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Congrès national de Belgique
Séance du vendredi 8 juillet 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)

(page 517) (Présidence de M. Raikem, premier, vice-président)

La séance est ouverte à onze heures. (P. V.)

Lecture du procès-verbal

Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :

MM. Clercquefosse et Delwarte, à Tournay, protestent contre les propositions de la conférence de Londres.


M. Benoït Leman, intéressé dans les extractions de charbons du Hainaut, demande le retrait du décret du congrès du 29 juin dernier.


M. Dewitte, saunier à Waereghem, présente des observations concernant la loi sur le sel. (M. B., 10 juill., et P. V.)


- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)


M. Deshayes, receveur de l'enregistrement et es domaines à Ospen, demande des lettres de naturalisation. (P. V.)

Décret adoptant le traité des XVIII articles portant les préliminaires de paix entre la Belgique et la Hollande

Discussion générale

L'ordre du jour est la suite de la discussion sur les préliminaires de la conférence de Londres, sur la question préalable demandée par M. de Robaulx sur les propositions de MM. le baron Beyts et Van de Weyer. (P. V.)

M. Van Snick – Messieurs, je ne me suis pas dissimulé les attaques et les sarcasmes momentanés auxquels m'exposait l'initiative que j'ai cru devoir (page 518) prendre dans la séance du 1er de ce mois ; mais je l'ai déjà dit : ni la crainte des attaques, ni la crainte des sarcasmes ne pouvaient m'arrêter ; ma conviction avait parlé, toutes les considérations s'étaient tues à sa voix... Dès lors, je me fusse imputé à crime à moi-même mon silence et mon inaction, « Quoi ! me serais-je dit éternellement, une mesure te paraissait la seule propre à sauver ta patrie, à épargner le sang humain prêt à couler par torrent ; la crainte de la perte éventuelle d'une popularité toujours éphémère dans les révolutions est venue glacer ton courage ! Il fallait quitter l'enceinte législative, et céder ta place à un autre député qui, peut-être, eût eu le patriotisme et la force d'âme qui t'ont manqué ! » et le remords eût pour jamais partout accompagné mes pas...

Il n'en pouvait être ainsi, et vous tous, messieurs, m'avez trop bien connu pour me croire capable de cette lâcheté.

Cependant, cette proposition n'a pas tardé à rallier une foule d'orateurs d'un savoir et d'un patriotisme incontestés ; ainsi, à l'assentiment de ma conscience, s'est jointe l'approbation d'hommes dont le caractère et le civisme ont dans tous les temps commandé le respect.

Je dois m'arrêter ici un instant.

Il m'a été dit que l'honorable M. Charles de Brouckere avait, dans son exorde, laissé tomber de la tribune quelques paroles qui m'auraient été bien amères si elles avaient frappé mon oreille.

(J'étais à travailler dans la salle voisine pendant son début.)

J'ai eu beaucoup de peine à croire à la vérité du récit qui m'a été fait ; je ne pensais pas qu'il pût être question des individus, au milieu des graves questions de choses qui nous occupent.

Il est permis à M. de Brouckere d'ignorer quels ont été ma conduite et mon langage, avant comme au moment où éclata notre insurrection ; il n'était, à l'une ni à l'autre de ces époques, aux lieux où je vivais.

Mais, comme je lui rends la justice de croire que partout où il s'est trouvé, l'honorable membre a contribué autant qu'il a été en lui au triomphe de notre révolution, il me doit la même justice.

Ceux de mes concitoyens au milieu desquels j'ai passé les mois de septembre et d'octobre diront si j'y ai droit.

L'honorable M. de Brouckere a fait allusion au changement d'opinion qui s'est opéré en moi, lors de nos discussions sur la forme du gouvernement à donner à la Belgique :

« Je suis de cet avis, quant à présent, » disait le sage abbé de Saint-Pierre : c'est l'expression de ma pensée, dans toutes mes déterminations, dans toutes mes assertions : dans toute discussion, c’est à rechercher la vérité que je m'applique, et non à sauver à tort ou à raison mon amour-propre.

Plusieurs honorables membres, dans cette enceinte, ont parlé et voté contre des propositions qu'eux-mêmes avaient présentées à votre sanction. Ils ont donné des motifs de ce changement, et personne de nous n'a songé à suspecter la sincérité de la conviction qui leur faisait repousser leur propre projet de loi.

On m'a fait observer que, si je voulais en prendre le soin, je pourrais prouver à notre honorable collègue qu'il a aussi ses moments d'hésitation : que son opinion du soir n'a pas toujours été son opinion du matin ; mais, messieurs, je n'ai ni le droit, ni la volonté de blâmer dans qui que ce soit une pareille disposition d'esprit. Selon moi, qui nescit dubitare, nescit judicare.

Je respecte toutes les consciences ; c'est notre sanctuaire à tous : personne n'a le droit d'y pénétrer, et jusqu'à preuve évidente du contraire, je donne à toutes les convictions d'honorables et sincères motifs ; mais ce devoir que je m'impose m'attribue le droit d'exiger de mes semblables une juste réciprocité.

Vous voudrez bien, messieurs, me pardonner cette digression : ce n'est pas moi qui l'ai provoquée.

Je reviens à l'ordre du jour.

Nous voulons vendre nos frères, nous crie-t-on : eh ! messieurs, il n'y a que quelques jours, quand nous proposions des arrangements pécuniaires, on nous reprochait de vouloir acheter des hommes ! Etrange, mais bien fâcheux abus des mots, où s'empreint tout entier le langage de la passion ; et ici je me hâte de le dire, cette passion a sa source dans les mouvements les plus nobles et les plus généreux du cœur humain ; mais, messieurs, est-ce à la lueur toujours trompeuse des passions que doivent marcher des législateurs ? est-il moyen plus sûr de s'égarer dans sa route ? et s'il fût jamais assemblée que le seul flambeau de la raison dût éclairer, n'est-ce pas celle où s'agitent les plus vastes intérêts qui aient jamais été remis entre des mains mortelles ?

Jamais nous n'avons voulu ni vendre ni acheter nos frères ; nous voulons ce qu'ont voulu tous les peuples, depuis qu'il en existe, lorsqu'ils ont cru que leur intérêt bien entendu leur commandait de mettre fin à la guerre... c'est-à-dire des concessions réciproques...

Qu'on nous montre une transaction entre les individus, un traité entre les peuples où chacun (page 519) n'ait fait la part du sacrifice que réclamait le besoin du repos. C'est là la règle qui nous est tracée par les nations les plus puissantes : Napoléon lui-même, le roi des rois, ce Jupiter tonnant de l’histoire, malgré ses hautes et superbes protestations de 1814, ne consentit-il-pas en 1815, pour cette paix après laquelle soupirait alors toute la France, ne consentit-il pas, dis-je, à abandonner toutes les conquêtes de la république et les siennes ? Il en coûtait à l'amour-propre du vainqueur d'Austerlitz, comme il en avait coûté cent ans auparavant à Louis XIV ; mais l'un et l'autre voulaient enfin la paix, et force fut à ces dieux de la terre de fléchir sous la main de fer de la nécessité ; et, ni la philosophie, ni l'histoire n'ont fait à ces monarques l'injuste reproche d'avoir vendu les territoires qu'ils restituaient avec de si amers regrets.

Vous abdiquez, nous dit-on, tout honneur national. L'accusation est grave : mais qui de nous, dans cette enceinte, est autorisé à croire que nous soyons moins que lui les ga rdiens assidus et incorruptibles de ce précieux dépôt ?

Messieurs, le mot honneur est comme les mots vertu et religion : les hommes y attachent des idées différentes : l'honneur du fils de Philippe n'est point l'honneur du juste Aristide ; la vertu du vainqueur de Pharsale n'est pas la vertu de l'inflexible Caton ; la religion des auteurs de la Saint-Barthélemy et des massacres d'Irlande, n'est point la religion des Las-Casas et des Vincent de Paule, et de là, faute de s'entendre sur les mots, tant de discussions, tant de récriminations et tant de sang humain répandu dans les différents siècles, dans l'un et l'autre hémisphère. Pour moi, messieurs, l'honneur n'est jamais là où n'est pas la justice : à mes yeux, vouloir nous approprier par la force une partie quelconque du territoire de l'ancienne république de Hollande, c'est de la conquête, c'est de l'injustice, et le soin que je dois à la conservation de l'honneur national belge me semble nous interdire cette usurpation, comme le soin de mon honneur, à moi, m'interdit tout empiétement sur le champ de mon voisin.

Je n'hésite pas à le dire : si j'avais de l'honneur l’idée que quelques personnes, avec beaucoup de bonne foi sans doute, paraissent s'en faire, je me considérerais comme un être antisocial, comme un homme dangereux, et dont la présence dans la société ne serait propre qu'à y porter à toute occasion le trouble et le désordre.

La question que nous avons à résoudre doit-elle bien être de savoir si tel ou tel point de l'Europe nous convient où ne nous convient pas, si la possession de telle ville ou de tel village rendra nos manufactures plus prospères et notre commerce plus florissant ? Non, messieurs, la question doit être de savoir si nous avons le droit d'exiger, par la force, que la Hollande nous abandonne ce point, cette ville, ce village ?

La question de justice doit être la première ; la question d'utilité ne vient qu'après celle-là, ou plutôt elle lui est tout à fait subordonnée ; car ce qui est injuste n'est jamais utile ; ce n'est qu'une utilité apparente, qui ne tarde pas à devenir une cause de regrets et de malheurs.

Messieurs, que diriez-vous si on venait vous apprendre que le conseil du roi de Prusse s'est assemblé hier : que sans s'inquiéter du juste ni de l'injuste, on y a discuté la question de savoir si l'incorporation de la province de Liége dans la monarchie prussienne ne serait pas de nature à augmenter, d'une manière durable, la prospérité de la Prusse ; que tout le conseil a été de l'avis de l'affirmative, et qu'en conséquence le roi de Prusse, parlant comme le lion de la fable, mais tout autrement que le philosophe de Sans-Souci, a résolu d'envoyer la semaine prochaine vingt-cinq mille hommes dans cette province pour s'en assurer la conquête ? Sans doute vous crieriez à l'abus de la force, à la violation du droit des gens ; vous en appelleriez à toute l'Europe ; et vous auriez raison. Mais par contre, aujourd'hui, toute l'Europe s'élèverait contre vous si vous persistiez à vouloir enlever par le seul fait de la force la moindre parcelle de l'ancien territoire hollandais.

Ce qui serait injuste pour la Prusse ne peut être juste pour nous.

J'ai dit, il y a huit jours, comment j'entends le libéralisme ; j'ai dit aujourd'hui comment j'entends l'honneur national : il me suffit. Je ne m'appliquerai point à répondre à tant et tant d'autres objections ; d'honorables membres ont rempli cette tâche mieux que je ne pourrais le faire.

Seulement, avant de finir, je cède au désir de vous communiquer encore une réflexion sur une des assertions de l'honorable M. Charles de Brouckere : « que ceux qui adopteront les préliminaires contribueront, malgré eux sans doute, à l'anéantissement de toutes les libertés en Europe. »

Je ne saurais, par mon silence, paraître avouer la vérité de cette allégation ; j'en appelle à toute l'histoire : la paix seule dans tous les temps a servi la cause de la civilisation ; c'est pendant son règne que les lumières se répandent de proche en proche, et que des sommités sociales elles descendent et viennent éclairer les plus humbles toits. Depuis César jusqu'à Bonaparte, la conquête (page 520) n'a amené que le despotisme, le mépris et l'oubli des droits de l'homme.

Je ne partage point non plus l'opinion de l'honorable M. Van de Weyer, quand il nous dit que les armées françaises ont laissé sur leur passage le germe de ces libertés que nous voyons partout éclore ; pendant le règne de la victoire, il n'était plus question en France ni des idées philosophiques, ni des idées libérales, et je suis autorisé à penser que les armées françaises s'en montraient bien moins soucieuses encore que la France elle-même. C'était, et ce fait dit tout, le temps de l'exil de Benjamin Constant. J'étais jeune encore, mais je me le rappelle : les bulletins de la grande armée composaient alors tout le code politique et moral à l'usage de la France. Il y avait sans doute alors en France de grands et de profonds penseurs ; mais ces gens-là pensaient tout bas, et leurs veilles étaient perdues pour le genre humain. Enfin, si je puis me permettre de rappeler cette circonstance dans cette grave assemblée, c'était le temps où le chantre de la liberté, l'immortel Béranger, osait à peine se permettre son Roi d'Yvetot.

N'avons-nous pas dit et répété mille fois nous-mêmes dans cette enceinte qu'un siècle de civilisation nous séparait de 1815 ?

Quelle serait donc aujourd'hui cette Europe, si le bruit et le fracas des armes n'avaient pendant vingt ans étouffé la voix de la philosophie et du libéralisme ? Il est permis de penser, par ce qui s'est passé depuis quinze ans, que le même flambeau qui luit aujourd'hui sur la France et sur la Belgique éclairerait tout le continent européen.

Ainsi, messieurs, en votant pour la paix au dedans, je préviens le surcroît des impôts sous lesquels la nation paraît déjà succomber, et dont elle demande à grands cris la diminution. J'épargne aux pères et aux mères de famille les larmes que va leur faire répandre la mort anticipée de leurs enfants ; j'épargne, dès à présent, à tous les craintes et les angoisses auxquelles les livre la perspective de la possibilité d'une invasion au dehors. Je conserve à la nation belge cette réputation de probité et de bonne foi dont nos aïeux se sont toujours montrés si fiers. Je diminue les probabilités d'une guerre générale qui remet en question toutes les conquêtes intellectuelles ; et, comme je l'ai dit lors du développement de ma proposition, je sers mon pays et le genre humain tout entier. J'ai dit.

J'avais préparé quelques mots sur l'amendement de l'honorable M. Van de Weyer ; mais comme lui-même en a reconnu l'inutilité, j'ai cru devoir les retrancher de mon discours. (M. B., 10 juill.)

M. Henri de Brouckere – Messieurs, après les nombreux et éloquents orateurs que vous avez entendus, il paraîtra peut-être téméraire à quelques-uns d'entre vous que j'ose encore élever ma faible voix dans cette discussion. Mais la cause que je défends est à mes yeux une cause si juste, une cause si sacrée, qu'il importe qu'aucun des moyens qui doivent assurer son triomphe ne soit négligé ; cette cause, on ne saurait assez le répéter, c'est celle de l'honneur et de la dignité nationale. Telle est mon intime conviction, et par là même je réponds au futile reproche de m'être renfermé dans une sphère trop étroite, d'avoir parlé comme député du Limbourg, et non comme député de la Belgique ; car les députés du Brabant, des Flandres et des autres provinces ne sont, je pense, pas plus insensibles que nous à l'honneur et à la dignité du pays.

Je réclame donc, messieurs, pour quelques moments encore votre indulgence et votre attention ; je prends l'engagement d'être court.

Nos adversaires n'ont en aucune manière réfuté, malgré quelques faibles tentatives faites par eux, l'assertion avancée par mes honorables amis et par moi, que les dix-huit articles qu'on vous présente sont la répétition du protocole du 20 janvier. Dans leur impuissance, c'est à la question de formes qu'ils se sont pour ainsi dire cramponnés. On ne nous impose plus rien, s'écrient-ils, on nous propose. Il existe quelque différence dans les formes, j'en conviens ; au lieu de nous dire : Nous vous imposons telles et telles conditions, obéissez ; on nous dit : Nous vous les proposons, ces conditions ; acceptez-les, ou rejetez-les, mais point de raisonnements ; oui ou non. C'est peut-être un peu moins dur, quoique derrière notre rejet, l’on nous laisse toujours entrevoir les menaçants protocoles. Mais, messieurs, ce n'est point à la forme que je m'attache, moi, et j’aime à croire qu'il n'en sera pas ici comme au palais, où, par une fatale nécessité, il est vrai que souvent la forme emporte le fond.

Mais les enclaves, mais les échanges ! vous les oubliez donc ; ils doivent cependant nous procurer tout ou presque tout le territoire contesté, qu'il ne s'agirait donc que d'abandonner provisoirement. Je ne les ai point oubliés, on en a trop parlé pour cela ; mais ma défiance, à cet égard, s'est encore singulièrement augmentée depuis le commencement de cette discussion ; car on n'établit en aucune manière nos droits, ni sur ce (page 521) marquisat de Berg-op-Zoom, ni sur cette foule d'enclaves que nous devons posséder en Hollande, et dont M. le ministre des affaires étrangères nous a dit fort naïvement ne pas même connaître le nom.

En cela, comme en bien d'autres points, le ministère n'a que des allégations, mais des preuves, aucune ; et il nous permettra de n'ajouter aucune foi à ses allégations, ni à ses promesses, lui qui depuis deux mois semble avoir fait profession de nous tromper.

Mais, dit-on, si le roi de Hollande refuse tel arrangement que nous désirons, nous restons en possession de nos enclaves, nous restons chez lui, sur le Rhin, au cœur de la Hollande. Pour y rester au cœur de la Hollande, le premier point, un point indispensable, c'est d'y avoir pénétré ; or, où sont vos garnisons, où sont les places fortes que vous possédez chez nos voisins ? Non, vous n'entrerez point en Hollande, et si vous étiez de bonne foi, vous l'avoueriez vous-mêmes.

Ce ne sera que de loin, et à peu près comme Moïse a vu la terre promise que vous apercevrez ces enclaves, sur lesquelles nos droits ne sont reconnus ni par la Hollande, ni par la conférence. Signez les préliminaires de paix, et par là vous livrez, au moins provisoirement, comme on le dit, Maestricht, Venloo et tout le pays dit de généralité, parce qu'à cet égard on pourra faire valoir vos propres aveux, parce que vous aurez pris un engagement formel, et vous n'obtiendrez en retour rien, absolument rien ; parce que, eussiez-vous vous-même quelques droits, ils seront contestés, et feront l'objet d'un interminable procès.

Vous recourrez aux armes ? Dérision ! amère dérision ! Vous ne pourrez plus recourir, vous vous serez lié les mains, vous aurez signé votre neutralité ; et les puissances, juges souverains en cette matière, vous prouveront, en invoquant l'article 10, qu'il n'y a point d'agression ; qu'ainsi vous n’avez pas à vous défendre, et qu'il vous est interdit de porter atteinte à la tranquillité des États voisins, pas plus de la Hollande que de tout autre.

Il nous restera dans ce cas ce qu'on appelle le secours immense des négociations. Hélas ! jusqu’ici il ne nous a pas conduits bien loin cet immense secours. Du reste, négocions, je le veux ; car je ne suis pas de ceux qui aujourd'hui jettent un imprudent cri de guerre ; négocions donc : mais comme il n'est pas certain que ces négociations obtiendront un plein succès, ne commençons point par livrer inconsidérément nos forteresses à l'ennemi que peut-être bientôt nous aurons à combattre.

C'est en vain que successivement l'on invoque la justice, et que l'on a recours aux menaces.

La justice, c'est de notre côté qu'elle se trouve. Je ne conçois pas cette obstination à toujours nous parler de 1790, à vouloir nous faire rétrograder de quarante ans. A entendre les arguments avancés par les ministres et quelques membres de cette assemblée, on croirait qu'ils sont des émanations de la conférence, dont ils prennent la défense avec chaleur. Eh ! messieurs, en 1830 ce n'est pas la Belgique de 1790 qui s'est soulevée contre la Hollande de 1790. Ce sont les provinces méridionales qui, fatiguées de voir pendant seize ans, et en violation des traités qui avaient constitué le royaume des Pays-Bas, leurs intérêts sacrifiés à ceux des provinces septentrionales, lassées des nombreuses et continuelles injustices que l'on commettait chaque jour à leur détriment et au profit de ces dernières, ont pris la résolution de s'en séparer violemment. C'est donc entre les provinces méridionales et les provinces septentrionales que le divorce s'est opéré, et la question est de savoir si les villes et communes contestées feraient ou non partie des provinces méridionales. Elles en faisaient si bien partie, qu'elles ont eu autant et plus à se plaindre que le reste de la Belgique ; aucune province, par exemple, n'était plus inondée de fonctionnaires hollandais que le Limbourg. S'il en est ainsi, si cette province a tout entière subi le même sort que nous, comme elle l'a fait, non seulement depuis seize ans, mais depuis trente ou quarante, pourquoi nous en laisserions-nous enlever une partie ?

Je ne crains, messieurs, ni les menaces de partage qu'on nous adresse, ni les reproches qu'on prétend qui pourront nous être faits plus tard, si nous laissons échapper cette occasion de nous constituer.

Quant au partage, je n'y crois point, et si les puissances osaient l'effectuer, il nous faudrait à la vérité momentanément nous soumettre à la force brutale ; mais notre sommeil ne serait pas long. Et le réveil pourrait être fatal à nos envahisseurs, parce que toujours l'injustice finit tôt au tard par être vengée.

