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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 28 janvier 1852

Séance du 28 janvier 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 471) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à trois heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Un secrétaire communal dans le canton de Jodoigne demande l'établissement d'une caisse de retraite en faveur des secrétaires communaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Knaden, desservant à Huy, prie la chambre de lui faire remise du droit d'enregistrement qu'il a payé pour sa naturalisation. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre un exemplaire du 8ème volume des Annales des universités de Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre le compte rendu de l'emploi des sommes qui ont fait retour au trésor sur les crédits qui ont été alloués par la loi du 18 avril 1848 et par celle du 21 juin 1849. »

- Renvoi à la commission des finances.


M. de Steenhault, qui vient de perdre sa mère, demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi exemptant des droits d’enregistrement et d’hypothèque certains actes intéressant la Banque de Belgique

Discussion générale

M. Anspach. - J'ai lu avec attention le rapport de la section centrale ; je vois qu'elle a fidèlement relaté les pièces qui prouvent que le gouvernement avait promis la décharge des droits d'enregistrement ; d'après cela, je m'attendais à la voir conclure à l'adoption du projet de loi ; mais, tout au contraire, elle conclut au rejet. Pour être logique, la section centrale aurait dû s'inscrire en faux contre ces pièces, car je ne pense pas qu'il se trouve dans cette chambre une seule personne qui consente à soutenir que si le gouvernement a fait des promesses, il ne doive pas les tenir, que s'il a pris des engagements, il ne doive pas les remplir ; mais elle ne nie pas précisément que les promesses aient été faites, ce qui serait difficile en présence de l'exposé des motifs ; elle cherche à prouver que le gouvernement n'aurait pas dû les faire, mais ce n'est pas là la question.

Le gouvernement a-t-il fait, oui ou non, des promesses ? Voilà la question. Et il est impossible qu'il existe des doutes à cet égard.

Quant aux raisons qu'il a eues, elles sont nombreuses, elles sont péremptoires, et j'y reviendrai plus tard.

La section centrale établit ses raisonnements sur des probabilités, sur des possibilités, sur des suppositions.

Ainsi, elle dit, page 5 :

« D'abord, il leur a paru que, si l'on a promis à la Banque de laisser enregistrer gratis les contrats d'hypothèques, cette promesse ne peut avoir été faite que postérieurement au vote de la loi de 1839 et après le règlement de toutes les conditions du prêt ; car si, lorsque la négociation de cette affaire a été traitée entre le gouvernement et la Banque, il s'était agi d'accorder cette faveur à cette dernière, il est certain qu'elle aurait fait l'objet d'une disposition de la loi ou tout au moins d'une stipulation de la convention prise en exécution de l'article 3 de cette loi. »

Cette supposition de la section centrale est toute gratuite, il ne pouvait pas être question dans la loi des droits hypothécaires puisque les conditions en étaient laissées au gouvernement, et quant à la convention elle était faite avec la promesse qu'il serait pris des mesures pour que les droits d'hypothèque ne fussent une charge ni pour la Banque, ni pour ses débiteurs ; c'est le ministre des finances lui-même qui vous le dit. Plus loin, la section centrale dit :

« Qu'il est très probable que c'est seulement lorsque l'administration de la Banque a vu que l'enregistrement des cédules hypothécaires lui occasionnerait des frais assez considérables, qu'elle s'est adressée à M. le ministre des finances pour en être déchargée, et qu'alors celui-ci a cru qu'il pouvait, sous sa responsabilité, ordonner l'enregistrement de ces titres en débet ; c'est, du reste, ce qui résulte des termes dans lesquels est conçue la note annexée au rapport dont nous avons donné plus haut un extrait. »

Là encore elle est dans l'erreur, et sa supposition que l'administration de la Banque ignorait quels étaient les frais d'hypothèque est un peu naïve. Mais il fallait créer les titres sur lesquels ces hypothèques devaient être prises ; pour cela il était nécessaire de convoquer les conseils d'administralion des sociétés qui avaient à les fournir ; ceux-ci devaient convoquer une assemblée générale des actionnaires pour se faire donner les pouvoirs de consentir une hypothèque ; enfin il fallait confectionner ces titres ; tout cela a pris du temps, et ce n'est qu'au mois de juillet qu'on a pu envoyer ces titres à l’enregistrement, et c'est alors que, selon la promesse qui lui avait été faite, la Banque a demandé l'enregistrement gratis ; elle ne pouvait pas le faire avant.

