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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 novembre 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 21) M. Dethuinµ fait l'appel nominal à 2 heures et quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les bourgmestre, échevins et membres du conseil communal de Bilsen protestent contre les reproches qui leur sont adressés dans le rapport du 11 août dernier, fait par M. Reynders à la députation permanente du conseil provincial du Limbourg, au sujet d'une demande d'habitants de Reeck, Ruykhoven et Bosselen, qui sollicitent la séparation de ces hameaux de la commune de Bilsen et leur érection en commune distincte .»

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Peters demande que le cens électoral pour la commune soit porté à 100 francs. »

- Même renvoi.


« Le sieur Joosten, ancien pontonnier receveur et ancien distributeur des postes, prie la Chambre de statuer sur ses pétitions ayant pour objet la révision de sa pension et un traitement d'attente pour la période de sa disponibilité. »

- Même renvoi.


« Le sieur Croonenberghs prie la Chambre de statuer sur sa pétition ayant pour objet l'abrogation de la loi relative à la création d'un timbre spécial pour les lettres de voilure. »

- Même renvoi.


« Le sieur Farinelle demande la révision des tableaux de répartition du contingent de la levée de 1869 dans la province de Luxembourg. »

- Même renvoi.


« Des industriels à Liège demandent que le gouvernement autorise, sous caution pour les droits, l'importation temporaire des fontes étrangères destinées à être réexportées après avoir été transformées en fil de fer. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« M. le ministre des finances transmet à la Chambre une copie de l'arrêté royal du 20 juin 1869, qui prescrit de nouvelles mesures de surveillance pour assurer la perception de l'accise dans les distilleries où l'on utilise des substances saccharines. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« M. Vermeire-Magis, président de la Société industrielle et scientifique de Saint-Nicolas, adresse à la Chambre 120 exemplaires d'une pétition concernant le projet de loi sur les protêts adressée à la Chambre sous la date du 3 mai par cette Société. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. Ansiau, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

« M. de Macar, obligé de s'absenter, demande un congé de deux jours. »

- Ces congés sont accordés.

Démission d’un membre de la chambre

MpDµ. - Le bureau a reçu la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous adresser ma démission de membre de la Chambre des représentants.

« Recevez, monsieur le président, l'assurance de mes sentiments distingués. »

« Ch. De Coninck. »

- Renvoi au ministre de l'intérieur.

Interpellation

(page 22)

MpDµ. - L'ordre du jour appelle en premier lieu les interpellations de M. Dumortier.

M. Dumortierµ. - Messieurs, au moment où la session actuelle s'ouvrait, j'ai demandé la parole pour interpeller le gouvernement au sujet de l'absence d'un discours du trône. L'honorable M. Frère a objecté que la Chambre n'était pas encore constituée, qu'il valait mieux remettre ces interpellations à un autre moment, et la discussion du budget des voies et moyens devant commencer aujourd'hui, j'ai remis mes interpellations à la séance de ce jour. C'est cet engagement que je viens remplir.

Je commencerai par reprendre l'interpellation que j'avais commencée.

Ne croyez pas, messieurs, que je veuille interpeller le gouvernement sur une foule de petits actes du ministère. Oh ! mes amis et moi, nous aurions de bien nombreuses interpellations à faire, si nous entrions dans le domaine des petits actes.

Mais je crois qu'en politique parlementaire, l'interpellation actuelle doit se borner aux grands faits politiques qui nous eussent été communiqués ou soumis, si un discours du Trône avait eu lieu !

Je compte donc rester dans ces limites : poser au gouvernement les questions que le discours du Trône eût sans doute élucidées.

Ceci indiqué, je reviens à la première question que j'avais posée l'autre jour : Pourquoi n'avons-nous pas de discours du Trône ?

Messieurs, croyez-le bien, le discours du Trône, dans une assemblée délibérante, n'est pas une vaine formalité. C'est, au contraire, l'expression de l'accord entre la couronne et le pouvoir parlementaire. C'est par un discours du trône que la couronne, d'accord avec son cabinet, vient communiquer a l'assemblée et les faits qui se sont accomplis depuis la séparation des Chambres et ses désirs, pendant la session qui va s'ouvrir, pour le bien-être du pays. C'est dans cette circonstance que les Chambres, de leur côté, ont occasion de manifester, dans des termes généraux, dans des vues générales, ce que le pays réclame, ce qu'exige la prospérité publique.

Dans tous les pays constitutionnels, la session parlementaire s'ouvre par un discours du Trône. En Angleterre, jamais une session n'a commencé sans discours du Trône et cela est tellement vrai, que lorsque la reine est empêchée par une circonstance grave, quelle qu'elle soit, il y a délégation pour venir lire au parlement le discours qu'elle aurait prononcé elle-même, si elle s'était rendue elle-même au parlement.

Vous avez vu, il y a trois jours, dans les journaux que pareille chose devait avoir lieu en Italie.

La maladie du Roi ne lui permettant pas de se rendre au parlement, pour y prononcer son discours en présence de l'assemblée, un commissaire sera nommé pour lire ce discours.

En Belgique, depuis 1816, depuis la chute de l'Empire et la promulgation de la loi fondamentale, sous le royaume des Pays-Bas, chaque année un discours du trône a inauguré les débats du parlement.

En France, chaque année il y a un discours du Trône.

En Autriche, en Prusse, dans ces Etats si modernes dans la vie politique, toujours un discours du Trône vient ouvrir la session.

En Belgique, depuis quelques années, ces discours deviennent assez rares, et cette année-ci encore, nous n'en avons pas.

Je me demande ce que signifie cette absence de discours du Trône et je n'y vois que deux causes possibles. . La première, c'est un désaccord momentané entre la couronne et son cabinet, désaccord dont la conséquence naturelle est l'abstention de la couronne quant au discours du Trône.

Un deuxième motif possible, c'est si un cabinet prenant sur la couronne un empire d'omnipotence tel, qu'il attire à lui toutes les prérogatives de la royauté, ces prérogatives disparaissent et deviennent des prérogatives ministérielles.

Je remarque qu'en Belgique l'absence de discours du Trône est toujours arrivée à mesure de l'augmentation de la prérogative ministérielle aux dépens de la prérogative royale.

Je demande donc : Pourquoi n'y a-t-il pas de discours du Trône ? Y a-t-il un désaccord momentané entre la couronne et le ministère ? La Chambre et le pays doivent le savoir. Y a-t-il, au contraire, une politique qui tendrait à faire absorber par le pouvoir ministériel la prérogative royale, à faire de la prérogative royale une prérogative ministérielle ? Si c'était là la situation, elle serait très grave.

Il est un second point, messieurs, que vous me permettrez d'aborder avec une entière franchise. Je ne veux point parler des personnes ; chacun sait que, pour moi, je n'ai d'antipathie pour aucun membre de cette assemblée, de tels sentiments n'ont pas accès dans mon cœur ; mais j'aime mon pays, j'aime nos institutions et si je parle des personnes, c'est uniquement dans l'intérêt du pays.

Je pose donc cette question au ministère : Pourquoi êtes-vous au banc ministériel ? Deux faits très graves se sont passés, qui tous deux semblaient devoir exiger une transformation du cabinet ; à trois reprises différentes, le Sénat a désavoué des principes qui avaient prévalu dans le ministère et dont les ministres faisaient une question de cabinet ; la première fois, il y a eu retraite ministérielle ; au deuxième rejet, plus rien, et au troisième rejet, on se cramponne au portefeuille.

Voilà un premier fait qui, certes, est complètement anomal et sur lequel, encore une fois, le pays a besoin d'avoir des explications.

Ce n'est point ici, je le répète, une question de personnes, c'est une question d'institutions politiques.

Un deuxième fait s'est passé, dont personne ne peut méconnaître la portée, je veux parler du résultat des élections communales. Ce n'est pas moi qui ai imaginé de considérer les élections communales comme une manifestation politique.

Qui est-ce qui a imaginé ce système ?

