Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830
VAN KALKEN Frans - 1910

Retour à la table des matières

Frans VAN KALKEN, Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830

Chapitre XI. La régence (24 février – 21 juillet 1831)

Nomination d'un régent (24 février). Désorganisation des pouvoirs publics et démoralisation générale. Les conspirations orangistes (février-mars). Réaction anti-orangiste. Rapports tendus entre la Belgique et les puissances. Rapprochement entre le Congrès national et la Conférence. Le prince Léopold de Saxe-Cobourg. Son élection comme roi des Belges (4 juin). Traité des XVIII Articles (26 juin). - Débats au Congrès à ce sujet (1er-9 juillet). Inauguration de Léopold Ier (21 juillet)

(page 203) Pendant la semaine qui suivit le refus de Louis-Philippe, le désarroi dans les sphères gouvernementales fut absolu. Après l'échec que venait de subir sa politique, le Gouvernement provisoire devait disparaître. Le Congrès décida de le remplacer temporairement par un régent et, le 24 février, il confia cette dignité à son président, le baron Erasme-Louis Surlet de Chokier, administrateur du département de la Meuse-Inférieure sous le régime français, député de Hasselt au Corps législatif, de 1812 à 1814, mêlé ensuite à tous les grands débats politiques comme représentant du Limbourg, sous le règne de Guillaume Ier (1).

C'était un homme intègre, bon et désintéressé, mais sa douceur et sa timidité eussent dû l'écarter d'un poste où il était nécessaire de déployer une énergie peu commune, d'agir presque en dictateur. (page 204)

La situation du pays, tant extérieure qu'intérieure, était désastreuse et réclamait impérieusement des changements. Le Congrès national persistant dans son refus d'accepter les protocoles de janvier, ses rapports avec les puissances restaient tendus. Guillaume, tout en respectant l'armistice, entretenait aux frontières une armée nombreuse sur le pied de guerre. Dans nos provinces même, tout était à créer. Malgré leur zèle, ni le Gouvernement provisoire, ni le Congrès n'avaient pu, en quelques mois, organiser une armée, les finances, la justice, l'enseignement et agencer le mécanisme, d'une complexité si grande, de tous les rouages administratifs. Pendant les dernières semaines l'attention s'était à tel point concentrée sur la rivalité des partisans de Nemours et de Leuchtenberg que tout travail d'élaboration en avait été suspendu. L'incertitude dans laquelle se trouvait le peuple avait fortement réagi sur sa mentalité : il vivait dans un état de crainte et de surexcitation continuelles, se défiait des autorités, s'alarmait au moindre faux bruit. La faiblesse du pouvoir, l'absence de sanctions pénales favorisaient le développement des germes anarchiques ; dans l'armée, l'indiscipline se traduisait par des mutineries ; la presse publiait des articles poussant aux violations de loi les plus flagrantes ; la populace troublait la paix des débats parlementaires par des manifestations et des interruptions lancées du haut des tribunes publiques du Congrès ; parfois même elle rappelait par sa brutalité la canaille qui domina la Convention à certains jours sombres de la révolution française (Sur la situation générale au début de la Régence, voir WHITE, La Révolution belge, t. III, pp. 81 et suiv.

Agissant avec tact et fermeté, Surlet eût probablement pu ramener au calme beaucoup d'esprits, car (page 205) il était sympathique au peuple : après sa prestation de serment, le 25 février, la foule avait dételé sa voiture pour la traîner, hommage auquel ce vieillard modeste s'était dérobé, tout effaré, pour continuer à pied sa route (Détails sur cette inauguration, voir Th. JUSTE, Le Régent, pp. 88 et suiv).