Veuillez remarquer, messieurs, quelque chose de bien singulier : cette affaire est venue deux fois devant la chambre ; la première fois en 1845, elle est renvoyée aux sections qui toutes (excepté la cinquième par deux voix) approuvent le projet de loi ; elles envoient leurs rapporteurs à la section centrale, et la section centrale approuve à l'unanimité. Les chambres étant dissoutes, elles reviennent en 1851, cette fois les six sections l'approuvent, elles envoient leurs rapporteurs à la section centrale apparemment pour soutenir leur opinion, et la section centrale rejette. Il faut donc qu'un élément étranger aux sections ait fait changer d'opinion la mojorité de la section centrale.

Dans les considérations qui terminent ce rapport, la section centrale fait sortir le gouvernement de la position élevée qu'il a prise pour lui faire prendre celle d'un prêteur ordinaire, et je dirai plus, d'un prêteur rigoureux qui dit à ses emprunteurs : Vous êtes bien heureux qu'on vous prête de l'argent, c'est pour vous une alternative de vie et de mort, vous ne pouvez acheter trop chèrement les ménagements qu'on a pour vous.

Messieurs, ce n'est pas ainsi que pense et qu'agit un gouvernement qui, dans un intérêt général, vient au secours de l'industrie et qui, comme le dit le rapport au roi, veut secourir et non détruire.

Aussi le gouvernement n'a pas voulu prendre cette position, et je pense que la chambre ne le voudra pas davantage.

Je vais, messieurs, vous présenter ces mêmes pièces, vous dire dans quelles circonstances elles se sont produites à la Banque et j'en tirerai des conséquences tout à fait opposées à celles de la section centrale.

Messieurs, quoique administrateur de la Banque de Belgique, je me sens très à l'aise pour parler dans cette affaire ; la Banque n'y est pas intéressée, au moins directement, puisque ce n'est pas elle qui, dans aucun cas, aurait à payer les droits dont on vous demande la décharge. Je puis de plus en parler en connaissance de cause, car à cette époque, j'avais été nommé par les créanciers commissaire au sursis et c'est sur les renseignements que nous avons donnés, MM. les commissaires du gouvernement et nous, que le prêt de 4 millions a été octroyé.

Or, il était entendu que ni la Banque, ni les établissements qui auraient à fournir des hypothèques, ne payeraient rien de ce chef, et c'est sur cette promesse formelle de M. le ministre des finances d'alors que la Banque a procuré ces garanties.

J'avais toujours cru qu'il y avait à la Banque une lettre de M. le ministre des finances qui faisait cette déclaration.

Je me trompais, ce n'était pas une lettre, c'était bien mieux, c'était la communication par le commissaire du gouvernement du rapport au Roi, fait en conseil des ministres et où se trouve le passage suivant :

« Pour éviter la charge des inscriptions hypothécaires, l'administration de la Banque a sollicité l'autorisation d'en faire porter les droits en débet, autorisation que je lui ai accordée, parce qu'ainsi que l'a reconnu unanimement la commission de la chambre des représentants que j'ai consultée officieusement à cet effet, le gouvernement et la législature en consentant le prêt de 4 millions à 5 p. c. d'intérêt et en imposant à la Banque les ménagements convenables envers l'industrie du pays, n'ont pas voulu, lorsqu'il s'agissait de secourir et non de détruire, lui imposer en outre une charge qui pour les actes transcrits à ce jour s'élèvent déjà, etc. »

Vous voyez, messieurs, que l'intention du gouvernement y est clairement manifestée, et il ne pouvait pas en être autrement, c'était uniquement dans l'intérêt du gouvernement que ces hypothèques étaient prises et que l'article 5 de la convention en faisait une obligation. A quoi pouvaient-elles servir à la Banque ? A rien, positivement à rien, car quel est l'effet de l'hypothèque ? C'est de donner à celui qui l'a prise la priorité sur les autres créanciers ; eh bien, ici, cet effet était nul, puisque la Banque était le seul créancier des établissements qui étaient sous son patronage.

Il n'est donc pas étonnant que la Banque se soit crue complétement en règle de ce chef.

J'ai remis la minute de ce rapport à M. le ministre des finances actuel ainsi que l'original du rapport de la section centrale, signé par M. Zoude qui en était le rapporteur ; la section centrale conclut, à l'unanimité, à ce que la remise des droits soit accordée.