En 1857, lors de la retraite du cabinet dont les honorables MM. De Decker et Nothomb faisaient partie, on est venu soutenir dans cette enceinte que la manifestation des conseils communaux avait pour conséquence et devait avoir pour conséquence la retraite du ministère. Or, que s'est-il passé en 1857 ? Quinze villes, très importantes sans doute, avaient abandonné le côté du ministère pour se porter du côté de l'opposition.

Et le 26 octobre dernier, vingt-six villes ont abandonné les amis du ministère pour se porter du côté de l'opposition ; deux mille communes ont agi de même. Voilà donc deux mille communes et vingt-six villes qui viennent dire au gouvernement, d'après les principes qu'il a posés lui-même, que le pays répudie sa politique.

M. Bouvierµ. - Allons donc !

- Un membre. - Même Virton.

M. Dumortierµ. - Maintenant, messieurs, tout cela est la conséquence de la logique des faits, de la politique ministérielle.

Mon Dieu, eussiez-vous gouverné, comme vous en êtes convaincus, j'en suis sûr, les intérêts du pays de la meilleure manière possible, encore serait-il vrai qu'un jour vient où il faut quitter le pouvoir.

Il y a dans les gouvernements constitutionnels la part qu'il faut faire au mécontentement que tout pouvoir engendre naturellement.

Une place est vacante, par exemple. Vous avez une nomination à faire ; il y a trente candidats.

Vous faites un heureux et vous faites vingt-neuf ennemis.

Cela arrive en toutes choses et c'est si vrai que l'honorable M. Rogier disait, il y a quelques années, que les nominations devaient être envisagées, sous ce rapport, comme une véritable plaie pour le gouvernement.

Cela est parfaitement exact, mais il n'en est pas moins vrai que cela amène toujours la retraite des ministères.

Dans ma manière de voir, vous avez d'abord usé, dans certaines limites, de l'élément libéral que vous aviez dans les mains, mais vous avez fini par en user avec infiniment moins de sagesse, poussés que vous étiez par les mauvaises passions.

Le pays a fini par se révolter contre ce système, il s'est levé contre la pression que vous tentiez de lui imposer.

Partout, dans les campagnes et dans les villes les plus importantes, vous avez subi des échecs.

Je me bornerai, sous ce rapport, à vous citer la lettre de l'honorable M. Van Schoor, président de l'Association libérale et grand maître des francs-maçons de Belgique.

Voilà certes une grande lumière.

Cette lumière vous dit : Nous avons été défaits.

Maintenant, messieurs, je me demande comment on n'applique pas à soi-même les principes qu'on impose aux autres en d'autres circonstances.

Je désire donc une explication positive et sérieuse sur cette manière de faire, sur votre maintien au pouvoir, alors que je vois deux faits : le premier, le Sénat n'acceptant pas vos lois et une partie d'entre vous cherchant à se retirer en présence des votes du Sénat ; le second, le pays, dans les élections communales, retirant sa confiance à un grand nombre de vos amis politiques et nommant les membres de l'opposition, ceux qui sont vos adversaires.

Je me demande si, en présence de ces faits, il est de la dignité du pouvoir que vous restiez assis où vous êtes, et s'il n'est pas plus que temps qu'un autre ministère vienne prendre votre place.

C'est une question que je pose ; j'espère obtenir une réponse.

(page 23) Messieurs, si un discours du Trône avait eu lieu, on nous aurait annoncé ce que l'on entendait faire dans le cours de la session.

Certes c'est un des premiers devoirs du pouvoir vis-à-vis de la souveraineté du peuple représentée par nous, de nous faire connaître quelles sont les lois que l'on entend faire dans le cours de la session.

De cela rien ne nous a été dit.

Je demanderai donc au gouvernement si, dans le cours de la session, il entend demander ou appuyer l'examen, la discussion, le vote de lois politiques repoussées par la moitié de cette Chambre ou si son intention est, restant au pouvoir malgré ses échecs, de faire de cette session une session calme, exemple de discussions irritantes qui doivent diviser le pays et qui sont loin de rendre service à la nationalité ; s'il veut, en un mot, la paix ou la guerre.

Une pareille question, c'est la loyauté même qui l'inspire.

Maintenant que j'ai posé quatre questions relativement à l'intérieur, j'aurai à en poser une relativement aux affaires étrangères.

Vous devinez, messieurs, que j'entends parler de l'incident franco-belge. Vous savez parfaitement comment cet incident est né ; pour moi je n'ai jamais cru qu'il existât rien du danger qu'on signalait à cette époque ; au contraire, j'étais convaincu et je le suis encore que la loi qui nous a été présentée et qui a été votée était un coup fatal porté à notre nationalité. J'aurais désiré que cette loi ne fût pas présentée, et lorsque viendra le jour des explications je démontrerai qu'elle est la mort de la neutralité qui est la base essentielle de notre indépendance. (Interruption.)

Je pose des questions, je ne discute pas ; mon tour viendra de discuter quand une réponse aura été faite à mes questions.

La loi dont je parle a excité un très vif mécontentement chez un gouvernement voisin ; elle avait été votée avec une telle précipitation qu'à peine nous avons eu connaissance du rapport où cependant se trouvait une phrase malheureuse et hostile au gouvernement voisin avec lequel nous devons vivre en bonne amitié ; je ne me servirai pas, pour qualifier la manière dont cette loi a été votée, du mot « escamoté » ; on n'escamote pas dans un parlement ; mais donnez-moi un synonyme qui en approche et je dirai : C'est cela.

Un gouvernement étranger s'est donc cru frappé par cette loi, de là une irritation des plus vives. Les choses ont été à ce point que M. le ministre des finances est parti pour Paris pour arranger les choses. Eh bien, qu'est-il résulté des conférences qui ont eu lieu à cet égard ?

Nous avons vu dans le Moniteur un protocole fait à Paris le 27 avril et signé par M. Frère et par M. de Lavalette, ministre des affaires étrangères à Paris.

Mais ce protocole est bien peu de chose à mes yeux, car le gouvernement français, dans ce protocole, se borne à s'engager à examiner la question. Or, ce n'est pas là un bien grand triomphe.

Mais à côté de cela, tous les journaux français sont venus déclarer que la Belgique, dans ses négociations, avait donné à la France les clefs de la Prusse, qu'elle avait permis aux convois français, aux convois d'armes, de munitions, de soldats, de traverser purement et simplement notre territoire.

D'autre part, on est venu annuler en quelque sorte une convention infiniment moins dangereuse, pas du tout dangereuse même, faite par la compagnie du Luxembourg.

Eh bien, je désire que le gouvernement fasse un rapport sur cette question, que les pièces nous soient communiquées afin que nous puissions examiner ce qui s'est passé dans cette circonstance ; je désire ensuite que le gouvernement veuille bien nous dire comment il a indemnisé la société du Luxembourg du préjudice que lui a causé la suppression de la convention qu'elle avait faite avec l'Est français ; je désire savoir si toute cette affaire n'avait qu'un seul but, celui d'enlever à la société du Luxembourg les transports sur lesquels elle croyait pouvoir compter, d'empêcher cette société de se révivifier, ou bien si réellement quelque chose de sérieux avait ou lieu, si la société du Luxembourg avait manqué à ses devoirs, avait trahi, comme on l'a dit, les intérêts du pays ; qu'on nous le dise.

Nous avons le droit de savoir si le pays a été trahi. Il faut qu'on nous le dise et que nous sachions enfin ce qui s'est passé dans cette circonstance.

Voilà, messieurs, toutes questions qui, comme je l'ai dit, ne sont pas des questions de détail, mais des questions générales et sérieuses ; toutes questions sur lesquelles nous avons le droit d'être éclairés. Le pays a le droit d'obtenir des éclaircissements sur ces divers points, et ce n'est pas en supprimant le discours de la Couronne qu'on peut faire disparaître du pays toute critique légitime, qu'on peut lui enlever son légitime contrôle sur tous les actes du pouvoir.

