manutention, l'arsenal, la fonderie de projectiles, les logements de la citadelle du Sud, la nouvelle pyrotechnie, la nouvelle boulangerie, etc. etc., et pour l'achat des terrains nécessaires à l'exécution (page 288) de ces travaux, le tout n'étant guère estimé à moins de neuf millions de francs.

« Ainsi, le système préconisé par l'honorable M. Dechamps ne consistait pas simplement à transformer ces terrains militaires en travaux de fortifications, ce qui est une question qui, dans ces conditions, devient parfaitement indifférente au pays ; il consistait non seulement dans l'aliénation de ces terrains militaires, mais, en outre, dans l'allocation de crédits considérables, car les autres ressources vaguement indiquées étaient de pure fantaisie.

« Quelle est maintenant, messieurs, la proposition que nous annonçons à la Chambre ? Cette proposition ne comprend que deux forts sur la rive gauche et une simple digue défensive ; travaux peu importants comparés à ceux de M. Dechamps et qui peuvent s'exécuter au moyen d'une partie de la valeur à provenir de la réalisation des terrains militaires, le surplus devant servir aux autres travaux qu'entraîne la démolition de la citadelle du Sud et des autres établissements militaires. Voilà la différence. Vous voyez, messieurs, combien elle est considérable. L'une a été et devait être repoussée ; l'autre peut être admise sans difficulté. Qu'importe au pays qu'il y ait, en nature de fortifications, certains terrains dans telles conditions plutôt que dans telles autres ? »

Ainsi, messieurs, j'ai dit à toutes les époques : Nous ne pouvons pas exécuter le plan indiqué par M. Dechamps. Ce système est impossible sans de nouvelles et importantes dépenses. Mais si, au contraire, vous apportiez un projet qui consistât simplement à transformer les fortifications actuelles en autres fortifications, sans qu'il en coûtât rien à l'Etat, je le comprendrais, je l'admettrais. Eh bien, qu'est-ce que nous proposons aujourd'hui ? Nous proposons littéralement ce que j'admettais déjà comme possible en l'an de grâce 1864. Où donc est la contradiction ? (Interruption.)

Maintenant que j'ai dégagé ma personnalité, et je m'en excuse encore une fois vis-à-vis de la Chambre, reste le vote de mes amis de la gauche sur l'ordre du jour proposé par les honorables MM. Dolez, de Brouckere et Orts, ordre du jour motivé, déclarant que la somme des sacrifices faits pour Anvers était suffisante et ne devait pas être dépassée. Où y a-t-il contradiction entre ce que nous proposons aujourd'hui et l'ordre du jour voté alors ? L'honorable membre ne s'est pas seulement donné la peine de rechercher les raisons pour lesquelles cet ordre du jour a été formulé dans les termes qu'il a rappelés.

De quoi s'agissait-il en 1863, lorsque cet ordre du jour a été présenté ? Y avait-il une proposition analogue à celle que nous vous soumettons aujourd'hui, même vague, même en perspective aussi éloignée que ce fût ? Y a-t-il eu une proposition de ce genre sur laquelle une délibération fût possible, à laquelle on fût convié ? En aucune façon.

Les honorables députés d'Anvers avaient supposé qu'un plan existait au département de la guerre qui, selon eux, consistait à transporter la défense de la rive droite sur la rive gauche, et à élever sur cette rive de grandes constructions militaires ; et sur le bruit que ce plan pourrait être exécuté, la ville d'Anvers fit offrir au gouvernement son concours financier pour son exécution ; c'est-à-dire que l'on prévoyait qu'il y aurait des dépenses à faire, car j'imagine qu'on n'offre pas son concours financier quand on ne suppose pas la nécessité de certaines dépenses.

On indiquait le plan auquel on faisait allusion, comme étant le véritable complément au système des fortifications d'Anvers.

On ne mettait pas en doute à cette époque qu'il y aurait nécessairement des sacrifices considérables pour le trésor si un pareil plan était adopté, et c'est alors que fut formulé l'ordre du jour suivant :

« La Chambre, considérant que la législature a définitivement arrêté les mesures qu'elle a jugées nécessaires dans l'intérêt de la défense nationale, en faisant en même temps d'immenses sacrifices pour réaliser les vœux manifestés par la ville d'Anvers, en vue de son développement et de sa prospérité ;

« Considérant que des changements au système décrété en 1859 entraîneraient nécessairement, pour le pays, des charges nouvelles ;

« Passe à l'ordre du jour. »

S'il s'agissait aujourd'hui de demander à la Chambre d'imposer au pays de nouvelles et importantes charges, de nouvelles dépenses considérables pour l'exécution de travaux complémentaires à Anvers, je comprendrais que l'on fût autorisé à nous opposer l'ordre du jour que je viens de lire ; mais il s'agit de tout autre chose : non seulement le prix de vente est destiné à couvrir la dépense, mais il s'agit de décider si, dans l'intérêt du commerce, dans un intérêt national, on veut créer de vastes établissements maritimes, en remplaçant par des fortifications équivalentes ou meilleures, celles qui existent aujourd'hui. Y eût-il un sacrifice à s'imposer de ce chef, ce n'est pas l'intérêt militaire, c'est l'intérêt civil qui l'exigerait, et l'ordre du jour serait inutilement invoqué.

