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Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830
VAN KALKEN Frans - 1910

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Frans VAN KALKEN, Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830

(Paru à Bruxelles en 1910, chez J. Lebègue et Compagnie)

Chapitre VI. Les derniers mois avant la révolution (janvier-août 1830)

Hésitations et contradictions du gouvernement, au début de l'année 1830. Le second procès De Potter (avril). Tension politique (mai-juin). Les « Trois Glorieuses » à Paris et leur influence sur les événements de Belgique. Le parti français. La situation générale à la veille de la révolution.

(page 106) Le 11 décembre 1829, Guillaume Ier avait exposé dans quelles limites toute revendication des oppositions devait se cantonner à l'avenir, sous peine de lui apparaître comme injurieuse pour sa dignité et attentatoire au salut de l'État. L'Union n'en conserva pas moins son programme intégral tel que l'énumérait le second pétitionnement. Et comme les Belges continuaient, par loyalisme, à placer autant que possible le souverain au-dessus des querelles de la politique, leurs attaques visèrent surtout Van Maanen, ce ministre de la Justice, que, dans le style emphatique de l'époque, on nommait tantôt « l'affreux haut justicier », tantôt « le mauvais génie du roi » ou même le « dictateur ».

Après ses déclarations de principe dans le « Message royal », le gouvernement - à moins de capituler - ne pouvait plus adopter d'autre attitude que celle de la sévérité répressive contre des sujets insoumis et décidés à ne jamais partager sa manière de voir. Le maintien de son autorité dépendait de sa fermeté. Or, pas plus que l'année précédente, Guillaume ne sut se tracer une ligne de conduite rigoureuse.

Dans les premiers mois de 1830, les concessions partielles succèdent aux concessions : le 12 mai, un impôt sur (page 107) le café - réclamé par les Belges - est établi ; le 27, les funestes décrets du 14 juin et du 14 août 1825 sont enfin complètement retirés, ce qui, bien loin de la calmer, porte au comble la fièvre combative du clergé (FRIS, t. Ier, p. 139) ; le 4 juin, l'emploi facultatif de la langue française dans les cours et tribunaux, ainsi que dans les administrations, est de nouveau autorisé ; le 5 juillet, un arrêté proclame l'inamovibilité de la magistrature (DE BAVAY, Histoire de la Révolution belge, p. 129) ; le gouvernement élabore un Code pénal moins sévère, tolère des amendements atténuant sa nouvelle loi sur la presse, retire un projet de loi sur l'enseignement... En résumé, Guillaume donne donc satisfaction à l'opposition sur la plupart des points de son programme, mais il lui refuse toute concession au sujet de ses revendications capitales : la liberté de l'enseignement, la liberté de la presse, la responsabilité ministérielle. Par là, il compromet son prestige en annihilant l'un après l'autre ses anciens décrets, sans cependant parvenir à désarmer ses antagonistes.

De plus, il maintient obstinément Van Maanen au pouvoir et continue à réagir contre la campagne des journalistes. En avril notamment, un nouveau procès intenté à De Potter, mit tous les esprits en ébullition (FRIS, t. Ier, pp. 137 et 138.). Ce publiciste, purgeant aux Petits-Carmes sa peine de dix-huit mois de prison, prononcée le 20 décembre de l'année précédente, était laissé fort libre dans sa cellule. Il y écrivait des brochures et recevait beaucoup d'amis. Inspiré par un de ceux-ci, François Tielemans, référendaire au ministère des Affaires étrangères, il fit paraître, dans le Courrier des Pays-Bas du 3 février, un projet de « confédération (page 108) patriotique », caisse de cotisations créée pour indemniser les victimes de l'arbitraire gouvernemental, sorte d' « assurance mutuelle contre tous les coups du pouvoir », imitée d'une institution irlandaise. Six jours plus tard le parquet opérait une perquisition et découvrait, parmi les papiers de l'imprudent pamphlétaire, les preuves manifestes de la complicité de Tielemans. Celui-ci eut beau prétendre n'avoir conçu qu'une utopie, il fut prévenu d'avoir voulu créer dans l'État : « un État qui aurait, sans mission légale, contrecarré, miné et renversé le pouvoir du gouvernement ».

