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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE » Première continuation

      

Par Jean-Baptiste Nothomb

 

 

CHAPITRE II. Débats de la Chambre des représentants; la marche du gouvernement n'est pas comprise; vote du 3 avril 1833; caractère de ce vote; arrêté du 28 avril portant dissolution de la Chambre des représentants; influence des événements politiques

 

(page 26) Nous sommes obligé d'interrompre le récit des négociations ouvertes à Londres, pour porter notre attention sur la Belgique même.

Il est impossible de ne pas être convaincu de l'unité du système politique suivi par les divers gouvernements qui se sont succédé en Belgique ; dans le ministère, ce système a été le même ; hors du ministère il a eu presque constamment les mêmes adversaires ; chaque fois qu'il était sur le point d'amener un résultat décisif, l'opposition a redoublé d'efforts et, dans deux occasions mémorables, elle a touché la victoire, pendant que les faits protestaient contre elle. Le deuxième ministère du régent obtient l'élection du Roi et une transaction avec la Conférence; il se retire comme s'il était vaincu ; déchu, il assiste à l'inauguration royale. Le deuxième ministère du Roi obtient un commencement d'exécution du traité du 15 novembre: résultat important, qui donne aux négociations la sanction d'un fait ; en même temps qu'il affermit la nationalité belge, cet acte semble imprimer à la politique européenne une autre direction ; (page 27) car tout prend un aspect nouveau. Les vieilles inimitiés, les vieilles amitiés s'effacent ; l'Angleterre s'allie à son ancienne rivale, la France, contre son ancienne amie, la Hollande ; et l'expédition d'Anvers n'est que le premier effet de la nouvelle alliance. La question de guerre générale est posée par la France et l'Angleterre, résolue par l'inaction du reste de l'Europe. Le deuxième ministère du Roi, qui avait sa part dans ces imposants résultats, se retire devant le vote de la Chambre des représentants ; déchu, il assiste au siège d'Anvers.

Et cependant, des deux événements que nous venons de rappeler il est resté un souvenir grand et populaire : le ministère du 26 mars 1831, c'est la royauté belge; le ministère du 17 septembre 1832, c'est la libération d'Anvers ; voilà comme le peuple résume l'histoire, et il la résume admirablement; il ne s'arrête point aux détails ; il voit le résultat, et il voit bien.

Le Roi n'étant point parvenu, à la suite du vote de l'adresse du 27 novembre, à former un autre cabinet, les ministres démissionnaires se résolurent, après la reddition d'Anvers, à reprendre leurs portefeuilles ; mais les dissentiments ne cessèrent point, même en présence des faits qui justifiaient si complètement la marche ministérielle.

S'attachant isolément à la note belge du 2 novembre 1832, l'opposition avait soutenu que le gouvernement, s'était engagé à l'évacuation territoriale sans assurer aux populations abandonnées la garantie de l'armistice, ni à la Belgique les avantages résultant du traité du 15 novembre ; le ministère avait prétendu qu'aucune de ces conditions n'était exclue ; nous avons vu que les (page 28) projets et même les contre-projets de conventions échangés à Londres sont venus constater la vérité de cette affirmation.

Les restrictions mises à la liberté de l'Escaut ne pouvaient manquer de soulever des réclamations ; le ministère soutint que ces restrictions étaient des conséquences des mesures coercitives ; qu'elles cesseraient avec ces mesures ; que ces actes de représailles étaient dirigés contre les trois gouvernements réputés en hostilité envers la Hollande et non contre les neutres ; qu'à l'égard de ceux-ci, la navigation restait libre et exempte de droits. Nous avons vu que les explications données à Londres sont encore venues justifier les assertions ministérielles. .

A travers des débats politiques presque quotidiens, la Chambre des représentants n'était point encore parvenue à la discussion régulière du budget ; d'intervalle en intervalle, elle avait en quelque sorte aumôné des crédits provisoires au gouvernement; enfin, le budget de la guerre fut mis à l’ordre du jour pour la séance du 23 mars.

Le fait du maintien des mesures coercitives étant incontestable, il ne pouvait se présenter qu'une seule question, celle de savoir si, dans cet état des choses, la Belgique devait conserver ses propres armements sur terre.

