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« Histoire de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).

Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836

 

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TOME 3

 

CHAPITRE SIXIEME

 

L'armée française quitte la Belgique. - Résultat de l’expédition. - Négociations renouées par lord Palmerston et le prince de Talleyrand. - Projet de convention. - Contre-projets. - Interruption des négociations. - Le cabinet hollandais réitère son ordre du 17 novembre. - Rappel de M. Van Zuylen. - M. Dedel arrive à Londres. - Proposition du gouvernement hollandais. - Convention du 21 mai. - Levée de l'embargo. - Interruption des négociations définitives. - Convention de Zonhoven. - Question du Luxembourg. - Situation générale de la diplomatie. - Situation financière et commerciale de la Belgique. - Conclusion.

(page 263) De toutes les assertions sans fondement et de toutes les prédictions sinistres auxquelles avait donné lieu l'exécution des mesures coercitives, aucune ne se vérifia. Au contraire, vingt-quatre jours de tranchée ouverte suffirent pour réduire la citadelle, sans que la ville eût a souffrir. La Russie, la Prusse et l'Autriche restèrent spectateurs (page 264) passifs d'une entreprise exécutée en vertu d'un traité, dont elles étaient parties contractantes. L'union des cabinets anglais et français se resserra, sans nuire à leurs rapports de bonne intelligence avec les autres cours. A l'exception d'une tentative sans résultat qu'ils firent pour détruire et inonder quelques fermes, les Hollandais n'essayèrent pas de venir au secours de leurs concitoyens. L'armée française n'eut pas plus tôt remis la forteresse au pouvoir de ses légitimes propriétaires qu'elle se retira, donnant ainsi une preuve frappante du désintéressement et de la bonne foi de Louis-Philippe, et ajoutant aux titres qu'il avait déjà à l'appui de l'Angleterre et à la confiance des puissances du Nord. La paix, ce but principal de tous les efforts, ayant résisté à ce choc violent, fut plus assurée que jamais, et le vote unanime des chambres belges accorda une épée d'honneur au commandant et des remerciements à cette armée, dont l'entrée dans le pays avait été présentée comme le résultat d'un système déplorable de politique, et féconde en malheurs pour les intérêts belges.

L'émancipation de la première cité commerciale du pays et la perspective de la prompte réouverture de l'Escaut, produisirent sur les esprits une impression des plus favorables ; la prise de la citadelle eut les mêmes résultats. A l'exception des forts Lillo et Liefkenshoek, qui (page 265) n'avaient qu'une influence très secondaire sur la navigation du fleuve, puisque les navires sont obligés de passer sous les canons de Flessingue, Batz, etc., la Belgique entra en pleine possession de la totalité de son territoire sur les deux rives. La conduite inconcevable des Hollandais, qui retinrent Lillo et Liefkenshoek, conduite qui ne pouvait qu'être agréable au gouvernement belge, délivra celui-ci de la nécessité de rendre Venloo, le Limbourg et le Luxembourg. Le flanc gauche et même l’arrière-garde de son armée d'observation, qui avaient été menacés jusqu'alors par la citadelle et la flotte, se trouvèrent complètement dégagés ; les communications entre les deux rives s'ouvrirent jusqu'au fort La Croix et au polder de Sainte-Anne ; et les forts furent mis dans un état de défense à résister à la marine la plus formidable.

Malgré ces avantages, la position militaire de la Belgique, qu'on la considère sous le rapport de l'attaque ou de la défense, est moins favorable que celle de ses adversaires ; car si les Hollandais étaient les agresseurs et qu'ils eussent le dessus, il n'y aurait aucun obstacle pour les arrêter dans leur marche sur Bruxelles. Il n'y a au sud des deux Nèthes aucune forte position, où une armée puisse se reformer en cas de défaite, puisqu'il est facile de tourner les positions de la Dyle et de la Demer, par les routes de Tongres, (page 266) Jodoigne et Wavre (On a l'intention de protéger cette frontière par l'érection d'une forteresse à Zamel, et de fortifier d'autres points, entre autres, Lierre, Diest et Hasselt). D'un autre côté, en supposant les Belges victorieux. deux marches dans le Brabant septentrional les jetteraient sur Berg-op-Zoom, Bréda, Bois-le-Duc et Tilbourg, où ils seraient arrêtés par les inondations qui couvrent ou peuvent couvrir en un instant tout le pays compris entre ces places et le Moerdyck. Mais la neutralité de la Belgique atténue ces désavantages.

Quoique le refus, fait par le cabinet néerlandais, de livrer Lillo.et Liefkenshoek, fût favorable aux intérêts de la Belgique, il embarrassait la France et l'Angleterre ; car il rendait impossible la cessation des opérations maritimes, sans agir contre la lettre et l'esprit de la convention d'octobre, dont le seul but était l'évacuation complète du territoire. Aussi longtemps que l'une des causes qui avaient amené cette convention subsistait, il était évident que la convention même devait tout entière rester en vigueur, et que l'on ne pouvait lever l'embargo et le blocus, sans s'écarter des résolutions que l'on avait prises et reconnaître virtuellement qu'elles étaient injustes et impolitiques.

Cependant, ces mesures coercitives étaient si (page 267) gênantes pour le commerce de la Grande-Bretagne ; elles répugnaient tellement au monde commerçant, ainsi qu'aux gouvernements français et anglais, que la nouvelle de la prise d'Anvers ne fut pas plus tôt connue à Londres, que lord Palmerston et le prince de Talleyrand essayèrent de renouer les négociations. C'est dans cette intention qu'un projet de convention fut rédigé, et envoyé à La Haye le 30 décembre. Le projet présentait pour condition du renvoi en Hollande des prisonniers de cette nation, et de la cessation de l'embargo, l'évacuation de Lillo et de Liefkenshoek, la réouverture de l'Escaut et une ou deux stipulations d'une importance moindre. Les ouvertures donnèrent lieu à un contre-projet présenté par le gouvernement hollandais, le 9 janvier 1833, par lequel celui-ci, tout en admettant le principe de l'évacuation du territoire, proposait l'établissement d'un droit sur la navigation de l'Escaut et le transit en Allemagne, et réclamait le paiement annuel par la Belgique des 8,400,000 fl. représentant sa quote-part de l'intérêt de la dette. Mais, avant que cette pièce n'arrivât à sa destination, les négociations furent interrompues de nouveau par le renouvellement de l'ordre du cabinet hollandais, en date du 17 novembre. L'état de guerre avait jusqu'alors fait de cet acte une lettre morte pour la navigation du port d'Anvers. Mais à peine la citadelle (page 268) eut-elle été prise, qu'on en essaya l'exécution à l'égard de deux navires autrichiens, le Roleslaw et le prince de Metternich. Cette conduite avait sans doute pour but plutôt de sonder les cinq puissances que d'inquiéter les navires des nations neutres. Le premier de ces deux navires, ayant essayé de prendre la mer, fut conduit à Lillo par un navire de la station hollandaise, et forcé de rétrograder ; la second, qui se rendait dans l'Escaut, fut abordé à Flessingue, et escorté jusqu'aux limites des eaux belges, et ne put continuer sa route, que lorsque le capitaine eut pris l'engagement « de payer les droits qui pourraient être exigés dans la suite, dans le cas d'acceptation par la Belgique d'un impôt de cette nature » (Extrait du livre de lock, du capitaine Au prince Metternich, brick autrichien, à la date du 10 janvier 1833). Cet incident, qui était d'une importance vitale pour la navigation générale, et qui violait directement les traités garantissant la liberté de l'Escaut, fut communiqué aux gouvernements français et anglais, qui s'empressèrent de demander des explications à cet égard au cabinet hollandais.

