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Note
d’intention
(Traduit de l’anglais par Mademoiselle A. SORRY),
Paris, Librairie de Fournier, 1834. (Tome I, pp. 1 à 137)
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CHAPITRE II
Gand. -
Antiquités. – Saint-Bavon. - Université. - Collection de Schamp. - Combat de
taureaux. - Espions. Béguinage. - Saint-Michel. - Anvers. - Air espagnol. - Effets
du siége
(page 30)
Nos amis d'Ostende nous accompagnèrent encore de Bruges à Gand. La distance
entre ces deux villes n'est que d'environ vingt-un milles anglais. Là nous
retrouvâmes des édifices pittoresques et par leur forme et par leur couleur,
avec la nouveauté additionnelle de nombreux canaux qui traversent la ville dans
tous les sens, et joignent l'Escaut à
Des volumes seraient dignement et pleinement remplis
par le simple catalogue des antiquités qu'un amateur zélé pourrait trouver dans
ces nobles et anciennes villes flamandes. Aucune histoire des temps passés,
bien que nous en ayons plusieurs qui semblent évoquer les siècles comme par une
baguette (page 31) magique, ne peut
jeter un jour plus frappant sur la partie de nos anciennes chroniques qui
concerne l'époque glorieuse des Pays-Bas, que ne peut le faire la vue des
restes de cette époque. On lit en caractères parlants, le long de chaque rue,
un commentaire sur les mœurs, les coutumes, la richesse et le goût de ce pays
intéressant.
Les vastes magasins placés jusque sous les pignons
pointus qui terminent des maisons richement sculptées, montrent que les
négociants opulents vivaient somptueusement sous le même toit où leurs
marchandises étaient abritées; et la largeur des portes des étages supérieurs,
près desquelles on voit assez souvent les traces d'une poulie, prouvent que les
belles dames du logis ne dédaignaient point de voir monter et descendre devant leurs
fenêtres les objets sur lesquels leur luxe était fondé. A côté de la demeure du
riche marchand, une orgueilleuse tour indique l'ancienne habitation d'un noble.
D’un côté l'on voit la maison de ville, construction
dispendieuse, ornée de sculptures à l’extérieur, et dans l'intérieur enrichie
de (page 32) tableaux d'un fini qui
doit avoir été payé au poids de l’or civique. D’un autre cote s’élève une
église superbe, si grande dans ses dimensions, si splendide dans sa décoration,
si abondante en trésors de toute espèce, qu'elle proclame hautement la richesse
de ceux qui l'érigèrent, et qui rassemblèrent les objets précieux qu'elle
renferme.
Bref, il me semble qu'au lieu de considérer
Deux étudiants de l'Université aidèrent nos
obligeants compagnons à nous montrer ce que l'on trouve de plus intéressant à
Gand. Là, comme à Bruges, la variété des objets rend difficile de raconter tout
ce qu'on a vu. La magnifique cathédrale de Saint-Bavon reçut notre première
visite. Cette église est digne d'attention sous plus d'un rapport. Elle est
fort ancienne, et pleine de monuments relatifs à l'histoire de la ville, et
propres à indiquer son importance (page
33) passée. Plusieurs des inscriptions du choeur rappellent l’institution
de l'ordre de
Le lutrin de cette cathédrale passe pour plus riche
de Flandre, et pour le style et pour l’exécution. C'est un mélange de sculpture
en bois et de marbre blanc, et plusieurs parties sont richement dorées. Mais ce
qui me fit plus d’impression que tout le reste, fut l'église souterraine. Il y
a quelque chose de si solennel dans sa sombre étendue, et de si vénérable dans
sa pure antiquité, que je voulus revoir plusieurs fois cette obscure nef.
J'examinais la force et la (page 34)
capricieuse irrégularité de cette structure dénuée de tout ornement, avec un
intérêt que la pompe de l'église supérieure n'avait point excité.