De reproches, je ne crains que ceux qui partent de là (en frappant sur sa poitrine) ; et il s'enlèverait de cruels en moi si la peur ou toute autre considération pouvait me déterminer à ce que, quoi qu'on en ait dit, je ne puis m'empêcher de regarder comme une lâcheté. C'est alors que je craindrais le partage : car, je vous le demande, que répondrions-nous à ces paroles foudroyantes : « Vous avez vous-mêmes reconnu que le fort pouvait (page 522) disposer du faible, quand son intérêt le lui commande ; vous avez disposé sans pitié d'une partie de vos concitoyens qui vous tendaient des mains suppliantes pour invoquer votre protection et votre justice ; vous avez méprisé leurs prières, vous avez méconnu leur voix ; taisez-vous ; nous suivons votre exemple, nous agissons envers vous comme vous l'avait fait envers eux ; subissez la peine du talion ! »

On a prétendu, messieurs, qu'en rejetant les dix-huit articles, nous offenserions personnellement le prince Léopold, dont ils étaient l'ouvrage. Il est faux que ces articles soient son ouvrage ; c'est à sa médiation, je le crois, que nous devons le changement qui s'est opéré dans les procédés dont la conférence use envers nous ; mais on ne me persuadera point qu'il approuve encore sa conduite à notre égard. Je l'avoue, ce serait pour moi une idée bien amère que celle d'avoir offensé le prince. Ce n'est pas seulement du respect, de l'estime qu'il m'a inspirés ; pourquoi le cacherais-je ? sa franchise, sa grande bonté, ses manières affables, quoique pleines de dignité, ont captivé mon affection. Ce serait peut-être le plus beau jour de ma vie que celui où, aux applaudissements de tout un peuple, il viendrait dans cette enceinte prêter le serment que la constitution lui impose.

Mais si le prince vient parmi nous, je veux qu'il nous retrouve tels qu’il se plaisait à nous reconnaître, un peuple fier, généreux, libéral, rempli de courage et de fermeté. Je ne veux pas que lui, qui a l'âme si grande, il puisse se dire, à part lui : « Cette nation pour qui je professais une estime si profonde, n'a pas craint de se dégrader ; elle a manqué de noblesse et de générosité envers une partie de ses meilleurs citoyens : elle les a abandonnés ; elle les a répudiés, trahis à la première invitation. » Telle devrait cependant être la pensée du prince, messieurs, si nous avions la faiblesse de fléchir ; car l'honorable M. Devaux l'a reconnu lui-même, et après lui tous les orateurs qui l'ont servi : « Notre opposition est fondée sur les motifs les plus nobles et les plus généreux. »

Au milieu de bien d'autres arguments lancés contre nous, sans trop de réflexion, et sur lesquels il serait superflu de revenir, il en est un auquel je ne puis me dispenser de répondre, parce qu'il a été répété par plusieurs orateurs, et qu'il a pour but de nous mettre en contradiction avec nous-mêmes.

On prétend que lors de la conclusion de l'armistice, on ne s'est point élevé contre ses dispositions avec cette chaleur qu'on montre aujourd'hui, quoi qu'il s'y en trouvât une par suite de laquelle Venloo devait provisoirement être restituée aux Hollandais. Mais, messieurs, comment aurions-nous pu nous récrier contre un armistice dont personne ne nous communiquait les conditions ? Quant à moi, je puis attester qu'il y a bien peu de mois que j'ai acquis la certitude qu'il était signé, cet armistice, et que j'en ai appris le contenu : cela est si vrai qu'à la fin de janvier, plus ou moins inquiet des bruits vagues que j'avais entendu circuler, j'ai, dans cette enceinte, interpellé un des membres du comité diplomatique au sujet de Venloo, et que ce membre m'a donné les apaisements les plus complets : et j'en appelle à tous mes amis, qu'ils disent l'indignation que j'ai toujours éprouvée à la seule idée de rendre aux Hollandais une partie quelconque du territoire belge. Car je ne suis pas de ces caméléons, caméléons en sentiments comme en politique, qui trouvent aujourd'hui avantageux, juste et honorable, ce qu'hier encore ils flétrissaient des épithètes de lâche, de honteux, d'inhumain et d'infâme.

Messieurs, le moment est proche où vous aurez à prendre votre résolution. Veuillez calculer encore les conséquences du vote que vous allez émettre ; on a prétendu que je les avais exagérées : combien, au contraire, je suis resté au-dessous de la réalité ! elles peuvent être terribles, ces conséquences. Eh ! que feriez-vous, dites-moi, si par exemple s'accomplit cette prévision, dont on vous a déjà parlé : si la ville de Venloo, semblable à un enfant qu'une mère dénaturée et cruelle abandonne et repousse, se rattachait à vous en dépit de vous-mêmes, refusait d'ouvrir ses portes aux Hollandais ? Si ceux-ci vous sommaient de remplir vos engagements, de la lui livrer ? sera-ce de vous que partira l'ordre de lancer le premier projectile destructeur ? sera-ce vous qui donnerez le signal de l'incendie ? Venloo détruite, Venloo incendiée par la main des Belges ! ah ! oui, voilà quelle sera ce qu'on appelle la dernière phase de notre révolution !

Il me reste à répondre à M. Lebeau, qui m'a adjuré de déclarer de quelle nature étaient les instructions qu'il nous transmettait, à mes collègues et à moi, pendant notre séjour à Londres. Je dis que c'est moi qu'il a adjuré, parce qu'en effet je suis le seul des commissaires envoyés vers le prince Léopold, avant son élection, qui appartienne aujourd'hui à l'opposition. J'avoue que j'avais regardé comme un devoir de ne parler en aucune manière du contenu de ces instructions, et sans l'espèce de sommation qui m'a été faite, je n'en aurais pas dit un mot ni pour les approuver ni pour les blâmer. Mais satisfaisant à cette sommation, je dirai qu'il est vrai qu'à cette époque toutes les paroles, tous les écrits de M. le ministre respiraient cet amour du pays, ce zèle sacré pour l’honneur national, qui alors nous animaient tous. Ceux qui connaissent mon caractère savent bien que je ne me serais pas chargé d'une mission qui aurait eu pour but de compromettre en rien cet honneur national que je défends encore aujourd’hui, quand d'autres veulent l'abdiquer. Mais pour le prouver, messieurs, je vous donnerai lecture d'un passage d'une des nombreuses lettres que nous écrivait M. le ministre, et qui toutes étaient conçues dans le même sens ; celle-ci est du 5 mai dernier :

« Si l'on s'étonnait de notre obstination à ne rien céder du territoire, disait M. Lebeau, attachez-vous à convaincre qu'il n'y a pas là obstination, mais nécessité. Pouvons-nous sans lâcheté, sans honte, sans inhumanité, céder des localités engagées dans la révolution, associées à tous les actes du congrès et de l'administration ? et remarquez qu'il ne s'agit pas de localités hollandaises, mais de localités belges, en ce sens, qu'elles faisaient partie des provinces méridionales, et que si la séparation prononcée par les Etats Généraux, en septembre 1830, s'était exécutée à l'amiable, elles eussent passé sous la vice- royauté destinée au prince d'Orange. Nous ne devrions être réputés usurpateurs ou conquérants que si une partie des provinces septentrionales s'était unie à la révolution, et que nous voulussions nous en prévaloir, pour nous l'approprier.

« Ajoutez que c'est une question d'honneur et d'humanité, comme je viens de le dire ; car il est telles de ces localités qui nous sont onéreuses... Mais les livrer aux réactions du roi Guillaume, les repousser violemment, c'est ce à quoi il nous est impossible de consentir. »

Oui, messieurs, voilà le langage que tenait M. Lebeau, il y a à peine deux mois, langage dont le nôtre n'est qu'une pâle et faible copie, langage qui, répété aujourd'hui par sa voix éloquente, réunirait sans doute toutes les opinions. Et c'est ce même M. Lebeau qui depuis... Ah ! qu'il se retire comme il nous l'a annoncé ; qu'il se retire ! la nation qui réprouve sa conduite, qui veut dans ceux qui la gouvernent autre chose encore que des talents, la nation ne peut lui conserver plus longtemps sa confiance. Qu'il se retire !... (L'orateur est interrompu par des exclamations en sens divers.)

Messieurs, personne n'étouffera ma voix ; c'est la dernière fois qu'elle se fera entendre dans cette assemblée.

Je m'étais fait un devoir, une loi, de ne jamais parler de ces instructions, mais puisque M. Lebeau a eu l'impudeur... (Murmure. D'autre part : Continuez ! continuez !) oui, l'impudeur de m'adjurer, j'ai acquis le droit de me décharger d'un fardeau qui me pesait.

La conduite de M. Lebeau, depuis l'arrivée de ces malheureux dix-huit articles, m'a humilié : je me suis seul compromis d'avoir accepté de lui la mission qui m'a conduit à Londres, et c'est là ce qui m'a réjoui quand il m'a provoqué à des explications que je désirais. Vous jugerez maintenant, messieurs, de quel côté sont la franchise et l'honneur, de quel côté sont la perfidie et la honte ! (On crie de nouveau de tous les côtés : Parlez ! continuez ! )

L'orateur se reprenant : Qu'il se retire ! Trois cent mille Limbourgeois lui crient d'une commune voix, et l'âme déchirée d'inquiétudes : Retirez-vous, ministre versatile et égoïste, qui, pour conserver votre misérable et passager portefeuille, ou pour sauver un amour-propre exagéré et mal entendu, n'avez pas craint de nous séparer, de nous sacrifier tous ! Retirez-vous ; à ce prix nous pourrons peut-être vous pardonner votre injustice. Mais ne pensez pas rentrer un jour au ministère que vous allez quitter ; c'est à jamais que vous avez perdu notre confiance !

(L'honorable membre termine par un tableau touchant de l'anxiété des Limbourgeois sur l'issue de la discussion des dix-huit articles.) (E. et M. B., 10 juill.)

M. le comte Félix de Mérode – Lorsque j'ai parlé devant vous une première fois sur la question à l'ordre du jour, je n'avais pas encore pris de résolution définitive. Maintenant mon opinion est fixée, et les paroles violentes que vous venez d'entendre contribueraient encore à déterminer mon vote en faveur des préliminaires de paix soumis à votre délibération : de tous les motifs qui vous ont été présentés contre leur adoption, un seul a fait impression sur moi.

Mais les autres m'ont paru des moyens oratoires présentés avec une apparence logique sous des formes quelquefois séduisantes, mais qui au fond ne pouvaient être mis en balance avec les raisons puissantes qui doivent nous déterminer à accepter les propositions de la conférence. D'abord on a cherché à confondre ces propositions avec les protocoles ; on a prétendu qu'aucune différence ne les distinguait. Je ne suis pas de ceux qui prétendent que le protocole du 20 janvier nous imposait la dette ; le contraire m'avait été dit à Londres, à mon premier voyage, et je n'ai jamais cru (page 524) que cette disposition fût une conséquence inévitable du protocole indiqué ; cependant je vois sur ce premier objet un changement des plus importants. Sans nous imposer d'une manière absolue les 16/31 de la dette hollandaise, les protocoles et leurs annexes les considéraient comme devant être à notre charge. Les préliminaires de paix déclarent positivement en sens opposé, que nom n'avons à payer que les dettes contractées par nous-mêmes, c'est-à-dire avant la réunion à la Hollande, et notre part des emprunts levés en communauté avec elle pendant l'existence du royaume des Pays-Bas. Le protocole du 20 janvier nous ordonnait impérieusement d'évacuer le Luxembourg ; les préliminaires de paix nous promettent au contraire les bons offices de la conférence pour y maintenir le statu quo jusqu'à l'issue des négociations. Au lieu de nous forcer à renoncer à cette province, on admet notre possession préalable, et de plus on reconnaît qu'il y a lieu à négocier ; or, on sait que nous n'entendons par négociations que des indemnités pécuniaires à offrir au roi de Hollande, et que nous avons trois motifs du premier ordre pour conserver définitivement ce pays : le premier est qu'il est trop voisin de la France pour être envahi sans danger, par la confédération germanique ; en second lieu, parce qu'il n'intéresse nullement la Hollande, que plutôt il lui serait onéreux comme le serait dans nos mains la possession de la Frise ; qu'enfin le système de 1790, pris pour base de nos frontières du nord, ne permet point qu'on nous enlève le Luxembourg, ancienne province belge, avec une certaine couleur d'équité : car, messieurs, en diplomatie même, si la justice est loin d'être un principe rigoureux, on est forcé à en conserver au moins quelques apparences. J'avoue que ce qui m'irritait le plus dans le protocole du 20 janvier, c'était ce glaive à deux tranchants qu'on employait à notre préjudice, en taillant d'une part nos limites au nord, conformément aux droits politiques de 1790, et d'autre part, en nous arrachant le Luxembourg, en vertu de je ne sais quelle Sainte-Alliance, conclue entre les princes de la confédération germanique, afin de se garantir mutuellement le droit de vexer leurs sujets sans risquer de porter la peine de la tyrannie. Aussi, messieurs, ai-je été singulièrement surpris et affligé de voir le gouvernement né en France des événements de juillet, sanctionner lui-même ce code germanique entaché du plus insultant despotisme à l'égard des peuples civilisés de l'Allemagne. Je suis admirateur du système de 1790, je pense qu'il est le plus juste à adopter comme base de séparation entre la Belgique et la Hollande, mais je ne partage pas tout à fait sur ce point l'opinion de plusieurs de mes amis. Des liens, des habitudes, des rapports établis depuis trente-cinq ans entre les hommes des territoires contigus sont plus respectables à mes yeux qu'un vieux système inconnu à la génération présente, et qui n'était point trop onéreux aux générations anciennes tandis qu'il serait insupportable aujourd'hui s'il était mis réellement à exécution.

Je ne voudrais point être injuste envers la Hollande, je ne voudrais pas que nous profitassions de l'abus de la force exercé par la république française à l'égard de la république batave dans les traités dont quelques personnes très équitables voudraient trop légèrement nous donner l'héritage comme au successeur légitime de l'empire français. Mais des considérations particulières me font penser que les préférences accordées pendant quinze ans aux Hollandais sur nous, que la violation par le roi Guillaume du traité de Londres qui garantissait nos droits, que cette tactique rapace qui a fait rétablir aux Hollandais leur dette intégrale dès qu'ils ont su que nous en partagerions le fardeau, que l'insolence avec laquelle ils se sont conduits au commencement de notre mouvement, lorsque de bons citoyens cherchaient a en prévenir les suites et que les députés belges s'étaient rendus à La Haye avec les intentions les plus conciliantes ; je pense que cette conduite du roi et des Hollandais exigeaient en bonne justice que tout ce qui était douteux fût expliqué en notre faveur plutôt que dans leurs intérêts. Nous ne sommes pas cause de la scission, c'est à eux à en supporter les peines et les inconvénients ; certes, ce n'est pas à nous ; cependant, messieurs, vous n'ignorez pas que la divinité qui représentait la Justice chez les anciens portait sur les yeux un bandeau. Que de jugements rendus contre des particuliers par les tribunaux sont défectueux ! que d'arrêts rendus à la chicane donnent raison contre le bon droit ! Eh bien dans les procès entre les peuples européens, il est aussi un tribunal qui se prononce tantôt selon les lois de l'équité, ce qui est rare, tantôt selon le droit canon, c'est-à-dire, par la force ; ce tribunal est la diplomatie, en vain vous récrieriez-vous contre son existence, en vain l'accableriez-vous d'épithètes injurieuses et flétrissantes, il existe, il est même nécessaire, il est puissant. Vous ne pouvez en faire abstraction. Agir indépendamment de lui est impossible. On commence une révolution sans qu'il l'autorise ; on ne peut la terminer sans qu'il la sanctionne. Voilà les faits, et rien n'est moins susceptible (page 525) d’être contredit ; je sais qu'avec des proclamations adressées à tous les peuples, si tous ces peuples, bien entendu, se mettaient en mouvement, on réduirait, pendant quelques instants du moins, la diplomatie à l'impuissance. Je sais qu'une guerre générale compromettrait tous les gouvernements absolus ; mais que deviendrait la Belgique au milieu de ce tourbillon ? je l'ignore et ne veux pas l’y précipiter. Que deviendrait notre liberté ? je l’ignore et ne veux pas la compromettre de nouveau. Les principes du bon plaisir qui se prétend légitime seraient peut-être remplacés par un absolutisme à la Bonaparte ; et je dirai comme Kosciusko à Napoléon, qui l'engageait à servir ses projets comme ennemi des Russes : Ce n'est pas la peine d'aller chercher le despotisme si loin et a si grands frais. Je pense que dans l'intérêt de la liberté, l'exemple d’un peuple qui en fait une sage application est plus utile au monde que les guerres libérales les plus heureuses ; les grandes armées levées d'abord dans l'intérêt d'une cause populaire finissent par s’attacher à un chef remarquable. Habituées à trancher les difficultés par le sabre, elles méprisent ce que le captif de Sainte-Hélène appelait l’idéologie. Puisqu'il est donc impossible de se soustraire au tribunal de la diplomatie, lorsqu'on veut terminer une révolution et en assurer les résultats, je dirai que l'occasion qui se présente me paraît suffisamment favorable, que nous en trouverons difficilement de meilleure ; qu'enfin les chances pour obtenir mieux me semblent trop dangereuses à courir. Dans tout ce que nous offre la conférence, il y a, selon moi, beaucoup d'avantages. Je ne crains rien pour le Luxembourg de l’acceptation des dix-huit articles ; je ne dis pas que je n'ai aucune crainte quelconque pour cette province, mais mes craintes très faibles assurément proviennent de l'éventualité des faits à venir, et non pas des préliminaires qu'on nous offre. Un prince appartenant aux grandes maisons souveraines accepte la couronne belge décernée par une élection libre ; il est reconnu. Quel immense résultat ! On a beau dire que c'est un homme de plus, moi j'y vois la pierre angulaire de notre édifice constitutionnel.

On nous assure la libre navigation des fleuves et des mers. Où sont les flottes belges pour que nous puissions nous-mêmes garantir à notre commerce cet indispensable moyen de communication ? Ce n'est pas sans doute avec les barques de nos canaux, même avec les canonnières construites à Boom, que nous ferons respecter le pavillon rouge, jaune et noir. Enfin on nous assure la neutralité, c'est-à-dire qu'aucune puissance n'aura le droit de nous entraîner dans les guerres qu'il lui plaira d'entreprendre, et que notre territoire, si souvent ravagé, ne servira pas de champ de bataille européen ; car ces clauses, messieurs, bien qu'elles ne soient pas à l'abri des violations, ne sont pas non plus dénuées d'effet. Un orateur plein de verve mais qui a voulu exciter votre imagination et votre amour-propre plus qu'il n'a parlé à votre raison, vous a demandé à propos de cette neutralité quel secours vous prétendiez donner aux Polonais : il vous a dit spirituellement : « Est-ce la pitié qui vous fera agir ? mais ce sentiment est le partage des femmes ; est-ce les armes à la main que vous aiderez vos frères ? les armes sont faites pour être maniées par des hommes, et vous êtes neutres, c'est-à-dire hermaphrodites. »

Messieurs, je nie d'abord que la pitié ne soit que le sentiment des femmes, à moins que tous les hommes ne doivent ressembler à l'empereur Nicolas ; ensuite, ceux qui ont parlé de l'intérêt qu'aurait la Pologne à ce que la Belgique fût constituée, et je suis, messieurs, le premier qui en ait reçu l'assurance des Polonais, que leur position mettaient à même de le savoir ; ceux-là, dis-je, n'ont jamais pensé à cimenter l'alliance du lion belgique et de l'aigle blanc sur les bords de la Vistule ; il était fort inutile de combattre une pensée dont l'orateur qui l'a émise ne peut donner l'explication sans qu'elle soit ridicule ; je l'ai dit en particulier à l'honorable membre, dont j'estime beaucoup le talent : Si vous avez de bonnes raisons à nous opposer, faites-les valoir ; mais justice sera faite des subtilités plaisantes ou sérieuses.

Je sais aussi qu'on a tiré parti de cette neutralité pour inquiéter les militaires belges ; mais quelles que soient ses garanties morales, il en faut d'autres encore, et la Belgique, qui, comme la Suisse, n'a aucun rempart naturel de montagnes, qui n'a pas, comme la Russie, un immense territoire, autre moyen d'arrêter les envahissements de l'ennemi, ne peut se passer d'une armée, soit pour attaquer ceux qui violeraient les clauses des traités conclus, soit pour se défendre contre les agressions et maintenir sa neutralité même.

