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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12 avril 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre notamment pétition
relative au défrichement des bruyères du Vrydeweyd (Rodenbach)
2) Rapports sur des demandes en naturalisation (Destriveaux)
3) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au
budget du département des finances. Fabrication de la monnaie de cuivre
4) Projet de loi relatif au droit sur les sucres (Mercier)
5) Projet de loi
6) Projet de loi portant révision des lois sur la
garde civique. Nomination de certains
officiers par le gouvernement et principe électif (Verhaegen,
Rogier, Delfosse, de Mérode, Verhaegen, Brabant, Rogier)
7) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au
budget du département des travaux publics. A : nécessité de recourir à des
travaux publics en raison de la crise sociale ; B : chemin de fer de
l’Etat (Fait personnel (de Brouckere), A, critique
de l’initiative publique en matière économique (Sigart, de Liedekerke), B (de Man
d’Attenrode, Brabant, Frère-Orban),
A (Dechamps), A, B (de
Brouckere, Frère-Orban, de
Brouckere, Frère-Orban), A, impôt sur le tabac (de Garcia), A, B (de Corswarem,
Delehaye), A (de Brouckere)
A, B (Manilius), B (Maertens),
comptabilité de l’Etat (procédure marchés publics) (de Man
d’Attenrode), (Frère-Orban), B (Malou)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1285) M. Troye fait l'appel nominal à 1 heure et un
quart ; il lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
adoptée : il présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
Le sieur Dollin-Dufresnel, général-major honoraire pensionné, réclame l'intervention
de la chambre pour que le gouvernement prenne une décision sur les réclamations
des officiers de la réserve au sujet des retenues qui ont été opérées sur leurs
appointements. »
-
Renvoi à M. le ministre de la guerre.
_________________
« Le
sieur Tuyttens demande l'abrogation de la loi qui autorise la contrainte par
corps pour dettes commerciales, ou qu'au moins le paragraphe 5 de l'article 800
du Code de procédure civile soit rendu applicable aux détenus pour dettes de
cette nature. »
-
Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
« Le sieur Hebbelynck qui, en 1833, a été
révoqué de ses fonctions de greffier de justice de paix, prie la chambre de lui
faire obtenir un emploi équivalent ou de lui accorder sa pension avec les arriérés.»
-
Même renvoi.
_________________
« Le sieur Heindryckx propose de rendre à la
culture l'un des accotements des routes de l'Etat. »
-
Même renvoi.
« Le sieur Roelants demande l'exécution des
travaux de défrichement des bruyères communales de Ruddervoorde et de
Zwevezeele. »
M. Rodenbach. -
Messieurs, cette pétition émane d'une personne (page 1286) qui habile le Vrygeweyd dans les environs de
Lichtervelde, etc. ; il demande que le gouvernement emploie toute son influence
pour qu'on accélère les travaux de défrichement dans les villages de
Lichtervelde, de Ruddervoorde et de Zwevezeele ; il parle de la grande misère
qui règne dans ces localités : il dit qu'il n'y a pas un seul ouvrier occupé.
Je
demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport
sur cette pétition.
-
Adopté.
_________________
Par
message, en date du 11 avril, le sénat informe la chambre que, dans sa séance
du même jour, il a adopté le projet de loi relatif à la durée des fonctions des
membres du corps communal.
-
Pris pour notification.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M. Maertens
et M. Delehaye
déposent des rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
-
Ces rapports seront imprimés et distribués.
Le
jour de la discussion sera fixé ultérieurement.
M.
Destriveaux (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai
déposé, il y a une quinzaine de jours, des rapports sur des demandes en
naturalisation ordinaire. Parmi les pétitionnaires, il se trouve des individus
qui se croyaient Belges avant la loi des naturalisations ; d'autres sont
arrivés en Belgique dans un âge très tendre, ils y ont pris du service, ils
sont aujourd'hui en activité de service et pourraient être exposés, le cas
échéant, à des choses excessivement désagréables.
Je
demande que la chambre fixe à son ordre du jour de vendredi prochain le vote
sur la prise en considération de ces demandes en naturalisation.
-
Cette proposition est adoptée.
PROPOSITION RELATIVE AU MODE DE NOMINATION DU JURY D’EXAMEN
UNIVERSITAIRE
M.
le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs,
j'ai l'honneur de présenter un projet de loi tendant à augmenter de 200,000 fr.
le crédit qui, existe au budget de 1848 pour la fabrication de la monnaie de
cuivre.
-
Ce projet sera imprimé et distribué. La chambre le renvoie à l'examen des sections.
PROJET DE LOI RELATIF AU DROIT SUR LES SUCRES
M. Mercier.
- Messieurs, j'ai l'honneur de présenter à la chambre le rapport de la section
centrale qui a été chargée d'examiner l'amendement relatif à la loi des sucres,
amendement qui a été déposé à la séance du 2 février dernier.
-
Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. de Garcia. -
Les conclusions ?
M. Mercier. -
La section centrale a adopté la proposition que vous connaissez.
-
La discussion sera fixée ultérieurement.
PROJET DE LOI
M. le ministre des affaires étrangères
(M. d’Hoffschmidt). - J'ai l’honneur de présenter un
projet de loi ainsi conçu : (Nous donnerons ce projet.)
(Note du webmaster : la mention et l’intitulé
de ce projet n’ont pas été retrouvés.)
M. le président.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont
il vient de donner lecture.
Ce
projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés et distribués et
renvoyés à l'examen des sections.
_________________
M. le président.
- Vous avez tout à l'heure fixé à vendredi la prise en considération de
demandes en naturalisation. Pour utiliser les bureaux des scrutateurs, on
pourrait fixer au même jour la nomination du greffier de la chambre ; vous
savez qu'il est nommé pour six ans ; le terme expire dans, le courant de ce
mois ; il convient de procéder à la nomination ; je propose de la fixer à
vendredi.
-
Cette proposition est adoptée.
_________________
M. le président.
– L’ordre du jour appelle la discussion de la demande de crédit de fr.
8,577,390-97.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je propose de terminer le vote
commencé à la fin.de la séance d'hier.
-
Cette proposition est adoptée.
PROJET DE LOI PORTANT REVISION DES LOIS SUR LA GARDE CIVIQUE
Discussion des articles
Titre V. Des élections et nominations aux grades
M. le président.
- A la séance d'hier, on a commencé un vote sur l'article 61, ainsi conçu :
« Art.
61 (projet du gouvernement) Le Roi nomme l’inspecteur général et les officiers
de son état-major. Il nomme également, mais parmi les gardes de la commune ou
des communes dont le corps se compose, le commandant supérieur, les officiers
de son état-major, les chefs de légion, les lieutenants-colonels, les majors,
les adjudants-majors, les quartiers-maîtres, les rapporteurs,, les médecins de
légion et de bataillon, et les porte-drapeau.
La
section centrale propose de faire élire l'état-major par les officiers.
M.
Verhaegen a déposé un amendement dont je vais donner lecture quoique la
discussion ait été close, la chambre décidera si elle veut rouvrir la
discussion.
Après
les mots : « Le Roi nomme l'inspecteur général et les officiers de son
état-major, » il propose de dire : « il nomme également, parmi les
officiers du corps sur une liste double formée par les officiers de la légion.
»
M. Verhaegen. - Je crois
que l'amendement que je viens d'avoir l'honneur de déposer est de nature à
concilier toutes les opinions. Le principe électif reste sauf, et de plus ma
proposition est de nature à satisfaire ceux qui ont repoussé le principe de
l'élection comme exclusif de l'unité de vues si désirable pour la nomination
des colonels et des lieutenants-colonels de la garde civique, tout le monde
peut donc, ce me semble, se rallier à mon amendement. Les partisans du principe
électif peuvent se trouver satisfaits, de même que ceux qui partagent l'opinion
qui sert de base au système du gouvernement peuvent y trouver (du moins telle
est mon opinion) des garanties suffisantes. J'ose donc espérer de la chambre,
par esprit de conciliation, l'adoption de cet amendement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier).
- J'ai défendu hier consciencieusement la proposition du gouvernement avec les
amendements que j'y avais apportés. Il s'est manifesté dans une partie de cette
chambre une opinion qui n'est pas entièrement conforme à la mienne. Je
reconnais que dans les circonstances où nous sommes, et quand il s'agit
d'introduire dans la loi un principe de cette portée, il importe que le vote
soit autant que possible unanime ; nous ne voulons pas emporter un pareil
principe contre le vœu d'une grande partie de cette chambre.
Ces
considérations me déterminent à me rallier à l'amendement présenté par mon
honorable ami M. Verhaegen.
M. Delfosse. - J'ai
combattu consciencieusement et énergiquement la proposition du gouvernement qui
me paraissait dangereuse ; mon honorable ami vient de présenter un amendement
auquel je puis me rallier parce qu'il présente des garanties suffisantes ;
j'eusse préféré, cependant la rédaction de la section centrale.
Il
est bien entendu que les majors seront nommés par les officiers du bataillon ;
il y a eu hier sur ce point un vote par assis et lever. C'est un vote acquis.
M. le président. - Aussi
n'en est-il pas question dans l'amendement.
M. de Mérode. - Je me
rallie aussi volontiers à l'amendement. Mais lorsqu'on présente des listes de
candidats, il n'est pas à propos d'éliminer un seul homme. Il vaut mieux
choisir sur trois que sur deux. Je propose donc que les colonels et
lieutenants-colonels soient nommés par le Roi sur une liste triple de
candidats.
M. Verhaegen. - Je me
rallie à cette proposition.
M. Brabant.
- Je crois qu'il serait essentiel de lire tout l'article pour savoir comment il
sera conçu.
Hier
on a adopté sans difficulté et d'accord avec le gouvernement, le premier
paragraphe de l'article de la section centrale : « Les officiers de
l'état-major du bataillon sont nommés par les officiers du bataillon. »
L'amendement
de l'honorable M. Verhaegen, sous-amendé par l'honorable M. de Mérode, statue
sur les colonels et les lieutenants-colonels. Mais que sera-t-il du surplus de
l'état-major de la légion ? Le gouvernement se rallie-t-il aux dispositions de
la section centrale ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Nous nous en sommes expliqué
hier. Nous n'avons conservé à la nomination du gouvernement que les colonels,
les lieutenants-colonels, les quartiers-maîtres et les rapporteurs.
M. Brabant.
- Comment seront nommés les autres officiers de l'état-major de la légion ?
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - Ils seront nommés par les
officiers de la légion.
-
La proposition de M. Verhaegen sous-amendée par M. de Mérode et tendant à
décider que les colonels et les lieutenants-colonels seront nommés par le Roi
parmi les officiers du corps sur une liste triple de candidats, formée par eux,
est mise aux voix et adoptée.
M. le président.
- La rédaction de l'article sera examinée ultérieurement au second vote.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS
Discussion générale
M. le président. -
Il sera utile d'ouvrir une discussion générale et d'examiner ensuite
successivement les divers votes de la section centrale. Sans cela il y aurait
confusion.
Le
gouvernement se rallie-t-il aux propositions de la section centrale ?
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Non, M. le président.
M. de
Brouckere, rapporteur. - Je demande à la chambre la
permission de lui faire une observation qui m'est personnelle. J'ai été
représenté, dans certaine feuille comme m'était vivement opposé à la mise à
l’ordre du jour du projet, que nous allons discuter. Or, bien loin qu'il en
soit ainsi, j'ai, en déposant le rapport, fait voir l'urgence du projet, et
j’ai insisté pour qu'il fût mis à l'ordre du jour.
Je
fais cette observation, parce que si je m’étais effectivement opposé à la mise
à l'ordre du jour du projet, je me serais exposé à des reproches justes et
mérités. Mais je crois qu'on aurait pu m’épargner ces reproches.
(page 1287) M. Sigart. - Messieurs, je dois en
quelques mots justifier mon vote. Je dois expliquer pourquoi je me suis
quelquefois opposé à ce que l'Etat exécutât des travaux analogues à ceux-ci, et
pourquoi je les approuve aujourd’hui.
On
peut considérer les travaux entrepris par le gouvernement sous plusieurs points
de vue :
Au
point de vue de la richesse générale.
Au
point de vue de l'intérêt des travailleurs.
Air
point de vue de la sécurité publique.
Sauf
certaines exceptions, mon avis est que la richesse publique n'a rien à gagner,
n'a qu'à perdre aux travaux faits par l'Etat. Voici mes principaux motifs.
L'Etat
ne fait rien qu'avec l'argent des contribuables ; l'argent fructifie bien mieux
entre les mains des contribuables que dans celles de l'Etat.
L'Etat,
quand il fait quelque chose, doit se servir d'agents sans intérêt au succès,
qui laissent ou font grossir la dépense par insouciance, par vanité, (plus
rarement, j'ai du plaisir à le reconnaître) par infidélité.
Il
crée des valeurs, sans doute, mais des valeurs qui ne sont pas en rapport avec
ce qu'elles coûtent, et dont les produits diminuent juste au moment où on en
aurait le plus besoin. Témoin à présent nos chemins de fer.
Au
point de vue de l'intérêt des travailleurs, il faut distinguer entre les temps
de calme et les temps de crise.
En
temps ordinaire, quand l'Etat fait travailler au moyen de l'argent des
contribuables, il empêche les contribuables de faire travailler directement. Il
fait vivre un terrassier, un ingénieur, mais il me soutire mon argent et
m'empêche de faire travailler un tailleur, un tapissier ; il ne crée pas un
travail, il le détourne, et comme il ne peut faire indéfiniment de travaux
publics, il prépare une crise pour le moment où il cessera d'en faire.
Assurer
d'une manière permanente du travail aux ouvriers est une chimère comparable à
l'organisation du travail. Cela ne dépend d'aucune puissance au monde, quelque
grande qu'elle soit ; c'est une chose que nous pouvons déplorer, mais c'est une
vérité devant laquelle il ne nous est pas permis de fermer les yeux. Vous
pouvez bien, en dépouillant les contribuables, donner du travail un instant à
tous les ouvriers ; mais si vous vouliez continuer pareille œuvre, le nombre
des ouvriers s'élevant, par une effrayante multiplication, avec la possibilité
de vivre et l’Etat faisant travailler à perte, le capital des contribuables
serait bien vite épuisé ; alors il n'y aurait plus ni richesse, ni aisance, ni médiocrité
; il n'y aurait plus qu'une misère uniforme, il n'y aurait qu'une multitude
affamée s'entr'égorgeant pour s'arracher la nourriture.