Le 26, s'était constitué le premier de nos cabinets, celui du ministre de la Guerre Goblet, assisté de MM. Van de Weyer, Gendebien, Tielemans et Ch. de Brouckere. Tous étaient animés des meilleures intentions, mais le prestige de certains d'entre eux, ainsi que celui du régent d'ailleurs, avait trop souffert de l'échec de la candidature Nemours ; ils n'avaient plus l'autorité nécessaire pour se faire respecter comme il convenait. A peine au pouvoir, ils eurent à lutter contre un double courant insurrectionnel, celui des républicains et celui des orangistes. Les premiers figuraient dans certains corps de volontaires turbulents dont l'ardeur combative, (page 206) fort précieuse en temps de guerre, dégénérait en instincts de maraudage pendant les loisirs que leur procurait l'armistice. Les corps francs de Mellinet, à l'armée de la Meuse, provoquaient spécialement des plaintes par leurs déprédations. Le brave et actif Charles Rogier, que l'on envoyait partout où il y avait de l'agitation à calmer, du danger à écarter, que nous rencontrons à la mi-octobre 1830, comme délégué du Gouvernement provisoire, dans le Borinage soulevé (DISCAILLES, Ch. Rogier, t. II, pp. 33 et 34), puis, à la fin du même mois, auprès de Chassé, lors du bombardement d'Anvers, avait, en février 1831, été envoyé en mission auprès de Mellinet (ibid., t. II, pp. 100 et suiv., 121 et suiv). Ses exhortations, ses menaces même furent inutiles : en mars, il fut obligé d'enlever à cet officier supérieur son commandement et de licencier ses soldats mutinés, désarmés par les lanciers de la garnison de Namur ainsi que par la garde civique de cette ville.

D'autre part, les orangistes relevaient la tête. Malgré le décret du 24 novembre, l'Angleterre espérait encore que le prince d'Orange serait finalement choisi comme roi des Belges. Par l'intermédiaire de son ambassadeur à Bruxelles, lord Ponsonby, elle travaillait activement, depuis janvier, en faveur de ce prince anglophile, et cette campagne subreptice plaisait à l'entourage du roi Guillaume. « Cela écarterait bien des difficultés, » écrivait, le 24 janvier, au sujet de sa réussite éventuelle, Falk, ambassadeur des Pays-Bas à Londres, à son ami Van Lennep. Soit par des conversations particulières qui leur faisaient regretter le régime hollandais ou craindre une mainmise française, soit à prix d'argent, l'habile Ponsonby était parvenu, encore sous le Gouvernement provisoire, à s'assurer le concours d'un certain nombre (page 207) d'officiers, surtout de carrière, « hommes qui devaient tout à la révolution », comme l'écrivait Chazal à Firmin Rogier, en une missive indignée, stigmatisant ces transfuges que la révolution « avait tirés de la fange pour les élever au faîte du pouvoir » (DISCAILLES, Un Diplomate belge : Firmin Rogier, t. Ier, pp. 89 et suiv. Billets divers, échangés entre les deux Rogier et Chazal. Voir notamment celui de Chazal à Firmin Rogier, du 30 mars 1831).Dans ce cas se trouvait Grégoire, Français de Charleville, autrefois médecin sans clientèle à Spa et à Bruxelles, menant une vie d'expédients jusqu'au jour où le Gouvernement provisoire l'avait promu d'emblée au grade de lieutenant-colonel (28 octobre 1830). Parti de Bruges avec deux cents hommes, le 1er février, il était entré à Gand, le 2, à midi, dans le but de fomenter un soulèvement avec l'appui du conseil communal et des notables. Sa tentative avait échoué grâce à la vigilance de quelques pompiers et du commandant Van de Poele ; sa petite colonne avait été dispersée, lui-même emprisonné et le conseil remplacé, le 4, par une commission de sûreté qui avait mis la ville en état de siège (Détails, voir DE BAVAY, Histoire de la Révolution belge, pp. 231 et suiv.).

Pendant la Régence, lord Ponsonby redoubla ses efforts. Il acquit le concours du général baron van der Smissen, gouverneur de la province d'Anvers, de plusieurs nobles, officiers de haut grade, notables et membres du Congrès, tant à Anvers qu'à Bruxelles. A la fin du mois de mars, lorsqu'il les eût bien engagés dans son jeu et compromis, il leur proposa subitement de substituer au prince d'Orange le prince Léopold de Saxe-Cobourg ! Décontenancés par cette volteface, les conspirateurs perdirent courage et, peu de jours après, l'énergique colonel Clump faisait avorter leur tentative aussi piteusement que les précédentes (Détails, cf. Ibid., pp. 236 et suiv.à

Ces intrigues, d'autres encore, moins importantes mais grossies par la rumeur publique, semaient la défiance parmi les officiers, démoralisaient la jeune armée belge, inquiétaient la nation, restée, dans son ensemble, sincèrement patriotique. Une réaction violente devait fatalement se produire. La chute du cabinet Goblet, déchiré par des dissentiments intérieurs, le 20 mars, en marqua le début.

