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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 4 avril 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1217) M. T'Kint de Naeyer. procède à l'appel nominal à deux heures un quart.

La séance est ouverte.

M. Troye. donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. T'Kint de Naeyer. fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.

« Quelques habitants de Bruxelles demandent que les employés de l'Etat, qui demeurent dans les faubourgs de Bruxelles, soient obligés de faire partie de la garde civique de cette ville, et que le projet de loi sur la garde civique décrète un service permanent.

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« M. Gobbaerts, préposé des douanes pensionné, demande une augmentation de pension ou bien une gratification sur la caisse des secours des douanes ou un emploi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Peemans présente des observations relativement au projet de loi d'emprunt.

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Morant demande que le mandat des conseillers communaux soit limité à 3 ans, qu'il soit incompatible avec certaines professions, et qu'un membre du conseil qui, sans empêchement légitime, ne se serait pas rendu aux convocations, soit considéré comme démissionnaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur le renouvellement des conseils communaux.


« Le sieur d'Henry demande une loi sur la responsabilité des ministres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres des comités de charité du bureau de bienfaisance de la ville de Liège demandent que le projet de loi sur la garde civique contienne une exemption en leur faveur. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« L'administration communale de Basse-Bodeux demande que les électeurs du canton de Stavelot soient admis à voter au chef-lieu du canton. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil général d'administration des hospices et secours de la ville de Louvain demandent que les établissements de bienfaisance soient exemptés de contribuer dans l'emprunt proposé par le gouvernement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi d'emprunt.


« Le sieur Verstratte, ancien sergent-fourrier, prie la chambre d'autoriser M. le ministre des finances à l'admettre dans la douane, bien qu'il n'ait point encore obtenu la naturalisation qu'il a demandée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La compagnie des chasseurs éclaireurs de la garde civique de Liège demande que le projet de loi sur la garde civique mentionne l'institution des corps spéciaux et notamment celui des chasseurs éclaireurs. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Delporte, officier pensionné, demande que le gouvernement statue sur les réclamations qui ont pour objet la restitution des retenues opérées sur les appointements des officiers de la réserve. »

- Renvoi au ministre de ta guerre.


« Les membres du conseil communal de Jodoigne demandent que les élections générales de l'arrondissement de Nivelles aient lieu à Wavre, ou bien qu'elles se fassent alternativement à Wavre et Jodoigne pour les cantons de Wavre, Jodoigne et Perwez, ou qu'elles aient lieu à Wavre pour les cantons de Wavre et de Jodoigne. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants du faubourg de Mariembourg se plaignent de mesures militaires qui ont été prises par le commandant delà place. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Braine-Lalleud présentent des observations contre l'avis publié par le Moniteur portant que le gouvernement exige l'exécution de l'arrêté du 27 prairial an IX, relatif au transport frauduleux des lettres. »

- Même renvoi.


« Plusieurs industriels et ouvriers à Bruxelles demandeur la suppression des ateliers de travail dans les prisons, les dépôts de mendicité et les congrégations religieuses. »

M. Verhaegen. - J'appuie, et avec empressement, la pétition dont on vient de vous donner l'analyse, et j'ose espérer qu’elle ne restera pas sans résultat.

Il y a peu de temps, j'ai appuyé une pétition semblable, et l'unanimité de cette assemblée en a ordonné le renvoi à tous les ministres.

Un arrêté royal de date récente a nommé une commission de six membres chargés d'examiner les graves questions qui se rattachent au travail dans les prisons, et le Moniteur m'a appris que je fais partie, de cette commission.

Depuis plusieurs- jours j'ai écrit à M. le ministre de la justice pour le prier de convoquer et d'installer immédiatement la commission à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

Ne voulant pas assumer la responsabilité de l'inaction, je viens ici renouveler ma prière, et j'ose espérer que je ne l'aurai pas fait en vain.

Pour le moment, il ne me reste, aux termes du règlement, qu'à demander le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec prière d'un très prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


M. le président (M. Liedts). - M. le ministre de l’intérieur transmet des explications sur la pétition qui demande la réunion du canton de Stavelot à l'arrondissement administratif de Verviers. J'en propose le renvoi à la commission chargée de l'examen de la proposition, faite en 1839 par M. David, sur le même objet, commission qui devra être complétée par le bureau.

M. Lebeau. - Appuyé ! Il y a urgence, si l'on veut prendre une décision dans un sens ou dans un autre.

- La proposition de M. le président est adoptée.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. de Brouckere dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi de crédit complémentaire à accorder au département des travaux publics pour les canaux de Deynze à Schipdonck et de Zelzaete à la mer.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire de neuf millions de francs au budget du ministère de la guerre

Discussion générale

M. Castiau. - Messieurs, j'ai voté hier avec empressement et bonheur, je dois le dire, le crédit qu'on était venu nous demander dans l'intérêt des classes ouvrières, pour leur procurer du travail et pour améliorer leur pénible position.

Si le crédit qu'on réclame aujourd'hui devait avoir le même objet, quelque considérable qu'il soit, je me sentirais disposé à le voter encore avec le même empressement, car là est pour moi le principal élément de l'ordre et le plus impérieux de nos devoirs.

Mais il s'agit maintenant de toute autre chose, d'un crédit extraordinaire de 9 millions pour le département de la guerre.

Je n'ai certes pas, messieurs, la prétention de combattre ce crédit et d'en empêcher l'adoption. Ce crédit sera, quoi que je dise et que je fasse, voté par la chambre ; peut-être par l'unanimité de la chambre.

Mais comme j'entends le repousser et me renfermer dans ma position habituelle d'isolement, je prie la chambre de vouloir bien me permettre d'expliquer, de justifier mon vote.

Messieurs, je suis de ceux qui ont toujours pensé et souvent répété dans cette enceinte qu'une armée permanente considérable dans un pays condamné à la neutralité, comme la Belgique, était une superfétation, une véritable anomalie. J’ai toujours pensé que l’établissement d'un système de recrutement démocratique, appelant les citoyens aux obligations communes du service militaire et combiné avec une vigoureuse organisation de la garde civique, suffirait pour protéger tout à la fois et l’ordre et notre indépendance.

Aussi, ai-je attaqué fortement, la loi d'organisation de l'armée vous vous le rappelez peut-être. Depuis que je siège dans cette enceinte, j'ai constamment repoussé le budget de la guerre à cause, de son exagération. Cent fois peut-être, j'ai exprimé le regret de voir consacrer les principales ressources du pays à des dépenses inutiles, improductives et ruineuses.

Messieurs, ce budget de la guerre, que nous trouvions déjà trop élevé dans les années ordinaires, le voici maintenant qui prend des proportions bien autrement vastes. On vient vous demander un premier crédit supplémentaire de 9 millions. Mais ce premier crédit suffira-t-il ? Il ne vous est demandé que pour satisfaire aux besoins du service jusqu'au 1er septembre. Il est tellement douteux que ce premier crédit puisse suffire, que d'abord on l'avait porté à la somme de 18 millions, c'était en tout 50 millions. Joignez à cette somme de 50 millions l'interruption des travaux pour les miliciens appelés sous les drapeaux, la perte des salaires pour des milliers d'ouvriers, la déperdition du capital, par suite de l'oisiveté de la caserne, et vous arriverez à une charge qui, retombant à la fois sur le budget et sur le pays, ne s'élèvera pas à moins de 80, de 90, de 100 millions peut-être.

(page 1218) Oh ! je comprends, messieurs, qu'on ne s'arrête pas devant l'énormité de ce chiffre et devant les questions d'argent, quand il s'agit de l'indépendance du pays, du maintien de la nationalité, quand la question posée enfin est celle d'être on de n'être pas.

Mais, messieurs, de bonne fois, en sommes-nous là, je vous le demande ? Pourquoi tous ces préparatifs ? Pourquoi ce luxe d'armement ? Pourquoi cette armée portée au double de ce qu'elle était il y a quelques semaines encore ? Est-ce pour maintenir l'ordre public ? Est-ce pour comprimer l'émeute qui agite nos populations ? Mais, les événements ont assez prouvé que les baïonnettes aujourd'hui soûl de faible garanties pour ce qu'on appelle encore l'ordre public. Ce ne sont pas seulement les événements de Paris, ce sont encore les événements de Berlin, les événements de Vienne, les événements de Milan qui partout vous prouvent que les armées permanentes ne peuvent rien aujourd'hui contre la souveraineté nationale, et la toute-puissance des peuples.

Aussi, messieurs, est-ce sous la protection de la garde civique avant tout que je voudrais placer cet ordre public dont ou est si soucieux ; c’est là la véritable mission de nos soldats citoyens. La garde civique c'est le pays, le pays tout entier, arme pour sa défense, armé aussi bien pour la défense de l'ordre que pour la défense de son indépendance, de ses libertés et de ses droits. Messieurs, si la garde civique avait été maintenue dans ce pays autrement que sur le papier, si elle avait été fortement organisée, si on ne l'avait pas laissée tomber misérablement en désuétude, nous n'aurions pas eu à déplorer de malheureux conflits entre les soldats et le peuple ; conflits cent fois douloureux qui ont fait couler le sang belge par des mains belges.

Si l’ordre n'a pas besoin de nos soldats, pourquoi donc, messieurs, ces préparatifs et tout ce luxe militaire ? Est-ce par crainte de la guerre étrangère ? La guerre étrangère ! d'où viendrait-elle ? De la France ? Mais n'avez-vous pas lu le noble manifeste de la France ? Et ne connaissez-vous pas tous les éloquents commentaires de ce manifeste ? (Interruption.)

Je m'étonne, messieurs, des rumeurs qui viennent d'accueillir mes paroles. Je désire que les honorables membres qui ont l'habitude d'accompagner mes paroles de murmures, quand je parie de mes sympathies pour la France et sa révolution, veuillent bien prendre la parole pour me répondre. S'ils ont quelque accusation à élever contre la loyauté de la France et de son gouvernement, qu'ils osent la produire dans cette enceinte, hautement et franchement. et s'ils n’osent, qu'ils cessent de se réfugier derrière des murmures houleux, dont personne, parmi eux, ne paraît disposé à prendre en ce moment la responsabilité.

Je disais donc, messieurs, quand j'ai été interrompu, que le manifeste de la France était là pour nous rassurer. Qu'est-ce, en effet, que ce manifeste si ce n'est un brûlant appel à la liberté, à l’égalité, à la fraternité des peuples ? Qu'a-t-il donc dans d'aussi nobles sentiments de menaçant pour notre nationalité ? Mais tout le manifeste, c’est l'invitation pressante aux nationalités opprimées de ressaisir leur indépendance. S'il est question d'intervention dans ce document, c'est d’une intervention en faveur des peuples, de leurs droits, de leur indépendance.