Je dois ces pièces à la bienveillance de l'honorable M. Zoude, qui, étant à cette époque commissaire du gouvernement, avait tout le dossier de cette affaire.

Il est donc bien prouvé que c'est sur la promesse du gouvernement de n'exiger aucun droit que la Banque a fourni les garanties hypothécaires que, plus tard, elle a remises au ministère de finances.

Ce prêt, messieurs, j'ai hâte de le dire, a été d'une immense importance pour le pays ; il a empêché la fermeture d'un grand nombre d'établissements industriels ; il a soutenu beaucoup de maisons de banque qui, sans cela, auraient été forcées de suspendre ; enfin, ses résultats ont été avantageux au-delà de toute prévision.

Maintenant, examinons le prêt en lui-même avec les nombreuses conditions imposées par le prêteur.

Un prêt de quatre millions est accordé à la Banque de Belgique à la condition que 1,400,000 fr. serviront à rembourser la caisse d'épargne ; qu'une forte somme sera avancée à certains établissements industriels non encore achevés ; qu'une autre somme sera destinée à fournir (page 472) aux besoins journaliers d’un grand nombre d’établissements en activité ; que le reste enfin devra servir à rembourser les billets de banque en circulation.

Des garanties hypothécaires seront affectées à ce prêt qui devra donner un intérêt de 5 p. c.

Ainsi donc, messieurs, une somme dont l'emploi est déterminé par le prêteur, beaucoup plus dans l'intérêt public que dans celui de la Banque, cette somme, garantie par des hypothèques, doit rapporter 5 p. c. Messieurs, vous le savez tous, les prêts sur hypohèques, surtout pour de fortes sommes, ne donnent qu'un intérêt de 3, 3 12, bien rarement 4. Et savez-vous â combien se montent ces intérêts ? A 890,000 fr.

Il y a plus. La Banque a payé aux commissaires du gouvernement 104,000 fr., quoique l'arrêté royal du 3 avril eût mis cette indemnité à charge du budget du ministère des finances. Maintenant, si vous rejetiez le projet de loi qui vous est présenté, vous ajouteriez aux nombreuses charges dont ce prêt est grevé une commission de 3 1/4 p. c, car c'est à cela que se monteraient les droits dont il est question.

Messieurs, en présence des promesses formelles du gouvernement, en présence du taux élevé de l'intérêt qui a été perçu, de l'indemnité payée par la Bauque, en présence de la situation déplorable de plusieurs des établissements qui auraient à payer ces droits et qui depuis plus de douze ans n'ont pas donné un sou à leurs actionnaires, il est impossible que la chambre croie faire quelque chose d'équitable et de loyal en repoussant le projet de loi qui lui est présenté.

M. Lelièvre. - Je proposerai en quelques mots les considérations qui ne me permettent pas de donner mon assentiment au projet de loi.

La loi du 1er janvier 1839 a autorisé le gouvernement à faire à la Banque de Belgique un prêt de quatre millions et à stipuler les garanties nécessaires pour le recouvrement de la somme.

L'acte intervenu entre le gouvernement et la Banque de Belgique détermine clairement les conditions de l'opération. La Banque de Belgique s'est obligée notamment à exiger des hypothèques des sociétés industrielles pour sûreté de ce qu'elles lui devaient ; en conséquence c'est là une obligation que la Banque a dû exécuter à ses frais, et il n'est pas possible qu'on en fasse rejaillir les conséquences sur le trésor public alors qu'il ne conste pas le moins du monde de la convention que le gouvernement ait pris quelque obligation à cet égard.

La Banque de Belgique a contracté en connaissance de cause, et elle s'est nécessairement soumise aux conséquences naturelles de l'article 5 des conditions générales du prêt, conséquences qu'elle a bien certainement prévues. Or, les conditions de la négociation étant arrêtées par un acte clair et positif qui ne laisse pas le moindre doute possible, peut-on aggraver la position du trésor, sous prétexte qu'il aurait été fait, en sens contraire, à la Banque de Belgique, certaine promesse verbale ? La négative me semble certaine, parce que, si réellement pareille promesse avait été faite, on n'aurait pas manqué de l'insérer dans le contrat lui-même ; la Banque de Belgique aurait nécessairement pris les précautions nécessaires pour constater la réalité d'une promesse contraire à l'acte de prêt et à ses légitimes conséquences.