Le 23, dans la soirée, se forma à Bruxelles une « Association nationale de Belgique », dans laquelle nous retrouvons Gendebien, Tielemans, Lesbroussart, Bartels, Plaisant, Van der Meere (FRIS, III, pp. 205 et 206). Ce club, dont les ramifications s'étendaient en province, prétendait exercer vis-à-vis du gouvernement un contrôle analogue à celui qu'exerçait l'ancienne Réunion centrale sur la commission de sûreté publique. Son but était d'opposer des mesures défensives aux agissements des orangistes et de réclamer la guerre immédiate avec la Hollande. Beaucoup de volontaires, d'officiers, de soldats de toutes armes, de bourgeois sollicitèrent d'y être admis, éblouis par la campagne fiévreuse des journaux, exposant des plans d'opérations chimériques où tombaient coup sur coup entre nos mains Bréda, Bois-le-Duc et Nimègue ! Surexcités par l'exaltation belliqueuse de leur ambiance, les gens du peuple, dans toutes les grandes villes du pays, se mirent à traquer les personnes soupçonnées de porter de la sympathie à la maison de Nassau, et à piller leurs habitations. A Bruxelles, les troubles durèrent du 24 au 28 mars. A Gand, le prolétariat, contraint au chômage par suite de l'emploi récent des métiers, nourrissait contre le patronat orangiste une haine soulevée par des considérations économiques autant que politiques. Le 25 mars, des maisons particulières, (page 209) des fabriques, des bureaux de rédaction de feuilles hollandophiles, furent saccagés sous les yeux des autorités impassibles.

Pour expliquer son attitude, le baron de Lamberts, gouverneur de la Flandre orientale, fournit cette justification cruelle et indigne d'un Etat civilisé : « Lorsque les malveillants viennent de nouveau abuser de la liberté de la presse pour exciter le peuple au désordre par la haine, il est du devoir des autorités de déclarer que ni gardes civiques, ni forces militaires ne sont instituées pour défendre les ennemis de la cause nationale. C'est au Messager de Gand à calculer les suites de son esprit hostile à la chose publique ; il reste responsable devant le peuple de ses provocations. Le téméraire qui brave la vindicte publique se met volontairement hors la loi du moment qu'il veut en courir la chance... » (DE BAVAY, Histoire de la Révolution belge, pp. 242 et 243). A Liége, l'Echo subit le sort du Messager de Gand. Décrivant les saccages qui caractérisèrent les journées d'émeute du 28 et du 29 mars dans la cité mosane, Constant Materne disait à Firmin Rogier : « Le mouvement, d'abord tout à fait politique, n'a pas tardé... à se nuancer d'une teinte de pillage. C'était vers la fin un horrible libertinage d'avidité, une dégoûtante scène de brigandage... (DISCAILLES, Un Diplomate belge : Firmin Rogier, t. Ier, p. 92. Lettre de Liége, 9 avril 1831). »

Ces désordres et d'autres analogues, à Malines, à Ypres, à Mons, à Anvers, ne prirent fin qu'au moment où le pouvoir exécutif se décida à faire preuve d'énergie. L'anarchie gouvernementale avait cessé le 28, par la constitution d'un ministère que présidait Lebeau. Cet homme politique remarquable, détenteur du portefeuille des Affaires étrangères, prit avec ses collègues, MM. De Sauvage, Barthélemy, De Brouckère, d'Hane De Steenhuyze et Devaux, des mesures radicales qui ramenèrent aussitôt le calme.