Quoiqu'on semble l'oublier aujourd'hui, je ne cesserai de le rappeler : c'est la France, en 1831, qui a sauvé notre nationalité. En bien, c'est elle encore qui, à l'heure qu'il est, et pour exécuter l'engagement d'honneur pris dans son manifeste, si notre nationalité courait quelque risque, s’empresserait de nous offrir l'appui de sa puissante épée.

Si vous n'avez rien à craindre de la France, apercevez-vous, messieurs, quelque danger sur nos autres frontières, sur nos frontières du nord, du côté de l’Allemagne ? Mais, rappelez-vous ce qui s'est passé dans les pays soumis à l'absolutisme, à la suite de la révolution française. N'avez-vous pas vu l'empressement avec lequel ces gouvernements, si antipathiques à la liberté, ont reconnu la révolution française et ont |protesté contre toute pensée d'intervention ? Ils s'étaient empressés, effrayés par la violence de l'ébranlement révolutionnaire, de chercher à conjurer l'orage qui grondait sur leur tête. Eh bien, ils n'y sont point parvenus : les peuples d’Allemagne se sont soulevés, ils se sont soulevés comme un seul homme au cri de liberté ; ils ont vaincu, ils ont abaissé ces royautés orgueilleuses qui, si longtemps, les avaient impitoyablement foulés aux pieds, et aujourd'hui cette sainte-alliance des rois est remplacée par la sainte alliance des peuples.

Eh bien, la sainte alliance des peuples, c'est la liberté, c'est l'égalité, c'est la fraternité ; c'est la paix, la paix perpétuelle ; c'est la fin des horribles excès de la guerre et du despotisme, c'est la suppression des armées permanentes ; c'est la réalisation enfin de tous les progrès, de toutes les promesses de la civilisation.

Si tout annonce la paix et la liberté, messieurs, si vous n'avez rien à craindre en réalité, ni du côté de la France, ni du côté de l'Allemagne, pourquoi, je vous le demande une dernière fois, pourquoi ce luxe d'armement qui doit imposer au pays, après deux années de gêne et de famine, les charges les plus écrasantes ?

Serait-ce pour repousser ces bandes qui ont franchi nos frontières et envahi le territoire à main année ? Veuillez le croire, je vous prie : je déplore aussi vivement, plus vivement peut-être que personne dans cette enceinte, ces fâcheux événements, mais il ne faut pas non plus donner à ces expéditions irrégulières un caractère et une importance qu'elles n'ont pas.

En effet, messieurs, qu'avez-vous vu dans cette circonstance ? Deux expéditions sont parties de Paris ; la première, à son départ, dit-on, prend le soin de laisser sa carte à l'ambassade de Belgique, réclame des frais de voyage de l'ambassadeur belge ; puis elle monte en chemin de fer, et elle appelle la rapidité de la vapeur à son secours pour venir se remettre elle-même entre les mains de la police belge.

La seconde expédition avait un autre caractère sans doute, mais elle affiche la même imprudence. Elle arrive en désordre sur notre territoire, et elle vient se placer d'elle-même sous la gueule de vos canons.

Il a suffi de 200 hommes et de quelques coups de canon pour mettre en fuite une bande indisciplinée. Y avait-il là un danger bien grave pour notre nationalité ? En vérité, sans la désolante effusion de sang qui a eu lieu dans cette circonstance, on aurait été tenté de supposer que ces expéditions n'avaient d'autre but que de donner gain de cause à ce luxe d'armement que je combats aujourd'hui, et de vous amener à voter de confiance les crédits et les emprunts forcés qui vous sont demandés.

Messieurs, je l'ai dit : quel qu'ait été le caractère de ces expéditions, je les regrette doublement ; je les regrette, parce qu'elles ont froissé le pays dans ce qu'il avait de plus vif, et déterminé une réaction passionnée du sentiment national contre ces violences. Je te regrette, parce que si on avait voulu compromettre, perdre en quelque sorte la cause républicaine, on n’aurait certes pas suivi une autre voie.

Plus que personne, j'en suis désolé, et je ne vous en ai pas fait mystère ; tous, vous connaissez mes sympathies pour les institutions républicaines. Je crois qu'après avoir traversé la monarchie constitutionnelle, le seul gouvernement possible c'est le gouvernement républicain, c'est-à-dire le gouvernement du pays par le pays, l'application la plus large de la souveraineté nationale, la participation de la majorité des citoyens aux droits politiques, le principe de l'élection remplaçant le principe et les hasards de l'hérédité. Je crois que plus qu'aucun pays en Europe, la Belgique est mûre pour la république ; je crois que les mêmes motifs qui en 1830 ont fait admettre le régime monarchique, maintenant militent pour faire admettre le régime républicain ; je crois enfin que si le régime républicain était amené pacifiquement, légalement, constitutionnellement en Belgique, il serait, à l’heure qu’il est, la meilleure garantie de l’ordre, de la liberté, de l’indépendance et de la nationalité.

Mais, messieurs, si je désire l’adoption du régime républicain, c'est à la condition que ce régime s'établira au nom de la souveraineté nationale ; car si ce régime devait être imposé par la violence de la minorité, croyez-bien que je serais le premier à protester contre de telles oppressions.

Voilà, messieurs, toute ma conviction, et ma profession de foi ; je vous la livre dans toute sa vérité, et j'espère que vous voudrez bien m'en croire. Mais cette conviction, moi qui plaide les droits de la liberté et de la souveraineté nationale, je n'ai certes pas la prétention de l'imposer ni à la chambre, m au pays, ni surtout au collège électoral qui m'a envoyé dans cette enceinte ; eh bien, je le reconnais avec toute loyauté, il y a sur cette question un dissentiment et un dissentiment profond à l’heure qu'il est entre mes opinions et celles de la majorité de la chambre, et je dois le dire, entre mes opinions et celles de la majorité du pays et spécialement de la majorité du collège électoral qui m'a confié mon mandat car l'on est partout aujourd'hui en pleine réaction monarchique.

Or, quand un dissentiment semblable éclate, sur une question de forme gouvernementale, qu'y a-t-il à faire ? Déposer son mandat et se retirer. C'est le parti que je prends et que j'exécuterai à la suite de la séance. Seulement veuillez le croire, dans la vie privée comme dans la vie publique, tous mes vœux seront toujours pour le bonheur de mon pays. Pour prix du sacrifice que je m'impose, je ne demande qu’une chose, c'est que ma résolution soit appréciée avec la même loyauté que je l'ai prise, et qu'elle ne m'enlève aucun des droits que je crois avoir à la sympathies de mes amis et à l'estime de mes adversaires.

Un grand nombre de voix. - Non ! non !

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas à intervenir dans les résolutions personnelles de l'honorable représentant de Tournay. Il vient de nous annoncer sa retraite prochaine du parlement après avoir déposé dans cette séance une profession de foi ouvertement républicaine. S'il m'était permis d'exprimer un regret, ce serait de voir l'honorable M. Castiau, qui représente à la fois avec autant de talent que de modération les opinions qu'il vient de manifester, ce serait de le voir abandonner cette enceinte. Messieurs, nous ne redoutons par les discussions de principe ; notre pays est arrivé à ce haut degré de liberté qu'il peut affronter sans trouble, sans danger, je dirai presque sans inconvénient la discussion régulière, pacifique, de toutes les institutions.

Pourquoi l'honorable préopinant abandonne-t-il le parlement ? Est-ce parce qu'il y sent son opinion presque complètement isolée et solitaire ? Pourquoi rentre-t-il dans la vie privée ? Pourquoi va-t-il se mêler à ses concitoyens ? Est-ce parce qu'il espère y rencontrer d’autres opinions, d’autres sentiments ? Eh bien, messieurs, je n'hésite pas à le dire, je crois que là encore l'honorable M. Castiau rencontrera l'isolement, la solitude. Je crois que le pays, s'il était aujourd'hui consulté suivant les formes constitutionnelles, renverrait dans cette enceinte une immense majorité chargée de défendre, de maintenir le système sous lequel nous avons l'avantage de vivre.

L'honorable M. Castiau veut le gouvernement du pays par le pays, nous le voulons aussi ; et ce mode de gouvernement non seulement nous le voulons, mais nous le possédons, nous le pratiquons très sincèrement, très efficacement, et il n'est pas une seule liberté désirée, enviée, rêvée par les plus avancés démocratiques que la Constitution belge ne consacre.

Trop heureuses les nations qui viennent de se lancer dans une mer toute pleine d'incertitudes et de tempêtes, si elles pouvaient un jour aboutir à ce port si tranquille, si magnifique dans lequel la Belgique se repose aujourd’hui, avec tant de dignité et de sécurité ! (Applaudissements.)

(page 1219) Oui, messieurs, notre Constitution nous assure, je ne crains pas de le dire, autant de libertés réelles, plus de libertés réelles que pourront en contenir toutes les constitutions que se donneront d'ici à peu de temps les nations qui se proclament aujourd'hui souveraines. C'est pour défendre ces précieuses institutions, c'est pour défendre le gouvernement du pays par le pays, que la nation belge a compris la nécessité de se tenir en garde et contre les dangers qui peuvent venir de l'extérieur et contre les excitations qui peuvent venir de l'intérieur.

C'est pour cela que de tout temps nous et nos amis nous avons défendu, dans cette enceinte, la nécessité d'une armée respectable, capable de faire face à l'un et à l'autre de ces dangers. C'est pour cela que dans la dernière discussion du budget de la guerre, mon honorable ami qui occupe ce département, j'ose le dire, avec une si haute distinction, vous annonçait d'une voix presque prophétique la nécessité prochaine peut-être, pour le pays, d’avoir une armée capable de faire respecter l'ordre à l'intérieur et l'indépendance à l'extérieur.

L'honorable M. Castiau (et cette opinion a été exprimée aussi en dehors de cette enceinte) traite, avec une sorte d'indifférence et de dédain les rencontres qui ont eu lieu à nos frontières. Il a même, contre son gré, sans doute, reproduit une insinuation odieuse qui a été exprimée ailleurs que dans cette enceinte, relativement à je ne sais quelle provocation machiavélique, pour amener aux frontières un conflit, qui fît comprendre au pays la nécessité de maintenir son armée sur un pied respectable.

Je crois que le bon sens public a fait suffisamment justice de pareilles insinuations. Les bandes armées qui se sont présentées sur nos frontières n'étaient pas aussi inoffensives, aussi innocentes dans leurs intentions qu'on a bien voulu le dire.

J'admets que, dans le nombre de ces hommes armés, plusieurs étaient aveuglés, plusieurs entraînés, plusieurs même forcés. Mais il n'est pas moins vrai qu'il y avait dans ces attaques contre le pays quelque chose de très sérieux, et de graves dangers pour l'ordre public, si de pareilles bandes n'avaient pas rencontré, dès leurs premiers pas sur le sol belge, des soldats et des officiers décidés à leur tenir tête.

