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Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830
DE WARGNY Auguste - 1830

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DE WARGNY, Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830 (1830)

(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)

Chapitre VII. Journée du mercredi 1er septembre 1830

Entrée du Prince d'Orange à Bruxelles. Nomination d'une commission consultative. Retour de la députation bruxelloise envoyée à la Haye. Arrivée à Bruxelles des premiers auxiliaires belges

(page 75gt;) Après une nuit d'agitation et d'orages, mais exempte du moindre désordre, les deux pièces ci-après, affichées pendant la nuit, ramenèrent momentanément au moins la tranquillité et l'espérance. (V. ci-après nos 1 et 2.)

La garde bourgeoise avait été sur pied toute la nuit ; dès dix heures du matin elle se réunissait dans les sections et ensuite sur la Grand'-Place ; elle avait toutes ses couleurs, tous ses étendards ; mais un très grand nombre de bourgeois, confiants et crédules à l'excès et jusqu'au dernier moment, croyaient de bonne foi que (page 76) l'on allait reprendre la cocarde orange à la première vue du prince.

Cependant une sorte de gêne et de soupçon agitait toujours les esprits et leur laissait de la défiance contre les troupes dont les avant-postes étaient à Marly. Dans la matinée le pont de Laeken fut tourné ; toutes les constructions en bois servant aux travaux du canal mis à sec, et de communications entre les deux rives furent détruites, les digues rompues et le canal rempli d'eau.

A dix heures, M. l'aide-de-camp de Cruykenboarg, arriva encore pour préparer les logements de l'état-major du prince ; un autre aide-de-camp porteur de messages du prince d'Orange, se rendit chez le duc d'Aremberg et chez le prince de Ligne, annonçant l'entrée du Prince pour midi. Ils repartirent peu après ; leur présence, leurs cocardes offusquaient, indisposaient.

Vers onze heures on remarqua que les troupes, bivouaquées depuis le 26 août sur la plaine des Palais, la quittaient en grande partie et se retiraient dans les cours intérieures des deux Palais.

La Garde bourgeoise réunie sur la Grand-Place se mit en marche vers onze heures par ordre de sections, drapeaux en tête et dans la meilleure tenue ; le temps était superbe, le spectacle des plus imposants ; la marche était sérieuse, silencieuse, très lente à cause de barricades.

Elle se rangea en bataille sur trois rangs depuis l'église du Finistère jusqu'à non loin du pont de Laeken ; on varie sur le nombre des bourgeois armés qui étaient présents ; les calculs les plus modérés le portent à 4,200 hommes environ. L'escadron à cheval s'avança jusqu'au pont de Laeken.

(page 77) A peine était-on rangé en bataille dans un ordre qui aurait fait honneur à de vieilles troupes, que l'on aperçut sur l'autre rive le Prince d'Orange accompagné de six généraux ou aides-de-camp et de deux domestiques en livrée, tous à cheval.

En arrivant le Prince avait cet air ouvert et riant qu'on lui connaît ; il prit la main du commandant en chef qui était à pied, ainsi que ses aides-de-camp, etc., et lui adressa quelques mots de confiance et d'affection, de même qu'aux bourgeois qui l'entouraient, on croit avoir distingué alors qu'il dit : « Merci, braves bourgeois de Bruxelles, c'est à vous que la ville doit sa tranquillité, je vous remercie ; vous voyez que j'ai bien confiance en vous, je viens me remettre à votre garde... ; mais pourquoi donc tant de fusils, tant d'appareils ! avez-vous cru que je venais détruire Bruxelles... ? » On prétend qu'alors une voix osa répondre : « Nous ne sommes pas des enfants, nous avons une longue et triste expérience, nous savons ce que nous faisons.... !» Parvenu sur le front de la ligne, le Prince parut surpris de ce grand nombre de drapeaux aux couleurs belges qui flottaient dans les airs ; chaque section en avait autant que de postes ; ceux des huit postes centraux étaient riches et remarquables ; il sembla aussi étonné de ce que tous les officiers fussent déjà décorés de leurs écharpes, ceintures ou bracelets tricolores, conformément à l'ordre du 30 août ( V. ci-dessus, p. 67 et 68 ) et de ce que tous les gardes, tous les spectateurs, tout le monde enfin jusqu'aux femmes et enfanrs portassent les mêmes couleurs. Il paraissait chercher une cocarde orange.... ! Il n'en (page 78) vit pas une seule ! Il comptait sur un moment d'enthousiasme excité par sa présence pour faire crier vive le roi et reprendre la couleur de sa maison... tout échoua ! de faibles acclamations se faisaient entendre, à peine pouvait-on les distinguer ; ce n'étaient que des cris confus.