(page 210) Bien qu'offrant à l'Europe le triste spectacle de ses dissentiments et paraissant incapable de conserver une indépendance si chèrement conquise peu de mois auparavant, la Belgique gardait vis-à-vis des puissances une attitude décidée qui ne laissait pas de les surprendre. Tout faible qu'il fût, le régent n'hésitait pas à défendre les prétentions du pays sur la Flandre zélandaise, le Limbourg et le Luxembourg. « Nous avons commencé notre révolution malgré les traités de 1815, » disait-il dans une proclamation du 10 mars, « nous la finirons malgré les protocoles de Londres... Luxembourgeois... acceptez l'assurance que vos frères ne vous abandonneront jamais. »

Le parti de la guerre se livrait à de violentes attaques contre le gouvernement français, prétendant qu'il avait « deux fois forfait à sa parole, en refusant le duc de Nemours et en adhérant aux protocoles ». Le général Sébastiani, ministre des Affaires étrangères, ne pouvait nécessairement tolérer semblable langage et critiquait l'Association nationale, traînant « à sa suite le meurtre et le pillage », selon ses propres paroles, avec d'autant plus d'ostentation que par là il blâmait indirectement les violents clubistes et pêcheurs en eau trouble de sa propre patrie. Mais, vis-à-vis des autorités belges, les représentants de l'Angleterre et de la France à Bruxelles restaient dans une expectative courtoise. Ils manifestaient bien, par intervalles, l'intention d'en finir avec un statu quo menaçant de s'éterniser ; en fait, ils ne donnaient pas suite à leurs avertissements et cherchaient même à calmer l'impatience des autres États représentés à la Conférence. Lord Ponsonby et le général Belliard, successeur de Bresson en qualité d'envoyé extraordinaire du gouvernement français à Bruxelles, depuis le 4 mars, travaillaient de leur mieux en faveur d'une solution qui donnerait satisfaction à tous les partis en présence.

(page 211) Grâce à Joseph Lebeau, ces efforts furent couronnés de succès et ce ne fut pas là le moindre titre de gloire de cet éminent homme d'Etat. Par son éloquence persuasive, il parvint, au début d'avril, à convaincre le Congrès national (Note de bas de page : A la suite des troubles de fin mars, le Congrès national s'était, de lui-même, maintenu au pouvoir jusqu'à la solution du problème gouvernemental et au retour de l'apaisement. Ce fut là une sorte de coup d'État extrêmement opportun (12 avril).) de la nécessité d'une réconciliation entre la Belgique et les puissances, même au prix d'une intervention européenne dans la question du choix d'un souverain, et il attira l'attention de nos Constituants sur celui qui, depuis peu, était devenu le candidat favori de l'Angleterre : le prince Léopold-Georges-Chrétien-Frédéric de Saxe-Cobourg (FRIS, III, pp. 207 et 208; LEBEAU, Souvenirs personnels, pp. 131 et suiv).

Né à Cobourg, le 16 décembre 1790, ce prince avait fait son apprentissage militaire dans l'armée russe, pendant la troisième coalition. A l'époque où Napoléon Ier dominait l'Europe, il avait fait preuve d'une grande indépendance de caractère en n'imitant pas la servilité de la plupart des souverains de la Confédération du Rhin à l'égard de l'empereur et il s'était, avec empressement, joint aux forces du tsar Alexandre envahissant la Prusse, au début de 1813. Il avait révélé ses hauts talents militaires à Bautzen, Lützen, Leipzig et pendant la campagne de France, puis s'était, après la conclusion de la paix, rendu en Grande-Bretagne, s'était fait naturaliser Anglais et avait, le 2 mai 1816, épousé l'héritière du trône, Charlotte, fille du prince de Galles. Veuf déjà l'année suivante, il était resté très en faveur à la Cour de Hanovre et avait été nommé successivement duc de Kendall, feld-marshall et membre du Conseil privé. Esprit pondéré et clairvoyant, il avait, le 21 mai 1830, (page 212) refusé le périlleux honneur de monter sur le trône de la Grèce, pays à peine affranchi du joug turc et déjà troublé par de violentes discordes civiles. L'Angleterre poussait vivement sa candidature à la royauté belge auprès des gouvernements européens, depuis que les troubles de mars 1831 avaient démontré que jamais nos pères ne consentiraient à retourner sous l'autorité des Nassau.