Après un procès aux débats passionnés et malgré les efforts de Van Meenen et de Van de Weyer, dont les plaidoiries furent remarquables, De Potter, Tielemans, Bartels, celui-ci coupable d'avoir approuvé la confédération dans le Catholique des Pays-Bas, et De Nève, imprimeur-éditeur, furent condamnés par la cour d'assises du Brabant, respectivement à huit, sept, sept et cinq années de bannissement (30 avril). Trois jours après le prononcé de la sentence, Libry faisait paraître, grâce à une communication officieuse, deux volumes contenant toute la correspondance particulière échangée entre les deux principaux condamnés ! Les exilés, après avoir en vain protesté contre cet acte inqualifiable, quittèrent le pays, emportant les plus vives sympathies (DE POTTER, Souvenirs personnels, t. Ier. Détails sur la situation des quatre condamnés en exil, cf. chap. XII, XIII, XIV). Et pendant qu'au-delà des frontières ils subissaient mille petites vexations, imaginées par le mauvais vouloir des autorités prussiennes, la Belgique restait dans l'état d'effervescence provoqué par les derniers événements : les libelles violents se multipliaient (En voir un exemple dans JUSTE, La Révolution belge, t. Ier, p. 196), la comparaison de Guillaume Ier et de (page 109) son ministre favori avec Philippe II ou Charles Ier et d'Albe, Strafford ou Calonne devenait d'usage courant (BLOK, Geschiedenis, p. 434) ; à la Chambre on échangeait des apostrophes grossières. Le gouvernement commit alors une dernière faute : le 21 juin, il fixa le siège de la nouvelle Haute Cour de justice à La Haye, alors que, de 1820 à 1830, les cours d'appel de Bruxelles et de Liége avaient traité 9,434 affaires civiles et commerciales, contre 1,940 cent quarante causes jugées, dans le même laps de temps, à La Haye.

On le voit une fois de plus par cet exemple : c'était le roi lui-même qui était surtout responsable de l'aggravation lente mais constante de la situation. Par ses décrets imprudents, inopportuns, souvent même inconstitutionnels, il avait soulevé contre lui l'opinion publique. Prétendant à l'infaillibilité et ayant éloigné de son entourage les conseillers au caractère indépendant, il avait longtemps cru que l'agitation en Belgique ne pouvait être que superficielle, que la population y était menée par une « poignée d'agitateurs », formulant des « griefs imaginaires ». Les réclamations persistantes de l'opposition ayant enfin eu raison de son entêtement et mis un terme à ses railleries, il était entré dans la voie des concessions, mais trop tard. On ne lui avait su aucun gré de ses dispositions conciliantes, de ses remaniements incomplets, de ses capitulations brusques, succédant parfois à une irréductibilité qui avait paru invincible. Sa manière de faire capricieuse et manquant de netteté avait donné l'impression de la faiblesse, de l'inconséquence ; elle avait enhardi l'Union et l'avait conduite à inscrire dans son programme des desiderata plus étendus. D'où l'exaspération du prince, (page 110) fulminant à nouveau contre les meneurs, s'efforçant de les dompter par des poursuites sévères. Mais le mécontentement s'était développé à l'état endémique chez les Belges. S'exagérant le danger là où il ne le fallait point, ne sachant le prévoir là où il résidait, Guillaume usait ses meilleures forces dans cette lutte, dont chaque escarmouche constituait pour lui un échec et dont l'aboutissement, déjà prévu par quelques diplomates ainsi que par des Hollandais clairvoyants, comme Thorbecke, allait lui être fatal (Voir l'avis de certains diplomates sur la situation en Belgique, à la veille de la révolution, dans POULLET, Relations inédites sur les débuts de la révolution belge. Revue générale de Belgique, numéro de novembre 1897, p. 620).

Cependant, remarquons-le bien, en juillet 1830, six mois après la lecture du « Message », la situation politique générale du royaume ne comportait aucun élément essentiel nouveau. Le gouvernement s'en tenait toujours à son point de vue ; l'Union persistait dans son opposition légale par la plume et par la parole, sans appel à la violence. Le mot « révolution » n'était encore apparu que dans quelques libelles anonymes ; les Belges restaient loyaux sujets de la maison d'Orange. Ce fut à ce moment que se produisit un événement d'une importance mondiale.