Mais à la porte de la ville la scène changea et prit un caractère plus grave.

On soutient qu'à la vue des premières barricades où l'on n'avait pratiqué qu'un passage si étroit qu'un cheval pouvait à peine s'y glisser, le Prince pâlit et que son émotion fut visible ; il est constant qu'il fut dès lors plus sérieux et moins communicatif ; l'aspect de la ville, ces mêmes drapeaux qui se multipliaient à tous les carrefours d'après les conventions de la veille, ce silence d'une population immense, éternelle leçon des princes et des rois, tout se réunissait pour faire une impression ineffaçable sur le cœur du héros de Waterloo !

Arrivé sur la place d'Anvers, après avoir franchi la porte et deux barricades, la foule plus nombreuse se pressa autour de lui et fit entendre ces cris : Vive le prince, vive la liberté. - Oui, répondit-il, Vive la liberté, mais aussi vive le roi. Il éleva alors la voix, en agitant son chapeau... Mais ses mots furent à peine répétés, et des chut nombreux durent parvenir jusqu'à lui ! Il tenta ce moyen plusieurs fois sur son passage, et toujours avec le même insuccès ; après la place de la Monnaie il ne l'essaya même plus..... Alors, pour peu qu'il ait eu quelque connaissance des hommes, il dut être convaincu que tout était perdu !

(page 79) Il paraît que le projet était d'engager le prince à faire son entrée à pied, mais qu'il s'y refusa avec fermeté, avant même d'atteindre la porte de la ville, et qu'il déclara qu'il irait directement à son palais. Les chefs de la garde, dit-on, insistèrent et lui jurèrent qu'on devrait leur passer sur le corps à tous, avant qu'on pût parvenir jusqu'à lui. Le cortège marchait dans l'ordre suivant : la compagnie des volontaires des villages de Molenbeek, Saint-Josse-ten-Noode, etc., formant environ cent hommes, tambours en tête. Le prince à cheval, seul, entouré de la foule qui le pressait sans cesse ; quelques pas derrière lui, son état-major mêlé à la garde bourgeoise à cheval ; plus loin un autre peloton de faubouriens armés de piques et en blouses bleues ; enfin les huit sections s'avançant en bon ordre.

Le prince marchait lentement, parlait beaucoup et prenait quelquefois la main de ceux qu'il reconnaissait près de lui ; il montrait toujours sa bonté, sa grâce, son affabilité ordinaires ; mais quel changement il devait remarquer partout ! Il est hors de doute que les chut, et d'autres cris plus hardis encore, devaient souvent blesser ses oreilles.

L'aspect général du cortège offrait quelque chose d'affligeant pour l'observateur attentif. On aurait pu croire l'on conduisait le prince captif au lieu de le recevoir en triomphe ! Vingt-trois jours plus tard, ce fut à peu près ainsi en effet, que l'on vit mener par la ville, les officiers supérieurs faits prisonniers. On déplorait de voir complètement détruite cette immense popularité dont le prince d'Orange jouissait à Bruxelles, depuis seize (page 80) années, et à laquelle on avait porté, dès 1828, une première atteinte en le nommant président du conseil des ministres et du conseil d'État !

Différends incidents parurent en outre se combiner pour aggraver la position du prince dans cette marche pénible.

Il n'y avait dans tout le cortège que vingt-cinq hommes armés de piques. Nous venons de voir qu'ils étaient placés immédiatement derrière lui ; c'était un lugubre présage

Le prince montait un cheval ardent et peu docile qui blessa grièvement quelques personnes.

Un homme armé marcha continuellement à ses côtés, lui parlait hardiment, et semblait quelquefois le menacer de sa baïonnette que le prince écartait de la main ; il parla plusieurs fois à cet homme, et plus tard, crut encore le retrouver près du Palais de justice entre les quatre barricades. Il a paru frappé de cette circonstance.

Le prince mit près d'une heure et demie pour aller de la porte de Laeken au Marché-aux-Herbes ; arrivé là, la foule fut si grande qu'il y eut un instant de confusion ; le cortége fut en désordre autour de lui ; il n'y avait point eu de programme arrêté, et il était évident qu'il répugnait à se rendre à l'Hôtel-de-Ville ; il fit signe de marcher tout droit en avant et cria : Chez moi, chez moi. Mais le peloton d'avant-garde ayant pris à droite, force lui fut de le suivre. Il n'est pas exact de dire que l'on ait pris son cheval par la bride. On assure que, pour le déterminer d'abord, des officiers de l'état-major de la garde bourgeoise lui répétèrent encore dans ce moment (page 81) les promesses qu'ils lui avaient faites à la porte de la ville.