Le maintien des armements était nécessaire pour deux raisons : la première, parce que, pour forcer les deux puissances exécutrices à rester dans la situation violente où elles s'étaient placées, il fallait pouvoir continuer à: leur dire.: Vous exécuterez, ou nous exécuterons ; (page 29) la seconde, parce que, depuis le 25 octobre 1831, aucun armistice formel ne garantissait la Belgique contre une reprise d'hostilités, qui pouvait sembler une diversion avantageuse dans une situation désespérée.

L'opposition essaya d'abord de soutenir que, les mesures coercitives étant maintenues, les armements belges étaient superflus ; elle parut ensuite en reconnaître l'utilité,. mais pour le cas seulement où la Belgique prendrait l'offensive sur terre, pendant que la flotte anglo-française poursuivrait le blocus maritime[1]; enfin, dans la séance du 27 mars 1833, deux membres appartenant. à l'opposition extrême mirent en avant l'idée de fixer le terme du 1er juillet pour l'exécution du traité et de ne voter le budget que jusqu'à cette époque[2] .

Cette proposition pouvait-elle se concilier avec le système politique du ministère, avec les résultats déjà obtenus et les justes espérances qu'on devait concevoir? Sans doute, la Belgique avait pu dire aux cabinets dont elle avait accepté la garantie: Vous exécuterez le traité, mais elle ne pouvait se croire autorisée à ajouter : L'exécution du traité sera accomplie dans tel délai. C'eût (page 30) été dépasser les limites de la garantie, les limites même des possibilités humaines. La France et la Grande-Bretagne n'avaient d'ailleurs aucun intérêt à prolonger indéfiniment une situation difficile, en rendant les mesures coercitives illusoires, et personne ne pouvait fixer à l'avance le jour où le gouvernement hollandais se sentirait vaincu par l'action lente, mais irrésistible, des mesures employées contre lui.

Il était impossible de faire concourir le blocus maritime par la France et la Grande-Bretagne avec une reprise d'hostilités sur terre de la part de la Belgique; il fallait opter entre l'action des puissances et l'action de la Belgique. L'action de la Belgique aurait fait naître de graves dangers et de grandes incertitudes, l'action des puissances devait amener un résultat certain, sans péril pour la Belgique. L'action des puissances ne pouvait cesser arbitrairement et sans conditions satisfaisantes; par la nature des engagements, les mesures coercitives ne pouvaient être levées qu'en vertu d'un arrangement définitif ou provisoire agréé par la Belgique. C'est ce que les deux puissances exécutrices avaient formellement reconnu dans la note du 14 février, note que le ministère belge déclara faire sienne.

La section centrale, à laquelle l'amendement avait été renvoyé, proposa de l'adopter, mais en cherchant à lui donner un sens particulier:

« Pour qu'on ne puisse pas prendre le change sur les sentiments et les intentions de la Chambre des représentants, disait le rapporteur, la section centrale a cru s'en rendre l'interprète fidèle, en expliquant les motifs de cette restriction.

(page 31) « La nation est impatiente de la lenteur des négociations diplomatiques ; elle veut le dénouement de nos difficultés avec la Hollande. Pour arriver à cette fin, elle souscrira encore à de nouveaux sacrifices. Ce n'est donc point pour la soulager des dépenses qu' occasionne l'armée sur le pied de guerre, ce n'est point pour réduire cette belle armée que nous avons organisée à si grands frais, que nous vous proposons de n'allouer les subsides que pour six mois; notre but unique (et qu'on le sache très bien) n'est autre que, les six mois écoulés sans espoir d'une conclusion prochaine, de presser le gouvernement de recourir à des mesures énergiques propres à assurer l'indépendance de la Belgique. Dans ce cas, loin de nous opposer à des demandes de crédits, nous augmenterons, s'il en est besoin, nos moyens de coercition, et ne négligerons rien pour assurer le triomphe de nos armes[3]. »

La discussion s'éleva très vive. Le ministère désira savoir si la proposition devait être considérée comme lui étant hostile ou non ; en la rattachant aux discours des auteurs de l'amendement primitif, elle avait évidemment un caractère d'opposition. Un député répondit que la Chambre n'était pas tenue d'expliquer ses intentions et que le ministère interpréterait le vote comme il le voudrait ; le même orateur, ayant pris une deuxième fois la parole, déclara qu'il voulait un système plus franc, plus énergique, plus conforme aux véritables intérêts du pays[4]. Un des auteurs de l'amendement (page 32) primitif avoua que le ministère n'avait point sa confiance, et il le défia de se retirer, si la proposition était adoptée[5]. Le rapporteur de la section centrale chercha à ôter à la proposition tout caractère d'hostilité, en ajoutant néanmoins qu'il fallait plus d'énergie[6]. Le ministère avait fait une deuxième proposition qui était purement administrative et qui tendait à soumettre le budget de la guerre à une révision lors du vote de la loi générale des budgets, à l’effet de le comprendre dans la même loi[7]. Il persista à regarder la proposition de la section centrale comme lui étant hostile et il annonça qu'il faisait du vote une question d’existence pour le cabinet.