Voici le parti que vous auriez dû tirer de cet ordre du jour, si vous aviez cru devoir donner des conseils à l'opposition.

Vous eussiez pu dire aux honorables membres qui en avaient voté le rejet en 1863 : Vous vous êtes opposés à l'ordre du jour, alors qu'on voulait imposer au pays des dépenses nouvelles ; il se présente un moyen de donner satisfaction à la métropole commerciale ; on vous offre d'exécuter, sans frais, tous les travaux nécessaires à cette fin ; vous allez, sans aucun doute, vous empresser de les voter.

J'eusse pu comprendre ce langage ; mais M. Couvreur veut, au contraire, chercher à empêcher d'honorables membres qui ont voté les travaux d'Anvers, et aussi ceux qui ont voté l'ordre du jour, de voter avec nous le projet dont la Chambre est saisie.

L'honorable M. Couvreur ne s'est pas arrêté là. Suivant un système et des opinions qui lui sont propres, ainsi qu'à son ami M. Le Hardy de Beaulieu, qui a le tort de présenter ses vues comme étant celles de la science et des vrais économistes, il prétend que rien ne serait plus avantageux que de ne pas donner suite au projet du gouvernement.

M. le docteur Strousberg, dit-il, acquéreur des terrains et obligé à la construction de grands établissements maritimes, ne verrait certes pas de mauvais œil qu'on fît disparaître les fortifications, au lieu de les augmenter encore.

Je ne connais pas le sentiment de M. Strousberg sur ce point et je ne suis pas disposé le moins du monde à m'y arrêter. Mais, je crois, sans l'avoir consulté, qu'il doit être nécessairement d'une opinion diamétralement opposée à celle de M. Couvreur. Il me paraît que le bon sens l'indique ; ayant engagé de grands capitaux dans la création de vastes établissements maritimes, de docks, de magasins, etc., je suis persuadé que M. Strousberg ne dirait pas, comme le prétendent MM. Couvreur et Le Hardy de Beaulieu : Je ne veux point de fortifications ; je préfère que mes établissements puissent éventuellement être facilement détruits, ruinés, incendiés ; cela m'est plus agréable. Je suis persuadé qu'il serait d'avis, au contraire, qu'il vaut mieux couvrir de pareils établissements de bonnes et solides fortifications.

Mais dans l'économie politique de ces honorables membres, il est admis que les villes de commerce ne peuvent point être fortifiées. Malheureusement pour les opinions qu'ils émettent à cet égard, c'est précisément le contraire qui existe, et quand cela n'existe pas, on se plaint et on le regrette beaucoup, comme on l'a constaté dans maintes circonstances.

Je vais citer seulement quelques exemples :

Les ports marchands fortifiés sont, par exemple, Cadix, Gênes, Livourne, Barcelone, Trieste, Dantzig, Steltin, Riga, Marseille, le Havre. (Interruption.) Mais il y en a en masse. Il est vrai que les places dont je viens de parler sont situées en Europe, sur ce vieux continent qui, selon l'honorable M. Le Hardy, est encore si arriéré en économie politique, et où l'on professe encore des principes surannés en cette matière. Voyons donc ce qui se passe dans ce pays qui est son idéal ! Aux Etats-Unis, il y a Baltimore, Norfolk, New-York, Boston qui sont des ports fortifiés. (Interruption.) Ces ports sont protégés, défendus. Comment voulez-vous qu'un pays soit assez insensé, et surtout aux Etats-Unis où l'on est toujours exposé à une guerre maritime, pour laisser les plus riches entrepôts, des milliers de navires et d'établissements importants qui se trouvent à l'embouchure des fleuves ou dans les ports de mer, exposes, sans défense aucune, à un bombardement ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il y a des batteries.

MfFOµ. - Cela s'appelle des fortifications, et les Américains ne sont pas du tout de l'avis de M. Couvreur que les fortifications peuvent attirer la foudre ; ils sont convaincus, au contraire, que les fortifications peuvent arrêter la foudre.

Enfin, messieurs, l'honorable M. Couvreur, dans la séance de ce jour, a continué le discours qu'il avait commencé dans la séance d'hier ; mais il n'avait plus aujourd'hui précisément le même sel que s'il eût été prononcé hier. L'effet a été un peu manqué. Le discours était basé sur la dépêche publiée par le Times, annonçant que des offres de désarmement avaient été faites par l'empereur des Français au gouvernement prussien. Malheureusement une dépêche contradictoire est arrivée ; on n'a pas fait ces offres de désarmement (interruption), et cette dépêche est venue faire crouler par la base l'édifice laborieusement élevé par M. Couvreur avec les matériaux que Vous savez.

(page 289) Eh bien, messieurs, je fais une concession à l'honorable membre. Je veux admettre, pour un moment, qu'il y ait eu, en réalité, des propositions de désarmement, que les puissances sont en pourparlers à ce sujet. Je m'en féliciterais grandement. Mais quelle conséquence celle situation devrait-elle avoir quant au projet que nous discutons ? Qu'est-ce que cela pourrait y faire ? Qui a jamais imaginé que lorsqu'il sera question de désarmement en Europe, on proposera de démolir toutes les fortifications qui existent ? Qui a jamais imaginé cela ? On réduira les armements annuels, les dépenses actuelles et immédiates ; on diminuera le nombre des soldats ; on conviendra, par exemple, si jamais l'on parvient à faire un pareil pacte, que les armées seront proportionnées à l'importance des nations. Si invraisemblable que cela soit, je l'admets comme possible, comme éventuel. Mais jamais on n'ira proposer de démolir les grandes places de guerre. Ce n'est pas la France qui proposera de démolir Lille, Metz et Paris, parce qu'elle fera une proposition de désarmement.

