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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE »

  

    Par Jean-Baptiste Nothomb

 

 

CHAPITRE X – Election du prince Léopold

 

(page 172) Le Congrès national avait en quelque sorte siégé en permanence; le 6 mars, il s'ajourna pour la première fois; il se réunit de nouveau le 29 du même mois; après avoir reçu les explications ministérielles et voté quelques lois d'urgence, il se sépara, le 12 avril, sans ajournement fixe. Le ministère, plus libre dans sa marche, poursuivit activement la solution de la grande question qu'il s'était posée[1]

(page 173) L'envoyé officiel près du gouvernement britannique n'étant pas parvenu à se faire recevoir, la Belgique était sans représentant à Londres; tout intermédiaire venant à manquer, le ministère résolut de s'adresser directement au prince Léopold et fit choix à cet effet de quatre commissaires : MM. le comte Félix de Mérode, H. Vilain XlIII, l'abbé de Foere et Henri (page 174) Brouckère. Le 10 mai, M. Devaux, ministre d'État, se rendit également à Londres, chargé d'une mission spéciale.

La première entrevue du prince Léopold avec les commissaires belges eut lieu le 22 avril et fut suivie de plusieurs autres; de hautes convenances s'opposent à ce que j'en révèle les détails. Je me bornerai à rapporter les belles paroles par lesquelles le prince ouvrit ces conférences[2]) : « Toute mon ambition est de faire le bonheur de mes semblables; jeune encore, je me suis trouvé dans tant de positions singulières et difficiles, que j'ai appris à ne considérer le pouvoir que sous un point de vue philosophique, je ne l'ai jamais désiré que pour faire le bien, et un bien qui me reste. Si certaines difficultés politiques, qui me semblaient s'opposer à l'indépendance de la Grèce, n'avaient surgi, je me trouverais maintenant dans ce pays; et cependant je ne me dissimulais pas quels auraient été les embarras de ma position. Je sens combien il est désirable pour la Belgique d'avoir un chef le plus tôt possible; la paix de l'Europe y est même intéressée. »

Le Congrès national reprit ses séances le 18 mai; le 20, il reçut en comité secret les confidences des commissaires envoyés à Londres. Dans la séance du 25 mai, la proposition formelle de l'élection du prince Léopold fut déposée sur le bureau, signée de 96 députés; cette proposition fut développée par MM. Van de Weyer et C. Rodenbach, et souleva plusieurs questions (page 175) qui donnèrent lieu à de nouvelles propositions. Le 28, l'assemblée reçut communication de la fameuse lettre de lord Ponsonby; le 30, la discussion fut ouverte sur toutes les propositions préjudicielles, qui pouvaient se ranger en trois catégories.

Première proposition: Ajournement de toute élection, et guerre immédiate[3]

(page 176) Deuxième proposition: Ajournement de l'élection et négociation préalable[4]

Troisième Proposition : Élection immédiate du chef de l'État et négociation ultérieure[5]

Ces diverses propositions ayant été débattues, l'assemblée posa la question générale: Admettra-t-on le système de l'élection immédiate ? Question qui, le 31 mai, fut résolue affirmativement par 137 voix contre 48[6].

(page 177) La troisième proposition, celle de M. Nothomb, obtint donc la priorité; elle fut amendée dans plusieurs parties et adoptée dans son ensemble par 150 voix contre 40. Voici le texte du décret, qui porte la date du 2 juin:

«Art. 1er. L'élection du chef de l'État sera proclamée dans les termes fixés par le décret du 29 janvier 1831

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à ouvrir des négociations pour terminer toutes les contestations territoriales au moyen de sacrifices pécuniaires, et à faire des offres dans ce sens.

« Art. 3. L'arrangement qui pourra intervenir sur ces négociations sera soumis à la ratification du Congrès et, dans tous les cas, il sera fait, au plus tard le 30 juin, un rapport sur l'état des négociations, à l'Assemblée, qui statuera immédiatement si elles doivent être continuées ou rompues. » Le projet primitif renfermait un quatrième article, ainsi conçu :

« Il (le gouvernement) est également autorisé à (page 178) proposer que, sans préjudice de la souveraineté de la Belgique, il soit mis temporairement dans la forteresse de Maestricht une garnison mixte ou une garnison quelconque autre que hollandaise. » Cet article fut rejeté à l'unanimité moins une voix, après avoir soulevé une de ces tempêtes parlementaires qu'il est à la fois impossible de décrire ni d'oublier.

Enfin, le samedi 4 juin, le scrutin fut ouvert, et le prince Léopold fut proclamé roi des Belges[7] .

 

 



[1] A qui faut-il attribuer la 'première idée du choix du prince de Saxe-Cobourg?

Question oiseuse, selon nous, et dont nous ne nous occupons que parce que quelques écrivains, et notamment M. WHITE, The belgic revolution, 1. 1, p. 253 et 257; traduction française, t. III, p. 73 et 91, ont semblé y attacher quelque importance.

Nous disons que la question est oiseuse; comment découvrir qui a eu le premier une idée du domaine de tout le monde, et quel avantage y aurait-il à le savoir? Le mérite consistait à réaliser cette idée, en saisissant l'à-propos et en concevant un plan convenable.

L'idée même remonte aux premiers temps de la révolution; on trouve dans le Courrier des Pays-Bas du 9 décembre 1830, n° 343, un article très judicieux de M. Lucien Jottrand en faveur de l'élection du prince de Saxe-Cobourg.