Le ministre des affaires étrangères de Hollande répondit que les mesures prises récemment contre la Hollande, étant en opposition avec les principes consignés dans le 9è protocole, par lesquels la navigation de l'Escaut devait dépendre (page 269) de la cessation des hostilités de part et d'autre, le gouvernement hollandais avait résolu, par mesures de représailles, de ne pas admettre les bâtiments français et anglais ; mais quoique la navigation fût par là interdite à ces deux nations, elle restait ouverte aux autres peuples ; car ce n'était que lorsque le pavillon hollandais avait été repoussé de l'Escaut supérieur, que l'on avait adopté ces mesures pour l'Escaut inférieur. Néanmoins (continuait le ministre des affaires étrangères), quelques motifs plausibles que pût avoir le gouvernement hollandais de fermer l'Escaut dans ce moment, en vertu des droits que lui réservait sa déclaration du 25 janvier 1832, il ferait en sorte de les concilier avec les intérêts de la navigation et du commerce. Cependant, en même temps que le roi était résolu de ne renoncer ni à ses droits ni aux autres dont l'investissait le 9e protocole, c'est-à-dire d'établir un droit sur l'Escaut, il ne s'opposerait pas à la liberté temporaire de ce fleuve, à la condition pour les puissances, de lui rendre les prisonniers et de discontinuer les mesures coercitives. Mais jusqu'à l'exécution de cette dernière condition, les dispositions émanées du cabinet en date du 17 novembre resteraient en vigueur, en ce qui regardait la France et l'Angleterre. » (Dépêche du baron Verstolck van Soclen, en date du 25 janvier 1833).

(page 270) Quoique cette note donnait à la 12e clause du 9e protocole une interprétation qu'elle ne pouvait avoir, elle fut considérée par la France et l'Angleterre comme prouvant que les Hollandais avaient adopté des mesures de représailles comme un acte temporaire et exceptionnel, et non dans l'intention d'enfreindre définitivement les traités qui assuraient la liberté générale de la navigation. Cette manière d'envisager le cas fut dans la suite corroborée par l'arrivée à Anvers de plusieurs bâtiments neutres, sans autre obstacle qu'une simple visite de forme à Flessingue. Des négociations furent en conséquence renouées, et amenèrent, en peu de jours, quatre projets et contre-projets qui, n'ayant pas atteint le but, furent résumés dans une note adressée par lord. Palmerston et le prince de Talleyrand au baron van Zuylen, le 14 février.

Il résultait de ce document clair et précis que, si la Hollande était sérieusement disposée à terminer les matières en discussion, elle pouvait profiter des dispositions des deux puissances sans compromettre ses intérêts ; car, tout ce qui était demandé, c'était que la question territoriale demeurât dans le statu quo, les deux parties conservant pour un temps donné le territoire dont elles étaient en possession ; qu'un armistice formel fût conclu, sans autre garantie spéciale, pour le maintien de la paix et le désarmement, que la reconnaissance (page 271) de la neutralité belge, et enfin que la Meuse et l'Escaut fussent réouverts, la première d'après les bases de la convention de Mayence, et le dernier sur le pied où il se trouvait de janvier 1831 au mois de novembre 1832 (La convention de Mayence, ratifiée le 31 mars 1831, réglait le tonnage et les droits de navigation sur le Rhin). Moyennant quoi, les mesures maritimes coercitives seraient interrompues, et les troupes hollandaises rentreraient avec armes et bagages.

Quoique ces propositions ne préjugeassent nullement la question ultérieure, et n'imposassent aucune conclusion définitive, « elles étaient propres à amener un soulagement immédiat pour la Hollande et la Belgique, et contenaient des sûretés pour le maintien de la paix, qui pouvaient amener un arrangement direct et définitif. » II y fut répondu par un contre-projet « inadmissible dans son contenu, et susceptible d'objection par ses omissions. » (Note du 14 février 1833) Car, tandis que la Hollande demandait la cessation de l'embargo et la délivrance des prisonniers, elle proposait de soumettre tous les bâtiments au paiement de droits de tonnage, et par conséquent, de les visiter et de les retenir à Batz ou à Flessingue, sans offrir la moindre garantie pour le pilotage dans les eaux de l'Escaut ou l'ouverture de la Meuse, et ainsi, quoique de (page 272) tels péages n'eussent jamais été exigés auparavant, excepté pendant la courte période de 1814, entre l'expulsion des Français des Pays-Bas et le traité de Paris, ils ne pouvaient être considérés que comme un acte arbitraire d'un côté, et comme un malentendu, ne pouvant en aucun lieu établir un précédent ; car quelque prétention que la Hollande pût avoir de remettre en pratique le système de la barrière, en soumettant la navigation à des droits et à des visites, ces prétentions n'avaient jamais été admises par les grandes puissances ; elles avaient été au contraire formellement désavouées par le traité de Vienne, et par un traité secret de la même époque, par lequel le roi des Pays-Bas s'était engagé pour lui, ses héritiers et successeurs, à maintenir la liberté de l'Escaut.

