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Au temps de l'unionisme
DE BUS DE WARNAFFE Charles - 1944

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Charles DU BUS DE WARNAFFE, Au temps de l’unionisme

(Paru en 1944 à Tournai, chez Casterman)

Préface

(page 13) « A Monsieur Edmond Du Bus, avocat, à Tournai,

« Bruxelles, ce lundi 8 novembre 1830, 10 heures 1/2 du soir.

« Mon cher Edmond,

« Je suis arrivé en bonne santé. A sept heures moins un quart nous étions rendus au Bureau. Dès que j'eus déposé mes malles à l'hôtel de Suède, je me suis acheminé vers le palais des ci-devans Etats-Généraux où je suis arrivé à temps pour assister à la séance de la commission. Je suis rentré à dix heures. Nous avons encore séance demain à midi.

« Nous étions six ce soir : MM. De Gerlache, Lebeau. Blargnies, Van Meenen, Nothomb et moi. Demain peut-être serons-nous dix ou douze.

« On est là assez bien placé pour apprendre des nouvelles diplomatiques intéressantes. Je vous en ferai part à mesure que j'en aurai connaissance. Mais il me semble que tous devrez garder cela en famille.

« Sachez donc que M. Van de Weyer est parti pour Londres afin d'y être accrédité auprès de (page 14) l'opposition anglaise, qu'au besoin il est autorisé à se mettre aussi en rapport avec le ministère anglais ; qu'il a eu une entrevue avec Wellington ; et qu'il en a reçu l'assurance que l'Angleterre voulait se borner à une intervention purement diplomatique.

« Sachez aussi qu'il y a ici deux émissaires des cinq grandes puissances, connus de notre gouvernement comme tels, quoique notre situation provisoire ne permette pas qu'ils déploient un caractère officiel. Toutefois ils ont parlé d'une cessation des hostilités et ce serait sur la base de l'occupation de toute la Belgique, et par conséquent d'Anvers et de Mastricht, par les Belges.

« Tout cela me paraît de bon augure, et quoique disent des personnes trop promptes à s'alarmer ou bien intéressées à alarmer le public, je pense qu'aucune des Puissances n'est disposée à précipiter l’Europe dans une guerre générale.

« Apprenez encore que l'on a demandé au digne patriote Félix de Mérode s'il accepterait la couronne dans le cas où elle lui serait déférée par la nation, et qu'il a répondu, arec l'accent d’une profonde conviction : « J'aimerais mieux que vous me fissiez forçat que Roi ; cependant il n'est pas de sacrifices que je ne sois résolu à faire pour le pays. » On est convaincu qu'il pense ce qu'il dit. Cette parole, quand on me l'a rapportée, m'a fait du bien.

« Apprenez enfin que le club a envoyé une députation au gouvernement. Il se désiste de sa prétention de nous constituer en république, « malgré la volonté presque unanime de toute la partie éclairée de la nation. » Seulement ils voudraient qu'en fondant aujourd'hui un gouvernement monarchique, on laissât la possibilité de remettre sur le tapis, dans trois ans, la question de la République. Voilà donc la proposition d'une transaction, qui est encore d'un heureux augure.

(page 15) « Espérons donc que tout s’arrangera presque de soi-même.

« ... Il paraît que plusieurs députés se procurent des quartiers. M. Lebeau contait ce soit qu’il en avait arrêté un ; il a sa chambre, avec alcôve qui se ferme le jour ; plus facilité de recevoir encore son monde dans une place commune en bas ; il paie trente francs par mois. Je verra si je puis m’accommoder de la même manière ...

« (En post-scriptum) :

« Ce mardi, 9 novembre.

« Encore des oublis à réparer. J’aurais dû prendre le Plan de Bruxelles. J’aurai bien fait aussi de prévoir la possibilité de vous envoyer, à l'occasion, des paquets de linge ou vêtements, et me munir d'aiguilles, de gros fil et d'une couple de gros essuie-mains.

« Je vous embrasse tous et attens de vos nouvelles.

« François. »


Il n'est guère besoin d'autre préface aux pages qui suivent.

Elu membre du Congrès national pour Tournai le 3 novembre 1830, François du Bus, le soir même de son arrivée à Bruxelles, écrit à son frère Edmond.

Ainsi pendant plus de quinze ans, tout le temps que l'exercice de son mandat parlementaire le retiendra dans la capitale, quotidiennement ou peu s'en faut, il prendra la plume. De sa petite écriture nette, fût-ce (page 16) dans un billet troussé sur son pupitre à la Chambre ou une table de commission, il mettra les siens au fait des moindres incidents de la vie politique du jeune royaume.

Et courrier pour courrier, son frère Edmond lut répondra.

Ces centaines de lettres constituent la source à laquelle nous avons puisé.

Non seulement les événements politiques et diplomatiques s'y trouvent reflétés - Van de Weyer est à Londres, - mais du mime coup l'existence d'un député de province au siège du gouvernement devient une palpable réalité - on se loge en quartier pour trente francs par mois, - et l'envers d'un homme public - les aiguilles et le gros fil - n'a plus de secrets pour ses arrière-petits-neveux.

C'est tout un climat qui s'exhume devant nous. Un autre monde, traversé par des hommes en qui, tout, nous nous reconnaitrons plus d'une fois...

L’objet même que nous nous sommes assigné en écrivant ces pages que François du Bus remplira plus que nous, indique qu'il ne faut pas compter y trouver une fresque politique complète des dix-huit premières années de notre indépendance.

Au lieu de construire un grand cadre historique et d'y placer à son échelle une figurine, nous avons pris pour centre un homme évoluant au cœur de la vie publique de son temps.

Ce nous permet de glisser rapidement sur d'importants événements connus, de passer sous silence nombre de faits mineurs, comme aussi d'en traiter d’autres en « gros plan », en raison même de l'angle sous lequel nous les envisageons.

En un mot, il s'agit plus d’une contribution modeste à la petite histoire, que d’un apport - qui serait présomptueux - à l’histoire tout court.

Ch. B. W.

Noël 1943.

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