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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE »

 

       Par Jean-Baptiste Nothomb

 

 

CHAPITRE XV Question des forteresses belges – Convention du 14 décembre 1831 et déclaration du 23 janvier 1832

 

(page 267) Les deux mois fixés pour l'échange des ratifications du traité du 15 novembre n'étaient pas destinés à s'écouler dans l'inaction; il existait une négociation secondaire qui présentait de graves difficultés et qui n'avait pas encore produit de résultat définitif; cette négociation était déjà très ancienne, elle remontait par son premier acte au 17 avril 1831, c'est à dire à l'époque où le gouvernement français s'était déterminé à adhérer aux bases de séparation du 17 janvier, premières conditions de l'indépendance belge[1].

(page 268) Le même jour, les plénipotentiaires d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie s'étaient réunis en conférence et avaient rédigé le protocole suivant:

« Les plénipotentiaires d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie s'étant réunis, ont porté leur attention sur les forteresses construites aux frais des quatre cours, depuis l'année 1815, dans le royaume des Pays-Bas, et sur les déterminations qu'il conviendrait de prendre à l'égard de ces forteresses, lorsque la séparation de la Belgique d'avec la Hollande serait définitivement effectuée.

« Après avoir mûrement examiné cette question, les plénipotentiaires des quatre cours ont été unanimement d'opinion que la situation nouvelle où la Belgique serait placée et sa neutralité reconnue et garantie par la France devaient changer le système de défense militaire adopté pour le royaume des Pays-Bas; que les forteresses dont il s'agit seraient trop nombreuses pour qu'il ne fût difficile aux Belges de fournir à leur entretien et à leur défense; que d'ailleurs l'inviolabilité unanimement t admise du territoire belge offrait une sûreté qui n'existait (page 269) pas auparavant; qu'enfin une partie des forteresses construites dans des circonstances différentes pourrait désormais être rasée.

« Les plénipotentiaires ont éventuellement arrêté en conséquence qu'à l'époque où il existerait en Belgique un gouvernement reconnu par les puissances qui prennent part aux conférences de Londres, il serait entamé entre les quatre cours et ce gouvernement une négociation à l'effet de déterminer celles desdites forteresses qui devraient être démolies. »

Ce protocole fut officiellement notifié au plénipotentiaire français à Londres, le 14 juillet, et au gouvernement belge à Bruxelles, le 28 du même mois. Le 23, le roi des Français, en ouvrant la session, annonça aux Chambres l'importante résolution prise par les quatre puissances, résolution qui, comme il résulte du rapprochement des dates, n'était pas encore connue en Belgique: c'est donc dans le défaut de notification qu'il faut chercher la cause principale des réclamations faites à cette époque.

Le protocole du 17 avril, qui doit être considéré comme fondamental, posait en principe que la négociation serait ouverte entre les quatre puissances et la Belgique; et c'est ainsi que cet acte fut interprété devant le parlement par le ministère anglais[2].

Le gouvernement crut pouvoir, sans se mettre en opposition avec le principe du protocole du 17 avril, faire connaître au cabinet français quelle serait la direction qu'il chercherait à donner à la négociation future; il saisit l'occasion de l'ouverture des Chambres pour commenter, en quelque sorte, un passage du discours royal; il déclara le même jour, 8 septembre, que S. M. le roi des Belges consentait et s'occupait, conformément au principe posé dans le protocole du 17 avril, à prendre, de concert avec les quatre puissances, aux frais desquelles les forteresses ont été en grande partie construites, des mesures pour la prompte démolition des forteresses de Charleroi, Mons, Tournai, Ath et Menin. Cette déclaration fut remise au plénipotentiaire français envoyé à Bruxelles, M. le marquis La Tour-Maubourg; M. le général Goblet partit quelques jours après pour Londres, en qualité de plénipotentiaire près des quatre puissances.

Une convention provisoire fut signée le 15 novembre, une convention définitive le 14 décembre 1831.

(page 271) L'article 1er de cette convention porte:

« Art. 1er. En conséquence des changements que l'indépendance et la neutralité de la Belgique ont apportés dans la situation militaire de ce pays, ainsi que dans les moyens dont il pourra disposer pour sa défense, les hautes parties contractantes conviennent de faire démolir, parmi les places fortes élevées, réparées ou étendues dans la Belgique, depuis 1815, en tout ou en partie, aux frais des cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, celles dont l'entretien ne constituerait désormais qu'une charge inutile.

« D'après ce principe, tous les ouvrages de fortification des places de Menin, Ath, Mons, Philippeville et Marienbourg[3] seront démolis dans les délais fixés par les articles ci-dessous. »

Les articles suivants règlent le mode de démolition.