La demande d'un paiement annuel de 8,400,000 fl. n'était pas moins sujette à contestation ; car il était évident qu'une partie de cette charge était imposée à la Belgique, non comme un équivalent pour des avantages passés, mais comme faisant partie d'un arrangement futur et général, qui devait lui procurer divers avantages communs. Ce point était clairement établi par le 48e protocole et le mémorandum y annexé le 7 octobre, dans lequel la totalité des différentes dettes belges était portée à 7,800,000 florins, c'est-à-dire à 5,050,000 francs, pour la moitié des intérêts de (page 273) tous les engagements contractés pendant l'union, 750,000 pour l'intérêt de la dette dite austro-belge, et enfin 200,000 florins, total des intérêts de l'augmentation de la dette belge pendant son incorporation à la France. Mais, en considération des avantages du commerce et de la navigation que la Hollande s'engageait à procurer à la Belgique, et en retour des sacrifices imposés à la Hollande par la séparation, une somme de 600,000 florins fut ajoutée et porta le total des intérêts annuel» à 8,400,000 florins. Il était incontestable que cette somme additionnelle avait été proposée par la conférence et acceptée par les Belges, comme un équivalent pour la libre navigation et le transit ; qu'elle ne faisait partie d'aucune obligation antérieure, et qu'elle n'était qu'un sacrifice éventuel pour obtenir un avantage définitif. La Hollande n'avait, par conséquent, aucun droit de lui imposer de nouvelles exactions ou restrictions ; car la Belgique n'aurait jamais consenti au paiement de cette somme, si elle eût supposé que le gouvernement hollandais avait l'intention d'empêcher la navigation de l'Escaut ou le transit en Allemagne. En outre, comme les plénipotentiaires l'observaient justement, « cette demande indiquait évidemment l'intention du gouvernement des Pays-Bas d'obtenir des avantages financiers qui pussent le mettre en état de différer un arrangement définitif jusqu'à une époque indéfinie. » On pourrait (page 274) ajouter que c'eût été un acte flagrant d'injustice et de contradiction de permettre à la Hollande de profiter d'une clause du traité, qui lui était essentiellement favorable, tout en rejetant les autres articles, c'est-à-dire tout le traité, comme étant trop avantageux à la Belgique.

La note du 14 février amena une réponse de la part de M. Van Zuylen van Nyevelt, le 26. Après avoir dénoncé les, mesures coercitives, comme un acte de politique internationale arbitraire et sans précédent, comme un système d'hostilités entreprises au milieu de la paix, qui tendait à détruire les bases de l'indépendance des Etats et les principes fondamentaux des droits des nations, et à substituer le droit de la force à celui de l'équité, les plénipotentiaires hollandais proposèrent néanmoins d'entrer dans une convention, pour la cessation des blocus mutuels et la reddition des prisonniers. Mais le ton âpre et peu conciliant, pris par le baron Van Zuylen, dans cette occasion comme dans d'autres occasions antérieures, ayant donné de l'ombrage à Londres, son rappel fut demandé et les négociations furent encore interrompues jusqu'à l'arrivée de M. Dedel, qui, le 23 mars, présenta un nouveau projet de convention à lord Palmerston et au prince de Talleyrand.

Il serait superflu d'analyser les différentes notes et propositions que furent opiniâtrement (page 275) mises en avant et habilement défendues par l'une des parties, et vigoureusement et logiquement repoussées par l'autre, jusqu'à ce qu'enfin, le 16 mai, le gouvernement hollandais, vaincu par l'effet des mesures coercitives, ordonna à son plénipotentiaire de proposer que, « aussi longtemps que les relations entre la Hollande et la Belgique ne seraient pas réglées par un traité définitif, le roi des Pays-Bas s'engagerait à ne pas renouveler les hostilités contre la Belgique, et que la navigation de l'Escaut demeurerait libre. » Cette proposition, la seule qui offrît l'espoir d'un rapprochement et qui, si elle était adoptée, mettait les deux pays dans la position de réduire leur dispendieux état de guerre, non seulement délivrait la France et l'Angleterre d'une partie de leurs embarras, mais ouvrait la voie à des conclusions plus directes. Elle fut l'avant-coureur de la convention du 21 mai, et donna lieu à la réunion de la conférence.

Par cette convention, acceptée par la Belgique le 10 juin, la question territoriale demeura dans le statu quo, ou plutôt fut placée sur la base de uti possidetis jusqu'à la conclusion d'un traité définitif. La cessation des hostilités s'étendit jusqu'au Luxembourg qui n'avait pas été compris dans le premier armistice. La liberté de l'Escaut fut rétablie sur le pied antérieur. Les mesures coercitives maritimes cessèrent des deux côtés. (page 276) Les prisonniers furent mis en liberté. La Meuse fut réouverte au commerce. Les communications entre Maastricht et le Brabant septentrional, ainsi qu'Aix-la-Chapelle, furent déclarées libres, et les cabinets de Saint-James et des Tuileries s'engagèrent à s'occuper aussitôt d'un traité définitif, et à inviter la Russie, l'Autriche et la Prusse à s'unir à eux pour arriver à ce but.

Telle était la substance de la convention du 21 mai, qui plaça la Belgique dans une position plus avantageuse que celle qui pourra résulter peut-être d'un traité définitif. Car, tandis qu'elle recueille tous les avantages émanant du traité de novembre, sans en souffrir les inconvénients, il en résulte pour la Hollande des désavantages territoriaux et financiers, et elle n'a en retour que l'occupation inutile des forts de Lillo et Liefkenshoek, et le stérile honneur de maintenir des principes au prix de si grands sacrifices.

Par suite des engagements contractés dans la convention du 21 mai, la conférence se rassembla en juillet. Cependant, pour simplifier ses travaux, et pour éviter d'ajouter à la multitude des protocoles, dont le nom même était en défaveur en Europe, elle résolut que les négociations seraient, autant que possible, conduites verbalement ; que les parties, directement intéressées, seraient admises à plaider leur cause, mais non à participer aux délibérations ; que le traité de (page 277) novembre, devenu le Palladium de la Belgique, et formant même une partie de la constitution belge, serait la base de la négociation, et le seul point de modification qui pourrait résulter des réserves de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche, ou qui serait nécessaire pour rendre le texte du traité moins obscur, et son accomplissement facile. La conférence continua ses travaux dès le 15 juillet jusqu'au milieu de septembre, avec espérance de succès. Déjà dix-neuf des 24 articles avaient été mutuellement admis par les plénipotentiaires hollandais et belges. Mais les 9e, 11e, 12e, 13e et 14e sections donnèrent lieu à des discussions si invétérées, qu'on ne put parvenir à un arrangement. En conséquence, les négociations furent de nouveau interrompues, la conférence définitivement dissoute, et la question tomba dans l'oubli, où elle est restée jusqu'à présent.