Mais
ce qui est impossible d'une manière permanente est, comme je viens de le dire,
très possible d'une manière temporaire. Dans certains moments, c'est à la fois
une mesure d'humanité et une mesure de sécurité publique.
Dans
un moment de crise, les capitaux alarmés se resserrent et s'enfouissent. Privé
de l'aliment du capital, le travail languit, le travail meurt. Le désœuvrement
de l'ouvrier lui donne de mauvais conseils et, s'il s'y abandonne, ses actes
irréfléchis, contraires à ses propres intérêts, viennent encore compliquer par
les embarras de la rue les autres embarras de la situation.
Dans
des moments semblables, le gouvernement se substitue heureusement au
contribuable qui ne ferait travailler ni productivement ni improductivement, et
qui cacherait son argent. Dans ces moments, les mauvais effets de l'action de
l'Etat s'effacent devant les grandes considérations d'humanité, devant les
grands intérêts de la sécurité publique.
Alors
le gouvernement, en faisant des travaux même peu utiles, même inutiles, reste
dans son véritable rôle : il maintient l'ordre, et par-là, il assure la
justice, protège la liberté, garantit le fruit du travail, la propriété.
Sans cette garantie du fruit de travail, on ne
travaillerait pas. Si celui qui laboure n'était pas sûr de récolter, il ne
labourerait pas. Alors on tomberait dans l'état sauvage, alors il faudrait
vivre de chasse et de fruits sauvages ; alors la Belgique, par exemple ne
pourrait plus nourrir 4 millions d'habitants, elle n'en pourrait plus nourrir
que 4 mille peut-être ; l'excédant, soit 5,96,000, devrait périr. Il faudrait
s'entr'égorger ou mourir de faim jusqu'à cette réduction. Bien entendu qu'après
cette réduction, on serait dans l'état des Murons et des Algonquins.
Or,
je pense que les travaux proposés par le gouvernement constituent, au point de
vue économique, une opération aussi peu mauvaise qu'en puisse faire l'Etat. Je
ne lui refuserai donc pas mon assentiment, puisque cette opération, fût-elle
beaucoup moins bonne, les circonstances où nous nous trouvons m'engageraient
encore à le lui donner.
M. de
Liedekerke. - Messieurs, votre section centrale a écarté du
projet primitif une somme de 1,544,544 fr. destinée à solder un nouvel arriéré
et sur laquelle elle a demandé des renseignements nouveaux. Nous n'avons donc
pas à nous en occuper, mais on ne peut se dissimuler que le catalogue des
crédits supplémentaires et complémentaires grossit d'une manière effrayante, et
tend à faire disparaître de jour en jour la valeur réelle et sérieuse de nos
budgets.
Les
réductions rigoureuses faites sur le restant du crédit demandé, qui d'abord
s'élevait au chiffre de 7,112,846 francs, pour retomber à 3,236,472, lui
éviteront ainsi que la nature des dépenses qu'il est appelé à couvrir, les
sévères observations qu’il n'eût pas manqué de rencontrer sur plusieurs bancs
de cette chambre.
Peut-on
oublier, en effet, qu'il ne s'agit point de prélever ces sommes sur nos budgets
ordinaires, sur nos ressources ordinaires telles qu'elles sont acquises à
l'Etat en des temps prospères ? Loin de là, il faut les imputer sur des
sacrifices imposés à la nation entière, et dans quels moments !
Lorsque
la fortune de tous subit une dépréciation énorme, lorsque l'avenir de ceux qui
s'intitulent les plus heureux est semé de nuages, et que des préoccupations diverses,
mais fondées, ont paralysé toutes les ressources, si puissantes il y a peu de
jours encore.
Certes,
messieurs, le sort des classes ouvrières est fait pour éveiller la sollicitude
des chambres, celle du gouvernement ; il est digne d'inspirer les plus généreux
efforts, et il rencontrera, j'en suis sûr, de sympathiques échos dans le pays.
Mais en réparant un mal n'en créons pas un autre, et ne développons pas, en
forçant les sacrifices que nous imposons au pays, un malaise qui déjà n'a que
trop d'extension.
Ce
serait une grave erreur de borner ses regards à la détresse qui nous entoure, à
celle qui les frappe le plus vivement par son actualité, de mesurer en un mot
nos craintes à des limites trop restreintes ! Car qui pourrait indiquer
l'instant on cessera cet ébranlement étonnant qui du Midi au Nord, et de l'Est
à l'Ouest, a soulevé l'Europe entière ?
Nos
efforts, nos sacrifices peuvent donc se prolonger, devront peut-être se
renouveler, et c'est pour cela qu'il faut écouter les lois d'une prudence presque
avare, et d'une prévoyante parcimonie, soit dans les ressources extraordinaires
que nous créons, soit dans les travaux que nous décrétons.
Messieurs,
le système de grands travaux publics entrepris par l'Etat a pris des
proportions qui, loin de diminuer,
paraît augmenter et devoir arriver à des conditions qui dans un temps
peu éloigné cesseront d'être supportables.
Et
puisque l'occasion m'en est offerte, permettez-moi de faire précéder mon vote
de quelques observations relatives aux périls dont je suis frappé et qu'offre
un semblable système poursuivi à outrance.
Assurément
il n'y aura là rien de personnel pour M. le ministre des travaux publics, ni
même de particulièrement hostile pour le ministère. Ce que j'attaque c'est la
chose en elle-même, ce ne sont point ceux qui l'administrent et le gouvernent.
Dans
les premières années de notre vie nationale, lorsque la sécurité trop peu
répandue n'avait point donné un essor suffisant au crédit, lorsque la confiance
n'avait pas jeté des racines assez profondes dans les cœurs, l'Etat a pu faire
acte de sagesse en poursuivant par lui-même l'accomplissement de la grande
œuvre des chemins de fer. Relier les provinces entre elles, faciliter leurs
communications, vivifier également leurs ressources, donner à l'Europe entière
un témoignage éclatant de notre énergie productive, de nos richesses, de notre
industrieuse activité, lui tracer, nous les premiers, cette voie du progrès, et
l'inaugurer avec une magnifique unité, voilà ce que les forces du pays
concentrées entre les mains de l'Etat pouvaient tenter, et ce qu'elles ont
glorieusement accompli.
Mais
cette impulsion donnée il faut qu'elle porte ses fruits, et qu'elle sache aussi
correspondre aux besoins, aux nécessités du pays, et l'esprit d'association, si
librement développé chez nous, doit opérer à son tour, sinon les inconvénients
de la libre concurrence ne seraient compensés par aucun bienfait, et nous
aurions à la fois la liberté et le monopole.
Voyez
plutôt l'Angleterre ! Il est permis, je pense, de citer cette île fameuse, qui
donne au monde de hauts enseignements, et témoigne avec éclat de ce que peuvent
la liberté et l'ordre réunis ! Eh bien, voit-on le gouvernement s'y charger de
grands travaux publics ? L'a-t-il jamais essayé, excepté l'an passé à l'égard de
l'Irlande infortunée ? Et dans quelles circonstances ? vous le savez ! Les
routes, les canaux, les chemins de fer,, jusqu'à ses docks, la plupart des
établissements de bienfaisance, tout chez ce grand peuple se fait par l'esprit
d'association et la force de l'entreprise.
Peut-être
me citera-t-on la France. Là sans doute le gouvernement s'est laissé entraîner
dans ces vastes entreprises qui souriaient à l'orgueil national. Mais si deux
des hommes les plus éminents de ce pays appelaient de grands travaux publics,
l'un, « les folies de la paix », l'autre, « les témérités de la paix »,
si nous contemplons dans quelles inextricables difficultés les finances du pays
étaient plongées, quelle dette flottante énorme il avait dû créer pour
subvenir, et avec insuffisance, à des besoins sans cesse grossissants, je crois
qu'un semblable exemple tournerait contre ceux mêmes qui s'en prévaudraient.
Je
crois que le système de grands travaux entrepris, dirigés, payés par l'Etat
prend son origine dans les traditions de l'empire. A cette époque de
régénération administrative, le chef de l'Etat mettait tout sous la tutelle
gouvernementale ; rien n'échappait à sa main, ni à son inspection. Le
gouvernement était entrepreneur général, il traçait les routes, creusait les
canaux, améliorait les cours d'eau, créait des ports. Mais les intérêts de
notre époque, son système économique et financier ont subi de altérations
profondes, et ce serait une grave méprise de vouloir perpétuer sous notre
régime de liberté, d'indépendance presque absolue dé semblables errements.
Il
est une autre cause qui dispose les hommes qui occupent le pouvoir à soutenir,
à provoquer et à patronner les grands travaux publics. C'est la force
d'influence qui dérive pour eux. Quiconque occupe le pouvoir sent le besoin de
s'appuyer sur le plus grand nombre de volontés ; quelle que soit la noblesse de
ses sentiments personnels, il essaye d'attirer, d'asseoir le plus de personnes
possible, de se créer des sympathies qui lui restent fidèles par un lien plus
fort que celui des simples idées. Et (page
1288) qui ne comprend que la valeur de bienfaits qui influent sur
l'existence entière, exerce un bien autre empire sur la généralité de
l'humanité que ces théories, ces principes dont la grandeur et l'importance
n'apparaissent souvent que sous un jour douteux ? Aussi, à mesure que la
liberté s'étendait, que l'indépendance personnelle augmentait, laissant un
champ plus libre à l'égoïsme, les gouvernements se sont laissé séduire par le
besoin de se créer des influences afin de ressaisir ce qui leur échappait par
l'affaiblissement de l'organisation politique.
Et
cette manie de travaux publics n'a fait que s'accroître, parce qu'elle
établissait des dépendances infinies, des serviteurs nombreux, en éveillant ces
espérances intéressées, que chacun a si grande hâte de réaliser/
Mais
là ne se bornent pas tous les maux.
Il
en est un non moins grand, c'est d'habituer les différentes parties du pays à
tourner constamment leurs regards vers le pouvoir central, à ne consulter que
rarement leurs propres forces, pour se contenter de tout demander du
gouvernement. Un de nos anciens collègues vous signalait, il y a peu de jours,
les graves inconvénients qui en découlaient, et il vous retraçait les mauvaises
conséquences de cette faiblesse, de ce penchant à des sollicitations
insistantes et perpétuelles.
Et
puis la distribution de bienfaits ainsi répandus est-elle assez égale pour
contenter chacun ? Et tandis que les uns se félicitent des avantages qu'ils
obtiennent, les charges n'accablent-elles pas la généralité sans compensation
suffisante et clairement appréciable ?
Les
mandataires du pays, messieurs, à leur tour, impérieusement dominés par
l'intérêt vivement éveillé de leurs districts, n'en deviennent que trop souvent
les faciles organes, et l'esprit de localité les subjugue malgré eux ; il peut
partager la chambre en des partis intéressés, qui transigent pour s'entendre,
et s'entendent pour négliger, je n'irai pas jusqu'à dire pour opprimer des
intérêts plus faibles et moins exigeants.
D'ailleurs
à quelles sollicitations ne sont point également exposés les ministres, de
quelles exigences ne sont-ils point entourés, par quelles demandes ne se
sentent-ils pas pressés ?
Leur
esprit peut y perdre un peu de sa liberté, leur action de son indépendance, et
il semble que la délicatesse du gouvernement représentatif doit s'y affaiblir
et sa pureté en être inévitablement altérée.
Messieurs,
un profond esprit prophétisait, il y a bien des années, les maux d'une
centralisation exagérée, et la corruption qui gangrènerait, malgré les plus
louables intentions des hommes politiques, les ressorts du gouvernement
constitutionnel. Voici ce que disait M. Royer-Collard à la chambre des députés,
en 1824 :
«
Le ministère vote par l'universalité des emplois et des salaires que le
gouvernement distribue, et qui, tous ou presque tous, directement ou
indirectement, sont le prix de la docilité éprouvée ; il vote par
l'universalité des affaires et des intérêts que la centralité lui soumet ; il
vote par tous les établissements civils, militaires, scientifiques que les
localités ont à perdre ou qu'elles sollicitent ; il vote par les ponts, les
routes, les canaux, etc. ; car les besoins publics satisfaits sont des
bienfaits de l'administration, et, pour les obtenir, les peuples, nouveaux
courtisans, doivent plaire. En un mot, le ministère vote de tout le poids du
gouvernement qu'il fait peser en entier sur chaque département, chaque commune,
chaque profession, chaque particulier.
«
Le mal est grand, messieurs ; il est si grand que notre raison bornée peut à
peine le comprendre, et qu'elle est hors d'état d'en apercevoir toutes les
conséquences.
«
Au lieu de nous élever, il nous abaisse ; au lieu d'exciter l'énergie commune, il
relègue tristement chacun au fond de sa faiblesse individuelle ; au lieu de
nourrir le sentiment de l'honneur, qui est notre esprit public et la dignité de
notre nation, il l'étouffe. »
Qu'ajouterai-je
à ces paroles si mémorables, dont la haute vérité n'échappera à aucun esprit
attentif et sérieux ? Certes, messieurs, je le répète avec l'accent le plus
convaincu, il faut que la liberté d'association, si admirablement servie par le
développement de l'esprit d'entreprise, par la connaissance approfondie des
intérêts, par les combinaisons merveilleuses du crédit, se charge désormais de
contenter les besoins d'améliorations matérielles. Il faut, à peu d'exceptions
près, sauf de rares circonstances, que chaque localité travaille par la voie
des concessions, des entreprises privées, au progrès qui l'intéresse plus
spécialement. C'est ainsi que s'accompliront les œuvres vraiment utiles, en
dehors de la flatterie, des intrigues ou des manœuvres intéressées. Ainsi nous
atteindrons une véritable égalité ; et l'accroissement constant des impôts qui,
à la suite de dépenses toujours progressives, nous entraîne sur une pente si
fatale, s'arrêtera enfin pour notre salut, notre tranquillité et notre
prospérité future.
Aussi,
messieurs, si je n'écoutais que la conviction, si profonde chez moi, qui m'a
inspiré les quelques paroles que j'ai eu l'honneur de prononcer devant vous, je
voterais contre le crédit, même réduit, qui vous est demandé.
Mais
je sais aussi qu'on ne modifie pas aussi brusquement une habitude qui a pénétré
dans nos mœurs, qu'on n'arrête pas à l'improviste ce qui, par une pratique
constante, a été élevé à la hauteur d'une prérogative gouvernementale.