Je demande donc des explications sur les cinq points que je viens d'indiquer ; je me réserve d'ailleurs de reprendre la parole quand les explications demandées nous auront été données.

MfFOµ. - Messieurs, je répondrai bien volontiers aux questions qui viennent d'être adressées au gouvernement par l'honorable M. Dumortier.

L'honorable membre a demandé en premier lieu pourquoi il n'y a pas eu de discours du Trône à l'ouverture de la présente session. J'ai eu déjà l'honneur de lui répondre que le Roi, d'accord avec ses ministres, avait pensé que, dans les circonstances actuelles, un discours du Trône n'était pas nécessaire ; que la session devant être assez courte, il convenait d'éviter les débats politiques dont les adresses en réponse à ces discours sont naturellement l'occasion ; que si des membres de la Chambre pensaient néanmoins qu'il y eût utilité ou nécessité, d'ouvrir un débat politique, ce que, pour notre part, nous ne déclinons en aucune façon, ils avaient non seulement l'occasion de le soulever à propos de la discussion de tous les budgets, mais encore le moyen tout simple des interpellations directes, qu'ils peuvent adresser au gouvernement chaque fois qu'ils le jugent convenable.

L'honorable M. Dumortier ne se contente point de cette réponse qui, cependant, me paraît très satisfaisante. Il prétend que l'absence d'un discours du Trône ne peut que révéler un désaccord existant entre le Roi et ses ministres. (Interruption.) Je demande, messieurs, si, chez nous, en Belgique, on peut sérieusement raisonner ainsi.

L'honorable M. Dumortier nous dit, à la vérité, qu'en Angleterre, en Italie, en Autriche, en beaucoup d'autres Etats encore, il est d'usage que la session législative soit ouverte par un discours du Trône prononcé par le souverain, ou bien, s'il en est empêché, par un commissaire spécial. Je n'ai pas vérifié si, dans les pays qu'a cités l'honorable membre, l'usage dont il parle est aussi constant qu'il le prétend. Mais quand cela serait vrai, est-ce qu'en Belgique il est d'usage constant d'ouvrir la session par un discours du Trône ? Comment l'honorable membre n'a-t-il pas pris la peine, qui n'était pas bien grande pourtant, de vérifier en combien de circonstances les sessions s'étaient ouvertes en Belgique sans discours du Trône ? N'avons-nous pas les précédents posés par nos adversaires eux-mêmes lorsqu'ils étaient au pouvoir ? A des époques où peut-être l'on était plus préoccupé de graves questions extérieures qu'on ne l'est aujourd'hui, nous voyons les sessions s'ouvrir sans discours du Trône.

Il en est ainsi, par exemple, des sessions de 1835-1836, de 1837-1838, de 1839-1840, de 1850-1851, de 1852-1853, de 1857-1858, de 1859-1860, et ainsi de suite. On pourrait presque dire que l'on a alternativement ouvert les sessions avec et sans discours du Trône ; et tout au moins ce qui s'est fait cette fois n'est pas une exception.

Qu'eût dit cependant l'honorable M. Dumortier si, à l'ouverture de la session de 1835-1836 et postérieurement, lorsque ses amis étaient au pouvoir et qu'il n'y avait pas d'ouverture royale des Chambres, l'opposition était venue prétendre qu'il en était ainsi, parce qu'il y avait un désaccord entre le Roi et ses ministres ? Evidemment l'honorable membre aurait répondu avec beaucoup de gaieté à un pareil argument.

Pour l'honorable membre, il y a, dans cette absence d'un discours du Trône, une autre révélation encore : il en déduit que la prérogative ministérielle, suivant son expression, a confisqué la prérogative royale. Mais comment pourrait-il y avoir usurpation de la prérogative ministérielle, qui est une prérogative nouvelle, sur la prérogative royale, lorsque, le cabinet se met d'accord avec la couronne, ou bien pour qu'un discours du Trône soit prononcé, ou bien pour qu'il ne le soit pas ? Evidemment il serait extrêmement difficile d'admettre la déduction de l'honorable M. Dumortier.

La seconde question posée par l'honorable membre est celle-ci : Pourquoi êtes-vous encore au banc ministériel ?

A une pareille question, la réponse est des plus simples : nous y sommes par la volonté du corps électoral ; nous y sommes par le résultat des élections successives qui ont eu lieu depuis 1857, et qui, loin d'affaiblir, ont, au contraire, fortifié la majorité libérale dans cette enceinte.

Il est vrai qu'aux yeux de l'honorable M. Dumortier, il importe fort peu que le corps électoral envoie dans cette Chambre une majorité libérale appuyant un cabinet libéral, du moment que le Sénat se trouve en désaccord en certains points sur des lois votées par la Chambre. (Interruption.) C'est bien la thèse de l'honorable membre.

En effet, messieurs, dans ces derniers temps, trois votes du Sénat ont attesté qu'un dissentiment existe, sur des questions étrangères à la politique, entre cette assemblée et la Chambre des représentants. On sait dans quelles circonstances cette situation s'est produite : la Chambre, à la presque unanimité, ou du moins à une très forte majorité, avait voté l'abrogation de l'article 1781 du code civil ; cette loi n'avait, à nos yeux, d'autre (page 24) importance que d’ôter aux classes populaires un prétexte d'agitation que rien ne justifiait. C'était là le véritable motif qui avait engagé le cabinet à proposer l'abrogation de l'article 1781 du code civil. Le Sénat a pensé que cette disposition devait être maintenue.

Ensuite, le Sénat, par un accident que vous connaissez, a rejeté le budget de la justice. C'était un vote de hasard qui a été effacé le lendemain. Aux yeux de l'honorable M. Dumortier, ce second vote du Sénat était un motif très péremptoire pour que le ministère se retirât.

Enfin un troisième vote du Sénat atteste un autre dissentiment : c'est relativement à la suppression de la contrainte par corps. Dans l'opinion de l'honorable M. Dumortier, parce que ce dissentiment s'est manifesté, entre la Chambre et le Sénat, il fallait que le cabinet abandonnât la Chambre, désertant ainsi une opinion qu'il avait exprimée et défendue de concert avec elle, et se retirât sans mot dire devant le vote du Sénat.

Or, messieurs, je vous le demande, dans quel pays constitutionnel a-t-on jamais entendu émettre une pareille doctrine, appliquer une pareille théorie ?

Supposons, en faisant pour un moment à l'honorable M. Dumortier les concessions les plus impossibles, supposons que la position des deux assemblées soit absolument égale et qu'il n'y ait à prendre en considération, ni le nombre, ni les conditions d'éligibilité, ni le rôle qui appartient, suivant l'esprit des institutions constitutionnelles, à l'une et à l'autre assemblée : quelle raison y aurait-il d'abandonner plutôt l'une que l'autre ? A quel résultat, je vous prie, arriverait-on en suivant le conseil étrange qui nous est donné ?

Si le cabinet s'était retiré dans les conditions que je viens de rappeler, quel cabinet aurait-on pu espérer constituer pour le remplacer ? Mais apparemment un cabinet pris dans le sein de la majorité ! Cela me paraît fort incontestable ! A moins que les conséquences de votre théorie n'aillent jusqu'à faire admettre que les cabinets doivent être pris dans la minorité. (Interruption.)

On aurait donc constitué un cabinet représentant exactement les mêmes principes, ayant à faire prévaloir les mêmes doctrines que le cabinet qui aurait décliné sa mission. Mais après ? Toujours par application du beau système que vous avez imaginé, il aurait dû, à son tour, se retirer devant le Sénat. Vraiment, je le demande, tout cela est-il bien sérieux ?

Assurément, messieurs, les dissentiments dont je viens de parler sont fort regrettables ; ils ont plus d'un côté fâcheux. Mais ce sont là des accidents inévitables dans la pratique des institutions constitutionnelles. A moins d'espérer sur toute question quelconque une constante unanimité entre les deux assemblées qui constituent le parlement, il faut bien qu'à certains moments on se trouve en présence de l'une ou de l'autre de ces questions sur lesquelles se divisent, non pas les partis politiques, mais les opinions personnelles, et pour la solution desquelles il y a des tempéraments à chercher, des moyens de conciliation à trouver.

