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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 17 janvier 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 467) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et demie.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Les exploitants des mines de houille du Couchant de Mons demandent une réduction des péages sur les canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing, le passage libre par l'Escaut français pour se rendre en Belgique, la mise en adjudication du canal de Jemmapcs à Alost ou au moins de Jemmapcs à Ath. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs administrations dans la Flandre orientale prient la chambre de modifier les dispositions qui règlent les frais d'entretien des mendiants. »

- Sur la proposition de M. Rodenbach, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Les membres du conseil communal et plusieurs cultivateurs de Marcq demandent que le droit d'entrée sur les céréales soit assez élevé pour protéger l'agriculture. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Le sieur Van der Gucht, ancien employé à la maison de détention militaire d'Alost, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir un emploi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. le ministre de la justice transmet à la chambre divers dossiers relatifs à des demandes de naturalisation.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi portant le budget du département de la guerre pour l’exercice 1850

Discussion générale

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, si je devais réfuter toutes les assertions erronées, rectifier tous les chiffres inexacts des adversaires de notre organisation militaire, j'abuserais certainement des moments et de la patience de la chambre. Je devrais entrer dans des considérations d'art militaire, de tactique, de stratégie même, qui demanderaient des volumes pour être convenablement développées.

Comme j’ai l’intention de soumettre à la chambre, au commencement de la prochaine session, un travail complet où toutes ces questions seront traitées à fond, où tous les systèmes qui ont été mis en avant seront examinés, et résumés en chiffres, un travail accompagné de documents émanant d'hommes dont la chambre ne récusera certainement pas la compétence; je me bornerai pour le moment à rectifier les principales erreurs de mes contradicteurs.

Si l'honorable M. Thiéfry a cru me mettre en contradiction avec moi-même, en citant quelques passages de mes anciens discours, il s'est trompé. Tous les principes militaires que j'ai émis, je les maintiens.

En 1847, lorsque je pris la direction du département de la guerre, quel était le thème de l'opposition…, de l'opposition au budget de la guerre ?Lcs adversaires du budget de la guerre prétendaient que l'effectif des compagnies était trop fort, et que la durée du service était trop longue. Un honorable colonel, qui était alors membre de la chambre, soutenait même que les soldats d'infanterie ne devaient rester que trois mois sous les armes, qu'il fallait faire des économies sur leur habillement, par exemple, en ne leur donnant que des pantalons de toile.

J'ai protesté contre ces exagérations; j'ai prétendu qu'il était impossible, en si peu de temps, de former des soldats. J'ai cité des exemples; j'ai cité, comme l'a rappelé l'honorable M. Thiéfry, la réponse de l’empereur à l'amiral Truguet; je maintiens tout ce que j'ai dit à cette époque. Maintenant quel est le thème de mes adversaires? Absolument l'opposé de ce qu'il était en 1847.

On vient vous dire aujourd'hui que les soldats ne restent pas assez longtemps sous les armes, que l'effectif est trop faible, que l'armée ne vaut rien, qu'elle ne pourrait résister ni aux Prussiens, ni aux Français, qu'elle est bonne tout au plus à combattre les Piémontais ou les Bavarois, dont on fait bon marché. Et pourquoi notre armée ne vaut-elle rien? Sans doute parce qu'elle n'est pas organisée à la façon de M. Pierre, ou de M. Manilius, ou de M. Thiéfry, ou de tout autre opposant au budget de la guerre.

Je reconnais avec l'honorable M. Thiéfry que, si la durée du service était plus longue, si le nombre des soldats était plus grand dans les compagnies, ce serait un très grand avantage. Mais si cet avantage doit être acquis aux dépens des cadres, ce serait un immense inconvénient, ce serait un immense danger et un malheur pour le pays. Ce serait vouloir changer de l'or contre du cuivre. Car, qu'est-ce qu'un officier, si ce n'est un soldat perfectionné?

Nous nous sommes trouvés placés, messieurs, en présence de deux inconvénients par la nécessité où nous étions de ne pas dépenser une somme trop considérable pour l'entretien de notre armée, et par la nécessité où nous étions aussi d'avoir une armée assez forte, assez nombreuse pour pouvoir faire face à toutes les éventualités.

Il s'agissait de savoir s'il fallait entretenir sous les armes un grand nombre de soldats avec des cadres faibles, ce qui eût empêché, en cas de danger, de donner la moindre extension à l'armée; ou, s'il valait mieux avoir des cadres plus considérables et ne conserver dans ces cadres que le nombre de soldats strictement nécessaire pour les besoins du temps de paix, de manière à pouvoir, au premier péril, élargir l'armée parl'apptl des recrues.

Là était la question. Il n'y avait pas à hésiter, et pour tout homme, bien pénétré des principes militaires, le système que nous avons adopté est bon, préférable à celui qu'on cherche à faire prévaloir aujourd'hui

J'avais eu l'honneur de vous dire que la durée moyenne du temps de service d'un milicien est de 18 mois. L'honorable M. Thiéfry a contesté cette assertion. Messieurs, il est très facile de vous convaincre qu'elle est exacte en principe. L'honorable M. Thiéfry a pris l'exception pour la règle.

Nous avons dans l'armée, en moyenne, .30,000 à 32,000 hommes sur le pied de paix. Dans ces 32,000 hommes, il y a environ 15,000 volontaires de toutes catégories, y compris les cadres subalternes.

Or, si nous avons 15,000 volontaires, il doit évidemment rester 15,000 miliciens sous les armes. Le contingent annuel étant de 10,000 hommes, puisque nous avons 15,000 miliciens sous les armes, il est évident qu'il faut qu'ils y restent pendant 18 mois pour que nous puissions conserver toujours le même effectif.

Mais parmi ces 13,000 miliciens qui sont sous les armes et qui y restent pendant 18 mois, il y en a quelques-uns qu'on renvoie, par suite de circonstances exceptionnelles, en congé avant l'expiration de ces dix-huit mois de service, soit parce qu'ils sont le soutien d'une famille et qu'ils sont indispensables chez eux, soit par suite de malheurs domestiques.

Plusieurs d'entre vous, messieurs, appuient souvent des demandes de cette nature auprès du département de la guerre et font connaître la nécessité absolue de renvoyer tel ou tel homme en congé. Eh bien! le département de la guerre, qui ne veut pas jeter dans la misère toute une famille pendant qu'un de ses membres est sous les armes et sert son pays, le renvoie momentanément en congé. Quand la nécessité de ce congé est démontrée.

Il est d'autres circonstances où, par des motifs que vous apprécierez tous, on est forcé de renvoyer un certain nombre d'hommes en congé. Ainsi, quand le choléra a éclaté, on a renvoyé des hommes pour désencombrer les casernes et les soustraire à l'influence du fléau. D'autres motifs encore ont fait que, cette année et l'année dernière, nous n'avons (page 468) pu conserver les miliciens aussi longtemps sous les armes que les autres années.

Lorsque je suis arrivé à la tête du département de la guerre, deux classes de milice n'avaient reçu aucune instruction. Vous savez que lorsque les miliciens avaient tiré au sort, on les renvoyait dans leurs foyers, et qu'ils y restaient deux ans sans être appelés sous les drapeaux ; de sorte que dans notre contingent de 80,000 hommes se trouvaient deux classes, 20,000 hommes qui n'avaient aucune instruction militaire. On les considérait comme réserve. Autant valait considérer tous les citoyens comme la réserve de l'armée, puisque ces deux classes n'avaient pas plus d'instruction militaire que le reste de la population.

Qu'ai-je fait à la suite des événements de 1848? J'ai profité des fonds que vous avez mis à ma disposition pour rappeler sous les armes une de ces classes de miliciens. Je l'ai envoyée au camp, et je l'ai fait exercer. Je l'ai ensuite fait passer dans les régiments où elle a fait le service jusqu'à ce qu'elle eût reçu une instruction satisfaisante. Puis j'ai rappelé la seconde classe et j'ai profité des circonstances pour former, autant que possible, son instruction.

Il est donc vrai que ces deux classes ne sont pas restées aussi longtemps sous les armes que les autres ; mais elles ont fait au moins 8 ou 9 mois de service et reçu un commencement d'instruction suffisant pour leur permettre d'entrer en ligne. Cela ne valait-il pas mieux que l'état de choses précédent, alors que ces vingt mille hommes n'avaient aucune instruction? J'ai ainsi renforcé, par cette mesure, l'armée de vingt mille soldats qui pourront au besoin contribuer à la défense de leur pays.

On a encore contesté une autre de mes allégations. J'avais eu l'honneur de vous dire que ce n'est que par la stabilité que les institutions militaires peuvent acquérir tout leur développement et donner de bons résultats, et j'avais ajouté que partout on était pénétré de cette idée, et que dans tous les pays, en France, en Prusse, on ne changeait pas continuellement l’organisation de l'armée. On est venu vous citer plusieurs ordonnances qui augmentent ou diminuent l'armée française depuis quelques années. Je savais parfaitement que l'armée française, dans différentes circonstances, avait été augmentée ou dimiuuéc ; mais est-ce à dire pour cela qu'on ait modifié les principes organiques, qu'on ait mis son existence en question perpétuellement. Aujourd'hui l'armée française compte 500,000 hommes et elle devra nécessairement subir une diminution pour ne pas conserver une attitude menaçante pour tous ses voisins.

Je suis certain que lorsqu'elle pourra le faire sans danger, la France renverra en congé au moins 200,000 hommes.

Je sais parfaitement qu'en 1840, lorsque la France fut sur le point d'avoir à soutenir une guerre qui pouvait devenir européenne, elle augmenta son armée. On créa alors 12 régiments d'infanterie, 9 bataillons de chasseurs, 4 régiments de cavalerie, 32 batteries, 12 compagnies du train.

En 1848, n'a-t-on pas formé 20 ou 25 bataillons de garde mobile, 300 nouvelles compagnies d'infanterie. 18 batteries? N'a-t-on pas, en outre, créé un grand nombre d'emplois nouveaux d'officiers dans la cavalerie et l'artillerie?

Tout cela ne constitue pas un changement d'organisation de l'armée.

Quant à nous, nous n'avons fait que des réductions.

Depuis quelques années, nous avons supprimé par régiment le 5ème bataillon et les trois quarts du 4ème bataillon. Nous avons supprimé les neuf régiments de réserve, le bataillon de l'Escaut, les 7èmes escadrons de tous les régiments de cavalerie, les batteries de dépôt, deux escadrons et l'état-major du train, un sous-lieutenant par compagnie et par escadron et un grand nombre d'emplois d'officiers supérieurs.

J'avais encore dit que la durée du service en Prusse n'était guère plus longue qu'en Belgique. L'honorable M. Thiéfry a prétendu que j'étais dans l'erreur, qu'il n'y avait que quelques corps spéciaux où les jeunes gens fortunés obtenaient l'autorisation de ne servir que pendant un an, lorsqu'ils s'équipaient à leurs frais.

Je sais très bien que cette exception existe en Prusse, que ces jeunes gens sont placés dans des bataillons de chasseurs; mais avant Février les soldats prussiens ne restaient guère plus de 18 mois sous les armes. L'année se divisait comme chez nous en période d'été et en période d'hiver; pendant la période d'hiver, l'effectif était considérablement réduit, et pendant cette époque, l'effectif des bataillons n'était souvent que de trois cents hommes.

On a parlé aussi des manœuvres, de l'instruction des soldats prussiens, du nombre de cartouches, du nombre de coups de canon qu'on leur fait tirer. Mais nous ne négligeons aucun de ces exercices. Si l'honorable M. Thiéfry allait au camp de Beverloo, au camp de Brasschaet, il verrait que nos soldats sont instruits avec tout autant de soin que ceux d'aucune autre puissance. Et ici je dois protester formellement contre l'erreur que l'honorable M. Thiéfry a commise, quand il a dit que, dans tous les exercices à feu, il avait vu des soldats blessés et des capotes brûlées par la maladresse du troisième rang. Je proteste de toutes mes forces contre cette assertion. J'ai commandé pendant six ans un régiment, pendant plusieurs années une brigade ; j'ai commandé dans presque tous nos camps, et je déclare que je n'ai presque jamais vu de ces accidents.

J'ajouterai que dans les exercices militaires que j'ai eu l'occasion de voir dans les armées étrangères, j'ai vu des accidents de cette nature plus fréquents que dans notre armée.

J'ai commandé en chef toutes les troupes campées à Beverloo, l'année avant mon entrée au ministère; on a brûlé plusieurs centaines de mille cartouches; on a tiré plusieurs milliers de coups de canon, et il n'y a pas eu un seul accident à déplorer ; il en a été de même pendant toute la période du dermier camp!

Voilà la vérité. Je devais protester contre cette assertion erronée qui aurait pu faire croire au défaut d'instruction de notre armée, qui aurait pu faire croire que nos soldats ne pourraient pas résister aux soldats étrangers qui essayeraient de nous attaquer. Rassurez-vous, messieurs; notre armée saura faire face à tous nos ennemis.

On vous a cité le projet du général de Lamoricière. On s'est fait un argument de ce projet contre notre système d'organisation. Eh bien, l'honorable M. Thiéfry a encore été dans l'erreur sur ce point. Ce projet ne consiste pas, comme il vous l'a dit, à donner l'instruction à domicile à un certain nombre de soldats et à les envoyer ensuite passer trois ou quatre ans dans un régiment.

Voici quel est ce système : le contingent annuel en France est de 80,000 hommes, mais ces 80,000 hommes ne sont jamais appelés en totalité sous les armes. La partie non appelée reste chez elle sans aucune instruction, de sorte qu'il existe en France 180 à 200 mille hommes qui sont considérés comme réserve et qui n'ont aucune instruction militaire; ils se trouvent dans la même position que les deux classes de milice dont je parlais tout à l'heure. Frappé de cet inconvénient, le général de Lamoricière propose de n'appeler sous les armes que la moitié du contingent et de laisser tous les ans 40 mille hommes dans leurs foyers.

Pour leur donner l'instruction nécessaire, le général de Lamoricière veut détacher le cadre d'un bataillon par régiment d'infanterie; et comme il y a cent régiments d'infanterie, ce sont cent cadres de bataillon qu'on emploierait à l'instruction de cette réserve, qu'il n'est nullement question d'appeler ensuite à faire le service pendant trois ou quatre ans dans les régiments, elle ne pourrait même être appelée sous les drapeaux qu'en cas de guerre.

Ainsi, voilà des cadres composés de cent chefs de bataillon, 2,600 officiers, 4,800 sous-officiers 6,800 caporaux, répartis dans 2,800 cantons, pour donner l'instruction une fois par semaine le dimanche à 2S0,000 recrues.

Eh bien, loin d'être la condamnation de notre système, ce projet en est l'exagération. Malgré mon respect et mon admiration pour le talent du général de Lamoricière, si un pareil système était proposé chez nous, je le combattrais de toutes mes forces.

Messieurs, une autre accusation a été portée contre mon administration. Cette accusation avait déjà surgi l'année dernière, et elle avait été réfutée victorieusement. On prétendait aussi que j'avais maintenu un général de plus que la loi d'organisation ne le comportait.

Messieurs, voici ce que la loi d'organisation porte : 9 lieutenants généraux; or il n'y en a que 8; 18 généraux-majors, et il n'y en a que 16; 5 commandants de province, el il n'y en a qu'un!

Une simple observation fera justice de cette incroyable accusation. Si le département de la guerre nommait un seul officier de plus que le chiffre déterminé par la loi d'organisation, la cour des comptes n'admettrait pas en liquidation son traitement, et le ministre de la guerre devrait le rembourser sur ses deniers.

La cavalerie n'a pas été non plus exempte d'attaques. L'honorable M. Thiéfry prétend qu'en cas de guerre nous ne trouverions pas les chevaux nécessaires pour compléter les escadrons. Je puis le rassurer complètement à cet égard, car, après les événements de 1848, si nous avions voulu faire la dépense nécessaire pour compléter nos escadrons, rien n'eût été plus facile.

Les chevaux ne nous manquaient pas; on nous les offrait de toutes parts, bien que presque toutes les puissances eussent fermé leurs frontières el défendu l'exportation. Quand la guerre est sur le point d'être déclarée, on trouve dans tous les pays un assez grand nombre de chevaux à acquérir, parce que beaucoup de particuliers se défont de leurs écuries et que les chevaux de certains services deviennent inutiles; on est alors enchanté de pouvoir les céder au gouvernement.