La Banque qui empruntait devait nécessairement payer les frais de l’emprunt et ceux des garanties qu'elle était tenue de fournir au gouvernement. Elle prenait même formellement cette obligation dans l'acte d'emprunt, par cela seul qu'elle ne l'excluait pas. Il n'est pas possible de s'arrêter à des allégations contraires au texte du contrat.

L'adoption du projet poserait un précédent dangereux ; il en résulterait que des droits les plus légitimes du trésor, fondés sur des contrats irréfragables, pourraient être remis en question à l'aide de considérations puisées en dehors des actes renfermant les stipulations, et semblable système serait de nature à annihiler toutes les garanties qui doivent protéger les intérêts de l'Etat ; tout serait remis à un arbitïaire déplorable.

En ce qui me concerne, messieurs, je ne puis adhérer à semblable ordre de choses ni adopter un précédent doni il est impossible de calculer toutes les conséquences fâcheuses.

Mais, messieurs, les documents produits, loin de révéler l'existence d'une promesse qui aurait été faite lors de la convention, en excluent même l'idée.

La note émanée de M. Desmaisières ancien ministre des finances, prouve que celui-ci n'a accordé l'autorisation de porter les droits en débet qn'en se fondant sur « l’intention présumée » du gouvernement et de la législature lors de la loi de 1839. On n'articulait pas même alors une promesse en dehors des stipulations du prêt ; loin de là, on se bornait à déduire des motifs d'équité.

Il y a plus, le silence que l'on remarque sur ce point important dans la convention du 15 janvier 1842, qui a réduit l'intérêt du prêt et ce qui s'est passé dans la séance du 7 décembre 1843 ne permettent pas de s'arrêter à une allégation invraisemblable.

En conséquence rien ne nous autorise à accorder à la Banque un privilège en matière d’impôt et à l’exempter des droits dus au trésor à raison d'actes qui lui ont été utiles et qui ont amélioré sa position vis-à-vis de ses débiteurs.

Une considération frappera la chambre, c'est que dans aucun des actes qui sont intervenus entre le gouvernement et la Banque, il n'existe de trace de dérogation aux principes du droit commun. Ceux-ci doivent donc être maintenus, et en ce qui me concerne je ne puis consentir à les faire taire dans l'occurrence.

Et remarquez, messieurs, quelle extension le projet donne à l'exemption. Non seulement on dispense des droits dus au trésor les actes hypothécaires, mais même les jugements obtenus par la Banque contre ses débiteurs.

Ainsi, messieurs, des jugements qui non seulement constituent des actes conservatoires, mais aussi des actes d'exécution tendant au recouvrement des créances de la Banque jouiraient d'une faveur qu'on dénie à d'autres.

Quant à moi, messieurs, je crois que nous ne pouvons que décréter les conséquences légales d'une convention écrite claire et précise et à ce point de vue, je ne puis donner un vote favorable au projet de loi.

M. Osy. - Messieurs je considère l'acte passé le 1er janvier 1838 comme un grand acte national pour venir au secours d'un établissement public. En 1848 nous avons été dans le cas de venir encore au secours de deux établissements publics. L'on a donné des hypothèques pour la garantie que le gouvernement avait demandée pour l'émission de billets de banque.

Je crois que la loi portée en 1848 à cette occasion contient la stipulation formelle que les hypothèques données n'entraîneraient aucuns frais pour cet établissement.

Je crois bien me rappeler les faits, le gouvernement pourra confirmer mon assertion si elle est exacte. Je ne veux pas entrer dans la question de savoir si en droit on doit faire payer la Banque de Belgique ; aucun contrat écrit ou verbal n'étant invoqué, je ne veux considérer que l'antécédent que je viens de citer, et je dis que ce que nous avons fait en 1848 nous oblige, pour être justes envers les deux établissements, de faire pour le cas qui nous occupe ce que nous avons décrété en 1848. Par ces considérations je voterai pour l'adoption du projet.

Je prie M. le ministre de préciser l'antécédent que j'ai invoqué ; la chambre, en rapprochant les deux cas, pourra juger en connaissance de cause.

