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(chambre des représentants)
Congrès national de Belgique
Séance solennelle du jeudi 21 juillet 1831
Inauguration du roi
Sommaire
1) Commentaires sur les préparatifs festifs de l’entrée royale à Bruxelles
2) Réception du régent dans le sein du congrès (Surlet de Chokier)
3) Arrivée du congrès et du régent sur la place Royale préparée pour
l’inauguration du roi (Rouppe, Léopold)
5) Ouverture de la séance d’inauguration (de Gerlache, Surlet de Chokier, de Gerlache)
6) Prestation de serment du roi
8) Retour du congrès au palais de la Nation
9) Décret de reconnaissance nationale en l’honneur du régent (de Gerlache)
(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès
national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 613)
Dès le matin une foule immense parcourt les rues par où doit passer le cortège,
et les habitants mettent la dernière main aux décorations brillantes et variées
qui ornent les façades de chaque maison. Les (page 614) ornements les
plus beaux et les plus prodigués sont les drapeaux aux couleurs nationales,
qui se détachent éclatants des masses de verdure et des guirlandes. C'est
principalement vers la place Royale que tous les curieux portent leurs pas.
Là, devant l'église de Saint-Jacques-sur-Caudenberg,
s'élève une galerie d'une architecture à la fois élégante et légère. Un trône,
surmonté d'un dais blanc et or, occupe le milieu de la galerie ; en avant sont
placés cinq riches fauteuils destinés au roi, au régent, à MM. les président
et vice-présidents du congrès ; quatre tabourets sont réservés pour MM. les
secrétaires ; le long des frises de la galerie se trouvent des médaillons
portant les noms de Bruxelles, Liége, Sainte-Walburge, Berchem, Walhem, Lierre, Namur, Louvain, Venloo, points
principaux où le peuple belge a combattu vaillamment pour conquérir sa liberté.
Au-dessus de ces médaillons on voit des trophées d'armes où la blouse, placée
comme la cuirasse antique dans les anciens trophées, fait le meilleur effet.
Des banderoles blanches portent les noms des diverses provinces du royaume ;
d'autres banderoles plus élevées étalent les couleurs nationales. Sur le
fauteuil du trône on lit ces mots : L'union fait la force.
Déjà, dès huit heures du matin, une foule innombrable
de spectateurs est placée sur les estrades réservées aux personnes invitées
par le congrès. Toutes les (page 615) fenêtres des maisons de la place
Royale sont autant d'amphithéâtres garnis de dames élégamment parées. On a
dressé des amphithéâtres jusque sur les toits, et ce n'est pas là qu'il y a ni
moins de dames, ni moins de spectateurs.
Entre dix et onze heures la cour supérieure de
Bruxelles, la cour des comptes, la haute cour militaire, le tribunal civil,
les administrateurs généraux, les gouverneurs civils, les députations des États
et les gouverneurs de provinces, viennent successivement se placer à droite et
à gauche de l'escalier, au-dessous des places réservées aux membres du congrès.
A onze heures et quart,
Le congrès, convoqué dès neuf heures pour examiner
en comité général quelques points du programme de la solennité à laquelle il doit
prendre part, délibère à huis clos en attendant l'arrivée de M. le régent.
A onze heures M. le régent, précédé d'un
détachement de lanciers, et suivi d'un détachement de cuirassiers, arrive en
voiture au congrès. Deux autres voitures accompagnent la sienne ; elles
contiennent MM. les ministres et les aides de camp.
La séance est déclarée publique. (M. B., 23 juill.)
Une députation de dix membres du congrès, tirés au
sort, se retire pour recevoir M. le régent au pied du grand escalier du palais
National ; elle l'introduit dans l'assemblée. Aussitôt des applaudissements
nombreux et prolongés mêlés de vivat, partis de l'enceinte et des tribunes
publiques garnies d'un petit nombre de spectateurs, accueillent le premier
magistrat du peuple belge, qui, pour la dernière fois, vient au sein des
députés du pays, au moment de céder sa place et son pouvoir an nouveau roi.
Après que les applaudissements ont cessé. M.
le régent dit ce peu de
mots : « Messieurs. Permettez-moi de vous remercier brièvement : mon émotion
est trop forte pour pouvoir parler longtemps. »
Des larmes coulent de tous les yeux ; un moment de
silence succède à cette courte allocution.