Du
reste, le moment en serait mal choisi, et il serait aussi imprudent que
téméraire de ne pas secourir la classe ouvrière, là où elle se montre trop
cruellement frappée par des circonstances douloureuses. Votre section centrale
a d'ailleurs soigneusement évité, c'est un hommage que je lui rends, tous ceux
des travaux qui ne lui paraissaient pas destinés à réagir immédiatement,
directement sur les classes les plus malheureuses. Je vote donc le crédit, mais
j'espère que la chambre me pardonnera d'avoir expliqué mon vote en exprimant
avec une entière franchise mon opinion sur le système général des travaux
publics entrepris par l'Etat, système qui, trop développé, me semble entaché
d'une telle perversité, que s'il était perpétué et exagéré, ainsi qu'il l'a été
jusqu'à ce jour, préparerait à l'élément financier du pays une crise
dangereuse.
M. le président. - M. de Man
d'Attenrode vient de déposer l'amendement suivant :
«
Il est ouvert au département des travaux publics un crédit de..... pour travaux
au chemin de fer de l'Etat.
«
L'emploi de ce crédit est réparti de la manière suivante :
« 1°
Terrassements et ouvrages d'art, rampes et pavages ;
« 2°
Bâtiments des stations et loges de gardes ;
« 3°'
Voies (rails et accessoires) ;
« 4°
Matériel des stations ;
« 5°
Doubles voies ;
« 6°
Matériel des transports. »
M.
de Man d'Attenrode. - Messieurs, le gouvernement nous
demande plusieurs millions pour faire des dépenses de nature différente
concernant le chemin de fer. Le crédit qu'il propose représente un seul chiffre
; cependant, il est destiné à faire des dépenses de terrassements, des
constructions de bâtiments, de stations, des doubles voies, à pourvoir à
l'augmentation du matériel de transport, à opérer le raccordement de la station
de Gand avec le canal de Terneuzen et le raccordement de la station de Bruges
avec le bassin du commerce. Dans la section centrale tous ces services ont fait
l'objet d'un examen et d'un vote spécial ; pour quelques-uns elle a rejeté les
sommes demandées, pour d'autres, elle les a admises ; pour d'autres encore,
elle les a réduites. Je pense que la chambre agira de la même manière et
qu'elle croira devoir arrêter son attention sur chacune de ces catégories de
dépenses, et fixer les sommes qu'elle sera disposée à voter en faveur de ces
divers services. Si la chambre entre dans cette voie, il faudra qu'elle accorde
un crédit déterminé pour tel ordre de dépense, un autre crédit déterminé pour
telle autre dépense.
Si
vous adoptez cette marche, et si vous voulez que vos votes soient sérieux, que
vos intentions soient respectées, il faut que le texte de la loi les exprime,
il faut que le crédit proposé soit fractionné en autant de paragraphes qu'il y
a de services auxquels il doit subvenir.
Si
vous votez un crédit unique, il sera impossible à la cour des comptes de mettre
obstacle aux transferts, de veiller à ce que les dépenses s'opèrent
conformément à la volonté de la législature.
Il
est vrai qu'il y a des développements à la suite de l'exposé des motifs, mais
tant que ces développements ne font pas partie de la loi, ils n'engagent pas le
gouvernement. Nous en avons eu des expériences fréquentes. Souvent il a été
accordé des crédits globaux au département des travaux publics, et nous avons
vu plus tard, quand nous demandions des renseignements, que les intentions de
la législature n'avaient pas toujours été remplies.
C'est
ce qui est encore arrivé l'année dernière ; le gouvernement avait demandé un
crédit pour construire des waggons ; nous l'avions même augmenté de 300,000 fr.
pour lui permettre de multiplier davantage le nombre de ces moyens de
transport. Eh bien, messieurs, malgré l'impérieuse nécessité de cette
augmentation, le gouvernement ne fit pas faire autant de waggons qu'il était
convenu, mais il se servit d'une partie des fonds accordés pour faire
construire des locomotives, des diligences, et pour augmenter le matériel des
voyageurs.
C'est
ainsi, messieurs, que si vous votez un crédit global, le gouvernement pourra
employer par exemple au matériel des stations des fonds que vous auriez
destinés aux terrassements, aux doubles voies, et quand nous nous en
apercevrions plus tard, nous serons obligés d'accepter le fait accompli comme
nous l'avons fait dans le passé.
J'ai donc déposé un amendement
qui modifie l'article proposé. En vertu de cet amendement, le gouvernement
devra, s'il est adopté, appliquer à chaque service la somme que la chambre lui
aura destinée.
Je
n'entrerai pas pour le présent dans la discussion des diverses dépenses
proposées ; j'attendrai, pour demander la parole, que chacun des services
auxquels s'applique le projet de loi soit traité chacun à son tour de rôle.
M. Brabant. - Je demande la parole pour
une motion d'ordre.
Dans
le crédit de 7 millions, il y a' un peu plus de deux millions à affecter au matériel
de l'exploitation du chemin de fer ; je voudrais que M. le ministre des travaux
publics déposât sur le bureau demain, si c'est possible, la situation du
matériel d'exploitation au 1er janvier de cette année.
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Je déposerai ce document pendant
la discussion.
M. Dechamps.
- Messieurs, je m'étonne de la résistance que semble rencontrer le projet de
loi actuellement en discussion. Il y a quelques jours à peine, l'honorable H.
d'Elhoungne, lors de la discussion d'un crédit analogue destiné à donner du
travail à la classe ouvrière, nous disait qu'il insisterait énergiquement en
faveur d'un crédit demandé dans le but de venir en aide aux classes ouvrières,
que le travail était la meilleure garantie de l'ordre.
Eh
bien, je viens insister énergiquement aussi, je ne dirai pas en faveur de
l'allocation totale demandée par le gouvernement (je crois qu'il est décidé à
le réduire dans certaines proportions) ; mais pour que la (page 1289) chambre ne refuse pas au gouvernement les moyens
d'action nécessaires pour maintenir le travail industriel que la crise a
cruellement atteint.
Messieurs,
nous avons été unanimes à voter le crédit de 2 millions demandé par M. le
ministre de l'intérieur, il y a quelques jours, et destiné au travail
industriel, surtout dans les manufactures, et à l'exportation de leurs
fabricats. Nous avons été unanimes pour voter les crédits demandés pour les
travaux publics dans les Flandres, pour les travaux à la voirie vicinale, pour
l'occupation des classes agricoles. Chaque fois que le gouvernement, depuis
quelques années, est venu demander à la législature des sommes considérables
pour venir au secours de l'industrie linière qui se débat dans une crise
fâcheuse, ces crédits ont été votés sans opposition. Jamais nous n'avons
marchandé de tels sacrifices.
Eh
bien, je ne comprendrais pas l'opposition qui serait faite à la demande du
crédit destiné à procurer du travail aux classes ouvrières dans les provinces
de Liège et du Hainaut. Ce crédit doit empêcher en définitive que les hauts
fourneaux qui restent encore en activité ne s'éteignent ; que les houillères et
les ateliers de construction de machines ne se ferment, en jetant ainsi dans une
ruine complète les industries nombreuses qui se rattachent aux deux grandes
industries de la houille et du fer.
Messieurs,
j'ai entendu répéter bien souvent, depuis quelque temps, dans nos discussions
cette vérité, qu'il fallait assurer l'ordre par le travail ; eh bien, croit-on
que le jour où les nombreuses populations ouvrières échelonnées le long de la
frontière de France depuis Liège jusqu'à Mons, seront sans travail, jetées sur
le pavé des rues, en proie à toutes les séductions, à la merci de tous les
agitateurs ; croit-on qu'alors un grave danger n'existera pas pour le pays !
Je
puis le dire à la chambre comme en ayant été récemment témoin, les populations
laborieuses de l'arrondissement qui m'a envoyé ici sont admirables de
résignation et décourage patriotique. 5 à 6 mille ouvriers de l'arrondissement
de Charleroy sont maintenant sans travail ; les ouvriers encore occupés n'ont
en général qu'une demi-journée ou même qu'un quart de journée de travail.
Eh
bien, cette situation, ils s'y résignent, parce qu'ils savent que les
industriels partagent leurs sacrifices. Chacun sait que la crise métallurgique
ne date pas des événements du 24 février. Cette crise sévissait déjà l'année
dernière.
Les
prix du fer et de la houille sont maintenant descendus aux dernières limites de
la dépréciation. Ce fait est connu de tous ceux qui sont un peu au courant de
ce qui se passe dans ces centres de fabrication ; eh bien ! je répète que les
ouvriers se résignent à cette situation, parce qu'ils savent qu'entre les
industriels et eux, il y a solidarité de sacrifices. Mais il ne faut pas les
tenter, les décourager, en leur étant tout espoir dans une action protectrice
du gouvernement.
La
chambre me permettra de faire connaître, par quelques faits, la situation
réelle de l'arrondissement de Charleroy ; je connais moins les faits relatifs à
la province de Liège, mais je crois qu'ils sont analogues à ceux que je vais
citer.
Sur
26 hauts fourneaux existants dans le district de Charleroy, 15 sont éteints et
11 seulement sont à feu. Il résulte de ce fait, que la production de la houille
propre au coke a diminué de 4,600 hectolitres par jour. Pour les laminoirs, sur
87 fours à puddler existants dans cet arrondissement, 44 sont éteints et 33
seulement sont en activité. L'extraction du charbon a diminué de près d'un
tiers. Les prix des fontes, du fer et de la houille ont baissé de 30 et 40 p.
c. depuis un an.
Voilà
la situation réelle de ces industries frappées presque aussi rudement que
l'industrie linière.
Vous
savez, messieurs, que ces districts industriels vivaient surtout des débouchés
importants de la France et de l'Allemagne. Or, ces débouchés ont été
brusquement fermés. La consommation ordinaire à l'intérieur s'est restreinte
considérablement.
D'un
autre côté, les péages exorbitants qui grèvent les transports sur le canal de
Charleroy ne permettent pas de lui donner plus de développement.
Si
nous ne trouvons pas des débouchés ou des moyens de vente immédiate, je le dis
à la chambre, avant un mois, presque toutes ces usines, après avoir épuisé tous
les sacrifices, seront fermées, et je vous le demande à tous, cet état de
choses n'est-il pas de nature à exiger quelques efforts pour l'éviter ? Que
demandons-nous ? Venons-nous mendier l'aumône de quelques subsides, de quelques
avances ou prêts à partager entre les établissements industriels ?
Non.
L'Etat est possesseur du réseau de nos chemins de fer, l'Etat est le plus grand
consommateur de fer du pays ; le chemin de fer de l'Etat est un grand atelier
national, un puissant instrument de travail. Que demandons-nous ? Que dans ce
moment où nous sommes tous préoccupés du besoin de venir au secours des classes
ouvrières, les travaux utiles, nécessaires, urgents à faire au chemin de fer,
ne soient pas suspendus ; nous demandons que, sur les 25 millions réclamés par
le gouvernement, dans le premier projet d'emprunt général, pour l'achèvement du
railway, on autorise le ministre à dépenser 5 ou 6 millions en travaux
immédiatement utiles ; nous demandons que cet atelier national, on ne le ferme pas
tout à fait.
Nous
engageons les villes, les communes, les particuliers à exécuter tous les
travaux possibles, dans les limites de leurs ressources ; nous leur demandons
de s'imposer des sacrifices dans l'intérêt des classes ouvrières, et nous
viendrions, dans ce moment même, conseiller au gouvernement de donner l'exemple
de l'inaction, d'ajourner des travaux indispensables ! Ce serait une
désastreuse économie.
J'ai
une observation critique à adresser au ministre relativement au crédit demandé.
J'ai vu avec surprise et regret que, dans le chiffre primitif de 7 millions
demandé par le gouvernement, 1,600 mille francs, c'est-à-dire 1/5 seulement,
étaient destinés directement à ce que j'appellerai le travail industriel.
Un
million et demi représente cinq à six millions de kilogrammes de rails ; en les
répartissant entre les sept ou huit établissements qui existent dans le pays,
cela forme un contingent moyen de 7 à 800 mille kilogrammes par usine.
Or,
c'est à peine de quoi les alimenter pendant deux mois au plus, en supposant le
travail de la journée réduit aux proportions actuelles. Eh bien, c'est là,
selon moi, une mauvaise répartition. Je voudrais que le gouvernement dépensât
moins en constructions de loges de gardes, de bâtiments de stations et autres
ouvrages de même nature et dépensât un peu plus en travail industriel.
La
section centrale qui a examiné le projet d'emprunt vous l'a dit avec beaucoup
de raison dans son rapport, c'est du travail industriel qu'il faut surtout se
préoccuper. Je ne veux pas dire assurément que le gouvernement ne doive pas une
égale sollicitude à tous les travailleurs, mais il me paraît évident que c'est
dans les grands centres de fabrication que la crise sévit avec le plus
d'intensité.
L'honorable
M. Orban vous a fait observer, il y a peu de temps, que dans cette saison, les
travaux des campagnes étaient abondants ; la souffrance des classes ouvrières
agricoles se trouve ainsi allégée. (Interruption.)
Mais
là où il faut surtout assurer l'ordre par le travail, c'est dans nos centres
industriels menaces d'une entière stagnation dans la production.
Messieurs,
le gouvernement a proposé deux genres de moyens pour venir en aide aux classes
laborieuses et au travail industriel. Pour les manufactures de tissus, pour
Gand, Bruxelles, Tournay et les autres localités industrielles, le gouvernement
vient en aide, par des avances faites aux fabricants et par des mesures
destinées à provoquer des exportations ; je ne parle pas des négociations
possibles avec des pays voisins, mais bien des espérances peuvent se réaliser
de ce côté.
Pour les provinces métallurgiques, le moyen
proposé est d'exécuter au chemin de fer des travaux utiles et d'alimenter ainsi
les usines qui, à leur tour, donnent de l'activité aux houillères. Nous ne
réclamons donc pas une intervention artificielle de l'Etat, c'est un travail
régulier et profitable au pays dont nous demandons l'exécution, dans des
limites restreintes et j'ajouterai : insuffisantes.
J'engage
donc le gouvernement à y réfléchir mûrement. Je ne demande pas qu'il renonce
aux travaux de terrassement et de construction dans les stations, mais je pense
qu'on a exagéré ce genre de dépenses et qu'on a restreint beaucoup trop les
allocations destinées au maintien du travail industriel, de tous le plus
menacé.
M. de Brouckere, rapporteur.
- Je répondrai quelques mots aux honorables préopinants qui viennent de prendre
la parole.
Le
gouvernement, en nous soumettant le projet de loi que nous discutons, s'est
proposé un double but. D'abord de compléter les travaux et les fournitures que
le chemin de fer réclame d'une manière plus ou moins urgents, en second lieu de
fournir de l'ouvrage aux ouvriers qui en manquent.