M. Anspach. - J'ai demandé la parole en entendant l'honorable M. Lelièvre parler de l'affaire faite entre la Banque de Belgique et le gouvernement comme s'il n'y avait pas de promesse faite. Lisez l'exposé des motifs et vous verrez qu'il y a eu promesse de la part du gouvernement de se charger des frais de la prestation d'hypothèque qui n'était pas dans l'intérêt de la Banque de Belgique. En effet elle était désintéressée, car qu'est-ce que l'hypothèque ? C'est un moyen de procurer à eelui qui l'a prise sa priorité sur les autres créanciers ; eh bien la Banque de Belgique était le seul créancier des établissements placés sous son patronage.

Une prise d'hypothèque ne lui servait donc à rien. Le gouvernement a fait cette affaire dans l'intérêt public. Il a promis formellement que les droits seraient supportés par lui, ce que dit clairement l'exposé des motifs, et cela parce qu'il s'agissait d'une mesure d'utilité générale ; si l'on avait voulu faire quelque chose dans l'intérêt de la banque, c'était quelques jours plus tôt qu'il fallait prendre la mesure, on aurait empêché une catastrophe ; vous savez que pour un établissement de crédit une suspension de payement est un coup de mort ; pour l'éviter il n'aurait pas fallu 4 millions, pas même deux ; c'était tellement un embarras momentané, accidentel, que quelques mois après des capitalistes apportaient à la Banque 10 millions contre sa seule signature ; c'est là une preuve que l'état de la Banque n'était pas si désespéré.

L'honorable M. Lelièvre a parlé d'un acte par lequel on a réduit l'intérêt de 5 à 2 ; si une bonne affaire a été faite pour le trésor, c'est celle qu'a faite à cette époque M. Smits, ministre des finances.

D'une créance qui n'avait pas d'échéance, qui n'était pas fixe, il a fait une créance liquide, qui pouvait rentrer au trésor dans les 24 heures s'il le voulait. Une somme constamment à la disposition du gouvernement ne pouvait produire un intérêt aussi élevé que si elle avait été prêtée pour un temps déterminé ; il y a donc eu là une très bonne mesure du ministre des finances, puisqu'il a rendu au trésor la disposition de ces 4 millions garantis par les dix millions qui venaient d'être versés à la Banque de Belgique.

C'est donc une bonne opération qu'a faite M. le ministre des finances et qui n'était nullement à l'avantage de la Banque.

M. Cools. - A moins que d'autres documents ne soient produits, je pense que je voterai contre le projet de loi.

Si cette production n'avait pas lieu, je devrais voter contre, non parce qu'il doit y avoir pour l'Etat une perte de 129,000 francs, mais parce que je crois que pour la Banque de Belgique, comme pour de simples particuliers, il faut être juste ; que les grands établissements du pays, comme les plus simples particuliers, doivent être soumis à la loi commune.

Toute la question est celle-ci : Y a-t-il eu, avant l'acceptation du prêt, un contrat synallagmatique contenant l'engagement signalé ? Il n'a pas été produit une pièce quelconque d'où il résulte qu'avant le prêt la Banque de Belgique ait obtenu du gouvernoment la promesse de ne pas être soumise aux droits d'enregistrement.

Je vois bien, par le discours de l'honorable M. Anspach, qu'à une certaine époque le gouvernement a eu toutes sortes d'égards pour la Banque de Belgique ; qu'il s'est trouvé alors des ministres qui, après coup, ont eu la pensée qu'il y avait convenance de ne pas exiger de la Banque les droits d'enregistrement.

On est même allé plus loin : je crois avoir compris que le commissaire du Roi près la Banque de Belgique, chargé de défendre les intérêts (page 473) de l'Etat contre ceux de la banque, a entendu ses devoirs en ce sens qu'il devait donner communication à la Banque de ce que le ministère disait au Roi et qui pouvait être favorable à la Banque.

Dans tout cela cependant je ne vois aucun engagement légal et préalable entre le gouvernement et la Banque ; je vois des intentions, la manière de voir des ministres ; mais je ne vois pas un contrat.

Maintenant, l'honorable M. Osy a cité un antécédent : il a parlé de ce qui s'est passé entre la Société Générale elt e gouvernement, en 1848. Les faits ne sont pas très présents à ma mémoire ; je désire que le gouvernement s'en explique ; mais je crois qu'il s'agit là de toute autre chose. En 1848, en raison de la position spéciale où se trouvait la Société Générale, on lui a accordé des avantages : on a décidé que la convention entre le gouvernement et la Société Générale ne serait pas soumise à l'enregistrement. Remarquez qu'il s'agissait là de l'acte principal concernant les avantages accordés à la Société Générale, tandis qu'il s'agit ici de toute autre chose. Les faveurs qu'on demande atteindraient les conventions conclues ou à conclure avec des particuliers, avant que ces conventions pussent être remises à l'Etat comme garanties du prêt, ce qui est bien différent.