C'est ce qui s'est fait en Angleterre sur des affaires bien autrement graves que les petites questions dont on nous parle en ce moment, et incontestablement avec un peu de temps, un peu de réflexion, on arrivera à des solutions satisfaisantes de ces questions.

Mais, toujours selon l'opinion et surtout selon le désir de l'honorable M. Dumortier, il y a d'autres motifs encore qui auraient dû engager le cabinet à se retirer ! Les élections communales nous ont condamnés, nous dit-il ; les élections communales ont condamné le cabinet libéral, la majorité libérale. On ne l'avait guère soupçonné jusqu'à présent. Nous avions même la faiblesse de croire que, dans leur ensemble, ces élections attestaient la force de l'opinion libérale.

L'honorable membre a sans doute suivi avec quelque intérêt le mouvement qui a précédé les dernières élections communales ? (Interruption.) Eh bien, comment ne se souvient-il pas que, dans la plupart des localités, surtout dans les localités importantes, ces élections ont eu un caractère tout particulier ? Ne se souvient-il pas que ses amis disaient et répétaient à l'envi qu'il ne s'agissait point là de politique ; c'étaient des questions de pur intérêt local, dans lesquelles aucun intérêt de parti ne se trouvait enlacé ? Ici c'était une opposition dirigée contre l'augmentation de certaines taxes locales ; là contre l'établissement d'une contribution sur le revenu ; ailleurs contre un impôt sur les assurances. Voilà ce qui devait uniquement préoccuper les électeurs. Il s'agissait uniquement d'affaires communales ; mais de politique, point !

El puis, parce que, dans certains collèges électoraux, dans des ballottages, il y a eu quelques accidents, sans importance et sans signification politique, ce qui s'est vu à toutes les époques, l'honorable M. Dumortier, se faisant l'organe du parti catholique, vient nous dire : Nous sommes vainqueurs '. La lutte a été politique ; les catholiques combattaient les libéraux ; les catholiques l'ont emporté ! (Interruption.)

Je ne puis empêcher l'honorable M. Dumortier de croire lui-même à cette bonne invention ; mais il me permettra de lui conseiller d'attendre encore d'autres succès pour triompher, et pour sommer le cabinet libéral de se retirer.

Je sais bien que l'honorable M. Dumortier nous dit : Mais nous avons des précédents ; je n'aurais pas invoqué ce qui s'est passé dans les dernières élections communales, si nous ne pouvions invoquer ce qui s'est passé en 1857.

Or, en 1857, on a soutenu ici, dans cette enceinte, que le résultat des élections communales avait condamné la politique du cabinet de l'époque et qu'il devait se retirer. La situation est la même, dans un autre sens aujourd'hui : donc retirez-vous !

Eh bien, les souvenirs de l'honorable M. Dumortier le servent très mal.

M. Dumortierµ. - Pas du tout.

MfFOµ. - Les souvenirs de l'honorable M. Dumortier le servent très mal. Les élections communales de 1857 ont eu lieu au mois d'octobre, et le cabinet catholique s'est retiré au mois de novembre de la même année, c'est-à-dire avant toute espèce de discussion dans celle enceinte, avant que l'on eût pu y exprimer une opinion quelconque sur la situation, puisque la session n'avait pas encore été ouverte.

Voilà les faits.

Mais ce n'est pas assez. Je veux rappeler, ce qui est consigné, au surplus, dans des actes authentiques, ce qui est consigné dans les Annales parlementaires : c'est que, quand le cabinet de l'époque s'est retiré, donnant sa démission en se fondant sur ce que l'opinion se trouvait modifiée dans le pays et avait condamné sa politique, lorsque nous avons été appelés pour former une nouvelle administration, l'honorable M. Rogier, d'accord avec l'honorable M. Tesch et moi, nous avons déclaré tout d'abord qu'à notre avis rien dans la situation ne faisait au cabinet un devoir de se retirer ; qu'il était appuyé dans le parlement par une majorité, à l'aide de laquelle il pouvait constitutionnellement continuer à gouverner ; que tant que cette majorité ne l'abandonnerait point, il n'y avait pas pour lui de motif de donner sa démission.

Nous avons donc décliné le pouvoir jusqu'à ce que les honorables ministres d'alors eussent été interrogés sur le point de savoir si, oui ou non, ils persévéraient dans leur résolution, et lorsqu'ils eurent fait connaître qu'ils y persévéraient, qu'ils entendaient se retirer, qu'ils ne voulaient pas rester au ministère, nous avons pris le pouvoir, qui était abandonné par eux. Mais nous n'avons pas prétendu que la majorité de la Chambre devait appuyer le cabinet libéral qui arrivait aux affaires ; nous avons dit : Le pays doit prononcer. Nous avons fait appel au pays, et le pays nous a donné raison.

M. Coomansµ. - Le pays ! allons donc ! Les électeurs.

M. Bouvierµ. - Les cabaretiers, n'est-ce pas ? (Interruption.)

MfFOµ. - Pour vous, il y a deux pays.

MpDµ. - Ne répondez pas, M. le ministre. Je désire qu'on ne réponde pas aux interruptions.

MfFOµ. - Elles sont quelquefois utiles, M. le président.

MpDµ. - Elles sont presque toujours dangereuses.

MfFOµ. - Je dirai donc : Pour la personne qui m'a interrompu tout à l'heure, il y a deux pays. Il y a le pays légal qui est le dépositaire légitime et constitutionnel des pouvoirs publics, et il y en a un autre, dont il se croit à la fois le maître et l'inspirateur, et qui condamne ce que fait le premier. C'est là son système. II se réfugie dans le pays qui ne lui a donné aucun mandat et dont il se charge d'interpréter les opinions, ce pays qui ne s'est pas prononcé sur les affaires publiques...

M. Coomansµ. - Mais qui est le vrai pays.

MfFOµ. - Evidemment ! Mais pour pouvoir vous exprimer comme vous le faites, vous devez attendre que nos institutions soient modifiées. Jusque-là, restons dans la vérité constitutionnelle ; quant à présent, nous ne pouvions pas faire appel à un autre corps électoral que celui qui était constitué, et c'est ce corps électoral qui s'est alors prononcé.

M. Coomansµ. - Ah !

MfFOµ. - Il représentait le pays comme nous représentons le pays.

M. Coomansµ. - Fictivement.

MfFOµ. - Non pas fictivement, mais constitutionnellement et réellement. (Interruption.)

- Des membres. - Certainement.

MfFOµ. - Et du reste, il faut avouer que les prétentions de l'honorable membre sont assez étranges. II invoque, sans raison assurément, mais il invoque les élections communales pour nous dire : Le pays vous condamne ! Et lorsque nous invoquons les élections générales pour dire : Le pays nous approuve, il répond : Ce n'est pas le vrai pays. Il lui en faut un autre. (Interruption.)

L'honorable M. Dumortier nous dit enfin : Qu'entendez-vous faire dans le cours de la session ? Messieurs, à cette question encore la réponse à faire me paraît fort simple : la Chambre a un ordre du jour très chargé ; un grand nombre de lois fort importantes sont soumises à son examen ; eh bien, nous discuterons ces lois ; nous aurons encore à en présenter plusieurs autres que nous croyons utiles pour le pays. Mais ferez-vous des lois politiques ? dit-il. Si la Chambre juge qu'il y a lieu de faire des lois politiques, elle les fera.

La Chambre n'est pas disposée à abdiquer ses droits ; elle est parfaitement maîtresse de son ordre du jour et lorsqu'elle sera saisie d'un projet de loi, elle statuera comme elle l'entendra.

Mais dites-nous, ainsi s'explique l'honorable M. Dumortier, dites-nous si vous voulez la paix ou si vous voulez la guerre ! Et, pour nous offrir un gage de paix, l'honorable membre commence par nous sommer de nous retirer ! Eh bien, il devra bien nous permettre de lui faire la guerre, si cela est nécessaire, pour maintenir l'opinion libérale au pouvoir.