Exaspéré par les ordonnances du ministre de Polignac, le peuple de Paris se souleva et après trois journées de combat (27-29 juillet) chassait du trône Charles X. Ces faits devaient avoir un grand retentissement dans nos provinces. La génération libérale de 1825-1827 s'était pénétrée des principes de 89 ; les journaux, très francophiles, parfois rédigés par des Français, faisaient participer notre bourgeoisie à la vie quotidienne de nos voisins du Sud. Déjà en 1828, Lagrange, agent officiel du (page 111) gouvernement français à Bruxelles, pouvait écrire : « La passion dominante des Belges est de vouloir toujours ressembler aux Français, et c'est un des traits de leur caractère qui présente le plus de difficultés à un gouvernement qui désire toujours les isoler de tout contact avec leurs voisins. » (COLENBRANDER, De Belgische omwenteling, p. 145). Or, après les « Trois Glorieuses », le gouvernement de Louis-Philippe instaura un régime conforme aux aspirations des libéraux belges. Fatalement, ceux-ci devaient plus que jamais s'orienter vers la France, opposer le régime nouveau au règne de Guillaume Ier, comparer Van Maanen à de Polignac, unir aux cris de : « Vive la liberté ! » ceux de « Vivent les Français ! »

La révolution de Juillet créa en Belgique une sorte d'ambiance insurrectionnelle, fortifiée dans son opposition par les exemples qu'elle venait d'avoir sous les yeux. L'Union se prit à envisager la nécessité d'un soulèvement, dans le cas où Guillaume persisterait indéfiniment à ne pas lui donner satisfaction sur les points capitaux de son programme. L'atmosphère politique devint donc orageuse (BUFFIN, Documents inédits, p. 4. Staedtler au prince d'Arenberg, Bruxelles, 12 août 1830).

En outre, à côté de ces conséquences générales du mouvement parisien, il y en eut une très particulière, indéniable, mais dont l'importance a été ou atténuée ou extrêmement accentuée selon les versions des auteurs : nous voulons parler de la naissance d'un parti français en Belgique.

(Note de bas de page : DE BAVAY, Histoire de la Révolution belge, passim ; FRIS, t. II, De Belgische omwenteling (VLAAMSCH BELGIË SEDERT 1830), pp. 146 et 147 ; JOSSON, Onthullingen, § 5 ; BLOK, Geschiedenis, p. 442 et passim, attribuent une très grande importance au parti français et à son rôle durant la révolution, ils le déclarent franchement annexionniste ; DE KERCHOVE DE DENTERGHEM, Les Préliminaires, p. 203 ; COLENBRANDER, De Belgische omwenteling, passim, réduisent son importance à des proportions qui nous paraissent plus justes et ne le croient pas entièrement composé de partisans de l'annexion de nos provinces à la France).

(page 112) Interprétant ce terme assez vague de « parti français » dans sa conception la plus étendue, on pourrait l'appliquer à l'ensemble des amis de la France : députés, publicistes, avocats, gazetiers, ex-fonctionnaires impériaux, fabricants de drap verviétois, fabricants d'armes liégeois, propriétaires de houillères dans le Hainaut, etc. Mais, pris au sens strict du mot, le groupe dit « français » ne comprenait qu'un nombre très restreint de personnes : tout d'abord, quelques républicains ou anciens bonapartistes de nationalité française, en rapports avec les démocrates internationalistes pullulant dans les clubs fondés à Paris au lendemain de la révolution, ensuite quelques hommes politiques belges, membres de la Seconde Chambre ou du barreau. Ces derniers, libéraux pour la plupart, étaient d'avis que l'Union n'obtiendrait jamais gain de cause en se bornant à son opposition constitutionnelle, et ils s'étaient mystérieusement concertés pour demander au gouvernement français son appui en faveur d'un soulèvement armé contre Guillaume. Le chef de cette coterie, l'éloquent et acerbe avocat ultra-radical Alexandre Gendebien, écrivit à Paris, dans ce sens, au début du mois d'août ; les députés De Brouckere, De Stassart, Lehon partirent pour la capitale française sous prétexte d'affaires urgentes, mais en réalité pour se mettre en rapports avec Odilon Barrot, Lamarque, La Fayette, Mauguin (page 113) et les membres du cabinet.

Ces Belges désiraient-ils tous l'annexion de leur patrie à la France ? La question reste douteuse. Pour la solutionner dans l'un ou dans l'autre sens, on n'a pu utiliser jusqu'à présent que des textes fragmentaires, extraits de lettres ou de discours, citations d'auteurs, etc. A notre avis, il ne faut pas s'exagérer l'importance du nombre ni du rôle des francophiles de l'époque. Ce serait aller à l'encontre des sentiments politiques et des traditions historiques de notre peuple. Ce serait méconnaître sa mentalité. Ne perdons pas de vue que, lancé depuis deux ans, le mouvement protestataire catholique-libéral de l'Union des oppositions avait toujours eu un caractère essentiellement national ; ses griefs, ses revendications, son programme étaient belges.