Les avantages qui ont été remportés à nos frontières par nos soldats, certes nous n'en tirons pas vanité. Pas plus que l'honorable préopinant, nous ne pouvons-nous empêcher de regretter de voir verser le sang humain, à quelque nation qu'appartienne la victoire. Ce n'est pas non plus avec joie que nous avons vu l'accident dont a été le théâtre une de nos principales villes manufacturières.

Mais qu'est-ce à dire ? Les Belges que le sort désigne pour le service de l'armée cessent-ils d'être Belges, du jour où ils ont revêtu l'uniforme, du jour où ils sont préposés par la loi au maintien de l'ordre ?

Et si nous avons de la pitié pour les malheureux qui tombent victimes de manœuvres anarchistes, n'y aura-t-il pas un mot de compassion pour ces hommes, Belges aussi, qui tombent victimes sous les projectiles de toute espèce de la mutinerie ?

Ce qu'on doit demander à l'armée, à tons les fonctionnaires chargés de maintenir l'ordre public, c'est de la réserve, de la modération, de la patience même. Mais il arrive un moment où le sentiment du devoir et de la défense personnelle commande à tout homme de cœur des moyens énergiques.

L'armée est inutile, nous dit-on ; l'armée ne peut rien contre le soulèvement du peuple, témoin les désastres qui viennent d'accabler les années permanentes de la plupart des pays de l'Europe.

L'armée ne peut rien. Distinguons, s'il vous plaît !

L'année ne peut rien lorsqu'elle est appelée à soutenir une politique qui ne vaut rien, un gouvernement qui ne vaut rien, qui a pu devenir antipathique à une partie de la nation. Mais l'armée est bonne, quand marchant d'accord avec l'opinion, elle est appelée à défendre une bonne cause, une bonne politique, un bon gouvernement.

Sous ce rapport nous n'hésitons pas à le dire, l'armée belge ne donnera pas le spectacle que donne ou que pourrait donner l'armée dans d'autres pays. (Marques unanimes d'adhésion.)

Il y a entre nos populations et notre armée un lien de confiance réciproque qui doit assurer l'ordre et la sécurité.

Nous n'insistons pas, messieurs, sur ces accidents malheureux auxquels il a été fait allusion. Nous serions trop heureux vraiment si les excitations par lesquelles on cherche sans cesse à troubler l'esprit de nos populations, les sortes d'appâts qu'on leur jette de toutes parts, ne déterminaient, sur l'un ou l'autre point du royaume, quelqu'une de ces émeutes partielles, de ces émotions populaires qui malheureusement ne peuvent pas toujours être évitées.

L'armée, nous dit-on, inutile à l'intérieur, est inutile contre les dangers extérieurs. Nous avons pour nous le manifeste d'une nation voisine.

Messieurs, personnellement le gouvernement belge a une confiance entière dans la loyauté des déclarations du gouvernement provisoire de France. Le gouvernement belge n'a pas de raisons de mettre en doute les déclarations si loyales qui lui ont été faites par l'honorable M. de Lamartine. Mais, messieurs, le gouvernement belge doit tenir compte des circonstances au milieu desquelles se trouve le gouvernement provisoire de France. Il y aurait injustice à faire retomber sur ce gouvernement la responsabilité des actes si regrettables qui se sont commis sur son territoire vis-à-vis de la Belgique. Si je suis bien informé, en ce moment encore il se passe dans une de nos villes frontières, vis-à-vis des sujets belges, des excès regrettables.

Mais après avoir fait cette part à la position du gouvernement français et par cela même que nous lui faisons cette part, n'est-ce pas pour nous un motif de plus de nous garder nous-mêmes de la manière la plus vigilante et la plus ferme ? Et je fais un appel au bon sens de l'honorable M. Castiau, lui qui ne veut devoir qu'au développement pacifique de nos institutions le système qu'il croit le meilleur pour le bonheur de son pays ; je lui demande si l'armée belge, dans cette circonstance, n'a pas rendu un service signalé au système même qu'il défend ? Je lui demande si, dans l'état actuel de l'organisation de la garde civique qui est spécialement destinée, qu'on le remarque bien, à maintenir l'ordre dans chacune des localités à laquelle elle appartient, je lui demande ce que serait devenu le pays à l'heure qu'il est, s'il avait été livré sans défense aucune à l'invasion de ces bandes que le gouvernement français lui-même n'a pas eu assez de puissance pour maintenir dans l'ordre sur son propre territoire.

La nation belge est neutre. C'est là son droit ; c'est là sa force. Mais à quelles conditions est-elle neutre ? A quelles conditions peut-elle espérer d'être respectée comme neutre par les nations étrangères ? C'est à la condition de pouvoir défendre d'abord elle-même cette neutralité. La Belgique sans armée n'est plus un territoire neutre ; c'est un territoire ouvert à toutes les invasions du nord, du midi ou de l'est. Qu'on soit bien persuadé messieurs, de cette vérité : nous ne serons neutres, nous ne resterons neutres qu'à la condition de pouvoir défendre nous-mêmes fortement, efficacement notre neutralité.

Sans doute, messieurs, il en coûte quelque chose au pays de mettre sur pied un plus grand nombre d'hommes. Mais veut-on bien calculer ce qui lui en coûterait d'une invasion même passagère ? Veut-on bien calculer ce qu'il lui en coûterait d'un désordre général qui ne durerait que vingt-quatre heures ? Les dépenses que nous faisons aujourd'hui, ce sont de sages, de prévoyantes économies. Voilà comment nous les envisageons et comment le pays doit les envisager.

On enlève, dit-on, un très grand nombre d'hommes à leurs travaux. C'est une perte de salaire, une perte très considérable de profils pour le pays. Mais si ces hommes que nous arrachons momentanément à leurs travaux, contribuent au maintien de l'ordre dans leur pays, contribuent à maintenir la sécurité en faveur des autres travailleurs, je dis, messieurs, que ce n'est pas une perte, que c'est encore un bénéfice immense que nous assurons au pays. Chaque jour d'ordre qui est assuré au pays lui vaut des sommes immenses. Chaque jour de désordre entraînerait le pays dans des pertes incalculables. Le pays le comprend, messieurs ; aussi nous ne doutons pas que tous les voies qui seront émis dans cette enceinte pour fortifier nos moyens de défense, pour fortifier notre système financiers, ne finissent par être considérés comme les actes les plus populaires que la chambre aura posés.

J'ignore, messieurs, si j'aurai encore à prendre la parole dans cette séance. J'ignore si, après la retraite de l'honorable M. Castiau, l'occasion se présentera encore pour le gouvernement, pour les membres de cette chambre, de défendre nos institutions telles qu'elles sont. Je dois le répéter, ces institutions sont assez fortes, sont assez belles, pour supporter toute discussion. Je dois le répéter aussi, nous ne pourrions désirer d'avoir jamais dans cette enceinte des adversaires plus loyaux, plus distingués, plus conservateurs au fond que l'honorable députe du district de Tournay.

M. Castiau. - Je remercierai d'abord M. le ministre de l'intérieur de la justice qu'il a bien voulu rendre, en terminant, à la loyauté de mon caractère ; car, en vérité, dans son discours, il s'était permis, à mon égard, un reproche qui aurait pu faire croire qu'il suspectait cette loyauté, et ce reproche, je ne l'aurais pas accepté. Il avait parlé, autant que je me le rappelle, d'une insinuation odieuse que je m'étais permise et qui aurait eu pour effet de faire planer sur le gouvernement un reproche ne complicité avec les bandes qui ont envahi notre territoire.

Messieurs, je n'ai certes pas l'habitude de procéder par insinuations, et quand j'attaque, je le fais franchement et parfois trop durement peut-être.

Si donc une insinuation contre le ministère s'était rencontrée dans ma bouche, et qu'elle eût été injuste et odieuse, j'aurais été tout le premier à la désavouer. Non, messieurs, je n'ai pas prétendu que le gouvernement eût été le complice des bandes qu'il a combattues ; et jamais surtout je n'aurais eu la pensée d'adresser une telle accusation à l’honorable ministre de la guerre. Il connaît assez mon caractère pour que je sois persuadé qu'il n'a pas vu, lui, dans mes paroles, ni dans ma pensée, l'insinuation qu’on me reproche.

Je n'ai pas non plus parlé avec un froid dédain des malheureux événements arrivés à notre frontière. J'avais au contraire déploré l'effusion du sang. Je ne la veux à aucun prix, et quelque attaché que je sois à mes idées et à mes convictions, si leur triomphe devait entraîner la mort d'un seul homme, je préférerais le voir ajourner à tout jamais. Car le triomphe d'idées de justice et d’humanité ne doit pas être souillé par une tache de sang. Qu'on cesse donc de me reprocher une insensibilité qui n'est pas plus dans mon caractère que dans les paroles que j'ai prononcées.

J'arrive rapidement à une autre accusation : j'ai soutenu que le crédit supplémentaire, demandé dans les circonstances actuelles, était inutile et (page 1220) ruineux pour le pays ; s'en suit-il que parce que j'ai déclaré que votre armée ordinaire, appuyée de la garde nationale, aurait été suffisante pour parer à toutes les nécessités, s'ensuit-il, dis-je, que j'aie voulu compromettre, sacrifier en quelque sorte l'indépendance du pays, car, vous a dit l’honorable M. Rogier, une Belgique neutre et sans armée, c'est une Belgique perdue ?

Mais, messieurs, quand je protestais, dans cette enceinte, contre l'exagération de notre armée permanente et de la dépense qu'elle faisait tomber sur le pays, je ne demandais pas le désarmement ; je réclamais, au contraire, l'adoption d'un système militaire qui offrît plus de garantie de force et de popularité.

Je ne voulais pas seulement que la défense du pays fût le privilège exceptionnel de quelques mille soldats ; je voulais que la défense du pays fût le droit du pays tout entier et de toutes les classes de la population ; je voulais la défense du pays par le pays. L'on a donc dénaturé et mes paroles et mes intentions en m'attribuant la pensée d'ouvrir nos frontières à toutes les agressions. Je veux aussi énergiquement que nos ministres la défense du pays ; seulement je la veux autrement et par des moyens plus efficaces.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs, sur cette question, car je n'aime pas les débats inutiles et nous aurions beau prolonger ces discussions, je ne pourrais certes convaincre ni le ministère ni la majorité de la chambre, pas plus que M. Rogier n'a sans doute la prétention de me convaincre moi-même. Restons donc, messieurs, chacun dans l'indépendance de nos convictions ; seulement rendons mutuellement hommage à la loyauté de ces convictions, quelque divergentes qu'elles soient.