Reste le dernier point qui a été indiqué par l'honorable M. Dumortier. Il a parlé de l'incident franco-belge. A ses yeux, la loi qui a été votée au mois de février dernier a compromis le pays ; elle a compromis la nationalité et la neutralité de la Belgique. Il se réserve probablement de nous apprendre un jour en quoi et comment cette loi a pu compromettre la nationalité et la neutralité de la Belgique. Mais, en attendant, je me bornerai à lui rappeler que cette loi a été votée a la presque unanimité dans cette Chambre, et au Sénat ; qu'elle a été appuyée par des membres de l'une et de l'autre assemblée appartenant aux deux opinions qui les divisent ; qu'elle a été soumise, avant que la Chambre en fût saisie, à une commission composée avec la plus haute impartialité, et dans laquelle siégeaient, avec M. le président de la Chambre, les honorables MM. de Theux, de Naeyer et Delcour d'une part, de Brouckere, Orts et de Vrière de l'autre.

Cette loi a été défendue avec éloquence par d'honorables amis de l'honorable M. Dumortier.

Ceci, messieurs, suffit pour la justification de la loi en elle-même ; mais elle a fait naître, dit l'honorable membre, des sujets de défiance de la part d'un gouvernement voisin et ami et il en est résulté des négociations, des explications qui ont amené un protocole signé à la date du 27 avril dernier ; protocole qui, selon l'honorable membre, ne dit pas grand-chose, car le gouvernement français s'engage simplement à examiner la question sur laquelle a porté le dissentiment. Cela n'a donc pas grande valeur.

Messieurs, ce protocole a pour nous toute la valeur que pourrait lui désirer l'honorable M. Dumortier. Il a marqué l'aplanissement d'une difficulté qui n'a pas été sans gravité.

En effet, il est vrai que des susceptibilités se sont éveillées, à la suite de la présentation du projet de loi dont on vient de parler, mais il est également vrai que ces susceptibilités ont été complètement apaisées à la suite d'explications franches et loyales qui ont été échangées, et que depuis le protocole du 27 avril, jamais, à aucune époque, les relations n'ont été meilleures entre la France et la Belgique. Il faudrait, j'irai jusque-là, il faudrait presque se féliciter de l'incident, tant il a eu une influence favorable sur les rapports entre les deux pays.

- Un membre à droiteµ. - Felix culpa !

MfFOµ. - Felix culpa ! oui, s'il y avait eu faute, ce qui n'est point, nous dirions encore Felix culpa !

Mais, dit 'honorable membre, certains journaux français ont dit que, par les résultats des négociations, nous avons livré à la France les clefs de la Prusse... (Interruption.) Pour livrer les clefs de la Prusse, il faudrait d'abord les avoir. Mais j'avoue que j'ignorais cette invention et elle a dû paraître bien singulière lorsque les arrangements ont été connus.

Messieurs, le résultat des négociations a été, comme vous le savez, l'institution d'une commission internationale, chargée de préparer les bases de conventions de service mixte qui devaient être ensuite conclues entre l'administration de la Compagnie de l'Est et l'administration du chemin de fer de l'Etat.

Ces conventions sont analogues à beaucoup d'autres actes du même genre ; elles sont complètement inoffensives ; elles n'ont trait qu'à des intérêts commerciaux et industriels ; elles sont également favorables aux deux pays et personne n'aura à s'en plaindre.

Mais, s'écrie l'honorable M. Dumortier, avez-vous indemnisé la compagnie du Luxembourg du préjudice que lui a causé l'annulation du traité qu'elle avait fait avec la compagnie de l'Est ?

Messieurs, il n'y avait pas à indemniser la compagnie du Luxembourg. Nous avons usé de notre droit en refusant de ratifier un traité que nous considérions comme préjudiciable aux intérêts du pays ; et, de plus, la compagnie du Luxembourg, traitant avec la compagnie de l'Est, a fait à son tour des conventions qui donnent, je pense, autant que les rapports lus à l'assemblée générale de la compagnie puissent en donner une idée, pleine satisfaction aux divers intérêts engagés dans la question.

Voila, messieurs, la solution fort inoffensive qui a été donnée à cette affaire ; et, à quelque point de vue qu'on envisage cette solution, je ne serai pas contredit en affirmant qu'on ne peut que s'en féliciter.

Cependant, ajoute l'honorable membre, nous devrions avoir un rapport sur cette affaire.

Messieurs, si la Chambre en exprime le désir, nous ferons ce rapport ; mais je dois déclarer qu'il ne pourra contenir autre chose que ce que je viens d'avoir l'honneur d'exposer.

M. Dumortierµ. - Déposez les pièces.

MfFOµ. - Je dirai à l'honorable membre que la négociation ayant été faite par moi à Paris, elle a été purement verbale. (Interruption.) Mais il me semble que si j'étais sur les lieux c'était pour parler ! Sans cela, nous aurions traité l'affaire par correspondance et nous pourrions soumettre les documents à la Chambre. Il n'y a eu de pièces échangées que sur des points purement techniques, et qui n'offrent aucun intérêt. Les protocoles ont résumé les points convenus et ils ont été publiés.

Du reste, je le répète, si la Chambre le décide, nous consignerons dans un rapport ce que je viens d'avoir l'honneur de lui exposer.

M. Dumortierµ. - Messieurs, je me félicite des interpellations que j'ai eu l'honneur d'adresser au gouvernement.

Si les réponses n'ont pas été complètes, elles ont du moins fourni quelques renseignements très importants pour nous et pour le pays.

Je n'insisterai pas sur le point que j'ai déjà traité de l'absence de discours du Trône. Je ne pourrais que répéter ce que j'ai dit à l'honorable membre.

L'honorable membre nous a dit que bien des fois il n'y a pas eu de discours du Trône ; il a simplement fait allusion à l'absence de discours du Trône pendant l'existence du ministère de l'opinion à laquelle il appartient. Au contraire, pendant que l'opinion conservatrice a été au pouvoir et sauf quelques rares exceptions, justifiées par les circonstances, il y a toujours eu des discours du Trône à l'ouverture des Chambres. Lors de la cession du Luxembourg, il n'y en a pas eu, mais il y avait alors impossibilité. Il y a dans la vie politique comme dans la vie humaine des exceptions à la règle générale ; mais aussi longtemps que l'opinion conservatrice a été au pouvoir, toujours il y a eu des discours du Trône ; toujours cette opinion a montré un respect profond de la prérogative royale.

J'ai toujours vu que les absences de discours du Trône coïncidaient avec des époques où le cabinet avait voulu dominer la couronne, absorber la prérogative royale, et j'avoue que, quand je ne vois pas de discours du Trône cette année, je suis porté à croire que c'est la conséquence de la même doctrine, d'une doctrine que je repousse, car je le dis avec franchise, le plus grand service qu'on puisse aujourd'hui rendre à la Belgique, c'est de reconstituer le pouvoir royal comme le Congrès l'avait fait. Nous n'avons plus le pouvoir royal que le Congrès avait fait. (Interruption.)

Le Congrès avait créé trois pouvoirs en Belgique : le pouvoir parlementaire, le pouvoir royal et le pouvoir judiciaire. Or, à côté et aux dépens de ces trois pouvoirs, il s'en est élevé un autre qui n'est pas dans la Constitution : c'est le pouvoir ministériel, qui ne tend à rien moins qu'à absorber tous les pouvoirs de l'Etat, qui ne tend à rien moins qu'à l'établissement du despotisme... (Interruption.)

La politique personnelle de la part des ministres n'est ni dans la Constitution, ni dans les vœux du pays, ni dans les institutions du Congrès. Je ne puis donc que la condamner.

Maintenant, j'en reviens à la question que j'avais posée : Pourquoi êtes-vous au pouvoir ?

Et d’abord la question du Sénat.