M. le président invite
M. le régent à prendre place sur un fauteuil qui est préparé devant le bureau.
M. le régent – Permettez-moi,
messieurs, de rester debout au milieu de vous. C'est une dernière marque de
respect que je rends à la nation belge représentée ici par ses dignes
mandataires.
L'assemblée, restée debout depuis l'entrée du régent,
se disperse dans les couloirs et les salons de conférence. M. le régent reçoit
les compliments particuliers d'un grand nombre de députés, qui se pressent
autour de lui. Après quelques instants une estafette vient annoncer le départ
du roi du château de Laeken. (M. B., 23 juill.)
Vers midi le congrès et M. le régent quittent le
palais de
Le bureau prend place sur les siéges
qui lui sont réservés, et les membres du congrès s'asseyent dans la galerie, à
droite et à gauche du trône.
Cependant le roi, qui a quitté le palais de Laeken à
onze heures, est complimenté à Molenbeek-Saint-Jean, où on lui offre le vin
d'honneur. A la porte de Laeken, MM. les bourgmestre et échevins et le corps
municipal de la ville de Bruxelles reçoivent Sa Majesté ; en lui présentant les
clefs de la ville, M. Rouppe lui adresse le
discours suivant :
« Sire,
« Le corps municipal de la ville de Bruxelles
s'empresse d'offrir à Votre Majesté, au nom de cette héroïque cité, le tribut
de son respect, l'hommage de son dévouement.
« Élu de la nation, prince magnanime, venez
prendre possession du trône où vous appellent les acclamations unanimes d'un
peuple libre.
« Vous maintiendrez, sire, notre charte et nos
immunités. Nous, nous saurons défendre votre trône et conserver intactes vos
prérogatives royales.
« Devant Votre Majesté s'ouvre une vaste
carrière de gloire et de renommée ; devant nous une ère de splendeur et de
prospérité.
« Magistrats par le choix de nos concitoyens,
nous sommes glorieux de présenter, en leur nom, au premier roi des Belges les
clefs de sa capitale.
« Vive le roi Léopold ! »
Sa Majesté répond dans les termes les plus
affectueux – Ces clefs, dit-elle, ne sauraient être mieux confiées qu'aux mains
de celui qui les a si bien conservées dans les moments les plus
difficiles. » Le roi ajoute : « Je n'ai accepté la couronne que pour le
bonheur des Belges ; je me compterai heureux de les faire jouir des
institutions qu'eux-mêmes ils se sont données. La bonne ville de Bruxelles fera
l'objet de mes soins particuliers : j'espère bien lui rendre tout son lustre et
lui procurer une solide et durable prospérité. »
Après ces mots, le cortége
s'avance lentement à travers la foule avide de voir son roi. La garde civique
et les régiments de ligne forment la haie sur son passage depuis la porte de
Laeken jusqu'à la place Royale. De temps en temps des lanciers viennent annoncer
aux maîtres de cérémonies que le roi approche. A midi et quart, un mouvement
prononcé à l'entrée de la rue de
A une heure et quart, la tête du cortége
arrive sur la place dans l'ordre suivant :
(page 616) La gendarmerie à cheval ;
Les lanciers ;
Les cuirassiers ;
La garde civique à cheval ;
Les chasseurs volontaires dits de Chasteler ;
Les braves mutilés par le canon de septembre parmi
lesquels on remarque M. le capitaine Stieldor porté
sur un sofa entouré de lauriers ;
La commission des récompenses ;
Les pompiers ;
Le corps municipal ;
L'état-major de l'armée et de la garde civique.
Tous ces corps différents se placent au devant de
galerie à droite et à gauche de l'escalier.
Vient ensuite la députation du congrès, composée de
MM. Lebeau, le comte Félix de Mérode, Fleussu de Muelenaere, le
baron Joseph d'Hooghvorst,
etc.