Le gouvernement français ayant témoigné le désir que l'échange des ratifications de cet acte fût accompagné de quelques explications, les plénipotentiaires des quatre cours signèrent, le 23 janvier 1832, la déclaration suivante:

« Les plénipotentiaires des cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, en procédant (page 272) à l'échange des ratifications de la convention du 14 décembre dernier, déclarent à cette occasion:

« 1° Que les stipulations de la convention du 14 décembre dernier, motivées par le changement survenu dans la situation politique de la Belgique, ne peuvent et ne doivent être entendues que sous la réserve de la souveraineté pleine et entière de S. M. le roi des Belges sur les forteresses indiquées dans ladite convention, ainsi que sous celle de la neutralité et de l'indépendance de la Belgique, indépendance et neutralité qui, garanties aux mêmes titres et aux mêmes droits par les cinq puissances, établissent sous ce rapport un lien identique entre elles et la Belgique;

« 2° Que les sommes dont il est question dans l'article 5[4] 1 ne sont mentionnées que pour décompte, l'intention des cours étant que, si le décompte offrait un résidu, ce résidu serve à soulager la Belgique dans les dépenses qu'elle aura à faire pour la démolition des forteresses indiquées dans l'article 1 er;

« 3° Qu'enfin, la réserve faite par les quatre cours à l'article 6[5] 2 n'ayant rapport qu'aux articles 2 et 3, ne s'applique, par conséquent, qu'aux places à démolir.

(page 273) « Par cette déclaration sur les trois points qui précèdent, les plénipotentiaires des cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie placent hors de doute que toutes les clauses de la convention du 14 décembre sont en parfaite harmonie avec le caractère de puissance indépendante et neutre qui a été reconnu à la Belgique par les cinq cours[6] »

Le gouvernement hollandais ne fut pas appelé à prendre part à la négociation, et il protesta contre cette exclusion[7].

(page 274) On a dit que la diplomatie s'était faite, depuis deux ans, au grand jour; il faut excepter, toutefois, la question des forteresses, qui est parvenue à se soustraire aux débats de la presse et de la tribune, lors même qu'elle était flagrante dans les cabinets. Cette négociation a coûté à la Belgique et à la France le général Belliard, qui, pour éclairer, dans le moment le plus critique, son gouvernement sur les intentions du cabinet de Bruxelles, montra un empressement dont il a été la victime. Plus heureux que lord Ponsonby, le général Belliard n'a pas eu à se plaindre de l'ingratitude publique: la Belgique reconnaissante lui a élevé un monument; c'est avec regret qu'elle s'est vue privée de ses cendres[8].



[1] Ceux qui voudront s'initier à cette négociation qui, à plusieurs reprises, a manqué de compromettre l'alliance anglo-française, en trouveront tous les détails dans l'ouvrage du général Goblet ; Des cinq grandes puissances de l'Europe dans les rapports politiques et militaires avec la Belgique; 1. vol.1863; et dans les deux publications de M. Th. JUSTE: Léopold1er, roi des Belges, I, 167 et suiv.; Le lieutenant-général comte Goblet d'Alviella, p.870, 47 et suiv.

Ainsi que le fait remarquer le général Goblet, les forteresses belges, qui avaient coûté des sommes énormes et de la conservation desquelles on faisait dépendre la sécurité de l'Europe occidentale, à l'exception d'Anvers et de Termonde, ont été depuis détruites une à une, sans réclamation.

Nous devons même ajouter que la forteresse de Luxembourg a été démolie, en vertu du traité de Londres du 8 mai 1867, ce qui amoindrit singulièrement l'intérêt qui se rattachait à la question luxembourgeoise.

Enfin, la forteresse. de Maestricht a été démantelée par la seule volonté du gouvernement des Pays-Bas, ce qui laisse la Meuse moyenne sans défense. En présence de la forteresse démolie, la génération nouvelle aura de la peine à comprendre l'importance de la possession du grand-duché de Luxembourg. Le système défensif de l'Allemagne est totalement changé.

Il y aurait un mémoire spécial à faire sous le titre de la révolution belge dans ses rapports avec la question militaire, les forteresses et les positions stratégiques; M. Nothomb n'a jamais négligé l'occasion de faire ressortir ce côté des négociations; nous renvoyons au recueil de ses discours.

Chose remarquable, toutes ces forteresses construites ou réparées et agrandies depuis 1815 ont disparu sans avoir jamais servi, à l'exception de la citadelle d'Anvers; la Hollande cependant doit Maestricht aux fortifications qu'elle supprime. (Note de la 4" édition.)

 

[2] « Ce document prouve d'abord combien les quatre puissances sont d'accord en ce qui concerne la démolition des forteresses belges, mentionnée dans le discours du roi des Français; ensuite, ce qu'il est surtout important de prendre en considération, que la proposition à ce sujet n'émane pas du gouvernement français. Il prouve encore que la négociation par laquelle les forteresses à démanteler devront être désignées, est, ou plutôt (car rien n'est encore précisé à cet égard) sera dépendante de la condition que le nouveau roi des Belges soit de fait et dûment reconnu par les grandes puissances de l'Europe... Eh bien, les quatre puissances, ayant signé le protocole, pouvaient en faire part au roi des Français. » Extrait de la réponse faite par lord Grey à lord Aberdeen et au duc de Wellington, dans la séance du 27 juillet 1831.