Elle existerait donc, cette proposition de désarmement, que je serais encore en parfaite situation de vous occuper de la question de savoir s'il y a lieu de transformer ce qui existe à Anvers, et d'établir des forts sur la rive gauche au lieu des forts qui sont sur la rive droite. Ce n'est pas assurément la proposition de désarmement qui serait de nature à arrêter la Chambre dans l'examen d'un projet qui a pour but, en modifiant les fortifications, de créer de vastes établissements maritimes et commerciaux.

Mais il y a quelque chose de mieux que cette proposition de désarmement, pour l'honorable membre ; c'est ce grand courant de paix qui existe en Europe, qui existe dans le monde entier. Tout annonce la paix. Dans toutes les capitales, il y a un concert en faveur de la paix. Un vaste complot étend partout ses ramifications pour assurer la paix. L'honorable M. Couvreur nous prédit des manifestations à Paris, à Pesth, à Florence, à Madrid, partout.

Il se peut, messieurs, que tout cela soit exact. Mais je me souviens des premières discussions auxquelles j'ai eu l'honneur d'assister dans cette enceinte, C'était en 1847. C'était après la plus longue période de paix dont l'Europe eût joui depuis bien longtemps ; alors aussi, pour convier la Chambre à détruire son système d'armement, on lui disait : La guerre générale est désormais impossible ; la paix du monde est à jamais assurée. Je me souviens de ces discours et de ces tendres élégies, tout empreintes d'un lyrisme pacifique.

Malheureusement, les discours étaient à peine prononcés qu'éclatait la révolution de 1848, et depuis 1848 jusqu'à ce jour, il n'y a presque pas un point du globe qui n'ait été tourmenté par la guerre.

Je souhaite que vos prédictions d'aujourd'hui se réalisent autrement que celles qui furent faites alors. Mais, quel que soit le sort qui leur est réservé, n'oublions pas qu'avant tout il faut être prévoyant et prudent.

M. Coomansµ. - Les accusations injustes que je viens d'essuyer de la part de l'honorable ministre des finances m'obligent à reprendre la parole malgré moi.

L'honorable ministre sait faire de belles phrases ; vous venez de l'entendre ; il manie très habilement les chiffres, vous l'avez vu souvent ; mais les chiffres qu'il pose ne sont pas à l'abri des rectifications ; j'ai à vous démontrer que l'honorable ministre s'est trompé complètement et qu'il est d'autant moins excusable, qu'il en a fait une question de personne à mon égard.

L'honorable ministre me somme de vous démontrer ce que j'ai dit naguère, que le gouvernement a fait des dépenses et même des constructions nouvelles dans cette même citadelle du Sud que l'on propose aujourd'hui de démolir. (Interruption.) Je constate avec plaisir un signe négatif de l'honorable ministre de la guerre.

Eh bien, je demande plus particulièrement à l'honorable ministre de la guerre quand on a fait construire dans la citadelle du Sud un réduit en maçonnerie qui a coûté près d'un million... (Interruption.) Et puisque l'honorable ministre des finances et l'honorable ministre de la guerre unissent leurs efforts et leurs gestes pour me sommer derechef de démontrer que le gouvernement ait jamais, dans le cours des dernières années, fait des constructions et des dépenses dans la vieille citadelle du Sud, je leur dirai qu'ils en ont fait chaque année et qu'ils en ont fait encore en 1869, cinq ans après l'année 1864, où M. le ministre des finances vient toujours se vanter d'avoir, presque le premier, émis l'idée de vendre la citadelle du Sud.

Par quel article de loi, dit M. le ministre des finances, avons-nous demandé des fonds pour la citadelle du Sud ?

MgRµ. - Ce sont des réparations.

M. Coomansµ. - Ai-je parlé de réparations ? J'ai dit que vous y avez fait des dépenses. (Interruption.)

Vous étiez décidés, il y a deux ans, à vendre la citadelle du Sud et vous faites encore des réparations en 1867, 1868 et 1869.

Dans le budget de la guerre de 1869, je lis encore :

« Anvers : citadelle du Sud, entretien ordinaire. » (Interruption.)

Mais fallait-il entretenir celle patraque que vous vouliez vendre ? (Interruption.)

Un instant, s'il vous plaît, il y a des constructions nouvelles :

« Anvers, citadelle du Sud : bâtiments militaires, fortifications, ouvrages mixtes. » Et puis :

« Constructions, bâtiments militaires, fortifications. »

En regard, il y a des crédits votés.

Tous les crédits sont divisés en deux litteras : « A. Entretien ordinaire ; B. Constructions. »

J'ai donc eu raison de dire que vous avez dépensé de l'argent pour la citadelle du Sud après avoir pris la résolution de la démolir.

MgRµ. - Nous avions notre boulangerie...