D'un
côté il est certain que le chemin de fer exige encore des travaux des fournitures
que l'on ne pourrait ajourner sans inconvénients, je pourrais presque dire,
pour quelques-uns de ces travaux, sans danger.
D'autre
part, c'était un devoir pour le gouvernement de venir réclamer de la chambre
des fonds qui le missent à même de fournir du travail à la classe ouvrière, qui
est aujourd'hui dans un état de souffrance que personne ne saurait méconnaître.
C'était pour le gouvernement un devoir d'humanité ; car bon nombre d'ouvriers
habitués à vivre honorablement à l'aide du travail auquel ils se livraient sont
plongés aujourd'hui dans la plus profonde misère. C'était pour lui un devoir de
reconnaissance ; car la conduite des ouvriers dans ces derniers temps a été
admirable. Sur tous les points du royaume, nous les avons vus résister à toutes
les suggestions, à toutes les excitations coupables qu'on n'a pas manqué de
leur adresser. Il devait le faire en outre par politique, par suite d'un sage
calcul ; car, comme je l'ai dit dans mon rapport, comme je tiens à le répéter,
nous devons craindre, si nous ne venons au secours de la classe ouvrière, que
l'oisiveté et le besoin ne finissent par la déterminer à écouter les
dangereuses doctrines, à suivre les mauvais exemples qui leur viennent du
dehors.
La
section centrale n'a donc pas hésité à prêter les mains aux intentions du
gouvernement.
Mais
elle a été obligée de rester dans une certaine réserve, et si elle a réduit le
chiffre qui avait été proposé, c'est par deux considérations que la chambre ne
peut perdre de vue : d'abord il ne s'agit que de parer aux besoins qui
surgiront d'ici à la fin du mois d'août. C'est là une chose convenue, sur
laquelle on est d'accord. En second lieu, nous ne pouvons nous dissimuler que
la crise industrielle qui sévit aujourd'hui peut se prolonger longtemps encore.
Il ne faut donc pas surexciter le travail ; il ne faut autoriser que celui qui
est indispensable, pour que la classe ouvrière puisse subvenir à ses besoins ;
car les sacrifices auxquels nous sommes prêts à consentir, ces sacrifices, ne
l'oublions pas, nous aurons à les répéter plusieurs fois. La crise ne finira
pas avec l'année qui (page 1290)
s'écoule, et Dieu sait si elle ne sera pas plus intense encore pendant les
années qui suivront :
L'honorable
M. Dechamps prend aux ouvriers le même intérêt que tous les membres de la
chambre. Mais à l'entendre, il n'y aurait d'ouvriers malheureux, d'ouvriers
auxquels nous devrions songer que ceux qui sont employés dans les
établissements industriels. Il n'en est pas ainsi. J'en appelle à chacun de
vous, et je ne crains que vous me démentiez, dans toutes les villes et dans une
partie de nos campagnes, la classe pauvre manque d'ouvrage, et il est de notre
devoir de lui en fournir ; or ce ne sera pas en mettant le gouvernement à même
de commander des rails, des roues et des essieux, que nous viendrons à son
secours.
Il
faut que notre sympathie, notre intérêt se répartissent sur toutes les
catégories de travailleurs, non moins sur les classes pauvres des villes et des
campagnes que sur les ouvriers occupés dans les établissements industriels,
ouvriers auxquels, du reste, je porte le même intérêt que l'honorable M.
Dechamps.
L'honorable
membre a particulièrement critiqué et le chiffre que le gouvernement avait
demandé pour fourniture de rails et la rédaction que la section centrale a
proposée sur ce chiffre. Il s'est étonné de ce que le gouvernement ne demandait
pour la fourniture .de rails qu'une somme d'environ un million et demi. Ce
n'est là, dit-il, que de quoi fournir de l'ouvrage pendant deux ou trois mois.
Eh bien, je ferai remarquer à l'honorable M. Dechamps que les fonds que nous
allons voter pourront, d'après les conclusions de la section centrale, se
dépenser d’ici au 31 août. La législature qui viendra après nous aura à
s'occuper de ce qu'il y aura à faire pour le reste de l'année.
Messieurs, en lisant le rapport de la section
centrale, vous aurez vu qu'elle s'est particulièrement appliquée à mettre le
gouvernement à même de fournir du travail aux établissements industriels dont
l'honorable M. Dechamps a parlé, et aux classes pauvres des villes et des
campagnes. Si la section centrale a émis le vœu que l'on ajournât la plus
grande partie des travaux de construction, c'est que dans ces travaux, la
main-d'œuvre entre pour une moindre part que dans les autres ; elle s'est cependant
réservé expressément son vote à cet égard.
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Je ne pense pas qu'il soit
opportun de traiter dans cette discussion la question qui a été soulevée par un
honorable membre, de savoir s'il est en effet dangereux pour l'Etat, de
s'occuper, en certaine mesure, de travaux d'utilité publique. Ce n'est ni le
moment, ni le lieu de discuter cette question. Le gouvernement se trouve en
face de nécessités tout à fait exceptionnelles ; il se trouve d'ailleurs en
présence de travaux entrepris depuis un grand nombre d'années, et qu'il
importe, en tout cas, de mener à bonne fin.
Le
gouvernement n'avait pas à choisir entre les moyens qu'il y avait à adopter en
pareille circonstance, ni à s'occuper des questions théoriques que son
intervention en semblable matière pourrait soulever.
Je
dois, quant à moi, faire quelques réserves contre l'opinion exprimée et qui l'a
été différentes fois déjà ; car je pense que l'intervention de l'Etal en
matière de travaux d'utilité publique est une chose à la fois utile et
nécessaire.
C'est
fort inutilement qu'on a cité l’exemple de l'Angleterre.
En
Angleterre, le gouvernement a exécuté de grands travaux d'utilité publique ;
sans doute l'esprit d'association et d'entreprise y a été développé beaucoup
plus qu'ailleurs. Les associations particulières y ont fait plus que dans
d'autres pays. Mais s'il faut en croire la plupart des hommes qui ont écrit sur
la matière des travaux publics, ce n'est pas précisément, d'une manière
absolue, à l'avantage de l'Etal que ces entreprises ont été faites. Aussi une
réaction très forte, une réaction puissante s'est manifestée en Angleterre
contre les grands travaux d'utilité publique exécutés par des compagnies.
Nous
avons encore à citer, sous ce rapport, l'exemple de la France. Avant même les
derniers événements qui servent d'occasion à l'examen de la question du rachat
par l'Etat de travaux d'utilité publique concédés, il est incontestable que les
esprits les plus sages ont considéré comme un véritable danger toutes ces
entreprises livrées à l'agiotage.
En
Belgique, messieurs, des tentatives ont été faites pour livrer à des
entreprises particulières l'exécution de grands travaux d'utilité publique.
Nous avons les résultats sous les yeux. On peut dire si c'est au grand bénéfice
du pays que les choses se trouvent dans l’état où elles sont. A part les
circonstances nouvelles nées de l'événement du 24 février, toutes ces
compagnies se trouvaient manifestement dans de graves embarras ; et aujourd'hui
elles accroissent les embarras de l'Etat.
'Toutefois,
je le répète, ce n'est pas une question que je veuille aujourd'hui examiner. Je
me borne à faire ces réserves.
J’ai
été étonné d'entendre le même orateur s'élever d'une manière extrêmement vive
contre le crédit sollicité par le gouvernement. Ce crédit est de 7,012,000
fr. Heureusement, vous a-t-il dit, il se trouve réduit à 3,256,000 fr. ;
car, sans cela, il aurait été de ma part l'objet d'un blâme sévère.
Messieurs,
je ne comprends pas, en vérité, l'opinion de l'honorable membre sur ce point.
Les besoins de l'Etat, en ce qui concerne les travaux entrepris et qu'il s'agit
d'achever, sont estimés, dans des projets qui sont sous les yeux de la chambre,
à une somme de 25 millions ; non pas pour faire des choses nouvelles, mais pour
achever les choses commencées. Comment pourrait-on, quelle que soit l'opinion
sur des questions de détails, adresser un blâme sévère au gouvernement pour
avoir choisi, dans cette dépense de 25 millions, les dépenses qui lui ont paru
non seulement les plus urgentes, les plus utiles, les plus indispensables, mais
les dépenses qui pouvaient le mieux, dans les circonstances graves où nous nous
trouvons, servir à donner de l'aliment à la classe ouvrière ?
Le
gouvernement a demandé 7,012,846 fr. 10 c. pour exécuter des travaux dans le
pays. Par une lettre du 2 avril que j'ai eu l'honneur d'adresser à la section
centrale, j'ai signalé les erreurs dont hier nous avons eu déjà l'occasion
d'entretenir la chambre, relativement à des dépenses arriérées s'élevant à une
somme de 441,000 fr. et à une omission qui avait été commise pour les travaux
projetés à la station d'Anvers, s'élevant à 350,000 fr. ; en tout 791,000
francs.
Pour
couvrir cette différence, sans m'écarter des crédits primitivement sollicités,
j'ai indiqué à la section centrale des réductions qu'il me paraissait possible
d’ajourner pour une valeur de 911,300 francs.
Il
résulte donc de là que le crédit pour dépenses arriérées est porté de 1,564,544
fr. 87 à 2,005,611 fr. 38, et les crédits sollicités pour travaux nouveaux à
6,454,546 fr. 10 c.
Voilà,
messieurs, à quoi se réduit en définitive la proposition du gouvernement.
Environ 6 millions 1/2 de francs.
La
section centrale propose de réduire :
1°
Pour loges de gardes, 284,050 fr.
2°
Pour bâtiments de stations, 898,300 fr.
3°
Pour doubles voies, 1,257,023 fr. 60
4°
Pour matériel, 1,027,000 fr.
5°
Pour le raccordement de la station de Gand avec l'entrepôt, 200,000 fr.
6°
Pour le raccordement de la station de Bruges avec l'entrepôt, 110,000 fr.
En
tout, 3,776,363 fr. 60
c.
La
pensée qui avait dirigé le gouvernement se trouve par cela même complètement
bouleversée. La pensée qui avait dirigé le gouvernement, si toutes ces réductions
étaient adoptées, ne pourrait pas s'accomplir, et la pensée même qui paraît avoir dirigé la section centrale, qui
vient d'être exprimée tout à l'heure par L'honorable M. de Brouckere, ne
pourrait pas en réalité non plus être accomplie.
En
faisant les propositions dont je viens d'indiquer les chiffres, le gouvernement
n'a pas pu se laisser diriger par un esprit de localité. Le gouvernement n'a
pas pu prendre en considération exclusive telle ou telle classe de
travailleurs. Le gouvernement a dû prendre en considération la situation de
tous les travailleurs en général, et c'est pourquoi, messieurs, ces
propositions se répartissent avec une équité que vous devez apprécier.
Dans
les propositions du gouvernement on rencontrait pour les ouvriers de métiers,
pour les maçons, les menuisiers, les charpentiers, les serruriers, classe de
travailleurs qui n'est pas moins intéressante que toute autre, on rencontrait
une somme de 1,200,000 fr. Cette somme doit être dépensée dans toutes les
localités, dans les principales localités du pays.
Nous
avons pensé, messieurs, que l'on ne devait pas négliger cette classe de
travailleurs. Les circonstances ne permettent pas qu'elle ait l'ouvrage
habituel, car aujourd'hui peu de personnes entreprennent des constructions ; on
achève ce qui est commencé, mais certainement ce n'est pas le temps de mettre
la main à l’œuvre pour de nouvelles entreprises ; personne n'y pensera. Il y a
donc, il doit y avoir, il est certain qu'il existe un grand nombre d'ouvriers
de la catégorie que je viens d'indiquer, auxquels il est utile, il est
nécessaire, il est humain de donner du travail.
Il
y avait dans les propositions du gouvernement, pour les terrassements, les
pavages, la pose des voies, également répartis sur une foule de localités du pays,
une somme de 1,400,000 fr. C'était encore pour venir en aide aune classe
spéciale de travailleurs.
Pour
les établissements métallurgiques, il y avait, du chef de rails et accessoires,
une somme de 1,600,000 fr., et, messieurs, bien que je reconnaisse le fondement
des observations de l'honorable M. Dechamps, en ce qu'il n'y aurait du travail
que pour un temps limité, je croyais et je crois encore que, vu les
circonstances dans lesquelles le pays se trouve, c'était assez de porter une
somme de 1,600,000 fr. pour cette catégorie de travailleurs.
Enfin, messieurs, pour les ateliers de
construction, il y avait des locomotives, des voitures, des waggons, pour une
somme de 2 millions de francs.
Ces
explications doivent convaincre la chambre que le gouvernement avait considéré
avec attention,, comme il le devait, la véritable position des ouvriers et
recherché les moyens de leur venir en aide.
Maintenant,
messieurs, la section centrale propose de supprimer tout ce qui concerne la
première catégorie de travaux, et, quoi qu'en ait dit l'honorable M. de
Brouckere, les propositions de la section centrale ont cette conséquence que,
voulant venir en aide à cette catégorie d'ouvriers, elle ne veut pas accorder
un centime au gouvernement pour les aider.
M. de
Brouckere, rapporteur. - Me permettez-vous de dire un mot
?
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Volontiers.
M. de Brouckere. -
Je n'ai, en effet, présenté aucun chiffre pour les constructions ; mais vous
pouvez voir dans mon rapport, que j'ai ajouté : « Peut-être serait-il
convenable d'accorder une partie de ce crédit pour les constructions urgentes ;
la discussion fournira, à cet égard (page
1291) des renseignements qui nous manquent. » Les constructions n'ont donc
pas été rejetées d'une manière absolue. Nous admettons que certains travaux
pourront s'exécuter. »
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - La chambre comprendra que
j'examine les propositions faites et non pas les réserves qui se trouvent dans
le rapport.
Je
reconnais que la section centrale et l'honorable M. de Brouckere en
particulier, ont témoigné le désir que l'on fît quelque chose pour cette classe
de travailleurs ; mais il me paraît que
l'on devait allouer tout au moins dans cette pensée-là une grande partie du
chiffre sollicité par le gouvernement. J'indiquerai tout à l'heure ce qui
pourrait être compatible avec les exigences de la situation, si l'on ne veut
pas accorder la totalité du crédit, et j'espère que la chambre sera unanime
pour reconnaître qu'il faut tout au moins rétablir une somme assez notable,
afin de permettre au gouvernement de venir en aide à cette catégorie de
travailleurs.