On aperçoit en effet, même dans la plus ancienne
église, la trace des divers siècles qui ont passé sur sa construction, et
changé sa physionomie en augmentant sa splendeur. Mais sous les piliers massifs
et nus de l'église souterraine de Saint-Bavon, les mille ans écoulés depuis que
ces pierres grossièrement taillées out été empilées, semblent disparaître, et
vous croyez jeter un coup d'œil sur la société chrétienne au huitième siècle.
Je me ressouviens d'avoir éprouvé un sentiment analogue dans l'église
souterraine de Cantorbéry, mais il n'avait pas l'intensité de celui que
j'éprouvai à Gand.
Presque toutes les grandes églises des villes
catholiques sont nommées cathédrales, bien que la plupart n'aient ni évêques ni
chapitres; mais Saint-Bavon est une véritable cathédrale, et j'eus l'extrême
plaisir de voir et d'entendre une grand'messe dans ce bel édifice le dimanche
suivant.
La musique était excellente, plusieurs instruments à
cordes ajoutant leurs notes claires et (page
35) perçantes aux sons de l'orgue. L'évêque, et une grange réunion de
chanoines et de prêtres de la cathédrale assistaient à la cérémonie; et le
service divin fut accompli avec une dignité, un repos majestueux dont aucune
différence de foi ne pouvait m'empêcher de recevoir l'impression la plus
profonde et la plus religieuse. .
L'Université de Gand est un très bel édifice érigé
par le roi de Hollande. Le portique grec a de nobles proportions, et la salle
circulaire destinée aux examens est d'une élégance remarquable. Mais le nom de
Guillaume est effacé de l’inscription qui surmonte le portique, et une feuille
de papier blanc couvre ses armes, brodées sur la draperie qui tombe sur l'un
des côtés du gracieux amphithéâtre.
Il était évident, d'après le ton dans lequel un ou
deux jeunes gens qui s'étaient réunis à nous parlaient de cette éclipse, qu'ils
la regardaient comme une tache sur la gloire de la ville. Elle doit en effet
beaucoup à la munificence de Guillaume, et l'on est peu surpris d'entendre plus
d'un personne y prononcer son nom avec affection et regret.
(page 36)
Le cabinet d'histoire naturelle est dans un bel ordre, et ferait honneur à tous
les pays du monde.
On voit dans l'église de Saint-Michel un bon tableau
de Vandyck, malheureusement en fort pauvre état. L'Académie de Peinture possède
les salles et les galeries exigées pour une institution de ce genre, mais sa
collection de tableaux est misérablement française. Il est criant de voir, dans
un pays si riche eu chefs-d'oeuvre de Rubens et de Vandyck, la mesquine école
de David prédominer si généralement parmi les jeunes artistes. Une salle
parfaitement éclairée est occupée par les tableaux qui ont obtenu les prix
pendant ces vingt dernières années: tous portent le cachet de l'école
française. Il est de bon ton de répéter à Londres, après chaque exposition de
Sommerset-House : « Nous n'avons rien de bien saillant cette année; les
ouvrages sont en général médiocres », et autres phrases semblables. Je
souhaiterais que nos critiques vinssent passer seulement quelques mois sur le
continent, dans l'intention expresse de connaître sa peinture moderne; ils
reviendraient, j'en suis (page 37)
sûre, beaucoup moins mécontents de la nôtre.
La collection du baron de Schamp est trop bien
connue pour qu'il soit nécessaire de la rappeler aux voyageurs anglais; mais il
est difficile de ne point s’arrêter sur le souvenir du plaisir qu'elle a donné.