On a trouvé extraordinaire que l'effectif des escadrons de cuirassiers fût plus considérable que celui des escadrons de cavalerie légère.

La raison de cette différence est que si la grosse cavalerie devait être mise sur le pied de guerre, on ne trouverait pas aussi facilement les chevaux dont elle aurait besoin, que ceux de la cavalerie légère.

Les chevaux de grosse cavalerie ne se trouvant pas dans le pays, il faut les faire venir de loin et nous aurions plus de difficulté à nous les procurer. Voilà pourquoi on a conservé dans les escadrons de cuirassiers un effectif plus fort que dans les escadrons de cavalerie légère.

Quant à l'artillerie, j'ai déjà eu l'honneur d'expliquer tous les motifs qui nous ont déterminés à la diviser en quatre régiments, ce qui n'a pas empêché les honorables MM. Osy et Thiéfry de produire leurs récriminations périodiques.

Quand cette organisation des régiments d'artillerie a été faite, l'honorable M. Brabant était rapporteur du projet; il l'a soutenu, défendu; il l'avait examiné dans tous ses détails ; il en avait reconnu la nécessité, et vous savez combien M. Brabant était économe des deniers de l'Etat, et avec quelle conscience il étudiait ces questions.

J'ai eu l'honneur de vous dire qu'un colonel d'artillerie avait sous ses ordres autant d'hommes et de chevaux qu'un colonel de cavalerie; que l'instruction dans cette arme est plus compliquée que dans l'autre ; que les artilleurs doivent réunir l'instruction du cavalier et celle du fantassin à une instruction spéciale.

Il y a, en outre, dans chaque régiment un matériel très considérable (page 469) qui a une très grande valeur, qu'il est de l'intérêt de l'Etat de conserver et par conséquent de faire surveiller tout spécialement. De plus, les régiments d'artillerie sont chargés d'exécuter grand nombre de travaux dans les places, et doivent entretenir et conserver des munitions considérables. Rendons justice à cette arme qui a fait de tels progrès, qu'on peut la considérer comme une des artilleries les mieux organisées, les plus savantes de l'Europe, et qui est appréciée par tous ceux qui la connaissent. On lui doit déjà plusieurs découvertes, plusieurs inventions qui l'ont placée très haut dans l'estime des autres nations : l'équilibrage des projectiles, les obus à balles, leurs fusées, un système nouveau de ponts militaires, etc., etc.

Je ne m'explique pas, je l'avoue, la persistance de quelques membres de cette assemblée à attaquer sans cesse et à s'efforcer de renverser une organisation militaire qui a été faite par les hommes les plus compétents du pays, qui marche régulièrement depuis plusieurs années, et cela pour y substituer une organisation de leur invention.

Notre organisation a été examinée et discutée longuement dans cette enceinte, adoptée à une grande majorité par vous-mêmes, il y a quatre ans à peine, et votée à la presque unanimité par le sénat, alors que tout faisait présager une paix durable. Je dois supposer que les adversaires de notre organisation militaire ne s'en sont pas rendu exactement compte et qu'ils n'ont pas examiné assez attentivement les nécessités de notre postlion politique et géographique.

Une organisation militaire ne s'improvise pas, ne se façonne pas aussi facilement que quelques personnes semblent le croire. Lorsque je vois les plus grandes illustrations militaires de l'Europe ne traiter qu'avec réserve et circonspection ces questions qui ont fait cependant le sujet des méditations de toute leur vie, on me pardonnera de me défier un peu de ces improvisations qui surgissent de toute part et de ne pas leur sacrifier une organisation qui nous a aidés, en définitive, à traverser des jours très critiques.

Si la chambre veut m'accorder quelques moments d'attention, j'analyserai les systèmes en présence et j'espère convaincre ceux de ses membres qui n'ont pas un parti pris d'avance, quelque étrangers qu'ils soient d'ailleurs aux choses de la guerre, que le système en vigueur est le seul en rapport avec nos ressources, avec nos besoins et avec nos institutions.

Avant de passer à cet examen, il est une question préalable à résoudre : Quelle est la force nécessaire pour défendre le territoire en cas d'agression et pour maintenir l'ordre à l'intérieur du pays?

Un examen franc et sincère de notre situation nous conduira à la solution de cette première question.

La Belgique a les institutions les plus libérales de l'Europe ; elle jouit de toutes les libertés.

Son sol est riche et fertile.

Elle possède de grandes et populeuses cités.

Les développements et les besoins de l'industrie ont rassemblé, sur plusieurs points du territoire, des agglomérations considérables d'ouvriers, exposés à mille vicissitudes.

La Belgique, entourée de grandes nations, est également exposée à recevoir le contrecoup des agitations et des secousses qu'elles éprouvent. Elle n'a pas, comme l'Angleterre ou la Hollande, des mœurs, un langage particulier et une frontière naturelle, qui la mettent à l'abri des influences étrangères.

Elle est ouverte de toute part et à tous venants.

Elle est sur la route militaire de presque toutes les puissances, et ses vastes plaines, admirables champs de bataille, peuvent nourrir et entretenir de nombreuses armées.

Enfin, son territoire arrondirait parfaitement le territoire de chacun de ses voisins.

Là est notre faiblesse, là sont nos dangers.

Précisément parce que nous jouissons des libertés les plus larges, il nous faut une armée plus forte pour les préserver, pour les empêcher de dégénérer en licence, de se traduire en faits violents sous certaines excitations; pour enlever tout espoir aux mauvaises passions et aux ennemis de nos institutions.

Précisément parce que la Belgique est ouverte de toutes parts, qu'elle n'a point de frontières naturelles, qu'elle est riche, peuplée, industrieuse, qu'elle possède de grandes agglomérations d'ouvriers; précisément parce qu'elle est à la convenance et sous la main, pour ainsi dire, de plusieurs grandes puissances qui l'ont possédée tour à tour, et qui la regrettent peut-être encore, il est indispensable que nous entretenions une armée assez forte, assez bien organisée pour pouvoir, en tout temps, en toutes circonstances, à toute heure, nous défendre contre un agresseur quel qu'il soit, de quelle part qu'il vienne. Il faut que notre armée soit en mesure de résister, même à des forces supérieures, jusqu'à ce que les alliés, que nous donnerait une telle violation, aient eu le temps d'accourir à notre aide.

Tous les hommes qui ont été appelés à traiter cette question, hommes d'Etat ou militaires, ont été unanimement d'accord pour reconnaître qu'il fallait une force régulière d'au moins quatre-vingt mille hommes, pour atteindre le double but de la défense du territoire et du maintien de l'ordre, et que c'est là une condition essentielle de notre existence comme nation indépendante.

Ce chiffre est si peu exagéré que lorsque nous étions en hostilité avec la Hollande seulement, j'ai déjà eu l'honneur de vous le faire remarquer, nous avons entretenu un effectif de cent et douze mille hommes. Ce premier point admis, et je ne crois pas que personne puisse sérieusement le contester, et que l'on trouve un seul militaire qui ose assumer la responsabilité du maintien de la tranquillité publique et de la défense du territoire avec une force inférieure; ce premier point admis, reste donc à examiner quelle organisation cette force doit recevoir. Là est la question véritablement on discussion.

Trois systèmes sont en présence : Le premier consiste à entretenir continuellement sous les armes ces quatre-vingt mille hommes, à les avoir toujours au grand complet, parfaitement encadrés et prêts à entrer en campagne. Ce système serait évidemment le meilleur au point de vue militaire, mais il est impraticable au point de vue financier; il nous entraînerait à des dépenses trop considérables. Notre situation financière, le besoin de bras pour l'agriculture et l'industrie nous l'interdisent.

Le second système, celui que nous avons adopté après une expérience de quinze années, et sur lequel j'appelle toute votre attention, est analogue à celui qu'ont également adopté toutes les puissances de second ordre : la Bavière, le Piémont, le Danemark et la Suède ; il se rapproche beaucoup de l'organisation prussienne.

Pour définir en peu de mots ce système, permettez-moi de vous citer l'analyse qu'en a donnée un officier de notre armée dans le remarquable discours qu'il a prononcé lors de la distribution des prix aux élèves des écoles régimentaires.

« Ce système consiste, a dit cet officier, à maintenir en temps de paix les cadres, bien qu'affaiblis, de tous les corps nécessaires en temps de guerre ; mais, en revanche, on ne conserve sous les drapeaux que le nombre de soldats strictement nécessaire pour assurer la garde des places fortes, des arsenaux et la police générale du royaume. Dans ce système il n'existe point de classes non exercées; les réserves, au lieu d'être composées d'hommes sans instruction, le sont d'anciens soldats.

« Chacun a sa place dans le rang, chacun a son armement et son équipement dans les magasins du corps, de sorte qu'au premier cri d'alarme, l'armée se trouve encadrée et debout, prête à marcher. Les cadres réduits, il est vrai, par motif d'économie, à leur plus simple expression, doivent être augmentés pour recevoir toutes ces classes de réserve, mais cette augmentation a lieu par extension et non pas dislocation; l'administration, la comptabilité existent et l'armée passe du pied de paix au pied de guerre sans désordre et sans difficulté. »

Dans ce système si simple et si remarquable par l'élasticité qu'il présente, vous voyez que la tête et le cœur de chaque corps existent, que la tradition, l'esprit militaire, si difficile à créer, subsistent et se perpétuent, et qu'au premier danger il ne faut, pour ainsi dire, que frapper la terre du pied pour en faire surgir une armée qui ne le cède à aucune autre en instruction, en mérite et en dévouement. « Dans ce système, tout repose en grande partie sur les cadres; il les faut, par conséquent, instruits, pleins de dévouement, de vigueur, d'énergie et d'abnégation; il faut qu'ils soient tenus en haleine par des travaux et des exercices continuels, et que tous ceux qui en font partie possèdent des connaissances supérieures à celles qu'exige la position qu'ils occupent. »

Eh bien, messieurs, pour atteindre ce but, pour créer ces cadres instruits, que fallait-il faire?

Il fallait, comme complément indispensable à notre système d'organisation, multiplier les établissements d'instruction militaire.

C'est pour ce motif que le gouvernement a organisé avec tant de soin ces écoles de toute nature qui font l'admiration de tous ceux qui les visitent, et que nous envient les étrangers qui viennent les prendre pour modèles.

C'est pour ce motif qu'une école d'enfants de troupe a été établie à Lierre : cinq cents enfants, fils d'anciens militaires ou de fonctionnaires civils sans fortune, y sont élevés. L'éducation physique, morale et militaire qu'ils reçoivent fait de cet établissement une admirable pépinière de sous-officiers destinés à devenir plus tard de bons et utiles citoyens.

C'est pour ce motif que dans chaque régiment d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie et du génie, ont été instituées ces excellentes écoles régimentaires où deux ou trois mille miliciens reçoivent tous les ans le bienfaitd'une bonne instruction élémentaire. Ainsi, chaque corps trouve en lui-même les ressources nécessaires pour le renouvellement et l'alimentation des cadres subalternes : il rend ensuite à la société des hommes dont l'intelligence et les sentiments ont été grandis et ennoblis.

C'est pour le même motif que, dans chaque garnison, se donnent ces cours du soir auxquels assistent plusieurs centaines de sous-officiers qui se préparent ainsi à devenir de savants officiers, et d'utiles serviteurs de leur pays.

C'est encore dans le même but que le gouvernement a institué à Ypres une école d'équitation où nos jeunes officiers et nos plus intelligents sous-officiers de cavalerie et d'artillerie sont formés pour devenir d'habiles instructeurs. Ils vont ensuite propager dans les régiments les bons principes qu'on leur a donnés surtout ce qui a rapport à l'élève, à l'éducation et au dressage du cheval; à l'équitation et aux manœuvres, ainsi qu'à différentes autres branches de l'art de la guerre.

Vous parlerai-je de l'école militaire de Bruxelles? Elle est sous vos yeux; je ne puisque vous engager, vous prier instamment d'aller la visiter en détail. Vous serez fiers de cet établissement qui fait honneur à la Belgique et qui forme des hommes qui seront un jour sa gloire et son orgueil !

Enfin, pour compléter, entretenir et rendre pratique l'instruction de nos cadres, tout en formant les troupes, on a construit dans les bruyères de Beverloo un vaste camp permanent où votre armée vient prouver tous les ans qu'elle ne le cède à aucune armée de l'Europe en instruction, en discipline et en solide organisation.

(page 470) Voilà notre système et les fondements sur lesquels il repose.

Ce système nous permet, en ne dépensant annuellement que ce qui serait strictement nécessaire pour l'entretien d'une armée de vingt-six mille hommes, de mettre instantanément sur pied une armée de quatre-vingt mille soldats, parfaitement organisée, parfaitement instruite, et qui est toujours prête à marcher, prête à combattre au premier danger, au premier cri d'alarme, au premier appel.

Rappelez-vous avec quel admirable et patriotique empressement toutes nos réserves sont accourues en 1838, lorsqu'il fut question de vider par les armes le différend avec la Hollande.

Rappelez-vous encore la promptitude extraordinaire avec laquelle furent réunies sous les drapeaux les classes en réserve que le gouvernement crut nécessaire de rappeler après les événements de février, et l'ardeur qui les animait.

Rappelez-vous aussi que tout récemment l'armée danoise, dont l'organisation a tous les prétendus inconvénients qu'on reproche à la nôtre sans en avoir tous les avantages, vient de se couvrir de gloire en défendant victorieusement son territoire contre les armées de l'Allemagne.

Et cependant le Danemark est un petit pays de deux millions d'habitants et (ceci soit dit pour l'édification de ceux qui trouvent que l'effectif de nos compagnies est trop faible et que nos soldats restent trop peu de temps sous les armes) l'armée danoise ne conserve sur pied de paix que quarante hommes par compagnie, et les soldats ne restent que seize mois sous les armes!

Et c'est après des faits aussi concluants, après d'aussi décisives épreuves, qu'on vient contester la bonté la solidité de notre organisation militaire !

Et c'est après les services et l'admirable dévouement de nos cadres, dans toutes les circonstances, qu'on veut forcer le gouvernement à les mutiler pour récompense! Ah! je ne sais vraiment qui aura le triste courage et l'aveuglement d'entreprendre cette fatale exécution, qui ne sera pas seulement la mort de l'armée, mais le commencement de notre décadence nationale.

Et savez-vous quel est le système qu'on cherche à faire prévaloir et qu'on vous propose de mettre à la place de notre organisation? Un système que je ne crains pas de qualifier de déplorable, de funeste, de mortel pour l'armée et pour le pays.

Ce système se résume en ces mots , supprimer une parlie des cadres et quelques-uns des régiments , pour augmenter le nombre des soldats dans des corps laissés debout.

Voilà le grand système des adversaires de notre organisation.

Survient-il un danger, il faut dans ce moment suprême former subitement de nouveaux corps; tout improviser pour eux, administration, comptabilité, avancement, et il faut que ces cadres improvisés songent avant tout à donner l'instruction aux soldats qu'on improvise pour eux!

Mais ne savez-vous pas, messieurs, que ces improvisations faites au dernier moment sont tout ce qu'il y a de plus funeste, de plus dangereux ?

Il ne faut pas être ou avoir été militaire pour juger qu'un système qui repose sur de pareilles bases ne serait admissible que sous peine de nous déconsidérer aux yeux de l'Europe militaire intelligente.

Non, messieurs, un système qui a pour base la suppression d'une partie des cadres déjà si restreints de notre armée, n'est pas un système sérieux.

Les cadres sont la richesse, la force, la sécurité, l'honneur d'une nation.

Les cadres sont l'âme et le cœur d'une armée !

On peut improviser des soldats à la rigueur, on n'improvise jamais des cadres. Avec de bons cadres et de jeunes soldats, on gagne les batailles de Marengo, de Lutzen, de Bautzen, de Goïto et de Fredericia. Quand on désorganise les cadres, on se fait écraser à Novare et à Louvain.

Ah! messieurs, si ceux qui attaquent notre organisation militaire se plaçaient à un point de vue plus élevé, au point de vue d'hommes d'Etat ou d'hommes de guerre, ils auraient une toute autre opinion de la valeur de cette organisation.