Je le répète, toute la question est celle-ci : Y a-t-il eu ou non convention ? S'il n'y a pas eu convention, on doit agir d'après les règles du droit commun. Je ne demande pas que l'on soit, pour la Banque de Belgique, indulgent ou sévère, mais qu'on lui dise : Payez ce que vous devez à l'Etat, rien de plus, rien de moins. Je crois que la Banque doit les droits d'enregistrement. Par ce motif je voterai très probablement contre le projet de loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai trouvé des actes enregistrés en débet, des droits dus au trésor et il était devenu indispensable de statuer sur le sort de ces droits. Devait-on continuer à tenir ces crédits ouverts ou bien fallait-il appeler la chambre à se prononcer ?

Ayant examiné l'affaire qui vous est actuellement soumise, j'ai constaté deux faits très importants : c'est que deux ministres mes prédécesseurs, l'un au moment où la convention avait été faite, l'autre à l'époque où le projet de loi sur cette même affaire vous avait été soumis, s'accordaient à déclarer de la manière le plus positive qu'il y avait eu engagement pris par le gouvernement de proposer aux chambres de dispenser du payement des droits d'enregistrement.

Apparemment, messieurs, ce n'est pas sans motifs, ce n'est pas sans raison que deux de mes honorables prédécesseurs ont fait une semblable déclaration.

Dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1845, l'honorable M. Mercier, alors ministre, déclarait que c'est l'Etat plutôt que la Banque qui a exigé la prestation d'hypothèques, de la part des établissements débiteurs de cette dernière ; la Banque n'y avait aucun intérêt ; ses créances étaient suffisamment assurées, et elle les aurait aggravées, en obligeant ses débiteurs à poser des actes passibles de droits d'enregistrement et d'hypothèque.

« Aussi, ajoute-t-il, la Banque n'a-t-elle entendu souscrire à l'article 5 des conditions, que sur la promesse qui lui a été faite, qu'il serait pris des mesures pour que les droits dont il s'agit ne fussent une charge, ni pour la Banque ni pour les débiteurs.

« En exécution de cette promesse, le chef du département des finances en 1839, a pris une première mesure consistant à faire donner à crédit, droits réservés, les formalités de l'enregistrement et de l'inscription hypothécaire tant aux actes d'obligation passés volontairement en faveur de la Banque, qu'aux jugemenls qu'elle a dû postuler contre des débiteurs retardataires. »

Il est évident qu'en présence de pareilles déclarations, le cabinet actuel ne pouvait se dispenser d'appeler la chambre à se prononcer sur la mesure proposée par le projet de loi de 1845.

Les orateurs qui ont jusqu'à présent exprimé leur opinion sur ce projet de loi, ont reproduit les arguments consignés dans le rapport de votre commission et qui consistent à rechercher minutieusement si en réalité il y a eu engagement, si cet engagement apparaît suffisamment, s'il est écrit, s'il est verbal.

C'est, à mon sens, une chose tout à fait secondaire. Les ministres déclarent qu'un engagement a été pris. L'honorable M. Desmaisières, alors ministre, a reconnu cet engagement.

M. Coomans. - Droits réservés.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais cela va de soi.

M. Orban. - M. Desmaisières n'était pas ministre à l'époque de la convention.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Peu importe ; le ministre à ' l'époque de la convention déclare qu'il a pris cet engagement. L'un de ses successeurs, en 1845, après examen de cette affaire, après une sorte de contestation même parce qu'aucun écrit n'apparaissait, acquiert également la conviction que cet engagement a été pris et il dépose un projet de loi. Il déclare dans l'exposé des motifs que l'engagement a été pris, qu'il a acquis la conviction que cet engagement a existé.