Les deux portraits en pied de Vandyck, celui de Rubens peint par lui-même,
surtout l’Annonciation du Corrége, ne s’effaceront, je l'espère, jamais de ma
mémoire. Pour m’en assurer, autant que pouvait me le permettre la durée de mon
séjour à Gand, je visitai deux fois, cette collection, et j'y restai deux ou
trois heures à chaque visite. Je ne crois pas avoir joui de la vie d’un délice
aussi complet en ce genre. La personne chargée de faire les honneurs du cabinet
fait juste ce qu'il faut, et rien de plus, et vous laisse parfaitement libre
dans votre examen. Vous n'avez point de foule qui intervienne entre vous et les
objets de votre contemplation; point de valets qui, se traînant sur vos pas en
bâillant, semblent hâter votre départ. Jamais tableau ne m'inspira un plus vif
désir de le voir figurer dans notre galerie nationale, que l'Annonciation du
Corrège ci-dessus (page 38)
mentionnée. Le style, l'exécution, l'idée de cette composition, la rendent,
suivant moi, si parfaite, que je voudrais qu'elle fût sans cesse sous les yeux
de nos jeunes artistes. Le tableau se compose d'une seule figure. Aucun ange
visible ne partage l’intérêt avec cette aimable représentation de
Si l'une des averses rares qui nous dérangèrent dans
nos projets pendant l’été, ne fût pas justement tombée l'après-midi du 16 juin,
à Gand, j'aurais assisté, malgré ma répugnance pour un tel spectacle, à un
combat de taureaux. (page 39)
D’après l'annonce, je m'attendais à voir quelque chose de semblable à ce qu'on
voit en Espagne. On dit que cet horrible divertissement est permis par les lois
belges, et n'est point considéré comme dégradant pour les hommes, ou cruel pour
les animaux qui y figurent. J'avoue que, malgré le désir de me mettre à même de
rendre compte d’un amusement aussi réellement étranger, je ne fus point fâchée
d'en être dispensée. Cependant, j'appris ensuite qu'il y avait plus d’adresse
et de prestige de saltimbanque, que de véritable hardiesse dans le matador, qui
d’ailleurs s’arrête au moment de mériter ce titre. L’arène offre aussi peu de
ressemblance avec les formidables combats de taureaux d'autrefois, qu’on peut
trouver entre les simagrées de miss Jacko et de ceux qui se mettent en scène
avec elle, et les chances d'une véritable chasse à l’éléphant.
La mode des « espions » aux fenêtres, que
j’avais déjà remarquée dans les autres villes de Flandre, est beaucoup plus
générale à Gand. Cette invention très simple était entièrement nouvelle pour
moi ; et comme elle peut l'être (page
40) également pour d'autres, je la cite comme faisant partie des habitudes
nationales. Par le moyen de miroirs placés à l'extérieur des fenêtres des
salons, ceux qui sont assis en dedans peuvent voir tout ce qui se passe dehors
sans commettre l'inconvenance de paraître à la fenêtre. Ces machines étant
montées sur des gonds, peuvent changer de position et être placées de manière à
présenter aux passants la réflexion d'un joli visage, taudis que la personne à
laquelle il appartient est à l'abri dans l'intérieur de la chambre. La première
fois que je vis un de ces miroirs, mon attention fut attirée par une face
brillante de fraîcheur qui paraissait me regarder du milieu d'une forêt de
boucles légères; et comme je la voyais entourée d'un cadre, je crus un moment
que c'était l'enseigne d'un peintre de portraits. Mais, en avançant de quelques
pas, je vis quel était le peintre.
Il existe des couvents de filles en Flandre, et nous
avons vu souvent, et à Bruges et à Gand, des béguines (c'est ainsi qu'on nomme
les religieuses flamandes) dans les rues et les marchés. Le béguinage de Gand
est un fort bel établissement. (page 41)
Nous assistâmes au salut dans sa chapelle, où sept cents religieuses faisaient
leurs dévotions. L’effet de ce grand rassemblement de nonnes agenouillées était
vraiment beau. Plusieurs étaient dans la fleur de la jeunesse, et leur costume
n’est point désavantageux. Après l'office, toutes se levèrent, et quelques unes
s'approchèrent de l’autel pour remplir des actes de piété additionnelle ou de
pénitence sur ses marches. Avant de sortir, chacune d'elles ôta son voile d'une
étoffe blanche très fine, le plia et le posa à plat sur le sommet de sa tête,
où il avait l'apparence de la coiffure carrée si commune dans les tableaux
italiens.