C'est qu'en effet le choix de ce prince présentait de très réels avantages au point de vue tant européen que national. Couverts par les garanties constitutionnelles, les catholiques n'avaient pas à craindre que leur futur souverain, appartenant au culte réformé, pût choquer leurs convictions en faisant du prosélytisme protestant. D'ailleurs, ils se proposaient d'obtenir de lui qu'il fît élever ses enfants catholiquement. Une députation dont faisaient partie De Brouckere, Vilain XIIII, Félix de Mérode et l'abbé de Foere, partit donc, en avril, pour Londres, et fut reçue, le 22, à Marlborough House, luxueuse résidence du prince (Cf. pour détails LEBEAU, Souvenirs personnels, pp. 270 et suiv. Correspondance diplomatique avec De Brouckère et Vilain XIIII). Prudemment, Léopold subordonna son acceptation de la couronne à la reconnaissance des protocoles de janvier par les Belges. Ceux-ci s'y refusant, les premières négociations échouèrent. Malgré cet insuccès, malgré les menaces de Guillaume Ier et de la Conférence, le gouvernement et le peuple firent alors preuve d'une admirable persévérance. Tout en ne se laissant pas entraîner par les extravagants du parti de la guerre, ils persistèrent dans leur refus d'abandonner leurs frères du Limbourg et du Luxembourg et feignirent d'ignorer les mercuriales des puissances. Le 4 juin, le Congrès national élut Léopold comme souverain, par 152 voix sur 195.

Tandis qu'une (page 213) députation de dix membres se rendait en Angleterre, chargée d'informer le nouveau roi de l'acte posé par notre Assemblée constituante, Nothomb, Lebeau, Devaux, Van de Weyer, déployaient la plus brillante activité diplomatique auprès des grands Etats de l'Europe, pour les amener à partager nos vues. Leur zèle, favorisé sous main par Léopold Ier, fut enfin récompensé. L'Angleterre, satisfaite du succès remporté par son candidat, pesa sur les délibérations de la Conférence qui, d'autre part, voyait avec déplaisir Guillaume Ier devenir agressif. Le 26 juin, enfin, les puissances consentaient à tenir compte, dans la mesure du possible, des intérêts primordiaux de la Belgique, en formulant les préliminaires de paix connus sous le nom de « Traité des XVIII Articles » (MARTINET, Léopold Ier, pp. 57 et suiv., en donne le texte). La frontière de 1790 était maintenue mais les Belges pouvaient compter, presque avec certitude, obtenir lors d'un règlement définitif : Maastricht, les villages de « généralité » limbourgeois et le Luxembourg - province dont le sort ferait l'objet de négociations spéciales. En outre, le partage des charges financières se ferait « de manière à faire retomber sur chacun des deux pays la totalité des dettes qui, originairement, pesait, avant la réunion, sur les divers territoires dont ils se composent et à diviser dans une juste proportion celles qui ont été contractées en commun ».

Il restait à faire accepter ces préliminaires par tous les Belges. C'était à cette condition seulement que Léopold consentait à devenir notre roi. La lutte à ce sujet fut encore acharnée. Les députés limbourgeois et luxembourgeois auraient voulu une solution plus nette et surtout immédiate. Ils furent appuyés, dans leurs protestations, par tous les éléments mécontents : annexionnistes français, républicains, partisans de la (page 214) guerre et de la conquête du sud de la Néerlande, orangistes. Au Congrès national, tous ces opposants étaient décidés à faire bloc, pour amener la chute du cabinet Lebeau.