Qu'il en soit de même, messieurs, de la question de transformation gouvernementale. A quoi bon, je vous le demande, venir froidement examiner dans cette enceinte la question de la république et de la monarchie ? A quoi bon perdre un temps infini à discuter des questions dont la solution, à l'heure qu'il est, est cachée dans les décrets de la Providence ?

N'imitons pas ces Grecs du Bas-Empire qui s'amusaient à discuter des questions de métaphysique alors que la conquête abattait les murailles de leurs villes et que les événements venaient ébranler et balayer leur nationalité. Les événements sont aujourd'hui plus forts que les hommes. Il en sera de cette question de république comme de toutes les redoutables questions qui viennent de recevoir depuis quelques semaines une solution miraculeuse en quelque sorte. Ce n'est pas seulement la main des hommes, c'est là main de Dieu qu'il faut reconnaître dans ces événements. Vos faibles bras ne pourraient certes pas enchaîner la foudre, et plus que jamais on peut reproduire aujourd'hui cette grande parole de Bossuet : « Les hommes s'agitent, Dieu les mène. »

Qu'avons-nous à désirer encore ? Nous avons, dit M. le ministre de l'intérieur, le gouvernement du pays par le pays, nous avons dans notre constitution la reconnaissance de toutes les libertés. Oui toutes les libertés sont écrites dans notre constitution ; oui, ce gouvernement du pays par le pays était également proclamé dans notre constitution, mais à quoi cela avait-il abouti ? à une oligarchie de 45,000 électeurs, et qu'avait produit pendant quinze ans cette oligarchie ? Un gouvernement odieux et réactionnaire qui avait successivement porté atteinte à toutes nos libertés et à tous nos droits. Et je n'ai pas besoin de vous rappeler dans quel intérêt avait lieu cette odieuse réaction. C'est elle encore qui avait ruiné nos finances et qui vous avait précipités dans des désordres et des dilapidations qui ont creusé ce gouffre effrayant du déficit que vous ne savez comment combler.

Eh bien, messieurs, je ne reconnais pas, à de tels actes, le gouvernement du pays par le pays et vous l'avez si peu reconnu vous-mêmes que pressés par l'opinion publique et les événements de Paris, vous avez frappé d'une véritable indignité ce prétendu gouvernement du pays par le pays en décrétant la réforme électorale. Attendez donc, je vous prie, les résultats de cette réforme et si cet essai est aussi malheureux que ceux que vous avez tentés jusqu'ici, si les réclamations du pays ne sont pas mieux accueillies, si l'on n'admet pas, enfin, toutes ces économies si urgentes, et toujours vainement sollicitées, si l'on continue à refuser ces réductions demandées dans les dépenses de la diplomatie, de la marine militaire, de l'armée et de toutes les administrations, si l'on ne fait pas justice de tant de griefs et dé tant d'abus ; si enfin on ne met pas un terme à ce système d'ostentation et de prodigalités qui a ruiné le pays, si on marche toujours, comme on l'a fait d'expédients en expédients, de déficits en déficits, si après avoir écrasé le peuple de charges et d'impôts, pour alimenter les profusions gouvernementales, on l'achève aujourd'hui sous les coups des emprunts forcés et du papier-monnaie, votre prétendu gouvernement du pays par le pays est bien près de sa ruine ; vous aurez bientôt contre vous toute la population, et je n'aurai pas longtemps, j'espère, à rester dans cet isolement où je consens à me réfugier aujourd'hui, en attendant des jours meilleurs.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, j'éprouve le besoin de déclarer que je n'ai jamais douté de la loyauté du caractère de l'honorable M. Castiau, ni de la sincérité de ses convictions. Si les convictions de l'honorable M. Castiau sont sincères, les miennes le sont également et elles sont très profondes. Eh bien, je le déclare à la chambre, j'ai la conviction que si l'armée était restée sur le pied où elle se trouvait au moment des événements de Paris, elle eût été insuffisante ; pour le maintien de l'ordre et du repos public. J'ai eu l'honneur de déclarer à la chambre, dans la discussion du budget de la guerre, que nous avions à peine le nombre d'hommes nécessaire pour faire face aux besoins journaliers du service ; il est évident que, les circonstances changeant, il devenait indispensable d'augmenter l'armée, parce qu'elle ne pouvait plus suffire aux devoirs qu'elle avait à remplir. Nous avons une étendue de frontières très considérable, qu'il faut surveiller, qu'il faut garder sans cesse.

L'honorable M. Castiau prétend que la garde civique suffirait pour maintenir l'ordre ; Je crois que si nous avions une garde civique parfaitement organisée, elle pourrait venir en aide à l'armée, dans les circonstances actuelles ; mais, messieurs, chacun de vous sait que la garde civique n'existe pas, ou au moins qu'elle n'existe que dans certaines localités, que dans toutes les villes des frontières, particulièrement, cette garde n'est pas organisée et qu'elle n'existe que dans la capitale où je le reconnais, elle rend les plus grands services.

C'est donc à l'armée qu'incombe le devoir du maintien de l'ordre et de la défense du territoire. C'est l'armée qui préserve le pays des désordres dont il est menacé et qui empêche de coupables tentatives de réussir. Ce qui se passe en ce moment même dans le Hainaut, prouve l'utilité de l'armée. Je parle de ce qui se passe dans le Hainaut parce que l'armée a eu le bonheur d'empêcher, par sa présence, des collisions sanglantes entre les ouvriers eux-mêmes. Je le disais encore, dans la discussion du budget, le plus beau rôle de l'armée est un rôle préventif, mais elle ne peut prendre ce rôle que lorsqu'elle est assez forte et assez bien organisée, pour imposer par sa seule présence et pour enlever tout espoir aux ennemis du repos public et de l'indépendance nationale.

Je le répète, messieurs, quand l'armée est forte, les collisions sanglantes sont moins à craindre que quand elle est faible. C'est donc dans un intérêt d'humanité autant que dans un intérêt de sécurité publique que je demande de pouvoir mettre l'armée sur un pied respectable.

L'armée vous a donné des preuves de ce qu'elle pouvait faire ; ce qu'elle a fait" déjà doit vous rassurer sur ce qu'elle fera encore, et vous engager à voter le crédit que je demande. Si je puis me dispenser de dépenser ce crédit en totalité, je serai heureux de faire toutes les économies possibles. Mais, d'un autre côté, si les événements l'exigent, je n'hésiterai pas à dépenser la totalité des 9 millions que je réclame.

L'honorable M. Castiau demande si ces 9 millions suffiront ; j'ignore quels sont les événements que l'avenir peut amener ; mais si les circonstances ne s'aggravent pas, avec ces 9 millions, je pourrai faire face à toutes les éventualités jusqu'au mois de septembre.

M. Castiau nous a parlé également de l'insuffisance de l'armée pour maintenir l'ordre à l'intérieur. Il a cité l'exemple de ce qui/s'est passé à Paris, à Berlin, à Milan. Je conçois que lorsque toute une nation se prononce contre son gouvernement, les armées peuvent quelquefois être insuffisantes à remplir leur mission ; mais lorsque l'armée marche avec le sentiment national, quand on voit les populations s'armer pour la soutenir dans sa tâche, alors une armée est toujours sûre de réussir, de maintenir l'ordre à l'intérieur et de défendre victorieusement les frontières. Messieurs, vous pouvez donc avoir une entière confiance dans l'armée ; elle saura remplir tous ses devoirs, elle répondra noblement à tout ce que le pays attend de son courage et de son patriotisme ;

M. Pirson. - Après la déclaration que vient de faire un honorable député de Tournay, de vouloir se retirer du corps législatif où, par la puissance de son talent, il jetait un si vif éclat, ce n'est pas sans une certaine émotion, ce n'est pas sans éprouver un sentiment pénible de regret que je prends la parole pour combattre ses principes. Mais la même puissance qui détermine ses convictions m'impose, à moi, le devoir de motiver mon opinion. Contrairement à la sienne, je dois dire qu'il me paraît constant que le gouvernement doit pourvoir à des dépenses extraordinaires dont seul, sur sa responsabilité, il est en position d'établir le chiffre avec quelque exactitude, pour ne pas, comme celui qui dirigeait les affaires dit pays en 1831, être accusé d'imprévoyance dans l'exécution des mesures que réclame la sûreté de l'Etat.

Si, en 1851, le gouvernement avait demandé en temps opportun quelques millions de plus pour le service de l'armée, il n'aurait pas encouru le reproche fondé qui lui fut fait alors d'avoir exposé le pays à des sacrifices bien autrement considérables, et à des désastres irréparables.

Certes, l'on doit plus que jamais éviter toute dépense inutile, mais il ne faut pas perdre de vue cependant que des mesures d'économie mal entendues pourraient non seulement augmenter l'anxiété et l'inquiétude qui règnent dans le pays et qu'il est de notre devoir de tacher de faire disparaître, mais encore compromettre l'avenir du pays lui-même. Il ne faut pas qu'on puisse jamais reprocher à la Belgique d'avoir compromis sa cause, d'avoir elle-même creusé sa tombe, eu se refusant aux sacrifices nécessaires pour la consolidation de sa nationalité et la conservation de l'intégrité de son territoire.

On a émis des doutes sur la nécessité de donner au gouvernement les moyens de préparer nos moyens de défense, et de rendre l'effectif de l'armée sous les armes plus élevé qu'il ne l'était avant les événements du 24 février. Il me semble qu'à cet égard il ne devrait pas y avoir de doute ; non pas que, quant à présent, je croie déjà à une conflagration générale : aussi je ne voudrais pas, pour le moment, que notre armée fût portée à son complet de guerre de 80,000 hommes.

Mais des préparatifs militaires, des armements de sûreté dans nos forteresses, un effectif de 50.000 hommes me paraissent indispensables pour parer aux événements imprévus. Dans des jours d'agitation comme ceux au milieu desquels nous nous trouvons, personne n'oserait affirmer que des mouvements irréguliers ne pussent se produire, que nos frontières ne pussent être l'objet de tentatives déréglées, insensées, comme elles l'ont été tout récemment, et contre lesquelles, il importe (page 1221) de se garantir. Eh bien, cette éventualité existant, la prudence la plus vulgaire exige que le gouvernement se mette en mesure de pouvoir, en toutes circonstances, défendre notre indépendance.

La condition d'existence pour la Belgique, c'est qu'elle reste toujours libre et indépendante, c'est qu'elle n'affiche pas plus de prédilection pour l'Allemagne que pour la France, pas plus de prédilection pour la France que pour l'Allemagne, c'est qu'elle résiste à toute pression extérieure, c'est qu'elle ne reçoive d'impulsion de personne et que chacun en soit assuré.