Je range encore parmi les arguments sans valeur contre les préliminaires de paix celui qu'on a tiré de notre mandat : on a dit qu'il se bornait à constater : un fait, et rien qu'un fait indépendant de notre volonté. Eh ! qui a circonscrit nos devoirs dans ces limites étroites ? est-ce le gouvernement provisoire lorsqu'il a convoqué les électeurs ? je ne vois aucun article dans l'arrêté de convocation qui (page 526) indique cette idée ; sont-ce les électeurs ? je n'en crois rien ; je le crois si peu que, s'ils étaient réunis pour de nouveaux choix, je suis persuadé. que la très grande majorité des hommes envoyés dans cette enceinte pour représenter le pays, seraient choisis parmi ceux qui partagent l'opinion qu'on ne doit pas l'exposer à tout perdre pour essayer de tout obtenir ; et à cet égard j'appuierai de nouveau sur l'exemple des cortès d'Espagne que j'ai rappelé dans mon premier discours. Il a été dit depuis lors, que l'Espagne avait succombé parce qu'elle n'était pas mûre pour la liberté. Je sais que, naissante encore, la liberté était faible en ce pays ; mais enfin ce n'était pas avec des étrangers que le généreux Riego avait renversé le gouvernement absolu ; et l'armée dite de la Foi ne pouvait rétablir le despotisme si cent mille français ne fussent venus au secours des trappistes, des Quesada, des Bessière. Éviter l'entrée des cent mille Français, c'était donc sauver la révolution espagnole ; comme éviter maintenant des dangers analogues, c'est sauver la révolution belge, plus forte dans son essence, il est vrai, que celle de l'Espagne, mais non moins compromise, vu la situation géographique du pays et l'infériorité numérique de ses habitants. Je reviens à l'objection que nous sommes ici uniquement pour constater un fait. J'ai compris ma mission d'une manière plus large, et je pense que son objet est de traiter toutes les affaires du pays pour son plus grand bien, en raison des circonstances et de la nécessité. Mais le congrès, dit-on, renonce à ses propres actes en agréant les conditions proposées ; il accepte les protocoles ; il renie l'intégrité du territoire. J'ai déjà prouvé, et bien d'autres avant moi, que les protocoles et les préliminaires de paix étaient loin d'offrir l'identité qu'on leur prête. Il est vrai que nous entendions l'intégrité du territoire autrement que ces préliminaires, et là je trouve l'objection de nos adversaires forte et digne de la plus sérieuse attention : non parce que le congrès changerait de résolution, car les congrès, comme les ministères et les oppositions, sont composés d'hommes faillibles et peuvent s'être trompés, surtout lorsqu'ils ont jugé dans leur propre cause, mais parce qu'il est très pénible de renoncer peut-être à des frères qui ont participé à toutes les chances de notre affranchissement, que ce serait une injustice à leur égard de ne pas les défendre, s'il ne s'agissait que d'efforts ordinaires et qu'il ne fallût pas exposer l'existence du pays tout entier. Je n'ai pas eu besoin qu'on m'exposât ce motif pour le sentir ; il parle au cœur, c'est tout dire. Cependant, en rendant de nouveaux hommages aux sentiments qui font insister sur cet argument généreux, je ne consens pas non plus à être un lâche, un homme sans honneur et sans patriotisme, parce que je n'y trouve pas la force nécessaire pour me déterminer à diriger mon pays vers un précipice. Plutôt attirer sur ma tête tous les malheurs que de céder un territoire circonscrit dans l'arrondissement dont j'ai l'honneur d'être député ! a dit M. Henri de Brouckere, Sans doute, comme lui, s'il ne fallait attirer tous les malheurs que sur ma tête, afin d'avoir la certitude de conserver les pays en litige, je n 'hésiterai pas ; mais ce ne sont pas les têtes des membres du congrès qu'il s'agit de préserver de grands malheurs, c'est la Belgique ; et oserais-je dire avec justice et raison : Périsse plutôt le nom belge que de céder telle ville ou village même à la Hollande en prenant d'ailleurs à l'égard des habitants toutes les mesures en mon pouvoir pour adoucir leur position ? On vous a dit que si jamais vous consentiez à l'évacuation de Venloo, vous vous rendiez coupable d'un acte semblable à l'abandon de Parga par les Anglais. Messieurs, je n'hésiterais pas à absoudre le gouvernement anglais s'il eût, pour sauver l'Angleterre d'un danger imminent et en prenant à l'égard des habitants de Parga toutes les précautions exigées par l'humanité, renoncé à l'occupation de cette ville. Mais personne n'ignore qu'il n'y a aucune parité entre notre situation actuelle et celle de l'Angleterre lorsqu'elle a retiré ses troupes de Parga ; un vœu qui m'a paru plus digne d'être pris en considération, c'est celui qu'a exprimé un député de Verviers en disant qu'il voulait fonder un État durable ; exempt des craintes trop vives de l'honorable membre, je partage son désir et j'espère qu'il sera réalisé : l'Angleterre et les autres cabinets de l'Europe devant avoir le plus grand intérêt à ce que notre État se consolide. Selon moi le plus difficile est de persuader aux ministres étrangers qu'il faut consentir à notre indépendance. Le fait consommé, les répugnances vaincues, il sera ensuite beaucoup plus aisé d'obtenir leur assentiment sur des objets secondaires indispensables à notre avenir. Messieurs, à ces doutes sur l'avenir de la Belgique se mêlent beaucoup de regrets, beaucoup d'inquiétudes relatives à la prospérité de certains intérêts matériels ou locaux : loin de les blâmer, je sympathise avec ces regrets, ces inquiétudes ; toutefois, dans un changement d'état politique les inconvénients de telle nature sont inévitables. Lorsque la Belgique fut séparée de la France, plusieurs branches d'industrie souffrirent gravement ; plus tard d'autres fleurirent, mais toute restauration (page 527) étant aussi odieuse qu'impraticable, renoncer aux avantages partiels de l'union avec la Hollande est une conséquence à laquelle il est impossible de nous soustraire. D'autre part, ce qui est presque certain à mes yeux, c'est que le gouvernement anglais ne cherchera point à ruiner notre commerce et notre industrie. Dans nos entretiens avec lord Palmerston, il a toujours indiqué que les grands intérêts de politique extérieure occupaient, avant les spéculations mercantiles, l'attention des hommes d'État de son pays. Or, évidemment, la Belgique pour remplacer dans la balance de l'Europe le royaume des Pays-Bas, doit être forte et heureuse ; et l'Angleterre se gardera d'y étouffer l'esprit national indispensable au maintien du nouvel État qui, privé de bonheur et de prospérité, tendrait tôt ou tard à se dissoudre. Cette considération puissante me rassure, je le répète, à l'égard de nos limites dans la province de Limbourg, et j'en conclus expressément que, les préliminaires de paix adoptés par vous, Maestricht reviendra en partage à la Belgique, comme l'exige sa situation à l'extrémité méridionale de la province belge dont elle est le chef-lieu.

Si mes espérances, conformes à des prévisions justement motivées, étaient déçues, je tiendrais à honneur, messieurs, de partager le sort de ceux qui m'ont donné leurs suffrages, après avoir rempli les obligations de député au congrès belge ; je montrerais que l'égoïsme n'entre pour rien dans ma détermination actuelle, et bien que mon projet n’ait jamais été de fixer ma demeure à Maestricht, aucun gouvernement ne pourra m'empêcher de m’y établir puisque j'y suis né, et j'en prends ici l’engagement. En attendant, je ne cesserai de représenter le district qui m'a envoyé sur ces bancs et ne donnerai point ma démission. (M. B., supp., 10 juill.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères demande la parole comme ministre. (Les députés se hâtent de retourner à leurs place ; il se fait un profond silence.) – Messieurs, si je n'ai pas pris la parole immédiatement après le discours de l'honorable M. de Brouckere, c'est que j’ai craint que, placé sous une impression trop récente et que vous comprendrez tous, j'ai craint, dis-je, que dérogeant aux usages parlementaires, la place de l'homme ne prît un instant la place du député.

Le reproche de lâcheté n'a cessé de retentir dans cette enceinte. Je ne sais pourquoi, messieurs, une partie de cette assemblée croit avoir le privilège de définir ce mot à son profit. Mais que répondriez-vous si, usant de représailles, nous vous disions que, par une fièvre d'amour-propre et par l'obstination du parti pris, vous vous entêtez à soutenir une cause que vous sentez bien que vous avez perdue ? (M. B., 10 juill.)

M. Henri de Brouckere – Je demande la parole. (M. B., 10 juill.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Je dirai, moi, que lorsque nous sommes divisés sur d'importantes questions, il n'appartient pas à une partie de cette assemblée de se faire juge de l'autre. Nos juges sont en dehors de cette assemblée ; c'est la nation qui prononcera entre nous. Au grand jour des élections, je compte reparaître devant mes commettants, vous y comparaîtrez aussi, et nous verrons pour qui elle décidera entre ceux qui, alors que nous leur avons donné l'exemple de la modération, poursuivent la défense de leur système en employant tout ce que l'injure et la calomnie peuvent avoir d'acerbe. Caméléon ! perfide ! lâche ! traître ! parjure ! Sont-ce là des raisons ? Quoi ! vous avez, dites-vous, le fait et le droit pour vous, et c'est dans le vocabulaire de l'injure que vous allez puiser vos arguments ! Ah ! je le répète, la nation jugera entre nous ; elle jugera sur le combat, elle a déjà jugé sur .les armes.

Depuis deux mois le ministère trahit, dites-vous ? et il y a deux mois vous avez reçu du ministère une mission importante, et il ne craignait pas de vous faire le confident de ses pensées ; elles étaient pures et patriotiques, et il n'a pas craint de vous faire un appel pour vous adjurer de dire s'il avait quelque chose à désavouer. Qu'avez-vous répondu en lisant mes instructions, instructions dont je m'honore, et, quoi que vous en disiez, conduite que mes discours n'ont pas désavouée ? Ce que je disais alors était un plaidoyer que j'envoyais à la conférence, et qui devait s'embellir par la bouche de M. de Brouckere. Alors, messieurs, pour obtenir tout ce que nous voulions, il fallait forcer, exagérer nos prétentions ; aussi ce ne peut être que par la plus inconcevable contradiction que l'on s'est servi de cette pièce pour me mettre en contradiction avec moi-même.

J'ai dit que cette question était pour nous une question d'humanité, et je n'ai pas, quoi qu'on en dise, déserté cette sainte cause, Je n'attache pas la question d'honneur à quelques murailles et à une citadelle. J'ai prouvé que nous pourrions sans inhumanité abandonner tout cela, mais jamais je n'ai dit que je consentirais à abandonner les habitants : c'est en cela que consiste la question d'humanité. L'ai-je soutenue ? vous pouvez le dire. (page 528) Je ne crains pas, messieurs, d'en appeler à vos consciences. Mon langage s'applique au Limbourg comme au Luxembourg. J'ai même dit au prince que la cession du plus petit territoire, du moindre village dans l'une ou l'autre province, l'exposerait à perdre toute sa popularité. Quel est entre nous celui qui entend le mieux les intérêts de la nation, de vous qui pour un point voulez compromettre toute la Belgique, ou de moi qui veux d'abord que vous soyez constitués ?

Vous dites que pour avoir les enclaves, il faut les prendre. C'est une naïveté incontestable : M. de la Palisse n'aurait pas dit autrement. Mais si la Hollande ne veut pas nous donner nos enclaves, nous ne lui rendrons pas les siennes, et jusque-là nous n'aurons pas à guerroyer. Nous ne sortirons pas de Venloo ; et comme l'introduction dans son territoire des principes révolutionnaires est une question de mort pour la Hollande, nous sommes certains de garder tout ce que nous avons.

Depuis trois mois que je suis au ministère, j'ai été abreuvé de toute sorte de dégoûts ; depuis trois mois je suis devenu le point de mire des factieux du dedans et du dehors, et j'ai la douleur de voir un honorable collègue partager leurs torts à mon égard. Vous dites que je me débats par ambition, et pour m'attacher à un misérable portefeuille ! Après avoir déposé mon portefeuille chez M. le régent, pensez-vous que, jouant la comédie, je conserverais l'arrière-pensée de le reprendre sous le roi ? Ah ! messieurs, supposez-moi de l'ambition, mais supposez-moi du bon sens. Vous qui prétendez parler au nom de la nation, qui vous en a donné le droit ? Où est la nation qui ratifie ce langage violent et désordonné ? A mon tour, ne serais-je pas plus fondé à vous dire que, malgré vos intentions, que je veux croire pures, vous avez, pour des hommes honorables, cet insigne malheur qu'une faction a placé son triomphe dans le succès de votre cause ? (Très vive sensation.) (M. B., 10 juill.)

M. Henri de Brouckere – Messieurs, lorsqu'il y a six jours je pris la parole dans cette discussion importante, je crois qu'il ne sortit de ma bouche que des paroles de modération. En cela je ne fis que suivre la ligne que je me suis toujours tracée ; il n'est personne de vous, je pense, qui refuse de me rendre la justice qui m'est due à cet égard. Mais depuis ce temps-là je reçois journellement des lettres du malheureux pays que vous allez abandonner ; mes commettants me supplient d'employer toute l'énergie dont je suis capable pour sauver leur province du malheur qui la menace. Oui, messieurs, j'ai mis de l'énergie dans mon langage, et si j'avais à recommencer, je le déclare, dussé-je de nouveau exciter vos murmures, dussé-je perdre l'estime de M. Lebeau, laquelle je ne fais aucun cas... (Violents murmures. Interruption.) (C., 10 juill.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Je n'ai pas dit un mot qui autorise ce langage. (C., 10 juill.)

M. Henri de Brouckere – Oui, messieurs, dussé-je perdre l'estime de M. Lebeau, dont je ne fais aucun cas, je ne changerais pas un mot à ce que j'ai dit, et je ne craindrais pas le blâme de l'assemblée ni de la nation ; je parle au nom de 70,000 âmes que vous pouvez sauver encore ; jamais mon langage ne peut être trop énergique pour atteindre ce but. On dit que mes expressions ont été inconvenantes. Mes paroles sont écrites à dessein, je les livrerai à l'impression, vous n'y trouverez ni les mots de parjure, ni de calomnie ; vous y trouverez les mots de lâcheté, et je l'y ai mis à dessein. Mais, dit-on, vous qui déclamez si fort contre le ministre, vous avez naguère accepté de lui une mission importante ? Oui, messieurs, mais quelle mission ? Je garde les lettres de M. Lebeau, qui ne cessait de répéter que nous ne pouvions sacrifier un seul village, et aujourd'hui c'est lui qui nous propose cet abandon.

On parle de factieux du dedans et du dehors. Des factieux du dedans ! Je ne sais si c'est à moi... (C., 10 juill.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Je déclare que ce mot ne s'adresse pas à vous. (C., 10 juill.)

M. Henri de Brouckere – Je ne sais si c'est à moi que l'épithète de factieux s'adresse. Si c'était à moi, je dépouillerais à l'instant ma qualité de député, pour reprendre la qualité d'homme. (Violents murmures. Interruption.) (C., 10 juill.)

- Plusieurs voix – Bien ! bien ! Parlez ! parlez ! (C., 10 juill.)

M. Henri de Brouckere – Interrompez-moi, messieurs… (C., 10 juill.)

M. Lardinois – On vous interrompt pour vous applaudir. (Agitation.) (C., 10 juill.)

M. Henri de Brouckere – Interrompez-moi, vous ne m'empêcherez pas d'aller jusqu'au bout. Oui, si le langage du ministre s'adresse à moi, je dépouille ma qualité de député et je saurai, dans l'occasion, reprendre ma qualité d'homme. Je suis le cri de ma conscience, et dans tout ce que j'ai dit il n'y a rien d'exagéré. (Agitation prolongée.) (C., 10 juill.)

M. Charles de Brouckere(page 529) Messieurs, la gravité de l'objet en discussion, ma position spéciale, et le singulier abus que l'on a fait de mon nom dans le cours des débats, m'autorisent à monter une seconde fois à cette tribune. Je m'attacherai à nos adversaires les plus redoutables, pour ne pas abuser de votre temps. Je n'imiterai pas ceux que je combats, je ne vous dirai rien qui me soit personnel.

Le courage est un devoir sans mérite dès qu'on s’en targue ; la plainte est une faiblesse.

Celui qui nous a entretenus de ses déboires aurait dû comprendre que quand un député du Limbourg, assis sur le même banc que moi, parlait de clientèle, c'était un exemple entre un millier qu’il choisissait. Celui qui nous a reprochés de parler aux passions aurait dû tenir le langage de la froide raison, et s'attacher à réfuter nos erreurs. Sa tâche eût été plus grave mais plus aride, plus belle mais moins brillante.

Je croyais avoir établi que les propositions étaient de véritables protocoles, que leur adoption entraînait une cession de territoire ; que vous n'aviez pas le droit de céder une partie de la Belgique ; je crois avoir démontré surabondamment que la cession, eussiez-vous le droit de la faire, était contraire aux intérêts du pays. Que m'a-t-on répondu ? Ce ne sont pas des protocoles. Et pourquoi ? parce que vous avez la liberté de discuter, celle d’accepter et de rejeter les propositions.

Est-ce sérieusement qu'on combat avec de telles armes ? N'avons-nous pas discuté sur les protocoles et dans des comités secrets, et en commissions et en séances publiques ? N'avions-nous pas le droit d’accepter les actes de la conférence comme celui de les retourner ? L'acceptation eût été une lâcheté, vous a dit avec raison un ministre, c'était reconnaître le droit d'intervention. Les choses n'ont pas changé.

Aujourd'hui comme alors, vous avez le droit de rejet ; mais si vous rejetez, si seulement vous modifiez les dix-huit articles, les protocoles restent debout, ils demeurent actes irrévocables pour la conférence. La discussion, aux yeux de ceux que vous qualifiez de médiateurs, est circonscrite dans le choix des préliminaires de paix et des vingt-cinq premiers protocoles. Ils vous disent : Nous avions imposé des conditions dures, humiliantes, sans aucun détour ; nous consentons à en modifier la forme, à vous les proposer sous une forme moins sombre ; vous les accepterez, sinon nous vous imposerons les premières, sous peine de partage et d'invasion. De pareilles menaces ne nous ont pas été communiquées ouvertement ; on les a fait pressentir en comité général et dans des réunions particulières. Nous sommes donc placés dans la même position qu'il y a six mois ; comme alors les menaces ne me font pas changer aujourd'hui ; comme alors, je repousse aujourd'hui toutes conditions que je n'aurai pu combattre contradictoirement.

Que si je prouve que c'est une cession de territoire qu'on exige de nous, un ministre me répond qu'il n'a pas pu s'occuper des enclaves, parce que le congrès ne lui avait pas donné mission de proposer des échanges, et cependant il assure que les commissaires à Londres ont fait des ouvertures sur les parties de territoire de la Gueldre et du Brabant septentrional auxquelles on prétend que nous avons des droits. D'ailleurs le ministre, ajoute-t-on, n'a pas les éléments nécessaires pour évaluer l'importance des enclaves. Une fois les faits connus, il était facile d'apprécier les choses. Le traité de 1800 et les subséquents entre la France et la Hollande suffiraient seuls pour établir combien grande est la différence à notre préjudice, si déjà nous n'avions fourni d'autres preuves.

Un autre ministre a eu recours aux chiffres pour vous démontrer qu'il y avait réellement cession de territoire, mais que cette cession était peu importante. Il suffirait, selon M. Barthélemy, d'abandonner à la Hollande le canton de Horst, une langue de terre pressée entre la Hollande et la Prusse, et qui nous deviendrait à charge.

J'abandonne un moment les principes pour m'attacher au fait. Tout est erreur dans les données de l'honorable membre. La population du Limbourg qu'il faudrait échanger s'élève à 70,000 âmes environ, au lieu de 56,000 ; le terrain dans le district de Maestricht que l'on devrait racheter vaut dix, vingt fois celui que l'on voudrait céder, deux places fortes, deux positions militaires et commerciales, le cours de la Meuse sur une étendue de vingt lieues font partie de ce que vous voulez acquérir. La cession du canton de Horst laisserait à la Belgique la même forme ; elle substituerait à la langue dont Mock est l'extrémité une autre langue de terre resserrée entre la Hollande et la Prusse.

C'est donc un rêve, une chimère que ce plan d'échange de bonnier contre bonnier, de maison contre maison, d'homme contre homme ; abstraction des droits, car alors c'est une monstruosité.

Nos adversaires, messieurs, transportent la question sur un autre terrain ; ils écartent le principe révolutionnaire et y substituent des théories sur le droit primitif et antérieur, sur le divorce, sur la propriété.

(page 530) Un penseur profond, mais ce n'est pas Vauvenargues, a dit quelque part : Les voyages sont instructifs. Cette pensée lumineuse brille ici de tout son éclat.

Vous avez entendu, dans le comité général, les arguments que les commissaires du gouvernement ont fait valoir pour soutenir nos droits sur le Limbourg et la Flandre zélandaise. Les raisons que la conférence opposait au fonctionnaire public ont été reproduites par le député à l'appui des dix-huit articles.

« En 1813, la Hollande fit sa révolution, ou plutôt sa restauration, reprit sa place à titre de peuple ancien, ressaisit tous ses droits à l'ancien territoire. »

Qu'il me soit permis de rectifier les faits et de suivre un instant ceux qui, répudiant leur siècle, nous rejettent de cinquante ans en arrière.

Messieurs, il m'est historiquement démontré que l'empereur Alexandre fit en 1814 un appel à l'insurrection des peuples agglomérés, confondus successivement dans l'empire français ; que c'est en vertu de cet appel que la Hollande incorporée à la France, c'est-à-dire celle de 1810, fit sa révolution au mois de novembre 1813 ; qu'il ne lui vint pas à l'idée de reculer de trente-trois ans, de briser les traités où non seulement elle, mais toutes les nations européennes, et particulièrement l'Angleterre, étaient tour à tour intervenues, mais de répudier le droit de la force, de briser le joug ; de se soulever contre un acte arbitraire qu'aucun contrat ne légalisait ; qu'elle n'eut pas la pensée de fouler aux pieds le traité de 95, ni surtout ceux de 1800 et de 1808, qui lui accordaient une extension de territoire, dont elle se remit aussitôt en possession.