Les motifs qui portèrent les plénipotentiaires à rompre les négociations, et le mécontentement que leur inspira la conduite du gouvernement hollandais, furent consignés dans un mémorandum confidentiel. Ce document ayant été fondé sur les observations que les plénipotentiaires belges adressèrent à la conférence, le 30 septembre, peut être considéré comme résumant de bonne foi les causes qui amenèrent la rupture. Il paraît qu'au moment où la conférence se (page 278) croyait sur le point d'arriver à une solution définitive, des difficultés nouvelles et insurmontables furent élevées par le cabinet de La Haye, qui s'abstenait de toute tentative pour obtenir l'agrément des agnats de la maison de Nassau et de la confédération, en ce qui avait rapport aux stipulations contenues dans les différents articles du traité de novembre, pour lesquelles leur agrément était un préliminaire indispensable à toute négociation. Il déclara que ces matières n'étaient pas suffisamment mûres pour être autorisé à faire cette demande, et dans le fait que leur intention était de subordonner ce point à des négociations ultérieures, et de s'en occuper seulement. à l'époque qui pourrait être avantageuse à leurs intérêts et dans leurs convenances, ou, en d'autres termes, qu'ils s'arrogeraient la puissance de neutraliser les négociations par l'absence de ce consentement qu'ils savaient être essentiel à l'arrangement des points en discussion. Les choses étant ainsi, et la conférence ayant en outre découvert que le cabinet de La Haye avait négligé de donner à ses plénipotentiaires les pouvoirs nécessaires pour arriver à un arrangement définitif, quoiqu'ils eussent consenti à contresigner, dans des vues de déception, les dix-neuf articles dont nous avons parlé, et étant finalement convaincue qu'il n'existait aucune disposition imposant à la Hollande l'obligation de conclure un (page 279) traité définitif, la conférence déclara que des négociations ultérieures étaient inutiles et, comme nous l'avons dit plus haut, elle déclina toute nouvelle médiation.

Tandis que les cinq cours employaient ainsi leurs efforts pour arriver à la solution désirée, une négociation particulière, tendant à compléter la convention, provisoire du 21 mai, se concluait entre le duc de Saxe-Weimar pour la Hollande et le général baron Hurel pour la Belgique (Le général français, baron Hurel, remplaça le générai Desprez comme chef d'état-major général). Cette négociation qui se termina par la convention militaire de Zonhoven, fut ratifiée le 25 novembre (Zonhoven, petite ville de la province du Limbourg, au nord de Hasselt, où des commissaires subalternes se réunirent pour discuter les conditions, dont la principale était que chaque détachement ne pouvait excéder 800 hommes par jour, et serait annoncé, 24 heures d'avance, quand le nombre devrait excéder 12 hommes). Par cette convention, la Hollande obtint un droit de passage pour les troupes et convois du Brabant septentrional à Maestricht, par la route de Lanaken, Brée et Valkens-Waard, et entre Maestricht et Aix-la-Chapelle, par celle de Galoppe. En même temps, la navigation de la Meuse, à travers Maestricht, fut déclarée réouverte, sous certaines restrictions légères que le général Dibbets considérait comme essentielles à (page 280) la sécurité de la forteresse (Déclaration du gênerai Dibbets du 10 novembre 1833) : on peut dire que c'est ici que les négociations se terminèrent. Depuis lors la tâche de la diplomatie est devenue insignifiante. La question semble être tombée dans l'oubli ; elle est arrivée au point où elle se trouve sans aucune concession de la part de la Hollande, qui n'ait été arrachée par la force. Quoiqu'aucun contrat synallagmatique n'ait été conclu, la Belgique est placée sous la garantie d'un fait accompli, et sous l'empire des circonstances. Elle ne peut être soumise à une rétrocession, sans violation d'engagements solennels, ou à aucune déviation matérielle, sans amener une guerre générale.

Les impulsions variées, qui influencèrent les parties contendantes et les puissances arbitres, pendant le cours de ces longues et inextricables négociations, ayant été développées avec quelque étendue, il ne nous reste qu'à jeter un coup d'œil sur l'aspect général de la question, que nous résumerons rapidement.

Nous avons déjà démontré qu'une série d'erreurs politiques, contraires à la réputation de sagesse et de justice du roi des Pays-Bas et à la réputation d'habileté de ses conseillers, avait donné naissance à des mécontentements séditieux en Belgique, et occasionné la révolte du mois d'août à (page 281) Bruxelles. Une persévérance fatale dans ces erreurs, combinées avec une réunion d'événements malheureux, avait rapidement converti cette révolte en une révolution ouverte, et amené la dissolution d'une union mal combinée, dont les éléments hétérogènes rendaient une fusion impossible. Malgré sa sympathie avouée pour un ancien allié, et son aversion pour reconnaître les droits de l'insurrection qu'il avait sanctionnés, en reconnaissant la révolution de juillet, le ministère Wellington, de 1830, ne put résister au torrent des événements dans les Pays-Bas, pas plus qu'il n'avait résisté à ceux de Paris. En conséquence, il rejeta la demande faite par le gouvernement hollandais d'une intervention à main armée (Note du baron Falck à lord Aberdeen, le 5 octobre 1830, et réponse de lord Aberdeen du 17 du même mois); et, considérant les intérêts dynastiques de la Hollande comme subordonnés au maintien de la paix de l'Europe, il se décida sagement à poursuivre le système de négociations dont les protocoles du 4 et du 17 novembre 1830 furent les premiers fruits. Les principes pacifiques, posés par le duc de Wellington, ayant été admis par lord Grey, et reconnus par Louis-Philippe et les grandes puissances, amenèrent l'élévation du roi Léopold et le traité de novembre. Ainsi les Belges, qui déjà jouissaient d'une indépendance de facto, (page 282) obtinrent leur nationalité de jure, qui fut consacrée par un traité solennel et consolidée par la présence des envoyés de toutes les puissances contractantes, excepté la Russie. Car, par une singulière espèce de duplicité politique, l'Autriche et la Prusse envoyèrent des représentants auprès du roi Léopold, comme pouvoir individuel, tandis qu'ils refusaient de le reconnaître comme membre de cette union fédérale, dont les moindres éléments sont soumis à leur volonté.

Admise comme membre de la grande famille européenne, protégée par le traité de novembre, appuyée par les conventions de mai et de Zonhoven, non moins confiante dans la bonne foi et la garantie des grandes puissances, que dans la supériorité de ses forces, dans son crédit toujours croissant et sa prospérité naissante, encouragée par la conviction que des convulsions extérieures ou l'administration intérieure la plus déplorable pourraient seules compromettre sa nationalité, la Belgique se détermina à répondre à l'indomptable ténacité avec laquelle la Hollande soutenait ses principes par une confiante adhésion aux faits consommés.

Quoique l'état de uti possidetis ne fût pas de son choix, son gouvernement résolut de s'y attacher jusqu'à ce qu'il fût remplacé par un traité définitif, et de repousser tous les efforts qu'on pourrait tenter pour l'entraîner dans une position (page 283) intermédiaire. Il déclara en conséquence que le sine qua non des négociations ultérieures devait être l'adhésion des agnats de la maison de Nassau aux projets d'arrangements territoriaux, et que jusqu'à ce que cette adhésion eût lieu, la question ne pouvait ni avancer ni reculer.