La monarchie démocratique de la Belgique compte aujourd'hui dix-huit années d'existence ; c'est plus que n'en compta l'empire français, qui ne dura que dix ans ; c'est plus que n'en a compté le royaume des Pays-Bas tel que l'avaient fait les traités de 1815, puisqu'il n'a duré que quinze ans. C'est donc un grand fait accompli que ces dix-huit années d'existence.

Ne le compromettons pas, messieurs, je vous en conjure, par défaut de prévoyance, par défiance dans nos ressources, par manque d'énergie au moment critique, suprême peut-être.

Il n'entre certainement dans l'esprit de personne en Belgique de vouloir troubler la paix de l'Europe. Malgré l'attaque déloyale dont l'une de nos frontières a été récemment le théâtre, j'ai foi dans les sentiments généreux de la nation française, qui, je n'en doute nullement, désapprouve un pareil acte. J'ai foi également dans la sincérité des déclarations du gouvernement provisoire de ce pays. Je me rappelle les services que la France nous a rendus en 1831 et en 1832. Je ne crois pas que cette France, si grande, si puissante, si magnanime, méconnaissant tous les principes de liberté qu'elle proclame, se soit tout à coup transformée en une horde de sauvages prêts à se ruer sur tous les peuples. Je ne pense donc pas que la France songe à envahir les Etats voisins qu'ils tiennent ou ne tiennent pas à leurs institutions et à leur nationalité. Maïs au milieu de la tourmente qui agite presque tous les peuples, une guerre irrégulière, si pas une guerre régulière, une guerre de frontières, étant chose possible, je le répète, la prudence la plus vulgaire commande de se prémunir contre toute éventualité. Telle est aussi la règle de conduite suivie dans tous les Etats ; et c'est ainsi qu'en Angleterre, qu'en Hollande, qu'en Prusse, qu'en Allemagne, qu'en Autriche, qu'en France même, tout en protestant des dispositions les plus pacifiques, on arme activement.

Pas plus que dans ces Etats, il ne faut perdre de vue qu'en cas d'agression, qu'en cas de guerre régulière ou irrégulière, la seule chose respectable c'est la force, et qu'on foulerait sans pitié le sol de la Belgique, et qu'on dévasterait notre belle patrie, qu'on la ferait peut-être disparaître à tout jamais du rang des nations si, à un moment donné, elle n'était en état de se défendre. Il faut que la Belgique, sous peine de déchoir, sous peine de perdre sa nationalité, défende ses frontières si elles venaient à être attaquées, il faut qu'elle soit mise à même de repousser toute agression, de quelque manière ou de quelque côté qu'elle puisse se présenter.

Qu'on ne vienne pas nous dire, comme je l'ai entendu exprimer dans les sections, que nous sommes trop faibles pour résister à nos puissants voisins. La force, de quelque part qu'elle vienne, lorsqu'elle repose sur le droit et la justice, impose toujours. Rappelez-vous ce qui s'est passé en Suisse, il y a bien peu de temps. Rappelez-vous ce qui s'est passé dans le même pays, il y a quelques années. Sommée de renvoyer de son territoire un de ses concitoyens, la Suisse consultant moins ses forces que son honneur, se présenta en armes à sa frontière, pour repousser l'injuste agression dont on la menaçait. Osa-t-on l'attaquer ? Non, messieurs. Pourquoi ? Parce que la manifestation d'un peuple qui se montre unanime à défendre ses droits et son indépendance, qui ose faire acte de nation, qui fait acte de virilité et non de lâcheté, impose même aux plus puissants. .

Qu'on ne vienne pas non plus, ainsi que cela a eu lieu, invoquer notre neutralité comme devant nous dispenser de prendre des précautions militaires. Neutralité ne signifie pas impuissance ; neutralité ne signifie pas qu'on doive se livrer sans défense à la merci du premier envahissant. Neutralité signifie l'état politique d'un peuple qui, en cas de guerre entre deux ou plusieurs puissances, doit s'abstenir de toute participation aux hostilités. Mais, ainsi qu'en maintes circonstances nous l'avons déjà fait remarquer avec plusieurs honorables collègues et, entre autres, avec l'honorable M. Lebeau, c'est principalement pour le cas de guerre qu'une semblable stipulation est insérée dans les traités, et elle impose pour devoir de posséder un établissement militaire tel que la neutralité puisse être maintenue et défendue. Un peuple qui l'accepte doit savoir s'imposer les sacrifices qui en sont la conséquence.

Tout peuple qui ne sait pas s'imposer ces sacrifices, qui, le cas échéant, ne sait pas souffrir pour maintenir son indépendance, qui doute de soi, qui s'abandonne soi-même, qui se demande dans les moments difficiles s'il vaut mieux d'être ou ne n'être pas, un tel peuple ne doit par aspirer au titre de nation, il n'en est pas digne.

D'ailleurs, messieurs, pour ceux qui pourraient éprouver certains scrupules, je leur rappellerai que la France elle-même, ayant pris une part activé au traité nous imposant une neutralité perpétuelle, doit voir avec satisfaction notre volonté ferme de rester fidèles à ce traité. Elle doit nous savoir gré de l'altitude et des précautions militaires que nous avons prises, parce que les armements que nous avons faits en vue de maintenir cette neutralité, couvrent sa frontière la plus vulnérable. Si nous voulons vivre en bonne harmonie avec nos voisins, si nous ne voulons pas disparaître de la carte européenne comme nation, si nous voulons trouver au besoin de véritables alliés, ne méconnaissons pas le traité qui nous a constitués en nation indépendante. Remplissons fidèlement toutes les obligations qu'il nous impose, et de même que, pour les questions intérieures, il ne doit y avoir en Belgique ni Wallons, ni Flamands, ni Liégeois, ni Gantois, de même pour les questions extérieures, il ne doit y avoir ni Allemands, ni Français, mais toujours des Belges, de bons Belges, unis par des liens communs, par des liens nationaux, disposés en toutes circonstances à se prêter un mutuel et énergique concours pour consolider notre nationalité.

Veuillez d'ailleurs remarquer, messieurs, que la plupart des dépenses qui vous sont demandées pour le service de l'armée ne sont que temporaires. Elles cesseront aussi tôt que l'état de choses permettra de ramener notre établissement militaire aux prévisions budgétaires. Tout en voulant donc éviter qu'on ne fasse de dépense inutile, je crois que nos armements, qui ne sont que de simples précautions militaires, sont indispensables. Je pense que le gouvernement ne pourrait, dans les circonstances actuelles, sans compromettre sa responsabilité, ne pas préparer nos moyens de défense, et, dès lors, je ne puis, en conscience, lui refuser les allocations qu'il demande à cet effet.

Je ne me dissimule pas, messieurs, que la situation du pays, au point de vue financier, industriel et commercial, ne soit grave, qu'elle mérite d'être profondément méditée, qu'elle présente des complications, que beaucoup d'intérêts ne soient en présence et en souffrance. Mais il ne faut pas tout à fois s'exagérer cette situation. Il n'y a pas lieu d'en désespérer. Avec du cœur et de l'énergie, on peut faire sortir la patrie triomphante de tous les embarras qu'elle présente. La position actuelle, quelque grave, quelque critique qu'elle soit, ne m'apparaît nullement comme désespérée. Notre salut est entre nos mains. Si nous faisons les efforts et les sacrifices nécessaires, nous saurons nous dégager des écueils où nous a précipités le courant des événements. D'ailleurs n'est-il pas dans la vie des nations, comme dans celle des individus, des moments de crise, où il faut savoir supporter des remèdes violents pour conserver l’existence ? Lorsqu'il s'agit de défendre l'honneur national, lorsqu'il s'agit de maintenir son indépendance, doit-on reculer devant des sacrifices momentanés, quelque grands qu'ils puissent être ? De 1831 à 1834, la situation de la Belgique ne fut-elle pas aussi très grave ? N'y eut-il pas à cette époque une stagnation complète dans les affaires ? La Belgique a-t-elle péri pour cette raison ? Non, messieurs ; alors elle n'a pas hésité à faire tous les sacrifices que réclamait la situation, et elle est sortie de cette épreuve plus laborieuse et plus prospère que jamais.

Que le cœur ne lui manque pas aujourd'hui ! Qu'elle sache supporter avec résignation les souffrances du moment ! Elle trouvera sa récompense dans une considération justement méritée, et je l'espère aussi, dans un avenir plus heureux. Je le dis avec une profonde conviction, si nous sommes sages et unis, la Belgique vivra, je n'en forme aucun doute. Comme aussi, si nous avons le malheur de nous diviser, hélas ! je le dis avec douleur, je le dis avec effroi, je crains pour son indépendance.

En demandant la parole, messieurs, mon intention n'a été que de motiver mon vote. Je ne prolongerai donc pas cette discussion, considérant d'ailleurs comme inopportune et dangereuse celle qui aurait pour objet de s'appesantir sur les détails du crédit qui nous est demandé. Mais avant de terminer, qu'il me soit permis d'émettre un vœu et d'exprimer l'espoir qu'il ne reste pas stérile.

Dans des questions comme celles qui nous occupent, dans des questions ayant pour objet, comme toutes celles qui se rattachent à l'emprunt proposé, d'engager les finances de l'Etat en imposant les contribuables, l'unanimité des opinions n'est guère possible, je le reconnais. Je respecte toutes celles qui se sont produites dans les sections, comme toutes celles qui se produisent et qui pourront se produire dans cette enceinte en séance publique. Je les crois toutes également consciencieuses, et loin de moi la pensée d'en critiquer aucune. Mais, en présence de la gravité des circonstances, je supplie mes honorables collègues de les produire avec réserve. Ne nous irritons pas, ainsi que je l'ai vu déjà ; ne donnons pas le spectacle affligeant de perdre nous-mêmes notre cause, de fournir des armes à ceux qui pourraient nous convoiter et voudraient nous exploiter ; songeons que cette discussion prendra sa place dans l'une des pages les plus importantes de notre histoire ; faisons en sorte que la Belgique n'ait qu'à s'enorgueillir et à s'honorer des résultats qu'elle doit produire ; entretenons et développons ces sentiments de patriotisme qui animent nos populations, ces sentiments d'amour national et de dévouement à nos institutions ; mettons en pratique la devise de notre drapeau, « l'union fait la force », en renforçant l'action du gouvernement qui a besoin de noire concours actif ; et, messieurs, par l'accord entre tous les pouvoirs, faisons en sorte de conserver intact ce drapeau qui aujourd'hui fait l'admiration de tous les peuples, qu'en 1830 nous avons conquis si glorieusement et au prix de notre sang, et sur lequel se trouvent inscrites toutes les libertés.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, si je me lève en ce moment, la chambre comprendra que je n'essayerai même pas d'exprimer le sentiment de profonde tristesse que j'ai éprouvé en entendant annoncer la retraite d'un homme, dont me séparant sans doute des dissentiments politiques, mais qui a plus que personne et mes plus vives sympathies et (page 1222) mon estime ; estime, messieurs, qui n'est qu'un faible hommage qu'une longue intimité me fait payer au plus noble caractère.