M. Coomansµ. - Oui, vous y avez établi récemment une boulangerie, mais ce ne sont pas ces brioches-là seulement que vous avez faites. (Interruption.)

Je n'ai pas tous les chiffres sous les yeux, mais si je les additionnais, depuis plusieurs années, même depuis cinq ans seulement, je trouverais une somme très forte. Dans tous les cas, j'ai dit vrai, en affirmant qu'on avait entretenu et amélioré la citadelle du Sud après l'avoir condamnée. (Interruption.)

Il faut être trois fois ministériel pour nier cela.

Dans son énumération des sommes appliquées aux fortifications anversoises, M. le ministre omet celles qui ont été dépensées pour les forts du bas Escaut.

On a dépensé des sommes considérables de ce chef. Or, dans ma pensée comme dans celle de tout le monde, les forts du bas Escaut dépendent de l'ensemble militaire d'Anvers. C'est tellement vrai que plusieurs membres assis sur les différents bancs de la Chambre ayant demandé au gouvernement, peu de temps après le vote, des crédits pour les fortifications d'Anvers proprement dites, s'il y avait encore des fonds à voter pour les forts du bas Escaut, le gouvernement a répondu non. (Interruption.)

Je constate qu'il y a eu une époque où la Chambre, véritablement effrayée de l'ampleur des sacrifices qu'on lui demandait, a désiré savoir s'il y aurait encore des dépenses à faire pour les forts du bas Escaut, et que la réponse a été négative. (Interruption.) Messieurs, il est très remarquable que l'honorable ministre des finances ne veuille pas que l'on fasse dépendre les forts du bas Escaut des fortifications d'Anvers, alors qu'il fait dépendre de New-York les forts qui défendent cette place du côté de la mer.

Si les forts du bas Escaut ne concernent pas Anvers, comment les forts de la rade de New-York concerneraient-ils ce port de mer ?

Et puis, voyez-le en passant, quelle étrange logique que celle que je suis obligé de réfuter !

New-York est fortifié, dit M. le ministre, parce qu'il y a des forts qui défendent cette ville contre l'approche des bâtiments de guerre. Si cela est vrai, Anvers, complètement démantelé comme je voudrais l'avoir demain, ne serait pas moins une ville fortifiée, parce qu'elle aurait encore les forts de Lillo, Liefkenshoek et Sainte-Marie pour défenses. Votre logique est à deux tranchants et vous sert mal.

D'après l'honorable ministre, l'ensemble des travaux de fortification de la ville d'Anvers proprement dite ne s'élèverait qu'à une soixantaine de millions, 44 millions dans le passé, 14 millions que nous allons voter aujourd'hui et quelques autres.

Ce serait déjà un très beau denier, mais ce n'est pas tout. Il y a eu beaucoup d'autres dépenses. Vos dépenses d'armement ont été la conséquence des fortifications et j'ai le droit de porter au compte de l'embastillement d'Anvers une foule de chiffres budgétaires dont vous ne faites pas mention. J'y porte encore, je le répète, les nombreux millions que vous avez fait perdre à la Compagnie des matériels de chemins de fer.

Au point de vue d'une saine économie politique, au point de vue des règles qui font la richesse d'un pays, il faut aller au fond des choses, et il faut porter au compte réel des fortifications les millions que vous avez fait perdre à une foule d'actionnaires trop crédules. Vous avez, du reste, un procès sur le dos par suite de cette affaire.

Aujourd'hui, l'honorable ministre prétend que les nouvelles fortifications ne coûteront rien, parce qu'elles seront payées par le docteur Strousberg.

(page 290) Je constate d'abord que ceci est tout à fait le contraire de ce que l'honorable ministre a dit en 1864. Alors, les millions que l'honorable M. Dechamps aurait recueillis par la vente de la citadelle du Sud étaient exactement pareils aux millions que le ministre des finances aurait tirés du trésor public.

L'honorable M. Frère affirmait cela à cette époque et il avait raison. Donc, il a tort aujourd'hui ; donc, les 14 millions que vous allez voter doivent être ajoutés au coût des fortifications d'Anvers.

Mais, dit l'honorable ministre des finances, nous échangeons un domaine contre un autre.

Messieurs, cela n'est pas vrai.

L'échange d'un domaine qui a une valeur commerciale contre un domaine qui n'en a aucune, cela n'est pas sérieux !

Pouvez-vous comparer la valeur commerciale des terrains de la citadelle du Sud, de l'arsenal et d'autres encore avec la valeur commerciale des terrains que vous allez acquérir à une grande distance d'Anvers au milieu de polders fangeux et déserts ?

Mais, messieurs, vous aurez échangé une couronne de perles fines contre un diadème de chrysocale, et quand vous faites de pareilles opérations, vous venez vous en vanter au point de vue financier !

Vantez-vous-en au point de vue militaire, quoiqu'il n'y ait pas de quoi, soit ; mais soutenir qu'échanger des terrains de grande valeur contre des terrains qui n'en ont aucune, est une bonne opération, c'est abuser de la permission de faire des sophismes.

Un mot encore, et je cède à l'impatience très légitime de la Chambre.