Elle était depuis longtemps dans le public qu'elle n'avait pas encore pénétré dans le Congrès; dans la séance du 2 février 1831, M. Devaux fit la première mention du prince de Saxe-Cobourg. « Mon intention, disait-il, a été d'abord de voter pour un roi indigène; à défaut de ce prince, j'avais tourné mes regards vers le prince de Saxe-Cobourg. Ces choix sont-ils encore possibles aujourd'hui? Non; deux candidats se partagent les suffrages du Congrès. En appuyant la candidature de l'un des deux, je ne parle point pour un candidat de mon choix. »

M. Jottrand pourrait donc probablement revendiquer la priorité comme journaliste, M. Devaux comme député.

M. Lebeau, dans son rapport du 18 mai, établit une sorte de solidarité entre lui et son prédécesseur, M. Van de Weyer. « Dans les instructions données, dit-il, tant à M. Le Hon qu'à M. le comte d'Arschot par M. Van de Weyer, la question de s'occuper de la question du chef de l'État est expressément indiquée, et le prince désigné par mon honorable prédécesseur, comme paraissant devoir fixer particulièrement l'attention dé nos plénipotentiaires, est précisément celui dont j'ai cru devoir pressentir les dispositions. » En effet, M. Van de Weyer, par des instructions datées du 20 mars 1831, chargea le ministre belge à Paris, M. Le Hon, d'annoncer au cabinet français que, si le refus du duc de Nemours était irrévocable, il devenait nécessaire de recourir à une autre combinaison et de songer soit au prince de Saxe-Cobourg, soit au prince Charles de Naples.

Nous avons dit qu'il fallait l'à-propos et un plan.

Le système exclusivement français étant épuisé, l'à-propos existait; car la candidature du prince Léopold supposait un système impartial, européen; cette candidature eût été inopportune et par cela même impossible dans les premiers mois de la révolution.

L'à-propos étant donné, il restait à concevoir un plan et à le mettre à exécution; ce fut la tâche du deuxième ministère du régent. Cette tâche, il est parvenu à la remplir, et il n'a pas besoin de revendiquer d'autre gloire.

Le résultat du voyage fait à Londres par lord Ponsonby, du 13 au 26 mai 1831, a été de convaincre le ministère anglais que l'indépendance absolue de la Belgique était une nécessité et l'élection du prince Léopold la seule solution possible. Lord Palmerston obtint de la Conférence de faire une sorte d'appel au prince par le protocole du 21 mai, n° 24. (Note de la 4e édition.)

[2] Extrait d'une lettre du 22 avril 1831.

 

[3] Texte de la proposition:

Le Congrès national, considérant que la constitution déclare que les provinces d'Anvers, de la Flandre orientale (y compris la rive gauche de l'Escaut) et de Limbourg font partie de la Belgique;

Considérant que, malgré l'évidence du droit que la Belgique indépendante a sur les provinces ci-dessus désignées, les troupes hollandaises n'en persistent pas moins à en occuper des parties et à les empêcher de jouir du régime constitutionnel belge;

Considérant que la suspension d'armes, si souvent rompue par les Hollandais, n'a pas produit l'effet qu'on en attendait, puisque le gouvernement hollandais se montre sourd à toutes propositions d'arrangement compatibles avec l'honneur et l'indépendance de la Belgique;

Considérant que si la Belgique doit à sa propre dignité et à des motifs d'ordre supérieur de reprendre les hostilités contre la Hollande, elle doit aussi à la paix des puissances voisines de déclarer qu'elle ne veut faire aucune conquête et qu'elle se contentera de chasser les ennemis de son territoire;

Considérant que toutes négociations ultérieures sont désormais impossibles, si au préalable l'indépendance de la Belgique et l'intégrité de son territoire, conformément à la constitution, ne sont de fait assurées, décrète:

Le pouvoir exécutif est chargé de prendre immédiatement des mesures, même par la force, pour établir les lois et autorités belges dans toutes les parties du territoire de la Belgique actuellement occupées par les ennemis.

(Signé) A. DE ROBAULX.

Ce système était celui de tous les journaux de Belgique, le Courrier de la Meuse et le Politique exceptés. (Note de la 1re édition.)

C'est ce qui engagea le roi à fonder le Mémorial, avec MM. Lebeau, Devaux, Ch. Rogier, Nothomb, Kauffman et H. Vilain XlIII. Voyez la notice biographique du baron Nothomb, par TH. JUSTE, p. 37-38. (Note de la 4e édition.)

[4] Avant de procéder à la nomination du prince de Saxe-Cobourg, le Congrès fera, dans le plus bref délai, connaître à la Conférence de Londres, et au prince lui-même, l'indemnité qu'il croirait pouvoir offrir pour le Luxembourg et les arrangements auxquels il croirait pouvoir consentir quant au Limbourg et à la Flandre zélandaise.(Signé) BLARGNIES, P.-F. CUES, D'ELHOUNGNE.

[5] Proposition de M.Nothomb, H. de Brouckere et Ch. Vilain XIIII.

 

[6] (Non repris ici, dans cette version numérisée : la note de base de page détaillant la liste des congressistes qui ont voté contre et pour)

[7] Quelques personnes ayant fait à l'éditeur un reproche de s'être abstenu, dans la première édition, de donner l'appel nominal sur l'élection du Roi, il croit devoir le rétablir ici, d'après le procès-verbal authentique de la séance du 4 juin 1831.

Cent cinquante-deux membres votent en faveur du prince Léopold de Saxe-Cobourg; ce sont (détail non repris dans cette version numérisée) (…) Les membres qui n’ont pas votés pour S.A.R. le prince de Saxe-Cobourg sont au nombre de quarante-trois (détail non repris également ; la note comprend également les motivations du refus ou de l’abstention) (Note de la 3e édition.)