Je reconnais que lorsqu'on envisage la question au point de vue borné du commandement d'un peloton ou d'une compagnie, cette organisation n'est pas sans inconvénients ; je reconnais qu'elle est assujettissante, qu'il est pénible, ingrat d'être obligé de recommencer tous les ans l'instruction fastidieuse de nouvelles levées.

Il est peu agréable pour un commandant de compagnie, j'en conviens, de ne pas conserver sous les armes, en temps ordinaire, les soldats qu'il s'est donné la peine d'instruire, de discipliner, et de les voir remplacer sans cesse par de nouveaux venus dont il faut recommencer l'éducation.

Mais nos officiers se soumettent avec résignation à cette existence de dévouement. Ils savent que la carrière militaire est une carrière d'abnégation et ils trouvent leur récompense dans la conviction des services qu'ils rendent à leur pays, et un encouragement dans l'espoir qu'un jour viendra où chacun leur rendra justice et reconnaîtra qu'ils sont un des plus fermes appuis de nos institutions, de la prospérité publique et de l'honneur national.

Avant de vous résoudre à porter la main sur l'organisation de l'armée, songez, messieurs, que dans quelques parties de l'Europe depuis deux ans, on a eu la triste manie des organisations et des réorganisations, et qu'on n'a abouti le plus souvent qu'à désorganiser. Dans quelques pays, on a voulu tout reorganiser, depuis l'instruction, la justice et la religion elle-même, jusqu'au travail, et après épreuve faite, voyez les peuples désabusés, éclairés à leurs dépens, reconstituer peu à peu ce qu'ils ont détruit dans un moment d'ivresse et d'aveuglement.

Les seuls résultats de ces expériences terribles pour les nations qui ont eu le malheur de les faire, ont été des commotions sanglantes, et des dépenses incalculables, et c'est parce que je veux épargner de telles épreuves a mon pays que je m'oppose de toute mon énergie, de toutes mes convictions, à la désorganisation de notre patriotique armée.

On vous a cité les événements du Piémont pour en faire un argument contre notre système d'organisation militaire. Il faut être bien ignorant des faits qui se sont passés dans ce malheureux pays et des causes qui les ont produits, pour invoquer cet exemple à l'appui d'une opinion dont il est la plus accablante condamnation.

Cet exemple, je l'invoque à mon tour, et puisqu'on semble ignorer les faits, je vous les dirai : mon récit n'aura pas besoin de commentaires pour prouver à l'évidence les malheurs qui seraient la conséquence inévitable dé l'adoption des propositions que je combats.

En 1848, lorsqu'éclata la révolution de Paris, le Piémont possédait une armée dont l'organisation avait beaucoup de rapports avec la nôtre. J'ai eu l'honneur de vous le dire l'année dernière, mais je n'ai jamais prétendu que notre organisation ait été calquée sur celle du Piémont, comme me l'a fait dire l'honorable M. Osy.

L'organisation piémontaise était inférieure à la nôtre , en cela que les établissements d'instruction militaire, tels que les écoles régimentaircs, les cours donnés aux sous-officiers, l'école militaire, n'avaient pas reçu tous les développements nécessaires, tous les développements que nous leur avons donnés dans notre armée.

La réunion des troupes dans les camps, réunion indispensable pour 1 instruction des cadres, n'avait lieu que de loin en loin , tandis qu'elle est permanente en Belgique.

Aucun encouragement n'était donné aux enrôlements volontaires, qui étaient presque nuls.

Ces causes réunies rendaient la formation, l'entretien et le renouvellement des cadres subalternes difficiles, et ces cadres étaient par conséquent assez médiocres.

En outre, le système de milice avait cela de vicieux que la durée du service était trop longue.

Les miliciens restaient à la disposition de l'Etat pendant 16 ans. Ces miliciens, après avoir passé seulement quelques mois sous les armes, le temps strictement nécessaire à leur instruction, retournaient dans leurs foyers, pour ne revenir dans leurs régiments qu'en cas de guerre ou dans des circonstances exceptionnelles.

Les soldats en congé étaient autorisés à se marier, de sorte que des hommes absents de l'armée depuis 8, 10, 12 ou 14 ans, lorsqu'ils étaient rappelés, avaient presque entièrement perdu les habitudes militaires et devaient la plupart du temps abandonner sans ressource une famille souvent très-nombreuses.

Il est aisé de comprendre tous les inconvénients et tous les défauts d'un pareil système : aussi avons-nous eu grand soin de les éviter dans notre armée.

Nos miliciens n'appartiennent à l'Etat que pendant huit ans; ils ne peuvent se marier que dans les trois dernières années de leur service et sous certaines conditions.

Nous avons multiplié et perfectionné tous les établissements d'instruction militaire et nous leur avons donné le plus complet développement, comme je vous l'ai démontré tout à l'heure.

Nous avons formé un camp permanent, supérieur à tout ce qui existe en Europe dans ce genre. Tous nos soldats indistinctement y passent quatre ou cinq mois, et tous les ans une division de l'armée vient s'y exercer aux grandes manœuvres de guerre.

Nous avons encouragé les enrôlements volontaires à tel point, qu'il y a aujourd'hui dans l'armée 15,650 volontaires. La moitié de l'effectif du pied de paix ! Tous les cadres subalternes sont exclusivement composés de volontaires. Par suite de ces différentes mesures, nos ressources sont si grandes pour la formation de ces cadres, les rapports des inspecteurs généraux et des chefs de corps en font foi, que nous n'aurions aucune difficulté pour les porter immédiatement au complet du pied de guerre.

Vous voyez donc bien, messieurs, qu'on ne peut pas établir une comparaison absolue entre notre organisation militaire et celle du Piémont.

Néanmoins malgré quelques imperfections organiques, l'armée piémontaise était excellente et reconnue telle par les autorités militaires les plus compétentes : elle pouvait parfaitement remplir la mission qui lui était assignée, celle de défendre son pays et d'y maintenir l'ordre. Mais immédiatement après la révolution de février, le roi Charles-Albert, entraîné par l'exaltation de son peuple, par l'effervescence générale de l'Italie, se décide subitement à changer de rôle, à prendre l'offensive et, sans se donner le temps de préparer son armée à cette grande et difficile entreprise, il déclare la guerre à l'Autriche.

Dès le milieu du mois de mars, quelques jours seulement après les événements de Paris, il concentre une partie de son armée et marche à la frontière. Bientôt après il entre en Lombardic, et le 29 mars, deux divisions piémontaises font leur entrée à Milan où s'établit un gouvernement provisoire.

Les Autrichiens s'étaient retirés derrière l'Adda.

(page 471) Charles-Albert s'avance de Lodi sur Crémone, et les Autrichiens continuent leur mouvement rétrograde, jusque derrière la Chièse. Le phn du maréchal Radetzky est de gagner du temps pour attendre les secours qui lui arrivent de Vienne, à marche forcée, sous les ordre du général Nugent.

Il concentre ses troupes entre le Mincio et l'Adigo, dans le triangle formé par les places de Peschiera, Vérone et Mantoue. Charles-Albert marche résolument sur le Mincio, après avoir détaché une division pour observer Mantoue, qu'il laisse sur ses derrières. Les deux armées sont bientôt en présence. Les Piémontais remportent un premier avantage à Goïto, et ils battent successivement les Autrichiens à Borghelto et à Mozanbano. A la suite de ces combats, le Mincio est forcé; l'armée royale s'établit sur les deux rives du fleuve et pénètre dans le fameux triangle formé par Peschiera, Vérone et Mantoue.

Avant de s'engager plus loin, le roi sent la nécessité de s'emparer de Peschiera pour dégager son aile gauche et établir ses communicat'ons avec Milan par la route de Brescia. Il investit Peschiera et le général Bès est chargé d'en faire le siège. Les Autrichiens cherchent à s'y opposer. Le roi marche à eux et remporte un avantage signalé à Pastrengo ; il les repousse ensuite des positions fortifiées de San-Lucia et de Croce-Bianca où il leur livre de brillants combats.

Les Autrichiens sont forcés de se replier sous Vérone dont ils ont fait un formidable camp retranché; ils y sont ralliés par l'armée du général Nugent qui fait sa jonction avec Radetzky. Sur ces entrefaites le roi fait bombarder Peschiera.

Le maréchal tente un nouvel effort pour secourir cette place, prête à succomber; il marche à son secours avec trois corps d'armée forts de 30,000 hommes et attaque Goïto où 18 à 19 mille Piémontais seulement étaient campés. Les Piémontais font des prodiges de valeur, leur artillerie se couvre de gloire et malgré l'infériorité du nombre, ils remportent une victoire éclatante. Les Autrichiens sont repoussés et laissent plus de mille morts sur le champ de bataille et un grand nombre de blessés et de prisonniers.

Le lendemain de cette victoire, qui eut une immense effet moral et un immense retentissement dans toute l'Italie, Peschiera capitule et la garnison se relire à Ancône, après avoir signé l'engagement de ne plus servir pendant toute la durée de la guerre.

Mais ces succès glorieux allaient devenir plus funestes qu'avantageux aux Piémontais. Des corps irréguliers, des corps improvisés, des volontaires, des aventuriers de tous les pays attirés par les triomphes du roi, accouraient de toutes parts et jetaient le désordre et la confusion dans l'armée. Ils consommaient tous les approvisionnements, gaspillaient les munitions, donnaient l'exemple de l'indiscipline et abandonnaient au moment du danger tous les posles qu'on leur confiait.

D'un autre côté le gouvernement provisoire de Milan, dominé par l'idée d'établir une république Lombardo-Vénitienne, contrariait dans tous ses projets Charles-Albert, ce roi libérateur, entravait ses opérations au lieu d'y aider, lui suscitait mille embarras et récompensait son héroïsme et son dévouement à la cause italienne par des attaques et des calomnies incessantes.

Le vieux maréchal autrichien, bien au courant de ce qui se passait, appréciant parfaitement la situation, prend le parti de se renfermer dans son inexpugnable position de Vérone et de refuser tout engagement : il veut laisser l'armée piémontaisc se désorganiser par le contact des volontaires et se démoraliser par l'esprit révolutionnaire. Après une assez longue attente, lorsqu'il juge le moment opportun, dans la nuit du 22 au 23 juillet, il sort furtivement de Vérone à la tête d'une armée de 50,000 hommes et tombe vigoureusement sur la position de Somma-Campagna occupée par le centre de l'armée italienne.

Ce que le maréchal avait, prévu se réalise ; les volontaires, qui avaient réclamé le service des avant-postes, qui demandaient toujours avant le combat les positions les plus importantes et les plus périlleuses et qui ne savaient pas s'y garder, lâchent pied à l'approche de l'ennemi et sont causes de la surprise et de la défaite de l'armée. Charles-Albert cependant était à Marmirolo occupé à resserrer le blocus de Mantoue ; aussitôt qu'il apprend cet événement, il se met à la tête de la division du général Bava qu'il avait sous la main, rallie ses troupes et reprend Somma-Campigna après un combat et des efforts héroïques. Le lendemain, bien que ses troupes soient harrassées, épuisées, très inférieures en nombre, dépourvues de vivres, plusieurs soldats tombèrent mort d'inanition et de fatigue, il recommence la lutte et attaque l'ennemi près de Custozza.Ce combat fut terrible ; Radetzky l'appelle une chaude journée et dans son rapport daté d'Alzaréa du 26 juillet, il affirme que jamais il n'a vu une armée se battre avec autant de persévérance.

L'armée piémontaisc fut obligée de céder au nombre et de battre en retraite. Cette défaite, en perçant le centre de l'armée, séparait ses deux ailes et la mettait dans la position la plus critique. C'était la conséquence naturelle, inévitable de l'irréparable faute que le roi avail commise, d'occuper une ligne trop étendue de Montebaldo et Rivoli à Mantoue.

Radetzky dut la victoire autant à son habile politique, à ses excellentes manœuvres, et à sa vigueur d'exécution qu'au manque d'unité, qu'au manque d'ensemble dans la direction de l'armée royale : Charles-Albert, roi d'une bravoure chevaleresque, n'était qu'un général médiocre, très inférieur à son remarquable adversaire.

Et, je l'ai déjà dit, l'armée piémontaisc était affaiblie, entravée, paralysée par des bandes indisciplinées, ignorantes du métier des armes, incapables de rendre aucun bon service, d'un entretien ruineux et qui méconnaissaient souvent l'autorité des chefs et du roi lui-même pour agir à leur caprice. On avait vu à Curtatouc une division improvisée de dix mille Lombards lâcher pied sans tirer un seul coup de fusil, elles les Modénais et les Toscans se débander au premier coup de canon. Aussi, l’armée régulière était-elle indignée, exaspérée contre ces dangereux alliés, et le roi, qui avait cherché à s'en débarrasser par un ordre et un avertissement qui fut répété par les journaux du temps, eut plusieurs fois de la peine à les préserver de la fureur de ses soldats.

Après avoir inutilement essayé de réunir ses deux ailes séparées par toutes les forces de Radetzky, l'armée est obligée de poursuivre sa retraite. Le maréchal a rappelé à lui le corps du général Welden, qui était occupé au siège de Venise, et il marche avec une masse de 90,000 hommes sur Milan.

L'armée piémontaisc donne alors une nouvelle preuve du mérite de son organisation et de son courage ; elle ne se laisse pas abattre par les revers; elle lutte encore avec énergie, et dans plusieurs engagements elle obtient des succès partiels, mais sans résultat. Arrivée à Crémone, elle repousse les Autrichiens qui essayent de s'emparer de la ville.

De Crémone, Charles-Albert pouvait se retirer sans danger sur Alexandrie par la route de Plaisance; c'était sa véritable ligne de retraite. Mais héroïque et magnanime jusqu'à la fin, il n'oublie pas qu'il a promis aux Milanais de ne pas les abandonner, et malgré leur ingratitude, malgré tout le mal qu'ils lui ont fait, il n'hésite pas à entreprendre la plus critique, la plus périlleuse de toutes les opérations de la guerre, à faire une marche de flanc, en présence de l'armée autrichienne, pour aller couvrir Milan.

Cependant, que se passait-il dans cette ville? Tout y était confusion et anarchie. Les habitants étaient divisés en deux partis : le parti républicain et le parti autrichien. Ces deux partis n'avaient qu'un point de contact, leur haine commune pour Charles-Albert. Le gouvernement provisoire ne savait prendre aucune mesure efficace. Il décrétait des levées en masse, la formation d'une légion de prêtres, et croyait sauver la patrie avec de semblables duretés.

Enfin l'armée piémontaise arrive sous les murs de Milan, espérant trouver des secours et un appui dans cette ville qui avait juré cent fois de s'ensevelir sous ses ruines plutôt que de souffrir que les Autrichiens y remissent le pied

L'armée s'apprête à combattre : le roi établit son quartier général dans la ville. En échange de tant de loyauté et de dévouement, les Milanais attaquent ce prince qui, plein de confiance, était resté presque seul et sans garde au milieu d'eux. Ils l'insultent, ils l'outragent, ils lui jettent de la boue au visage et se portent aux plus sauvages violences.

Le roi ne doit son salut qu'au dévouement de quelques officiers qui le couvrent de leur corps et qui se font tuer à ses côlés.

Il est enfin délivré par ses troupes qui accourent à son secours; mais ses bagages, ses équipages, ses munitions sont pillés et l'on fait sauter la seule poudrière qui contenait les approvisionnements de l'armée.

A la suite de ces tristes événements, le roi est obligé d'évacuer Milan. Ses troupes sont admirables de dévouement et de fidélité. Le 4 août, elles ont encore un engagement glorieux avec l'avant-garde de Radetzky et se replient ensuite derrière le Tessin à l'entrée du Piémont. Elles prennent position à Magenta et à Vigevano, résolues à défendre à outrance le sol de la patrie. Mais le maréchal ne juge pas à propos d'aller plus loin et une trêve de sept semaines est signée à Milan.