Elle ne songea pas plus à reprendre ses limités de 1790 que son ancienne forme de gouvernement. Je ne vous fatiguerai pas de faits à cet égard, la proclamation du prince d'Orange, sa soi-disant inauguration à la maison de ville d'Amsterdam, ses premiers actes sont trop connus pour que je veuille m'y arrêter.

Cependant les alliés, gagnant du terrain, établirent successivement un gouvernement du Bas Rhin et de la Belgique. Des généraux, peu au fait du droit primitif et antérieur, n'assignèrent pas de limites aux gouvernements qu'ils créaient à leur passage ; la conquête décidait du territoire d'une manière fort bizarre.

Il m'est historiquement démontré qu'une partie des communes des départements de la Meuse-Inférieure et de l'Ourthe ne surent pendant plusieurs mois sous quelles autorités elles étaient placées.

Un arrêté du 26 août 1814 substitua le timbre de la Belgique à celui du Bas-Rhin pour toutes les communes des départements de la Roer, de l'Ourthe et de la Meuse-Inférieure, situées sur la rive gauche de la Meuse. Ainsi, jusque-là le gouvernement belge s'était enquis d'une foule de communes belges, ainsi dès ce moment il étendit son pouvoir sur d'anciennes communes allemandes.

Maestricht ne se rendit qu'après le retour des Bourbons en France... Quelques hommes, croupissant dans l'oubli, désirant le retour à l'ancien ordre de choses, ayant tout à y gagner, engagèrent le prince souverain à envoyer des troupes dans le Limbourg, à investir la place de Maestricht ; l'un d'eux leva même un bataillon, entièrement composé de Liégeois ; Il n'en fallut pas davantage pour faire naître des idées d'agrandissement dans l’esprit du prince Guillaume. A cette époque, il agissait néanmoins comme allié des autres puissances, comme les Belges eux-mêmes devenus forcément les ennemis de la France ; ses hordes prirent la place de bonnes troupes, qui dès lors marchèrent en avant, et le 5 mai elles entrèrent à Maestricht. Cependant la souveraineté de la Hollande sur les pays de généralité n'était pas reconnue ; les commissaires de cette nation n'agissaient que sous tel bon plaisir du gouverneur du Bas Rhin, de M. de Sathem, d'une part, tandis que d'autre part ils étaient en possession de parties de territoire belge et les réunissaient au Brabant septentrional.

La fatalité voulût que Guillaume d'Orange succédât, en qualité de gouverneur au nom des puissances alliées, aux gouverneurs de toutes les couleurs que la Belgique avait subis depuis le mois de février jusqu'à celui de juin 1814, et c'est ainsi que, de sa propre autorité, sans mandat aucun, le prince d'Orange, en sa double qualité de prince souverain de la Hollande et de gouverneur de la Belgique, parvint à déterminer des limites dans le département de l'Escaut.

Un arrêté du 19 octobre 1814 organisa la juridiction et l'étendue des communes de l'arrondissement d'Eecloo, jusque-là confondues avec d'autres de la Flandre hollandaise. C'est ainsi que par le fait la Hollande reprit ses anciennes limites, que Sainte-Anne-Ter-muiden, Sainte-Marguerite, Oud-Waterland , Assenede, Zelzaete et la Clinge furent morcelés tout en conservant leur nom, et que d'autres par le même morcellement furent incorporés dans des communes voisines.

Un an après la révolution, la Hollande obtint donc ses limites de 1790 dans la Flandre, mais sans que son droit fût établi, et parce que le (page 531) prince souverain exerçait en Belgique un pouvoir arbitraire et momentané.

D’où donc infère-t-on que la Hollande a repris les droits de 1790 ? D'où, que nous devons répudier les traités de 1795 et 1800 ? D'où, que la base du partage ne doit pas être la division de l’ancien royaume en provinces septentrionales et méridionales ?

J’ai entendu dire que le traité de Londres tranchait la question, parce qu'il accordait un accroissement de territoire à la Hollande. L'expression d’accroissement de territoire ne change pas la question, ne décide pas ce qu'il faut entendre par Hollande ; les plénipotentiaires ont cru qu'il était inutile de spécifier les parties, qu'il suffisait de définir le tout ; ils ne pouvaient prévoir la chute de ce qu'ils enfantaient. Le roi Guillaume lui-même a rejeté cette idée d'accroissement telle qu’on voudrait l'entendre ici, dans la note de son ministre des affaires étrangères à M. de Mhier.

Quant à la séparation en provinces méridionales et provinces septentrionales, un orateur qui a défendu autrefois ce principe l'a renié il y a deux jours, parce que des traités ne peuvent être basés que sur des actes du dehors, et que la délimitation des provinces était un acte d'ordre intérieur. Oui, la division en provinces était un acte de politique intérieure, un fait de ménage, mais basé sur le contrat de mariage, sur le traité de Londres. Les deux parties du nouveau royaume devaient jouir des mêmes droits et privilèges ; la constitution reposait sur ces principes, et pour leur application, elle ne reconnaissait d'autres parties contractantes que les provinces méridionales et septentrionales. Par le divorce séparez donc ceux qui ont été unis, rester dans les termes du contrat.

Les actes du dehors sont bons à invoquer quand la question s'étend au dehors ; personne de nous n’élève des prétentions au dehors, personne ne pense à une rectification de limites avec des voisins ; nous demandons à consommer un fait intérieur ; et cependant nous pouvons nous étayer au besoin d'un acte diplomatique, des dix-huit articles de Londres.

C’est aux traités antérieurs à 1790, a-t-on dit encore, que vous devez vous tenir pour le territoire, puisque vous voulez la séparation des dettes antérieures à cette époque. Jamais aucun de mes amis politiques n'a soutenu une pareille absurdité ; d'abord parce que nous ne demandons que ce qui est juste, ensuite parce que nous ne voulons pas être dupes.

Au moment de la réunion, la Hollande convertissait quatorze ou quinze espèces de dettes inscrites au grand-livre et dont les intérêts variaient de 1 1/2 à 7 pour cent ; une grande partie de ces dettes avaient été contractées après 1795. Il est facile d'assigner l'origine, la date et le montant de chacune des espèces.

Nous avons donc réclamé que chacun payât la dette, et si l'on prouve qu'antérieurement à 1790, une partie des territoires que nous soutenons nous appartenir avait profité des emprunts contractés par la Hollande, nous payerons notre quote-part, tout comme la Prusse a pris à sa charge la part qui incombait à l'Oost-Frise.

Au surplus, messieurs, dans toutes les lois relatives à la liquidation des dettes, et particulièrement dans celle du 9 février 1818, on a fait des distinctions entre les provinces méridionales et septentrionales.

M. le ministre des affaires étrangères à son tour a cherché à démontrer, par une question de propriété, que nous devions remonter à 1790. Je n'opposerai pas citation à citation, d'abord parce que je n'ai jamais lu les lois romaines dans la langue originale, et puis parce qu'il n'est pas question de choses vénales, de propriétés purement matérielles.

Jusqu'à la conclusion du traité de Vienne, rien n'était changé dans les contrats ; la Hollande avait ressaisi des droits qu'elle n'avait pas aliénés, elle avait repris sa position de 1808 ; le reste était le fait de la conquête ; par le traité de Vienne, la Flandre zélandaise et le Limbourg furent cédés, non à la Hollande, mais au nouvel État, et la France intervint comme partie cédante. C'est de la même manière qu'une partie des pays de Clèves et de Juliers, que la principauté de Liége et plusieurs comtés et baronnies furent abandonnés au nouvel État, de la même manière que plus tard treize cantons y furent ajoutés aux dépens de la France.

Si donc tous les traités postérieurs à 1790 sont nuls pour vous, parce que directement vous n'êtes intervenus dans aucun, comment pouvez-vous laisser indécise la question du Luxembourg, province cédée, sans votre participation, au roi Guillaume ? Comment pouvez-vous condescendre, soit à l'abandon, soit à l'achat d'un pays qui nous appartient en vertu de tous titres que vous reconnaissez légitimes ? Comment, d'autre part, ne vous conteste-t-on ni la principauté de Liége, ni les treize cantons, ni les cinq sixièmes du Limbourg ?

Trêve donc à tous ces systèmes arbitraires dans leur principe comme dans leur application ; trêve à ces railleries qui mettaient ces nations à la merci de quelques intrigants et qui ne sont que (page 532) mensonges dans l'exécution. Je vous y ai suivi malgré moi, pour démontrer qu'en admettant même le droit des gens à votre manière, vous n'en aviez tiré que de fausses conséquences.

Messieurs, je ne m'étais pas appesanti sur le droit d'insurrection, abandonnant cette tâche à un orateur qui, plusieurs fois, nous en avait entretenus avec chaleur et conviction ; mais aujourd'hui que cet honorable membre a déserté notre cause sacrée, j'y reviens avec d'autant plus d'insistance que l'on s'est appuyé de mon nom pour exemple pour changer de drapeau. J'ai bien voulu vous rendre compte d'un acte de ma vie privée, j'en ai expliqué les motifs ; non seulement à chaque aveu de conversion des députés, mais encore des ministres, mon nom a retenti.

Nous formions un tout ; nous nous séparons violemment en deux en vertu du droit d'insurrection ; d'un côté demeurent ceux qui n'ont jamais été désunis, de l'autre se groupent ceux qui depuis trente-six ans ont vécu sous les mêmes lois, partagé le même sort. C'est en 1795, et seulement depuis lors, que la Belgique autrichienne, la principauté de Liége, les comtés de Loo, de Horn et de Vroenhoven, qu'une partie des pays de généralité, de Clèves, de Juliers, de Gueldre, de Limbourg, vivent en communauté ; c'est seulement depuis que les parties de l'ancienne Belgique sont devenues homogènes. Cette union de trente-six ans a fait naître une sympathie d'habitudes et de mœurs, une union de besoins matériels et moraux, a enfanté la révolution et lui a prêté vie.

Tel est le principe de nos droits, principe plus solide, sans doute, que celui qui classerait d'un côté les catholiques et rangerait de l'autre les protestants, sauf à décider ultérieurement du sort des juifs ; plus rationnel que les assertions de M. le ministre des affaires étrangères.

Venloo, vous a-t-il dit, n'a pas fait sa révolution pour elle, mais pour la Belgique ; en d'autres termes, les habitants du Limbourg sont des instruments dont on se sert comme des traîtres, aussi longtemps qu'ils sont nécessaires pour mener au but, et qu'on repousse quand le but est atteint ; c'est un membre gangrené qu'on coupe, de crainte que la maladie n'abîme le corps entier... Mais avons-nous trahi ? sommes-nous infectés de quelque maladie contagieuse ?... Nous compatissons à votre position, répond aussitôt un orateur ; mais un homme d'État ne peut pas s'abandonner à la pitié : le devoir force souvent les princes à ne tenir aucun compte du sort de familles perdues par la condamnation de leurs chefs, à résister aux sollicitations les plus attendrissantes. Quel est donc notre crime, à nous Limbourgeois, pour motiver un arrêt ? Je connais un homme d'État qui jamais ne ratifie une condamnation capitale ; je ne sonde pas ses motifs... Craignez qu'en prononçant notre arrêt vous ne soyez livrés à d'éternels remords.

Je reviens au droit d'insurrection. Ce droit, la conférence nous l'a reconnu, s'est écrié hier encore un honorable député de la Flandre occidentale ; mais elle nous refuse le droit de conquête ; hâtez-vous d'accepter les propositions et de faire consacrer un principe qui détruit à jamais la Sainte-Alliance.

Prenez-y garde, messieurs, tout séduisant que paraît ce raisonnement, il est faux. Si le droit d'insurrection est reconnu, il l'est aussi bien pour le Luxembourg et le Limbourg que pour le Hainaut et le Brabant ; il ne vous est pas plus loisible de rendre à la Hollande une partie de son territoire, dont les habitants se sont insurgés contre le gouvernement hollandais, que de lui abandonner Anvers, Bruxelles ou toute autre ville. Ce n'est pas comme partie intégrante de la Belgique de 1795 ou 1815 que nous réclamons Venloo et le pays de la généralité, c'est comme peuple insurgé que nous demandons le territoire sur lequel nous existons ; c'est à titre de peuple nouveau qui n'a besoin d'aucun antécédent pour avoir une existence, une nationalité, si ceux qui le composent sont d'accord pour être nation. Oui, messieurs, si le Brabant septentrional, si une partie de la Gueldre s'étaient joints spontanément à nous, si le Brabant se souvenant des humiliations qu'il a subies comme pays de la généralité, si la Gueldre catholique se rappelant l'intolérance du gouvernement des Provinces-Unies, avaient arboré nos couleurs, refoulé au delà du Wallal, du Rhin ou du Moerdyk les soldats de Guillaume, ils pouvaient se joindre à nous et contracter des liens que vous n'eussiez pu rompre sans renier la révolution, sans tuer son principe.

Veuillez bien ne pas confondre, messieurs, le droit d'insurrection avec la conquête ; mes adversaires ont évité de faire cette distinction, et pour écarter le sentiment généreux qui fait palpiter vos âmes à la seule idée de l'abandon d'une partie de vos frères, ils ont comparé la situation actuelle des Venloonais à celle où se trouveraient les habitants du Brabant septentrional, si par suite du rejet vous faisiez la conquête de cette province. Raisonnement tout aussi faux que le précédent.

Si vous entrez dans le Brabant septentrional, c'est à titre de conquérants ; vous pouvez, pour consolider votre existence, rendre ce que vous n'aurez dû (page 533) qu'à la force. Voilà pour le principe ; voici pour les conséquences.

Les habitants du Brabant septentrional pourraient se retrancher derrière l'invasion, la force majeure, tandis que les habitants du Limbourg et ceux du Luxembourg ont eu le tort de s'insurger avec nous, de prendre l'initiative.

Si demain une insurrection éclatait en France ; si fatiguée de son homogénéité, ou plutôt si une partie, trouvant ses intérêts compromis par l'autre, se fractionnait en départements du Nord et du Midi ; si le parti de la légitimité était repoussé, vaincu par celui de l'insurrection, croyez-vous que des médiateurs seraient en droit de dire aux vainqueurs : Vous rétrograderez, vous céderez aux vaincus une partie de votre territoire, de vos frères, de ceux qui ont concouru à vous donner l'être ? Croyez-vous qu'à l'appui de pareilles prétentions ils puissent avec justice exhumer quelque traité de partage entre les fils des rois de la première et seconde race, sous prétexte que depuis lors il n'y a plus eu de contrats auxquels des fractionnaires de la France actuelle soient intervenus directement en leur nom de province ? qu'on puisse soutenir que les traités conclus avec la France entière sont res inter alias actœ pour chaque province, ou pour des réunions de provinces ?... Admettez au moins, ajoutent nos adversaires, que s'il y a cession pour l'exécution rigoureuse des préliminaires, admettez que plusieurs dispositions des dix-huit articles nous offrent de grandes ressources. Croyez-vous, s'est-on écrié, quelque petits que soient les enclavements, croyez-vous que les Hollandais consentent à la prise de possession ? qu’ils admettent chez eux un foyer d'insurrection ? Oui, messieurs, je le crois, et pour une raison simple. Quelques villages, circonscrits dans des limites très étroites, entourés de toutes parts par des populations hollandaises, n'offrent aucune ressource militaire ni commerciale, ne peuvent devenir hostiles à nos ennemis et seront pour nous une charge sans profit. Ce sont des îlots stériles jetés au milieu de l'Océan, trop petits, trop éloignés pour être dangereux au navigateur, pour ne pas être un fardeau pour la mère patrie.

Je me trompe, la Hollande ne vous abandonne pas les enclaves, elle vous en fera l'offre et vous serez aises d'en finir à l'amiable et moyennant un équivalent.

Et ne venez pas me dire, à l'appui du système contraire, pour soutenir des prétentions exagérées, que vous tiendrez la Hollande par la dette ; et ne vous appuyez surtout pas d'une différence de 25,000,000 de francs à notre profit.

Lors de notre réunion, la dette hollandaise s'élevait à une rente de 14,333,776 florins ; encore ne fut-elle portée à ce chiffre que par une fausse opération de liquidation. Depuis lors les dettes de la Belgique ont été portées à la charge de la communauté, tellement que la différence pour nous ne s'élèvera guère au delà de 6,000,000 de florins.

Vous avez, messieurs, autant d'intérêt que la Hollande à terminer, d'abord parce qu'en vertu de l'article 13 des préliminaires, vous fournirez votre quote-part dans le payement de la dette, ensuite parce que vous avez des droits à faire valoir sur les cautionnements restés depuis seize ans au trésor, sur les fonds de Waterloo, sur les caisses de cautions, sur la flotte, sur le syndicat d'amortissement ; sur tous les grands établissements qui appartiennent à la communauté ; enfin parce que la Hollande est maîtresse de la citadelle d'Anvers, du cours de la Meuse et de celui de l'Escaut. .

Aucun de tous les arguments ne détruit d'ailleurs que les dix-huit articles nous imposent une cession de territoire.

Si je vous démontre que, comme pouvoir législatif, pas plus que comme pouvoir constituant, vous n'avez le droit de céder une partie de territoire, que vous faites un abus de la force, M. le ministre des affaires étrangères me répond qu'il est factieux celui qui ne se soumet pas au pouvoir législatif.

Épargnez-nous vos épithètes, prouvez-nous que vous êtes dans les termes de l'article 68 de la constitution , qu'il y a consentement des parties intéressées, ou force majeure ; prouvez-nous que, comme pouvoir législatif, vous pouvez faire des cessions sous une régence ; que, comme pouvoir constituant, vous pouvez démembrer le pays.

Il n'y a plus de factieux dès que vous vous écartez de la ligne de vos devoirs. Je ne répéterai pas ce que j'ai déjà dit à cette tribune ; mais, sans m'effrayer du nom de factieux qui m'a été prodigué ailleurs, je répondrai à mes collègues de juillet comme à ceux de septembre, que j'ai fait acte de bon citoyen en agissant comme je l'ai fait, comme je l'ai dit.

Si surabondamment je démontre que les échanges, les cessions sont contraires aux intérêts du pays, M. le ministre des affaires étrangères exhume un de mes discours où il reconnaît que j'ai établi que la possession de la rive droite de la Meuse par les Hollandais détruisait l'avenir du pays, et il en conclut que je suis en opposition avec moi-même, en flétrissant avec la même énergie le statu quo de 1790. Je n'ai pas été plus loin, (page 534) dans une autre circonstance, parce qu'il s'agissait du principe de contiguïté : vous m'offrez l'alternative ; eh bien, pour ne pas vous ennuyer de répétitions, je me borne à combattre la nouvelle combinaison. Où donc est la contradiction ?

J'ai rejeté par des sarcasmes les projets de routes en fer, et cependant, dit M. le ministre, des routes valent mieux que des canaux, parce que ceux-ci ne sont pas navigables toute l'année. Si, au lieu de lire mes discours dans les journaux, on s'était donné la peine de me suivre, on aurait entendu que j'ai repoussé aussi bien les canaux que les routes dont on nous avait fait étalage.

Dans certaines circonstances les routes ferrées sont préférables à tout autre moyen de communication, mais leur viabilité non interrompue n'est qu'un élément accessoire dans la décision qui intervient sur le choix et l'utilité de travaux aussi importants. Non, messieurs, le ministère n'a ni plans de route ni plans de canaux susceptibles de nous assurer des communications avec l'Allemagne, soit que nous ayons le statu quo de 1790, soit que nous cédions la rive droite de la Meuse. C'est Maestricht qu'il nous faut pour assurer le transit, c'est Maestricht qui doit être le centre des communications et Maestricht, vous ne l'aurez pas, parce que les Hollandais le possèdent ; l'eussiez-vous, les Hollandais resteraient maîtres de toutes les communications en vertu des dix-huit articles, puisque toutes les communes de la rive droite de la Meuse qui avoisinent la ville font partie du pays de généralité. (L'orateur entre en quelques détails et parle du seul plan exécutable, selon lui, plan conçu par un ingénieur.)

Nous sommes neutres, ajoute M. le ministre des affaires étrangères, en vertu d'une grande pensée politique ; la France nous convoite, les puissances nous mettent à l'abri de l'invasion par la neutralité. Mais, je le demande, un traité de neutralité est-il donc plus sacré, plus solennel qu'un traité d'indépendance ?

Nous devons être forts ; et ici M. le ministre se flatte d'être d'accord avec les députés qui siégent à l'extrême gauche dans la chambre de France ; oui, la Belgique doit être forte dans l'intérêt de la France, elle doit arriver au Rhin, parce qu'elle est l'alliée naturelle de la France, parce que les deux pays contracteront une alliance offensive et défensive. Oubliez-vous donc que nous sommes neutres, que nous le sommes pour servir de barrière à la France, et que dès lors elle a un intérêt tout contraire ? Oubliez-vous qu'elle doit désirer notre faiblesse dès que nous ne pouvons unir notre force à la sienne ?

Nous serons neutres pour comprimer les idées d'agrandissement qui agitent nos voisins ; force nous sera donc aussi de conserver nos forteresses et une armée. Ne nous comparons pas à la Suisse hérissée de montagnes et de rochers, sans routes, sans communications. Pays de plaines, toutes nos avenues seront défendues sous des places de guerre, et le fardeau dont nous partagions le poids sera dorénavant supporté par nous seuls.