La proposition ministérielle fut écartée par la question (page 33) préalable, à la majorité de 45 voix contre 28[8]  et la proposition de la section centrale adoptée.

L'assemblée s'ajourna au 22 avril; le Roi renouvela ses tentatives pour former un autre cabinet; un arrêté royal du 19 avril ajourna la Chambre au 6 mai; un arrêté du 28 avril en prononça la dissolution. Ce dernier arrêté était motivé de la manière suivante:

« Vu les difficultés qui, depuis l'ouverture de la présente session législative, se sont élevées dans les rapports de la Chambre des représentants avec l'administration;

« Considérant que, par suite de ces circonstances, nos ministres nous ont, à diverses reprises, offert leur démission, sans que l'on soit parvenu à composer une administration nouvelle qui présentât des gages de stabilité;

« Considérant que ces difficultés semblent prendre leur source dans la diversité des opinions sur la marche des relations extérieures;

« Considérant que, depuis la dernière élection générale, il .s'est accompli des événements importants qui (page 34) ont contribué à l'affermissement de l'indépendance de la Belgique et qui, sous ce rapport, méritent d'être livrés à l'appréciation du pays;

« Considérant que, si c'est un des premiers principes du gouvernement représentatif que le ministère soit d'accord avec la majorité parlementaire, il est indispensable aussi, pour rendre l'administration possible, que cette majorité ne soit pas incertaine ; qu'une adhésion douteuse à la marche du gouvernement paralyse l'action de celui-ci, sans offrir à la couronne les éléments d'une administration nouvelle;

« Considérant que, d'après la loi électorale, la Chambre des représentants devrait être renouvelée par moitié le second mardi de juin prochain; que, d'après les articles 18 et 54 de la même loi, les membres qui viendraient à être remplacés dans cette élection partielle, vu l'impossibilité de clore immédiatement la session, continueraient à siéger jusqu'au mois de novembre qu'ainsi des représentants dont les successeurs seraient déjà nommés influeraient, à l'exclusion de ceux-ci, sur les résolutions de la Chambre et pourraient par leur vote décider les questions les plus importantes;

« Considérant que la dissolution de la Chambre des représentants obvie à cet inconvénient et assure aux électeurs, au lieu d'un contrôle partiel, un contrôle général sur les actes de cette branche du pouvoir législatif et sur la marche du gouvernement, etc. »

 

Le vote du 3 avril avait placé le ministère dans la position la plus embarrassante ; les hommes de bonne foi avoueront que ce vote était hostile au système ministériel (page 35) dont il niait l' efficacité ; injurieux à la France et à la Grande-Bretagne dont il méconnaissait la loyauté et les nobles efforts. Mais le ministère devait-il recourir à la dissolution de la Chambre? Avait-il bien fait de se mettre, par ses déclarations, dans l'alternative de dissoudre la Chambre ou de se retirer lui-même?

Nous dirons la vérité aux hommes du pouvoir comme nous l'avons dite aux hommes de l'opposition : la dissolution a été une faute politique.

Le ministère avait inconsidérément engagé une discussion qui devait décider de son existence ou de celle de la Chambre ; avec plus d'habileté et, si l'on veut, moins de franchise, il eût pu accepter les conclusions de la section centrale, en prenant acte des paroles du rapporteur et en écartant comme accessoires les déclarations individuelles de quelques députés.