En
fait de doubles voies, on a supprimé 1,257,000 fr. Je ne vois plus ce qui peut
rester, encore une fois, pour les travailleurs que cet objet concerne. Comme je
l'avais indiqué, c'est à peu près insignifiant.
Pour
le matériel des transports, on a supprimé 1,027,000 fr. Evidemment, messieurs,
il y a là dans les réductions une exagération que vous ne pourrez pas
approuver. C'est placer le gouvernement dans l'impossibilité de faire le bien
que tout le monde indique, que tout le monde veut, que tout le monde désire. Il
faut bien que le gouvernement en ait les moyens. Le gouvernement doit
s'adresser à un nombre considérable d'ouvriers ; il doit répartir les fonds
alloués de manière qu'ils puissent profiter au plus grand nombre possible. C'est
donc, messieurs, pour chaque localité, en définitive, une somme fort peu
considérable qui est sollicitée.
Je
crois, messieurs, qu'il sera nécessaire de porter à 5 millions la somme qui
sera accordée au gouvernement, au lieu de 3,236,000 fr. qui ont été indiqués
par la section centrale.
Je
crois qu'il est nécessaire de donner au gouvernement le moyen de faire des
loges de gardes pour la somme de 200,000 fr. Ces loges de gardes sont de
petites constructions. Je ne les considère pas au point de vue de l'utilité
pour le railway, bien qu'elles soient indispensables, surtout dans les
circonstances actuelles ; le chemin de fer doit être gardé, bien gardé, et si
on voulait organiser les services de nuit, il serait impossible de le faire
sans avoir ces loges de gardes. Je dis qu'il y a nécessité de fournir de
l'ouvrage à certaines catégories de travailleurs que j'ai indiquées et de
donner au gouvernement, pour cet article, une somme de 200,000 fr.
Pour
cet article comme pour les bâtiments des stations, la section centrale me paraît être tombée dans une erreur très
grande. Elle a dit et l'honorable M. de Brouckere vient de répéter qu'elle
s'était attachée à n'autoriser que les travaux devant employer beaucoup de
main-d'œuvre ; mais dans ces diverses constructions tout est manipulation, tout
est main-d'œuvre ; les 8 ou 9 dixièmes, au moins, sont main-d'œuvre. (Interruption.) L'honorable M.
Vandensteen dit : Non ; eh bien examinons quelle est la valeur de matière
première des briques ? C'est insignifiant, la valeur des briques est en
totalité à très peu de chose près acquise par la main-d'œuvre. Quelle est la
valeur de matière première des pierres employées aux constructions ? Elle est
insignifiante, c'est de la main-d'œuvre, c'est parce que la pierre a été
travaillée, transportée, parce que la pierre est employée, qu'elle acquiert la
valeur qui lui est assignée dans la dépense totale.
C'est
pour ces motifs, messieurs, que je demande le crédit dont je viens de parler,
ainsi qu'une somme pour les bâtiments des stations ; et, à cette occasion, je
dois déclarera la chambre que l'on s'est mépris sur le projet du gouvernement,
quant à ces bâtiments des stations. Quelques personnes ont pensé que le
gouvernement avait l'intention de faire ces grands bâtiments de stations qui sont
en projet et qui devront être faits quelque jour, lorsque les circonstances le
permettront, d'achever, par exemple, la station du Nord à Bruxelles ; c'est là,
messieurs, une erreur.
Le
gouvernement n'a indiqué dans ses propositions, notamment pour la station du
Nord, que 170,000 francs, et sur ces 170,000 francs, une somme peu considérable
sera employée aux fondations et soubassements d'une partie du bâtiment de la
station. Le reste doit être dépensé en travaux moins importants, il est vrai,
mais nécessaires, urgents, dans l'intérêt même de la station. Un hangar est
indispensable pour remiser les locomotives.
Je
pense qu'il faut ajouter une somme de 428,897 fr. 80 cent, pour aliments des
stations.
Pour
les doubles voies, les propositions de la section centrale doivent être au
minimum, augmentées de 524,629 fr. 70 cent., et il me semble impossible qu'on
ne l'accorde pas. Voici pourquoi :
Le
gouvernement a proposé d’exécuter des doubles voies, de Bruges à
Plasschendaele, etc. ; la section centrale alloue une somme ronde d'un million
; mais avec ce million, je ne pourrais exécuter complètement aucune des
catégories des doubles voies que j'ai signalées ; je ne puis pas faire mettre
la main à l'œuvre et ne pas achever les travaux ; il faut que des fonds soient alloués
pour faire et achever une certaine catégorie de travaux ; trois doubles voies
importent non pas un million, mais 1,324,629 fr. 70 c. Il y a donc lieu de
compléter le crédit alloué par la section centrale.
Pour
le matériel, il est impossible que je me restreigne à la somme indiquée par la
section centrale ; la section centrale elle-même l'a reconnu ; cela
résulte implicitement des termes de son rapport ; la somme est tout à fait
insuffisante pour qu'on puisse convenablement alimenter les nombreux ateliers
où se font les locomotives, les voitures, les waggons. Il y aurait lieu
d'augmenter le crédit d'une somme de 500,000 fr.
Veuillez
remarquer qu'avec la somme d'un million, au lieu de 2,027,000 fr. demandés par
le gouvernement, il ne sera guère possible d'entreprendre des travaux du
matériel que dans une limite extrêmement restreinte. Dix locomotives seulement
sont proposées.
M.
de Man d'Attenrode. - Il y en a encore six autres.
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Ces 6 locomotives ne sont pas en
confection, elles sont livrées ; le prix en est compris dans le crédit
supplémentaire, la chambre est parfaitement libre de rejeter même cette partie
du crédit ; c'est un marché que j'ai cru devoir contracter, sous la réserve
toutefois de l'allocation du crédit par la législature.
Pour
en revenir aux dix locomotives qui sont proposées et qui absorberont 600,000
fr., je répartirai ce travail entre les divers établissements qui s'occupent de
ce genre de fabrication ; mais à raison du nombre de ces établissements, et de
celui des locomotives à construire, il y aura peu de travail pour les
établissements de cette espèce ; un de ces établissements pourrait construire
les dix locomotives en dix semaines.
Les
dix locomotives absorberont 600,000 francs sur le million alloué par la section
centrale. Il y a cependant à construire des diligences, des waggons couverts à
voyageurs ; plus aujourd'hui que dans toute autre circonstance, il y a lieu de
faire ce travail, car la fabrication des voitures de luxe est, sinon totalement
suspendue, au moins considérablement ralentie dans tout le pays. Ainsi, outre
la nécessité qui existe, de faire confectionner le travail dont je parle, il
est indispensable qu'on puisse faire des commandes aux carrossiers.
Les
waggons à marchandises, au nombre de 500, ont été évalués à une somme de
1,100,000 francs, de sorte qu'en demandant 500,000 fr. de plus que n'alloue la
section centrale, je serai obligé de réduire encore d'une manière très notable
le nombre des objets à faire confectionner.
Restent
deux articles qui ont été rejetés par la section centrale ; l'un de 20,000
francs pour le raccordement de la station de Gand avec l'entrepôt ; l'autre de
110,000 francs pour le raccordement de la station de Bruges avec le bassin de
commerce.
Déjà,
messieurs, la chambre a voté 235,000 francs pour le raccordement de la station
de Gand avec l'entrepôt. La chambre, en accordant cette somme, a décidé que
l'intervention de l'Etat ne pourrait aller au-delà des 235,000 fr., le surplus
devant être fourni par la ville elle-même. Je dois déclarer loyalement que
lorsque j'ai fait la proposition d'allouer la somme supplémentaire de 200,000
fr., je n'avais pas la loi sous les yeux, je ne savais pas qu'il y eût un
précédent, et j'ai demandé cette somme de 200,000 fr. dans la conviction qu'il
y avait toute latitude, que la proposition des 235,000 fr. avait été faite sur
des bases erronées.
Cependant
je n'en persiste pas moins à solliciter la somme de deux cent mille francs,
fût-ce à titre d'avance, sauf à l'Etat à faire un arrangement avec la ville de
Gand. Dans les circonstances actuelles, il est impossible que la ville de Gand
fournisse les 200 mille francs qui seraient nécessaires pour exécuter le projet
de raccordement.
La
ville de Gand sollicité au contraire des subsides de l'Etat ; elle s'est
adressée récemment à mon département pour un autre travail d'utilité publique
qu'elle se déclare impuissante à exécuter. Ce travail de raccordement est
considéré comme utile, un vote de la chambre l'atteste, il pourrait donner de
l'ouvrage à un très grand nombre d'ouvriers ; il comprend des terrassements
pour une somme notable.
Il
en est de même pour la station de Bruges ; le raccordement estimé 110 mille
francs est considéré comme très utile ; il donnerait de l'ouvrage à un très
grand nombre d'ouvriers dans une localité qui renferme une masse d'hommes sans
travail. Tout ce que je viens d’énumérer importe 1,763,727 fr. 50 c. qui me
donnent en somme ronde, avec les trois millions 236,000 fr. de la section
centrale, le chiffre de 5 millions que j'ai annoncé. Ainsi le projet primitif
de 6,451,546 fr. 10 c. serait réduit à 5 millions.
D'après
les explications que j'ai eu l'honneur de donner et celles que la chambre a
entendues de divers membres, notamment de l'honorable M.. Dechamps, la chambre
doit être convaincue qu'à l'aide de la somme de 5 millions, il ne serait
possible d'entreprendre des travaux dans les localités les plus importantes du
pays que pour un temps limité et qu'il est démontré, dès ce moment, que la
plupart des travaux, sinon tous, seraient achevés pour l'époque du 1er
septembre, et qu'en tout cas la plus grande partie de la somme indiquée se trouverait
engagée.
C'est pourquoi aussi je ne puis accepter des crédits
insuffisants. Si je ne suis pas autorisé par le vote des crédits, je me
garderai bien d'engager une somme quelconque, pour des travaux qui devraient
être ultérieurement poursuivis, car l'on me reprocherait d'avoir lié les
chambres sans leur assentiment. Je n’ai pas besoin de m'appesantir sur les
considérations tirées des circonstances où nous nous trouvons ; tout le monde
en sent le poids, tout le monde les apprécie, ce serait vouloir démontrer
l'évidence.
-
M. Delfosse remplace M. Liedts au fauteuil.
M. de Garcia. -
J'avais demandé la parole pour protester contre une observation de l'honorable
M. Dechamps ; mais ce que viennent de dire et M. le rapporteur et M. le
ministre des travaux publics rend ma tâche très facile.
(page 1292) Suivant l'honorable M.
Dechamps, les ouvriers des campagnes trouveraient en ce moment suffisamment de
travail dans les champs.
Dans
une autre circonstance, j'ai déjà eu l'occasion de relever tout ce qu'il y a
d'erroné dans une assertion semblable. L'ensemencement des grains de mars et
les travaux de jardinage sont presque terminés dans les campagnes. Or, je le
demande, après ces travaux, que reste-t-il aux ouvriers des campagnes pour les
occuper jusqu'au mois d'août ? Rien, absolument rien ; et je défie qu'on prouve
le contraire.
L'assertion
de l'honorable M. Dechamps doit donc être considérée comme dénuée de tout
fondement.
On
ne peut se le dissimuler, dans le moment actuel, l'habitant des campagnes, lui
aussi, se trouve dans un état de misère et de pénurie. Cet état résulte surtout
du vil prix où sont tombés le bétail et les céréales de toutes espèces. Sans
doute je me félicite de cette circonstance, qui est de nature à adoucir la
position des populations concentrées dans les villes ; mais au moins qu'on en
tienne compte, pour donner du travail à la classe intéressante des ouvriers des
campagnes. Je maintiens ce que j'ai dit dans une autre circonstance ; une
quantité de bras restent sans occupation dans les communes rurales, et ce qui
le prouve, c'est que la mendicité y sévit avec plus d'intensité que jamais.
Ceux
d'entre nous qui ont quelque fois l'occasion de visiter ces localités ne
peuvent contester la vérité de ce fait. Il y a maintenant plus de mendiants que
l'année dernière et l'année précédente. A cette occasion j'ai déjà dit, et je
le répète aujourd'hui, que si le gouvernement voulait faire cesser la
mendicité, les communes seraient écrasées sous le poids de charges qu'elles ne
pourraient supporter et qui, en dernière analyse, devraient retomber sur
l'Etat.
Puisque
j'ai la parole, je présenterai quelques considérations générales sur le projet
de loi. Nous sommes tous d'accord sur un point : c'est qu'il faut donner du
travail à la classe malheureuse. Aucune circonstance plus que celles dans
lesquelles on se trouve ne peut militer en faveur d'une pareille mesure, mais
il faut le faire dans le cercle des ressources du pays.
Il
ne faut pas perdre de vue que les dépenses que nous sommes appelés à voter pour
cet objet, ne reposent que sur un emprunt forcé, qui au fond ne constitue
nullement des voies et moyens nouveaux. Nous ne sommes saisis d'aucun projet de
loi pour amener des économies dans les administrations de l'Etat, d'aucune
proposition de loi financière pour faire face aux dépenses que nous avons
décrétées et à décréter. Au fond, pour atteindre ce but nous ne faisons qu'une
chose, nous doublons, triplons les contributions de toute espèce ; mais, à
proprement parler, l'on ne crée pas les moyens de couvrir ces dépenses. L'on ne
peut sans doute persister dans ce système.
Or,
je le demande, que fera-t-on l'année prochaine ? Croit-on peut-être que les
circonstances nous permettront de faire un emprunt volontaire ? Il ne faut pas
se bercer de cet espoir, qui, à mes yeux, ne constitue qu'une illusion
décevante. Pour sortir de la position actuelle, il faut donc aborder
franchement la question des économies dans les diverses branches du service
public, il faut aborder franchement des bases nouvelles d'impôts nouveaux, et
ne pas continuer à faire peser sur quelques catégories de contribuables toutes
les charges de l'Etat.
Il
est vrai qu'on a présenté un projet de loi sur les successions.
Nous
sommes saisis d'une proposition concernant l'impôt sur le sucre. Mais ce n'est
pas assez ; le tabac, objet essentiellement de luxe, puisque chacun peut s'en
passer, doit enfin payer son contingent.
Dans
d'autres moments, quand nos finances, sans être dans un bon état, n'étaient pas
aussi délabrées qu'aujourd'hui, une loi présentée dans le but d'augmenter les
revenus du trésor fut mal accueillie par cette assemblée ; mais on doit en
revenir à cette matière très imposable, et qui, selon moi, devrait produire au
trésor de 8 à 10 millions.