Deux honorables ministres viennent de répéter cet argument, qu'ils trouvent très fort, à savoir qu'il faut choisir entre le statu quo qu'ils trouvent excellent, et leur projet de loi ; en d'autres termes, qu'il faut maintenir les citadelles intérieures ou adhérer à leur projet de loi. Eh bien, mon choix est tracé par mes discours précédents et par les convictions que j'ai gardées.

J'aime mieux que vous mainteniez le statu quo d'aujourd'hui, je l'aime mieux, et c'est une opinion que je me fais fort d'aller défendre devant les meetings d'Anvers.

Nous sommes assurés que vous ne pouvez tirer aucun parti raisonnable de la citadelle du Nord, que vous éprouvez un profond repentir de n'avoir pas fortifié la rive gauche et nous sommes convaincus que l'heure approche où vous serez obligés de faire d'autres concessions que celles que vous venez de faire.

Je vote donc contre le projet, au risque de voir maintenir les citadelles dont vous savez bien que vous ne pouvez vous servir,

MpDµ. - La parole est à M. Gerrits.

- Un grand nombre de membres. - Aux voix !

M. Gerritsµ. - Je ne demande que quelques minutes.

- Voix nombreuses. - La clôture !

MpDµ. - La clôture est demandée, M. Gerrits ; demandez-vous la parole contre la clôture ?

M. Gerritsµ. - Je ferai remarquer, M. le président, que vous m'aviez déjà donné la parole quand la clôture a été réclamée,

MpDµ. - C'est exact et j'invite la Chambre à ne pas insister sur la demande de clôture. Insiste-t-on ?

- De toutes parts. - Non.

M. Gerritsµ. - Contrairement à l'attente de M. le ministre des finances, j'ai été péniblement affecté par la déclaration qu'il vient de faire, en réponse à la question qui lui avait été posée par mon honorable collègue, M. Delaet.

M. le ministre vient de déclarer que si nous désirons que la citadelle du Nord soit transformée en terrains civils, nous attendrons longtemps.

C'est dire que la citadelle du Nord sera maintenue comme établissement militaire, dans ses dimensions actuelles.

Après la déclaration que vient de faire M. le ministre, nous devons nous en rapporter aux réponses données par le gouvernement à la section centrale et non plus aux discours tenus, dans cette enceinte, par l'honorable M. Frère qui avait donné à entendre que la citadelle du Nord était pour ainsi dire a la disposition de la commune d'Anvers.

Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est tout simplement de démolir les remparts et au moyen de la terre provenant de cette démolition de rehausser l'intérieur de la citadelle ; c'est de remplacer les remparts par un mur crénelé. Or, qu'y gagnerait la ville d'Anvers ? Absolument rien. La citadelle qui, aujourd'hui, est inhabitable à cause de son insalubrité, les Anversois la rendraient habitable à leurs frais, Ce sont eux qui construiraient pour ainsi dire la citadelle qui, un jour, servirait à bombarder leur ville ! (Interruption.)

Mais, messieurs, ce serait une véritable mystification. Cette opération a été qualifiée par un homme compétent, M. le colonel Brialmont, de solution baroque ; l'honorable M. Frère lui-même disait, en 1864, aux députés d'Anvers qu'une telle opération serait une mystification.

Eh bien, nous ne voulons pas d'une solution baroque et nous ne voulons point être mystifiés, pas plus par M. Frère que par M. Dechamps.

M. Allardµ. - Eh bien, alors, nous voterons contre le projet.

M. Bouvierµ. - Ils seront mystifiés alors...

M. Gerritsµ. - J'ai été péniblement affecté par les paroles de M. le ministre des finances à un autre point de vue encore.

M. le ministre nous a dit que nous serions au regret de voir se réaliser notre programme. M. le ministre, en parlant ainsi, nous prête des sentiments qui ne sont pas ceux d'un honnête homme. M. le ministre nous lance une accusation, contre laquelle je viens, moi personnellement, protester de toutes les forces de mon âme. Honnête homme, je le suis autant que M. le ministre des finances, autant que qui que ce soit.

Et pourquoi donc aurions-nous peur de voir réaliser notre programme, ; pourquoi aurions-nous peur de triompher ? M. le ministre pousserait-il„ par hasard, la rancune jusqu'à prétendre que je suis venu ici poursuivre un avantage matériel ? Oui, il y a de l'honneur à défendre une grande ville comme Anvers ; oui, il y a de l'honneur à défendre une cause juste et équitable comme la nôtre ; mais l'honneur ne serait-il pas éminemment plus grand si nous triomphions complètement, si nous parvenions à vaincre des résistances aussi fortes que celles contre lesquelles nous avons à lutter ?

Pour ma part, je le déclare ici, je serai heureux le jour où je pourrai me retirer de la vie politique, qui, pour moi, n'est qu'une charge, qui n'est conforme ni à mes sentiments ni à mes intérêts. Quel que puisse être pour moi le résultat du triomphe d'Anvers, j'en serai heureux.

M. le ministre nous a dit que nous attendrons longtemps. Eh bien, moi je suis d'une opinion contraire et c'est précisément parce que j'ai la conviction que nous n'attendrons pas longtemps, que nous ne nous contentons pas d'une demi-satisfaction.