La preuve qu'il y a eu engagement, résulte en outre de ce que les droits n'ont pas été réclamés au moment où les actes ont été passés. Qu'on explique pourquoi, en 1839, on n'a pas réclamé le payement des droits d'enregistrement, si cet engagement de ne pas les réclamer, n'a pas été pris ? Le ministre dispensait alors de la perception des droits d'enregistrement ; il autorisait à les porter en débet, pourquoi ? Il le déclare encore : parce qu'il n'était pas en son pouvoir de dispenser et que la législature devait être appelée à statuer. Que dit le ministre de cette époque dans un rapport, dont la minute, je ne sais comment, s’est trouvée, non pas au département des finances, mais dans les mains du rapporteur de la section centrale qui a examiné le projet de 1845 ?

Dans ce rapport, dont je n'ai connaissance que par la communication qui en a été faite à la section centrale, le ministre constate qu'un engagement a été pris et il annonce formellement qu'il présentera un prnjtt de loi parce que, conformément à l'article 112 de la Constitution il faut que les chambres soient appelées à se prononcer. Cela me paraît suffisant pour que l'on ne puisse pas révoquer en doute la promesse que l'on invoque aujourd'hui.

Maintenant, quelle est la valeur de cet engagement ? En résulte-t-il que la chambre ne puisse pas statuer très librement sur la question qui lui est soumise ? Non sans doute, le ministre a reconnu qu'il n'était pas en son pouvoir de dispenser du payement des droits d'enregistrement ; il ne pouvait s'engager qu'à saisir la chambre d'un projet de loi ; il reconnaît par là même que la chambre seule peut statuer.

C'est maintenant à la chambre d'apprécier, indépendamment des motifs tirés de l'engagement du ministre, si, en effet il y avait des raisons suffisantes pour dispenser du payement des droits d'enregistrement, et je reconnais que la question, ainsi posée, se présente défavorablement après un si grand nombre d'années.

Mais vous devez, messieurs, agir aujourd'hui comme on aurait agi en 1839 et vous demander si dans le cas où en 1839, au moment où la convention a été passée avec la Banque de Belgique, on eût proposé d'insérer dans la loi la dispense de payer les droits d'enregistrement, une seule voix se serait élevée pour s'y opposer.

Eh bien, messieurs, je ne le crois pas. Vous étiez déterminés à faire un prêt considérable à la Banque de Belgique, un prêt d'une somme de 4 millions ; ce n'était pas, remarquez-le bien, ce n'était pas précisément pour la Banque de Belgique, c'était surtout pour les établissements placés sous son patronage. C'est de ces établissements que l'on se préoccupe dans la convention.

On interdit à la Banque de Belgique de leur intenter des poursuites ; on lui impose l'obligation de les ménager. C'est-à-dire qu'on voulait faire en sorte que ces établissements, qui donnaient de l'ouvrage à une population ouvrière nombreuse, continuassent à travailler. Or, quel aurait été le débiteur de ces droits d'enregistrement ? Etait-ce la Banque de Belgique ? En aucune façon, c'étaient et ce seraient encore aujourd’hui les établissements industriels ; la Banque de Belgique n’avait qu’un intérêt indirect, celui qui résulte de ce qu’elle était créancière de ces établissements, mais elle n’avait qu’un intérêt indirect à la dispense de payer les droits d'enregistrement.

Si donc on avait proposé à la chambre d'insérer dans la loi une clause portant dispense de payer les droits d'enregistrement, je crois que la chambre l'aurait fait, et l'on doit admettre que le ministre dit vrai lorsque, dans son rapport cité par votre commission, il énonce qu'il a consulté officieusement les membres de la section centrale de cette époque et d'autres membres de la chambre, et que les uns et les autres se sont accordés à reconnaître que c'était là en effet la pensée commune des contractants.

L'honorable M. Osy a dit tout à l'heure qu'on ne traiterait pas de la même façon les divers établissements, selon les époques auxquelles on serait venu à leur secours, si l'on n'accueillait pas favorablement le projet de loi.

En effet, en 1848, on est venu en aide à deux établissements pour des sommes considérables ; l'Etat s'est engagé vis-à-vis de ces établissements jusqu'à concurrence de 50 à 60 millions. Il a été stipulé que ces établissements donneraient des garanties à l'Etat, exactement comme dans l'affaire de la Banque de Belgique. Ces garanties devaient consister soit en valeurs mobilières déposées à la trésorerie, soit en immeubles. Et sur ce point les souvenirs de l'honorable M. Cools l'ont mal servi.

La loi a ordonné formellement qne tous les actes relatifs aux conventions qui interviendraient dans ce but, seraient exemptés des droits de timbre et d'enregistrement. Personne n'hésitait à cette époque. On a compris en effet que si on venait en aide à ces établissements, ce n'était pas le moment de leur imposer des conditions onéreuses.