Enfin le roi, à cheval et en costume de général de
l'armée belge, parait au milieu d'un brillant état-major. A sa vue les
applaudissements, les cris de Vive le roi ! les acclamations unanimes éclatent de toutes parts et avec une force et une
énergie dont probablement Sa Majesté n'avait encore pu avoir qu'une faible
idée. Le roi parait très satisfait de l'accueil : il salue les spectateurs à
plusieurs reprises, et descend de cheval au pied de l'escalier, où une
députation du congrès, composée de MM. Charles
de Brouckere, Devaux, Pirmez, de
Behr, le comte de Bergeyck et l'abbé Pollin, vient le recevoir. Arrivé au haut de l'escalier, où
l'attendent M. le régent et le bureau du congrès, Sa Majesté salue avec un
affectueux sourire M. le régent ; il salue aussi les membres du bureau et le
congrès, et serre la main de M. Destouvelles, vice-président.
Les cris de Vive le roi ! ne cessent de se
faire entendre ; M. de Gerlache, président du congrès, prend place au
fauteuil après avoir invité le roi et M. le régent à s'asseoir à sa droite.
Voici comment se trouve disposé le groupe principal de cette scène vraiment
ravissante :
LE ROI ;
A sa droite M. le régent, M. Raikem, vice-président,
et MM. Liedts et Henri de Brouckere, secrétaires.
A sa gauche, M. de Gerlache, président, M. Destouvelles,
vice-président, et MM. le vicomte Charles Vilain XIIII et Nothomb, secrétaires.
Derrière le roi, MM. les généraux baron d'Hooghvorst, baron Duvivier, marquis de Chasteler,
d'Hane, et MM. Lebeau, Duvivier, ministre des
finances, Barthélemy, ministre de la justice, le chevalier de Sauvage, ministre
de l'intérieur, et le baron de Failly, ministre de la
guerre.
A peine assis, le roi, frappé du beau coup d'œil que
présentent la place Royale et les rues adjacentes, le fait remarquer à M. le
régent. (M. B., 23 juill.)
M. le président fait un
signe de la main pour faire cesser les acclamations ; il déclare ensuite la
séance ouverte. Et s'adressant au roi – Sire, dit-il, nous nous sommes réunis
pour recevoir le serment que prescrit la constitution. J'accorderai d'abord la
parole à M. le régent, qui déposera ses pouvoirs entre les mains du congrès.
(M. B., 23 juill.)
M. le régent se
lève, et debout, en avant de son fauteuil et se tournant vers le roi, il
prononce le discours suivant – Messieurs, par votre décret du 24 février dernier,
et conformément à l'article 85 de la constitution, vous m'avez fait l'honneur
de me nommer régent de
Mes premiers soins furent de composer le ministère.
J'y appelai les mêmes citoyens auxquels le gouvernement précédent avait confié
les diverses branches d'administration générale. Ce fut en confirmant dans ces
hautes fonctions les hommes qui avaient si puissamment aidé à conquérir et à
affermir notre liberté, que je voulus donner à la nation un premier gage de mon
entière adhésion aux principes de notre révolution, et de ma ferme volonté de
la faire jouir de toutes ses conséquences.
Je fis notifier aux gouvernements français et
anglais votre décret du 24 février qui me nomme régent de
Le gouvernement français admit sans hésiter notre
ministre, qui prit aussitôt rang parmi les diplomates étrangers reçus à la cour
du Palais-Royal. S. M. le roi Louis-Philippe me fit l'honneur de m'adresser,
par sa lettre autographe du 15 mars dernier, des félicitations sur mon
avènement à la régence, et m'exprima en même temps et en termes formels le vif
et invariable intérêt qu'il porte à
Ce fut par ces premiers actes, que le roi des
Français commença de réaliser les promesses qu'il (page 617) m'avait
faites en février dernier, lorsque j'eus l'honneur d'en prendre congé ; il me
dit en me prenant la main : « Dites à la nation belge que je lui donne la main
dans la personne du président du congrès, et que les Belges peuvent toujours
compter sur mon amitié. »
Nous n'avons pas été aussi heureux auprès du cabinet
de Saint-James : notre ministre n'avait été reçu qu'officieusement par les
ministres anglais, et l'honneur national ne me permettant pas de le laisser
plus longtemps dans une position équivoque, je lui fis expédier des lettres de
rappel.