Le 1er juillet, des débats mémorables s'ouvrirent par ces paroles de Van Snick, député d'Ath, futur conseiller à la cour d'appel de Gand : « On a demandé quel serait le député qui oserait prendre la responsabilité morale de proposer l'adoption des XVIII Articles ; je suis, Messieurs, ce député, et je crois faire une bonne action. J'ai rédigé ma proposition ; je prie M. le Président d'en donner lecture. » (Détails, voir JUSTE, Le Congrès national, t. II, chap. XIII). Du 1er au 5, l'opposition, faisant preuve d'une violence rare et renforcée par les clameurs du public des tribunes, parut devoir triompher. Au dehors, la foule manifestait, surexcitée par les tacticiens de la presse et les stratèges de l'Association nationale. Des menaces de mort étaient proférées à l'adresse du chef du cabinet. Dans la nuit du 1er au 2 juillet, le général Le Hardy de Beaulieu, membre du Congrès, esquissa, à la tête de la garde civique de Grammont, un petit pronunciamiento, mais il fut fait prisonnier par ses propres hommes. Le 5, les avocats De Souter et Spilthoorn, membres du Congrès également [Note du webmaster : ces deux personnes n’étaient pas congressistes], partirent de Gand vers la capitale dans l'intention de dissoudre l'Assemblée nationale, conduisant une bande armée de faux à la polonaise. Ils furent arrêtés et désarmés par le général de Wauthier (DE BAVAY, Histoire de la Révolution belge, pp. 255 et suiv).

Le désordre était donc à son comble lorsque, ce même 5 juillet, Lebeau, dans un discours patriotique, évoqua l'image du petit Etat belge disloqué dans le chaos d'une conflagration générale. Ses paroles furent si élevées, si empreintes d'un cachet de poignante sincérité que, brusquement, un revirement se produisit (page 215) dans l'Assemblée et dans le pays (LEBEAU, Souvenirs personnels, préface de Fréson, pp. 71 et suiv). Acclamé par les tribunes, félicité par ses collègues, honoré de sérénades et d'articles élogieux, l'éloquent ministre eut la satisfaction de voir, le 9 juillet, le Congrès accepter les XVIII Articles, par 126 voix contre 70. Le lendemain, lui et son principal collaborateur, Devaux, démissionnaient, considérant leur tâche comme accomplie.

Rien ne s'opposant plus à sa prise de possession du pouvoir, Léopold Ier quitta Londres le 16 juillet (Détails intéressants sur ce voyage dans LEBEAU, Souvenirs personnels, pp. 146 et suiv.)

Reçu solennellement à la frontière, entre Dunkerque et Furnes, il fut chaleureusement accueilli sur tout le parcours de son voyage. Le 19, il allait s'établir au château de Laeken. Ce même jour et le lendemain, le Congrès national terminait ses travaux en rétablissant le jury et en votant un crédit sur les délits de presse politiques. Dans la nuit du 20 au 21, nos constituants se séparaient, sans démonstrations emphatiques, calmes et dignes, émus encore au souvenir des dangers traversés en commun, mais fiers d'être parvenus à les vaincre. Le 21 juillet, le nouveau souverain fit son entrée à Bruxelles par la porte d'Anvers, à cheval, au son des cloches et des salves d'artillerie, précédé et suivi d'un cortège où figuraient soldats, gardes civiques, pompiers et blessés de Septembre. A la place Royale, sur le terre-plein de l'église Saint-Jacques-sur-Coudenberg, le régent et les membres du Congrès national attendaient l'arrivée du prince, qui prêta, à ciel ouvert, le serment de fidélité à la Constitution et aux lois, devant une foule immense et enthousiaste.

Aucune manifestation discordante ne vint troubler cette journée radieuse, la première d'un règne (page 216) pacifique et heureux. Elle remplit de joie cette majorité saine et ferme de la nation belge qui avait, durant les crises des mois précédents, su rester calme devant les excitations à la guerre des exaltés sans cependant renoncer à ses prétentions politiques. Les événements du 21 juillet furent salués avec satisfaction en Angleterre. Ils consacraient, en somme, le triomphe de la politique de Palmerston. La France ne retirait de toutes ces complications politiques et diplomatiques, enfin résolues, que le consentement des puissances au démantèlement des places fortes établies, en 1815, par la Sainte-Alliance et menaçant sa frontière septentrionale : Charleroi, Mons, Ath, Tournai et Menin. Bien que ce ne fut là qu'un avantage assez mince, Louis-Philippe en fit l'annonce aux Chambres, le 23 juillet, avec une certaine ostentation.

Retour à la table des matières