Arrivé sur la Grand'-Place, il vit la régence réunie sur le perron de l'Hôtel-de-Ville ; il en parut charmé ; il semblait craindre dès lors que s'il y montait on ne l'y retint de gré ou de force.

Le bourgmestre lui adressa quelques mots qui parurent lui faire plaisir. Il répondit à peu près : « Croyez-vous donc, Messieurs, que je vienne assiéger votre ville ?... Au contraire, j'arrive en pacificateur. Les troupes ne doivent combattre que les ennemis..., et non les sujets du roi... Elles n'entreront point ici. Je suis Belge avant tout... J'ai versé mon sang pour les Belges. Je suis déjà commandant-général de la garde communale, et dès ce moment, je me nomme colonel général de la garde bourgeoise. Le roi aime ses sujets et ne veut pas voir couler le sang des Belges ; vous avez un bon roi qui vous chérit ; Messieurs, criez avec moi vive le roi !» Il existe trop d'incertitude sur les autres mots qui furent proférés de part et d'autre, pour que nous osions les rapporter ; toujours est-il certain qu'un assez grand nombre de voix parties de la foule environnante qui avait pu comprendre le prince, répétèrent avec lui ce dernier cri, mais ce fut pour la dernière fois !

Quand on réfléchit à la situation des esprits dans ce jour d'agitation, quand on pense que, du milieu d'un peuple exalté et armé qui venait de briser tous les insignes de la royauté et de fouler aux pieds la cocarde orange, et qui faisait souvent entendre des cris sinistres, un coup (page 82) malheureux pouvait partir ! on ne peut s'empêcher d'admirer le noble courage du prince d'Orange, se dévouant ainsi pour son père, pour son roi ! Quel que soit l'avenir, ce sera une des belles pages de son histoire !

Il paraissait cependant pressé de partir ; toute cette scène n'avait duré que peu de minutes ; il descendit de cheval, en monta un autre moins rétif, d'un de ses aides-de-camp, parce qu'il craignait, disait-il, de blesser encore quelqu'un, et marcha au petit pas vers la rue Marché aux Charbons ; c'était le chemin le plus long ; sans doute qu'il lui parut alors le moins encombré. La foule était toujours très serrée autour de lui et peu de cavaliers pouvaient marcher sur ses pas. La régence le suivait aussi mais de plus loin, pressée par le peuple. Il tourna lentement l'Hôtel-de-Ville, passa devant l'Amigo, et parvenu rue de la Violette, après avoir franchi deux faibles barricades, il mit son cheval au galop. Mais une autre barricade lui barra le chemin, quelques enfants élargirent le passage et il gagna la rue de l'Hôpital toujours au galop ; vers le bout de cette rue la barricade était forte, il perdit là une minute et parvint, précédé d'un domestique et suivi de M. de Céva seul, sur la place du Palais de Justice alors absolument déserte et qui était cernée, au pied de la lettre, par quatre barricades ; le poste même du Palais était peu garni, tous les bourgeois étant alors sur la Grand'-Place.

Le prince porta ses regards vers les rues d'Or et de l'Empereur, et voyant qu'il lui était impossible de passer, il se dirigea sur la rue de Ruysbrock ; la barricade l'arrête tout court ; le pied de derrière, du côté hors (page 83) montoir, de son cheval s'était engagé et enfoncé dans un égout où était fixé le piquet qui soutenait cette barricade ; un jeune homme du voisinage, décoré des gallons de sergent-major sur un habit bourgeois, le sieur D....r, reconnaît le prince et s'empresse de vouloir arracher quelques pieux de la barricade pour lui frayer passage ; mais plusieurs hommes en sarreaux qui étaient de l'autre côté, s'y opposent en jurant et veulent même le frapper à coups de bâtons ou de pieux au-dessus de la barricade ; un coup l'atteint au front, déchire son chapeau et le blesse ; mais il persiste ; M. de Ceva arrive, quelques autres personnes l'aident, enfin la trouée se fait ; alors la Garde bourgeoise à cheval accourait à toute bride ; elle le suivait avec peine de même que son état-major, à cause des barricades ; il parvint enfin à son palais, sans autres obstacles et sans qu'aucune tentative ait été dirigée contre sa personne ; tout ce qu'on a dit à cet égard semble controuvé, et il est même douteux qu'il ait pu reconnaître près du Palais de Justice l'homme armé qu'il avait vu à ses côtés à son entrée en ville.

Le prince d'Orange devait être fatigué à l'excès ; il travailla cependant tout le reste de la journée, et donna des audiences très nombreuses. Il reçut entre autres M. de la Moussaie, envoyé de France, la régence, l'état-major de la garde, etc., etc.