(page 618)
Cependant le ministère voulant mettre fin au malaise résultant de l'état
provisoire d'une régence, et clore la révolution par l'établissement d'un
gouvernement définitif, avait envoyé à notre agent à Londres des instructions
qui avaient pour but de sonder les dispositions de S. A. R, le prince de
Saxe-Cobourg ; mais des obstacles de pure étiquette en paralysèrent les effets.
Dans l'intervalle, d'autres hommes furent appelés
au ministère, et les nouveaux ministres suivirent les errements de leurs
prédécesseurs. Ce qui s'est passé à cet égard vous est connu : vous savez,
messieurs, comment a été amenée l'heureuse fin à laquelle nous assistons
aujourd'hui.
Je ne vous entretiendrai pas, messieurs, des actes
de ma régence : je me bornerai à vous dire que l'effervescence des p3ssions,
inséparable de notre état révolutionnaire, la stagnation des affaires
commerciales, les inquiétudes sur l'avenir de la patrie, ont amené des
événements, causé des embarras qui ont empêché le gouvernement de s'occuper,
aussi efficacement qu'il l'eût désiré, des institutions qui doivent compléter
l'œuvre de notre régénération politique.
Dans l'état d'hostilités imminentes avec nos
voisins, le gouvernement a dû s'occuper principalement de l'armée :
l'infanterie a été considérablement augmentée et régularisée ; l'organisation
de la cavalerie a été complétée ; l'artillerie a été mise sur un pied
respectable ; le service des vivres, des hôpitaux et des transports a été
assuré ; enfin, à côté de l'armée régulière, une autre se forme des rangs de la
garde civique, également impatiente de se mesurer avec l'ennemi.
Le concours de tous les citoyens qui, oubliant tout
esprit de parti, vont se grouper autour du trône, ne contribuera pas moins que
le courage et l'excellent esprit de notre armée, à appuyer les négociations
pour obtenir une paix honorable, consolider notre indépendance, et au besoin à
défendre l'intégrité de notre territoire.
Nos finances sont dans un état aussi prospère que
pouvaient le permettre les circonstances, et la rentrée des contributions
s'opère presque comme en pleine paix.
Si j'ai été assez heureux, messieurs, pour aider à
conduire au port le vaisseau de l'État (car je regarde l'avènement du prince
Léopold au trône de
C'est aussi dans la noble fermeté du congrès et dans
la sagesse de ses délibérations que j'ai trouvé le plus puissant appui.
Permettez donc, messieurs, que je vous adresse ici l'expression de ma vive et
sincère reconnaissance.
Mais convenons, messieurs, que notre tâche a été
rendue bien facile par les excellentes qualités du peuple belge ; de ce peuple
aussi soumis aux lois, aussi docile à la voix des chefs qui méritent sa
confiance, qu'il se montre jaloux de ses droits et impatient du joug de
l'arbitraire ; de ce peuple si courageux dans les combats, si ferme dans ses
résolutions ; de ce peuple essentiellement moral, dont l'histoire dira que,
chez lui, pendant onze mois de révolution et de privations pour la classe la
plus nombreuse (à part quelques excès évidemment provoqués), il n'y eut jamais
moins de délits ; de ce peuple dont le dévouement et l'amour feront toujours la
récompense d'un bon gouvernement.
C'est avec la plus entière sécurité, messieurs, que
je remets les destinées de ce bon peuple entre les mains d'un prince dont le
noble caractère et les vertus privées nous sont garants de celles qu'il va
déployer sur le trône.
C'est avec effusion que je puis dire aujourd'hui :
J'ai vu l'aurore du bonheur se lever pour mon pays, j'ai assez vécu.
Je dépose entre vos mains, messieurs, les pouvoirs
que vous m'avez conférés, et je vous prie de vouloir bien m'en donner acte. (M.
B., 23 juill., et A. C.)
M.
le président, debout, en face
de M. le baron Surlet de Chokier,
lui répond en ces termes :
M. le régent, lorsque je vous disais, il y a cinq
mois, au sein même du congrès, « qu'élu chef temporaire de la nation, votre
nomination était ratifiée par les acclamations unanimes de vos anciens
collègues et du peuple belge tout entier ; que cette élévation spontanée était
un hommage accordé à vos vertus par vos égaux, un témoignage de gratitude
profonde pour les services que vous aviez déjà rendus à la patrie, et un appel
à des services nouveaux », nous avions pu facilement deviner, d'après vos
antécédents, quelle ligne vous suivriez dans le poste élevé où vous portèrent
vos collègues et la nation : tout entière.