Le commerce nous dédommagera, sans doute, de ces charges accablantes ! Il me souvient qu'un partisan du duc de Leuchtenberg étaya son opinion du commerce lucratif que nous ferions avec le Brésil... On rêve en ce moment un traité avec l'Angleterre ; un pareil traité donnerait le coup de mort à l'industrie belge.

Me voici ramené aux intérêts matériels.

M. le ministre des affaires étrangères a fait valoir une diminution de la dette que j'ai réduite de moitié ; il vous a annoncé une économie de 25,000,000 de francs.

Est-ce pour le faire croire, qu'au lieu du budget de 35,000,000 de florins que votre commission, s'appuyant sur des faits, avait réduit à 30,000,000 de florins, on vient de nous en retourner un dont le chiffre s'élève de 42 à 43 millions ? Est-ce pour le faire croire qu'on prodigue d'une manière scandaleuse les grades militaires ?

Messieurs, le gouvernement provisoire, dans un moment d'absolue nécessité, avait accordé un grade d'avancement à tous les officiers, et voici qu'après huit mois de paix, une foule de militaires ont gagné deux grades, plusieurs trois et même quatre.

Est-ce pour nous le faire croire, qu'ont lieu toutes ces promotions d'officiers sans troupes, comme si un changement d'épaulettes changeait l'homme qui les porte ?

Est-ce pour nous le faire croire, enfin, qu'on nous fait entrevoir la guerre dans le lointain, qu'on nous parle des ressources que des préliminaires offrent à la chicane, aux lenteurs diplomatiques ? Aussi longtemps que les négociations ne seront pas terminées, vous conserverez un pied de guerre ruineux, et lorsque les ressources du pays seront épuisées, vous courrez aux armes. Belle perspective pour nos intérêts matériels !

Allons un peu plus loin, pensons à l'avenir de la Belgique.

Les colonies, la Prusse, la France offrent seules des chances d'avenir. Ce que vous a dit hier un honorable député d'Anvers, des colonies, est vrai ; il n'a eu qu'un tort à mes yeux, celui d'avoir circonscrit la question commerciale dans un cadre trop resserré. Les colonies sont perdues pour nous, (page 535) cette perte était réparable et compensée par la séparation des dettes.

Il nous restait la France : vous avez perdu ce débouché par l'élection du prince de Saxe-Cobourg, par la neutralité.

Il nous reste enfin la Prusse : vous perdez cette dernière ressource par l’abandon du Limbourg. A cet égard, qu'on ne vienne plus disputer l'ancien système à la Hollande ; qu'on ne nous dise pas que le monopole est à jamais enlevé à notre rivale. La Hollande sera maîtresse du cours de l’Escaut sur une étendue de dix-huit lieues, de la Meuse sur une plus grande étendue encore ; par terre elle intercepte les communications entre Aix-la-Chapelle et Maestricht. Elle n'élèvera pas des prétentions à la fermeture des fleuves, mais vous lui reconnaîtrez au moins le droit de convoyage et de visite, vous ne lui contesterez pas le droit de la garantie de la, fraude, et celui de faire payer les frais de surveillance. C'en est assez pour anéantir votre transit.

Après il devient superflu de nous parler d'Ostende. Ce port a acquis une importance momentanée due aux circonstances ; jamais il ne pourra lutter avec celui d'Anvers. L'équilibre ancien se maintiendra, et, les affaires diminuant, Ostende rétrogradera comme Anvers. Sa pêche seule lui restera par suite de l'adoption des préliminaires de paix. Et dans la supposition même que la possession de l'Escaut par la Hollande écrase Anvers, Ostende ne nous dédommagera en aucune façon ; sa position géographique impose pour borne à son commerce la consommation intérieure.

C'est par plaisanterie que d'honorables députés ont voulu transformer Ostende en chantier de marine de guerre, qu'on a parlé de construire des vaisseaux de ligne à Boom. Tous les forts imaginables ne mettront jamais les chantiers d'Ostende à l'abri d'un coup de main ; c'est dans des ports intérieurs qu'on assoit d'aussi vastes établissements. Quant à Boom, aucun vaisseau de guerre ne pourrait en sortir et arriver armé en pleine mer.

N'ayez cependant ni craintes ni soucis ; le prince Léopold entend très bien les questions commerciales, vous a dit un orateur.

Je regrette, messieurs, de devoir récuser le témoignage de M. Osy ; il n'est pas juge compétent.

Puis-je, je vous le demande, avoir foi dans celui qui nous conseille d'affecter une partie de ce que nous gagnerons au partage de la dette à des primes d'exportation, et qui trouve un grand avantage à ce que nos florins soient dépensés dans le pays ! Est-ce donc de quelque argent monnayé que dépend la prospérité matérielle d'un pays ? Non, c'est dans le travail, dans la production, dans l'échange de la production, que consiste la richesse.

Puis-je avoir foi dans celui qui nous engage à perpétuer le million Merlin, à donner des encouragements pécuniaires à l'industrie ?

Nous aurons donc le triste privilège de payer autant et plus d'impôts qu'autrefois, de créer une industrie factice ; et à la moindre secousse, à la première crise commerciale, nous tomberons pour ne plus nous relever.

Puis-je avoir foi dans celui qui nous dit que nous pouvons rivaliser avec l'Angleterre, parce que nous sommes à peu près aussi avancés que nos voisins d'outre-mer dans la construction des machines ? L'orateur a oublié de vous dire que la matière première des machines coûtait moins en Angleterre : le fer ; que l'aliment continuel des machines était à meilleur marché en Angleterre : le charbon.

Messieurs, s'il vous reste une ressource, c'est la diminution des impôts, la suppression des primes et des encouragements, qui doit amener la diminution du prix de la journée de l'ouvrier ; oui, l'économie la plus sévère, la parcimonie dans les dépenses de l'État peuvent seules, dans la suite des temps, vous faire espérer de reprendre quelques forces productives.

Je me flatte de vous avoir tenu le langage de la froide raison, d'avoir fait abstraction de tout esprit de localité ; vous me permettrez de prendre un moment le rôle de député du Limbourg, de réfuter des sophismes échappés à un honorable membre.

Députés du Limbourg, ne vous retirez pas, nous a-t-on dit : en fait, les trois districts du Limbourg nous demeurent. Oui, mais ce ne sont pas les districts qui nous ont élus. Ne confondez pas, je vous prie, l'échange, la cession d'un territoire qui vous a appartenu ; avec la reconnaissance du fait que jamais les communes de la généralité n'ont fait partie de la Belgique.

En droit vous ne pouvez abdiquer, ajoute-t-on. Non, nous n'abdiquerons pas notre mandat ; je conserverai du moins celui que j'ai reçu, mais je ne siégerai plus dans cette enceinte aussi longtemps qu'il ne me sera pas démontré que nous conserverons l'intégrité du Limbourg.

Ne nous faites pas un appel à la réconciliation, il ne s'agit plus d'une différence d'opinion, mais du démembrement du pays. Nous n'avons point de haine contre les personnes ; nous sommes et nous resterons ennemis politiques.

Ne nous parlez pas de Huy, patrie que vous avez volontairement abandonnée, ne nous faites pas des (page 536) offres inacceptables, elles dénoncent plus d'égoïsme que de générosité.

Messieurs, il y a de l'honneur, du dévouement à se sacrifier soi-même à l'intérêt de la masse ; il y a honte, crime pour la plus grande partie de sacrifier à ses intérêts, d'immoler une fraction du pays. J'ai dit. (I., 10 juill.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, il paraît que plusieurs de nos honorables collègues ont mal interprété une phrase de ma réponse au discours de M. de Brouckere. Je déclare que je conçois et que je respecte toutes les opinions, parce que je les crois consciencieuses, et que je n'ai entendu appliquer le mot de factieux à aucun des membrés de cette assemblée. Par les factieux du dedans, j'ai entendu parler d'hommes qui sont hors de cette enceinte. Par les factieux du dehors, j'ai entendu parler de personnes qui sont au delà de la frontière. Lorsque journellement je suis en butte aux attaques de journaux français qui trouvent de l'écho dans certains journaux du pays, il a pu être permis de tenir le langage que j'ai fait entendre. (M. B., 10 juill.)

M. le comte Duval de Beaulieu – Messieurs, je crois en ce moment, après huit jours de discussion sur le même objet, devoir ne pas la prolonger. L'utilité de répondre à quelques assertions ne me semble pas pouvoir balancer le besoin d'en finir. L'assemblée est fatiguée ; ce que je puis faire de mieux pour lui être agréable, c'est de me taire. (Hilarité générale.) Nous venons d'avoir un exemple de ce que peut produire l'irritation sur une question épuisée, sans ajouter de changements aux actes. J'ai, l'un des premiers, exprimé positivement mon opinion. Inscrit pour la réplique, je me tais maintenant ; mon silence, qui vous sera agréable, pourra être plus utile à la nation, dont tout bon citoyen ne peut vouloir troubler le calme. (M. B., 10 juill.)

M. l’abbé de Foere – Messieurs, je ne viens pas usurper sur votre temps par des répétitions ; seulement j'essayerai de jeter quelques nouvelles lumières sur la discussion.

C'est un fait digne de remarque que l'opposition n'entre pas dans le fond de la question qui nous occupe. Les membres du congrès qui ont pris la parole contre l'adoption des dix-huit articles accumulent assertions sur assertions, conséquences sur conséquences, sans même indiquer les principes d'où ils les tirent, ou, s'ils les mettent en avant, c'est sans les prouver. Ce sont tantôt des prémisses fausses, tantôt des prémisses contestées, et ils n'en déduisent pas moins des conclusions certaines. C'est le vice qui domine dans la plupart des discours parlementaires, par lesquels on parvient plutôt à entraîner les passions qu'à convaincre la raison.

La fin, dit-on, doit être digne du principe. Quel est ce principe ? Quelques discours m'autorisent à croire que c'est le droit d'insurrection. Qu'est-ce que ce droit d'insurrection ? J'ai attend en vain qu'un membre de l’opposition en donne une définition claire et précise. Cependant, messieurs, je suis loin de repousser ce droit d'insurrection. Je vais, au contraire, l'établir comme un droit incontestable. Ce droit est, en premier lieu celui de défense légitime et de propre conservation ; en deuxième lieu, le droit de reprendre ce qui nous a été violemment arraché. Nous avons usé, à l'intérieur, du premier de ces droits, à juste titre, contre l'oppression obstinée du gouvernement hollandais, contre son despotisme oppresseur de nos libertés et de nos droits. L'exercice de ce droit n'a été contesté par aucun membre du congrès ; il serait donc inutile de le défendre. L'autre est celui que nous avons exercé contre l'oppression extérieure, contre les violences armées et diplomatiques du dehors, contre les spoliations exercées sur notre territoire par la première révolution française, par les traités de Campo-Formio et Lunéville, et, en dernier lieu, par le congrès de Vienne. Puisque notre droit d'insurrection à l'intérieur, tel que je l'ai défini, est hors de toute contestation, il s'ensuit que toute la discussion se réduit à la délimitation du territoire belge. Cette contestation a pour objet : 1° la rive gauche de l'Escaut, 2° le Luxembourg, et 3° une partie du Limbourg.

Je ne répéterai pas, messieurs, les objections qui ont été faites contre les discours de MM. Beyts et Van Meenen, tendant à établir nos prétentions sur la rive gauche, prétentions que vient de renouveler l'orateur (M. Charles de Brouckere) qui descend de la tribune, et pour la rive gauche et pour la partie contestée du Limbourg. Je me bornerai à rétablir les faits que ces orateurs ont incomplètement présentés. Ils ont laissé une lacune qui domine toute la question. L'honorable M. Beyts est entré dans l'histoire des traités relatifs à la rive gauche ; mais il a passé sous silence le principe général qui, de notoriété publique, a été posé au congrès de Vienne comme base de ses négociations. Ce principe était le statu quo d'avant la première révolution française. Maintenant, que le congrès de Vienne ait fait, ou non, un traité spécial pour réintégrer la Hollande dans la possession des territoires qu'elle possédait avant 1790, il n'importe ; il suffit qu'elle ait été remise dans ses anciennes (page 537) possessions, et par le principe général qui a présidé aux transactions du congrès de Vienne, et par accumulation d'autres territoires qui lui ont été adjugés. Si l'on insiste sur ce traité spécial, je répondrai que ce traité manque aussi à la Belgique pour établir ses prétentions sur la rive gauche.

M. Van Meenen a commis la même erreur. L'honorable membre cite à son appui la constitution hollandaise de 1814, qui ne comprend pas la Flandre zélandaise. Mais ce territoire avait été cédé, en 1795, à la France. Cette cession avait été confirmée par les traités de Campo-Formio et Lunéville. Les signataires de ces traités étaient aussi, en 1814, les vainqueurs de la France et siégeaient au congrès de Vienne. La Hollande ne pouvait pas se faire droit à elle-même : elle était liée par les traités ; elle s'est d'abord constituée sans préjudice à ses droits ultérieurs ; elle a dû attendre que les traités de Campo-Formio et de Lunéville fussent diplomatiquement défaits. Ils l’ont été, et par le principe qui a servi de base au congrès de Vienne, et par le traité qui a annulé celui de 1795 en rendant la rive gauche au territoire hollandais.

Ces faits, ainsi rétablis, répondent aussi aux observations que vient de faire M. Charles de Brouckere, sur le territoire contesté du Limbourg.

D'autres orateurs ont invoqué le principe de la révolution et de la constitution pour la rive gauche aussi bien que pour d'autres territoires contestés. Admirez, messieurs, la puissance de leurs raisonnements ! En voici l'analyse :

Tous les territoires que la constitution du congrès a compris dans les limites de la Belgique, sont des territoires belges ; mais la constitution du congrès n'a pas compris la Flandre zélandaise dans les limites de la Belgique ; donc la Flandre zélandaise est territoire belge !

Les provinces méridionales ont fait leur révolution contre les provinces septentrionales ; or, la rive gauche appartenait aux provinces septentrionales ; donc elle a fait sa révolution ; donc elle est nous !

Toutes les populations de l'ancien royaume qui ont scellé de leur sang la révolution appartiennent à la nouvelle Belgique ; mais la Flandre des Etats n'a pas scellé de son sang la révolution ; donc la Flandre des États appartient à la Belgique !

M. Helias d'Huddeghem est le seul qui ait senti qu'il fallait mettre un peu de logique dans ces argumentations. Il a essayé de prouver que la rive gauche avait fait sa révolution. Mais par quels moyens ? La ville de l'Écluse, nous a-t-il dit, a offert un drapeau tricolore aux troupes de la révolution, et le gouvernement provisoire a organisé, par un arrêté, l'administration civile et judiciaire pour la ville d'Hulst. Mais nous, députés de Bruges, qui ne sommes qu'à trois lieues de l'Écluse, nous savons que le drapeau a été offert, au commencement de la révolution, par crainte d'être envahis par des troupes indisciplinées et d'être traités en ennemis ; encore l'acte n'a été consommé que par une poignée d'habitants, et la ville de l'Écluse n'a fait aucune résistance aux troupes hollandaises qui y sont entrées depuis. L'histoire vérifiera ces faits, et elle dira encore que la rive gauche a repoussé les troupes de Pontécoulant et de Grégoire. L'arrêté du gouvernement provisoire n'est pas un acte de la ville d'Hulst et de ses environs. C'est un fait posé en dehors de la rive gauche, qui prouve même le contraire, attendu que la ville d'Hulst ne l'a pas soutenu.

Tous les orateurs ont envisagé la question du Luxembourg comme une contestation entre le roi de Hollande et nous. Elle existe bien plus, selon moi, entre le roi de Hollande et nous d'un côté, et le congrès de Vienne, continué à Londres. Le roi de Hollande dit à la conférence : « Vous m'avez enlevé mes quatre principautés en Allemagne, et, pour m'indemniser, vous m'avez donné le Luxembourg. Si maintenant vous m'enlevez cette province, il est juste que vous me rendiez mes quatre principautés. » De notre côté, nous disons à la Sainte-Alliance : « Par vos violences diplomatiques et en dépit de vos propres proclamations et de vos propres principes diplomatiques, vous nous avez arraché le Luxembourg ; nous usons de notre droit sacré de postliminie ; nous reprenons cette province ; ses habitants aussi exercent le même droit contre vos spoliations. Vous avez payé de nos biens le roi de Hollande ; cet acte ne nous concerne pas ; c'est une question à vider entre vous et lui. » La Sainte-Alliance, dans sa position actuelle, comprend très bien la valeur de ce raisonnement. Elle sait que son propre salut est désormais dans la justice. Aussi toute l'Angleterre répudie aujourd'hui, avec énergie, l'odieuse politique de Castlereagh. Le duc de Wellington lui-même vient de rendre un éclatant hommage à la noble politique de lord Grey. Les injustices du congrès de Vienne seront réparées. La paix de l'Europe est là. Le statu quo de 1790 ne sera pas une vérité pour la rive gauche et un mensonge pour le Luxembourg. C'est là que le prince Léopold puise sa conviction et ses garanties pour la conservation de cette province. Déjà, et c'est un fait que je vous cite qui est (page 538) à ma connaissance, la conférence de Londres nous sait gré des dispositions dans lesquelles nous sommes, non pas d’accorder des indemnités pour le Luxembourg, mais de faire des sacrifices pour la paix.

La révolution et la constitution, dit-on, ont décidé toute la question du Limbourg. Lorsque nous consultons les plus simples notions de droit, qu'est-ce qu'une décision dans une question dans laquelle une seule partie litigieuse décide ? Je vous le demande, messieurs, que devient une semblable solution ? Pouvez-vous nier qu'il existe une contestation de territoire dans le Limbourg, entre la Belgique d’un côté, et la Hollande et ses alliés de l'autre ? A moins de rayer, par des déclamations, du code du droit naturel la maxime : Audiatur et altera pars, vous conviendrez que votre décision isolée, dans une question litigieuse, ne prouve autre chose que vos prétentions. Eh quoi ! vous réclamez contre la diplomatie du congrès de Vienne, parce que vous n'y avez pas été entendus ; et vous ne permettez pas que vos adversaires réclament contre vous par le même principe ! Vos contradictions ne s'arrêtent pas là : pouvez-vous nier que vous-mêmes, non seulement vous avez reconnu ce point de contestation territoriale dans le Limbourg, mais que vous-mêmes vous l'avez mis hors de tout doute en adhérant à l'armistice que le gouvernement provisoire a signé ? Par cet acte, vous avez reconnu que Venloo appartenait à la Hollande. Par quelle inconcevable contradiction cette ville deviendrait-elle maintenant tout à coup territoire belge ? Y aurait-il un droit, une justice, une vérité en 1830, et un autre en 1831 ?

« Mais, dites-vous, les élections, les mandats, la vérification des pouvoirs, la constitution sont intervenus. » Oui, messieurs, ces actes sont intervenus. Mais quelle est, en point de droit, la valeur de simples faits qui ne sont pas la conséquence logique, l'application immédiate de droits non contestés ? Le raisonnement de l'opposition équivaut à celui-ci : J'ai pris un bien ; cet acte n'établissait pas mes droits ; mais, durant la contestation, je l'ai exploité : donc il m'appartient ! Voyez à quelles conséquences absurdes vous mène votre prétendue décision !

On vous a opposé l'odieux droit de conquête que l'Europe entière repousse avec une juste indignation. Comment répondez-vous ? Par des récriminations ! M. Charles de Brouckere doit cependant savoir que des récriminations ne sont pas des raisons. Elles prouveraient, tout au plus, si elles étaient fondées, que les torts sont de part et d'autre. Mais alors que l'honorable membre serait convenu de ses propres injustices, il nous resterait encore à examiner le fond des récriminations qu'il dirige contre nous. « Vos échanges d'âmes, dit-il, ne sont-ils pas aussi immoraux ? » Les échanges ne répugnent à la justice politique qu'alors qu'ils sont faits contre le gré des populations ; mais vous-mêmes vous assurez que cette partie du Limbourg veut être belge, et que les populations de nos enclaves ne voudront pas le devenir. Que devient alors votre récrimination dans votre propre bouche, alors surtout que nous-mêmes nous répudions les échanges d'âmes, s’ils devaient s'opérer contre leur gré ?

« Si cette partie contestée du Limbourg ne nous appartenait pas, dites-vous encore, les élections, les mandats, la constitution du congrès et ses décisions seraient viciés. » Mais, selon vous, le Limbourg tout entier nous appartient ; je prends acte de votre propre assertion, et je dis : Si elle est vraie, cette population a agi, au moins, par présomption légitime, et nous avons reconnu ses actes par le même principe. Dès lors, vous détruisez votre propre objection et même elle retombe sur vous de tout son poids ; car, quand on est en possession d'un titre, alors même qu'il est contesté, le droit d'agir par présomption légitime n'est contesté par personne, et il est universellement pratiqué dans les relations privées comme dans les relations générales. Les transactions conclues avec un tiers, en vertu de la présomption légitime, n'ont jamais été annulées alors que les titres n'ont pas été aliénés. La contestation entre les parties litigantes est restée intacte. Telle est la position de cette partie du Limbourg à l'égard de la Hollande d'un côté, et à l'égard de la constitution et des actes du congrès de l'autre.