Je ne viens pas non plus traiter la question de notre politique extérieure, touchée en des termes si justes par l'honorable M. Pirson. Je pense avec lui que l'attitude de la Belgique doit être modeste et ferme. La Belgique doit se montrer vis-à-vis de toutes les nations sans timidité, sans faiblesse, comme sans provocation.

Un pays libre peut regarder en face les peuples qui, dans leur légitime colère, secouent le joug d'un gouvernement tyrannique.

Si j'ai pris la parole, messieurs, c'est seulement pour motiver mon vote.

Je né cacherai pas à la chambre que j'ai été opposé au crédit supplémentaire de 18 millions demandé pour les dépenses extraordinaires du département de la guerre.

Dans ma section, j'ai voté contre ce crédit. Au sein de la section centrale, j'ai combattu le principe d'une pareille dépense extraordinaire, et lorsque la section a émis son vote, je me suis abstenu.

Je crois donc devoir à la chambre et me devoir à moi-même de dire en quelques mots par quelles considérations je donnerai au crédit un vote favorable.

Il n'est personne qui n'apprécie ce que les circonstances ont de grave, et ce qu'elles laissent à l'imprévu. Et s'il ne s'agissait que du but à atteindre, la discussion serait bientôt terminée ; ou plutôt toute discussion serait impossible ; car tous, tous sans exception, nous voulons que nos frontières soient efficacement protégées ; que l'ordre public soit maintenu ; que les lois du pays soient respectées. Sur les moyens d’atteindre ce but, il y a également accord, au moins dans certaines limites ; car personne ne conteste que l'action de l'armée ne soit une nécessité pour défendre nos frontières contre les irruptions anarchiques du dehors. Personne non plus ne conteste que l'armée ne puisse être éminemment utile, en concourant au maintien de l'ordre public à l'intérieur.

La discussion n'était donc possible et elle ne s'est effectivement élevée que sur le chiffre de la dépense. Sur cette question, je dois le dire, il s'est présenté des objections et j'ai eu les doutes les plus graves. J'étais convaincu, en présence de la situation qui se développait si rapidement sous nos yeux, que la demande d'un crédit de 18 millions formée par M. le ministre de la guerre était empreinte d'exagération, et tout au moins qu'elle dénotait de sa part un peu trop de laisser-aller dans les dépenses extraordinaires de son département.

Je suis heureux de pouvoir déclarer que M. le ministre de la guerre a fait disparaître en grande partie ces objections. Il a en effet consenti à réduire le crédit de 18 à 9 millions. Par là, il a non seulement consenti à ce que le crédit se bornât à pourvoir aux dépenses jusqu'au 1er septembre ; mais il a fait connaître à la section centrale qu'il s'agissait d'une réduction bien positive sur tout le chiffre des dépenses extraordinaires de l'armée, puisqu'il ne faudrait plus que 4 millions pour les 4 mois restants de l'année, de septembre à décembre. C'est-à-dire, que toute la dépense extraordinaire du 25 février au 31 décembre ne s'élèvera qu'à 13 millions, au lieu de 18.

Et ce n'est pas tout. M. le ministre de la guerre a ajouté, dans l'exposé des motifs du crédit même de 9 millions, qu'une partie des dépenses n'était qu'éventuelle. Ces dépenses ne doivent donc pas absolument se faire. M. le ministre consultera les circonstances ; il ne cédera qu'aux nécessités les plus impérieuses de la situation, et il devra ne pas perdre de vue que le premier devoir que la situation du pays lui impose, est de lui de faire des économies partout où elles seront compatibles avec l'honneur, avec la sécurité, avec la dignité du pays.

Indépendamment de cette réduction sur le chiffre de la dépense, les circonstances extérieures sont telles, les faits que M. le ministre de la .guerre a communiqués à la section centrale sont tels qu'ils suffisent à déterminer de ma part un vote favorable et à ne point le faire dépendre d'une réduction ultérieure sur quelques-uns des articles du tableau annexé au projet.

Seulement, je recommanderai avec instance à M. le ministre de la guerre de ne pas oublier que si la situation actuelle n'est pas la paix, ce n'est pas non plus la guerre, que par conséquent le statu quo peut se prolonger longtemps, et que le pays, qui a passé par deux années calamiteuses, est bien près d'être épuisé. Or, si, la guerre venait à surgir de l'état actuel de l'Europe, il faudrait que la Belgique eût assez de ressources encore pour un héroïque effort.

Vient ensuite la question du maintien de l'ordre à l'intérieur. Là, messieurs, je ne puis partager non plus complètement les vues émises par M. le ministre de la guerre. Je crois, pour mon compte, qu'il faut largement associer la bourgeoisie à la défense de l'ordre public.

Si la garde civique n'est pas généralement organisée, c'est là une organisation qui doit se faire au plus tôt, et qu'en attendant on doit tirer de la garde civique, telle qu'elle est, tous les services qu'elle peut rendre si utilement pour le pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - C'est ce qu'on fait.

M. d’Elhoungne. - C'est ce qu'on ne fait pas précisément partout, M. le ministre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il faut s'adresser aux communes.

M. d’Elhoungne. - M. le ministre de l'intérieur me dit : Il faut s'adresser aux communes Mais la chambre s'occupe de faire une loi qui permettra, je pense, de forcer les communes à faire leur devoir. Or, s'il y eut jamais une situation où tout le monde dût faire son devoir, n'est-ce pas la situation où se trouve le pays ?

Je disais, messieurs, qu'il entrait dans les devoirs les plus impérieux du gouvernement d'alléger autant que possible les charges qui doivent grever actuellement le pays, et que dans ce but le gouvernement devait nécessairement associer d'une manière plus large qu'il ne l'a fait jusqu'à présent, la bourgeoisie au maintien de l'ordre public et à la défense des institutions du pays. A cette occasion, qu'il me soit permis de dire à M. le ministre de l'intérieur, qu'il aurait dû, dans son discours, surtout insister sur la force d'une armée, qui a l'opinion du pays derrière elle. Il ne suffit pas de dire, en effet, que l'armée est forte lorsqu'elle soutient un bon gouvernement. Tous les gouvernements se croient les meilleurs possibles, et ne manquent pas de le crier à leur armée ; mais il faut dire qu'une armée est forte, lorsqu'elle a avec elle le sentiment du pays, tandis qu'elle est bientôt balayée, lorsqu'elle a contre elle le sentiment du pays, lorsque le souffle du pays l'étouffe en quelque sorte, et la paralyse.

Et revenant ici sur un douloureux incident, auquel M. le ministre de l'intérieur a fait allusion, et dont j'ai presque été le témoin, qu'il me soit permis d'insister énergiquement pour que la légalité la plus stricte, la plus scrupuleuse, et, pour répéter un mot de M. le ministre, la plus patiente, préside toujours à la répression des désordres qui pourraient éclater dans le pays. J'espère que de pareils désordres n'affligeront plus le pays ; et je dois le dire pour l'acquit de ma conscience, je forme des vœux pour que ce triste accident, que cette déplorable collision apprenne au peuple qu'il est toujours la première, qu'il est presque toujours la seule victime de ceux qui le poussent à l'émeute. Je fais des vœux pour qu'il sorte de là cette douloureuse leçon, que les maux que la perturbation d'un pays entraîne retombent directement, nécessairement, fatalement sur le peuple, qui, je le répète, en est souvent la seule et toujours la première victime. (Très bien ! très bien !)

M. Eenens. - Je crois, messieurs, que la question des dépenses pour l'armée est de la plus haute importance et qu'elle mérite d'être examinée attentivement par la législature.

La situation politique, au point de vue extérieur, peut se prolonger et se maintenir longtemps encore dans l'étal actuel.

Notre situation militaire, alors, serait analogue, sinon identique, à ce qu'elle fut, pendant notre altitude de 1833 à 1839 vis-à-vis la Hollande, lors du statu quo.

En effet, que s'est-il passé durant cette période de sacrifices ? La Hollande a tenu ses forces militaires au complet ; la Belgique maintint sa cavalerie et son artillerie, mais elle renvoya en congé bon nombre de miliciens de son infanterie, toujours prêts à rejoindre au premier appel. Réduisant ainsi considérablement ses dépenses, elle ne s'épuisa point de ressources, tandis que la Hollande tomba écrasée sous le fardeau de la lutte financière qui s'éleva entre les deux Etats, et dut souscrire à des conditions de paix jusqu'alors refusées.

Evitons, messieurs, de faire aujourd'hui ce que fit alors la Hollande. Ne ruinons pas nos finances par des dépenses intempestives. Conservons pour le moment décisif des ressources qui peut-être ne se renouvelleraient plus.

L'armée belge peut se trouver en face de trois grandes éventualités :

L'invasion du territoire par une forte armée étrangère.

L'incursion de bandes armées plus ou moins nombreuses.

Les troubles intérieurs. Examinons ces trois éventualités.

J'ai approuvé la mesure prise par le gouvernement d'augmenter, dans une notable proportion, l'effectif de notre armée, à la première nouvelle de l'avènement en France d'un gouvernement nouveau.

Nous ne savions quelles seraient ses intentions à l'égard de la Belgique. Nous devions nous montrer envers lui, envers l'Europe, fortement résolus à maintenir notre indépendance, fermement décidés à rester toujours une digue de neutralité prête à résister aux tentatives d'envahissement, de l'un comme de l'autre côté.

Mais depuis que la France et la Belgique ont échangé entre elles des assurances pour le maintien de la paix, les armements coûteux sur notre frontière du midi ne sont plus aussi nécessaires ; ils pourraient être mal interprétés et donner à nos voisins des idées de méfiance qu'il est d'une sage politique de ne pas laisser se former ; car, selon moi, elles pourraient nous attirer un danger réel, et se traduire en tempêtes.

Le gouvernement provisoire de France paraît aujourd'hui consolidé par l'assentiment général. L'armée, le clergé, le parti légitimiste, nul ne s'oppose à lui. Tout, au contraire, fait présager qu'il atteindra sans secousse l'époque de la réunion de l'assemblée nationale.

Cette première phase passera donc, on peut le dire, sans que nous ayons à redouter les atteintes d'une guerre. La seconde phase, la réunion des mandataires de la France, amènera probablement ces longues discussions qui précèdent toute promulgation d'institutions politiques nouvelles.

Nous trouvant ainsi à l'abri d'une guerre imminente, nous traverserons plusieurs mois pendant lesquels nous pourrons économiser plusieurs millions.