Dans la détermination de la Belgique de ne pas dévier de sa ligne de politique, et dans la répugnance du roi grand-duc, de ses agnats, et de la confédération au consentement du principe des échanges territoriaux, réside toute la difficulté de la solution. Le principe de la conduite de la Belgique a été expliqué ; pour elle c'est une question de vie ou de mort. Ceux qui agissent sur la monarchie hollandaise sont si strictement renfermés dans son aversion non déguisée pour renoncer à ses prétentions sur la Belgique, qu'elles ne peuvent ni surprendre ni exiger une explication. Mais les objections de ses agnats et de la diète germanique (si ces objections sont autre chose qu'un prétexte pour favoriser les vues ultérieures de la Hollande) sont moins faciles à expliquer ; car les échanges qui leur ont été offerts sont basés sur des conditions d'une parfaite égalité et ne peuvent nullement nuire à leurs droits individuels ou fédéraux ; les premiers peuvent être considérés comme essentiellement financiers, les seconds comme exclusivement militaires.

En premier lieu, en ce qui regarde les agnats (page 284) de la maison de Nassau, leurs intérêts personnels en sont aussi indépendants que ceux du duché de Brunswick le sont des matières concernant les arrangements de la Grande-Bretagne. Il est notoire que la moitié de la portion orientale ou allemande du Luxembourg est plus qu'équivalente en population et en ressources aux quatre principautés de Nassau cédées à la Prusse en 1815, et que la moitié du Limbourg cédée à la Hollande est supérieure en importance financière et territoriale à la moitié wallonne ou occidentale du Grand-duché cédé à la Belgique. Ainsi les agnats de la maison de Nassau feront un marché, doublement avantageux, en abandonnant leurs possessions héréditaires allemandes ; et il est évident qu'il leur sera encore plus avantageux en renonçant à la moitié de leurs propriétés acquises dans le Luxembourg, en échange de ce qui leur est offert. En second lieu, en ce qui regarde la confédération germanique, on peut affirmer que, quoiqu'en cédant la moitié du Grand-duché, la confédération voit ses frontières limitées de Longwy à Mézières, frontières de peu d'importance militaire ; elle conserve les forteresses de Luxembourg et la clef des grandes routes qui conduisent directement de la Prusse rhénane au cœur de la France. Et tandis que cette barrière contre cette puissance ne s'est nullement affaiblie sur les rives du Semoy et du Chiers, elle obtient une forte position (page 285) militaire sur ceux de la Meuse ; le flanc gauche appuyé par Maestricht, le droit appuyé sur Venloo, et même sur Grave, et le centre sur Ruremonde, susceptible d'être converti en une formidable tête de pont. L'utilité de la portion occidentale du Luxembourg pour l'Allemagne, sous un point de vue stratégique, ne peut être comparé avec celle du Limbourg ; car dans l'événement d'une guerre agressive, le flanc droit d'une armée française, destinée à opérer sur le duché de Juliers, devrait s'avancer directement de Givet par Namur et Liége, et non faire un circuit de Sedan et Longwy, par Bouillon et Neufchâteau. Ainsi, tandis que la route de Coblenlz, par Trèves, serait protégée par le Luxembourg, celles de Düsseldorf et Cologne le seraient par ses possessions sur la rive droite de la Meuse, qui pourraient être converties en une barrière défensive pour les provinces rhénanes, au lieu de servir de point de concentration offensive contre elles. En ce qui concerne l'intégralité des statuts fédéraux, on peut observer que, quoique ces statuts interdisent l'aliénation d'une portion du territoire, dans cette occasion, il n'est pas question d'aliénation ni d'échange, et la récente cession de St.-Wendel prouve la légalité de ces négociations (Le petit territoire, connu sous le nom de principauté de Lichtenberg, fut cédé à la Prusse par le grand-duc de Saxe-Cobourg, le 23 septembre 1834, pour une rente annuelle de 80,000 dollards (443,600 fr.). Il a une étendue de 11 1/2 milles, et contient 26,000 habitants. Il est situé à environ 5 lieues au nord de Sarrebruck, dans la régence de Trêves).

(page 286) On a demandé, en ce qui regarde la Belgique, si la moitié du Limbourg (dont la totalité, excepté les enclaves hollandais, est reconnue avoir fait partie intégrante de son territoire) est d'une valeur supérieure à la moitié du Grand-duché, réclamée par la maison de Nassau, pourquoi elle persiste à demander l'échange, pourquoi elle veut sacrifier la meilleure partie, qui lui appartient incontestablement, pour une partie moindre, à laquelle elle convient n'avoir aucun titre  (On a déjà observé que dès le temps de Philippe-le-Bon, en 1460, jusqu'au traité de Vienne, en 1815, le Luxembourg avait invariablement été considéré comme formant partie intégrante des provinces belges. Il était considéré ainsi lors de l'incorporation de la Belgique à la France, en 1795 ; et cette interprétation fut encore sanctionnée par les traités de Lunéville et de Campo-Formio). On peut répondre à cela que les Belges contestent le juste titre de droit de possession du Luxembourg, et que l'option ne leur est pas abandonnée ; car l'objet avoué du traité de Vienne était de rendre la position militaire du royaume des Pays-Bas aussi forte que possible, en appuyant ses frontières par des forteresses, et en les plaçant comme (page 287) elles le furent sur la Meuse, l'Escaut, la Moselle et l'Ourcq, et que le but secret du traité de novembre et des négociations qui l'accompagnèrent, était d'affaiblir la position stratégique de la Belgique en détruisant les forteresses, et en la privant du double avantage de ses fleuves, de manière à la réduire à une situation plus en rapport avec la neutralité à laquelle on la destinait ; s'il est jamais possible de réaliser un projet si peu d'accord avec la position géographique, qui semble destiner ses armées à être l'avant-garde de celles de France ou d'Allemagne, et, comme nous l'avons déjà dit, son territoire à être l'arène de leur première rencontre.

Les choses étant ainsi, c'est une haute question de savoir si la demande pour la cession entière du Luxembourg et la rétention de tout le Limbourg pourrait être accordée ; car, par ce moyen, la Prusse et la Hollande se trouveraient privées de leur barrière sur la Meuse, et la Belgique non seulement serait mise en contact avec la partie la plus vulnérable de la Hollande, par Grave et Nimègue, mais pourrait arriver sur le Rhin en deux jours de marche. Mais il en fut autrement ; la France elle-même était intéressée au maintien des arrangements proposés ; car, quoique la possession de la moitié occidentale du Luxembourg pût être considérée comme plus importante pour la diète germanique que la rive (page 288) droite de la Meuse, il était évidemment avantageux pour la France que la Belgique obtînt la plus grande partie possible du Luxembourg, par lequel sa frontière contiguë à la confédération est diminuée d'à peu près quinze lieues, et ses rapports avec une puissance amie augmentés d'autant.