Avoir joui d'un grand pouvoir sans en avoir (page 619) abusé un seul instant, être
toujours demeuré le même dans les circonstances les plus critiques, c'est un
fait tout simple pour qui connaît votre caractère, M. le régent ; je me
contente de répéter ici ce que dit tout le monde. Un jour l'histoire racontera
quel rôle conciliateur vous avez rempli au milieu des opinions divergentes, et
des partis qui s'agitaient ; elle dira que l'assemblée nationale, voulant
concentrer dans les mains d'un seul des pouvoirs jusque-là trop divisés,
chercha quelqu'un qui ne déplût à personne, qui eût l'estime et la confiance de
tous, et qui voulût se dévouer pour le pays ; et cet homme, ce fut vous, M. le
régent. L'histoire dira qu'ayant exercé une partie, de la prérogative royale
pendant une révolution : de cinq mois, cet homme ne s'est aliéné aucun ami et
ne s'est fait aucun ennemi.
C'est au nom du congrès et de la nation que je vous
remercie, et que j’ose vous dire que vous avez rempli notre attente dans les
hautes fonctions que vous venez de résigner dans les mains de cette assemblée.
(M. B., 23 juill.)
- Des applaudissements, des vivat et des bravos prolongés
accueillent la fin de ce discours ; M. le régent salue rassemblée et se
rassied, ainsi que M. le président. (M. B., 23 juill.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, debout
devant le roi, donne lecture de la constitution. (M. B., 23 juill.)
M.
Nothomb, secrétaire, présente la formule du serment à Sa
Majesté, qui la reçoit en souriant. (Applaudissements, acclamations,
auxquels succède un profond silence.) (M. B., 23 juill.)
M. Plaisant et M. le baron de Thysebaert,
maîtres des cérémonies, apportent une table devant le fauteuil du roi. (Il
se fait un profond silence.) (M. B., 23 juill.)
Le roi, d'une
voix forte et d'un ton assuré, dit – Je jure d'observer la constitution et les
lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du
territoire.
(Sa Majesté appuie sur les derniers mots.) (M. B.,
23 juill.)
- A peine le roi a-t-il achevé la formule du
serment, que de nouveaux cris de Vive le roi ! se font entendre et se
mêlent longtemps au bruit des fanfares et du canon, qui commence à retentir dès
ce moment et qui tonne pendant tout le reste de la cérémonie. (M. B., 23
juill.)
M. le président donne
acte à au roi de sa prestation de serment. (P.
V.)
M.
Liedts, secrétaire présente la plume à Sa Majesté, qui
signe le procès-verbal de la prestation du serment, et qui remet la plume à M.
Henri de Brouckere , secrétaire.
- Le bureau signe le procès-verbal à son tour. (M.
B., 23 juill.)
Le roi monte sur le trône. Les neuf siéges qui étaient devant le trône ont disparu ; Sa Majesté
se trouve seule sur l'estrade supérieure. M. Je régent est au-dessous ; à la
droite et à la gauche du roi se placent les généraux et les ministres, qui
d'abord étaient derrière son fauteuil. Les membres du bureau se divisent aussi
: les uns se rangent à droite et les autres à gauche du trône. Les membres du
congrès sont debout et attentifs. Ici la scène a totalement changé de face, et
le nouveau coup d'œil qu'elle présente frappe vivement la foule, qui redouble
ses vivat et ses acclamations. On obtient enfin le silence. (M. B., 23 juill.)
Le roi prononce
le discours suivant – Messieurs,
L'acte solennel qui vient de s'accomplir achève
l'édifice social commencé par le patriotisme de la nation et de ses
représentants. L'État est définitivement constitué dans les formes prescrites
par la constitution même.
Cette constitution émane entièrement de vous, et
cette circonstance, due à la position où s'est trouvé le pays, me paraît
heureuse. Elle a éloigné des collisions qui pouvaient s'élever entre divers
pouvoirs, et altérer l'harmonie qui doit régner entre eux.