Sans parler des catholiques, nécessairement hostiles à la monarchie de Juillet, les libéraux, quoique pleins de chaleureuses sympathies pour les vainqueurs des « Trois Glorieuses », étaient, pour la plupart, de sincères patriotes. N'avait-on pas vu, l'année précédente, De Potter protester, de sa prison, dans Le Courrier des Pays-Bas, contre une brochure du général De Richemont, préconisant l'annexion de la rive gauche du Rhin ? Jottrand n'avait-il pas écrit, en octobre 1829 : « L'existence de notre royaume est insuffisamment assurée, et ce n'est qu'au développement de nos institutions, à la consolidation de notre liberté, à l'accroissement (page 114) de toutes nos forces que les citoyens doués de quelque énergie et de quelque bon sens peuvent songer désormais à consacrer tous leurs efforts. » Le 10 août 1830, Le Courrier des Pays-Bas déclarait expressément : « Il n'entrera jamais dans nos vues ni dans nos intérêts de devenir simple province de la France.» La souscription ouverte à Bruxelles en faveur des blessés et des parents des victimes de l'insurrection parisienne n'avait pas eu de succès.

En somme, beaucoup de Belges, pondérés et de bon sens pratique, se disaient comme Jean le Brabançon, personnage fictif d'un pamphlet caractéristique dû à Sylvain van de Weyer, et qui parut au début de 1831 : « Mes amis, j'aime beaucoup les Français, mais je les aime chez eux et non pas chez moi, je les aime comme voisins mais non pas comme maîtres et je ne veux pas voir tomber sur la Belgique une nuée de gens maigres et pauvres qui s'engraisseront et s'enrichiront chez nous, en prenant toutes les places un peu lucratives. Je ne veux pas voir de nouveau l'herbe croître dans nos rues (Th. JUSTE, S. van de Weyer, t. Ier, p. 165). »

Même parmi les conspirateurs dont nous parlions plus haut, les tendances n'étaient pas unanimes. Les uns ne songeaient qu'à fomenter un mouvement populaire, avec l'appui de la France, pour obtenir le redressement des griefs ; les autres étaient annexionnistes. D'ailleurs, en ces moments critiques, aucun d'eux ne développait un plan fixe et méthodique, leurs idéaux changeaient au gré des circonstances, leurs expressions restaient vagues et ambiguës. Comme l'a fait très justement remarquer Colenbrander, leur francophilie résultait surtout de leur haine pour la Hollande. Ils ne pouvaient concevoir une Belgique indépendante, s'affranchissant par ses propres moyens. Menacés au nord, menacés par les Etats inféodés aux (page 115) principes conservateurs de la Sainte-Alliance, ils cherchaient autour d'eux un appui et mettaient tout naturellement leur espoir en la France libérale. Leur chef, Gendebien, « réunioniste déterminé » cependant, s'exprime lui-même en termes confus et contradictoires. Depuis l'avènement de Louis-Philippe, son esprit ardent se concentrait tout entier sur les affaires de France. Le 20 août, il écrivait à De Potter, établi à Paris depuis peu avec d'autres exilés belges : « Jouissez, mon cher ami, de l'air pur que vous respirez sur une terre qui a cessé d'être une terre d'exil. J'espère que, dans les premiers jours de septembre, j'irai purifier mes poumons de l'air pesant et meurtrier qui étouffe ici jusqu'au germe d'une pensée libérale... (JUSTE, La Révolution belge, t. II, Appendice, p. 171. Gendebien à De Potter, Bruxelles, 20 août 1830) » Dans une lettre de style haché et rapide, envoyée au même, le 16 septembre, on trouve cette phrase : « Dès le 23 août, j'ai écrit à Paris, demandant qu'on s'expliquât catégoriquement si on voulait les limites du Rhin, garantissant un succès complet en cas d'attaque »... Puis, à quelques lignes de distance, Gendebien évolue complètement et se déclare le promoteur de l'idée d'une séparation administrative entre le Nord et le Sud à partir du début du mois de septembre ! Bref, on sent, à lire la correspondance de ces hommes, combien grande était, aux premiers jours de la crise, leur tension d'esprit, leur surexcitation nerveuse, combien pénibles leurs incertitudes et leurs hésitations à la veille des événements les plus graves (Idem, ibidem, t. II, Appendice, p. 189. Gendebien à De Potter, Bruxelles, 16 septembre 1830).