Tel est l'aspect de la question diplomatique. Nous devons maintenant consacrer quelques lignes à décrire les résultats que tire la Belgique de son changement de position politique.

« Les causes et les motifs des séditions sont des innovations en religion, des impôts, le changement dans les lois et dans les coutumes, le mépris des privilèges, l'oppression générale, l'avancement des personnes qui en sont indignes, des étrangers, et enfin tout ce qui en offensant le peuple l'unit dans une cause commune (Essai de Bacon). Si ces lignes eussent été écrites exprès pour la Belgique, elles ne lui seraient pas plus applicables ; car les griefs, dont se plaignaient les provinces méridionales, non seulement embrassaient toutes ces innovations, mais étaient de telle nature qu'ils finirent par unir dans un même lien les hommes professant les doctrines les plus opposées, et les entraînèrent à exiger par la violence l'exécution juste et équitable des lois qu'on avait refusée à leurs pétitions ; de telle sorte qu'un combat opiniâtre (page 289) s'ensuivit, envenimé par toutes les haines individuelles, les préjugés nationaux, et par plus d'un de ces actes d'une violence effrénée qui sont le résultat trop fréquent des convulsions populaires. Le peuple triompha, et sa victoire inattendue résolut la première partie du problème de l'insurrection, c'est-à-dire le redressement des griefs. » Mais la seconde (savoir les améliorations financières et commerciales qui ne dépendent que du temps et d'une administration judicieuse) est encore incertaine.

Avec l'indépendance et la nationalité qu'ils désiraient depuis si longtemps, les Belges avaient obtenu une constitution si éminemment libérale, qu'elle demande plutôt des modifications, en ce qui regarde l'extension des droits du pouvoir exécutif. Ils avaient établi le jugement par jury, augmenté considérablement le nombre des électeurs, et détruit les privilèges de l'aristocratie. Ils avaient enlevé toute restriction à la liberté de la presse, de l'instruction, garanti la publicité des débats judiciaires, et le droit d'association politique, littéraire et commerciale. Des réformes importantes eurent lieu dans l'administration de la justice, dans le régime des prisons, dans le mode de perception des impôts, et dans le système municipal. On décida que le code pénal serait révisé, la peine de mort rendue applicable seulement à quatorze cas déterminés, la marque (page 290) et l'exposition abolies (M. Lebeau, avant de quitter le ministère de la justice, en août 1834, a présenté à la chambre des représentants un projet de révision du code pénal). De nouveaux canaux et des routes furent ouverts ; d'autres encore furent projetés. Un chemin de fer, allant de la mer à la frontière prussienne s'avance avec rapidité ; et des embranchements multiplieront les moyens de communication intérieure. Les caisses d'épargne ont reçu une immense extension, les capitaux déposés s'étant élevés de 200,000 francs à 1,800,000. Deux nouvelles universités ont été fondées ; et le nombre d'enfants suivant les écoles primaires est augmenté d'un sixième. L'inconstitutionnel et mystérieux syndicat a disparu. Le budget décennal a été remplacé par un budget annuel. Une sévère économie, une surveillance active ont été introduites dans chaque département des dépenses publiques ; et la plus petite somme ne peut échapper à l'examen des chambres, ou être détournée de sa destination. Les emplois civils et militaires sont la propriété exclusive des nationaux (Sur 2768 officiers, 128 seulement sont étrangers, et le service de ces derniers est limité à la durée de la guerre. A la révolution le nombre des officiers était de 2,373, dont seulement 417 était Belges. Le baron de Keverberg, dans son ouvrage sur le royaume des Pays-Bas, prétend « que le nombre des Belges excédait 500, et d'après cela les Belges ne seraient encore que dans la proportion de 1 à 5). Les (page 291) loteries sont abolies ; divers impôts d'une nature nuisible ont été allégés ou abrogés ; les vexations fiscales ont été adoucies, et le crédit public, baromètre des ressources et de la force nationales, s'est élevé au niveau de celles des nations les plus favorisées.

D'un autre côté, quoique les fabriques de draps, d'armes, les houillères, les forges, les raffineries de sucre, les savonneries et les distilleries soient dans une grande activité ; quoique les octrois d'Anvers et d'Ostende, pour 1834, aient augmenté de 459,000 francs sur l'exercice 1829, il est admis que le commerce colonial est réduit à une insignifiance comparative, que les importations excèdent les exportations de près de 4 millions, que quelques branches d'industrie, spécialement l'industrie cotonnière, languissent (L'industrie cotonnière entreprise sous l'empire, dut sa prospérité d'abord au système continental et ensuite au million de l'industrie. On peut dire, en conséquence, que cette prospérité a été en grande partie artificielle) ; que plusieurs grandes maisons de commerce et des armateurs qui faisaient le commerce des Indes avaient quitté Bruges et Anvers pour la Hollande, qu'il existe une grande abondance de capitaux qui ne peuvent trouver d'emploi, que le mouvement des ports pour 1833 et 1834 est moins considérable que (page 292) celui de 1829, que les crimes ont augmenté (Il est prouvé, par l'intéressant ouvrage de M.E. Ducpétiaux (Justice sociale), que les crimes capitaux ont diminué : le total des condamnations capitales de 1830 à 1834 inclusivement étant de 58, dont une seulement a été mise à exécution), ainsi que le nombre des indigents, et finalement, en comparant les budgets des six dernières années, il paraît qu'aucune amélioration directe n'a eu lieu, malgré l'abolition des taxes ci-dessus mentionnées  (Budget de 1830, 84,000,000 (part de la Belgique) ; - 1831, 112,000,000 ; - 1832, 203,000,000 ; - 1833, 119,000,000 : - 1834, 84,000,000 ; - 1835, 92,000,000. Desquels 295,000,000 francs ont été absorbés par les dépenses de la guerre, depuis le 1er janvier 1831).