Ce n'est pas que la dissolution eût quelque chose d'inconstitutionnel : c'était un appel aux électeurs; mais il y avait un appel plus sûr que celui-là : l'appel à l'avenir ; et dans les temps agités, dans les pays où l'éducation publique est peu avancée, c'est sur l'avenir qu'il faut compter. Du cours naturel des choses devaient sortir les plus belles chances de succès. La Chambre était de plein droit dissoute par moitié au mois de juin 1834; la convention du 21 mai advenue, le renouvellement partiel, suffisant pour déplacer ou fortifier la majorité, se fût effectué sans secousse, sous l'influence d'un grand résultat diplomatique. La dissolution intégrale, prononcée par la volonté ministérielle, et avant que les mesures coercitives eussent produit leur effet, irrita les esprits peu familiarisés avec les mesures extrêmes du (page 36) régime représentatif; et le renouvellement s'opéra en l'absence d'un fait décisif. Si l'assemblée nouvelle se montra plus favorable au gouvernement, ce fut par suite des résultats politiques obtenus depuis les élections ; ils eussent suffi pour adoucir l'ancienne Chambre. Les événements devinrent ministériels, il fallut bien que la Chambre le devînt à son tour.

Il nous reste à rendre compte de l'issue des négociations.



[1] Dans la séance du 26 mars 1833, M. Nothomb s'efforça vainement de rassurer les esprits en faisant entrevoir la possibilité d'un arrangement provisoire systématisant le statu quo au grand avantage de la Belgique.

Voyez son discours, p, 71 du Recueil. (Note de la 4e édition.)

[2] « Il est ouvert au ministre directeur de la guerre un crédit provisoire de 15 millions, pour faire face aux dépenses urgentes de l'armée sur pied de guerre, pendant les mois d'avril, mai et juin 1833. » Amendement de M. de Robaulx.

« Je propose à la Chambre de ne voter les dépenses de la guerre, sur le pied de guerre, que pour les six premiers mois de l'année. » Amendement de M. Pirson.

[3] Moniteur, n°95, du 3 avril.

[4] « Nous avons assez répété que nous n'avions rien d'hostile aux individus; Nous voulons un système plus franc, plus énergique, plus conforme aux intérêts du pays; et c'est tout ce que nous demandons. » M. H de Brouckere, séance du 3 avril. »

[5] « Le ministère nous demande s'il a encore notre confiance; eh bien! que répondrait-il si nous lui répondions aujourd'hui: Non, vous n'avez pas notre confiance. (M. le ministre de la justice : Nous nous retirerions).

Vous vous retireriez! Il n'y aurait pas assez de journaux ministériels, soudoyés par je ne sais qui, pour dire que nous sommes des révolutionnaires, que nous faisons une petite convention nationale: Notre intention n'est point de vous renverser, mais de vous imprimer un peu plus d'énergie... » M. de Robaulx.

[6] « Y a-t-il dans les paroles de la section centrale rien d'hostile au ministère? Dans cette Chambre, les membres qui votent le plus constamment avec l'opposition ont dit au ministère : Nous tenons compte de votre position ; nous savons bien que vous n'êtes pas maître de faire aller nos affaires plus vite, mais nous voulons que vous montriez de l'énergie. » H. Brabant, rapporteur.

 

[7] « Considérant qu'il est dans l'esprit de la Constitution que les budgets des divers départements ne forment qu'une seule et même loi de dépense;

« Vu la nécessité de soumettre à une révision les diverses allocations dont se compose le budget de la guerre en discussion;

« Le budget de la guerre pour 1833 sera soumis à une révision lors du vote définitif du budget général des dépenses de l'État, et fera partie de la même loi. » Proposition faite par M. Rogier, au nom du ministère.

[8] Ont voté pour la question préalable: MM. Angillis, Brabant, Coppens, Corbisier, Dams, H. de Brouckere, de Haerne, de Laminne, Dellafaille, de Meer de Moorsel, Werner de Mérode, de Renesse, de Robaulx, de Sécus, Desmaisières, Desmanet, Desmet, d'Huart, Dubus, Dumortier, Ernst, Fallon, Fleussu, Fortamps, Gendebien, Hye-Hoys, Julien, Lardinois, Levae, Liedts, Meeus, Osy, Pirson, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Speelman, Teichman, Thienpont, Ch. Vanderbelen, Vergauwen, Verhaegen, H. Vilain XIIII, Watlet et Vuylsteke.

Ont voté contre: M. Coghen, Cols, de Bousies, de Robiano de Borsbeck, de Terbecq, de Theux, Dewitte, de Stembier, Domis, Donny, Dumont, Duvivier, Goblet, Lebeau, Legrelle, Marcellis, Mary, Milcamps, Morel-d’Haneel, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, Rogier, Ullens, Vandenhove, Verdussen et Raikem.