Celle-ci, d'ailleurs, n'est pas donnée dans l'intérêt exclusif d'Anvers ; pour le prouver, je n'ai qu'à rappeler les paroles de M. le ministre de la guerre : « Les travaux que nous avons établis sur la rive droite sont suffisants ; mais en fortifiant la rive gauche, nous doublons la valeur militaire de la position tout en donnant aux Anversois ce qu'ils désiraient. » Or, vous ne donnez pas aux Anversois ce qu'ils vous ont demandé ; mais, d'après vos propres déclarations, vous doublez la valeur militaire de la position.

Anvers ne se soumet pas, parce qu'il sait que vous lui donnerez un jour satisfaction pleine et entière, non pas, je le sais bien, pour nous plaire, mais parce que. la force des choses vous y amènera. (Interruption.)

M. Allardµ. - Eh bien, nous voterons contre le projet de loi.

MfFOµ. - Messieurs, c'est précisément à cause de l'impression que de telles paroles doivent produire, que je suis obligé de me lever encore une fois.

Je le dis à mes honorables amis : nous n'avons pas apporté ce projet de loi pour complaire aux députés d'Anvers ; nous avons apporté ce projet pour donner satisfaction, en acquit de notre devoir, aux intérêts de la nation. Satisfaire les députés d'Anvers, c'est chose impossible : ils ne veulent pas être satisfaits ; ils ne le seront jamais !

Ils parlent de leur programme ! mais ce programme, qu'en ont-ils fait quand ils ont eu à le faire accepter par M. Dechamps ? (Interruption.) L'honorable M. Dechamps avait promis, d'une manière vague, un examen bienveillant en ce qui concerne la citadelle du Nord. Vous vous êtes contentés de cette promesse, qui vous était faite dans des conditions que je vous ai rappelées, et vous avez battu des mains ; cela vous suffisait.

M. Jacobsµ. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Et aujourd'hui que le gouvernement, sans se préoccuper le moins du monde de votre assentiment, qu'il n'attendait pas d'ailleurs, qu'il n'obtiendra jamais, mais agissant uniquement dans des vues d'intérêt public, aujourd'hui que le gouvernement vient vous proposer ce qui était indiqué, annoncé, proclamé comme devant donner pleine et entière satisfaction à tous les gens raisonnables, vous faites des réserves et vous vous abstenez !

Nous faisons disparaître de la citadelle du Nord ce que vous considériez comme un danger pour la ville d'Anvers ; nous vous laissons la faculté, si vous le jugez utile, de jeter les remparts dans les fossés ; nous faisons disparaître les servitudes intérieures ; en un mot, nous supprimons tout ce qui peut faire considérer cet établissement militaire comme une citadelle ; mais cela ne vous suffit plus !

(page 291) On vous donnerait davantage que cela ne suffirait pas encore ; nous ne l'ignorons pas. Aussi, n'est-ce point votre assentiment que nous avons cherché à obtenir ; ce que nous avons eu en vue en présentant notre projet, ce sont les véritables intérêts d'Anvers, les véritables intérêts du pays. J'aime à croire que la Chambre voudra les assurer, en dépit de l'opposition des députés d'Anvers.

MpDµ. - La clôture a été demandée. La parole est donnée à M. Jacobs contre la clôture.

M. Jacobsµ. - Il est un usage dans cette Chambre auquel il n'a jamais été dérogé : c'est qu'un ministre, surtout lorsqu'il met un ou plusieurs membres personnellement en cause, ne parle jamais le dernier. Je demande donc à pouvoir répondre deux mots.

- Plusieurs membres. - Parlez ! On n'insiste pas pour la clôture.

M. Jacobsµ. - Ce n'est pas pour nous satisfaire que le projet de loi a été déposé ; M. le ministre des finances le déclare, et c'était vraiment inutile. Mais il ajoute, en suspectant notre sincérité : Vous auriez accepté n'importe quoi de l'honorable M. Dechamps, vous êtes décidés à n'accepter rien de moi. Vous vous êtes jetés dans ses bras quand il vous promettait un simple examen, et moi, qui vous donne satisfaction, vous persistez à m'être hostiles.

Je le lui rappelle ici : ce n'est pas seulement l'avenir qui viendra lui donner un démenti, c'est le passé qui déjà le lui donne.

Quand M. Dechamps a présenté son programme, nous avons pris vis-à-vis de lui l'attitude réservée, l'attitude d'expectative que nous prenons vis-à-vis de vous. Nous ne nous sommes pas déclarés satisfaits d'une promesse d'examen faite par l'honorable M. Dechamps, nous lui avons dit comme à vous : Examinez, nous attendrons.

Nous vous avons dit à vous-même, M. le ministre, que nous attendrions le jour de la justice à vous qui ne vouliez pas même examiner nos griefs. Nous vous disons aujourd'hui encore : Nous attendrons, parce que nous sommes certains de triompher. Le langage que nous tenions vis-à-vis de vous quand vous refusiez l'examen, nous étions en droit de le tenir vis-à-vis de M. Dechamps qui nous promettait cet examen, de qui nous l'aurions obtenu, et qui nous aurait accordé plus tôt la satisfaction partielle que la force des choses vous oblige à nous donner aujourd'hui, et la satisfaction complète qu'elle vous contraindra à nous accorder demain.

- La discussion est close.