Mais s'il devait en être autrement ; si la nature des événements faisait présager quelque danger, nous rappellerions sur-le-champ nos miliciens d'infanterie, et la Belgique aurait, en quelques jours, remis son armée sur le pied actuel, tout en réalisant une économie de sommes très importantes.

(page 1223) Quant à la seconde éventualité : l'incursion de bandes armées, elles ne seraient pas redoutables au point de ne pouvoir être repoussées, sinon détruites, par les 25,000 hommes dont l'entretien a été assuré déjà par le budget de 1848.

Mais il faut se hâter d'organiser la garde civique pour profiter de son concours gratuit, pendant qu'une partie des troupes opérerait en colonnes mobiles.

L'attitude de la garde civique de Bruxelles, la seule qui soit organisée, nous prouve quels services elle est capable de rendre.

Pour les troublés intérieurs, ils ne sont réellement à craindre que lorsque les malveillants trouvent de l'écho dans les masses.

Ils n'en trouveront point aussi longtemps que la majeure partie de la population ouvrière aura du travail.

Le moyen de lui en fournir, c'est de venir en aide au commerce et à l'industrie, c'est de raffermir le crédit pour empêcher que les ateliers ne chôment, c'est de faciliter toutes les transactions par la confiance dans l'avenir du pays.

Cette confiance ne saurait manquer de s'accroître, si l'on voit le gouvernement économiser, en temps opportun, sur les dépenses de l'armée, afin de n'être pas réduit à pressurer le pays par de lourdes charges qui pourront se renouveler maintes fois avant le moment décisif où il importe d'avoir l'armée dans toute sa force.

Sans doute il serait préférable d'avoir toujours sous la main des forces militaires imposantes, pour parer à toutes les éventualités ; mais l'entretien de forces militaires imposantes exige des ressources financières considérables, et on sait que, pour le moment, nos ressources financières sont très limitées.

Un temps viendra, il est prochain peut-être, où le gouvernement ne pourra plus rien prélever sur le pays sans l'obérer entièrement.

Il serait donc d'une sage prévoyance de réserver, comme je viens de le dire, le grand déploiement de forces pour le moment du besoin bien réel et de s'écarter, en attendant, le moins possible des limites du budget de la guerre pour 1848.

Renvoyons sans crainte les miliciens d'infanterie dans les campagnes. Le travail y est assuré à cette époque de l'année ; et, quant à ceux des villes, laissons-leur l'option de rester sous les drapeaux.

Messieurs, je ne sais si je me trompe, mais, d'après moi, l'ennemi le plus pressant à combattre, le plus dangereux, pour le moment du moins, c'est la crise financière, suite du défaut de confiance qui ébranle le crédit.

Pour ramener la confiance qui rétablisse le crédit et fasse cesser la crise financière, il faut que chacun sache que le gouvernement procède avec la plus stricte économie, il faut que les petits contribuables n'aient pas la crainte de voir épuiser leurs dernières ressources par les besoin sans cesse, renaissants du trésor.

Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous dire que, de 1833 à 1839, la Belgique a tenu sur pied de guerre sa cavalerie et son artillerie. L'artillerie comptait 17 batteries attelées de 3,000 chevaux.

L'emploi de ces 3,000 chevaux, pendant 6 années, eût pu produire des sommes énormes, sans nuire à leur destination militaire ; mais rien n'a été fait en dehors de cette destination.

Les événements récents peuvent nous remettre dans une situation pareille à celle de 1833 à 1839.

Cette situation me paraît normale, en quelque sorte, pour la Belgique, car elle est inhérente au principe de sa neutralité qui, pour être respectable, a besoin de s'appuyer sur la force autant que sur la loyauté.

Sa loyauté ne fera jamais défaut ; quant à sa force, elle doit la perdre le jour où elle aura épuisé ses finances. Ce jour, elle verra déchoir sa nationalité et péricliter son indépendance.

Je veux fermement l'indépendance de mon pays ; pour la maintenir je ne reculerai devant aucun sacrifice personnel, mais, je la veux par des moyens qui ne la ruinent point ; je tiens à éviter qu'on ne nous reproche un jour d'avoir fait des dépenses d'une utilité contestable.

Un bon moyen de sauver la Belgique, le seul peut-être, c'est d'entrer bien vite et sans hésitation dans une large voie d'économies, il est des nécessités qu'hommes et nations doivent fatalement subir, et nous sommes à un de ces moments-là.

Je le dis avec franchise : je crains de voir s'épuiser, avant le temps du besoin réel, des ressources que nous ne saurons sans doute plus renouveler.

Ne négligeons aucun moyen d'assurer notre marche au milieu des difficultés qui nous environnent, mais craignons, en ouvrant une trop large voie aux besoins du trésor, de nous réduire à l'impuissance avant peu.

Dans le cas où la situation du statu quo de 1833 à 1839 se représenterait avec les dépenses qu'elle nécessite, je pense qu'il importe, que le pays reçoive du gouvernement la déclaration qu'il est en mesure d'utiliser la situation de manière que les dépenses devant se prolonger, elles ne soient plus, comme elles le furent à cette époque des dépenses sans compensation.

Si le gouvernement prend ce parti, il trouvera un puissant auxiliaire dans les efforts qu'il fait pour ramener la confiance dans les transactions financières.

Si, entrant dans la voie des essais de défrichement qu'il a en quelque sorte annoncée déjà, il combine ces essais avec l'emploi de la troupe, il peut créer au trésor des valeurs immenses, et je ne crains pas de tomber dans l'exagération en disant que ces valeurs seront toutes trouvées pour lui, dès l'instant où il pourra destiner aux travaux du défrichement une partie de son artillerie montée.

Nul doute que la possibilité d'exécuter un pareil projet ne contribue puissamment à ramener la confiance et à fortifier le crédit public.

La chambre, je le sais, ne peut en ce moment mettre à l'étude le projet dont il s'agit, mais les moyens de réalisation sont si simples et si clairs, que le pays, je le crois du moins, s'en préoccupera en attendant que la chambre puisse l'examiner.

C'est l'opinion publique qui soutient le crédit public. Cette considération seule me détermine à prendre la parole, persuadé qu'indiquer une source nouvelle de produits, c'est déjà y conduire les esprits, les engager à sonder la voie, leur montrer qu'elle n'est pas stérile et partant les ramener tous à la confiance.

Mais il ne suffit pas d'indiquer cette source. Pour qu'elle réagisse favorablement sur le crédit, il faut que l'opinion publique l'admette comme vraie.

Pour l'admettre il faut l'examiner, pour qu'on l'examine il faut la lancer dans la discussion, afin que les hommes spéciaux en fussent justice si elle est erronée, ou concourent à sa réalisation, si elle est fondée sur des principes vrais.

J'ai vu, messieurs, à la page 21 des documents qui nous ont été distribués, comme annexes au n° 132, que le gouvernement ne serait pas éloigné d'entreprendre lui-même, au besoin, des essais de colonisation, par le défrichement des terres incultes, essais dont la faculté lui est donnée par l'article 8 de la loi du 25 mars 1847.

J'applaudis d'autant plus fortement à cette idée, que j'attache les plus grands bienfaits à sa réalisation. Non seulement je la regarde comme un moyen puissant de bien-être pour les populations pauvres des Flandres qu'on pourrait y transplanter dès que le sol aurait été préparé de manière à pourvoir à leur subsistance et que les habitations destinées à les recevoir auraient été construites ; mais je la considère encore comme susceptible de devenir une source féconde de produits pour l'Etat.

Si au contraire, comme il se le propose, le gouvernement se contentait de la construction des routes, des édifices du culte, des écoles, etc., c'est à lui qu'incomberait toute la dépense, c'est aux particuliers que reviendrait tout le profit de la plus-value que les travaux faits dans ces localités donneraient à leurs propriétés, la situation du trésor ne permet plus de semblables largesses.

Par le défrichement des bruyères de la Campine l'Etat peut se créer une réserve financière s'élevant à un chiffre considérable. Que doit-il faire pour cela ? Transformer en terres fertiles les bruyères de la Campine, au moyen des troupes à cheval, les sillonner de routes nombreuses, les garnir de plantations, de haies afin de préserver les récoltes de l'action violente des vents, amender par une addition d'argile leur sol aujourd'hui d'une nature trop sablonneuse, les ramener, en un mot, aux proportions des bonnes terres, pour les remettre en vente, après leur avoir fait subir une transformation complète, par quelques années de culture intelligente.

L'extraction, le transport de cette argile que recèle en tant d'endroits le sous-sol de la Campine, s'élèveraient à des sommes énormes pour des particuliers, tandis que ces mêmes travaux ne coûteraient rien ou presque rien au gouvernement, par l'emploi des attelages et des soldats dont l'entretien est assuré au budget.

Livrées à la culture par l'industrie particulière, les landes de la Campine resteraient toujours, à peu d'exceptions près, à l'état de terres trop légères, et en conserveraient tous les défauts. En effet, chaque récolte, pour acquérir quelque valeur, y exige et absorbe une énorme quantité de fumier, tandis que chaque année de sécheresse y fait un tort immense aux produits, et détruit en grande partie les espérances, et parfois la fortune du cultivateur.

Que la troupe les cultive, les amende, les sillonne de routes pour le compte du gouvernement, et bientôt nous verrons ces mêmes landes ramenées à la composition d'un sol fertile, par l'addition à la couche arable d'un dixième d'argile. Alors le gouvernement les mettrait en vente, et les livrerait à l'industrie particulière dans des conditions de fertilité qui leur auraient fait acquérir une grande valeur, tandis qu'elles demeureraient peut-être pour toujours à l'état de terres très médiocres, si les particuliers entraient en possession, avant qu'elles eussent subi les opérations que je riens d'indiquer.

L'Etat mettrait successivement en vente l'immense étendue de terrain que l'armée, aurait fertilisée, au moyen d'une partie des 6,000 chevaux que va nourrir le trésor public.

Le rôle de ces chevaux sera d'aider à transformer le sol de manière à lui faire produire la nourriture nécessaire au bétail ; le rôle du bétail sera d'assurer par son fumier l'entretien de la culture du sol, amendé au moyen de l'argile.

En d'autres termes, la culture du sol de la Campine peut être entreprise et continuée avec succès, dès l'instant où le sol est à même de produire la nourriture du bétail. Les chevaux de troupe que l'Etat fera nourrir sur place par ses entrepreneurs, comme il le fait aujourd'hui, contribueront à mettre le sol en état de produire le fourrage nécessaire à l'entretien du bétail, et comme, de son côté, le bétail est destiné à produire les engrais nécessaires à la culture, la fertilité du sol est assurée.

Il est superflu de dire que les engrais de nos chevaux sont tout à fait insignifiants pour opérer sur une grande échelle ; mais le sarrasin, cultivé pour être enfoui comme engrais, semble un don de la Providence (page 1224) fait aux sols légers et stériles pour leur donner la fertilité qui leur manque.