La connaissance que ces recluses peuvent être
relevées de leurs vœux, si la vie paisible et monotone qu'elles mènent vient à
les ennuyer, empêche leur vue d'exciter aucun sentiment pénible de regret sur
le sacrifice qu'elles ont fait de toutes les joies, de toutes les espérances,
de toutes les affections de ce monde. Cependant, il est rare, comme on nous l'a
souvent affirmé, qu’aucune d’elles se prévale de la liberté que leur accordent
les lois. Elles vivent très confortablement, (page 42) leurs petites fortunes respectives produisant, réunies
ensemble, un revenu plus que suffisant pour leurs dépenses. La maison et
l'église sont entourées de murailles; mais on peut y entrer librement à toute
heure de la journée. Les béguines ne sont point logées dans un grand bâtiment
commun, à la manière des autres couvents; leur clôture renferme une véritable
petite ville, dont chaque maison est habitée par une ou plusieurs sœurs et
leurs servantes. Sur la plupart de ces maisons on voit le nom de celles qui
l'habitent, inscrit sur une plaque de cuivre sur la porte; on lit sur les unes:
Sœur Berthe, sœur Gertrude ; sur
d'autres : Sainte Adélaide, sainte Lucie.
Quelques dames de grande famille résident au milieu de ces religieuses, et l'on
voit fréquemment de brillants équipages arrêtés à leur porte. Je crois qu'elles
sont marraines de la moitié des enfants qui naissent dans la ville, et, autant
que je puis en juger, elles ont plus d'importance chacune dans son cercle,
qu'elles n'en auraient obtenu en demeurant célibataires isolées, au lieu de
devenir membres d'une grande communauté.
(page 43)
M. H…, désirant prendre le croquis d'une béguine en habit complet, exprima ce
souhait à une dame, à laquelle il avait été présenté. Elle était catholique, et
comme elle avait une amie ou une parente au couvent de Sainte-Thérèse, elle
entreprit obligeamment, de procurer à notre compagnon de voyage l'opportunité
qu’il souhaitait. Il accompagna donc cette dame au béguinage, dont la porte
leur fut ouverte par une sœur âgée, a laquelle madame L... expliqua le motif de
sa visite, en demandant à voir la sœur ***, une des plus jeunes de la
communauté.
« Ne pourrais-je servir de modèle aussi bien
qu’elle ? » demanda la vénérable nomme.
M. H… parut désolé; madame L.... hésitait.
« Nous avons toutes le même habit», reprit la
bonne vieille femme.
Mais un mot de supplication de l’artiste
désappointé, à 1’oreille de madame L..., décida celle-ci à persévérer dans sa
requête; et ils furent introduits dans un salon où bientôt après ils virent
paraître une jeune et jolie personne.
(page 44)
M. H... tira sur-le-champ son portefeuille et son crayon.
« J'espère que c'est pour l'honneur de la bonne
cause », dit la jeune religieuse.
Madame L... lui dit qu'elle pouvait en être
certaine, et le plus charmant dessin fut exécuté.
Le 17 juin nous partîmes de Gand pour nous rendre à
Anvers, et nous fûmes assez heureux pour décider nos amis d'Ostende à prolonger
leur excursion de quelques jours. Si les routes de Flandre offrent peu de
beautés pittoresques, elles sont loin d'être dépourvues d'intérêt, surtout
pendant l'été. Le pays est un véritable jardin, chaque pouce de terre est
cultivé; et la variété de récoltes croissant à la fois, sans être séparées par
des haies ou autres clôtures, donne l'idée de la plus complète abondance.
Cependant ce fut seulement quand nous vîmes commencer les riches moissons, que
nous comprîmes l'étonnante fertilité du sol. On aurait cru voir couper un
morceau de galette. La comparaison n’est pas très noble; mais cette image se
présente naturellement, lorsqu'on voit la (page
45) faucille entamer la masse compacte de ces champs
Entre Gand et Anvers l'on traverse le petit bourg de
Saint-Nicolas, le plus grand marché au lin qui existe dans le monde. Mais il vaut
passer dans son voisinage au commencement de l’été qu’à l’entrée de
l’automne ; car depuis l’époque où le lin délicat cesse de balancer au
vent ses légères cloches bleuâtres, jusqu'à celle où il prend la forme de
dentelle ou de fine toile, cette plante est un vrai poison dans l'air.