« Mais Venloo a répondu aux proclamations du gouvernement provisoire. » Ce même gouvernement, en signant l'armistice, a rendu cette ville à la Hollande. Quel gouvernement provisoire doit faire ici autorité ? Ou celui des proclamations, ou celui de l'armistice ? Est-ce un acte de violence d'ennemi à ennemi qu'il faille ériger en principe de droit, ou un contrat synallagmatique, mûri dans les délibérations du cabinet, contrat que M. Charles de Brouckere lui-même, a conseillé et auquel l'honneur de la révolution et de la nation est intéressé' ? Consultez votre loyauté, votre honneur, et répondez vous-mêmes.

Remarquez, messieurs, que la question de Venloo a été débattue sans que l'opposition se soit donné la peine de vérifier un fait qui constitue la base de ses raisonnements. En admettant gratuitement le droit d'insurrection dans toute la (page 539) latitude que lui a donnée mon honorable ami M. Fleussu, il resterait toujours à prouver que la majorité des habitants de Venloo veut être belge. Il est vrai que M. Charles de Brouckere a produit des lettres pour établir l'affirmative ; mais un autre membre en invoque une pour prouver la nécessité. On assure même que les trois cinquièmes des habitants de Venloo veulent appartenir à la Hollande, parce que tel est, comme ville frontière, son intérêt. Les documents me manquent pour décider de quel côté est la vérité. Toujours est-il vrai de dire que, quand on oppose lettres à lettres pour décider un fait qui, dans le sens de l'opposition même, domine toute la question, ses raisonnements ne peuvent recevoir qu'une application hypothétique.

Lors de nos délibérations sur l'indépendance du pays, vous avez entendu plusieurs orateurs. Cependant leurs discours n'étaient applicables qu'à l'ancienne Belgique, et aucune objection n'a été élevée. Vous avez particulièrement applaudi au discours de M. Le Hon, qui a examiné la question dans ses rapports historiques et diplomatiques. Les conclusions de l'orateur n'étaient applicables qu'à l'ancien territoire belge. Vous n’éleviez pas alors vos prétentions actuelles. M. Charles de Brouckere prononça aussi un discours. Il examina la question de notre indépendance, limitée à l'ancien territoire du pays, dans ses rapports commerciaux et industriels. Il s'efforça alors de nous prouver que cette Belgique recélait dans son sein d'immenses ressources de prospérité agricole, commerciale et industrielle. L’orateur vient de quitter la tribune, et, vous l’avez entendu, messieurs, il s'est efforcé d'établir le contraire. Si M. de Brouckere se plaît à se réfuter lui-même, ce n'est pas une raison pour nous de croire que son dernier discours détruit le premier. Je dirai seulement qu'il y a lieu à révision.

Et pourquoi cette prospérité commerciale et industrielle serait-elle maintenant détruite ? Charles de Brouckere découvre une cause principale dans notre neutralité, et, pour vous en convaincre, il vous a communiqué ses prédictions. Moi, pour vous convaincre du contraire, je vous citerai des faits irrécusables, puisés dans notre histoire. Vous avez entendu hier, messieurs, le discours de l'honorable M. Serruys, député d'Ostende, discours fort de raisons et de faits, allégués contre les erreurs de M. Claes, député d'Anvers. M. Serruys vous a démontré l'immense prospérité du port d'Ostende, dans lequel, durant une partie du dernier siècle, souvent plus de douze cents bâtiments de commerce entrèrent par an. De quelle époque date cette activité du port d'Ostende et de Nieuport ? à quelle cause est-elle due ? M. Serruys ne l'a pas dit ; je suppléerai à son silence. Elle date de 1756, lorsque le souverain de la Belgique et le roi de France conclurent un traité de neutralité. Quand cette activité du port d'Ostende a-t-elle reçu un accroissement prodigieux ? Pendant la guerre de l'Amérique septentrionale contre l'Angleterre, lorsque, à l'exclusion de quelques puissances de l'Europe, la Belgique est restée neutre dans cette guerre. C'est donc à la même cause, à laquelle M. de Brouckere attache ses sinistres prévisions, qu'était due cette immense prospérité commerciale de nos ports neutres. J'en appelle à l'honorable M. Serruys ; j'atteste sa longue expérience. J'oppose des faits incontestables à des assertions prophétiques ; j'abandonne la solution à votre bon sens.

Un honorable membre vient de nous dire encore que la Belgique ne sera qu'une colonie anglaise. Messieurs, j'admire l'Angleterre dans sa politique intérieure ; mais ce sentiment ne m'a jamais aveuglé sur sa politique extérieure, surtout à l'égard du despotisme maritime et commercial qu'elle a toujours cherché à exercer sur les autres nations. Je conseillerai toujours aux hommes d'État qui présideront aux destinées de la Belgique, de ne faire jamais de traité de commerce avec l'Angleterre ; elle n'en contracte jamais elle-même sans que les avantages ne soient de son côté. Toute cette question est dans la loi des douanes, et cette loi tout entière est entre vos mains. Maintenant que la Belgique sera un État homogène, peut-on admettre un instant la supposition que notre future législature travaillera dans l'intérêt de l'Angleterre, et non dans celui de la Belgique ?

Notre prospérité industrielle est dans notre travail et dans notre économie, dit encore M. de Brouckere. L'orateur a raison. Mais je ne sache pas que la neutralité et les autres propositions de la conférence nous interdisent ou nous empêchent de travailler et d'apporter la plus sévère économie dans les dépenses de l'État.

Le même député repousse encore la neutralité, parce qu'il la considère comme illusoire à l'égard de la France. Mais si, depuis Louis XIV, la France a fait de vains efforts pour nous absorber, je ne conçois pas la raison pour laquelle notre indépendance ne recevrait pas une nouvelle garantie par notre neutralité, alors que la France elle-même est signataire du traité, et s'en constitue responsable envers nous et envers l'Europe entière.

(page 540) On repousse encore la neutralité comme un acte d'intervention. Je le concevrais, si les charges de la neutralité pesaient exclusivement sur nous. Mais la conférence propose un traité de neutralité dans lequel les charges et les bénéfices sont communs, un traité par lequel les parties contractantes se constituent respectivement responsables. Dès lors, je ne puis y découvrir un acte d'intervention.

« La conférence, dites-vous encore, n'a rien de commun avec la Belgique ; sa révolution a tout décidé. » Vous voulez donc isoler la Belgique au milieu de la civilisation ? Vous avez encore la chimère d'indépendance absolue au milieu des faits qui accablent votre raison ! Mais alors pourquoi avez-vous adhéré à l'armistice ? Pourquoi, de votre assentiment, un comité diplomatique a-t-il été institué ? Pourquoi avez-vous envoyé des commissaires à Paris et à Londres ? Pourquoi avez-vous voté, à une grande majorité, votre décret du 2 juin ? Vous repoussez la neutralité, parce que, dites-vous, elle nous empêche de contracter des traités d'alliance avec d'autres nations ; et lorsque la conférence est sous le poids de traités d'alliance contractés avec la Hollande, vous refusez à l'une et à l'autre l'exercice de ce droit. Vous prétendez donc que les droits, les bénéfices et les privilèges vous soient exclusivement acquis !

« La constitution est changée, objecte encore M. de Brouckere, si les dix-huit articles sont adoptés. » En admettant ce changement par cette adoption, il ne s'ensuit pas qu'il serait fait illégalement. Qui jamais a contesté au même pouvoir qui a porté une loi, le droit de la changer et même de la rapporter tout entière ? « Mais, poursuit-il, le changement de la constitution sous une régence est inconstitutionnelle. » Le principe sur lequel cette assertion repose est erroné. La régence de la constitution est un gouvernement qui s'établit durant la vacance du trône. La régence actuelle est une institution en dehors de la constitution, une régence exceptionnelle, une régence extraordinaire. Vous vous souvenez tous, messieurs, qu'avant l'institution d'un chef provisoire de l'État, une discussion s'est établie dans les sections sur la question de savoir si ce chef de l'État serait revêtu du titre de lieutenant général, ou de celui de régent. La dernière opinion a prévalu, parce que le titre de régent se rapprochait plus que tout autre de l'esprit de la constitution. L'assertion de M. de Brouckere conduirait d'ailleurs à l'absurde. Elle impliquerait que la Belgique, durant son état provisoire, dans aucune crise, dans aucune circonstance, dans aucune hypothèse, et pour aucune raison d'État, n'eût pu modifier sa constitution.

J'ai entendu encore retentir dans cette enceinte le mot d'honneur. Messieurs, l'honneur, pour moi, c'est la justice. Je n'en connais pas d'autre. L'honneur, pour moi, consiste à concilier les intérêts de mon pays avec le bon droit. La Belgique ne s’est jamais souillée d'aucun crime politique ; ce ne sera jamais moi qui provoquerai la guerre pour réaliser, par le sang, des prétentions contestées, ou pour conquérir des avantages que les fléau de la guerre ne pourraient jamais compenser, ou enfin pour soumettre toute notre existence aux chances nombreuses des armes.

Messieurs, j'ai tâché d'éviter les répétitions et le langage des passions. J'ai cherché à éclairer l'assemblée par quelques nouvelles observations, et à lui parler le langage de la raison. Mon but n'est pas d'entraîner les passions ; mais de convaincre une opposition probe et loyale. J'aurais pu chercher à balancer les partis par les partis, à perdre les uns par les autres, à nous faire désespérer de nous-mêmes, et enfin, fatigués, épuisés par nos propres résistances, à nous faire tendre des bras de pitié aux ennemis de notre indépendance. Mais je crois avoir consciencieusement rempli mon mandat, Je voterai pour les dix-huit articles qui nous sont proposés. (M. B.,. supp., 11 juill.)

M. le président – La parole est à M. Forgeur. (Profond silence.) (M. B., 10 juill.)

M. Forgeur – Messieurs, lorsque je suis entré dans, cette enceinte pour assister à la discussion solennelle qui doit décider, selon moi, de l'avenir du pays, je ne m'attendais pas, je l'avoue, à voir se manifester parmi des Belges cette divergence d'opinions. Je n'ai conçu cette divergence que lorsque le ministère, se dessinant, n'a pas craint d'assumer sur sa tête l'immense responsabilité de l'acceptation des dix-huit articles de la conférence. J'étais tellement convaincu que consentir à l'adoption de ces articles, c'était renier la révolution, j'étais tellement convaincu que c'était compromettre l'existence de la Belgique comme nation, et l'existence commerciale de mon pays, que j'avais espéré que le ministère, se plaçant à la tête du congrès national, demanderait le premier le rejet des préliminaires. Il me semble, messieurs, et je me flatte de vous en convaincre, que si cette résolution spontanée avait été prise par le congrès, et qu'il ne se fût pas trouvé un seul homme en Belgique disposé à accepter la honte de cette proposition, la conférence aurait changé de langage. Une médiation puissante, qui déjà a failli se faire (page 541) jour dans la conférence, aurait obtenu d'elle des conditions compatibles avec votre dignité, compatibles avec votre nationalité et avec la prospérité du pays.

Pour moi, messieurs, quelle que soit votre décision, à mon avis le mal est fait. Le ministère a compromis pour jamais l'avenir du pays, et la majorité qui se dessine me semble s'engager dans cette fausse route. Je l'avouerai, pour ne vous parler que le langage de la froide raison, je dois imposer silence aux émotions nombreuses qui m'ont agité pendant cette discussion. Toutefois, messieurs, ne vous attendez pas que je me livre, en développant les motifs de mon opinion, à des injures, des violences, des sarcasmes qui seraient indignes de vous et indignes de mon caractère. Cependant, lorsque j'ai entendu le ministère nous dire que la forme des propositions de la conférence n'était plus insultante pour le pays ; lorsque je l'ai entendu nous dire que la conférence, par cela seul qu'elle nous soumet des propositions sur lesquelles nous pouvons délibérer, avait perdu ce ton de hauteur, ce ton impérieux par lequel elle avait débuté, je me suis involontairement souvenu de ce brigand espagnol qui, l'escopette sur l'épaule, demandait la charité aux passants. (Sourire.) Du reste, j'abandonne la forme, mais je remarque que tandis que nous nous épuisons en discussions, toute discussion nous est interdite, car nous ne pouvons faire ni modifications ni amendements aux propositions de la conférence. Je vous dirai les motifs qui me déterminent à voter pour le rejet, et après tout ce qui a été dit, plagiaire volontaire des principaux arguments qui ont été proposés, je vous dirai ce que contiennent en réalité les propositions de la conférence.

Pour apprécier, relativement au Luxembourg, le sens dans lequel doit être entendu l'article 3 des préliminaires, il faut en bonne logique se référer aux antécédents relatifs à cette province. Quiconque refuserait de tenir compte de ces antécédents, interpréterait mal, à mon sens, celui de l'article 3. Or, ces antécédents sont : 1 ° le protocole du 20 janvier, qui déclare le Luxembourg détaché de la Belgique, et qui le considère comme une propriété de la famille d'Orange ; 2° la lettre de lord Ponsonby, qui dit que vous pourrez obtenir le Luxembourg à prix d'argent, et la résolution du congrès qui autorise des négociations d'après ces idées insidieusement annoncées ; 3° les réclamations du roi Guillaume auprès de la conférence, réclamations qui ont suivi la lettre de lord Ponsonby ; enfin la réponse de la conférence de Londres, dont vous n'avez pas perdu la mémoire, et qui porte que le Luxembourg appartient au roi Guillaume, et qui, tout en parlant de négociations, lui laisse le libre arbitre de les accepter ou de les refuser. Voilà quels sont les antécédents touchant la question du Luxembourg. Maintenant que je vous ai rappelé ces antécédents, je vous rappellerai les observations si judicieuses de M. Van Meenen, répétées par l'honorable M. Masbourg avec cet accent de conviction qui part d'une bonne conscience ; ces honorables membres vous ont dit : L'article 2 est l'arrêt de mort du Luxembourg, il est à jamais séparé de la Belgique ; et l'article 3 est la conséquence des négociations que vous avez autorisées : vous avez dit que vous étiez disposés à offrir pour le Luxembourg des indemnités pécuniaires, la conférence s'est emparée de vos offres et elle a tranché d'un mot la question du Luxembourg. Elle maintiendra le statu quo, mais ce ne sera que jusqu'au terme des négociations, et lorsque le roi Guillaume aura déclaré irrévocablement qu'il ne veut pas céder le Luxembourg, le statu quo cesse. Voilà, messieurs, ce qui vous est réservé pour le Luxembourg, et la parole du prince, dont nous ont parlé ici les ministres ou les députés à Londres, n'est pas pour moi une garantie suffisante en présence de faits aussi incontestables, et elle ne peut motiver un vote dont les suites seraient nécessairement la séparation du Luxembourg de la Belgique.

Parlerai-je du Limbourg, question d'honneur, car nous ne pouvons, sans nous déshonorer, briser le lien qui nous unit à nos frères du Limbourg, et question d'existence pour le pays, car le pays ne peut vivre sans commerce, et le Limbourg perdu, plus de commerce avec l'Allemagne ? Alors donc que cette question est tout à la fois une question d'honneur et d'existence pour le pays, vous parlerai-je de l'article 4 des propositions ? Ici, messieurs, je vous parlerai de faits historiques d'une autorité irrécusable ; je vous reporterai dans cette société politique de 1790, qu'il est essentiel de connaître pour juger la question avec connaissance de cause. Maestricht était, avant 1790, une ville qui avait son droit municipal particulier ; elle était possédée indivisément par les Provinces-Unies et par le prince-évêque de Liége. Remarquez que je ne parle que de la possession civile, car la possession militaire appartenait aux Provinces-Unies : elles l'ont exercée exclusivement de 1664 jusqu'en 1790. En 1790, Maestricht avait donc son droit municipal qui lui était propre. Les citoyens dé Maestricht avaient-ils des députés aux États-Généraux des Provinces- Unies ? Non. (page 542) Avait-elle des députés aux États de Liége ? Pas davantage. Cette ville s'administrait par elle-même. En 1814, il y eut prise de possession au nom des Provinces-Unies, et ces mêmes puissances qui composent aujourd'hui la conférence de Londres, et qui révoquent en doute nos droits sur Maestricht, prirent incontinent possession, pour conserver les droits de Liége. La conférence a senti que Maestricht était un point important, mais en même temps elle a senti l'impossibilité de reconstruire la société de 1790 ; elle a senti qu'il serait absurde de soumettre Maestricht à une administration mi-belge, mi-hollandaise, et, en définitive, c'est pour la Hollande que la conférence a travaillé, et non pour nous. La conférence veut que Maestricht appartienne à la Hollande. Si les puissances n'avaient pas eu cette pensée ; si vraiment elles avaient cru que nous pourrions, au moyen d'échanges, dont on a si souvent parlé, et qui nous donneraient, dit-on, le moyen d'occuper des enclaves jusque dans le cœur de la Hollande ; si les puissances, dis-je, n'avaient pas eu cette pensée, nous auraient-elles donc proposé cet article 4, le plus diplomatique de tous ? « S'il est constaté, dit cet article, que la république des Provinces-Unies des Pays-Bas n'exerçait pas exclusivement la souveraineté dans la ville de Maestricht en 1790, il sera divisé par les deux parties aux moyens de s'entendre à cet égard sur un arrangement convenable. » Pesez bien, avant d'accepter cet article, la force de ses expressions. Pour moi, je le déclare, je ne voterai pour la question préalable que dominé par cette conviction, qu'il est de l'intérêt de la Hollande de ne jamais céder Maestricht, et cet intérêt nous dit assez que le sort de cet article 4 ne sera pas un instant douteux.

Quant à la rive gauche de l'Escaut, sa possession est une question d'existence pour nous, quoi qu'en aient dit les députés d'Anvers, dont je respecte l'opinion consciencieuse, et qui, sans doute, ne se précipitent pas et ne veulent pas précipiter le pays dans une position insoutenable, par lassitude d'un provisoire qui les ruine ; sans la rive gauche de l'Escaut, il nous est impossible d'exister. Quant aux droits, je les abandonnerai pour ce qu'ils valent ; et à ceux qui disent que le territoire ne peut nous appartenir parce que les habitants ne se sont pas associés à notre révolution, je répondrai que Venloo s'est révoltée comme nous, et que cependant ils veulent l'abandonner. (Sensation.)

Quant à Venloo, ne croyez pas que je veuille redire ici ce qui aurait dû retentir si profondément dans vos âmes. Non, messieurs, mais il me sera permis encore une observation, et ce sera un appel à votre bonne foi. Si, quand pour la première fois nous nous sommes réunis dans cette enceinte : si, quand il a été question de vérifier les pouvoirs des députés de la Belgique, je vous eusse dit. Prenez garde, Venloo ne nous appartient pas ; et que, fort du talent et de la conviction de M. Nothomb, j'eusse ajouté que le droit d'insurrection ne nous donnait aucun droit sur Venloo, qu'eussiez-vous dit ? Oh ! certes, les pouvoirs des députés de Venloo eussent été vérifiés. Oh ! certes, vous eussiez repoussé avec indignation l'idée de vous séparer de ceux qui spontanément s'étaient unis à vous pour seconder votre révolution. Que dis-je ? vous-mêmes, depuis, n'avez-vous pas considéré Venloo comme appartenant incontestablement à la Belgique ? ne vous souvient-il plus de la loi électorale que vous avez faite ? ne vous souvient-il plus que la représentation est calculée sur la population des provinces ? ne vous souvient-il plus que vous avez accordé au Limbourg un nombre de représentants proportionné à son importance, Venloo comprise ? ne vous souvient-il plus... Non, messieurs, je ne veux pas continuer cette énumération. ..