MpDµ. - Il y a trois amendements présentés ; celui de M. Coomans qui consiste à supprimer le mot « Merxem > ; ; celui de M. Le Hardy de Beaulieu qui distribue autrement que le projet du gouvernement la somme de 14 millions, et enfin celui de M. Van Overloop qui se borne à retrancher la somme de 100,000 francs pour la consacrer à des travaux d'assainissement sur la rive gauche de l'Escaut.

L'amendement de M. Coomans doit être mis le premier aux voix parce qu'il s'écarte le plus du projet en discussion.

- L'amendement de M. Coomans est mis aux voix et rejeté.

MpDµ. - L'amendement de M. Le Hardy de Beaulieu est ainsi conçu :

« Art. 2. La somme de 14 millions de francs, constituant le prix de vente des propriétés mentionnées à l'article Ier, sera affectée comme suit :

« 1° Six millions à l'exécution des travaux nécessaires pour drainer et assainir les deux rives de l'Escaut, depuis le Rupel jusqu'à la frontière hollandaise, avec le concours des wateringues et des autorités locales ;

« 2° Un million pour la part contributive de l'Etat dans la construction d'un pont sur l'Escaut ;

« 3° Sept millions pour la construction d'ouvrages de défense, tant pour compléter l'enceinte de la place d'Anvers que pour construire des lunettes ou batteries en terrassements à Merxem, Burght et Zwyndrecht.

« En conséquence, un crédit de 7 millions est ouvert au ministère des travaux publics pour l'exécution des travaux repris aux n°1° et 2° et un crédit de pareille somme est ouvert au ministère de la guerre pour l'exécution de ceux repris au n°3. »

- Cet amendement est mis aux voix et rejeté.

Je vais mettre maintenant aux voix l'article du gouvernement qui est ainsi conçu :

« La somme de quatorze millions de francs, constituant le prix de vente des propriétés mentionnées à l'article premier, sera entièrement affectée aux dépenses des travaux nécessaires pour compléter l'enceinte de la place d'Anvers et pour construire les forts de Merxem, de Burght, de Zwyndrecht, ainsi qu'une digue défensive entre ce dernier fort, le fort Sainte-Marie et l'Escaut. En conséquence, un crédit spécial de pareille somme est ouvert au ministère de la guerre pour l'exécution de ces travaux. »

MfFOµ. - J'ai oublié tout à l'heure de dire un mot de l'amendement de l'honorable M. Van Overloop,

Je crois, messieurs, qu'il est inutile d'insister sur cet amendement.

Le gouvernement a fait une déclaration très expresse : il s'est engagé à instituer une commission chargée d'examiner la question d'assainissement, se réservant, après avoir pris des arrangements avec les intéressés, de soumettre une proposition à la Chambre.

Il est donc inutile de distraire une somme quelconque des fonds destinés aux fortifications pour les appliquer éventuellement à ces travaux d'assainissement. C'est une affaire tout à fait étrangère à l'objet que nous discutons.

M. Van Overloop.µ. - Messieurs, les explications que vient de donner l'honorable ministre des finances sont complètement de nature à me satisfaire. Je retire donc mon amendement, convaincu que le gouvernement s'empressera de mettre la main à l'œuvre des travaux d'assainissement.

- L'article 2 est adopté.

Article 3

« Art. 5. Par modification à l'article 66 de la loi du 4 mars 1846, le gouvernement est autorisé à concéder à un particulier ou à une société anonyme l'entrepôt franc dont la création à Anvers est prescrite par l'article 26 de la même loi.

« Le gouvernement est également autorisé à modifier en conséquence et pour autant que de besoin les dispositions des articles 24, 31 et 62 de la même loi. »

MpDµ. - C'est ici que vient l’amendement de M. Le Hardy de Beaulieu.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je le retire, monsieur le présidents

MpDµ. - Il ne reste donc plus que l'article 3 du gouvernement.

- Cet article est mis aux voix et adopté.

Ordre des travaux de la chambre

M. Allardµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je proposerai à la Chambre de fixer dès maintenant son ordre du jour de demain.

Entend-on discuter la loi sur les livrets d'ouvriers ou le projet de loi relatif à l'acquisition des bâtiments et terres dépendants des anciennes colonies de bienfaisance situées à Merxplas, Ryckevorsel et Wortel.

- De toutes parts. - Non ! non !

M. Bouvierµ. - La Chambre entend probablement se séparer.

M. Allardµ. - Dans ce cas, je proposerai à la Chambre de s'ajourner jusqu'au 18 janvier.

MpDµ. - M. Allard propose à la Chambre de décider qu'à dater de la séance d'aujourd'hui elle entrera en vacances jusqu'au 18 janvier prochain.

Je mets cette proposition aux voix.

- La proposition de M. Allard est adoptée.

Délégation chargée de présenter au roi les vœux de la Chambre

MpDµ. - Avant de passer au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, il va être procédé au tirage au sort des onze membres qui feront partie de la députation qui sera chargée, le jour de l'an, de présenter les vœux de la Chambre à Leurs Majestés.

Voici, messieurs, la composition de cette députation : MM. Thienpont, Van Wambeke, Visart, Jacquemyns, de Baillet-Latour, Kervyn de Lettenhove, Van Merris, Wouters, de Rongé, Hagemans et Orban.

Projet de loi relatif à la cession et au démantèlement de la citadelle sud à Anvers

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de ce projet.