Ainsi se termina cette première campagne qui mit en relief la bravoure el la solidité de cette armée piémontaise, dont vous attaquez l'organisation sans la connaître. Ces faits prouvent une nouvelle fois encore les avantages de la discipline et de l'instruction militaire, et l'inconvénient et les dangers des corps improvisés.Toutes les correspondances,, tous les écrits s'accordent pour reconnaître que les volontaires et les gardes nationaux manquaient, en général, d'élan et d'énergie. « Leur patriotisme se traduisait, disent les relations, en clameurs, en démonstrations et en prises d'armes tumultueuses sur la place publique. Tout le monde criait, voulait commander, et personne n'agissait. Les partis se déchiraient sur le sol qui n'était pas encore conquis. Les habitants des campagnes de la Lombardie montraient de meilleures dispositions pour les Autrichiens qu'en faveur des Italiens. Ceux-ci mouraient quelquefois de faim, tandis qu'on ne manquait de rien dans l'armée impériale. »

Ce résumé très succinct de la première campagne de Lombardie démontre encore, à l'évidence, tout ce que cette armée aurait pu faire, si elle s'était bornée à remplir sa mission défensive, et si elle avait mieux préparé ses moyens d'attaque et reçu une meilleure direction quand elle voulut devenir conquérante. Tant qu'elle fut livrée à elle-même, tant qu'elle n'eut pas admis dans son sein des corps étrangers et sans discipline, cette armée obtint des succès, elle fut victorieuse dans plusieurs combats, elle gagna, bien qu'inférieure souvent en nombre, plusieurs batailles rangées, sur une des meilleures armées du monde, sur une armée commandée par des généraux du plus haut mérite et qui avaient étudié et fortifié depuis trente ans le terrain sur lequel ils opéraient.

Si elle fut malheureuse dans les derniers jours, ses revers sont dus non seulement au talent et à la valeur de son adversaire, mais plus encore aux hommes qui, par inexpérience, par aveuglement, par ignorance et par incurie, la désorganisèrent et la mirent dans l'impuissance de continuer une lutte si glorieusement commencée.

Mais voyons la suite des événements, ils vont compléter îa leçon que nous devons en tirer.

Un armistice avait été conclu.

(page 472) L’armée piémontaise avait besoin de réparer ses pertes, de compléter ses cadres qui s'étaient fait décimer pendant la campagne, de réorganiser quelques-uns de ses services, de renouveler une partie du son matériel qui avait beaucoup souffert, de refaire tous ses approvisionnements. C'était là le devoir et le premier soin de toute administration éclairée, sage et prudente, avant de songer à recommencer la guerre.

Mais qu'arriva-t-il?

Le gouvernement était tombé aux mains de l'opposition avancée, aux mains des prétendus réformateurs. Les clubs avaient pris un ascendant prépondérant. Des principes militaires analogues à ceux que préconisent certains adversaires de notre organisation militaire avaient prévalu; on écoutait avec faveur les avis et les conseils de tous les mécontents et des réfugiés politiques accourus de toutes les parties de l'Europe; on proclamait que l'élan révolutionnaire suffirait pour anéantir Radetzky. On accordait toute confiance à un soldat d'aventure qui annonçait dans les clubs qu'il se faisait fort d'expulser les Autrichiens de toute l'Italie avec dix mille volontaires. Les clubs et le parti avancé avaient fait leur héros de cet officier de fortune.

On le nommait député, on forçait le roi à lui confier un des principaux commandements, et le gouvernement le décorait du grand cordon de l'ordre si respecté, en Piémont, de Saint-Maurice et Lazare, avant même qu'il eût tiré son épée hors du fourreau.

Tous les officiers de mérite et de valeur, et ils sont nombreux dans l'armée piémontaise, avaient beau protester contre ce qui se passait, prédire les malheurs qui en seraient la suite; on ne les écoutait pas. Non seulement on ne les écoutait pas, mais on les suspectait, on les décourageait, on les éloignait.

On eut recours à un général polonais, retiré à Paris, pour prendre le commandement de cette armée. Il accepta cette mission à la demande du roi Charles-Albert qui espérait, par la guerre, conjurer l'orage qui grondait sur sa tête et sur son royaume, et sortir de l'insoutenable position dans laquelle il se trouvait.

Il n'y avait pas trois jours que le général Csarnowsky était arrivé à Turin, il n'avait pas encore eu le temps de voir un seul régiment, que le gouvernement lui demandait déjà s'il était prêt à commencer les hostilités. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour juger que la plupart des services étaient désorganisés, que les meilleurs officiers étaient découragés, mécontents, plusieurs mis à l'écart, et qu'on avait introduit dans les cadres les plus funestes éléments. Les soldats, de leur côté, n'avaient pas oublié la perfide conduite des Milanais et l'ingratitude des Lombards; ils répugnaient à se battre pour les délivrer et à faire une guerre qu'ils considéraient comme hostile à la religion et au pape.

L'armée avait reçu une extension exagérée. On l'avait portée à 150 mille hommes. Pour compléter les cadres, on y avait introduit tous les héros des clubs, des réfugiés de tous les pays; on avait été jusqu'à donner l'épaulette à des caporaux du train qui savaient à peine lire et écrire. Le service des vivres était nul, le service de santé tellement incomplet qu'on pouvait le considérer comme n'existant plus.

Le général fit connaître cette triste situation au gouvernement. Le ministère et les exaltés jetèrent les hauts cris. Ils prétendirent que tous ces services n'étaient pas indispensables; qu'en prenant l'offensive, on vivrait aux dépens de l'ennemi et que la victoire donnerait les ressources qui manquaient.

Le général eut beau protester contre ces doctrines, déclarer qu'il était impossible de faire la guerre avec succès, sans magasins, sans approvisionnements, avec des cadres incomplets et désorganisés, etc., etc., Rien n'y fit, tout fut inutile. On lui répéta qu'il devait vivre aux dépens de l'ennemi, prendre l'offensive et se procurer tout ce qui lui manquait au moyen de réquisitions, comme si des réquisitions pouvaient suppléer à tout et seulement même nourrir une armée lorsqu'elle n'a pas un premier approvisionnement !

Le général prit alors la résolution de se retirer. Il offrit sa démission au roi après lui avoir exposé la situation des choses et sans dissimuler quelle en serait la conséquence. Cet infortuné prince, abreuvé de dégoûts, mais toujours plein d'enthousiasme et d'aveuglement, fit un appel au dévouement et au courage du général; il lui dit que, pour sa part, il était prêt à affronter le destin et à faire le sacrifice de sa couronne et de sa vie.

Pardonnez-moi, messieurs, d'entrer dans tous ces détails, mais il m'a semblé qu'ils présentaient d'utiles enseignements et qu'ils pourraient peut-être nous éviter de faire un jour à nos dépens une expérience qui a coûté tant d'argent et tant de sang au Piémont.

Lorsque j'ai eu l'honneur de voir le général Csarnowsky à Turin, il me disait en me racontant tristement ces circonstances : J'ai eu la faiblesse, si c'est une faiblesse, de me laisser émouvoir, de promettre au roi de ne pas l'abandonner et de partager son sacrifice. Je n'eus pas la force, je l'avoue, me disait-il, de résister à ce roi si malheureux, si intrépide, si entraînant. C'est sans doute une faute de ma raison, mais c'est une faute dont tous les cœurs généreux m'absoudront.

Cependant le général Czarnowsky était retourné à son quartier général d'Alexandrie; il s'occupait de la réorganisation de l'armée, lorsqu'il apprend au moment où il s'y attendait le moins, au moment où il espérait qu'on allait prendre ses observations en sérieuse considération, lorsqu'il apprend, dis-je, que l'armée autrichienne est en mouvement et que le bruit se répand partout que la guerre est déclarée. Il demande au ministère des explications par le télégraphe, et on lui répond par la même voie que depuis deux jours l'armistice est dénoncé. En effet le ministère, pressé d'en finir, à bout de ressources et d'argent, et voulant forcer la main au général en chef, avait pris la résolution de dénoncer l'armistice, de déclarer de nouveau la guerre sans en prévenir le général en chef de l'armée,

Je vous laisse à juger, messieurs, de l'anarchie, de la confusion qui devaient régner dans le gouvernement.

Il n'y avait plus à reculer : c'eût été fuir en présence du péril. Le général Csarnowsky fait à la hâte des dispositions pour prendre l'offensive, mais il est prévenu par son habile et vigoureux adversaire.

Le général Romarino, l'homme des clubs, le héros qui devait tout chasser devant lui, chargé de défendre le passage du Tessin en face de Pavie avec une division de dix mille Lombards et 24 pièces de canon, abandonne sa position sans combattre à l'approche de l'avant-garde de Radetzky.

Il ne fait pas la plus faible résistance, bien qu'avec les forces dont il disposait, il eût pu disputer pendant longtemps le passage du fleuve et donner le temps au gros de l'armée qui était à Buffalora, de venir à son secours. Il ne prévient pas même le général en chef et le roi de la présence de l'ennemi, et par ce lâche et criminel abandon, l'armée piémontaise se trouve, comme dans la première campagne, coupée en deux, et situation plus critique, séparée de sa base d'opération. Le général Csarnowsky propose alors au roi de marcher sur Novare avec les troupes qui lui restent sous la main ; de s'établir en avant de' la ville et de livrer une bataille désespérée. Le roi adopte héroïquement ce parti énergique. Alors on voit une armée, presque sans espoir de succès, prendre position et se préparer à faire un effort suprême pour l'honneur des armes, pour l'honneur de la patrie.

Toutes les relations s'accordent à dire que les corps dans lesquels on n'avait pas introduit d'éléments étrangers, dont on n'avait pas altéré l'organisation, que la cavalerie, l'artillerie surtout, et quelques régiments d'infanterie d'ancienne formation, firent des prodiges de valeur. Depuis onze heures du matin jusqu'à la nuit, ils combattirent avec acharnement. La position de la Bicoque fut prise et reprise jusqu'à trois fois. Les corps de nouvelle formation, les corps désorganisés au contraire, s'étaient débandés dès le début de l'affaire, plusieurs avaient refusé de combattre et s'étaient jetés dans Novare qu'ils livraient au pillage. Il fallut les faire charger par leur propre cavalerie pour délivrer leurs propres concitoyens. Voilà les faits dans toute leur nudité, tels qu'ils m'ont été rapportés à Turin et à Milan par des témoins occulaires, et tels qu'ils sont consignés dans plusieurs relations.

Et savez-vous, outre le sang inutilement répandu, outre le deuil et l'humiliation nationale, quelles ont été les conséquences matérielles de cette catastrophe ?

Le Piémont a perdu plus de 150 millions par ces deux campagnes, et il est condamné à payer à l'Autriche une indemnité de guerre de 70 millions.

Il a été dans la fatale nécessité de punir de mort le général Romarino, de fusiller cet homme qui avait rêvé la dictature, qu'un parti avait pris sur parole pour un héros, pour un libéraieur, et qui ne fut en résumé qu'un aventurier sans principes, sans talent, au-dessous de son rôle, qui ne sut ni combattre en général, ni commander en chef, mais, il faut lui rendre cette justice, qui a su mourir en soldat, aussi peu soucieux de la vie qu'il avait été peu soucieux de son honneur et de sa réputation.

Expiation plus cruelle, le Piémont a vu Charles-Albert, roi dont le cœur fut plus grand que l'esprit, mourir exilé volontaire sur un sol étranger, désespéré de n'avoir pu affranchir l'Italie au prix de sa couronne et de sa vie.

Enfin le Piémont a dù reconstituer son armée, qu'il aura beaucoup de peine à purger des éléments d'affaiblissement et de désordre que de prétendus réformateurs y ont introduits pour longtemps.

El savez-vous quelles mesures le Piémont a prises pour reconstituer son armée? Il a nommé une commission de réorganisation, composée des militaires les plus compétents du pays.

Après six ou huit mois d'examen et d'étude, cette commission termina son travail, et M. le ministre de la guerre, le général Lamarmora, qui est un militaire de très grand mérite et qui s'est distingué entre tous dans les derniers événements, vient tout récemment de décréter, après ce consciencieux examen... le maintien de l'ancienne organisation, de l'organisation primitive.

Je n'ai rien à ajouter. Ces faits n'ont pas besoin de commentaires.

Vous pouvez juger maintenant, messieurs, du sort qui nous serait infailliblement réservé au premier danger, si nous désorganisions notre armée.

Maintenant vous comprendrez aussi pourquoi je défends avec persistance, avec opiniâtreté même, notre organisation militaire. Je ne veux pas contribuer à précipiter mon pays dans l'abîme où le Piémont a failli périr, je ne veux pas que la Belgique ait à payer un jour la rançon des chimères de quelques hommes dont je ne conteste pas les bonnes intentions, mais dont je redoute les dangereuses erreurs.

M. le président. - La parole est à M. Coomans, inscrit «sur».

M. Coomans. - Je dois avouer que je n'ai pas d'amendement. Je n'ai pas cru que le besoin d'un nouvel amendement se fît sentir. Je n'ai à proposer qu'une réserve, et à faire deux interpellations à M. le ministre de la guerre. Du reste, je n'insiste pas pour parler en ce moment; ce n'est pas mon intérêt du tout ; et je consens bien volontiers à ne parler que quand notre honorable président voudra bien m'accorder la parole.

(page 473) M. le président. - M. Coomans sera, selon son désir, inscrit «pour» ou «contre». La parole est à M. Jacques, inscrit «sur’.

M. Jacques. - Malgré tout l'intérêt que j'attache au maintien d'une armée forte, j'ai du voter, l'année dernière, contre le budget de la guerre, parce que je le trouvais trop élevé pour nos finances. Le même motif me forcera à émettre le même vote sur le budget de 1850, à moins que la chambre n'y apporte une économie notable, et ne le réduise à 25 millions au plus.

Je pense, d'ailleurs, que cette réduction peut très bien se concilier avec le maintien de l'organisation actuelle, et avoir lieu sans amoindrir en rien la force réelle de l'armée.

Je me suis proposé, en prenant la parole, de vous exposer le moyen qui m'a paru le plus convenable pour atteindre ce résultat, disposé du reste à me rallier à tout autre mode, qui, après examen, paraîtrait peut être préférable.

Quoique la Belgique puisse trouver, à juste titre, des garanties sérieuses de sécurité dans la neutralité qui forme la base de son droit public, dans les traités qu'elle a conclus avec les grandes puissances, et dans les tendances pacifiques qui planent sur les intérêts de l'Europe; je suis cependant au nombre des personnes qui pensent que, pour donner à ces garanties toute leur valeur, l'on doit nécessairement les appuyer sur une bonne armée, sur une armée forte par le nombre d'hommes dont elle se compose, forte par l'instruction qu'elle possède, forte par la discipline qui y règne, forte par le matériel dont elle dispose, forte enfin par les places de guerre qui lui servent de point d'appui et de ralliement.

Voyons jusqu'à quel point ces divers éléments de force se trouvent assurés à notre armée. _

Les forteresses de la Belgique sont assez nombreuses, trop nombreuses même pour notre armée et pour nos finances. Je pense que l'on pourrait, sans amoindrir en rien notre système de défense, en démolir plusieurs. Dans un petit pays comme le nôtre qui ne doit jamais porter la guerre au-delà de ses frontières, qui ne peut avoir à soutenir qu'une guerre défensive, n'est-il pas imprudent, n'est-il pas dangereux de disséminer une partie notable de l'armée dans des positions excentriques sur les frontières?

Je me rallierais donc facilement à l'idée de supprimer plusieurs de nos places fortes, plusieurs de nos garnisons : au midi, celles d'Arlon, Bouillon, Dinanl, Philippeville et Mariembourg; à l'ouest, celles de Menin, Ypres, Nieuport et Ostende. Je considère ces garnisons comme perdues pour la bonne défense du pays, et je pense que dans la fixation des emplacements de l'armée, l'on ne doit s'occuper uniquement que de cette défense sans avoir aucun égard aux petits profits que certaines professions peuvent trouver dans la présence d'une garnison.

En supprimant les garnisons qui me paraissent inutiles, l'on arriverait à concentrer notre armée dans un polygone, dont les points extrêmes seraient Liège, Huy, Namur, Charleroy, Mons, Ath, Tournay, Aude-narde, Bruges, Gand, Termonde, Anvers, Diest et Beverloo.

Cette concentration se lie d'abord parfaitement avec la division actuelle de notre armée en quatre corps et de notre territoire en quatre circonscriptions militaires. Ainsi l'on maintiendrait à Bruxelles le quartier général du 1er corps (pour les provinces de Brabant et d'Anvers), avec ses garnisons à Bruxelles, Malines, Anvers, Diest et Louvain.