Maintenant que je crois avoir fixé le véritable sens de ces préliminaires ; maintenant que, selon moi, il est impossible que, de bonne foi, on puisse contester les faits que je viens d'avancer, tout se réduit à une question de nécessité ; laissons donc là toutes ces arguties qu'on a employées pour prouver que nous aurons, par les négociations, et Venloo, et Maestricht, et le Luxembourg, et que nous pouvons nous en reposer sur la parole du prince ; laissons, dis-je, toutes ces arguties, et demandons-nous s'il y a nécessité pour nous d'adopter les propositions ; et, si on envisageait la question sous ce rapport, et qu'on me démontrât la nécessité de souscrire à l'abandon de nos frères, peut-être alors, si cette nécessité impérieuse m'était bien démontrée, pourrais-je me décider à un acte au nom duquel mon âme se révolte. Mais, bien loin que nous soyons réduits à cette dure extrémité, nous avons dans la conférence des protecteurs qui, je le sais, ont fait considérer les propositions comme inacceptables et comme devant être rejetées par le congrès belge. J'adjure à ce propos les députés à Londres, de dire s'il n'est pas vrai qu'avant la signature des préliminaires par la conférence, le prince se flattait d'obtenir des conditions meilleures ; je les adjure de dire si, aussitôt que le prince connut le don funeste qui nous a été apporté ici par M. le ministre des affaires étrangères, ils (page 543) ne remarquaient pas sur ses traits l'empreinte d'une profonde tristesse ? C'est que dans la conférence de Londres nous avions deux protecteurs qui voulaient qu'on nous fît des conditions raisonnables d'existence : ces protecteurs étaient la France et l'Angleterre ; et par leur insistance, peu s'en fallait que la conférence ne fût dissoute. Maintenant, vous allez abdiquer votre belle position, tandis que si un refus émanait de vous, vous seriez certains d'obtenir tout ce que vous demandez. Vos protecteurs diraient en effet à la conférence : Vous le voyez, nous voulions constituer la Belgique de manière à ce qu'elle fût heureuse et indépendante. Elle rejette vos propositions ; elles n'atteignaient pas le but ; force vous est de lui accorder l'intégrité de son territoire… Mais, me dira-t-on sans doute, comment savez-vous que nous avons deux protecteurs à là conférence ? Messieurs, quand tout ce que je vous ai dit à ce sujet serait inexact, pourquoi craignez-vous de refuser ? n'est-ce pas votre pis aller qui vous est offert ? Les puissances, que vous ont-elles conseillé ? elles vous ont ravi le Luxembourg, elles vous ont ravi Maestricht et Venloo ; ou serait donc, selon vous, cette partialité des puissances, qui, si vous rejetiez ces préliminaires, les porterait à empirer votre position ? Vous avez votre pis aller. Quand la nécessité viendra vous imposer les sacrifices qu'on vous demande, vous serez à temps de les faire ; jusque-là refusez-les et souvenez-vous que vous appartenez à une nation brave et généreuse, et que ce qu'elle redoute le plus c'est l'infamie. (Mouvement.)

Ici je vous rappellerai ce que vous a dit l'honorable M. Van Meenen dans un discours si plein de force et de logique, et que l'assemblée a écouté avec une si religieuse attention. Qu'arrivera-t-il si vous acceptez et que le roi de Hollande refuse ? Croyez-vous que la conférence de Londres, qui par le traité d'armistice a le droit indéfini d'intervenir pour son exécution, ne persévérera pas dans cette voie et ne dira pas : Et après tout, ces Belges veulent se constituer à tout prix ; ils se constitueront deux mois plus tard avec des conditions pires ; on se dira que l'on peut bien avoir été injuste envers la Belgique, puisque la majorité du congrès trouve les articles si favorables. Voilà ce qui arrivera si vous acceptez, et alors si le patriotisme n'est pas mort dans le congrès, il sera mort dans la nation. Cette nation ne sera plus la Belgique heureuse, industrieuse, commerçante ; ce sera une Belgique comme celle que je vais vous peindre. Vous aurez une Belgique agricole, et principalement agricole, avec un commerce restreint ; et alors, s'il est vrai que la France sous l'influence de son ministère parvienne à se constituer, si, ce que je souhaite pour elle, elle renonce à l'esprit de conquête, que deviendra votre constitution ? Vous aurez sur le trône un prince anglais élevé dans des idées aristocratiques, et bientôt un sénat héréditaire, car par cela seul que la Belgique sera purement agricole, la propriété absorbera tout ; et ce que vous aurez tant mis d'ardeur et de zèle à édifier sera complètement renversé. Pour moi, je respecte les majorités et les minorités, mais je ne veux pas contribuer à faire ainsi le malheur de mon pays,

Mais, dit-on, vous voulez donc la guerre, et vous la voulez à tout prix. La guerre ? mot magique pour les âmes pusillanimes ! Non, je ne veux pas la guerre à tout prix, mais je la veux quand elle est nécessaire et quand il y va de l'honneur. Or, je dis que la guerre est nécessaire, inévitable, car ne croyez pas que si la Hollande traîne seulement les négociations en longueur, ne croyez pas que le ministère puisse marcher s'il ne se décide pas à reprendre les hostilités. Non, la nation l'entraînera malgré lui, parce que pour elle le pire des maux c'est l'attente et l'incertitude.

Maintenant je vous ai dit quelle était mon opinion ; vous aurez remarqué que j'ai évité dans mes paroles de faire un appel à vos passions, que je n'ai pas évoqué les discours et les opinions de ces députés qui aujourd'hui... mais alors... Messieurs, quelle que soit votre décision, je dirai, quoique je sois convaincu que nous allons souscrire au malheur de notre pays, que ses intérêts matériels vont être sacrifiés ; quoique, persuadé que ces masses qui étaient heureuses sous l'ancien gouvernement et que nous avons entraînées dans une révolution de principe, se souviendront un jour de leur bonheur passé ; je dirai qu'il ne faut pas croire qu'en rentrant dans ma province, où déjà de sourdes agitations commencent, et dont je suis l'organe aussi consciencieux que d'autres qui s'apprêtent à voter autrement que nous, j'apporte de nouveaux ferments de discorde puisés dans le sein de cette assemblée. Non : je souscrirai à votre décision quelle qu'elle soit ; non, il ne sera pas dit, si l'on voit périr la nation belge, que ce sera moi qui aurai contribué à la replonger dans de nouveaux malheurs. Mais aussi, parce que quelques factieux s'agitent, qu'on ne calomnie pas ces hommes du tiers état qui pensent qu'ils ont le droit de parler quand l'intérêt du pays l'exige. (Bravo ! bravo !) (E., 10 juill.)

M. Jacobs prononce un discours en faveur de l'acceptation des préliminaires. (La clôture ! la clôture !) (M. B., 10 juill.)

M. Destriveaux (page 544) déclare qu'il est disposé à parler contre les propositions ; que cependant si l'assemblée veut clore la discussion, il renoncera à la parole. (Non ! non ! parlez ! parlez !) L'orateur monte à la tribune et prononce un discours contre les préliminaires ; il déclare que sa conviction résulte d'un mûr examen des propositions de la conférence.

Il voit dans les préliminaires de paix un commandement, et non une médiation. Il y découvre intérêt, partialité de la part de la conférence.

La déclaration de la neutralité de la Belgique lui semble tout à l'avantage des puissances intervenantes contre la Belgique. .

On a dit, ajoute-t-il, qu'il n'existait plus de Sainte-Alliance, je voudrais le croire. Je pense que l'alliance des cabinets peut durer quelque temps ; mais qu'elle soit sainte, je ne veux pas accueillir une semblable calomnie des nations. (On rit.)

L'honorable membre examine quels sont les signataires des préliminaires. Il y reconnaît ceux du traité de Vienne, et ne peut leur accorder aucune confiance.

Il n'examinera pas les questions spéciales, il se borne à demander qui a envoyé des députés au congrès et pourquoi ils y ont été envoyés.

Il s'agissait d'écrire une constitution : elle est faite, il faut la maintenir ; il regarde cette nécessité comme un devoir sacré qu'il ne veut pas violer.

L'orateur s'attache à démontrer qu'il y a intervention de la part de la conférence dans les préliminaires qu'elle nous propose.

Il termine en disant qu'en cas d'acceptation, il fera ce qu'il a longtemps appris aux autres à faire, il donnera l'exemple de l'obéissance au décret, tout en déplorant qu'il n'ait pas cru convenable de refuser des conditions qui lui paraissent, à lui personnellement, déshonorantes. (Marques générales d'approbation.) (M. B., et C. M., 10 juill.)

M. Destouvelles – Il se prononce aussi contre les préliminaires. Il considère l'acceptation comme la perte immédiate du Luxembourg, de Venloo et des pays de généralité. Pour le recouvrement de ces territoires, on ne lui présente que des espérances et des éventualités fort incertaines, et pour lesquelles il ne peut consentir à ce que la Belgique se dessaisisse de ce qu'elle tient. Député du Limbourg, il a été envoyé au congrès non pour régler le territoire et faire une Belgique ; cette Belgique, la révolution l'avait faite, et il a été élu par des électeurs qui étaient Belges par le fait de la révolution, et qui ne lui ont donné de mandat pour céder aucune partie du territoire.

L' orateur convient que le prince de Saxe-Cobourg est décidé à conserver le Luxembourg à la Belgique, et à se mettre à la tête de l'armée belge pour le conquérir, s'il le faut ; cependant, si les préliminaires sont acceptés, il déclare que selon lui le prince pourrait convertir les préliminaire en traité définitif sans qu'on eût de reproche à lui faire, puisqu'il n'aurait suivi que la ligne tracée par le congrès, par l'adhésion aux dix-huit articles.

L'honorable membre termine en disant qu'il regardait comme une indiscrétion ce qui aurait été dit de la tristesse du prince après la signature des dix-huit articles. Il n'en aurait rien dit si on n'en avait parlé avant lui. Sans être physionomiste, il avoue qu'en effet le prince lui avait paru plus préoccupé qu'à l'ordinaire, lors des dernières visites de la députation. Il n'ose dire cependant que les préliminaires fussent la cause de cette préoccupation qui pouvait avoir sa source dans d'autres motifs inconnus et sur lesquels la députation ne devait pas demander des explications. (M. B., 10 juill.)

M. Doreye – La question agitée depuis huit jours au sein de cette assemblée est d'un immense intérêt pour la nation, dans le présent et dans l'avenir. Je résume les principaux motifs de mon vote, qui sera négatif.

L'acceptation des préliminaires présente d'incontestables avantages, je ne puis le dissimuler.

Elle termine la révolution, elle permet à la Belgique de se constituer définitivement, donne au nouvel État rang parmi les puissances et promet le repos qui est devenu le premier besoin.

Mais à quel prix, à quelles conditions ? c'est là surtout ce qu'il faut voir.

La Sainte-Alliance a prétendu longtemps qu'un peuple n'était point maître chez lui, et ne pouvait changer son gouvernement sans sa permission. Elle l'a prétendu, et longtemps elle s'est fait obéir. Qu'on se rappelle l'occupation de la France après 1815, l'invasion du royaume de Naples par les armées de l'Autriche, l'oppression de la liberté espagnole par celles de la France sous la restauration.

Ces faits, et tant d'autres non moins positifs pour être moins éclatants, étaient l'application d'un système créé pour s'opposer à la libre émancipation des peuples. Juillet 1830 parut : le système fut ébranlé dans sa base ; la France pouvait l'anéantir, la diplomatie s'en empara, pour ne pas le laisser périr, et le cabinet français, par faiblesse et par peur, en souffrit l'exercice : témoin la révolution d'Italie étouffée naguère par les baïonnettes autrichiennes, malgré d'unanimes et puissantes réclamations.

(page 545) La conférence de Londres est un rejeton de la Sainte-Alliance, celle-ci y est représentée en majorité. Si la stricte exécution des traités patents ou mystérieux de 1815 n'y a pas été résolue, si elle n'a pas été violemment essayée, qu'on ne croie pas que nous en soyons redevables à leur abandon, ni qu'on doive l'attribuer à la reconnaissance des droits populaires. Metternich et ses adeptes sont loin d'en être venus là. On a reculé, messieurs, devant la nécessité, devant l'intérêt de la conservation : c'est un armistice, et rien de plus ; puisse-t-il ne pas avoir pour les peuples qui s'avancent vers la liberté, d'aussi funestes conséquences que celui qui a rendu nécessaire pour nous cette triste discussion !

Un grand pas toutefois a été fait ; je ne veux point le nier : le conseil des rois, réuni dans la capitale de l'Angleterre et délibérant sur un peuple en révolution, a reconnu explicitement qu'il ne pouvait point s'occuper de son régime intérieur. Quels qu'aient été les vrais motifs de cette importante déclaration, les nations en prendront acte ; elle sera enregistrée dans le code des franchises européennes.

Mais je crains, messieurs, qu'on n'ait en même temps cherché et trouvé le moyen de neutraliser le principe qu'on n'a pu s'empêcher, bien que transitoirement, d'énoncer. Sous le prétexte qu'un peuple qui prononce son affranchissement politique ne peut ni faire des conquêtes, ni préjudicier à la sûreté intérieure ou extérieure des États voisins ; sous ce prétexte, dis-je, on emploiera la force pour le replacer sous le joug : voyez la malheureuse Italie ! ou bien, si les circonstances conseillent la précaution et les ménagements, on le précipitera dans mille embarras, dans d'inextricables difficultés, on l'entraînera dans le dédale des négociations, on épuisera sa patience, on ramènera enfin à cet état de lassitude où l'on peut tout offrir parce qu'on a l'espoir de tout faire accepter ; voyez nous-mêmes !

C'est ainsi, messieurs, que le principe de non-intervention sera toujours éludé, et qu'il court risque de rester une chimère.

Qu'est-il autre chose dans l'application qu'on en fait à la Belgique ?

On ne veut point, dit-t-on, s'immiscer dans son régime intérieur ; et on lui enlève une partie de sa population ! on lui arrache une partie de son territoire ! on mutile sa représentation nationale ! Jamais régime intérieur d'un peuple, d'un peuple constitué depuis dix mois, a-t-il été troublé plus violemment ? On veut, messieurs, on veut faire jouer aux Belges le rôle de dupes ; et c'est ce qui les indigne.

Une chose remarquable, et qui me prouve avec quel empressement la conférence saisit toute occasion de se mêler de nos affaires, c'est que l'acceptation du prince, au lieu d'être un objet de négociation entre nous et lui, est d'avance un instrument de négociation entre la conférence et nous. Elle s'ouvre ainsi, presque à notre insu, une issue chez nous ; elle se ménage le moyen de s'occuper, malgré nous, de nos intérêts ; elle nous amène adroitement à la reconnaître arbitre suprême. C'est un piége, messieurs, il faut vous en défier.

A force de faire de la diplomatie, la question s'est simplifiée à notre détriment : car aujourd'hui elle se réduit à savoir si nous nous soumettrons aux conditions mises par la conférence à l'acceptation du prince de Saxe-Cobourg, ou si nous les rejetterons. Dans l'affirmative, notre révolution est terminée, et le principe en est détruit ; car le prince que nous avons élu n'est plus seulement l'homme de notre choix ; il ne tient plus sa couronne de nos seuls et libres suffrages ; il la reçoit de nous et de la conférence, qui ne lui permet d'accepter que sous telles conditions. Je regrette de le dire, messieurs, ce n'est pas ainsi que j'avais compris mon vote, lorsque le 4 juin le congrès appela le prince au trône de la Belgique : j'entendais qu'il y montât par la seule volonté nationale, et sans la sanction préalable de la conférence. Pourquoi de si légitimes, de si nobles espérances ont-elles été déçues !

Voudrions-nous, messieurs, cesser d'être ce que nous avons été jusqu'à ce jour ? Quels sont les motifs qui nous forcent à nous courber ? Où sont les revers qui nous contraignent à dépouiller le caractère, plein d'énergie et de dignité, que nous avions déployé à la face de l'Europe ? Je les cherche en vain, et ne puis m'expliquer les causes d'un tel changement.

Nous avons protesté contre les exigences de la conférence : nous avons fait une constitution qui détermine nos limites ; nous avons contesté le principe d'intervention ; nous avons posé en principe et en fait, qu'un peuple a le droit de se constituer comme il l'entend, et que les traités n'ont de force qu'entre les parties contractantes ; nous avons renversé tout le droit public de la Sainte-Alliance ! Et maintenant, lorsque pendant dix mois, nous n'avons cessé de faire retentir ce langage, nous irions nous donner le démenti à nous-mêmes ; nous subirions la loi du plus fort, avant d'avoir essayé si nous sommes les plus faibles ; nous ferions rétrograder la liberté au delà de 1790 ! Il me semble, messieurs, que pour nous (page 546) abaisser à ce point, nous avons dû bien dégénérer.

Cette vérité ; messieurs, qu'on ne peut se cacher à soi-même, on s'efforce de l'adoucir et de la dissimuler. Les préliminaires vous sont présentés sous la forme de propositions ! Vous êtes libres de les accepter ou de les refuser ! Singulières propositions, singulière liberté, que celles qui vous imposent l'acceptation de tous les articles sous la forme de condition, et vous replacent, en cas de rejet, sous la menace des protocoles ! Mais si vous êtes les maîtres de refuser, pourquoi ne refuseriez-vous pas ? Vous en serez quittes, après tout, pour vous retrouver vis-à-vis des protocoles, qu'on n'a pas osé et qu'on n'osera pas exécuter, non pas peut-être parce que ce serait une violation de toute justice et de tout droit, mais parce qu'on craindra le conflit des intérêts.

Je crains, messieurs, que les propositions ne masquent les protocoles ; je crains que la prétendue médiation de la conférence ne soit, ou ne devienne bientôt, une intervention réelle. Des préliminaires de paix sont des bases dont on ne peut s'écarter, et les préliminaires proposés par la conférence nécessitent de nouvelles négociations, qui auront pour objet des échanges de territoire. Mais ces négociations sont impossibles avec le roi de Hollande ; les cinq puissances le savent : Or, vous vous rappelez ce qui est arrivé lors de l'armistice : il fut posé et accepté d'abord sous leur simple médiation ; bientôt elles changèrent de rôle ; elles déclarèrent que l'armistice constituait envers elles-mêmes un engagement qu'on ne pouvait plus rompre : de médiatrices, elles se firent intervenantes, et cependant l'armistice et la suspension d'armes n'étaient pas même des propositions formellement acceptées, comme le seront celles dont il s'agit. Même chose arrivera, messieurs, après l'acceptation des préliminaires, par la raison toute simple que la Belgique et la Hollande ne s'entendront jamais sur le Limbourg, la rive gauche de l'Escaut, le Luxembourg, la dette, et l'échange des enclaves. Les puissances ne consentiront point à ce que la querelle soit vidée par les armes ; elles imposeront leur volonté, comme elles l'ont déjà fait, à la Hollande et à la Belgique, dans le protocole du 20 janvier et dans les suivants. Cela est infaillible, à moins qu'elles ne comptent assez sur notre flexibilité, lorsque nous aurons un roi, pour croire que nous céderons devant les prétentions de la Hollande et l'obstination de son gouvernement. Voilà peut-être ce que la conférence espère, sachant d'ailleurs que ses protocoles s'évanouiront, aussi longtemps qu'elle aura affaire à la nation belge.

Je repousse donc, messieurs, des propositions qui ne sont à mes yeux qu'une intervention déguisée ; je les repousse, non seulement au nom et dans l'intérêt de la Belgique, mais au nom et dans l'intérêt de tous les peuples libres ou près de l'être ; les accepter, après les avoir rejetées, céder après une révolution et avant qu'elle ne soit consolidée, serait l'exemple le plus fatal que nous pussions donner à l'Europe. Je méconnais la compétence que s'arroge l'aréopage du Foreign Office, C'est là, messieurs, mon premier motif de refus,

Je puise le second, non pas, je l'avouerai, dans le vice d'inconstitutionnalité (car je crois que vous avez conservé l'omnipotence d'un pouvoir constituant), mais dans une règle de justice et de droit social, antérieurs même à votre existence comme assemblée nationale. L'article premier de la constitution trace les limites de la Belgique ; mais ce n'est point là, messieurs, une disposition muable à volonté ; c'est un fait que vous avez seulement déclaré, et que vous ne pouviez pas ne pas déclarer. La Belgique existait avant vous, dans les limites reconnues par la constitution ; et je soutiens que vous n'aviez pas même le droit d'en exclure telle ou telle partie qui s'était associée a la révolution, dont vous aviez accepté, que dis-je !, encouragé les efforts. Ce que vous ne pouviez pas alors, vous ne le pouvez pas davantage aujourd'hui, L'association a été formée par le libre consentement de tous, elle est indivisible, il n'est plus permis d'en retrancher volontairement une seule de ses parties. Tous les associés ont le droit de demeurer, même malgré vous, dans la société, Le contrat est formé ; rien, que la force, ne peut le rompre.

Le mandat que les Limbourgeois nous ont donné, que vous avez reçu d'eux, est un autre contrat entre eux et vous ; il leur a imposé ainsi qu'à vous des droits et des devoirs réciproques : à eux, celui d'être fidèles au pays, aux institutions qu'ils vous ont appelés à créer ; à vous, celui de les protéger, de les défendre, de ne pas les abandonner.

Eh quoi ! si, il y a huit jours, si maintenant encore, les habitants de ces malheureuses communes trahissaient la fidélité qu'ils vous ont promise, et se rattachaient à leur ancienne patrie, vous les livreriez à vos tribunaux, ils seraient condamnes peut-être à subir l'échafaud ! et c'est vous, lorsqu'ils demandent à ne point s'en séparer, qui les repoussez du sein de la patrie, et les invitez au parjure ! Cette logique, messieurs, sera désavouée par les esprits droits, par les âmes généreuses.

La conférence nous reporte à 1790 pour la séparation des deux territoires : et pourquoi, je le (page 547) demande, ce saut de quarante années ? Qu'ont eu de commun avec la Hollande, pendant cette longue période, Maestricht et le reste du Limbourg ? S'il faut remonter aux temps anciens, où s'arrêtera-t-on ? Est-ce une règle que l'on veut nous donner ? Mais d'où vient que l'on s'arrête à 1790 ? Pourquoi ne prendrait-on pas 1795 ? Pourquoi n'irait-on pas jusqu'à l'époque où le pays de généralité furent cédés à la Hollande ? La Hollande les obtint alors par droit de conquête ; ce droit n'est ni plus respectable ni mieux fondé que celui en vertu duquel ces pays ont suivi, depuis quarante ans, le sort de la Belgique, ont fait en dernier lieu cause commune avec elle, se sont joints à elle. En restant à la Belgique, ils ne font que reprendre une position conforme à leur situation primitive, et conserver celle qu'ils ont prise avec nous, après avoir partagé nos dangers, notre bonne et mauvaise fortune. Un peuple ancien entendait autrement la dignité nationale ; les Romains croyaient la majesté du peuple offensée par l'offense faite au moindre de ses citoyens ; ils faisaient la guerre pour la venger ; et nous, nous nous préparons à livrer des milliers de nos compatriotes !