Ces conditions seraient aujourd'hui imposées à la Banque de Belgique ou plutôt aux établissements qui sont sous son patronage, par cela seul qu'on a omis, au moment où la loi a été présentée et discutée, d'y insérer une clause analogue à celle qui se trouve, dans la loi de 1848.

Messieurs, il s'agit ici d'une question d'équité et de bonne foi, et je suis convaincu qu'en considérant la chose à ce point de vue, la chambre adoptera le projet de loi qui lui est présenté.

M. Mercier. - Messieurs, un honorable préopinant a fait observer tout à l'heure que, lorsqu'une discussion incidenle s'est élevée sur cette question au mois de décembre 1843, le ministre des finances alors aux affaires avait laissé à son prédécesseur le soin de soutenir le débat ; qu'il n'a pas fait la déclaration qu'une promesse avait été faite à la Banque par le gouvernement ni annonce l'intention de proposer par un projet de loi l'exemption des droits ; l'honorable membre a conclu de là que ce ministre ne pensait pas alors que la réclamation de la Banque ne fût fondée.

Messieurs, c'est moi qui tenais alors le portefeuille des finances ; j’étais aux affaires depuis quelques mois seulement, une discussion incidente vint à s'élever sur ce point dont je n'avais pas une connaissance suffisante ; je n'ai pas cru pouvoir hasarder une opinion ; mais je n’ai nullement contredit mon honorable prédécesseur qui était initié aux (page 474) détails de cette affaire et qui avait affirmé qu'une promesse existait. Plus tard, après m’être enquis des faits, après avoir entendu les personnes le mieux renseignées sur toutes les circonstances du prêt, j'ai acquis la conviction morale que, lorsque la convention a été signée, il avait été entendu entre le gouvernement et la Banque que les droits ne seraient pas acquittés ; et c'est parce que j'avais cette conviction morale que plus tard j'ai présenté un projet de loi. La réserve que j'avais apportée dans une première discussion donne d'autant plus de poids à l'opinion que j'ai exprimée lorsque j'ai été mieux informé. Nous n'avons pas à examiner rigoureusement si toutes les formes ont été observées ; il s'agit d'une question de bonne foi. A-t-il été entendu que les droits ne seraient pas acquittés par la Banque ? J'ai la persuasion qu'il en a été ainsi, lorsque la convention a été passée, et que c'est pour ce motif que les droits ont été enregistrés en débet ; il n'en a pas été fait mention dans la loi, cela est vrai ; c'est une simple omission, et je le répète, c'est une question de bonne foi que nous avons à résoudre.

La section centrale semble aujourd'hui tout révoquer en doute.

A une époque plus rapprochée de l'acte, toutes les sections de la chambre, moins une seule qui s'est abstenue, avaient adopté le projet de loi, et le rapport qui était préparé affirme que la section centrale était unanime pour accorder l'exemption des droits.

Pouvons-nous supposer un instant qu'un ancien et honorable collègue que la plupart de nous ont connu, que nous entourons de notre estime, eût été inventer que cette section centrale avait formulé de semblables conclusions ? Pouvons-nous admettrre qu'il eût inséré dans un rapport une assertion de ce genre, si elle n'avait pas été rigoureusement exacte ?

Récemment encore, le projet en discussion a été favorablement accueilli dans toutes les sections ; les membres de ces sections partageaient donc la conviction morale qu'un engagement avait été pris, et que la mesure proposée était équitable.

Elle se fonde en effet sur cette considération puissante que le prêt n’a pas été fait dans un intérêt particulier, mais dans un intérêt public qui a été expliqué par d'honorables préopinants. Dès lors on a cru qu'il convenait d'agir avec quelque modération.

Il est à remarquer d'ailleurs que l'établissement en question a subi des charges extraordinaires très onéreuses à l'occasion de ce prêt. Le gouvernement, pour mieux garantir sa créance, a nommé plusieurs commissaires chargés de suivre toutes les opérations de la Banque et dont le traitement était supporté par cette dernière, qui a supporté de ce chef une dépense de plus de 100,000 fr.

Par ces considérations et d'autres qui ont été présentées par les honorables préopinants, j'espère que la chambre accordera l'exemption demandée ; elle fera ainsi un acte de bonne justice.

- La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.