 Il est nécessaire d'observer, cependant, que ces symptômes défavorables sont les conséquences inévitables des circonstances passées et présentes ; car, quoique la perte en hommes et les dépenses en argent aient été proportionnellement insignifiantes, on ne peut pas supposer que la Belgique ait pu changer son état de vasselage contre une liberté illimitée, sans des sacrifices temporaires considérables, et que les premiers temps de cette transition puissent réaliser l'espoir général. Ainsi, (page 293) nonobstant une addition de 20 pour cent sur certaines parties du revenu public, et quoique les recettes aient constamment dépassé les prévisions, les voies et moyens des quatre dernières années étant tout à fait insuffisants pour répondre aux exigences extraordinaires de la crise, des emprunts montant à 116 millions, y compris 15 millions de francs en bons du trésor, furent en conséquence nécessaires(Emprunts faits par la Belgique et la Hollande depuis la révolution : 1) Par la Hollande 518,000,000 fr. Il a été remboursé sur cette somme 119,000,000. Reste 399,000,000. 2) Par la Belgique 162,000,000. II a été remboursé sur cette somme 46,000,000. Reste 116,000,000. Les dépenses totales pour la guerre, en Hollande, pendant les 5 dernières années, sont estimées à 346,000,000 fr. La dette publique en Belgique, votée pour 1835, non compris la liste des pensions, etc., montait à 7,798,000 fr., et tout compris, à 11,640,883 francs), dont les intérêts ajoutés de 8,400,000 fl. (17,777,760 fr.), et les arrérages éventuellement dus à la Hollande pourront élever le total de la dette publique à 25,775,760 fr., somme à peu près égale aux 26 millions payés autrefois par la Belgique, comme sa part de la dette du royaume des Pays-Bas. Cependant, si la (page 294) paix était faite, l'armée pourrait être diminuée d'environ un tiers de sa force numérique active, qui est de 110,000 hommes prêts à entrer en campagne, sans compter la garde civique ; et de grandes réductions pourraient être faites sur le département de la guerre qui, jusqu'à présent, a toujours absorbé la moitié du budget ; de sorte que les voies et moyens ne doivent pas excéder 75 millions. Conséquemment, la nation éprouvera un allégement annuel de près de 11 millions, comparativement à ce qu'elle payait pendant son union à la Hollande.

En offrant ce tableau succinct de l'état actuel de la Belgique, nous n'avons pas eu l'intention de pénétrer plus avant dans l'avenir, ou de nous livrer à des prophéties hasardeuses dont le développement ne peut résulter que de l'action du temps et de l'union favorable de l'impulsion intérieure et extérieure. Car il serait difficile d'indiquer le moyen de remédier à la langueur qui afflige le commerce, de même que de calculer les avantages qui pourraient résulter de l'accomplissement des travaux nationaux destinés à unir l'Escaut avec le Rhin (La route en fer belge commençant à Anvers, avec des embranchements vers Bruxelles et Ostende, traversera Malines, Louvain, Tirlemont, Liège et Verviers, et entrera en Prusse, dans le voisinage de Eupen (ville de manufactures à 5 lieues au-dessus d'Aix-la-Chapelle). Elle devra s'étendre alors sur une ligne presque directe par Bergheim jusqu'à Cologne. Les dépenses de construction sont évaluées à 35 millions de francs). Il suffit de dire que les Belges sont (page 295) sans appréhensions sur l'avenir du commerce et qu'ils fondent beaucoup d'espérances sur le succès du chemin de fer destiné à donner à Anvers une supériorité décidée sur Rotterdam et, Amsterdam, en détruisant le monopole du transit dont elles n'ont joui jusqu'à présent que par le manque de communications plus rapides et plus économiques entre Cologne et la mer. Ces espérances semblent fondées ; car il tombe sous les sens que si les commerçants et les manufacturiers allemands, spécialement ceux du Rhin et ses tributaires, peuvent importer ou exporter les produits plus économiquement et plus rapidement par terre que par eau, et cela sans craindre l'interruption des saisons, ils n'hésiteront pas entre les deux modes de transport (Les importations de la Hollande en Allemagne, par le Rhin, montaient en 1834 à 86,500 ; les exportations à 248,131 tonneaux évalués à environ 4 fr. 50 par tonneau, exigeant à peu près 8 jours pour être rendus à Cologne. Les dépenses, calculées par la route en fer, s'élèvent à environ 3 fr. 75 c. par tonneau, et le transport n'exigera que 24 heures). La question qui mérite la plus sérieuse attention de la part des économistes politiques belges, n'est pas tant cependant de savoir si (page 296) leur commerce se ranimera, et si leur route en fer réussira, mais s'il est plus avantageux d'étendre leurs relations politiques et commerciales avec la France, et de considérer presque exclusivement ce pays comme leur soutien, ou s'il ne leur convient pas de tâcher de se soustraire graduellement à l'ascendant de la France et de s'unir plus étroitement avec l'Allemagne.

Sans prétendre entrer dans des détails, on peut affirmer que, tandis que les sympathies politiques et morales de la Belgique l'attirent vers la France, ses intérêts matériels sont inclinés vers l'Allemagne. Car, d'un côté, quelque intime que puisse être son alliance avec la France, c'est une erreur de supposer que le gouvernement français veuille jamais faire des concessions commerciales importantes à la Belgique, qui, par l'abondance et le bon marché de ses productions minérales, par sa supériorité de fabrication, par sa facilité de se procurer la matière première, par son voisinage immédiat, et par une quantité d'autres causes favorables, pourrait non seulement entrer en concurrence avec la France, mais balancer les fabricants français sur leur propre marché, si la prohibition était levée, ou si les droits protecteurs étaient sensiblement diminués. D'un autre côté, quoique des objections semblables puissent être élevées par quelques Etats de l'Allemagne, il est de l'intérêt évident du (page 297) plus grand nombre de ces états, qui font partie de l'association des douanes prussiennes, d'admettre les manufacturiers belges à jouir des bénéfices d'un tarif modéré, d'un commun accord, tant pour exciter la concurrence, mère de l'invention et de l'économie, que pour obtenir des débouchés plus prompts pour leurs laines, leurs vins et autres produits indigènes.

Quelle que puisse être l'opinion des chambres belges sur cette question, les hommes d'Etat de l'Angleterre et de l'Allemagne admettront certainement que, comme la position particulière de la Belgique tend à la soumettre à l'action constante des influences étrangères, il est d'une saine politique de la soustraire, autant que possible, à celle de la France. Cela ne peut s'obtenir que par des concessions libérales et par des traités d'amitié et de protection. Il est évident que plus les Belges ont de motifs d'éloignement pour l'Allemagne, plus ils tendent à se rapprocher de la France ; tandis que, s'ils étaient soutenus, encouragés, enrichis, et surtout si leurs intérêts matériels s'amélioraient par leurs rapports avec l'Allemagne, on ne peut douter que, dans un cas d'urgence, on ne la trouvât prête à s'appuyer sur le Nord, autant qu'elle l'est maintenant à s'appuyer sur le Sud. Car les sympathies des nations, comme celles des individus, sont subordonnées à leur intérêt et à leur conservation.