Je
n'hésite pas à le déclarer, je ne reculerai devant aucune mesure proposée pour
atteindre un résultat aussi désirable. Je considère cet impôt comme l'un des
plus justes qui puissent être établis, puisque le tabac est un objet de
fantaisie, et que la contribution qui le frapperait ne serait jamais supportée
que bien volontairement par ceux qui se la donnent : pour obtenir des
ressources pour le trésor, c'est toujours à l'emprunt personnel, à l'emprunt
foncier, aux patentes qu'on s'adresse ; on double, on triple ces impôts ; mais,
en général, il semble que ce soient toujours les mêmes contribuables qui
doivent supporter les charges de l'Etat. Evidemment on doit sortir de cette
routine injuste.
Quand
nous discuterons le projet d'emprunt, je proposerai des économies. Je signalerai
dès aujourd'hui un point à l'attention de la chambre. Je demanderai si, dans
les circonstances où se trouve le pays, et en présence des réductions réclamées
sur le corps diplomatique, l'on ne pourrait faire une retenue de 25 p. c. sur
les traitements excédant 20,000 fr. Une réduction semblable, qui ne serait
d'ailleurs pour les titulaires qu'un placement à 5 p. c, me paraît devoir mériter l'attention de la
chambre.
Dans
des moments difficiles tels que ceux où nous nous trouvons, je crois que les traitements
de 20 à 25,000 fr. pourraient être largement atteints par la loi d'emprunt que
nous serons appelés à voter dans quelques jours.
Un membre.
- C'est une ressource insignifiante.
M. de Garcia. -
Je ne vois pas cela. Les traitements attachés à nos ambassades principales sont
élevés, et une retenue un peu notable doit produire des économies dignes
d'attention dans notre état financier.
Ces
traitements, si ma mémoire est fidèle, roulent dans le cercle suivant :
A
Londres, 80,000 fr.
A
Paris, 60,000 fr.
A
Berlin, 60,000 fr.
A
Francfort, 40,000 fr.
A
la Haye, 80,000 fr.
Je
pourrais augmenter cette nomenclature par la citation d'autres postes diplomatiques,
qui tomberaient sous l'application de la proposition que je ne fais
qu'indiquer.
Si
l'on faisait la réduction de 25 p. c. sur tous les traitements de 20 mille
francs et au-dessus, les économies que je désire seraient incontestables au
point de vue de leur importance.
Une
mesure semblable présente un double avantage dans ses résultats, le premier est
de réaliser des économies dans nos dépenses ; le second est de mettre à la
disposition du gouvernement des fonds et des ressources pour donner du travail
aux classes ouvrières et assurer leur existence dans les moments difficiles où
se trouve le pays.
Il
me reste une dernière observation à présenter, ou plutôt une demande à faire à
M. le ministre des travaux publics. Il nous a indiqué la plupart des travaux à
l'exécution desquels il s'agit de pourvoir. Je lui demanderai s'il entre dans
ses intentions de faire exécuter ces travaux en régie. Je tiens beaucoup à ce
que ce mode soit suivi autant que possible, je le considère comme le plus
avantageux, et même comme le seul qui puisse réaliser les vues bienveillantes
qui nous animent tous envers les malheureux qui réclament du travail.
Je tiens à ce que le gouvernement tienne ce mode
d'agir dans la dépense des subsides qu'il demande, parce que je veux que ces
fonds offrent la ressource la plus complète à la classe ouvrière, et que je ne
veux pas qu'ils puissent, au détriment de cette dernière ou du trésor public,
servir à enrichir quelques entrepreneurs.
Je
prie donc M. le ministre de vouloir nous faire connaître ses intentions à cet
égard.
M. de
Corswarem. - Messieurs, l'honorable M. Dechamps nous a dit
tantôt qu'il s'étonnait de la résistance que rencontre le projet de loi. Pour
moi je ne suis nullement étonné de voir la résistance contre toutes les
dépenses qu'on croit pouvoir être ajournées. Je crois que le plus grand danger
dans lequel nous nous trouvons, c'est le danger financier. Notre situation
financière est ce qu'il y a de plus redoutable en ce moment pour notre pays. Nous
devons donc nous borner aux dépenses inévitables et ajourner celles qui ne sont
qu'utiles, celles même qui sont indispensables, s'il y a possibilité de les
ajourner encore quelque temps.
On
demande aujourd'hui beaucoup de fonds aux propriétaires et aux cultivateurs,
surtout pour donner de l'ouvrage à la classe ouvrière des villes ; mais en
procédant ainsi on va priver le propriétaire, le cultivateur de la faculté de
faire travailler la classe ouvrière des campagnes. En opérant ainsi on déplace
le travail, on l'enlève à une classe d'ouvriers pour le donner à une autre.
Voilà toute l'opération.
C'est
un devoir, a dit l'honorable M. de Brouckere, de donner du travail aux ouvriers
qui en manquent. Je suis absolument de son avis.
Mais
il ne faut pas donner de l'ouvrage seulement aux ouvriers qui font du bruit
dans les rues ; il faut en donner aussi à ceux qui souffrent en silence, qui ne
fêtent pas régulièrement le lundi, qui n'ont d'autres habitudes que celles de
l'ordre et de l'économie.
Je
crois que ce sont les plus nombreux, les plus dociles, et qui méritent le plus
la sollicitude du gouvernement et du pays.
Tous
les sacrifices, on les demande à la propriété et à l'agriculture. Dès que le
pays a des besoins, c'est le puits où l'on va puiser. Aujourd'hui, l'on veut
enlever à ces deux sources, en leur prenant leur argent, la faculté de pouvoir
faire travailler les ouvriers qu'elles employaient ordinairement.
Ce
n'est pas seulement directement qu'on exige des sacrifices de leur part ; on en
exige aussi indirectement : on veut que toutes les denrées qu'elles produisent
soient à bas prix pour favoriser les habitants des villes. Avec ce système,
l'avilissement des prix des grains sera tel d'ici à peu de temps, que nous
aurons une crise agricole plus redoutable que la crise industrielle. Que
deviendrons-nous alors ? A qui nous adresserons-nous pour venir au secours de
l'industrie agricole ?
Un membre.
- A l'industrie.
M. de
Corswarem. - Je suis curieux de voir les secours qu'on
pourrait lui demander.
Une
chose qu'on ne doit pas perdre de vue, c'est que pour donner de l'ouvrage à
cent ouvriers des fabriques ou des villes, on est obligé d'enlever de l'ouvrage
à mille ouvriers des campagnes.
Dernièrement,
nous avons voté un crédit de 2 millions qui n'est qu'un à-compte sur un crédit
plus considérable à allouer au ministre de l'intérieur. D'après le projet
primitif du gouvernement, une partie de ce crédit devait être affectée à la
voirie vicinale. Mais d'après les termes dans lesquels le projet a été rédigé à
la section centrale, je crains que la voirie vicinale ne tirera pas grand-chose
de ces deux millions, parce qu'elle ne sait pas crier aussi haut que
l'industrie ; elle ne sait à quelle porte il faut frapper, tandis que
l'industrie le sait fort bien en criant très haut ; elle le fait en menaçant de
mettre ses ouvriers à la rue. Je crois que les fonds votés profiteront en
grande partie à l'industrie. Je ne le regrette pas. Si elle en a besoin, je
veux bien faire des sacrifices pour elle ; mais je ne veux pas qu'ils soient
exagérés, il ne faut en faire que dans la limite de nos facultés ; mais
n'allons pas au-delà.
(page 1293) La crise industrielle dure
déjà depuis quelque temps ; elle peut durer longtemps encore. Ce n'est malheureusement
que trop vrai ; mais une des causes principales de la crise industrielle, c'est
l'excès de développement de la production. Nos houillères, nos hauts fourneaux,
produisent au-delà des besoins ; un jour, il doit y avoir engorgement, la production
étant toujours la même. Et je crains fort que ce jour ne soit déjà arrivé.
Ce
développement outré de l'industrie est regrettable. L'un de nos plus grands
embarras actuels, c'est l'embarras de nos richesses industrielles.
Il
est constant qu'un mauvais jour peut arriver, et si nous nous épuisons, si nous
nous éreintons dès aujourd'hui, ne réservant pas la moindre chose pour un
moment critique, comment ferons-nous pour nous créer des ressources si jamais
il nous arrive. Comment résisterons-nous à l'orage s'il éclate sur notre tète ?
Il nous renversera infailliblement.
Les
sacrifices que nous faisons aujourd'hui, a dit l'honorable rapporteur de la
section centrale, doivent se répéter plusieurs fois, cette année et les années
suivantes. Mais si nous nous épuisons, quels sacrifices pourrons-nous faire
dans l'avenir ? Nous devons cependant réserver quelques ressources pour parer
aux éventualités fâcheuses que nous pourrons rencontrer dans la suite. Je
voudrais qu'on m'en indiquât le moyen, si dès aujourd'hui on exige les plus
grands efforts des contribuables.
A
qui demande-t-on ces sacrifices ? A l'industrie ? Nullement ; on les demande à
la propriété, à l'agriculture pour venir au secours de l'industrie.
L'honorable
ministre des travaux publics nous dit qu'il se trouvait en présence de travaux
commencés qu'il importe de mener à bonne fin. Je conviens qu'il y a beaucoup de
travaux commencés. Mais il n'importe pas de les mener indistinctement et
immédiatement tous à bonne fin. Il y en a dont on peut ajourner l'achèvement
jusqu'à des temps meilleurs. Je voudrais donc allouer seulement les fonds pour
l'achèvement des travaux qui ne peuvent être remis à d'autres temps.
C'est
ainsi, par exemple, que M. le ministre persiste à nous demander 200,000 fr.
pour construction de maisons et loges de gardes sur le chemin de fer.
Messieurs, c'est là sans doute une dépense inévitable que nous devrons faire un
jour. Mais je crois que les loges et les maisons provisoires qui existent
aujourd'hui, peuvent encore suffire pendant quelque temps.
Il
est une chose essentielle à remarquer, c'est que les gardes touchent
régulièrement leurs salaires et se trouvent dans une position beaucoup plus
avantageuse que bien des contribuables qui payent des impôts, même assez
élevés.
Le
service qu'ils font, je crois qu'ils peuvent encore continuer aie faire dans
les loges actuelles et que l'on peut sans inconvénient remettre à d'autres
temps la construction de loges définitives, pour lesquelles on nous demande
200,000 fr. pour commencer. Je refuserai donc mon vote à ce premier crédit.
On
avait en premier lieu pétitionné 898,300 francs pour bâtiments de stations.
D'après les développements à l'appui de l'exposé des motifs, de cette somme,
179,000 fr. devaient être dépensés à la façade de la station du Nord à
Bruxelles.
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.
M. de
Corswarem. - Aujourd'hui M. le ministre dit qu'on
n'emploiera pas toute cette somme à la façade et qu'elle servira aussi à
d'autres constructions ; mais que dans la suite il faudra une somme plus grande
pour achever la façade.
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Vous avez lu à l'annexe : «
Bâtiment de façade ; fondations, soubassement. Remise aux locomotives. Un
hangar aux voitures. Clôture ; murs en briques avec tablette de couronnement en
pierre de taille, 179,000 fr. » Vous en avez conclu qu'on allait faire la
façade des bâtiments de la station du Nord. Mais vous auriez pu, à la simple
inspection des chiffres, reconnaître qu'on ne pouvait faire la façade des
bâtiments, une remise aux locomotives, un hangar aux voitures, des murs de
clôture en briques avec tablette de couronnement en pierres de taille, pour la
somme de 179,000 fr. Ce libellé signifie qu'on fera uniquement les fondations
et le soubassement du bâtiment de face. Je n'ai donc pas proposé de faire
maintenant la façade de la station du Nord.
M. de
Corswarem. – Alors j'ai mal compris, je croyais qu'il
s'agissait de construire la façade ; il se trouve que ce ne sont que les
fondations et le soubassement de cette façade. Mais c'est là un commencement,
aussitôt qu'il sera fait, il faudra inévitablement achever le bâtiment ; et il
me paraît que nous pouvons encore
attendre pour nous engager dans une pareille dépense.
Dans
les crédits se trouve aussi comprise une somme de 235,000 fr. pour bâtiments à
la station de Gand. Je conviens que les bâtiments existants doivent être
renouvelés un jour, mais ils peuvent encore servir pendant plusieurs années.
130,000
fr. sont demandés pour bâtiments de recettes à Charleroy. Il existe aujourd'hui
un bâtiment de recette. Tant qu'il peut durer, conservons-le, et quand nos
finances seront en meilleur état, nous le remplacerons.
65,000
fr. pour un hangar à Liège. Je crois que ce hangar est utile et que nous
devrons le faire. Mais remettons toutes ces constructions à un moment plus
favorable.
Aujourd'hui,
M. le ministre réduit à 428,897 fr. le crédit pour les stations. Mais il ne
nous dit pas à quels bâtiments il veut employer cette somme.
De
sorte qu'il pourra les employer de telle manière que bientôt nous serons
obligés d'accorder des sommes très considérables pour achever les travaux qu'il
pourra faire commencer de différents côtés.
Les
raisons que je viens de donner m'engagent à voter contre le crédit de 428,897
fr. comme j'aurais voté contre celui de 898,000 fr.
Quant
aux doubles voies, M. le ministre nous a dit qu'on pouvait ajourner la
construction des doubles voies de Gand à Landeghem, de Templeuve à Tournay, de
Floreffe à Namur, mais qu'on les construira de Bruges à Plasschendaele, de
Manage à Gosselies, de Charleroy à Châtelineau et qu'il aura besoin, de ce
chef, de 1,324,629 fr. 60 c.
Messieurs,
jusqu'aujourd'hui le service entre toutes ces localités s'est fait très
régulièrement, quoiqu'il n'y eût qu'une seule voie. Je doute que le commerce
prenne cette année plus de développements qu'il en avait l'année dernière ; et
si de simples voies ont suffi jusqu'à présent, je ne vois pas pourquoi elles ne
suffiraient pas encore pendant quelque temps : pourquoi nous devrions à cet
effet exiger dès à présent 1,324,629 fr. des contribuables.
On
dit : Il s'agit surtout de donner du travail aux ouvriers. Je conviens que le
projet, s'il est adopté, procurera du travail ; mais il me paraît que l'inconvénient de prendre outre
mesure l'argent dans la poche du contribuable est en ce moment plus grand que
l'avantage de donner du travail à certains ouvriers de villes et de fabriques.