Le 2ème corps, quartier général à Liège, pour les provinces de Liège, Limbourg et Luxembourg, aurait ses garnisons à Liège, Huy, Beverloo et Hasselt.

Le 3ème corps, quartier général à Mons, pour les provinces de Hainaut et de Namur, occuperait Namur, Charleroy, Mons, Ath et Tournay.

Enfin, le 4ème corps, quartier général à Gand, pour les deux Flandres, aurait ses garnisons à Gand, Bruges, Audenarde, Alost et Termonde.

De cette manière, notre armée ne se trouverait pas disséminée à de trop grandes distances, et si les circonstances venaient à l'exiger, elle pourrait se concentrer tout entière et presque instantanément sur le point qui serait menacé.

La suppression de quelques-unes de ces places fortes permettrait une économie notable sur les etats-majors des places, sur les gardes d'artillerie et du génie.

Je ne veux pas cependant m'arrêter pour le moment à cette économie, parce que les personnes qui occupent les positions à supprimer, devraient nécessairement être placées ailleurs pour ne pas être frustrées de leurs droits acquis. Mais la suppression de quelques places de guerre procurerait immédiatement un avantage supérieur, en ce qu'en conservant au budget de la guerre l'allocation actuelle pour le matériel du génie, on pourrait entretenir constamment dans un parfait état les places fortes qui seraient conservées.

Quant au matériel de l'armée, je pense que la Belgique possède les éléments nécessaires d'une bonne situation dans la fonderie de canons, dans la manufacture d'armes, dans l'arsenal de construction, dans les allocations annuelles pour l'entretien et le renouvellement.

La discipline, telle qu'elle existe actuellement, ne me parait laisser rien désirer. Je ne conteste pas l'utilité d'une prochaine révision du Code pénal militaire. Mais comme ce Code pèche plutôt par exubérances que par des lacunes, la discipline n'aurait pas à souffrir de ce qu'il resterait quelques années de plus en vigueur.

Quant à l'instruction militaire, je trouve, comme M. le ministre de la guerre, que la Belgique peut reposer entièrement sa confiance sur l'école militaire, sur les écoles regimentaires, sur les manœuvres du camp, sur les exercices des garnisons. Lorsqu'on aura substitué aux tirages de milice, un mode de recrutement plus équitable; lorsqu'au lieu de jeunes miliciens arrachés à leurs familles et qui n'aspirent qu'à rentrer dans leurs foyers, l'on aura des volontaires qui cherchent dans l'état militaire une carrière, et qui, pour y parvenir, consentiront volontiers à rester trois ou quatre années sous les armes, nous aurons des hommes formés réellement à la vie militaire, de vrais soldats, et l'armée belge ne le cédera à aucune autre sous le rapport de l'instruction.

C'est ici, messieurs, le moment d'entrer dans quelques détails sur le système de recrutement que je voudrais substituer au tirage de la milice. Je ne m'écarterai pas d'ailleurs en cela de la question qui nous occupe : car le système de recrutement exerce une grande influence sur le montant de la dépense de l'armée.

Il est évident, en effet, que les recrues, pendant les premiers mois de leur instruction, ne sont à l'armée qu'un embarras au lieu d'être une force réelle. Si donc, en changeant de système, on parvenait à réduire le nombre des recrues qu'il faut chaque année appeler sous les armes pour maintenir l'armée au complet, on obtiendrait de ce chef une économie assez considérable.

Si, au lieu d'incorporer chaque année 10,000 miliciens, qui ne restent au service que huit ans, on parvenait à former l'armée en recrutant chaque année 2,500 volontaires qui entreraient au service à 18 ans, et qui pourraient y rester jusqu'à 50, l'on aurait annuellement 7,500 recrues de moins à instruire.

Or, comme les recrues coûtent autant que les anciens soldats, environ 400 fr. par an, si l'on admet qu'il faille aux recrues une année d'instruction avant de devenir une force réelle, l'économie serait alors de 3 millions. Si l'on réduit à 6 mois le temps d'instruction pendant lequel on ne peut pas compter sur les recrues, l'économie sera encore d'un million et demi. Et quand on ne compterait que quatre mois d'instruction pendant lequels nos recrues sont d'aucune utilité pour l'armée, il y aurait encore, à ce changement de système, une économie d'un million.

Je me permettrai donc d'appeler encore une fois l'attention de la chambre sur l'injustice du système actuel de recrutement. Je vois dans le tirage de la milice, tel qu'il est organisé maintenant, une violation flagrante du principe d'égalité devant la loi qui nous est garanti par la Constitution.

En effet, l'armée a deux grandes missions à remplir : la première, de défendre le territoire et l'indépendance nationale contre l'invasion étrangère ; la seconde, d'assurer le maintien de l'ordre et des institutions contre les tentatives de l'anarchie. Si l'invasion étrangère ou l'anarchie venait un jour à s'emparer du pays, il est certain qu'elle ferait supporter à la nation des charges bien autrement lourdes que le budget de la guerre. Mais ces charges, sur qui retomberaient-elles? Elles retomberaient évidemment sur les classes riches, sur les classes aisées et ne feraient que toucher imperceptiblement les classes pauvres.

N'esl-il pas souverainement injuste dès lors, dans l'organisation de la loterie qui fournit les hommes à l'armée et qu'on décore du nom de tirage de la milice, de faire subir au fils de l'ouvrier et au fils du prolétaire les mêmes chances qu'au fils du grand propriétaire, du riche industriel ou du haut fonctionnaire?

Vous signaler cet abus, c'est vous faire reconnaître toute l'urgence d'y remédier.

Si le tirage actuel de la milice fait peser les mêmes chances sur la classe pauvre que sur la classe riche, les résultats sont bien loin de les laisser l'une et l'autre dans la même position. En effet, le milicien désigné par le sort, qui appartient à la classe pauvre, doit se résigner à quitter sa famille, ses affections, son état et à rester privé de la liberté pendant huit ans; tandis que le milicien qui appartient à la classe aisée en est quitte pour prélever sur ses revenus, sur ses économies ou même sur ses menus plaisirs, une somme de 1,200 fr. qui lui suffit pour se faire remplacer, Une telle situation n'est pas évidemment l'égalité devant la loi telle que la Constitution l'entend.

Ce n'est pas que je veuille supprimer les abus du recrutement actuel pour revenir aux abus du recrutement tel qu'il existait en Belgique pendant les derniers siècles sous les dominations espagnole et autrichienne. Loin de moi la pensée de vouloir semer la désolation dans les familles, en établissant, sur tous les points du territoire, des sergents recruteurs, qui ne reculeraient devait aucun moyen pour amener les jeunes gens à des moments de faiblesse et d'égarement et pour leur faire contracter alors des engagements irréfléchis.

Bien loin de moi aussi la pensée de vouloir peupler l'armée de mauvais sujets de profession, ou même de criminels, à qui l'on permettrait d'échanger la prison contre la caserne. Ce n'est pas là ce que je veux. Ce que je veux, c'est de donner plus d'extension, plus d'efficacité aux principes déposés dans la loi de 1817 sur la milice en ce qui concerne les volontaires, et dans les arrêtés récents pris par le gouvernement sur les réengagements. Vous savez, en effet, que dans la première partie de la loi de 1817 on fait un devoir aux administrations communales de prendre les mesures convenables pour fournir autant que possible le contingent par des volontaires.

En attendant qu'une proposition formelle soit déposée sur cette matière, je crois qu'il ne sera pas inutile d'exposer les mesures que je voudrais voir adopter pour que l'année fût tenue constamment au complet à l'aide d'enrôlements volontaires.

Le meilleur moyen, je pense, de faire saisir complètement l'ensemble et la corrélation de ces mesures, c'est de vous les communiquer et de les (page 474) livrer à la publicité en les formulant, telles que je les conçois, en chapitres et articles.

Ces mesures se divisent en trois chapitres, dont l'un traite des volontaires, l’autre du fonds d'encouragement pour le service militaire et le troisième du contingent de l'armée.

Voici, messieurs, ces chapitres :

«Chapitre premier. Des volontaires.

«1. Il y a, au chef-lieu de chaque arrondissement administratif, une commission de recrutement composé, de trois membres, savoir :

«a) Président, le commissaire d'arrondissement, ou en cas d'empêchement, un conseiller provincial désigné par le gouverneur.

«b) Membres, un capitaine et un médecin désignés par le ministre de la guerre.

«La commission de recrutement se réunit le second lundi de chaque mois à dix heures du malin pour procéder à l'examen et à l'admission des volontaires.

«2. De 18 ans accomplis à 35 ans accomplis, tout Belge peut demander à faire partie de l'armée, en remettant au bourgmestre de sa commune sa demande par écrit, son acte de naissance et le certificat litt. F prescrit par la loi du 8 janvier 1817. Le bourgmestre lui en délivre un récépissé indiquant le jour, l'heure et le lieu où il doit se présenter devant la commission de recrutement. Le bourgmestre transmet ensuite les pièces sans retard au commissaire d'arrondissement.

«3. Tout volontaire admis est incorporé immédiatement dans le dépôt de l'arrondissement par le capitaine de recrutement qui lui délivre une permission jusqu'à nouvel ordre pour entrer dans ses foyers en attendant le départ pour l'armée.

«Lorsque le capitaine a reçu les ordres du département de la guerre, il fait notifier au volontaire par le bourgmestre l'ordre du départ indiquant le corps, le lieu, et le jour où il doit se rendre. A défaut de satisfaire à cet ordre, le volontaire est poursuivi comme déserteur.

«4. L'engagement volontaire subsiste de plein droit jusqu'au 31 décembre de la cinquième année après celle dans laquelle l'admission a eu lieu. Il est ensuite continué d'année en année jusqu'à ce que le volontaire demande son congé définitif ou jusqu'à ce qu'il soit réformé. La demande de congé doit être remise avant le 1er novembre au bourgmestre, qui la fait parvenir avant le 10 du même mois au commissariat de l'arrondissement. Le commissaire d'arrondissement transmet le 15 novembre toutes les demandes de son ressort au département de la guerre, en les classant dans des états récapitulatifs distincts pour les divers corps de l'armée. Le département de la guerre fait délivrer les congés le 31 décembre.

«5. Lorsque les volontaires ont acquis une bonne instruction militaire, ils peuvent obtenir des congés jusqu'à nouvel ordre pour rentrer dans leurs foyers. Ils doivent toujours se tenir prêts à rejoindre leurs corps en cas de rappel ; ils doivent s'y rendre chaque année le deuxième lundi d'octobre, pour être exercés pendant trois semaines, à moins qu'ils n'aient déjà été réunis sous les armes pendant l'année; ils reçoivent, à l'expiration de ces trois semaines, un supplément de solde de trente francs pour rentrer dans leurs foyers.

«Quatre ans après leur admission, les volontaires peuvent contracter mariage, sur la production d'un certificat de leur chef de corps, constatant qu'ils ne doivent rien à la masse d'habillement; mais leurs femmes et leurs enfants ne peuvent jamais les suivre à l'armée.

«Chapitre II. Du fonds pour l'encouragement du service militaire.

«Afin de parvenir, autant que possible, à tenir l'armée au complet sans tirages de milice, il est institué un fonds spécial pour l'encouragement du service militaire. Les jeunes gens qui sont parvenus à l'âge d'inscription pour la milice et leurs pères et mères doivent contribuer à ce fonds pour un dixième de leurs revenus de l'année précédente, sans que celle contribution puisse s'élever à plus de 1,200 fr. ni à moins de 60 francs pour chaque inscrit. L'on entend par revenus les produits annuels des biens, capitaux, rentes, actions, mines, usines, industries, commerces, cultures, professions, traitements, salaires, pensions, émoluments, etc.

«7. Le rôle de cette contribution est formé par l'administration communale en même temps que la liste alphabétique prescrite par la loi de 1817, mais la taxation est faite suf ce rôle par une commission de cinq membres qui se réunit le 1er lundi de février au chef-lieu de canton judiciaire. Cette commission, qui est présidée par le juge de paix, est composée en outre de deux membres du conseil communal, qui ont été désignés par le gouverneur, pour signer les certificats de milice et de deux fonctionnaires de l'administration des contributions à désigner par le directeur de cette administration dans la province.

«8. Le registre d'inscription, la liste alphabétique et le rôle sont transmis, avant la fin de janvier, par l'administration communale au juge de paix, qui les fait parvenir au gouverneur aussitôt que la commission a terminé son travail.

«Le gouverneur rend les rôles exécutoires. Le recouvrement en a lieu par les receveurs des contributions sur les inscrits et sur leurs pères et mères dans les délais et suivant le mode usité pour les contributions directes; le recouvrement peut en outre être poursuivi sur les inscrits par la voie le contrainte par corps.

«Les réclamations contre la taxation sont formées, instruites et jugées comme en matière de patentes.

«9. Le fonds spécial créé par l'article 6 est affecté au payement des primes accordées aux volontaires, savoir :

«a. 15 francs le jour de l'admission et de l'incorporation dans le dépôt de l'arrondissement.

«b. 25 francs avec la remise de l'ordre de dépari.

«c. 5 à 53 francs à raison de 5 fr. par mois de service à l'expiration de l'année dans laquelle l'admission a en lieu.

«d. 60 francs à l'expiration de chaque année ultérieure, aussi longtemps que le volontaire fait partie de l'armée sans y avoir le grade d'officier ou de sous-officier.

«Les primes d'admission et de départ seront payées aux volontaires par les receveurs des contributions, sur des mandats délivrés par la commission de recrutement; les primes de fin d'année seront payées par les receveurs de contributions, sur des mandats délivrés par le conseil d'administration du corps, mais elles seront versées à la caisse de retraite pour le compte des volontaires jusqu'à ce qu'ils aient acquis 600 francs de pension viagère prenant cours à l'âge de 55 ans.

«10. Les recettes et les dépenses du fonds spécial créé par l'article 6, seront renseignées dans les comptes des receveurs des contributions. Elles seront récapitulées à la fin de chaque année, dans un compte de situation, qui sera formé par la trésorerie, arrêté par la cour des comptes et communiqué aux chambres législatives. L'excédant ou le déficit de l'année sera porté, en recettes et en dépenses, dans le registre de situation de l'année suivante.

«Chapitre III. Du contingent de l'armée.

«11. Lorsque le contingent de l'armée a été fixé par la loi, le gouvernement en fait la répartition entre les arrondissements et entre les communes, proportionnellement à la population, constatée par la dernière classification, établie en vertu de l'article 19 de la loi communale.

«12. Les chefs des corps font tenir, pour chacun des 41 arrondissements du royaume, un état nominatif des sous-officiers et soldats qui font partie du corps et qui ont été fournis par l'arrondissement comme miliciens ou comme volontaires. Les hommes qui ne peuvent être assignés à aucun arrondissement sont portés sur un 42ème état nominatif.

Les chefs de corps adressent, le 5 janvier, au ministre de la guerre le double des 42 états nominatifs en y joignant un état récapitulatif dont le total doit correspondre à l'effectif du corps au 5 janvier.

«13. Après avoir reçu les états de tous les corps de l'armée, le ministre de la guerre en arrête la récapitulation générale par corps et par arrondissement, ce qui établit la situation du contingent au 5 janvier : cette récapitulation est publiée au Moniteur.

«Le ministre de la guerre transmet les états nominatifs aux commissions de recrutement, qui les communiquent, par extraits, aux administrations communales de leur ressort.

«Les administrations communales prennent copie de ces extraits et les renvoient, avec leurs observations, avant le 1er mars, aux commissions de recrutement; celles-ci renvoient, le 10 mars, les états nominatifs au ministre de la guerre avec les observations qu'elles ont reçues. Le ministre renvoie ces états aux chefs de corps, en prescrivant, s'il y a lieu, les ratifications à y faire.

«14. Le ministre de la guerre arrête le 20 mars une nouvelle situation du contingent, en ajoutant à l'effectif du 5 janvier, les volontaires qui ont été admis dans les arrondissements en janvier, février et mars. Si le contingent du royaume n'est pas encore au complet, le nombre d'hommes qui reste à fournir est réparti entre les arrondissements proportionnellement au nombre d'hommes qui manquent à chaque arrondissement pour compléter le contingent qui lui a été assigné en vertu de l'article 11. La situation des hommes et la répartition qui l'accompagne sont publiées au Moniteur.