La division du royaume des Pays-Bas en provinces méridionales et septentrionales depuis 1815 est le seul point de départ admissible ; s'en écarter, c'est abandonner une règle certaine, le principe de l'insurrection, et de l'insurrection telle qu’on vient aujourd'hui nous l'expliquer, inoffensive pour les autres peuples et non conquérante, pour se livrer à tout le vague de l'arbitraire.

Je ne suis pourtant pas, je le déclare, de ceux professent cet axiome : Périsse la Belgique plutôt qu'un principe ! Non, messieurs, je lui préfère celui-ci : Le salut commun est la loi suprême : mais avant de livrer à son ennemi le plus cruel un peuple qui nous a aidés à chasser ce même ennemi de nos provinces, avant de souffrir qu'on puisse employer contre lui tous les moyens de despotisme, depuis la confiscation jusqu'à l'échafaud, je demande que l'impérieuse nécessité m'en soit démontrée : sinon, le nom belge ne se sauvera point dans l'histoire de la tache qu'on lui prépare.

Je sais, messieurs, que nous avons la ressource des enclaves ; mais je prévois qu'elle sera stérile. Et qu'offririons-nous, de grâce, à la Hollande, en compensation de la forteresse de Venloo et de sa souveraineté dans Maestricht, où elle avait droit exclusif de garnison ? Croit-on que je ne sais quels marquisats, bourgs ou villages, situés au fond de la Hollande, et dont la possession pour nous serait un inutile fardeau, vaudront jamais celle de deux villes importantes et fortes, qui la rendent maîtresse du cours de la Meuse, et nous ôtent une indispensable communication avec l'Allemagne ? Ah ! messieurs, ne l'espérez pas : la Hollande connaît trop bien son intérêt, et cet intérêt s'accroît pour elle de tout le mal qu'elle peut nous faire. Déjà il est posé en principe, dans les préliminaires, qu'en 1790 la souveraineté appartenait à la république des Provinces-Unies dans la ville de Maestricht ; et l'exception nous est réservée. Je veux que la preuve en soit facile : mais tout me fait craindre qu'elle ne nous profitera jamais ; la reconnaissance et l'exercice de nos droits seront indéfiniment ajournés.

Que dire du Luxembourg ? Il suffit de lire les articles 2 et 3 pour être convaincu que nous abdiquons nos droits sur cette province. L'article 2 compose la Belgique des territoires, moins ceux de l'ancienne Hollande, qui avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas dans les traités de 1815. Or, le Luxembourg n'avait point été annexé au royaume des Pays-Bas par les traités de 1815 : donc il ne fait pas partie du territoire belge. Que répondre à ce syllogisme ? je l'ignore.

Je lis bien, dans l'article 3, que les cinq puissances emploieront leurs bons offices pour que le statu quo soit maintenu pendant le cours de la négociation séparée à ouvrir sur ce point. Mais qu'en résultera-t-il ? que leurs bons offices nous sont promis, et rien de plus ; et si ces bons offices sont refusés par la Hollande, qu'arrivera-t-il ? qu'il faudra se conformer à l'article 6, évacuer : que non seulement nous perdrons la possession, mais la propriété du Luxembourg. Or, messieurs, qu'avons-nous à attendre du roi Guillaume, qui considère le Luxembourg comme une propriété patrimoniale ; qui a déjà fait connaître de quel prix il était pour lui ; qui y tiendra d'autant plus, qu'il regardera le Grand-Duché comme un haut fief ? Il lui suffira de sommer le souverain de la Belgique d'exécuter le traité : car, remarquez-le bien, les préliminaires, réciproquement adoptés, seront convertis en traités définitifs. Que répondra votre roi et son conseil ? par quel moyen, sous quel prétexte refusera-t-il d'obtempérer ? Le traité sera là ; son texte est positif : la bonne foi ne permettra pas même de temporisation. Et ce traité, c'est vous qui l'aurez conclu : vous n'aurez pas le droit de vous plaindre !

Je crois bien volontiers, messieurs, à la vérité des assurances que l'on nous donne sur les intentions du prince, à la sincérité de ces intentions. Je démontre seulement qu'elles seront impuissantes contre une stipulation précise.

(page 548) Parlerai-je de cette neutralité, dont on réserva la honte à la Belgique seule, tandis qu'on l'épargne à sa rivale, à la Hollande ? de cette neutralité qui fait des Belges des ilotes politiques au milieu de l'Europe ? de cette neutralité, qui les réduirait à rester impassibles témoins des défaites et de l'asservissement d'un peuple voisin, sans qu'ils pussent voler à son secours ? de cette neutralité qui leur interdirait toute alliance offensive et défensive, tout traité de commerce avantageux qui en serait le prix ?

Ainsi dépossédés de la rive gauche de l'Escaut, les rivières et les canaux servant à l'exportation de nos marchandises, sont entre les mains des Hollandais, qui nous feront bien sentir qu'ils en sont les maîtres. Privés de Maestricht et de Venloo, la libre navigation de la Meuse nous est ravie, et nous perdrons nos communications avec l'Allemagne. On vous a démontré qu'il ne nous restait pas un port de construction. On ne nous laisse pas même la ressource de nous attacher par une alliance intime à quelque autre peuple.

Avec un territoire réduit à de mesquines proportions, sans débouchés, sans libres moyens de communication, que deviendront, ainsi étranglés, l'industrie et le commerce, qui ont été si prospères ? Voilà , messieurs, le résultat des préliminaires que l'on vous propose. On vous propose de signer à la fois, et dans un seul acte, l'abandon de la rive gauche de l'Escaut, du Luxembourg (sauf de chimériques espérances fondées sur de simples paroles) , celui de Venloo, celui, si ce n'est de la totalité, comme il est à craindre, tout au moins de la moitié de Maestricht ; plus, votre servage politique. Je ne puis souscrire, messieurs, à ces dures, à ces humiliantes conditions.

J'ai entendu présenter les propositions presque comme un sacrifice à l'amour-propre des puissances, et notre acquiescement comme une affaire de forme, dont nous saurions bien nous débarrasser.

Qu'on y prenne garde, messieurs, c'est une grave erreur. Les propositions sont formelles, et si formelles qu'il est impossible de s'y tromper.

Ne s'agit-il pas de les accepter dans leur intégralité ? Ces propositions n'ont-elles pas été soumises à l'acceptation du roi de Hollande comme à la nôtre ? Et lorsqu'elles seront acceptées de part et d'autre, n'y aura-t-il pas un contrat synallagmatique, un engagement sacré, non seulement pour nous, mais encore pour les cinq puissances ? Les rois violeront-ils les engagements qu'ils auront pris envers un de leurs alliés ? Quelle serait cette manière de raisonner et de voir ? On contracterait avec l'arrière-pensée de faire autre chose que ce que l'on promet ; et ce ne serait pas seulement nous qui jouerions cette comédie, ce seraient la France et l'Angleterre, ce seraient la Prusse ,la Russie et l'Autriche. Non, messieurs, ce n'est point pour la Belgique que les puissances se feront flétrir dans l'histoire. Si les membres de la conférence avaient tenu individuellement et confidentiellement un langage qui tendrait à faire croire à cette supposition, ils nous auraient joués. Ils n'ont voulu qu'une chose, entraîner par notre acceptation des moyens de persuasion, parce qu'on ne veut ou qu'on n'ose recourir aux moyens violents.

Des préliminaires de paix, une simple formalité ! Comment ! A-t-on lu l'histoire ? a-t-on lu quelque traité diplomatique ? quelque recueil de traités ? On saura que les préliminaires sont la base des traités, qu'il n'y a rien de plus sacré aux yeux des puissances que les préliminaires d'un traité. Qu'on se hâte, messieurs, de sortir de cette voie honteuse et lâche qui n'a pas même l ,mérite de sauver l'honnêteté.

Je souriais, messieurs, à l'indépendance de la Belgique : le nom de patrie fait résonner les fibres de tout cœur généreux ; mais je la voulais libre, forte, heureuse : libre, elle est à la merci des diplomates qui la dédaignent ou contemplent avec joie son état ; forte, on la condamne à la faiblesse ; heureuse, je n'ose prévoir le sort qui l'attend ! Oui, je le répète, l'indépendance peut consoler de bien de maux ; mais il ne faut pas qu'ils poussent au désespoir. Et quelles seraient, après tout, messieurs, les conséquences d'un refus ? celui du prince que vous avez nommé ? Voilà ce qu'on semble surtout craindre ; je ne le crois nullement.

« Il a laissé au congrès des représentants de la nation à adopter les mesures qui seules peuvent constituer le nouvel État, et par là lui assurer la reconnaissance des Etats européens.» (Extrait de sa réponse à la députation).

« Aussitôt que le congrès aura adopté les articles que la conférence de Londres lui propose, il considérera les difficultés comme levées pour lui, et pourra se rendre immédiatement en Belgique. » (Extrait de sa réponse au régent).

Il ne subordonne donc pas d'une manière absolue son acceptation à celle des préliminaires. Au contraire, il accepte purement l'offre qui lui est faite ; seulement, il laisse au congrès le soin (page 549) d'adopter les mesures propres à constituer le nouvel Etat : et en cela il fait, selon moi, preuve de sagesse. Il pourra se rendre en Belgique immédiatement après l'acceptation des préliminaires ; mais il ne déclare pas que sans cette acceptation il ne viendra jamais ; il ne rétracte pas sa propre acceptation.

Et comment le rejet des préliminaires motiverait-il le refus du prince ? Un rejet déterminé par de nobles sentiments, par des voies de prudence, sera compris par lui, que l'on dit sage et généreux ; il a promis d'assurer, autant qu'il dépendra de son concours, une existence indépendante et heureuse à la Belgique ; mais il sentira qu'il y a des conditions essentielles d'indépendance et de prospérité, sans lesquelles ces biens ne s'obtiennent jamais ; il ne renoncera donc pas à venir remplir un jour la tâche la plus noble et la plus utile que les destinées humaines puissent offrir ; elle n'en aura que plus d'attraits pour lui, quand il connaîtra toutes les vertus du peuple auquel il la consacre.

Une autre appréhension d'une nature plus grave encore me paraît avoir fortement agi sur vous : celle de la guerre générale. Il n'est personne, messieurs, qui la redoute plus que moi ; je la considère, non seulement comme un terrible fléau pour l'humanité, mais dans ses rapports généraux avec les peuples, elle ne peut que faire rétrograder la civilisation et la liberté, ou en arrêter la marche ; ms ses rapports avec nous, elle nous met dans l’alternative de perdre l'existence politique ou de subir la restauration. Mais cette crainte n'a-t-elle pas trop vivement préoccupé les esprits, et a-t-on fait assez d'attention à l'état actuel des choses ? Je ne le pense pas, et voici pourquoi :

La conférence a voulu fixer notre sort par ses protocoles, mais elle a reculé devant leur exécution violente. Cette exécution remettrait en question l'existence de tous les États que le congrès de Vienne a constitués. Aussi les protocoles n° 24 et 25, qui fixaient au 20 juin l'exécution des protocoles antérieurs, sont demeurés sans suite, car le rappel de MM. Ponsonby et Belliard ne signifie rien, puisqu'il aurait dû être immédiatement suivi d’hostilités, et que notre ambassadeur en France n’a pas même quitté Paris.

Fidèle à son système, la conférence, au lieu de s’en tenir à ses décisions, a saisi avec empressement l'occasion que lui présentait l'élection du prince Léopold, de revenir à meilleure composition. Elle cède sur la dette, et sur d'autres points sans importance, tenant ferme sur le reste. J'en conclus que les puissances veulent toujours négocier, au lieu de guerroyer : elles ont tout à gagner avec la diplomatie ; elles ont beaucoup à perdre avec la guerre.

Elles feront tout pour l'éviter ; la Russie, l'Autriche et la Prusse ont sous ce rapport les mêmes intérêts que la France et l'Angleterre.

Elles ne veulent pas même qu'elle s'engage entre les deux parties intéressées. Elles ont fait et continueront à faire leurs efforts pour l'empêcher, et pourquoi ? Parce qu'elles craignent que la guerre ne devienne européenne ; quand elles sentiront l'impossibilité de l'empêcher entre la Belgique et la Hollande, elles laisseront faire, et se borneront à employer tous les moyens pour la concentrer entre les limites des deux pays. Les hostilités que nous pourrions entamer avec les Hollandais ne peuvent donc compromettre la paix de l'Europe, en premier lieu, parce qu'elles empêcheront qu'elles ne s'étendent ; en second lieu, parce qu'elles ne souffriront point que d'autres interviennent et qu'elles conviendront elles-mêmes de ne pas intervenir.

On dit que dans ce cas nous avons à craindre une réunion. Je ne le crois pas, tant que la guerre demeurera concentrée entre la Hollande et la Belgique. Elle amènerait une guerre générale, et le ministère français veut et doit l'éviter. Il l'évitera en laissant la Belgique se constituer en État indépendant.

La peur est souvent une mauvaise conseillère, et je crois qu'ici nous ne devons pas nous en laisser dominer. Il est, selon moi, préférable de refuser :

1 ° On aura toujours le temps de céder, si les événements nous en font une loi ;

2° Les événements ne peuvent devenir tels, qu'ils compromettent notre existence, parce qu'alors ils compromettraient l'existence du gouvernement français aussi bien que la nôtre.

3° Les puissances, renonçant à l'espoir de nous imposer ou de nous faire accepter les protocoles, et ne voulant pas courir les chances d'une guerre européenne, reconnaîtront que le débat existe entre la Belgique et la Hollande, et que c'est à elles à le vider, sauf à le vider dans les limites du ci-devant royaume des Pays-Bas. Nous soutiendrons la lutte, et peut-être la soutiendrons-nous avec le prince qui a eu nos suffrages, et qui nous aidera à nous faire obtenir ce que nous avons le droit de demander. Ce dénouement serait, à mes yeux, le plus favorable, le plus heureux pour le pays. Dans l'hypothèse de l'acceptation des préliminaires, c'est aussi celui que je préfère. Si je forme un vœu, c'est que la Hollande refuse, et que nous soyons ainsi libres de tout engagement (page 550) envers elle, que nous puissions reprendre le système sage et ferme d'entamer des négociations directes avec elle, et si son gouvernement continue à ne rien entendre ou à soutenir des prétentions exagérées, vider notre querelle par les armes. Cette issue, messieurs, rallierait tous les partis, donnerait aux esprits une direction commune, et terminerait promptement la série des interminables négociations où nous avons l'imprudence de nous engager. Au reste, je ne m'en cache pas, je ne suis point de ces indépendants quand même, qui n'ont jamais compris que l'indépendance, sans la rive gauche de l'Escaut et le Limbourg, est la ruine du pays ; et je crois que toutes les opinions doivent se réunir contre celle qui nous mènerait à ce résultat. Je veux, pour le pays et pour la famille destinée à le gouverner, des conditions d'existence, un avenir, et je n'en vois ni pour l'un ni pour l'autre dans la Belgique honnie et mutilée. La peur, l'incertitude de l'avenir peuvent ébranler quelques courages ; ce ne sera pas le mien, ni celui de mes honorables amis. De légitimes espérances nous demeurent, et si elles étaient trompées, si le sort se déclarait contre la raison et le bon droit au profit de l'injustice et de l'oppression, du moins on ne dirait pas des Belges : Ils ont tout perdu, même l'honneur.

C'est ainsi, messieurs, que j'envisage notre position et conçois le moyen d'en sortir. Quoique ce système me paraisse préférable à tous les autres, il n'est pas sans inconvénients, sans dangers ; je suis le premier à le sentir, l'état de nos affaires est tel, qu'un système qui en est exempt est la pierre philosophale. Nul dans cette enceinte ne peut prétendre prononcer d'oracle ; toutes les opinions, sujettes à la faillibilité humaine, sont à nos yeux loyales. Aussi, messieurs, me suis-je borné à parler à votre froide raison, croyant qu'en ces graves débats, le devoir interdisait tout appel aux passions. Aucune personnalité, aucun sarcasme, aucune injure ne me sont échappés ; je rends justice à toutes les opinions, je la rends au ministère lui-même, que je crois être entré dans une fausse voie, mais qui, j'en ai la ferme persuasion, est de bonne foi et veut, en se trompant, le bien du pays ; je puis lui rendre cet hommage désintéressé, puisque je le fais au moment où il dépose le pouvoir, qu'on ne me reprochera jamais d'avoir flatté. Plusieurs de mes collègues ont fait entendre, en terminant, une voix patriotique ; ils ont protesté de leur soumission à la décision du congrès, quelle qu'elle fût. Ai-je besoin de les imiter, messieurs, moi qui regarderais comme infidèle à son mandat, et coupable envers le pays, celui qui, par des moyens illégaux, chercherait à troubler l'union qui jusqu'à présent a fait sa force, qui va lui devenir plus nécessaire que jamais, qui peut encore le sauver ? J'adjure ici les honorables députés du Limbourg et du Luxembourg de ne point se séparer de nous, de ne pas fournir à nos ennemis des armes dangereuses. Je n'ajoute rien ; je m'adresse à des cœurs droits, à des raisons élevées. à des hommes généreux ; ils écouteront la voix du patriotisme qui leur dit d'attendre, et de ne pas exposer la Belgique et leurs frères par d'intempestives et périlleuses résolutions. (M. B., supp., 10 juill.)

- Les cris : La clôture ! se font entendre. Cependant, sur la demande de M. de Robaulx, la suite de la discussion est renvoyée à demain, à dix heures. (M. B., 10 juill.)

- La séance est suspendue à quatre heures ; elle est reprise à huit heures du soir. (P. V.)

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Liége

L'ordre du jour est la discussion du rapport de la commission chargée de la vérification des pouvoirs de M. le chevalier Étienne de Sauvage, député de Liége. (P. V.)

M. le président lit le rapport de la commission sur l'élection de M. le chevalier de Sauvage. (J. B., 10 juill.)

M. le comte de Robiano combat l'élection de M. de Sauvage. (J. B., 10 juill.)

M. le baron Beyts demande si c'est à domicile et par carte qu'on a convoqué les électeurs, ou si on l'a frauduleusement négligé ? (J. B., 10 juill.)

M. Forgeur croit se rappeler qu'on a distribué des cartes à chaque électeur ; il se rappelle, de la manière la plus positive, qu'on devait conster de sa qualité d'électeur pour être admis dans l'enceinte. (J. B., 10 juill.)

M. Raikem se souvient d'avoir reçu une convocation à domicile ; il a dû exhiber sa lettre de convocation pour être admis dans l'assemblée électorale. Faut-il un décret du régent, ou une simple instruction du ministre de l'intérieur. J'adopte, dit-il, l'opinion de la commission, qui a été d'avis qu'une simple instruction du ministre de l'intérieur suffisait. S'il fallait un arrêté du régent, cet arrêté devrait-il être inséré au Bulletin officiel ? Je crois que non. C'est le seul motif plausible dont on a appuyé la nullité de l'élection. C'est à quoi se résume la question. (J. B., 10 juill.)

M. de Robaulx (page 551) soutient que ce n'est pas par raison personnelle qu'il est contre l'élection, mais parce que la solution de la question peut faire jurisprudence plus tard. Le défaut de convocation, le défaut de publication de l'acte du gouvernement, sont les raisons qu'il met en avant pour motiver son opinion. Il soutient que la convocation n'a eu lieu que par un seul journal, ce n'est pas suffisant ; d'ailleurs, ce n'est que le 24 juin pour le 3 juillet que, dans ce seul journal, on a convoqué les électeurs. Il demande si on peut considérer comme dûment convoqués les habitants des villages où ce journal ne va pas. Lorsqu'on veut qu'une élection soit valide, il faut que l'électeur soit dûment prévenu, n'importe par quel mode. Il faut que le procès-verbal fasse mention de la convocation. Il se résume en demandant que l'élection soit annulée. (J. B., 10 juill.)

M. Forgeur – Ce n'est pas dans la ville de Liége seule que la convocation devait se faire, c'était encore dans les villages ; cependant il est constant que les convocations n'ont été faites que par les journaux, ce qui certes n'est pas suffisant.

L'orateur soutient qu'il n'y a eu ni convocation à domicile, ni convocation dans les villages, ni communication aux bourgmestres de ces mêmes villages. Il se résume en demandant que le congrès décide que de plus amples renseignements soient pris avant de décider la question. (J. B., 10 juill.)

M. Le Grelle et M. Alexandre Gendebien partagent la même opinion. (Aux voix ! aux voix !) (J. B., 10 juill.)

M. le président donne lecture de la proposition de M. Forgeur, qui demande que de plus amples renseignements soient pris sur la manière dont les convocations pour l'élection ont été faites. (P. V.)

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée. (P. V.)

La séance est levée à neuf heures et demie. (P. V.)