(Note de bas de page : Gendebien a, plus tard, expliqué les variations de ses attitudes politiques en déclarant qu'il fut surtout réunionniste parce qu'il espérait que la France interviendrait en faveur des Belges. Il persista dans ces sentiments jusqu'aux journées de Septembre, n'ayant précédemment osé croire à la possibilité d'une victoire de ses compatriotes par leurs propres moyens. Décrivant, en séance du Congrès national (6 juillet 1831), ses efforts et ceux de ses amis pour obtenir l'appui de Louis-Philippe, il dit : « Nous avions alors à combattre l'administration et l'armée hollandaises, nous connaissions le pacte de famille entre la Prusse et la Hollande, il n'y avait pas alors déclaration de la France du principe de non-intervention. Nous considérions la réunion comme moyen, jamais comme but. » Ailleurs il dit encore : « Aussi, dès le 2 ou le 3 août, comme le dit De Potter, j'ai espéré, désiré la réunion de la Belgique à la France, comme le seul moyen de nous débarrasser du joug du roi Guillaume et du joug des insolents dédains et de la morgue stupide des séides du pouvoir exploiteur. J'ai désiré cette réunion jusqu'au moment de notre victoire du 26 septembre qui nous permit d'espérer nationalité, indépendance et liberté. » Voir TH. JUSTE, Alexandre Gendebien, pp. 7 et 8. Malgré ces explications, l'attitude de Gendebien reste indécise, manquant de netteté et difficile à définir, puisque, lors de ses missions diplomatiques à Paris, à la fin de l'année 1830, il préconisa de nouveau très vivement la réunion de notre sol à la France. Voir notamment JUSTE, Gendebien, p. 42, note I.).

(page 116) Plus ou moins annexionniste, le parti français ne joua guère, croyons-nous, un rôle important au commencement du mois d'août 1830. Ses intrigues, ignorées de la plupart des leaders de l'Union, n'aboutirent à rien. Le roi Louis-Philippe, soucieux d'éviter toute complication internationale, fit, sous divers prétextes, prier les conspirateurs de remettre à l'année suivante leurs projets insurrectionnels (JUSTE, La Révolution belge, t. II, Appendice, p. 189. Gendebien à De Potter, 16 septembre 1830). Condamnés à l'inaction, ils éprouvèrent un désappointement profond que ne dissipa point l'envoi, à Bruxelles, de quelques émissaires des clubs parisiens chargés de distribuer au peuple de l'argent, des boissons, des libelles et des cocardes tricolores.

Nous voici arrivés aux jours qui précèdent immédiatement l'explosion de la révolution. Un grand nombre de visiteurs étaient à ce moment dans la capitale, attirés par une exposition réussie et par des fêtes brillantes, un concours musical, un salon de peinture, (page 117) des courses de chevaux. Le roi vint à Bruxelles le 10 août. Il fut accueilli par de chaleureuses acclamations et on alla même jusqu'à vouloir trainer sa voiture. Cependant, les autorités avaient des inquiétudes, mais le souverain, trompé par le calme de surface, par le ton modéré de la presse observant une sorte de trêve tacite, par le silence des chefs de l'Union, ne voulut prendre aucune des précautions que lui conseillaient le directeur de la police, le procureur général et quelques autres hauts fonctionnaires (FRIS, t. II, p. 148). Le 12 août, il retournait à son château Het Loo, en Gueldre, sans la moindre crainte pour l'avenir.

Et, en vérité, comment eût-il pu redouter un soulèvement, alors que l'Union des oppositions elle-même n'en concevait encore que très vaguement la perspective lointaine ? Peu de jours auparavant, Le Politique de Liége, le journal des Rogier, de Lebeau, de Devaux, avait imprimé, en parlant de la lutte du peuple parisien contre les soldats du duc de Raguse : « Heureux les peuples qui n'en sont pas réduits à une aussi terrible nécessité ! Nous sommes de ce nombre ; la voie légale nous est ouverte et les lumières qui vont jaillir des événements actuels, rendent plus certain que jamais, chez nous, le succès d'une opposition légale, paisible et grave. »

Quant à ceux qui désiraient fomenter un mouvement, les conspirateurs du parti français, nous avons vu qu'ils étaient peu nombreux et que, découragés par la froideur avec laquelle leurs instances avaient été accueillies par le gouvernement de Louis-Philippe, ils avaient dû remettre leurs projets à une date ultérieure. Pas plus que les chefs de l'Union, ils ne furent donc responsables des (page 118) événements qui allaient brusquement se produire. En somme, la révolution belge, existant en germe depuis plusieurs années, allait passer dans le stade effectif, par suite de circonstances d'ordre secondaire et presque fortuites.

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