«15. Le nombre d'hommes qui restent à fournir par chaque arrondissement, est réparli par la commission de recrutement entre les communes du ressort, proportionnellement au nombre d'hommes qui manquent à chaque commune, pour compléter le contingent qui lui a été assigne en vertu de l'article 11. Si le nombre d'hommes qui restent à fournir par une commune n'est pas complété, par des volontaires admis le deuxième lundi d'avril, il y est pourvu en procédant pour cette commune au tirage au sort et aux opérations ultérieures suivant les lois sur la milice.»

Messieurs, lorsque vous aurez examiné attentivement ce système vous reconnaîtrez qu'il ne peut pas être inefficace. Dans un pays où l'on trouve au-delà des besoins, des douaniers, des gendarmes et des ouvriers mineurs, il n'y a pas le moindre doute que lorsque vous aurez assuré convenablement l'avenir du soldat, comme je propose de le faire, vous ne trouviez un nombre plus que suffisant de volontaires.

Je passe, messieurs, à la force numérique de l'armée.

C'est ici que les opinions se divisent le plus. Les uns pensent que notre organisation acluellc de 80,000 hommes n'a rien de trop pour une bonne défense du territoire et de l'indépendance nationale, malgré l'auxiliaire puissant que l'on trouverait au besoin dans la garde civique, principalement pour le service des places fortes et des grandes villes. Les autres croient, au contraire, que la Belgique, eu égard à ses finances, doit se contenter d'une armée de 40,000 à 50.000 hommes.

Quant à moi, messieurs, bien que je reconnaisse qu'une force de 50,000 hommes, bien exercés, bien disciplinés, bien armés, serait déjà très respectable, j'admets l'opinion que la Belgique a besoin d'une armée plus nombreuse pour pouvoir se dire qu'elle a satisfait à la maxime : Aide-toi, le Ciel l'aidera, et pour avoir le droit de compter sur l'aide du (page 475) Tout-Puissant, aide sans laquelle la meilleure armée n'est qu'une précaution vainc et inutile, un instrument sans valeur et sans force, condamné à l'impuissance et à l'inaction.

Je pense donc que la Belgique doit maintenir son armée au moins à 70,000 hommes, afin d'être toujours prête à tout événement. Mais je pense aussi que, même dans des circonstances telles que celles où nous nous trouvons, la Belgique ne doit pas consacrer au budget de la guerre plus de 25 millions par an, et que si l'Europe venait à retrouver un état de tranquillité complète, le budget pourrait encore être réduit de plusieurs millions.

Ce que j'ai dit précédemment de la réduction du nombre des garnisons à occuper et du nombre de recrues à instruire annuellement, vous fait déjà comprendre, messieurs, de quelle manière je voudrais opérer les économies.

Ces économies, on peut les faire, selon moi, sans rien changer à l'organisation de l'armée, sans réduire le moins du monde sa force réelle. Lorsque vous aurez supprimé les garnisons excentriques, les garnisons perdues, il est évident que vous pourrez réduire le nombre d'hommes qui restent en activité sans rien enlever à la force réellement disponible de l'armée et sans aggraver le service des militaires que vous retiendriez sous les armes.

Vouloir imposer à la Belgique un budget plus considérable par le motif qu'elle doit toujours se tenir prête à tout événement, ce serait à peu près comme si, par un temps nuageux quelqu'un allait se jeter à la rivière, de peur d'être mouille par la pluie qui pourrait survenir, car, à mes yeux, il n'y a pas dejplus grand danger pour la Belgique que d'élever ses dépenses au delà de ses ressources et d'être amené ainsi à devoir faire peser de nouvelles charges sur les contribuables.

J'ai déjà dit, messieurs, que, sans toucher à l'organisation ni à la force réelle de l'armée, on peut réduire dès 1850, le budget de la guerre à 25 millions. Je vous exposerai tout à l'heure, d'une manière plus complète, les mesures que je propose pour arriver à cette économie.

Mais si ces mesures vous paraissaient inadmissibles, je devrais ajouter alors que, dans mon opinion, il vaudrait mieux, dans l'intérêt du maintien de nos institutions, procéder à une révision de la loi d'organisation, et réduire même considérablement l'armée que d'arriver, après avoir tant parlé d'économies, à vouloir faire peser de nouvelles charges sur les contribuables.

M. le ministre des finances déclarait naguère que, malgré toutes le économies que nous pourrions faire, nous serions forcés de voter de nouveaux impôts; je pense et je soutiendrai le contraire.

Le cabinet actuel est incontestablement appuyé par une grande majorité dans cette chambre, et je n'hésite pas à me ranger dans cette majorité ; mais si le cabinet ne savait pas pourvoir à tous les besoins du pays avec des ressources annuelles qui s'élèvent à 115 millions, s'il persistait à vouloir dépenser davantage, soit en proposant de nouveaux impôts, soit en accumulant les déficits, alors je ne craindrais pas de me tromper, en lui prédisant que la chambre ne le suivrait pas dans cette voie, et qu'au besoin le pays saurait bientôt trouver d'autres organes qui sachent reconnaître sa volonté et la faire prévaloir.

Mais revenons au budget de la guerre, et aux économies qu'il peut subir.

L'amendement que je propose s'applique à l'article 12 « infanterie. » J'ai cru que dans les circonstances actuelles il ne pouvait pas s'agir de toucher à l'organisation de l'armée. Les inconvénients que l'organisation actuelle peut présenter sont incontestablement moins dangereux que la révision à laquelle il faudrait se livrer pour les faire disparaître, révision qui laisserait planer sur l'armée, pendant un temps plus ou moins long, une incertitude qui pourrait devenir fatale pour le pays. Je ne vois donc, pour arriver à une économie de quelque importance, d'autre moyen praticable dans le moment actuel, qu'une nouvelle réduction de l'effectif de l'infanterie, ou en d'autres termes, que d'accorder aux soldats d'infanterie un plus grand nombre de congés. Cette mesure, combinée avec la suppression des garnisons inutiles, n'apporterait aucune diminution dans la force réelle de l'armée.

Je propose de réduire de 1,600,000 fr. le chiffre de l'article 12 « Traitements et solde de l'infanterie», et d'ajouter au texte de l'article la disposition suivante :

« Dans les circonstances ordinaires, les bataillons d'infanterie se forment en trois compagnies par l'adjonction de la seconde à la première, de la troisième à la quatrième et de la cinquième à la sixième.

« Les cadres de deux compagnies ainsi réunies font le service à tour de rôle : néanmoins des congés provisoires pour onze mois par an, sauf rappel, peuvent être accordés à ceux qui en font la demande jusqu'à concurrence du tiers des cadres.

« Les officiers cl sous-officiers qui sont en congé provisoire jouissent de la demi-solde. »

Pour arriver à l'économie de 1,600,000 fr., voici de quelle manière j'ai établi mes calculs : le nombre de garnisons que je considère comme perdues et que je propose de supprimer, est à peu près le tiers de celles qui existent en Belgique ; je pense donc qu'on peut, sans diminuer la force réelle de l'armée, réduire d'un tiers le nombre de soldats d'infanterie portés au budget ; les développements du budget de la guerre portent à 3,383,435 fr. la solde des soldats d'infanterie; en réduisant ce chiffre d'un tiers, on aurait une économie de 1,127,818 fr.

La faculté que l'amendement que je propose donnerait à une partie des cadres de l'infanterie de demander des congés provisoires à demi-solde serait certainement mise à profit par un certain numbre d'officiers et de sous-officiers dans chaque régiment.

Je ne crains pas de me tromper, on évaluant à 10,000 fr. par bataillon l’économie à résulter de ce chef; cette économie, je ne la porte pour les 49 bataillons qu'à 472,182 fr. afin d'arriver avec la première économie à la somme ronde de 1,600,000 fr.

Par suite de la réduction du nombre des soldats d'infanterie à tenir sous les armes, il y aurait aussi une légère réduction à faire à l'article 21 en ce qui concerne le pain. Cette réduction reraità peu près de 1,600,000 rations, ce qui à raison de 14 centimes, donnerait la somme de 224,000 francs.

A l'aide de ces deux réductions, sur les articles 12 et 21, nous obtiendrions une économie totale de 1,824,000 francs, et nous arriverions à ne plus avoir pour la guerre qu'un budget de 24,968,000 francs ; alors, je pense que, puisque toute opposition à ce budget viendrait à disparaître, cette réduction satisferait suffisamment aux exigences du public payant; elle n'indisposerait pas le moins du monde le public payé, puisque personne ne serait renvoyé malgré soi. Nous parviendrions ainsi à laisser parfaitement intactes, non seulement l'organisation de l'armée et la force réelle qu'elle présente, mais encore l'action ministérielle et la prérogative parlementaire.

Je crois inutile d'en dire davantage. Si je suis parvenu à me faire bien comprendre, je suis persuadé que la chambre fera un accueil favorable à l'amendement que j'ai cru devoir présenter.

M. Tesch. - Messieurs, le budget de la guerre présente deux questions, l'une d'organisation militaire, l'autre financière.

La première a été traitée par d'honorables collègues qui m'ont précédé dans cette discussion; elle a été traitée par eux mieux que mon incompétence ne me permettrait de le faire. Je n'examinerai donc le budget de la guerre qu'au point de vue de la situation du trésor.

Messieurs, nous ne sommes pas seulement menacés par l'étranger; nous ne courons pas seulement les dangers dont parlait tout à l'heure M. le ministre de la guerre ; mais à l'intérieur aussi, nous sommes en face d'un danger sérieux, réel, permanent, et qui va grandissant d'année en année. A force de regarder ce qui se passe au-delà de nos frontières, nous oublions les périls qui nous entourent dans le pays. Il est bon en politique de ne pas être myope, mais il est bon aussi de n'être pas presbyte.

De l'aveu de tous, notre budget des voies et moyens ne suffit plus pour couvrir nos dépenses; de l'aveu de tous, tous les ans, nous augmentons de plusieurs millions notre déficit.

Messieurs, les dangers d'un pareil état de choses sont tels qu'ils ne peuvent échapper à personne. L'année dernière, M. le ministre de finances, à propos de la loi sur le droit de succession, en a fait un tableau tellement vrai, que je ne recommencerai pas ce travail. Ces dangers, messieurs, sont tellement grands, sont tellement nombreux, que nous ne pouvons trop nous hâter de sortir de la voie dans laquelle nous sommes engagés.

Pour en sortir, nous n'avons que deux issues : faire des économies ou voter des impôts nouveaux. En dehors de l'un ou de l'autre de ces deux moyens, en dehors peut-être de l'un et de l'autre, nous courons directement à la banqueroute.

Le budget de la guerre de cette année ne réalise aucune économie sérieuse sur le budget de l'année dernière. C'est donc 7 à 8 millions d'impôts nouveaux que nous aurons à voter. C'est le chiffre que M. le ministre indiquait dans la discussion que je viens de rappeler, et je rends justice à la franchise de M. le ministre des finances, dans toutes les circonstances, c'est un chiffre dont nous ne rabattrons pas grand-chose. Eh bien, je ne crois pas que la majorité de la chambre soit disposée à voter 7 ou 8 millions d'impôts nouveaux, qui sont indispensables, si nous maintenons le chiffre du budget de la guerre au chiffre où il est porté. On l'a dit bien souvent : quand il s'agit de voter des dépenses, la majorité appuie presque toujours le gouvernement ; mais quand il s'agit de voter des recettes, de voter de nouveaux impôts, cette majorité lui fait défaut, elle a toujours d'excellentes raisons, j'ailais dire de très bonnes échappatoires pour ne pas voter les impôts nécessaires.

Je serais désolé de troubler dans leur quiétude les membres quf sont disposés à voter le budget de la guerre, mais s'ils ne veulent pas donner un dangereux appui au ministère, ils ne doivent voter ce budget qu'avec l'intention bien arrêtée de porter les recettes au niveau des dépenses, ils ne doivent voter ce budget qu'avec l'engagement pris vis-à-vis du pouvoir et du pays d'augmenter les recettes de 7 à 8 millions.

Cet engagement, ces honorables membres l'ont-ils pris? Cette intention existe-t-elle chez eux? Je n'hésite pas à répondre négativement. Quand il s'agira de voter les impôts, de déterminer la matière imposable, chacun aura son système : chacun viendra défendre les intérêts de son arrondissement, et dans ce conflit d'intérêts, les intérêts de l'Etat seront sacrifiés.

Le gouvernement proposera un droit sur les successions; on lui répondra : Frappez le tabac et la bière. Si le gouvernement vient demander une loi à cet effet, on lui dira : Augmentez le droit sur le sucre et le café. Et chacun évitera ainsi de voter de nouveaux impôts et saura concilier ce que j'appellerai la popularité civile avec la popularité militaire.

Je n'invente rien. Voyez ce qu'ont dit la plupart des orateurs que vous avez entendus jusqu'à présent en faveur du budget de la guerre.

M. Rodenbach disait hier qu'à aucun prix il ne voterait de nouveaux impôts. Je demanderai au gouvernement : Est-ce là pour lui un appui ? L'honorable M. Julliot, sauf le budget de la guerre, ne veut de rien et, (page 476) sous le prétexte de ne pas désorganiser l'armée, il désorganise tous les autres services de l'Etat. Je demande encore une fois au gouvernement s’il croit pouvoir accepter les ressources que lui indique M. Julliot. Quant à l'honorable M. Dumortier, pour lui l'équilibre existe entre les recettes et les dépenses; mais il sait certainement aussi bien que moi, lui qui depuis ai longtemps est membre de cette chambre, que cet équilibre n'est que fictif, et qu'arrivé au bout de l'exercice il est rompu. Mais cette absence d'équilibre l'inquiétera peu. L'honorable membre ne sera pas embarrassé, et prendra sur le chemin de fer les sommes nécessaires pour payer l'armée ; sur le chemin de fer dont, à plusieurs reprises, le ministère a déclaré ne pas vouloir exhausser les tarifs.

De sorte qu'en dernière analyse, nous serons dans la position où nous nous trouvons, position que tout le monde trouve déplorable, insupportable.

Quelle que soit la minime part de responsabilité que mon vote assume sur moi, je déclare n'en pas vouloir. Je trouve cet état de choses beaucoup plus dangereux que toute réduction qu'on voudrait opérer sur l'armée, car il paralysera l'armée au moment où il faudrait s'en servir; il rendra intiles tous nos sacrifices, infructueux tous les efforts que nous faisons pour la maintenir.

Messieurs, pour justifier ce que j'avance, il me suffit d'examiner quelle est la position actuelle du trésor, quelle est notre situation financière. Nous avons 36 millions de déficit. Quand nous arriverons au bout de l'année, il sera porté au moins à 40 millions. Je suppose un événement qui rende nécessaire le rassemblement de l'armée ; la première conséquence en sera de jeter la crise dans le pays, et la première,conséquence de cette crise sera de vous obliger à rembourser une partie de ces 40 millions que vous devez en ce moment. Où prendrez-vous cet argent ? Vous le demanderez à la propriété, à l'emprunt forcé, car c'est là seulement que vous pouvez aller le prendre.

Quand vous aurez frappé le pays des premiers emprunts forcés, fatigué le pays pour payer la dette que vous avez en ce moment, vous n'aurez pas un liard, je ne dirai pas pour entrer en campagne, mais pour faire les premiers préparatifs de l'entrée en campagne. Si vous aviez les 80 millions du roi de Prusse dont parlait M. le ministre de la guerre, je comprendrais votre système; mais, si pour payer l'armée on doit toujours puisera la même source, multiplier les emprunts forcés, vous courez des dangers plus grands que ceux que vous irez conjurer à la frontière.

J'ai observé de très près ce qui s'est passé en 1848 ; si, après les deux emprunts forcés, ou avait dû recourir à un troisième emprunt, et cette éventualité se serait présentée si l'armée avait dû rester sous les armes, ce troisième emprunt, vous ne seriez pas parvenus à le faire rentrer, vous auriez été arrêtés le jour même où vous auriez dû marcher.

Je n'accuse pas le patriotisme du pays, mais il est des sacrifices qui ont leurs limites, limites d'autant plus étroites,qu'alors qu'ils sont imposés au pays, les circonstances arrêtent le travail, paralysent toute transaction, déprécient toutes les valeurs, tarissent toutes les sources de la fortune publique et privée.