La route directe de Gand à Anvers, par terre, est
Nous prîmes nos quartiers dans le bel hôtel
Saint-Antoine, des fenêtres duquel cet élégant clocher peut être étudié à son
plus grand avantage. A ma première promenade dans la ville, ce qui me frappa le
plus vivement fut l'air espagnol des femmes. Nous avions déjà vu quelque chose
de cela à Bruges et à Gand, mais c'était beaucoup moins remarquable qu'à
Anvers. lci les femmes portent généralement la mantille. Celles des plus hautes
classes imitent, comme ailleurs, autant qu'elles le peuvent, les modes
parisiennes; mais, même parmi la plus riche bourgeoisie, on a conservé l'usage
de cette gracieuse draperie, pour laquelle on emploie les matériaux les plus
dispendieux, et que les dames ajustent avec beaucoup de soin et d'élégance.
Quelquefois la mantille est remplace par un ample voile de soie noire qui
enveloppe entièrement la tête et les épaules ; mais l’un et l’autre
costume cachent également une grande partie du visage; et lorsque les femmes
s'inclinent en priant, on ne peut apercevoir un seul de rieurs traits. Les
longues files de têtes voilées que je voyais constamment dans les églises me
faisaient imaginer que j'étais entourée de religieuses.
Ce n’est pas sous ce seul rapport que les bourgeois
flamands rappellent leurs ancêtres espagnols. Nous avons remarqué plusieurs belles
femmes dont les traits et le teint décelaient une origine méditerranéenne.
Cependant ce fut, si je ne me trompe, sous Philippe II que les Pays-Bas
secouèrent le joug de l'Espagne. Il semblerait qu’un si grand nombre d'années
devrait avoir çomplétement effacé tout vestige de cette domination étrangère;
mais très certainement il n’en est pas ainsi. Le catholicisme zélé de ce
peuple, très différent de celui des autres peuples voisins, vient encore, je
pense, de la même source.
Nous jouîmes à Anvers, de même que dans les (page 48) autres villes que nous avons
traversées, de ce délice particulier et si profond qui résulte des souvenirs
rattachés aux objets visibles. A chaque pas, des événements que l'histoire nous
avait rendus familiers, perdaient les détails fantastiques que notre
imagination avait liés avec eux, ou bien nous avions le plaisir de voir nos
suppositions confirmées. Je ne crois pas que Rome elle-même présente une suite
de tableaux aussi continue que
Le siége récent n'ajoute que trop à cet effet. Je
n'avais jamais vu de mes propres yeux les rayages de la guerre avant d'avoir
visité Anvers; et c'est en frémissant que je contemplai la désolation produite
par un événement dont j'avais entendu la courte et insignifiante histoire. Les
ruines de plusieurs édifices publics, et la solitude lamentable des magasins
dévastés sont de (page 49) tristes
spectacles ; mais ils paraîtraient gais en comparaison du désert effrayant
offert par les espérances de tant de pauvres laboureurs. J'avais si peu de
temps auparavant admiré les abondants produits de cette terre, que cet
affligeant contraste m'inspira une double horreur. Sept villages prospères ont
été entraînés par le débordement des digues. Leurs clochers restent seuls
au-dessus de l'eau, pour indiquer la place où ils ont existé!
Il est remarquable que, nonobstant les maux extrêmes
produits par ces mesures, aucun sentiment d’inimitié n’est exprimé par les
habitants contre le général Chassé. On s’accorde à dire, au contraire, que sa
conduite a été aussi prudente, aussi humaine à l'égard de la ville, que la
tâche qui lui était imposée pouvait le permettre ; et les citoyens ont
même fait une souscription pour lui offrir une belle pièce d'argenterie en
témoignage de leur gratitude. Je pense, en effet, qu’il est impossible de voir
un peuple occupé du travail pénible de réparer les dévastations d’un siège,
regarder l'ennemi qui l'a (page 50)
conduit d'un oeil aussi indulgent que le font les dignes habitants d'Anvers.
Sans doute la désunion récente ne leur a pas fait oublier leurs anciennes
affections.