99 membres répondent à l'appel nominal.

69 votent pour le projet.

13 votent contre.

17 s'abstiennent.

En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption :

MM. Broustin, Bruneau, Carlier, Castilhon, de Borchgrave, de Breyne, de Brouckere, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delcour, De Lexhy, d'Elhoungne, de Maere, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Theux, Dethuin, de Vrière, de Vrints, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Lambert, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Sainctelette, Schollaert, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Ernest Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Van Overloop Visart, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier, Braconier, Bricoult et Dolez.

(page 292) Ont voté le rejet :

MM. Coomans, Couvreur, Eugène de Kerckhove, de Muelenaere, Guillery, Le Hardy de Beaulieu, Magherman, Mulle de Terschueren, Nothomb, Thienpont, Vander Donckt, Van Wambeke et Beeckman.

Se sont abstenus :

MM. Coremans, David, de Clercq, Delaet, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Gerrits, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Liénart, Notelteirs, Tack, Vermeire et Verwilghen.

MpDµ. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Coremansµ. - Je n'ai pas voté contre le projet de loi, parce qu'il décrète la démolition de la citadelle du Sud et qu'il redresse ainsi un des griefs de la population anversoise.

Je n'ai pas voté en faveur du projet de loi, parce qu'il affecte le produit de la vente de la citadelle du Sud à de nouvelles fortifications qui complètent un système de défense dans lequel la citadelle du Nord est conservée.

M. Davidµ. - J'applaudis des deux mains à la vente de la citadelle du Sud et des terrains qui l'entourent pour les transformer en établissements maritimes et commerciaux. Mais je ne puis approuver la destination que l'on donne au produit de cette vente et qui consiste à augmenter encore notre état militaire par de nouvelles fortifications.

Dans cette situation, j'ai dû m'abstenir.

M. Delaetµ. - Je me suis abstenu pour les motifs développés par mon honorable collègue M. Coremans.

M. de Zerezo de Tejadaµ. - Je me suis abstenu parce que la loi renferme, d'une part, plusieurs dispositions que j'approuve, mais que, d'autre part, elle en contient d'autres relatives à l'article 2 que je ne puis point voter.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. Je me suis abstenu pour les motifs donnés par l'honorable M. Coremans,

M, Dumortierµ. - Je trouve le projet excellent dans le système qui a été adopté de fortifier Anvers et d'en faire une grande, une immense fortification. Il complète les travaux militaires, ce qui était indispensable ; il crée de nouveaux établissements pour Anvers. Je ne puis donc voter contre le projet parce qu'il renferme d'excellentes choses ;

Mais j'ai combattu vivement les fortifications d'Anvers et si c'était à refaire, je les combattrais encore. Il m'est donc impossible de voter un projet de loi qui décide le complément de ces travaux. Dans cette situation, j'ai dû m'abstenir.

M. Gerritsµ. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que mes honorables collègues d'Anvers.

M. Jacobsµ. - Je me suis abstenu aussi par les mêmes motifs.

M. Janssensµ. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai fait connaître dans le cours de la discussion.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Mon adhésion était acquise à la disposition de la loi qui doit favoriser le développement de notre première cité commerciale ; mais il ne m'était pas démontré que pour compléter l'enceinte fortifiée d'Anvers il fallût une dépense de 14,000,000, qui, succédant à bien d'autres, ne doit pas être la dernière.

M. Liénartµ. - Je me suis abstenu parce que j'approuvais une partie du projet tandis qu'il m'était impossible d'approuver l'autre.

M. Lefebvreµ. - J'ai voté avec satisfaction l'article premier, mais je n'ai pu approuver l'emploi des fonds pour la construction de nouvelles fortifications.

M. Notelteirsµ. - J'approuve, sous réserve, la démolition de la citadelle du Sud ; c'est le motif pour lequel je n'ai pas voté contre le projet.

Je n'approuve pas l'emploi du prix de la cession. J'ai voté contre la construction des travaux militaires d'Anvers. L'immensité de cette place de guerre m'a toujours paru disproportionnée à nos forces, déplacée sur le sol de la petite Belgique neutre et par conséquent dangereuse. Rien n'est venu me prouver que j'étais dans l'erreur. Voilà pourquoi je n'ai pas pu voter les nouvelles constructions que le projet décrète.

M. Tackµ - Ne pas achever les fortifications d'Anvers après les sacrifices considérables que le pays a faits, dans l'intérêt de la défense nationale, me paraît inadmissible. D'ailleurs les travaux que propose le gouvernement d'exécuter sont une première satisfaction donnée à la population de notre centre commercial le plus important. C'est pourquoi je n'ai pas voté contre le projet de loi.

D'autre part, n'ayant jamais été convaincu de la nécessité absolue de travaux exécutés sur une aussi grande échelle que celle adoptée pour les travaux d'Anvers, je n'ai pas pu donner mon adhésion aux propositions du gouvernement.

M. Vermeireµ. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. de Zerezo.

M. Verwilghenµ. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai fait connaître dans la discussion.

M. de Clercqµ. - J'ai voté pour l'article premier, j'ai voté contre l'article 2 et j'ai cru devoir m'abstenir sur l'ensemble de la loi.

- La séance est levée à 5 heures.