Je le répète donc, s'il est des dangers à l'extérieur, il est aussi des périls à l'intérieur. C'est à les conjurer que, chambre et gouvernement, nous devons nous appliquer. Pour arriver à ce but, je crois que le gouvernement doit tenir compte de l'état du pays, de ses ressources. Je crois que le gouvernement doit tenir compte de l'opinion de la majorité, non seulement quand elle vote des dépenses, mais aussi quand on demande des recettes. Je crois que le gouvernement doit abandonner un système trop absolu avec lequel il finira par compromettre la situation de l'armée, la situation du trésor et par conséquent la situation du pays tout entier.

Je crois, d'un autre côté, que la chambre est disposée à voter de nouveaux impôts surtout s'ils n'atteignent pas la terre qui, selon moi, paye tout ce qu'elle doit et peut payer.

En diminuant ainsi nos dépenses, en élevant d'un autre côté nos recettes, nous parviendrons à rétablir l'équilibre financier qui n'existe pas en ce moment. Tant que le gouvernement n'entrera pas dans cette voie, je voterai contre le budget de la guerre.

M. Devaux. - Messieurs, l'orateur qui vient de se rasseoir n'a vu, dans ce débat, qu'une question financière. Sous ce rapport, il a le même point de vue que la section centrale, le même point de vue que les auteurs de plusieurs propositions qui vous sont soumises. C'est toujours la même prétention d'absorber la grande question de notre établissement militaire dans une question financière. C'est toujours ce procédé qui consiste à pourvoir d'abord à tous les autres besoins de l'administration, puis à donner au budget de la guerre ce qui reste.

Messieurs, c'est précisément ce que je viens combattre de toutes mes forces.

L'argent, je le veux bien, est beaucoup dans le monde; mais ce n'est pas tout. Quelque part que l'on fasse à son influence, il est dans la vie de l'homme et dans celle de la société des actions qu'il faut savoir y soustraire.

Si un homme, si une nation venait à changer de foi religieuse par la considération que sa première religion lui coûtait trop, ne croyez-vous pas que cet homme, que cette nation serait digne de mépris? Si au Congrès constituant, avant qu'il dotât le pays d'un parlement, un membre s'était levé et avait subordonné la question de l'existence des deux chambres à celle de la dépense annuelle qu'elles nécessiteraient, n'eût-il pas été la risée du Congrès, la risée du pays?

Il y a des questions, messieurs, qui s'élèvent plus haut.

Il y a, en Belgique» trois grandes bases de l'indépendance nationale : la Constitution, la royauté, l'armée, et ces bases il faut les soutenir; il faut savoir faire les sacrifices qu'elles exigent.

Le budget de la guerre s'élève à 27 millions et demi, c'est beaucoup, dit-on, c'est le quart du budget de l'Etat. Oui, c'est une grande dépense; oui, c'est le quart de celles que nécessité toute l'administration de l'Etat. Et vous trouvez cela extraordinaire? Vous trouvez cela anormal ? Savez-vous ce qui est extraordinaire? Savez-vous ce qui se présente rarement ? C'est que l'armée n'absorbe que le quart des revenus d'un Etat. Savez-vous que, dans la plupart des Etats de l'Europe, la dépense de l'armée s'élève au tiers ou à la moitié du budget général ? Il est très peu d'Etats où elle ne coûte que le quart, et moins encore où elle coûte moins que le quart.

Cela n'est-il pas naturel?

Quels sont donc les besoins les plus indispensables d'un pays, d'une société ? Pourquoi, messieurs, les hommes se soumettent-ils à un gouvernement? Pourquoi se réunissent-ils en société? Pourquoi les familles qui habitent un territoire ne demeurent-elles pas isolées? Mais, avant tout, pour se garantir des violences de l'intérieur et des violences de l'extérieur. L'ordre intérieur, la sûreté extérieure, voilà, messieurs, le premier but de la société. Garantir un pays des violences et des désordres au-dedans, le défendre contre les attaques du dehors; voilà le premier devoir d'un gouvernement ; voilà les besoins primordiaux de la société. La justice d'un côté, la force armée de l'autre chargée de faire que force reste à justice dans l'intérieur du pays; qu'au-dehors toute agression violente soit repoussée, voilà les deux premiers devoirs d'un gouvernement, voilà les deux parties les plus indispensables du budget d'un Etat quelconque.

Messieurs, auprès de ces deux dépenses, la justice et la force armée, toutes les autres dépenses sont pour ainsi dire du luxe. Tous les autres budgets d'un Etat pourraient à la rigueur, et en poussant la chose à l'extrême, être supprimés. Il resterait encore un gouvernement, une société plus ou moins civilisée, il est vrai, mais enfin une société resterait, un gouvernement resterait. Mais si vous supprimez la justice et la force armée, non seulement il ne reste plus de gouvernement, mais il ne reste plus d'état social.

Je ne puis donc consentir à laisser absorber la question qui nous occupe dans une simple discussion de chiffres budgétaires. Quand on veut être nation indépendante, quand on veut avoir l'honneur de s'appartenir à soi-même comme nation, il faut savoir faire les frais de cette indépendance. Oh ! sans doute, il est plus commode de ne pas se préoccuper de ce soin coûteux. Mais quand on veut être peuple indépendant, il faut savoir faire les frais de sa nationalité. Il faut les faire à tout prix. On peut certainement être sévère dans l'appréciation de ces frais; mais une fois leur nécessité reconnue, il faut les subir.

Voulez-vous être indépendants ou bien ne voulez-vous l'être qu'à certain prix et pas à un autre?

Voulez-vous, comme la section centrale, que la défense de notre indépendance, quelles que soient ses nécessités, ne dépasse pas une dépense déterminée à priori, ne dépasse pas 25 millions? La section centrale veut bien de l'indépendance du pays, mais à condition qu'elle ne coûtera pas plus de 5 fr. 75 c. par tête. Si elle doit coûter six francs par habitant, notre indépendance lui paraît trop chère. (Interruption.)

Messieurs, la charge est-elle véritablement si lourde qu'on la fait? Est-il vrai que nous soyons accablés sous le fardeau du budget de la guerre ? Est-il vrai, comme on l'a dit et comme on le redit, que la nation est épuisée par ce terrible budget? Mais sommes-nous donc si loin du chiffre de la section centrale? Y a-t-il donc tant de peuples qui payent moins que nous pour leur budget de la guerre? Sommes-nous donc les plus pauvres des peuples de l'Europe? I

Nous payons, messieurs, par tête, 6 fr.16 c. pour le budget de la guerre, soit, si vous le voulez, avec la marine et y compris la gendarmerie, à peu près 6 fr. 40 c.

Ce taux est-il donc si extraordinaire? Sommes-nous autrement faits que tous les autres peuples ou payons-nous plus que ne paye le reste de l'Europe pour la même dépense?

Voyons ce qui se passe chez nos voisins.

Je vois qu'en Hollande, l'armée de terre, à elle seule, coûte, à raison de 6 fr. 89 c. par tête, et en y joignant la marine, qui est aussi la défense extérieure de l'Etat, elle coûte 10 fr. 36 c. par habitant.

En France, les forces de terre coûtent par habitant 9 fr. 77, et chez nous, je le répète, elles coûtent 6 fr. 40 c. En y joignant la marine, la dépense, en France, est de 12 à 13 fr.

En Angleterre, c'est encore pis; la dépense est, pour les forces de terre, de 8 fr. 69 cent., en y joignant la marine, 14 fr. 53 cent, par tête.

En Prusse, on paye 5 fr. 94 cent. De nos quatre voisins, c'est le seul pays qui paye moins que nous. Mais en Prusse vous savez qu'une partie de l'armée s'équipe elle-même, et d'ailleurs le système prussien impose, à d'autres égards, des charges telles que personne n'oserait le demander pour la Belgique.

Ainsi, messieurs, sommes-nous plus grevés de ce chef que les autres peuples? Nous le sommes moins que ceux qui nous entourent,

Je demande pourquoi nous ne pouvons supporter pour le soin de notre indépendance ce que supportent les autres nations. Je demande ce qu'il y a d'extraordinaire à ce que nous fassions pour notre indépendance une partie de ce que l'on fait ailleurs. Est-ce que l'indépendance nationale, est-ce que l'honneur national d'un Belge ne vaut pas l'honneur national d'un Français ou d'un Hollandais ? (Interruption.) J'entends des murmures. C'est la question.

(page 477) Est-ce que la France ne fait pas plus de sacrifices pour sa défense extérieure que nous? Est-ce que la Hollande...

M. Manilius. - La Belgique est un pays neutre.

M. Devaux. - Je répondrai tout à l'heure à l'argument de M. Manilius. Je le prie de ne pas m'interrompre.

Je demande si la Hollande ne fait pas plus de sacnlices pour sa défense extérieure que nous?

Je demande si l'Angleterre ne fait pas plus de sacrifices que nous, si la Prusse ne fait pas plus de sacrifices que nous? Eh bien ! peut-on dire que la Belgique soit plus pauvre que tous ces Etats? Le Belge est-il plus pauvre que le Hollandais, que le Français, que l'Anglais, que le Prussien? Le Belge a-t-il moins de patriotisme, moins de dévouement? Est-ce que nous serions plus avares, par hasard?

Je ne connais aucun argument qui puisse démontrer que ce que fait un Hollandais, un Français, un Anglais, un Prussien pour l'honneur et l'existence de son pays, un Belge ne puisse pas le faire.

Messieurs, c'est par raison d'économie, nous disait l'honorable M.Tesch tout à l'heure, qu'on veut réduire le budget de la guerre. C'est à raison des impôts, c'est pour combler le déficit! Mais il y a ici une difficulté. L'année dernière, l'orateur de l'opposition qui a eu le principal rôle oratoire dans cette discussion, l'honorable M. d'Elhoungne, nous a dit que s'il s'opposait au budget de la guerre, ce n'était pas du tout pour faire des économies, pour empêcher ia création de nouveaux impôts, que c'était pour affecter les fonds qu'on accordait au département de la guerre à une autre destination; et il nous a fait connaître cette destination ; que vient- on donc nous dire aujourd'hui? Qu'il s'agit de combler un déficit ou d'empêcher la création d'impôts nouveaux.

Messieurs, on veut des économies. Et qu'avez-vous entendu? Quel est le système qu'on vous propose de mettre à la place de celui que l'on combat? Jusqu'à présent deux orateurs ont seuls ébauché très vaguement un système. Eh bien, quel est ce système? quelle est la base de ce système? Il consiste à maintenir les hommes deux fois plus de temps sous les armes qu'on ne le fait aujourd'hui. Je conçois qu'il soit utile de maintenir les hommes deux fois plus de temps sous les armes; mais si vous les tenez deux fois plus de temps sous les armes, vos hommes vous coûteront deux fois plus.

Evidemment ce système est un système plus coûteux que celui qui existe aujourd'hui. Ce n'est qu'en réduisant le chiffre total de l'armée que vous pourrez même compenser la différence; car la réduction de quelques cadres serait bien loin d'y suffire.

Je parlerai tout à l'heure de la réduction de l'effectif de guerre de l'armée; mais quant au système qui consiste à maintenir les hommes deux fois plus de temps sous les armes, il est certain que le système actuel est beaucoup plus économique, et que vous n'en sortirez qu'en dépensant davantage.

Messieurs, il est un genre d'économies dont on s'est jusqu'ici fort peu préoccupé dans cette discussion, ce sont celles qu'on fait en préservant le pays des invasions étrangères.

On vient de vous dire qu'il ne faut être ni myope, ni presbyte. Mais il ne faut pas voir bien loin pour apercevoir les dangers qui existent autour de nous.

La Belgique est, pour ainsi dire, un pays d'invasion étrangère; à toutes les époques elle y a été exposée et, il faut le dire, trop souvent il n'a pas été fait en Belgique ce qui aurait dû y être fait pour la défense du territoire. Ce n'est pas les Belges qu'il faut en accuser : car ils ne se gouvernaient pas eux-mêmes.

Pour ne pas parler des invasions qui ont désolé et saccagé la Belgique, sous Louis XIV, et dans le cours du dernier siècle, rappelons-nous seulement ce qui s'est passé à la fin de ce siècle, et nous verrons quelle économie il y a à ne pas savoir se défendre avec succès contre l'ennemi; nous verrons ce que coûte une invasion.

En 1794 la Hollande fut envahie, la Hollande, qui a souvent lésiné aussi sur ses forces de terre; savez-vous ce que l'invasion de 1794 a coûté pécuniairement à la Hollande ? Les traités sont là pour l'attester, elle a coûté 200 millions, 100 millions de florins..

Une autre nation (et beaucoup de pays de second ordre avaient donné dans la même erreur, pendant les années de paix qui précédèrent la révolution française), la Suisse avait aussi négligé sa défense militaire; elle fut envahie en 1798, et voulez-vous avoir un échantillon de ce que cette invasion lui a coûté, de l'économie qu'elle lui a value ? Le seul canton de Berne, qui ne vaut pas une de nos provinces, a été taxé à l'instant même, par les envahisseurs, à une contribution de 42 millions.

Mais, messieurs, pourquoi aller si loin? En 1794, quand la Belgique fut envahie, savez-vous ce que lui a coûté l'invasion? A peine les envahisseurs furent-ils arrivés qu'ils imposèrent à la ville de Bruxelles une contribution de 5 millions, payable dans les 24 heures. La ville de Bruxelles ne fut pas capable de payer cette contribution dans les 24 heures, mais elle la paya en 3 mois.

Anvers fut taxée à 10 millions, Gand à 7, Namur à 5, Bruges à 4, Tournay, à 4, Courtray à 3, Louvain à 2, Ostende à 2, Malines à 1.

Voilà, messieurs, les dépenses contre lesquelles une armée a pour but de garantir un pays. Et je ne vous parle pas de toutes les réquisitions en nature qui se font dans une invasion; celles-là s'élèvent bien au-delà des 80 mil ions auxquels la Belgique fut taxée à cette époque.

D ailleurs, messieurs, aujourd'hui, avec nos industries si multipliées, avec le crédit qui joue un si grand rôle, l'invasion étrangère et le chômage de centaines de milliers d'ouvriers entraîneraient, en bien peu de temps sans impositions ni vexations aucunes, une perte sèche de 50 ou de 100 millions.

Messieurs, notre organisation militaire ne dût-elle prévenir qu'une seule invasion par siècle, nous gagnerions encore à ne pas refuser ce qui est nécessaire pour la défense complète du pays.

Messieurs, de pareils événements sont-ils aujourd'hui si improbables ? Que de chances de guerre dans l'Europe entière ! La France, notre voisine, n'est-elle pas un volcan qui fume? Depuis plusieurs mois, n'y croit-on pas à un coup d'Etat? Eh bien, messieurs, si ce conflit a lieu, quel en sera le résultat?

Très probablement le gouvernement qui triomphera sera ou une contrefaçon de la Convention nationale ou une imitation de l'empire, c'est-à-dire, dans les deux cas, un pouvoir qui suivra les traditions d'un gouvernement conquérant et qui avait prescrit la limite du Rhin et l'incorporation de la Belgique parmi les premiers articles de sa foi politique.

Ce n'est pas assurément prévoir les malheurs de bien loin que d'apercevoir aujourd'hui de pareils dangers.

Messieurs, il n'y aurait qu'une manière d'arriver à une économie notable sur l'armée: c'est, comme je le disais tout à l'heure, de réduire considérablement l'effectif en temps de guerre. Tant que vous ne réduirez pas l'effectif en temps de guerre, vous n'arriverez qu'à des économies insignifiantes. Supprimez quelques cadres, quelques officiers, vous arriverez à une économie de quelques centaines de mille francs; mais si vous voulez des millions, il faudrait trancher dans l'effectif de guerre de l'armée. C'est par là seulement que vous trouveriez des économies notables.

Eh bien, messieurs, c'est là aussi qu'arrive l'honorable M. Thiéfry. L'honorable M. Thiéfry glisse sur ce côté de la question. Il propose de tenir les hommes sous les armes deux fois plus longtemps qu'aujourd'hui; mais comment couvrira-t-il ce surcroît de dépenses. Il ne peut espérer de le faire par une simple diminution des cadres; il faudra qu'il affaiblisse notablement la force générale de l'armée. Il augmentera l'effectif des compagnies en temps de paix; mais il diminuera l'effectif total de l'armée en temps de guerre.