La promptitude avec laquelle je me suis rendu sur le
sol belge a dû vous convaincre que, fidèle à ma parole, je n'ai attendu, pour
venir au milieu de vous, que de voir écarter par vous-mêmes les obstacles qui
s'opposaient à mon avènement au trône.
Les considérations diverses exposées dans l'importante
discussion qui a amené ce résultat, feront l'objet de ma plus vive sollicitude.
J'ai reçu, dès mon entrée sur le sol belge, les
témoignages d'une touchante bienveillance. J'en suis encore aussi ému
que reconnaissant.
A l'aspect de ces populations, ratifiant par leurs
acclamations l'acte de la représentation nationale, j'ai pu me convaincre que j'étais appelé par le vœu du pays,
et j’ai compris tout ce qu'un tel accueil m'impose de devoirs.
Belge par votre adoption, je me ferai aussi une loi
de l'être toujours par ma politique.
J'ai été également accueilli avec une extrême
bienveillance dans la partie du territoire français que j'ai traversée, et j'ai
cru voir dans ces démonstrations, auxquelles j'attache un haut prix, le présage
heureux de relations de confiance et d'amitié qui doivent exister entre les
deux pays.
Le résultat de toute commotion politique est de
froisser momentanément les intérêts matériels. Je comprends trop bien leur
importance pour ne pas m'attacher immédiatement à concourir, par la plus active
sollicitude, à relever le commerce et l'industrie, ces principes vivifiants de
la prospérité nationale. Les relations que j'ai formées dans les pays qui nous
avoisinent seconderont, je l'espère, les efforts auxquels je vais incessamment
me livrer pour atteindre ce but ; mais j'aime à croire que le peuple belge, si
remarquable à la fois par son sens droit et par sa résignation, tiendra compte
au gouvernement des difficultés d'une position qui se lie à l'état de malaise
dont l'Europe presque tout entière est frappée.
Je veux m'environner de toutes les lumières,
provoquer toutes les voies d'amélioration, et c'est sur les lieux mêmes, ainsi
que j'ai déjà commencé à le faire, que je me propose de recueillir les notions
les plus propres à éclairer, sous ce rapport, la marche du gouvernement.
Messieurs, je n'ai accepté la couronne que vous
m'avez offerte qu'en vue de remplir une tâche aussi noble qu'utile, celle
d'être appelé à consolider les institutions d'un peuple généreux, et de
maintenir son indépendance. Mon cœur ne connaît d'autre ambition que celle
de vous voir heureux.
Je dois, dans une aussi touchante solennité, vous
exprimer un de mes vœux les plus ardents. La nation sort d'une crise violente ;
puisse ce jour effacer toutes les haines, étouffer tous les ressentiments ;
qu'une seule pensée anime tous les Belges, celle d'une franche et sincère union
!
Je m'estimerai heureux de concourir à ce beau
résultat, si bien préparé par la sagesse de l'homme vénérable qui s'est dévoué
avec un si noble patriotisme au salut de son pays.
Messieurs, j'espère être pour
- Il est impossible de donner une idée des
transports et des acclamations qui ont accueilli le discours du roi. Ses
dernières paroles surtout, écoutées avec avidité, ont fait une vive impression
sur ceux qui les ont entendues. Un langage si noble, si patriotique, ne pouvait
pas produire un moindre effet sur des hommes qui mettent avant tout l'honneur
du nom belge. (M. B., 23 juill.)
M. le président déclare
la séance levée. (M. B., 23 juill.)
Le cortége se remet en
marche selon l'ordre dans lequel il est arrivé, et se dirige vers le palais du
roi. Sa Majesté, ne voulant pas remonter à cheval, se rend a son palais à pied,
au milieu des transports et des acclamations de la foule. (M. B., 23 juill.)
Après l'inauguration, les députés se réunissent au
palais de
M. le président annonce
que le roi recevra les députés par province à cinq heures, et que le congrès
est invité à assister au Te Deum, à Sainte-Gudule, demain à midi. (M.
B., 23 juill.)
M.
Liedts, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la
séance d'hier ; il est adopté. (M. B.. 23 juill.)