« Je ne puis entrer dans aucun détail; j'ai déposé le protocole qui concerne la démolition des forteresses belges. La négociation à intervenir n'aura lieu qu'entre les quatre puissances et la Belgique. La France en est exclue. » Extrait de la réponse faite par lord Palmerston à une interpellation de sir R. Peel, dans la séance du 28 juillet 1831.

Le gouvernement français ayant essayé d'attirer la négociation à Bruxelles, un deuxième protocole du 29 août est venu expliquer et confirmer celui du 17 avril, en maintenant l'exclusion de la France.

[3] La forteresse de Marienbourg a été élevée en 1542. par ordre de Charles-Quint; celle de Philippeville en H)!)3, par ordre de Philippe II.

Ces deux forteresses ont été réunies à la France par le traité des Pyrénées, du 7 mars 1639 (art. 30).

Elles en ont été séparées par le deuxième traité de Paris, du 20 novembre 1813.

Elles ont été reconstruites et considérablement agrandies aux frais des puissances alliées.

[4] Dans le cas où, à la suite du décompte qui sera établi, les quatre cours (ou l'une d'elles) se trouveraient avoir à leur disposition un résidu des sommes originairement affectées au système de défense de la Belgique, ce résidu sera remis à S. M. le roi des Belges, pour servir à l'objet auquel lesdites sommes avaient été destinées. (Art. 5) de la convention du 14 décembre. )

[5] Les cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie se réservent de s'assurer, aux termes fixés dans les articles 2 et 3, de l'exécution pleine et entière des dits articles. (Art. 6 de la convention du 14 décembre.)

[6] La convention des forteresses du 14 décembre 1831 n'a jamais été soumise au vote des Chambres belges. Elle a été ratifiée après l'échange des ratifications du traité du 13 novembre 1831 et hors de la présence du plénipotentiaire français; le roi des Belges a été réputé succéder envers les quatre puissances aux obligations éventuelles contractées par le roi des Pays-Bas; une déclaration restée inédite et non mentionnée par le général Goblet a été faite à cet égard. (Note de la 4e édition.)

[7] Le gouvernement hollandais a invoqué l'ancien système de la barrière, pour être admis à la négociation relative aux forteresses:

« Le droit de Sa Majesté de concourir à régler cette matière lui est assuré, non seulement par le système de barrière, auquel on s'engagea dans le dernier siècle vis à vis de la république des Provinces-Unies, mais encore par un acte d'une date récente et qui concerne spécialement la réunion de la Hollande et de la Belgique, le septième des huit articles de Londres ayant déclaré que cet objet intéressait la sûreté et l'indépendance de toutes les provinces et de la nation entière. » (Mémoire hollandais du 14 décembre 1831.)

On trouve dans la réponse de la Conférence des considérations remarquables sur la neutralité belge, en opposition avec l'ancien système de la barrière:

« Après toutes les guerres dont il a été suivi, le traité de barrière, pour être obligatoire, aurait dû être renouvelé au rétablissement de la paix générale; or, il ne l'a pas été...

« En outre, la neutralité de la Belgique, garantie par les cinq cours, offre a la Hollande le boulevard que devait lui assurer le système de barrière, avec cette différence que le système de barrière lui imposait l'obligation coûteuse d entretenir des garnisons, tandis que la neutralité de la Belgique, placée sous la garantie des principales puissances de l'Europe, lui laisse le moyen de réduire sans danger son état militaire. » (Mémoire de la Conférence du 4 janvier 1832.) (Note de la 3e édition.)

Aujourd'hui on soutient que la Belgique neutre doit de plus avoir un grand état militaire et se défendre elle-même.

La conférence aurait pu ajouter que les Hollandais avaient renoncé au système de la barrière en se soumettant en 1782 à l'injonction faite par Joseph Il d'évacuer les places dont la garde leur avait été attribuée, et surtout en consentant à la prétérition du traité d'Anvers du 15 novembre 1715 dans l'article 2 du traité de Fontainebleau du 8 novembre 1785. (Note de la 4e édition.)

[8] Le général Belliard (Augustin-Daniel, comte et pair), né à Fontenai, en Poitou, le 25 mai 1769, est mort à Bruxelles le 27 janvier 1832. Il a été, par lettre de créance du 8 juillet 1832, remplacé comme envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire par le comte Septime de La Tour-Maubourg. Dans l'intervalle, les fonctions de chargé d'affaires ont été remplies par M. Auguste de Tallenay. Ces indications peuvent ne pas être sans utilité pour la lecture des pièces de cette époque. (Note de la 4e édition.)