Peu d'heures après son arrivée fut affichée la proclamation suivante. (V. ci-après n° 3.)

Dans la soirée, la régence donna un nouveau signe de vie et fit publier et afficher l'avis suivant. (V. ci-après no 4.)

(page 84) Ces deux pièces parurent satisfaisantes ; on était content, on espérait tout du travail confié à cette commission dont le choix obtenait l'assentiment général. On vit renaître alors le calme et même la joie ; mais tout cela n'était que momentané ; vingt-quatre heures après, on était retombé dans le désordre, et tout l'effet de l'arrivée du prince était anéanti ; un incident bien imprévu en était cause.

C'était le retour de la députation bruxelloise, partie pour La Haye le 29 août, et la teneur du rapport qu'elle rendit public le lendemain !

Cette députation arriva à Bruxelles dans la soirée de ce jour 1er septembre ; deux de ses membres eurent audience du prince vers dix heures du soir. C'est sous la date du lendemain 2 septembre qu'il faut placer les résultats.

Le même jour, 1er septembre, arrivèrent les premiers auxiliaires des Bruxellois ; c'étaient les Wavriens, au nombre de cent environ ; ce fut un événement, une impulsion qui eut les plus graves conséquences. Ils étaient mal armés, la plupart de fourches, de haches, etc. Ils annoncèrent que les bourgs et villages voisins allaient suivre leur exemple. Ils furent accueillis avec acclamations sur la Grand-Place ; on les fêta, on les embrassa ; on donna à leur dévouement les plus grands éloges, comme la plus large publicité. Aucune autorité ne s'inquiéta de cette arrivée, ne parut s'en apercevoir et n'alla pas même leur demander ce qu'ils venaient faire ni qui les avait appelés !


Pièces publiées le 1er septembre 1830

(page 86) N° 1. Proclamation

S. A. R. le prince d'Orange viendra aujourd'hui avec son état-major seulement et sans troupes ; il demande que la Garde bourgeoise aille au-devant lui.

Les députés se sont engagés à la garantie de sa personne et à la liberté qu'il aura d'entrer en ville avec la Garde bourgeoise, ou de se retirer, s'il le juge convenable.


N° 2. Ordre du jour

MM. les Chefs de Section sont invités à se rendre aujourd'hui à 10 heures précises, avec toute leur Section en armes, et dans la meilleure tenue, sur la place de l'Hôtel-de-Ville, où ils se rangeront en bataille sur deux rangs, pour aller à la rencontre de S. A. R. le Prince d'Orange.

On laissera une faible garde à chaque poste,

Le Major de service, Le Cte. A. Van der Meere.


N° 3. Proclamation de S.A.R. le prince d’Orange, au nom du Roi

Habitants de Bruxelles,

Je me suis rendu avec confiance au milieu de vous. Ma sécurité est complète, garantie qu'elle est par votre loyauté.

C'est à vos soins que l'on doit le rétablissement de l'ordre ; je me plais à le reconnaître et à vous en remercier, au nom du Roi.

(page 86) Joignez-vous à moi pour consolider la tranquillité ; alors aucune troupe n'entrera en ville, et de concert avec vos autorités, je prendrai les mesures nécessaires pour ramener le calme et la confiance.

Une commission composée de MM. le Duc d'Ursel, président ; Van der Fosse, Gouverneur de la province ; De Wellens, Bourgmestre de Bruxelles ; Em. Van derlinden-d'Hoogvorst, commandant de la Garde bourgeoise ; le Général d'Aubremé ; Kockaert, membre de la Régence ; le Duc d'Arenberg, (qui a bien voulu, à ma prière, coopérer à cette tâche) ; Stevens, membre de la Régence, secrét., est chargée de me proposer ces mesures.

Elle se réunira demain 2 septembre, à 9 heures du matin, à mon palais.

Bruxelles, 1 septembre 1830.

GUILLAUME, Prince d'Orange.


N° 4. Avis

Le bourgmestre et les échevins,

Témoins du zèle infatigable déployé depuis plusieurs jours par la Garde bourgeoise de cette ville, pour rétablir l'ordre et la tranquillité publique, les Magistrats de Bruxelles s'empressent d'adresser à leurs concitoyens armés dans un but si louable, leurs remercîments et l'expression de leur vive reconnaissance.

Ils ont l'intime conviction que ce service, quelque pénible qu'il soit, sera continué avec le même empressement pour consolider le repos des bons et paisibles habitants.

Fait en séance permanente du Conseil de Régence, à l'Hôtel-de-Ville, le mercredi soir 1er septembre 1830.

Par ordonnance : L. DE WELLENS.

Le secrétaire P. CUYLEN.

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