Quant
à la somme pétitionnée pour l'extension du matériel des transports et que M. le
ministre réduit aujourd'hui à 1,500,000 fr., on la demande surtout en vue d'alimenter
les nombreux ateliers dans lesquels se fabriquent les voitures et les
locomotives.
Messieurs,
par la loi du 13 avril 1845, nous avons alloué un crédit pour l'extension du
matériel ; ce crédit a été dépassé, et on a fait confectionner du matériel pour
2,076,694 francs.
Par
la loi du 5 avril 1847, un nouveau crédit a été alloué pour le même objet. II a
encore été dépassé, et on a confectionné du matériel pour 1,181,573 francs. Aux
budgets de 1845, 1846, 1847 et 1848, il a été alloué encore des crédits pour
construction de matériel. La somme totale accordée par ces quatre budgets et
par les deux lois spéciales, monte à plus de cinq millions. Ainsi, depuis le 13
avril 1845 jusqu'aujourd'hui, c'est-à-dire juste en trois ans, nous avons
dépensé 5 millions pour l'extension du matériel, et cependant au 1er avril
1845, il existait déjà un matériel considérable.
Pour
alimenter toutes les fabriques, nous devrions construire une immense quantité
de matériel, car M. le ministre vient de nous dire qu'un seul fabricant
construit une locomotive par semaine.
Si
l'on voulait donner de l'ouvrage à cette seule fabrique seulement pendant le
quart de l'année, nous aurions déjà beaucoup plus de locomotives qu'il n'en
faudrait. Du reste six sont déjà construites. Je crois que celles-là, il faut
les payer. Il y a là une question de loyauté ; elles ont été commandées, elles
sont livrées, il faut les payer. Je suis donc disposé à voter le crédit
nécessaire pour faire face à cette dépense. Mais pour les dix autres locomotives
qu'on veut mettre en fabrication, je demande encore qu'on attende que nos
finances soient en meilleur état avant d'exiger pour cet objet 600,000 fr. du
propriétaire et du cultivateur.
Pour
le raccordement de la station de Gand avec le canal de Terneuzen, il est
arrivé, messieurs, ce qui arrive toujours en matière de travaux publics. Ce
travail était évalué d'abord à 235,000 francs, aujourd'hui on reconnaît qu'il
faut 435,000 francs. La somme primitivement demandée n'aurait suffi qu'à
construire la moitié de cet ouvrage ; la ville de Gand s'était engagée à faire
le reste.
Je
demande, messieurs, que M. le ministre des travaux publics ne commence pas ce
travail avant la conclusion de l'arrangement qu'il se propose de faire avec la
ville de Gand. Je demande qu'il en soit de même pour le raccordement de la
station de Bruges au bassin du Commerce. On ne demande de ce dernier chef que
110,000 fr. ; mais cette somme pourrait bien être aussi dépassée et monter
également au double.
En
concluant d'abord un arrangement avec ces deux villes, on est du moins certain
de ne pas dépasser le crédit qui sera alloué, tandis qu'on y sera
inévitablement amené si on commence par mettre la main à l'œuvre.
Jusqu'aujourd'hui,
messieurs, il y avait sans doute un inconvénient à ce que ces deux voies de
raccordement n'étaient pas faites ; mais cet inconvénient n'est pas encore
tellement grand qu'on ne puisse le laisser subsister pendant quelque temps.
Je finis en déclarant que je suis tout disposé à voter
pour le département de la guerre tous les crédits dont il aura besoin, et de
voter pour le département des travaux publics les sommes nécessaires pour
parachever les travaux qui doivent être achevés inévitablement ; mais afin de
pouvoir le faire, je le déclare une fois pour toutes, je m'opposerai à toute
autre dépense qui peut être remise à des temps meilleurs, quand même elle
présenterait une utilité incontestable.
Je
termine, comme j'ai commencé, par dire que le plus grand danger auquel nous
sommes exposés est celui de ne pouvoir, au besoin, faire notre devoir à défaut
d'argent.
M. Delehaye.
- Messieurs, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, le seul danger, le grand
danger dont nous puissions être menacés, doit, dans mon opinion, résulter de la
stagnation des affaires, de la cessation du travail. Si sur un point je n'ai pu
m'entendre avec le (page 1294)
gouvernement, c'est que, dans mon opinion, la dépense était inutile. Je suis
tout disposé à voter aujourd'hui en faveur de M, le ministre des travaux
publics. Je pense, messieurs, que ce serait une faute très grave, dans les
circonstances actuelles, de ne pas mettre à la disposition du gouvernement tout
ce qui peut tendre à augmenter le travail national.
Parmi
les propositions du gouvernement qui ont été repoussée3 par la section
centrale, se trouve celle qui concerne le raccordement de, la station de Gand
avec l'entrepôt de cette ville. Déjà la chambre, d'accord avec le ministère, a
déclaré que la station de Gand serait mise en rapport avec l'entrepôt, comme la
chose a été faite pour Anvers et pour Louvain. .
Je
pense qu'il ne peut venir à l'esprit de personne d'appliquer à la ville de Gand
d'autres principes que ceux qui ont été appliqués à ces deux localités. Dans
ces deux villes, on n'a exigé des administrations communales que des sacrifices
équivalents à ceux qu'on a exigés de la ville de Gand. Cette ville devait
fournir d'abord le terrain et elle devait en outre se charger de la démolition
des maisons qui tombaient dans le tracé. D'après une première estimation cette
part de la ville de Gand aurait été en rapport avec la part supportée par les
villes d'Anvers et de Louvain dans des travaux de même nature, toute proportion
gardée, mais, on a reconnu depuis, que l'estimation dont je viens de parler
était de beaucoup au-dessous de la somme primitivement arrêtée. Force nous a
donc été de ne pas mettre la main à l'œuvre, et le trésor renferme aujourd'hui
230,000 fr. qui étaient d'abord destinés au raccordement, dont il s'agit ; il a
été impossible de faire emploi de cette somme, parce que la ville de Gand ne
pouvait se charger d'une dépense qui, eu égard à l'importance des travaux,
aurait été doublé de celle qui a été supportée par la ville de Louvain et
considérablement plus forte, que celle dont s'est chargée la ville d'Anvers. Il
est donc indispensable que, dans les circonstances actuelles, la chambre
adopté, sinon la totalité du crédit demandé pour le raccordement de la station
de Gand. avec l'entrepôt, au moins une somme quelconque, pour que ce travail
puisse être mis à exécution et pour que la ville ait, la certitude de voir les
engagements du gouvernement réalisés.
Ne
croyez pas, messieurs, que je fasse cette demande pour débarrasser d'une charge
l'administration communale de Gand. Je crois qu'il résulterait à toute
évidence, d'une inspection des budgets, que pour ce qui concerne les travaux
publics, nous ne venons pas souvent solliciter les secours du trésor.
Cependant,
la ville de Gand a fait des sacrifices considérables ; depuis moins d'un an, elle
a dépensé 205 à 215,000 francs, rien que pour payer, en faveur de la classe
inférieure, la différence entre le prix auquel le pain a été fourni à cette
classe, et le prix qui résultait des mercuriales. Ce n'est pas là la seule
dépense que nous ayons prise à notre charge ; nous venons de décréter
l'exécution de tous les travaux quelconques qui peuvent tomber à charge de la
ville, nous avons fait mettre immédiatement la main à l'œuvre dans le seul but
de donner du travail à. la classe ouvrière, quoique ces travaux pussent très
bien être ajournés. Mais nous avons compris, que, dans l'intérêt général du
pays, il importait, dans une localité aussi considérable que la ville de Gand,
aussi éminemment industrielle et où l'industrie a considérablement souffert depuis
deux ans, qu'il importait de procurer à tout prix du travail à la population.
Aussi a-t-il suffi que l'autorité communale de Gand invoquât auprès des classes
ouvrières les dispositions favorables du gouvernement pour faire tout rentrer
dans l'ordre. Nous avons rendu par-là toute provocation au désordre
impuissante. Dans cette ville, qui compte une population ouvrière si
considérable, il n'y a pas eu le moindre désordre ; chacun vaque à ses affaires
et se repose sur les promesses de l'autorité communale qui ont été appuyées par
le gouvernement.
Je
comprends que la chambre hésite, en ce moment à accorder la somme de 200,000
fr. qui est demandée ; mais je rappellerai ce qui a été fait relativement au
canal de Schipdonck, pour lequel on n'a voté qu'une partie de la somme
nécessaire.
Je
sais bien qu'en présence de grands besoins ce vote n'a pas été bien compris
dans les Flandres ; on comprendrait bien plus difficilement encore l'adoption
d’une proposition par suite de laquelle il serait impossible de travailler au
raccordement dont il s'agit en ce moment, et qui doit occuper un très grand
nombre d'ouvriers.
Un
honorable membre a dit qu'il n'y a aucune nécessité de renouveler la station de
Gand ; je n'en vois, pas non plus la nécessité, pour une raison fort simple,
messieurs, c'est qu'à Gand il n'y a pas du tout de hangars ; nous demandions
seulement que vous mettiez la main à l'œuvre ; ce sera, seulement lorsque nous
aurons joui de travaux qui ne sont pas encore commencés, que vous pourrez
parler de renouvellement, et je puis ici donner l'assurance que les travaux
seront faits avec une solidité telle que d'ici à plusieurs années, il ne sera
pas question de renouvellement.
Je
m'aperçois, messieurs, que je n'ai pas exprimé toute mon opinion relativement à
la proposition que me suggère le vote relatif au canal de Schipdonck. J'ai
rappelé que la chambre n'avait pas voté toute la dépense ; eh bien, je pense
que pour le raccordement, dont il s'agit en ce moment si, dans les
circonstances difficiles où se trouve le trésor, on ne voulait pas voter les
200,000 fr. demandés, il suffirait qu'on nous donnât la certitude que si nous
faisons les sacrifices auxquels nous sommes disposés à nous soumettre et qui
sont conformes à ceux imposés à Anvers et à Louvain, le travail sera achevé,
cette certitude résulterait du vote d'une somme quelconque, ne fût-ce que d'un
vote 100,000 fr. en remettant à la session prochaine le vote des 100,000
restants.
Si la chambre adoptait la proposition de la
section centrale, cette certitude n'existerait pas, et dès lors la ville de
Gand ne pourrait pas faire la dépense considérable qui lui est imposée du chef
de ce travail. D'un autre côté, messieurs, vous comprenez que l'Etat a un très
grand intérêt à 1 exécution de ce raccordement, qui faciliterait considérablement
le transport des marchandises. En effet, ce ne sera qu'après l'achèvement de ce
chemin qui doit mettre l'entrepôt en communication avec le chemin de fer, que
vous pourrez, les frais de transport étant diminués, tirer de ce travail toute l'utilité
qu'il présente.
M. de Brouckere, rapporteur.
- Messieurs, par sa lettre du 2 avril, M. le ministre des travaux publics avait
réduit à la somme de 6,451,000 fr. sa demande primitive qui était de fr.
7,012,847 10 c. ; et du discours que vous avez entendu tout à l'heure, il
résulte que la demande est aujourd'hui réduite au chiffre de 5 millions.
Ce
n'est pas, messieurs, pour combattre ce chiffre qui se rapproche assez de celui
que j'étais moi-même disposé à voter ; ce n'est pas, dis-je. pour combattre ce
chiffre que j'ai demandé la parole, c'est pour fournir à la chambre quelques
nouvelles explications.
M.
le ministre vous a expliqué comment il entendait répartir le chiffre de 6,451,000
fr. qu'il avait demandé. Il y avait d'abord dans ce chiffre environ 1,200,000
fr. qui devaient être employés à des constructions. Cette somme, vous a-t-on
dit, a été rejetée tout entière par la section centrale, et il est nécessaire
d'en maintenir au moins une partie.
II
est très vrai que la section centrale avait en principe rejeté les travaux de
construction, parce que c'est dans ces travaux, quoi qu’en dise l'honorable
ministre, que la main-d'œuvre entre pour la moindre part. Mais je prie la chambre
de ne pas perdre de vue la réserve qui se trouve dans le rapport de la section
centrale. Cette réserve est ainsi conçue :
«
Peut-être serait-il convenable cependant d'allouer une partie de ce crédit pour
des constructions urgentes ; la discussion fournira à cet égard des
renseignements qui nous manquent. »
On
a objecté qu'on ne s'était occupé que des chiffres et non pas des explications
qui se trouvent dans le rapport ;'mais comme nous n'avions pas à la section
centrale les renseignements nécessaires pour fixer nous-mêmes un chiffre, nous
nous en sommes rapportés, à la décision que prendrait la chambre, après avoir
reçu directement ces renseignements de la part de M. le ministre. Eh bien, pour
moi, je suis disposé aujourd'hui à voter une somme qui sera déterminée plus
tard, qui sera employée exclusivement en constructions.
Aux
terrassements on destinait une somme de. 1,400,000 francs. La somme a été
allouée presque tout entière par la section centrale ; elle a proposé, il est
vrai, non pas le rejet, .mais l'ajournement d'une somme de 110,000 francs qui
devait servir au raccordement de la station de Bruges avec le bassin du
commerce ; et pourquoi proposait-elle cet ajournement ? Parce que, dans une
séance précédente, la chambre a alloué des fonds considérables pour des travaux
de terrassement à faire dans les deux Flandres. Mais je mets si peu
d'obstination à soutenir cet ajournement que, si l'on insiste pour obtenir les
110,000 francs, si l'on croit qu'ils peuvent être utilement employés, dès à
présent je suis disposé à les voter.
La
section centrale a proposé une autre modification au chiffre qui était attribué
aux terrassements : elle a rejeté une somme de 200,000 fr. pour le raccordement
de la station de Gand avec le canal de Terneuzen. Eh bien, vous venez
d'entendre un honorable député de Gand qui, lui-même, n'insiste pas pour que la
somme soit allouée aujourd'hui. Je désire que nous n'examinions pas dans ce
moment la question de savoir si les 200,000 fr. devront ou ne devront pas être
alloués plus tard. J'imiterai la réserve de l'honorable député de Gand, et je
ne m'appliquerai pas à démontrer que la chambre ne doit pas supporter cette
dépense. Ajournons donc l’examen de cette question à un antre temps.
Ainsi,
sur la somme de 1,400,000 fr. à affecter aux terrassements, la section centrale
n'a fait que fort peu de réductions ;- et je le répète, en ce qui me concerne
personnellement, je suis prêt à revenir sur une partie de ces réductions.
Viennent
ensuite les établissements métallurgiques.