(page 298) Il est ordinaire d'entendre accuser les Belges d'une tendance exclusive vers la France, et cette accusation est jusqu'à un certain point fondée. Mais, en admettant que cela soit vrai, quoi de plus naturel ? Indépendamment de leur conformité de langage, de religion, de législation, d'organisation civile et militaire, de littérature, de modes et d'usages, indépendamment des rapports privés et publics d'une contiguïté géographique et de mille autres causes tendant à resserrer leurs affections internationales, les Belges savent bien qu'ils doivent principalement à l'amitié de la France et à la prudente modération de Louis-Philippe, leur existence comme nation. Non seulement ce prince a rejeté les offres de réunion qui lui furent faites par quelques-uns de ceux qui avaient, en premier lieu, saisi les rênes du gouvernement révolutionnaire à Bruxelles ; mais s'élevant au-dessus de toutes les séductions d'agrandissements pour sa famille, il refusa le trône pour son fils, parce que son acceptation eût entraîné la guerre et la destruction de la nationalité belge, tandis qu'avec un égal désir pour le bien-être du peuple qui aspirait à son alliance, il lui donna sa fille pour reine avec empressement, non seulement comme un lien d'amitié entre les deux pays, mais comme un moyen de confondre les deux dynasties. Non contente de prêter l'immense poids de son assistance au gouvernement belge, la France (page 299) a été également prompte à le soutenir de ses armes. Deux fois, ses armées entrèrent dans le pays pour le délivrer ou le défendre, et ayant accompli leur mission se retirèrent aussitôt, prenant pour elles tous les risques et les dépenses de ces deux expéditions, et sans autre récompense que celle d'avoir acquis de nouveaux titres à la confiance de l'Europe, et à la reconnaissance du peuple qu'elles avaient secouru.

Ces procédés devaient produire une impression d'autant plus favorable sur l'esprit des Belges, qu'ils contrastaient avec ceux des Etats transrhénaux. qui, sans être ouvertement hostiles, avaient un caractère fait pour augmenter l'influence qui avait été l'occasion de tant de jalousies. Si l’action de cette influence est un mal, s'il est d'une importance politique d'y remédier, la confédération germanique n'a qu'à le vouloir. Qu'elle abandonne la ligne de politique mystérieuse et équivoque qu'elle a suivie jusqu'à présent, et tout en surveillant les intérêts et en écoulant les justes réclamations de la maison de Nassau, qu'elle concoure franchement à consolider cette indépendance, sur laquelle la force des événements, plus que le poids des hommes, a apposé son sceau. L'impolitique du gouvernement hollandais a hâté le renversement de la barrière qui, pendant 15 ans, fut considérée comme le boulevard de l'Allemagne. S'il est nécessaire de la remplacer, ce ne sera pas en affaiblissant (page 300) les ressources, ou en jetant du discrédit sur ceux qui doivent la reconstruire et la garder qu'on y réussira ; et pourtant tel paraît être le système avoué par la diète germanique (Nous pouvons citer ici une autorité remarquable à l'appui de noire opinion ; ce n'est pas moins que le prince d'Orange lui-même, qui, dans son manifeste du 11 janvier s'exprime ainsi : « Je me confie dans l'assistance des grandes puissances, dans leurs vœux sans cesse dirigés vers le maintien de l'équilibre européen, et la consolidation de la paix générale. Rendre la Belgique indépendante, forte et heureuse, est leur intérêt commun. La sécurité générale en dépend essentiellement.)

 Terminons cette esquisse en disant que la Belgique, prospérant sous l'influence d'institutions monarchiques régénérées, et sous le sceptre paternel d'un prince qui s'est généreusement associé à ses destinées, et qui a exposé sa vie pour son indépendance, peut maintenant considérer la somme de ses libertés comme complète, et que, tandis que le commerce et l'industrie n'attendent que la paix et des traités équitables pour revenir à leur ancienne vigueur, les arts et les sciences se raniment de manière à redevenir dignes de leur ancienne réputation. Ce progrès doit être principalement attribué à son émancipation politique, et à l'extension de cette liberté si nécessaire au développement des ressources individuelles et nationales.

Enchaînés pendant un long espace de temps sous le sceptre de fer de maîtres étrangers, les Belges avaient perdu le titre, mais non pas le sentiment de leur nationalité. Leur révolution leur en a rendu la jouissance, sous un roi sage et tolérant qui règne sur eux, exclusivement pour eux.

Les Belges peuvent maintenant rappeler l'histoire du passé et parler avec orgueil de ces illustres patriotes dont les noms sont cités dans les pages de l'histoire de l'Europe. Ils peuvent maintenant renouer les liens brisés des traditions nationales, et montrer qu'ils ne sont pas sans souvenirs honorables dans le passé, ni sans espérances d'un avenir brillant.

Et quel pays a des titres plus illustres dans l'histoire que celui qui, dans le 15e siècle, était le premier en Europe pour sa richesse, son industrie, sa civilisation et son savoir, que le pays où naquit Charles-Quint et tant d'autres généraux illustres et tant de vaillants soldats ; que celui où d'Egmont, Horne et autres nobles victimes tombèrent martyrs de la cause de la liberté ; que la patrie de Sculiger, Ortelius, Lipsius, Vésale, Van Eyck et Rubens ; le pays qui combattit vainement pour ses droits et ses privilèges contre l'oppression de l'Espagne, et résista avec non moins de (page 302) courage aux empiétements du despotisme autrichien, quoique peut-être avec moins de justice que lorsqu'elle secoua en dernier lieu le joug de la Hollande ?

Satisfaite des richesses de son sol, et de tant d'autres avantages naturels, dont la Providence l'a favorisée, essentiellement industrieuse et morale, désireuse d'entourer son territoire d'une haie d'oliviers, plutôt que d'une barrière de fer, la Belgique ne demande maintenant à l'Europe que de jouir librement de son indépendance dans des limites qui concilient sa vitalité et les droits des autres états : la politique et la justice exigent qu'on lui fasse ces concessions. Si elles lui étaient refusées, si quelque attentat était commis contre leur nationalité, les Belges seraient aussi prompts à courir les hasards de la guerre, qu'ils sont maintenant désireux de jouir des bienfaits de la paix. On les verrait alors aussi prodigues de leur sang et de leurs trésors pour défendre une liberté raisonnable, contre les attentats du despotisme, qu'on les voit disposés à concourir avec les gouvernements modérés à arrêter les progrès de la licence.

Ayant reconquis parmi les nations ce rang qui est son juste héritage, le vœu le plus ardent de la Belgique n'est pas de troubler les institutions de l'Europe, mais de s'y conformer. Pacifique mais armée, patiente mais résolue, elle est préparée (page 303) à toutes les vicissitudes politiques qui pourraient l'assaillir du dehors, tandis qu'augmentant en puissance et avec l'espérance de diminuer sa dette, elle poursuit tranquillement son œuvre d'amélioration intérieure, et se dévoue à la culture des arts libéraux et utiles, qui sont la gloire des nations civilisées.

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