Il y a eu, dit M. le ministre des finances, dissentiment cuire les deux Chambres. C'est une manière assez commode de rejeter sur autrui sa propre responsabilité.

Si la loi qui a donné lieu au désaccord était émanée de l'initiative de l'une des deux Chambres, s'il n'y avait pas eu pression ministérielle, J'admettrais qu'il y ait eu conflit entre les deux Chambres. Mais quand une (page 26) présentée par te cabinet n'est volée que sous la menace d'une question de cabinet, venir dire qu'il y a conflit entre les deux Chambres, c'est rendre ridicules les institutions politiques. Dans ces circonstances, il n'y a pas conflit entre les deux Chambres, il y a conflit entre le cabinet et une des branches du pouvoir législatif.

Ce conflit s'est manifesté d'abord par un premier rejet de la loi ; vous avez renvoyé la loi au Sénat, le Sénat l'a encore rejetée ; une troisième fois il a fait de même ; il a été plus loin, il a rejeté le budget du ministère de la justice.

Je me rappelle encore vos colères en ce moment ; vous fîtes venir le ban et l'arrière-ban de vos amis pour mettre le Sénat a vos pieds... (Interruption.) Vous voulez mettre toutes les institutions du pays à vos pieds pour dominer sur des ruines et des débris.

Eh bien, je ne veux pas cela...

Je veux la liberté de nos institutions, et ce que vous avez fait à l'égard du Sénat, c'est du despotisme. Oui, vous avez voulu dominer ce grand corps politique dont j'ai pris alors la défense, comme je le ferai toujours en pareilles circonstances. Il n'y avait pas conflit entre les deux Chambres, mais entre le ministère posant la question de cabinet et le Sénat votant contre le ministère malgré la menace de sa retraite. Voilà où était le conflit. Eh bien, en présence d'un pareil conflit, votre devoir était nettement tracé. L'honorable ministre de la justice l'avait parfaitement compris à une autre époque : dès le premier vole, il a compris ce que le vote du Sénat commandait à sa dignité.

Pourquoi donc après le second, après le troisième, après le quatrième vote s'est-il regimbé ? Après le premier vote il voulait se retirer ; il comprenait qu'il y avait là une question d'existence ministérielle ; mais après trois autres votes, nous l'avons vu se cramponner au pouvoir. Et alors on s'est passé du Sénat comme on se passe aujourd'hui de discours du Trône. Et vous prétendrez après cela que vous ne cherchez pas à étouffer la prérogative parlementaire sous la prérogative ministérielle !

Eh bien, je dis que c'est la dissolution, l'anéantissement de nos institutions ; et quand je vois dans un pays voisin réclamer la proclamation de toutes les libertés publiques, je demande si l'on aspire à voir donner à un pouvoir une liberté qui dominerait celle des autres ; je demande si les promoteurs de ce mouvement entendent arriver à un despotisme ministériel pesant de tout son poids sur le pays entier !

Maintenant vous avez eu les élections communales ; ces élections ont condamné votre politique ; ce fait est incontestable et si vous le contestiez, si vous aviez ce malheur, je vous opposerais la lettre de l'honorable M. Van Schoor que certes vous ne récuserez pas, car il était président de votre Association libérale de Bruxelles et vénérable en chef (je ne sais pas comment on le nomme) de toutes les loges maçonniques du pays. Eh bien, l'honorable M. Van Schoor dans cette lettre avoue de la manière la plus formelle un échec dont vous chercheriez en vain à effacer le souvenir.

Mais, dites-vous, nous restons parce que nous avons la majorité, parce que la majorité parlementaire nous appartient. Eh bien, je vous réponds en vous demandant quelle a été votre conduite en 1857. La position n'était-elle pas identique ? Mais, toute proportion gardée, le parti conservateur possédait alors une majorité bien plus considérable que la vôtre ; et cependant vous n'avez pas moins escaladé le pouvoir, vous ne l'avez pas moins pris d'assaut et vous ne vous y êtes pas moins cramponné. Voilà ce qui s'est passé en 1857 et c'est en présence de pareils faits que vous prétendez vous maintenir au pouvoir malgré l'échec électoral que vous venez de subir !

Vous avez pris le pouvoir en 1857 quand l'opinion conservatrice possédait vingt-trois voix de majorité dans cette Chambre. Oui, le parti conservateur possédait dans cette Chambre vingt-trois voix de majorité et cinq villes seulement parmi les plus importantes s'étaient prononcées contre le ministère. Voilà dans quelles conditions le cabinet de l'époque a quitté le pouvoir. Et aujourd'hui que votre majorité est réduite à vingt voix et que vingt-six villes importantes ont donné la majorité à vos adversaires, même à Anvers où vous vous faisiez gloire de renverser la régence en offrant aux électeurs de cette grande cité l'appât de la vente de la citadelle du Sud, vous prétendrez que le pays ne vous a pas condamnés ; vous vous maintenez au pouvoir comme si vous aviez encore la confiance du pays !

Et si je vous demande dans quelle voie vous vous proposez de marcher, quelle est votre réponse ? Nous ferons, dites-vous, la guerre pour maintenir le parti libéral au pouvoir !

Ainsi, c'est la guerre que vous voulez ; ainsi, vous ferez des lois politiques si l'intérêt de votre parti l'exige ! Ce sera donc votre intérêt qui sera votre seul guide et non plus l'intérêt du pays !

Le pays s'est prononcé contre vous ; et vous vous regimbez contre le verdict du pays, comme vous vous regimbez contre tout ce qui est sacré dans nos institutions, vous voulez bon gré malgré vous cramponner au pouvoir ; vous voulez établir à votre profit en Belgique un pouvoir absolu, un pouvoir de domination dont le pays ne veut à aucun prix, que le pays repousse avec énergie.

Et voilà douze ans que vous êtes aux affaires ; le pays vous condamne, il faut avoir le courage de vous retirer, il faut savoir mourir dignement. Mais, non, l'ambition, l'amour immodéré du pouvoir vous retiennent. Est-ce là de la dignité politique ? Est-ce conforme aux exigences du gouvernement parlementaire ?

Quand vous êtes entrés au pouvoir en 1857, nous avions une majorité de 23 voix dans une chambre qui était composée de 106 membres ; et aujourd'hui que l'assemblée est composée de 124 membres, vous n'avez plus qu'une majorité de vingt voix, c'est-à-dire une majorité moindre que celle du ministère que vous avez remplacé ; cela ne vous a pas empêchés de prendre le pouvoir, de prononcer la dissolution, sans vous demander si c'était bien conforme aux principes constitutionnels.

Mais vous vouliez arriver aux affaires. Le jour où le ministère d'alors s'est retiré, il y avait dans la Chambre une majorité suffisante pour prendre le pouvoir et pour retirer le projet de loi s'il le fallait.

Vous saviez, d'ailleurs, que parmi les six membres du cabinet, trois avaient l'intention de se retirer ; mais vous vouliez le pouvoir et vous avez fait disparaître la majorité d'alors par des moyens que repousse la Constitution.

Et aujourd'hui que le pays vous condamne, aujourd'hui que le Sénat vous condamne, vous vous cramponnez au pouvoir, en disant : Nous resterons au pouvoir ; nous emploierons, s'il le faut, la violence, pour maintenir notre majorité dans cette enceinte.

Maintenir votre majorité à tout prix !... Mais perdez-vous de vue la situation politique devant laquelle nous nous trouvons ? (Interruption.) Croyez-vous, mes chers camarades, que les circonstances politiques n'exigent pas qu'on se montre calme, modéré ? Croyez-vous qu'il faille tenir ce langage : « Nous ferons, pour nous maintenir, des lois de parti, nous ferons des lois de violence ? »

Pensez-vous que dans de semblables circonstances il faille continuer d'obéir à des idées mesquines de pouvoir ? Ne faut-il pas se placer sur un terrain plus élevé ? Gravissez donc le haut de la montagne et voyez ce que le pays réclame, ce que la situation de l'Europe vous commande. En présence de cette situation européenne, il nous faut une politique tout à fait différente de celle que vous faites prévaloir, malheureusement, en dépit de l'opinion publique.