M.
Nothomb, secrétaire, donne lecture du procès-verbal
d'inauguration ci-après, en prévenant l'assemblée que le bureau a adopté le
mode suivi à l'occasion de l'inauguration de Louis-Philippe :
« Procès-verbal de l'inauguration de LÉOPOLD
1er, roi des Belges.
« A une heure, le congrès national de
« S. M. le roi des Belges, Léopold 1er, et M. le
régent de
« M. le régent dépose les pouvoirs qui lui ont
été confiés par le congrès national.
« Le président donne acte à M. le régent de sa
déclaration.
« Le président fait donner lecture de la constitution
décrétée par le congrès national le 7 février 1831.
« S. M. le roi prête le serment suivant :
« Je jure d'observer la constitution et les lois du
peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du
territoire. »
« Le président donne acte à Sa Majesté de sa
prestation de serment.
« En foi de quoi a été dressé le présent procès-verbal,
signé par S. M. le roi, par M. le régent, le président, les vice-présidents, et
les secrétaires du congrès.
« Bruxelles, le 21 juillet 1831.
« LEOPOLD.
« E. SURLET DE CHOKIER.
« Le président du congrès, E. DE
GERLACHE.
« Les vice-présidents, RAIKEM,
DESTOUVELLES.
« Les secrétaires, membres du congrès, »
LIEDTS, NOTHOMB, Vicomte VILAIN XIIII, H. DE BROUCKERE. » (M. B., 23 juill., et
P. V.)
M. Picquet,
au nom de la commission chargée de présenter à M. le régent le décret qui
déclare qu'il a bien mérité de la patrie, qu'il sera frappé une médaille en
son honneur, et qui lui accorde une pension de 10,000 florins, rend compte de
la démarche faite par la commission : M. le régent aurait désiré que le décret
ne contînt pas la dernière disposition. (M. B.. 23 juill.)
M. Van de Weyer annonce
que chaque membre du congrès recevra une médaille en argent et une autre en
bronze, frappées en mémoire de la solennité d'aujourd'hui. (M. B., 23 juill.)
Plusieurs membres réclament
l'impression des discours prononcés dans la séance d'inauguration. (M. B., 23
juin.)
- Le bureau annonce que ces discours se trouveront
dans le Moniteur qui est adressé à chaque député. (M. B., 23 juin.)
M. le président se lève
et prononce le discours suivant –
Comment se fait une révolution politique ? quand
devient-elle nécessaire et légitime ? combien de malheurs peut-elle entraîner
? comment, alors qu'on cherche la liberté, compromet-on l'ordre intérieur et la
paix publique ? L'histoire, en parlant de vous et de vos mémorables travaux,
soulèvera peut-être ces hautes questions ; mais, je ne sais si les annales des
peuples lui offriront beaucoup d'exemples d'une révolution aussi promptement,
aussi complètement, aussi heureusement opérée. On nous contestait naguère
encore notre nationalité, messieurs, et on ne voit pas que c'est cette erreur
qui a causé la perte du souverain qui vient de tomber. Au lieu de se faire
Belge, il a voulu nous faire Hollandais ; et le peuple belge, se rappelant ce
qu'il était, s'est levé tout à coup, et le sol a tremblé, et ses maîtres
étrangers ont disparu. Pour bien gouverner
Quand vous proclamiez dans notre constitution actuelle
tant de dispositions tutélaires, vous ne faisiez en réalité que reconstruire
sur ses fondements primitifs l'édifice social élevé par nos aïeux, en ajoutant
à votre ouvrage ce que la marche du temps, l'expérience des autres peuples et
la nôtre même nous avaient enseigné.