Je ne sais pas de combien d'hommes l'honorable M. Thiéfry veut réduire cet effectif; j'ai bien écouté l'honorable membre, mais je n'ai pu le découvrir. J'ai entendu dire hier par un honorable orateur qui a parlé à mes côtés, que c'était à 60,000 hommes que l'honorable M.Thiéfry voulait réduire la force de l'armée sur le pied de guerre ; si l'honorable M.Thiéfry voulait me dire si c'est là son chiffre, il m'obligerait... (Interruption) M. Thiéfry refuse de faire connaître son chiffre, de sorte qu'il m'est impossible de dire si son projet n'entraînerait pas une dépense de plus. L'honorable M. Osy a dit hier qu'il voulait réduire l'effectif de l'armée à 60,000 hommes.

M. Thiéfry. - C'est inexact.

M. Devaux. - M. Thiéfry dit que c'est inexact ; le meilleur moyen de le prouver, ce serait de dire son chiffre. Mais il ne veut pas le dire.

L'honorable M. Thiéfry ne voulant pas dire son chiffre, je suis bien forcé de raisonner sur celui de M. Osy.

Ces 60,000 hommes ne seront pas, par une singulière faveur de la Providence, préservés de toute maladie; il y aura dans cette armée, comme dans toute autre, des hommes hors de service; eh bien, en évaluant à un sixième ce déchet, il restera 54,000 hommes. Or, l'honorable M. Thiéfry a dit que la défense des forteresses exigeait 50,000 hommes; il resterait donc 4,000 hommes à mettre en ligne devant l'ennemi. Cela est-il sérieux? (Interruption.)

L'honorable M. Thiéfry va me dire peut-être qu'il faut démolir les forteresses ; c'est très bien, mais c'est là une grande et difficile question que la chambre ne voudra pas résoudre par son vote, en donnant son approbation au système de l'honorable M. Thiéfry.

D'ailleurs, êtes-vous bien sûr qu'en démolissant, on arriverait à une économie et non à des charges nouvelles? Si on démolit, on ne peut pas agir au hasard, mais il faut avoir un système complet de défense, et rien ne garantit qu'en démolissant d'un côté, il ne faudra pas construire d'un autre ; rien ne garantit que si on dégarnit la frontière de forteresses, il ne faudra pas ou fortifier Bruxelles, ou étendre Anvers ; et l'économie sous ce rapport pourrait encore une fois dégénérer en dépense.

Cet effectif de 80,000 hommes que, quoi qu'on fasse, il faut réduire si l'on veut réduire les dépenses de l'armée d'une manière notable, est-il donc si considérable? Cela fait la cinquante-quatrième partie de la population; que voyons-nous sous ce rapport chez les autres peuples? La France compte la cinquantième partie de sa population dans son effectif de guerre ; la Bavière, la quarante-huitième ; la Prusse, la quarante-deuxième; la Hollande, la quarante-deuxième ; la Sardaigne, la trente-sixième; la Suède, la trentième; le Danemark, la vingt-neuvième.

Ici encore une fois, comme pour la dépense de l'armée, nous faisons moins que d'autres. Proportionnellement a notre population, notre effectif de guerre est inférieur à celui de la plupart des autres nations de l'Europe, et cependant on veut le réduire encore et le réduire notablement.

Je ferai de nouveau la question que j'ai déjà faite. Pourquoi, au nom (page 478) du Ciel, ne pouvons-nous faire pour notre existeuce, notre sûreté, notre honneur national, ce que font les autres peuples? N'avons-nous pas autant d'intérêts à défendre et autant de courage pour les défendre ? Sommes-nous autrement constitués? Qu'on me dise donc le motif de cette différence, la raison de cette infériorité qu'on veut nous infliger?

Messieurs, non seulement nous ne devrions pas faire moins que les autres peuples, mais nous avons des raisons pour faire plus qu'aucune autre nation. Ces raisons, c'est d'abord que notre nationalité est la plus jeune des nationalités de l'Europe; c'est ensuite que nous sommes entourés de voisins plus puissants que nous. On conçoit qu'un peuple puissant, entouré de voisins plus faibles, fasse moins de frais pour sa défense que les peuples faibles contre un voisin puissant.

Un autre motif : c'est que nous avons hérité du royaume des Pays-Bas 28 forteresses; le garde de ces forteresses exige un grand nombre d'hommes.

Enfin, et ici j'arrive à l'interruption de l'honorable M. Manilius, nous sommes neutres.

C'est une raison, non de faire moins, comme le prétend l'honorable membre, mais de faire plus pour notre défense extérieure que les autres peuples. Je croyais que nous avions fini avec cet argument de la neutralité tant de fois combattu et réfuté dans cette enceinte.

N'est-il pas clair comme le jour que si vous n'étiez pas neutres, vous pourriez, au moment où la tempête s'amasserait, vous allier à un voisin; vous pourriez compter sur lui; mais par cela seul que vous êtes neutres, par cela seul dès lors que vous ne pouvez pas vous allier à l'une des parties belligérantes, par cela seul que vous devez faire face par vous-mêmes aux premiers efforts de la lutte, par cela seul vous êtes tenus de faire plus pour votre défense que si vous pouviez vous appuyer sur un allié.

Je ne pense pas qu'on vienne encore soutenir que nous devons nous reposer sur les autres puissances du soin de notre défense extérieure.

Messieurs, les hommes qui abandonnent à d'autres le soin de leur existence ne s'appellent pas hommes libres. Ce sont les esclaves des colonies. Une nation qui abdique la défense de son indépendance et de son honneur n'est plus digne du nom de nation et se couvre de mépris. (Applaudissements.)

M. le président. - J'invite les tribunes à ne pas prendre part à la discussion; si ces manifestations se renouvelaient, je ferais exécuter le règlement.

M. Devaux. - Messieurs, n'y a-t-il pas là une objection qui vous frappe? Nous sommes plus menacés que d'autres peuples, et en réalité, nous faisons moins qu'eux pour notre sûreté.

N'y a-t-il pas là quelque chose qui inquiète votre patriotisme? Ne vous dites-vous pas qu'au lieu de peser ainsi sans cesse sur ceux qui sont à la tête de nos forces militaires, pour les pousser à faire des économies tous les ans et à tout prix; ne vous dites-vous pas que nous devrions avoir ici une autre préoccupation encore, que nous devrions nous demander si le gouvernement fait assez pour la défense du pays?

J'avoue que j'ai eu souvent cette préoccupation; je me suis souvent demandé si le gouvernement faisait assez pour la défense du pays.

Rappelez-vous, messieurs, qu'il y a quelques mois, le général Négrier, qui, à l'époque de l'affaire de Risquons-Tout, commandait les forces de l'armée française dans le département du Nord, comparut devant une commission d'enquête de l'assemblée nationale; là, ce général dit qu'il n'avait reçu aucun ordre du gouvernement, pour l'invasion de la Belgique, mais que, s'il en avait reçu, en trois jours il eût été à Bruxelles. Je suis persuadé que les choses se seraient passées autrement que ne l'a dit le général Négrier. Cependant, je l'avoue, cette déposition du général français n'a fait une impression assez vive.

Il y a, messieurs, dans notre organisation militaire une grave question qui reste trop inaperçue ; c'est la question des forteresses.

N'y a-t-il pas là un grand danger?

Je ne veux pas m'étendre sur cette question; je n'ai pas le droit de la traiter; mais il y a peut-être lieu de concevoir des inquiétudes, de l'indécision même où elle a été trop longtemps laissée.

J'avoue que cette déposition du général français m'a fait une impression assez vive.

Messieurs, j'ai déjà plusieurs fois recommandé cette question au gouvernement. Je la lui recommande encore. Il est plus que temps qu'il s'en occupe; elle est difficile , je le sais.

Il faut du temps et beaucoup de maturité et de prudence pour la résoudre, mais cependant, messieurs, il faut l'étudier avec la volonté d'arriver à une solution; il faut l'aborder sans parti pris, avec le désir d'arriver à une économie si on le peut, mais aussi sans reculer devant l'idée de faire pour la défense du pays tous les sacrifices qui sont indispensables.

Je ne proposerai pas de nommer une commission de la chambre pour examiner cette matière; je ne proposerai pas de nommer une commission d'enquête, je demande que le gouvernement l'examine; il est seul compétent, il peut seul l'examiner par lui-même. Je ne veux pas introduire violemment une telle mesure par un vote sur le budget.

Je pense qu'il faut être plus circonspect ; c'est surtout dans ce qui concerne l'organisation militaire, que nous devons pousser la circonspection plus loin qu'à l'égard de tous les autres départements. Nous devons en cette matière influer bien plus souvent par nos paroles, par nos conseils, que par un vote direct qui pourrait désorganiser ce que nous voudrions améliorer.

C'est, à mon avis, le tort de l'honorable M. Thiéfry; sa loyauté, j'en suis persuadé lo lui fera reconnaîtra quund il aura plus d'expérience de nos rapports avec le gouvernement. Plusieurs de ses observations méritent certainement de fixer l'attention du gouvernement. Mais au lieu d'être les prémisses d'un vote hostile au budget de la guerre, si elles avaient été suivies d'un vote favorable , leur influence n'en eût été que plus grande, car nous influons ici non seulement par nos votes, mais aussi par nos conseils; si on les néglige, répétons-les, et si la raison est de notre côté, nous finirons par l'emporter sans recourir à une mesure aussi extrême que le rejet du budget d'une armée, ou l'institution d'une commission d'enquête qui, lorsqu'il s'agit de l'armée, est peut-être une mesure plus grave encore.

On a proposé une commission d'enquête, j'en veux moins encore que du rejet du budget. Une commission d'enquête, c'est trois humiliations à la fois : l'humiliation de l'armée, l'humiliation du gouvernement, l'humiliation de la chambre.

C'est l'humiliation de la chambre, parce qu'une commission d'enquête en cette matière ne fera que constater l'impuissance et l'inaptitude dè la chambre; humiliation de l'armée, parce qu'en prenant une mesure d'un tel éclat, c'est déclarer à la face de l'Europe que nous considérons notre armée, telle qu'elle est organisée, comme incapable de défendre le pays. C'est plus que cela, cette mesure a une certaine odeur de Convention nationale. (Interruption.)

Vous ne pouvez vous enquérir du système actuel et des services qu'en sachant ce qui se passe dans l'armée; il faudra donc envoyer des commissaires parlementaires dans l'armée ; c'est ce que faisait la Convention ; je vous demande ce que deviendra l'autorité du gouvernement ; votre enquête provoquerait tous les mécontents de l'armée à venir vous éclairer de leurs lumières, ce serait un coup fatal porté à l'esprit de discipline.

Si vous n'avez pas confiance dans le ministre de la guerre, il ne faut pas l'humilier, il faut le renverser; on peut renverser le chef de l'armée, on ne doit jamais l'humilier.

Messieurs, croyez-vous que dans les circonstances actuelles ce ne soit rien que d'avoir à la tête de l'armée un homme qui a sa confiance et qui la justifie si noblement ? Croyez-vous que ce soit marcher dans la voie des économies que d'entrer dans celle des remaniements ministériels et du fractionnement des partis ? Pensez-vous avoir trop fait pour l'ordre et la tranquillité du pays? Le pays a été admirable, mais c'est à vous à être à la hauteur de votre rôle, à ne pas le tenter, à ne pas commencer imprudemment un jeu dangereux dont on ne peut, dans les circonstances actuelles, prévoir toutes les suites.

On vous parle des exigences de l'opinion publique. Messieurs, il y a deux opinions publiques. L'une qui n'écoute pas la raison, qui se passionne avant de raisonner, qui s'engoue aujourd'hui de ce qu'elle méprise demain , qui encense demain ce qu'elle maudira après-demain. Cette opinion , messieurs , malheur à ceux qui la redoutent ou qui s'y dévouent! il y en a une autre qui est quelquefois incertaine au début, qui s'éclaire peu à peu, qui pèse les raisons, qui lorsqu'elle s'est formée reste fidèle à ses convictions; celle-là, messieurs, cette opinion raisonnable, on peut toujours compter sur son triomphe en Belgique. Jamais encore le bon sens du pays ne nous a fait défaut. Son éducation politique s'est faite d'une manière admirable depuis vingt ans. Ce pays depuis sa renaissance à la vie politique, nous l'avons vu se former avec un bon sens merveilleux, et s'éclairer successivement sur chaque grande question politique. S'il en est encore un petit nombre sur lesquelles la pensée publique peut paraître en retard, ne craignez rien, elle se formera, elle est en marche ; ce qui s'est passé depuis deux mois vous le prouve; plusieurs d'entre vous en retournant dans leur province ont été étonnés de ne pas trouver, au sujet du budget de la guerre, l'opinion telle qu'ils la croyaient; elle avait marché depuis le rapport de la section centrale, elle marchera encore à la suite de cette discussion.

Messieurs, je suis de ceux qui depuis 20 ans ont assisté ici et aidé de leurs mains à la fondation de la nationalité belge, qui ont veillé sur son sort avec anxiété, qui ont suivi ses progrès avec bonheur. A son début, elle paraissait bien frêle, elle inspirait bien peu de sécurité, elle excitait bien des inquiétudes et rencontrait bien des incrédulités. Que d'obstacles elle avait à surmonter.

Il fallait d'abord triompher d'un roi appuyé sur une armée et sur tout un peuple. Elle en a triomphé.

Il fallait triompher des traités et des grandes puissances qui les avaient conclus. Elle y a réussi.

Il fallait créer des institutions nouvelles, nous étions bien inexpérimentés, que d'erreurs nous pouvions commettre ! Les institutions dont le congrès a doté le pays se sont trouvées excellentes.

Il fallait que la nation, privée de vie politique pendant plusieurs siècles, se montrât dès son réveil au niveau de ces institutions, et la nation s'est trouvée la plus apte du continent au régime de la liberté.

Il fallait une administration nouvelle composée d'hommes nouveaux. Cette administration ne s'est pas montrée au-dessous de sa tâche.

Il fallait former une armée, ce qui est si difficile dans toutes les circonstances; il fallait former une armée dans un pays où il n'avait pas existé de drapeau national, et en quelques années cette armée est devenue un modèle d'instruction, de discipline et de patriotisme.

Il fallait une dynastie nouvelle; cette dynastie, nous ne la connaissions pas; elle pouvait être un obstacle. Aujourd'hui, cette dynastie et le pays se serrent l'un contre l'autre et se fortifient l'un l'autre par leur lien mutuel.

Il fallait triompher de nos divisions intérieures. Nous étions divisés en (page 479) Wallons et en Flamands; cette division pouvait s'envenimer; elles n’ont fait que s'effacer de plus en plus. Nous avions un parti hollandais un parti français. Tous deux sont venus se fondre aujourd'hui dans le grand parti de la nationalité.

Il fallait une majorité, une minorité. Il fallait que la majorité et la minorité fissent l'apprentissage des institutions politiques; que jamais minorité n'eût l'idée de recourir à aucune violence. Nous avons pratiqué nos institutions politiques comme si elles dataient de plusieurs siècles.

Enfin, il fallait nous faire une position respectée en Europe. L'Europe nous dédaignait; elle ne prenait au sérieux ni nos institutions, m surtout notre indépendance ; il fallait vaincre ces préventions. Aujourd'hui nos institutions sont admirées, notre esprit national est compris, notre indépendance est respectée, et aucun peuple n'est placé plus haut dans l'estime de l'Europe entière.

Ainsi cette masse d'obstacles qui s'élevaient devant nous à notre début, nous les avons tous surmontés; et après tant de bonheur, tant de succès, et ce serait nous qui irions aujourd'hui créer des dangers de nos propres mains! Lorsque le vertige qui a parcouru l'Europe entière est venu expirer à nos frontières devant le bon sens et la moralité de nos populations, c'est nous qui, par des résolutions imprudentes et dont nous ne pouvons prévoir les conséquences, irions risquer d'inoculer le vertige à la nation. Non, messieurs, vous ne vous laisserez pas traîner à une politique imprévoyante et irréfléchie. Vous qui tenez en main les précieuses destinées de la patrie, vous continuerez de briller sur son avenir avec la prudence de l'homme d'Etat, avec le patriotisme éclairé du vrai citoyen belge.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée a quatre heures trois quarts.