Le
gouvernement demandait une somme de 600,000 fr. pour fournitures à commander à
ces établissements. « Cette somme, a dit M. le ministre, n'est pas trop
forte, pour occuper des établissements métallurgiques d'ici à la fin du mois
d'août ; cependant la section centrale propose de réduire le crédit à un
million. » Veuillez remarquer que ce million sera exclusivement employé à la
fabrication de rails ; et ici la section
centrale a si bien eu en vue et uniquement en vue de fournir du travail aux
établissements métallurgiques, que les rails ne pourront pas être employés
avant le 31 août ; ils seront mis en magasin, et il sera si impossible d'en
faire usage que la fourniture des billes est ajournée à une autre époque.
Mais
à ce million, il faut ajouter bien d'autres fournitures. Je citerai, entre
autres, les roues des locomotives, des voitures de toute espèce. Ces roues se
fabriquent dans les établissements métallurgiques ; eh bien, si le projet
primitif du gouvernement était adopté, il faudrait au-delà de 3,000 roues.
Voilà donc encore de l'ouvrage, et un ouvrage considérable pour les
établissements métallurgiques.
Viennent
enfin les locomotives, les diligences, les voitures de toute espèce.
Le
gouvernement avait demandé 2,027,000 francs pour cet objet ; le chiffre a été
rejeté par la section centrale, à la majorité de trois voix contre deux, et
elle y a substitué celui d'un million. La chambre verra (page 1295) si le chiffre d’un million suffit ou si, d'après les
explications que nous avons reçues aujourd'hui, il y aurait lieu de le porter à
2,500,000 fr.
Quant
aux rails, je dois répondre à une observation qu'a faite M. le ministre, pour
défendre le chiffre qu'il, a demandé. « La somme d'un million a-t-il dit, ne me
permet pas d'entreprendre de nouvelles voies sur aucune partie du chemin de
fer, car, le million ne suffit pas pour l'une des deux catégories que j'ai
indiquées.»
Mais
je réponds à M. le ministre des travaux publics que les rails qu’il commandera
maintenant sont des rails qu'on n'emploiera pas, avant qu'il n'ait obtenu un
nouveau crédit pour se procurer des billes et pour placer les billes.
Dans
le courant du mois d'août ou du mois de septembre, quand M. le ministre des
travaux publics sollicitera de la part de la chambre un crédit pour ces billes
et leur placement, crédit qui ne saurait lui être refusé, il pourra compléter
sa demande relativement aux rails.
Vous
voyez donc que M. le ministre des travaux publics a été trop loin quand il a
dit que la section centrale, en partageant la pensée du gouvernement, avait par
ses conclusions bouleversé cette pensée. La section centrale par ses
conclusions s'est complètement associée aux vues du gouvernement et l'a mis à
même de les réaliser en grande partie.
Je
prie M. le ministre et la chambre de ne jamais perdre de vue que, quand le
projet a été présenté, le 18 mars, on demandait des crédits pour des travaux à
faire pendant le courant de l'année, tandis que, dans les intentions de la
section centrale, l'allocation à laquelle elle propose à la chambre de
consentir ne doit servir qu'à solder les travaux de fournitures jusqu'à la fin
du mois d'août.
D'ailleurs,
je me plais à le répéter, la somme de 3,236,472 fr. 50 c., que la section
centrale propose de voter, devra nécessairement être majorée d'après les
explications qui ont été données aujourd'hui.
Messieurs,
je ne terminerai pas sans avoir donné lecture d'un passage du rapport sur
lequel il est indispensable que j'appelle l'attention de la chambre, non que,
dans ma pensée, il faille un vote sur ce passage, mais il est nécessaire que la
chambre entière en ait connaissance et que par son silence elle ratifie les
conclusions de la section centrale. Voici le passage auquel je fais allusion.
«
En proposant d'allouer ce crédit, alors qu'il n'y a pour s'en procurer le
montant d'autre moyen que celui d'un emprunt forcé à prélever sur les
contribuables et celui d'une retenue à effectuer sur les traitements des
fonctionnaires, la section centrale a eu en vue, comme nous l'avons dit,
d'aider le gouvernement à fournir de l'ouvrage aux ouvriers qui en manquent.
Elle a été ainsi naturellement amenée à émettre l'opinion qu'il ne devait pas
être procédé à des adjudications publiques pour les travaux et fournitures à
solder sur le crédit, mais qu'il fallait, autant que possible, les répartir sur
les divers points du royaume et les distribuer entre les établissements
industriels. Cette exception aux règles de la comptabilité a paru à la section
centrale suffisamment motivée par les circonstances tout à fait exceptionnelles
dans lesquelles se trouve le pays.
« Les
industriels, d'ailleurs, les chefs d'établissements, qui chez nous, plus que
dans aucun autre pays, se considèrent comme les protecteurs-nés de leurs
ouvriers, comprendront qu'aujourd'hui ils ne doivent avoir pour but unique que
le bien-être de ces derniers, et que satisfaits de pouvoir les occuper ils ne
doivent pas courir après des bénéfices qu'on serait en droit de leur reprocher
alors que de toute part on se résigne à des sacrifices dans l'intérêt de la
classe laborieuse. »
Je dois ajouter que ces conclusions sont conformes à
la demande qui a été adressée à la chambre par un assez grand nombre
d'industriels, surtout par les chefs des établissements métallurgiques du
bassin de Charleroy. On comprend, en effet, que si les fournitures à faire sur
le crédit à allouer devaient être mises en adjudication publique, il pourrait
arriver qu'elles fussent toutes entreprises sur une même partie du pays.
Il
en résulterait que nous aurions complètement manqué notre but ; tandis que dans
un arrondissement on aurait autant d'ouvrage qu'on en peut faire aux époques
les plus prospères, dans les autres on en manquerait complètement.
M. Manilius. -
Je ne viens pas m'opposer au crédit demandé ; au contraire, je viens soutenir tons
les chiffres des allocations dont M. le ministre croit avoir besoin pour
favoriser le travail.
Je
dois une explication à l'honorable rapporteur qui a inféré du langage de mon
honorable ami M. Delehaye qu'il céderait volontiers sur la dépense à faire pour
le raccordement de la station de Gand à l'entrepôt. Je pense qu'il n'a pas bien
compris les intentions de mon honorable ami. Je crois qu'il a dû dire qu'il
céderait sur une partie, qu'au lieu de deux cent mille francs, on pourrait
commencer par allouer provisoirement cent mille francs, afin que la ville pût
dès maintenant mettre la main à l'œuvre.
Quand
j'ai demandé la parole, j'y ai été amené par le discours de l'honorable député
de Hasselt. Cet honorable membre m'a semblé professer des doctrines toutes
nouvelles en matière d'économie politique. Cet honorable membre vous a dit que
l'industrie étouffait dans sa richesse, que c'était là la cause de tous ses
maux. Bien souvent nous avons gémi, ici et ailleurs, sur l'accusation souvent
répétée du peu de moyens qu'avait l'industrie, sur sa misère, sur le peu de
capitaux qu'elle avait à sa disposition, sur ses criailleries, sur ses plaintes
de ne pouvoir lutter ; aujourd'hui c'est une tout autre accusation, c'est
l'abondance de l'or qui la gêne.
M. de
Corswarem. - L'abondance des produits !
M. Manilius. –
On ne produit qu'avec des capitaux.
L'honorable
membre tombe ensuite dans une nouvelle erreur ; il transforme les
industriels en espèces de solliciteurs importuns envoyant des députations la
menace à la bouche pour demander des subsides ; menaçant, si on ne les
leur donne pas de jeter leurs ouvriers sur le pavé. Je ne sais comment un
député d’ordinaire si modéré ose en ce moment tenir un semblable langage, au
sein de l'assemblée nationale, quand l’industrie souffre au point qu'il n'est
pas un seul industriel qui ne doive faire d'énormes sacrifices, non dans son
intérêt, mais uniquement pour donner du travail à ses ouvriers dans l'intérêt
de l'ordre public.
Je
proteste contre cette allégation. Aucune députation n'est venue demander des
subsides au gouvernement ; ils sont venus demander des secours de négociations
; d'escomptes, indispensables pour pouvoir continuer à payer l'immense quantité
d'ouvriers qu'ils conservent dans leurs ateliers, dans l'intérêt de l'ordre
public seulement, je le répète. Et vous appelez cela mendier la menace à la
bouche ! C'est au contraire prêter la main au gouvernement dans la situation
pénible où nous sommes. Le gouvernement l'a compris, je l’ai dit ailleurs
qu'ici, il s'est mis à la hauteur de la situation.
Je dois le dire ici hautement en l'honneur de M. le
ministre de l'intérieur, dans cette pénible circonstance il a toujours bien
reçu les députations ; il n'a pas eu à recevoir des menaces ; il a entendu
leurs plaintes, l’exposé de la véritable situation, il y a répondu avec cette
grandeur de caractère qui le distingue, je dois le dire, surtout en cette
matière.
Voilà
la justification de l'industrie et ma protestation contre l’honorable député de
Hasselt, qui est envoyé ici par une ville industrielle, aussi je le reconnais
et où l'on fait beaucoup d'esprit. (On
rit.)
M. de
Corswarem. - Quel dommage que vous ne la représentiez
pas ! (On rit plus fort.)
M. Maertens.
- Le gouvernement a demandé à la législature un crédit, qu'il vient de réduire
à 5 millions, pour faire des travaux d'utilité publique. Voulant être juste
dans la distribution de ce crédit, il l'avait réparti de manière qu'il profitât
à toutes sortes d'ouvriers, aux ouvriers de toutes les localités. Lorsque j'ai
lu le projet, j'ai vu avec plaisir que le gouvernement que nous appuyons allait
enfin faire acte de réparation envers la localité qui m'a envoyé dans cette
enceinte. Depuis nombre d'années la ville de Bruges réclame le raccordement de
son bassin de commerce avec la station du chemin de fer. Anvers et Louvain
l'ont obtenu ; une somme de 235,000 fr. a été accordée à la ville de Gand dans
le même but ; tandis que sous les ministères précédents, toutes nos
réclamations, quelque fondées qu'elles fussent, sont restées sans résultat.
C'est
donc, je le répète, avec satisfaction que je voyais que l'on voulait enfin
devenir juste à notre égard. Vous concevez dès lors que j'ai dû être assez
surpris, lorsque je me suis aperçu tantôt que ce que nous attendons depuis si
longtemps allait nous être disputé. Disputé n'est pas le mot ; car personne ne
peut contester l'utilité de ce travail. Personne ne peut soutenir qu'il n'est
pas équitable de faire droit à nos longues et légitimes réclamations. Mais par
une fatalité qui pèse sur nous, on cherche à éloigner le terme, à faire
remettre ce travail à une autre époque. Lorsque j'aurai expliqué à nos
honorables adversaires la position dans laquelle se trouve la localité à
laquelle il s'agit de faire droit, je pense qu'ils s'empresseront d'avoir de
meilleurs sentiments à notre égard.
La
ville de Bruges, qui a 45,000 habitants, compte 22,000 pauvres secourus par le
bureau de bienfaisance. Depuis deux ans la ville et les établissements de
charité se sont épuisés. Les deux années calamiteuses que nous avons traversées
nous ont coûté beaucoup, ont épuisé toutes nos bourses ; non seulement la
caisse communale, mais les habitants eux-mêmes ont fait d'immenses sacrifices
pour venir en aide à cette masse de nécessiteux.
D'un
autre côté, les circonstances fâcheuses où nous nous trouvons tendent encore à
augmenter le nombre de nos pauvres. D'ordinaire les ouvriers, qui sont sans
travail pendant l'hiver, trouvaient de l'ouvrage à la bonne saison. Dans le
moment actuel, fort peu de personnes font travailler, et ainsi se trouvent
encore considérablement réduites les ressources de la classe ouvrière.
Une
autre circonstance également fâcheuse, c'est que la fabrication de la dentelle
chôme entièrement, Les événements de France nous ont empêchés de continuer
cette fabrication. C'est encore une grande ressource enlevée à nos ouvrières
dentellières.
En présence de besoins aussi urgents, tout le monde
comprendra que nous devons attacher la plus grande importance à ce que les 110
mille francs nous soient alloués dans le moment actuel, pour donner du travail
à ces malheureux pauvres qui attendent avec la plus vive impatience que le
gouvernement leur vienne en aide.
Je
pense que cela suffira pour que l'honorable M. de Corswarem ne fasse plus de
difficulté à allouer ce crédit.
Quant
à l'honorable M. de Brouckere, je n'ai plus besoin de chercher à le rallier à
notre opinion ; il est des nôtres ; il connaît notre situation. Je suis
persuadé que c'est avec la plus entière conviction qu'il a renoncé aux
conclusions de la section centrale, dont il est le rapporteur.
M.
de Man d'Attenrode. - Nous en sommes à la discussion générale,
et nous discutons successivement les articles depuis deux heures au moins. Il
me semble qu'il serait temps de clore cette discussion, et d'aborder
franchement celle des articles, pour laquelle je me suis réservé.
(page 1296) Pour le moment je me bornerai
à dire un mot.
L’honorable rapporteur vous a informés de l'appui que
la section centrale a donné à une proposition qui tend .à suspendre, pour les
travaux en discussion, les effets de l'article 21 de la loi de comptabilité,
qui veut que les travaux exécutés par l'Etat soient abandonnés à la libre
concurrence. Cette proposition aurait pour résultat de répartir d'une manière
plus égale entre les divers établissements les bienfaits des commandes, que le
gouvernement aura la faculté de faire par suite de l'adoption du projet de loi
en discussion.
L'honorable rapporteur a réclamé en sa faveur
l'adhésion de la chambre. Membre de la section centrale, j'ai été et je suis
encore de l'opinion de l’honorable M. de Brouckere ; mais je pense qu'il ne
suffit pas d'une adhésion de la législature pour suspendre les effets d'une
disposition aussi importante. Cette exception doit être formulée dans la loi,
une rédaction pourrait vous être proposée dans la séance de demain.
Je
demande la clôture de la discussion générale, et le renvoi de la discussion des
articles à demain,
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Je crois nécessaire de répondre
quelques mots aux observations produites dans la discussion générale. Mais si la
chambre insiste pour la clôture, je trouverai l'occasion de présenter mes
observations dans la discussion des articles.
-
La chambre consultée prononce la clôture de la discussion générale,
M. Malou.
- M. le ministre des travaux publics ne pourrait-il pas produire pour demain le
mouvement général des transports du chemin du fer (le chiffre total) pendant le
mois de mars ? Ce tableau n'a pas été publié dans le Moniteur.
-
La séance est levée à 4 heures et demie.