Toutes les libertés qui ne se trouvent, ailleurs,
que dans des livres ou dans des constitutions oubliées, sont consignées dans
la vôtre avec des garanties qui en assurent la durée, et déjà depuis dix mois
vous les pratiquez légalement. Qu'on (page
622) nous cite un peuple en révolution, alors que tous les ressorts de
l'autorité étaient presque brisés, qu ait montré plus
d'audace vis-à-vis de l'ennemi ; plus de modération et de magnanimité au dedans
: plus de respect pour les lois ; et qui ait su mieux concilier en général
l'amour de l'ordre et l'amour de la liberté ! C'est ce beau caractère qui nous
a rendus dignes d'être admis dans la grande famille des nations européennes. De
sorte, messieurs, que nous avons aujourd'hui pour nous tout ce qu'il y a de
fort et de puissant parmi les hommes : le droit et le fait. Vous opérez votre
mouvement national, et au bout de dix mois vous redevenez nation ; vous avez
une charte, un gouvernement régulier, un roi, un roi légitime de par le peuple,
et certes il est permis de croire qu'ici la voix du peuple est la voix de Dieu
! Songez combien d'années l'Angleterre,
Que tous les bons citoyens prennent courage et se
serrent autour du gouvernement, et les obstacles qui embarrassent encore sa
marche seront surmontés.
Vous aviez décrété la monarchie constitutionnelle,
messieurs, mais le monarque vous manquait. Le pouvoir central, le pouvoir
actif, le pouvoir fort qui tient tous les autres en équilibre et leur donne
l'impulsion, était absent. Vous êtes enfin constitués au dedans. Au dehors, vous
avez pour vous la sympathie des peuples les plus éclairés de l'Europe.
Messieurs, que
On craint, dit-on, pour nos intérêts matériels ; mais
dans un pays où l'industrie est fondée sur le sol et a ses racines dans les
entrailles mêmes de la terre, le commerce repose sur une base naturelle et
indestructible. Et comme l'intérêt rapproche les hommes, nous ne manquerons
point de débouchés pour nos produits, dès que les causes du malaise général qui
travaille les nations auront disparu.
Vous avez consolidé et défendu notre liberté par les
lois ; c'est à nos braves à la défendre au dehors et l'épée à la main, si elle
est encore menacée ; c'est à eux à prouver qu'ils n'ont point dégénéré de ces
Belges dont César a vanté la valeur, de ces Belges que, sous les ducs de
Bourgogne, Sous Charles-Quint, et de nos jours même, l'on citait dans toutes
les armées de l'Europe pour leur inébranlable courage.
Une nouvelle ère commence. Il y a deux siècles et
demi que le pays fut pour un instant détaché de l'Espagne et gouverné comme
Etat indépendant, par des princes distingués par leur sagesse et leur bonté,
qui surent gagner l'amour des Belges : aujourd'hui les noms d'Albert et d'Isabelle
sont encore révérés. Puisse le nom de Léopold 1er se graver dans les cœurs de
nos derniers neveux à côté de ceux que je viens de rappeler !
Dominé par les événements qui se pressent et par les
grands intérêts du pays, j'omettais, messieurs, de vous parler de vous-mêmes.
Nous allons nous séparer (d'une voix émue) ; d'autres bientôt (à moins
que quelque événement imprévu ne nous ramène ici) viendront achever ce que nous
avons commencé, car il reste encore beaucoup à faire, et à la vue des dangers
de la patrie, lorsque nous n'étions pas même sûrs de conserver une patrie, nos
devoirs de citoyens devaient nous faire oublier trop souvent ceux de
législateurs.
Chacun de vous va rentrer parmi les siens avec la
douce satisfaction d'avoir dignement rempli sa mission. Vous avez bien mérité
du pays, messieurs, et le pays déjà vous rend justice ! Mais promettons-nous
encore, en nous quittant, de nous retrouver tous au poste de l'honneur pour
défendre et le pays et nos libertés, si de nouveaux périls les menaçaient.
Messieurs, il y aurait, je le sens, de l'inconvenance
à vous parler de moi (d'une voix très émue) dans un tel moment ; mais je
suis si fier d'avoir été le président d'une si noble assemblée, et j'estime
cet honneur si grand, que si je devais me sacrifier tout entier à ma patrie, je
croirais en avoir été d'avance trop bien payé ! Je n'avais, je le sais, qu'un
seul titre pour mériter une telle distinction : c'était d'aimer beaucoup mon
pays ; ce sentiment, je vous l'assure, vivra et mourra avec moi !
M. le président – Au nom
du peuple belge, je déclare que le congrès national est ajourné, conformément
à son décret du 20 du présent mois. (Applaudissements prolongés.) (M.
B., 23 juill.)
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(chambre des représentants)