La politique que l'opinion publique réclame n'est pas la vôtre ; cette politique n'est pas une lutte continuelle entre vainqueurs et vaincus ; ce n'est pas une politique d'agression et de violence. Cette politique différente, vous ne pouvez pas, vous, la faire prévaloir.

Retirez-vous donc ; que l'amour de la patrie vous en fasse un devoir. Ce n'est pas ici une question de personnes, c'est une question internationale. Le pays exige un tel sacrifice de votre part ; faites ce sacrifice, et le pays sera satisfait.

MfFOµ. - Messieurs, j'admire vraiment l'honorable M. Dumortier ! Ne tenant nul compte des motifs péremptoires que j'ai indiqués, il nous reproche avec une incroyable persistance de n'avoir pas ouvert la session par un discours du Trône. Je ne puis que lui répéter ce que je lui ai dit déjà. Je pourrais ajouter que nous voulions éviter de provoquer des débats irritants, d'exciter les passions politiques. L'honorable M. Dumortier est ami de la paix ; il réclame la tranquillité, le calme ; et, pour prouver la sincérité de ses désirs, il s'empresse d'ouvrir, avec la modération dont vous venez d'être juges, un débat politique des plus acerbes...

M. Dumortierµ. - Vous avez dit : « Nous ferons la guerre pour maintenir l'opinion libérale au pouvoir. »

MfFOµ. - Mais évidemment ! Que voulez-vous que je vous réponde ? Vous me dites, et Dieu sait avec quelle aménité : Nous voulons vous renverser, vous devez quitter le pouvoir ; il le faut dans l'intérêt du pays, dans l'intérêt de la paix publique.

Moi, qui ne partage pas vos convictions ; moi, qui suis convaincu que la présence des libéraux au pouvoir satisfait les aspirations de l'opinion publique dans le pays, je dis : Vous voulez la guerre pour nous renverser ; nous ferons, nous, la guerre pour maintenir l'opinion libérale au pouvoir.

Est-ce que par hasard il faudrait nous laisser faire la guerre sans nous défendre ? (Interruption.)

Messieurs, l'honorable M. Dumortier, quoique profond admirateur de la (page 27) Constitution, quoique grand défenseur de la Constitution, a, il faut l'avouer, de singulières idées sur cette Constitution.

La Constitution, vient-il de nous dire, a organisé trois pouvoirs : le pouvoir royal, le pouvoir judiciaire, le pouvoir parlementaire.

Messieurs, je voudrais bien que l'honorable membre m'indiquât où l'on trouve dans la Constitution la division des pouvoirs qu'il a ainsi formulée.

M. Dumortierµ. - La Constitution dit : « Tous les pouvoirs... » (Interruption.)

MfFOµ. - Je voudrais bien savoir surtout où l'honorable membre prend ce qu'il nomme le pouvoir parlementaire. Je connais le pouvoir législatif qui s'exerce collectivement par le Roi, la Chambre et le Sénat.

L'honorable membre a fait une division des pouvoirs fort peu constitutionnelle. Mais il a commis une hérésie plus grande encore en parlant du pouvoir royal. N'en a-t-il pas fait un pouvoir spécial et distinct, isolé des ministres ? Mais, messieurs, tous ceux qui ont lu la Constitution savent que le pouvoir royal, en vertu de la Constitution elle-même, s'exerce avec le concours des ministres et forme le pouvoir exécutif.

C'est la doctrine du pouvoir absolu que prêche l'honorable M. Dumortier.

M. Dumortierµ. - Non.

MfFOµ. - Mais évidemment. C'est un pouvoir sans responsabilité ministérielle.

M. Dumortierµ. - Je n'ai pas dit cela.

MfFOµ. - Si vous n'avez pas dit cela, que signifie la distinction que vous avez faite entre le pouvoir royal et ce que vous nommez le pouvoir ministériel ?

M. Dumortierµ. - Le pouvoir royal, vous l'absorbez !

MfFOµ. - Messieurs, je ne sais si l'on peut considérer autrement que comme une offense envers la couronne le langage que lient l'honorable M. Dumortier ? Qui l'a autorisé à parler ainsi de prétendus dissentiments entre la couronne et le ministère ? En quoi ces dissentiments se sont-ils manifestés ? A quelle époque, à quelle occasion ?

Nous déclarons au contraire, nous ministres responsables en vertu de la Constitution, nous déclarons que l'accord est complet sur tous les points, qu'il n'y a aucun désaccord entre la couronne et le cabinet.

Selon l'honorable M. Dumortier, j'aurais usé d'adresse et de subtilité en lui répondant tout à l'heure que si un conflit existe, c'est entre la Chambre et le Sénat et non pas entre le Sénat et les ministres.

Eh bien, en admettant même, par une supposition toute gratuite, que ce fût entre le Sénat et les ministres, serait-ce une raison pour que le cabinet désertât le pouvoir qu'il occupe ?

Mais, messieurs, l'honorable M. Dumortier se trompe étrangement lorsque, parlant de lois qui ont été votées par cette Chambre, il les considère comme ayant été obtenues à l'aide de la pression ministérielle sur les membres de l'assemblée.

L'honorable membre oublie que ces lois, qui ont été les causes du conflit qui existe entre les deux Chambres, ont précisément été voltes dans cette enceinte grâce à l'appui de la minorité ; il y avait division à droite comme à gauche sur ces questions, soit sur l'abrogation de l'article 1781, soit sur l'abolition de la contrainte par corps, et c'est dans vos propres rangs que nous avons trouvé de l'appui ; ce sont vos propres amis qui ont été, en cette circonstance, les défenseurs de l'opinion que le gouvernement cherchait à faire prévaloir. Nous aurions donc exercé une pression sur vos amis et nous les aurions contraints à voter la loi qui était soumise à la Chambre ? Osez-vous émettre vis-à-vis d'eux une aussi étrange assertion ?

La question de cabinet, dites-vous ? Quand a-t-elle été posée ? Cette question n'a été posée nulle part, dans aucune des phases parcourues par ces diverses affaires.

M. Dumortierµ. - Si ! ici, dans cette Chambre.

MfFOµ. - Elle n'a pas été posée.

M. Dumortierµ. - Oubliez-vous donc l'interpellation de l'honorable M. Rogier ?

MfFOµ. - Précisément j'allais répondre en rappelant l'interpellation de l'honorable M. Rogier. Lorsqu'il s'est agi de passer au vote, l'honorable M. Rogier, qui n'était pas d'avis de supprimer complètement et radicalement la contrainte par corps, interrogeant l'honorable ministre de la justice, lui demanda s'il lui serait désagréable qu'il votât selon son sentiment personnel dans cette affaire. Et que répondit l'honorable ministre de la justice ? Répondit-il : C'est une question de cabinet ? Il répondit au contraire : Votez comme vous l'entendez.

M. Thibautµ. - M. Rogier a compris cela.

M. Wasseigeµ. - Et M. Rogier a voté avec vous.

MfFOµ. - Il n'a pas voté avec nous.

- Des membres. - Si ! si !

MfFOµ. - Si mes souvenirs sont exacts, l'honorable M. Rogier a interpellé le ministre de la justice à propos de l'amendement de M. Watteeu ; et il a voté l'amendement de l'honorable M. Watteeu et il a ensuite voté l'ensemble de la loi.

M. Jacobsµ. - C'est lors de la seconde discussion, lorsque l'honorable M. Watteeu n'a plus présenté d'amendement.

MfFOµ. - Il n'y avait certainement pas de question de cabinet, car l'honorable M. Pirmez lui-même a voté l'amendement de M. Watteeu. Vous devez donc confesser que l'honorable M. Dumortier est tombé dans l'erreur sur ce point.

M. Dumortierµ. - Pas du tout ; vous niez l'évidence.

MfFOµ. - C'est vous qui niez l'évidence, et vous faites une affirmation qui n'est pas exacte, lorsque vous dites qu'il y a eu une question de cabinet posée. Il n'y a pas eu de question de cabinet posée, à aucune époque.

M. Dumortierµ. - Vous-même l'avez dit.

MpDµ. - Faites donc silence, M. Dumortier, on vous a écouté.

MfFOµ. - Il n'y a pas eu de question de cabinet posée.

M. Thibautµ. - Il y a même eu une démission donnée.

MfFOµ. - A mesure qu'une objection est détruite, on en produit une autre. Je répète qu'il n'y a pas eu de question de cabinet posée, à aucune époque. Et la question ne comportait pas une question de cabinet, par la raison toute simple qu'elle divisait le cabinet lui-même aussi bien qu'elle divisait profondément les opinions dans la Chambre.

Mais, pour répondre à une autre interruption, il y a eu, dites-vous, démission donnée par M. le ministre de la justice. Cela est vrai. Mais cette démission a été donnée, non pas à raison de la question elle-même, mais à cause de certains procédés dont mon honorable collègue a été justement froissé. L'honorable M. Bara a cru, non sans raison, avoir à se plaindre de la forme donnée à la discussion qui a eu lieu au Sénat, par quelques-uns de ses amis politiques, il a pensé qu'il devait donner sa démission. Nous avons été unanimement d'un avis contraire, et non seulement nous, ses collègues, mais la gauche tout entière. Elle lui a déclaré qu'il ne pouvait pas faire de l'incident une question personnelle, car ce n'était pas autre chose ; qu'il avait dans cette Chambre, comme il a dans le pays, un appui ferme et loyal sur lequel il pouvait compter, et qu'il ne pouvait pas, dans ces conditions, déserter la cause qu'il était chargé de défendre.

Voilà les considérations qui ont déterminé l'honorable ministre de la justice à rester à son poste, et qui continueront à l'engager à conserver ce poste, jusqu'à ce que les circonstances lui permettent de s'affranchir de la charge du pouvoir.

Maintenant, l'honorable M. Dumortier persiste à trouver que le pays a condamné le cabinet dans les élections communales. Je demande en quelle circonstance, je demande par quelle élection, grande ou petite, et si vous le voulez, thèse insoutenable, par quelle élection communale la question politique a été décidée contre le ministère ?

Je vous ai dit, sans contestation possible, qu'à la différence de ce qui existait en 1857, la question politique n'a pas été posée dans ces élections ; et l'eût-elle été, il n'est pas sérieux de prétendre que sa solution pourrait affecter la majorité parlementaire. C'est à l'aide de petites questions locales que l'on a fait naître certains accidents, dont vous ne pouvez guère vous réjouir. La veille, vous disiez : « Cela ne nous regarde pas » et le lendemain vous vous déclariez vainqueurs ! (Interruption.)

Nous attendrons, pour savoir où sont les vainqueurs, que le pays ait été consulté. Il le sera prochainement. Nous nous présenterons devant le corps électoral au mois de juin prochain et nous verrons si ce sera l'opinion de l'honorable M. Dumortier ou celle de la majorité libérale qui l'emportera.

MpDµ. - Quelqu'un demande-t-il la parole ?

Si personne ne demande plus la parole, je déclarerai l'incident clos.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1870

Discussion générale

(Page 28) M. Lelièvreµ. - Le budget en discussion nous apprend que le texte relatif aux amendes prononcées par les tribunaux répressifs a été augmenté considérablement depuis la publication du nouveau code pénal qui adjuge a l'Etat le montant des peines pécuniaires appliquées du chef des contraventions de police.

J'estime que cet état de choses justifie l'allocation d'indemnités en faveur des communes qui sont tenues d'acquitter le traitement de l'officier qui exerce les fondions du ministère public près les tribunaux de simple police.

Puisque l'Etat profite des amendes, il est juste qu'il contribue au moins pour une certaine quotité dans les dépenses auxquelles donne lieu la poursuite des contraventions.

Ainsi, pourquoi forcer les communes à fournir les locaux et à supporter tous les frais relatifs aux instances de simple police, alors que le régime justifiant semblables prescriptions est venu à cesser ?

Il importe de décharger les communes des dépenses qui doivent concerner l'Etat, par suite des changements qu'a subis la législation.

J'appelle l'attention du gouvernement sur cette question.

Lors de l'examen du projet de loi relatif à certaines modifications à apporter à la législation sur les droits d'enregistrement, projet converti en loi, le gouvernement avait promis de faire étudier la question de savoir s'il était possible d'estimer l'usufruit transmis par donation en tenant compte de l'âge de l'usufruitier, comme cela se fait en matière de droit de suer cession.

L'évaluation de l'usufruit fixée pour tous les cas à la moitié de la valeur entière de l'immeuble paraît exorbitante.

Je désire savoir si le gouvernement s'est formé une opinion définitive sur cette importante question dont la solution tend à faire consacrer un régime plus équitable que celui établi par la loi du 22 frimaire an VII.

Je pense aussi qu'il y aurait équité à exempter des droits de succession les libéralités faites par testament en faveur des bureaux de bienfaisance, hospices et autres établissements de charité. Il est exorbitant de voir l'impôt du droit de succession frapper des legs faits aux indigents.

Les donations entre-vifs faites aux établissements de cette nature sont exemptes des droits de mutation.

Pourquoi n'en serait-il pas de même des legs faits par testament ?

On ne saurait assez favoriser l'élan de la charité. Je pense donc qu'il y a quelque chose à faire en cette matière et qu'il est impossible de soumettre à l'impôt élevé de 13 p. c. les donations testamentaires faites à des établissements charitables.. cette réflexion me porte à engager M. le ministre des finances à réviser la loi du 22 frimaire an VII.

Certes, il est impossible de méconnaître le mérite de cette œuvre législative, mais l'expérience de soixante et dix ans a révélé la nécessité d'apporter à diverses dispositions d'utiles modifications.

Les droits d'enregistrement concernant certains actes doivent être réduits et d'autres changements sont devenus indispensables.

Il y a donc une réforme importante à réaliser et je la recommande à l'attention du gouvernement.

- La discussion générale est close.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée de l’année 1870

Dépôt

MgRµ, présente le projet de loi relatif au contingent de l'armée- pour 1870.

La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à la section centrale qui a examiné le budget de la guerre.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1870

Discussion du tableau des recettes (I. Impôts)

MpDµ. - Messieurs, nous abordons la discussion des articles du budget des voies et moyens.

- Plusieurs voix. - A demain !

M. Allardµ. - Il n'est que 4 heures !

MpDµ. - Je consulte la Chambre sur le point de savoir si elle veut continuer la discussion.

- Il est procédé au vote par assis et levé. La Chambre décide qu'elle continue.

Contributions directes, douanes et accises

Foncier

« Foncier : fr. 19,145, 000. »

- Adopté.

Personnel

« Personnel. Principal : fr. 10,681,000. »

- Adopté.

M. de Theuxµ. - Messieurs, il est visible pour tout le monde que si nous continuons ainsi, nous aurons voté aujourd'hui le budget des voies et moyens sans aucune espèce de discussion, et cela fera un singulier effet dans le public.

Je demande donc à la Chambre qu'après avoir voté deux |ou trois articles, elle remette la discussion à demain.

MpDµ. - Je dois faire remarquer à l'honorable membre que la Chambre vient de décider le contraire. Je dois faire exécuter sa décision.

M. Wasseigeµ. - Je désire ajouter une observation à celles de l'honorable M. de Theux. Le rapport a été distribué depuis notre retour de province et nous n'avons pas eu le temps d'en prendre connaissance. Il nous est impossible d'aborder la discussion dans ces conditions.

MpDµ. - Il y a un côté sérieux dans cette observation de l'honorable membre et je pense que la Chambre pourrait la prendre en considération. Je propose donc de remettre à demain la suite de la discussion du budget des voies et moyens.

- La Chambre consultée adopte cette proposition.

La séance est levée à 4 heures.