Nous voyons, dans le cours d'agriculture publié par l'Institut de France, qu'il n'y a pas de plante qui fournisse un meilleur engrais et qui se réduise plus tôt en terreau que le sarrasin.

Ce terreau, mêlé au sol de la Campine, lui donnera promptement la fertilité voulue.

Les particuliers peuvent reculer devant ce moyen, parce qu'il leur faut porter en compte, outre la semence, la main-d'œuvre du labour et du hersage. Labour, hersage, main-d'œuvre ne coûteraient guère à l'Etat par l'emploi qu'il ferait de ses hommes et de ses chevaux. Dès lors, n'ayant à payer que le blé sarrasin pour semence, il peut produire l'engrais, en enterrant la récolte et opérer sur une très vaste étendue.

Les chevaux de trait de notre artillerie sont d'une construction légère, mais ils supportent bien le travail ; ils conviennent donc éminemment aux travaux de culture d'un sol aussi léger que l'est celui de la Campine. Actifs et bien nourris, ils seraient à l'occasion toujours prêts à remplir parfaitement leur destination militaire, par le soin qu'on prendrait de ne les faire travailler qu'à demi-charge.

En Angleterre, dans le comté de Norfolk où le sol, quoique d'une nature analogue à celui de la Campine, a été porté au plus haut degré de fertilité, par une culture si bien entendue qu'elle peut nous offrir d'utiles leçons, dans le comté de Norfolk on attelle ordinairement cinq chevaux au chariot sur les routes. Les chevaux trottent toujours quand les voitures sont vides, soit sur les routes soit dans les charriages de la ferme.

C'est un exemple que suivraient nos attelages de six d'artillerie, qui continueraient de former ainsi un tout complet, comme à la manœuvre des pièces.

Un point d'une bien haute importance à prendre en considération, c'est l'économie qui résulterait pour l'Etat d'une mortalité bien moindre des chevaux de troupe. Tout influerait favorablement sur la santé des chevaux, le grand air remplaçant l'air vicié des casernes dans l'intérieur des villes, le travail modéré, la nourriture variée, le fourrage vert, qu'il est si difficile de se procurer aujourd'hui, en abondance et de bonne qualité, dans les garnisons.

Les routes, dont la construction absorberait de fortes sommes, s'établiraient à bien peu de frais par l'emploi de la troupe. Pendant l'hiver, lorsque les travaux de culture et les exercices militaires laisseraient les attelages disponibles, on les occuperait au transport de pavés que les pontonniers auraient transportés par eau des carrières de l’Ourthe au canal de la Campine.

Un des prédécesseurs de l'honorable ministre de l'intérieur, M. le comte de Theux, je pense, fit demander un rapport aux conseils provinciaux pour connaître quelles causes retardaient le défrichement des bruyères et quels seraient les moyens de l'activer. La commission provinciale d'agriculture de la province d'Anvers signala le manque de population comme la cause principale, et nous voyons à la page 29 de l'analyse des documents relatifs au défrichement des bruyères, imprimés par ordre du ministre de l'intérieur, que cette commission propose d'employer une partie de la population surabondante des Flandres, par l'intervention du gouvernement ou d'une société puissante, qui acquerrait 6,000 hectares de bruyères, destinés à l'établissement de 2,000 familles flamandes.

Ces 2,000 familles s'installeraient bien plus avantageusement, aves bien plus de certitude de succès, sur 6,000 hectares défrichés par la troupe. Les membres composant ces familles seraient employés comme journaliers par des fermiers que le gouvernement trouverait facilement à installer sur ces terres défrichées, en les choisissant parmi les fis de bons fermiers des Flandres, dont un seul peut succéder au père, tandis que les autres ne trouvent point à s'établir, la ferme ne pouvant être divisée par le propriétaire.

Que l'on compare la valeur des landes dans leur état actuel, valeur qu'en donnerait l'Etat pour entrer en possession, avec celle d'une toute autre proportion que les travaux exécutés, presque sans frais, leur auraient fait atteindre, et l'on pourra juger des sommes énormes qui rentreraient au trésor public, en opérant progressivement et graduellement sur une plus grande échelle, à mesure que l'expérience aurait grandi, que l'éducation agricole se serait complétée, à mesure que la pratique aurait rendu plus sûre la marche des opérations.

Pour diminuer encore les avances à faire par l'Etat, on pourrait hypothéquer, au profit des communes, le montant du prix d'achat des bruyères et leur en payer l'intérêt annuel jusqu'au moment où on liquiderait soit par la vente successive des terrains fertilisés, soit par des annuités, au moyen du produit des récoltes.

Je livre à la sagacité de mes collègues et du ministre l'appréciation des moyens que j'ai l'honneur de leur proposer. Je crois qu'il est le seul qui nous offre la chance d'alimenter, par de fortes sommes, le trésor public et de créer une réserve pour les finances de l'Etat, réserve dont l'utilité, la nécessité même sont incontestables et qui pourrait s'élever de 60 à 80 millions, d'après le nombre d'hectares que le gouvernement jugerait convenable de faire mettre en culture par ses troupes, pour les revendre ensuite fertilisées, plantées, traversées de routes nombreuses.

Lorsque ma proposition aura été examinée par ceux qui ont des connaissances en agriculture, (et ceux-là sont nombreux dans le pays, quoique clairsemés sur nos bancs), elle sera comprise et obtiendra leur assentiment, qui ne saurait manquer de réagir d'une manière favorable sur l'opinion publique et sur le crédit et d'amener la conviction que les dépenses pour l'armée, loin d'être faîtes en pure perte, peuvent produire au trésor des sommes énormes.

M. David. - Hier déjà, messieurs, j'ai eu l'honneur de vous dire que je me trouvais forcé de voter contre tous les crédits extraordinaires demandés et qu'un emprunt forcé serait appelé à couvrir ; vous sentirez tout de suite que celui en discussion doit subir le même refus de ma part.

Si donc je prends la parole, messieurs, c'est uniquement dans le but de demander à M. le ministre de la guerre de s'engager à faire faire tous les achats de chevaux dans le pays. Dans ce moment de crise, de malaise, c'est un devoir pour le gouvernement de dépenser dans le pays les fonds alloués pour cet objet et de ne point donner la, préférence aux chevaux étrangers, si même par-ci par là l'un ou l'autre cheval indigène laissait quelque petite chose à désirer ; l'intérêt de l'agriculture réclame cette mesure, et je suis convaincu que M. le ministre de la guerre la prendra volontiers. Il y a 2,000 chevaux à acheter, ils sont évalués à près de 1,200,000 fr., somme qui ainsi restera dans le pays.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, l'honorable M. David vient de me demander de faire acheter dans le pays tous les chevaux nécessaires pour la cavalerie et pour l'artillerie. Je lui répondrai que j'ai déjà donné l'ordre d'acheter dans le pays tous les chevaux que l'on pourrait y trouver. Mais il est certain que les chevaux qui sont aptes pour la cavalerie sont beaucoup plus chers que ceux que je pourrais acheter à l'étranger, qu'il me faudrait par conséquent un crédit beaucoup plus considérable que celui qui est demandé pour faire exclusivement l'achat de chevaux du pays et que je ne trouverais pas même le nombre de chevaux suffisants. Chaque année la commission de remonte parcourt toutes les localités du pays pour acheter des chevaux de selle et elle n'en trouve que 60 à 80 aptes à la cavalerie.

Quant aux chevaux de trait, ils sont tous achetés dans le pays. Par conséquent, M. David a ses apaisements à cet égard.

M. Delfosse. - Dans les temps calmes, j'ai constamment réclamé la réduction du budget de la guerre.

Il était alors permis d'espérer que la paix du monde ne serait pas troublée ; les gouvernements avaient le plus grand intérêt à éviter toute secousse ; les peuples ne demandaient qu'à se donner la main.

Je ne prévoyais pas, personne ne pouvait prévoir que la royauté de juillet, oublieuse de son origine, travaillerait elle-même à sa chute en manifestant des prétentions d'une autre époque.

Personne ne pouvait prévoir que la royauté, issue des barricades, irait jusqu'à défendre aux citoyens de se réunir en un banquet.

Je dois bien le reconnaître, les événements qui viennent de surgir en France et dans d'autres pays légitiment les précautions que M. le ministre de la guerre a prises.

Une immense responsabilité pèse sur le gouvernement. Il doit veiller sans cesse et partout à la défense du territoire et au maintien de l'ordre ; de l’ordre qui est, avec la liberté, le bien le plus précieux auquel un peuple puisse aspirer.

Je croirais faire acte de mauvais citoyen, si, dans les circonstances actuelles, je refusais au gouvernement les moyens d'accomplir sa mission.

Un seul jour d'invasion, de désordre ou d'anarchie, pourrait amener la ruine du pays.

Je voterai donc les 9 millions qui nous sont demandés ; mais je persiste à penser qu'il eût été sage de mettre à profit les années de paix, dont nous avons joui, pour opérer des économies sur le budget de la guerre ; je reste convaincu qu'on aurait pu en opérer de notables, sans désorganiser l'année et sans se mettre dans l'impossibilité d'appeler, au jour du danger, tous nos miliciens sous les drapeaux.

M. Destriveaux. - Messieurs, vous voudrez bien prêter quelque attention aux paroles par lesquelles je veux motiver mon vole. Je serai très court. Je me trouve sous l'empire d'émotions de toute espèce : des émotions de patriotisme, et je dois ajouter des émotions d'amitié.

Dans cette grave question, messieurs, j'ai longtemps hésité. Des opinions contraires se sont succédé dans mon esprit. Une seule chose était immuable chez moi ; c'était la volonté d'être utile à mon pays, de répondre dignement au mandat qui m'a été confié par mes concitoyens. Mais entre des besoins financiers immenses, des demandes presque incessantes de moyens pour y faire face, entre le trouble, l'inquiétude qui sont répandus dans le pays et sous le rapport de l'industrie et sous le rapport du commerce, je me suis demandé jusqu'à quel point le sentiment de l'ordre dans la dépense, qui est la véritable économie, pouvait nous gouverner dans cet instant. D'un autre côté, l'Europe en mouvement, dans un de ces mouvements convulsifs, je ne crains pas de le dire, où les principes peuvent être purs, mais où les chocs sont souvent désordonnés, j'ai dû être touché de la situation de mon pays. Seuls nous restons en paix, en paix de sentiments, ajoutez même hardiment : en paix de gouvernements.

Dans cette alternative, messieurs, la pensée de m'abstenir, qui m'avait un instant saisi, a été repoussée par moi avec un profond dédain ; ce n'est point dans des circonstances aussi solennelles qu'il faut avoir recours à la négative de l'abstention. Qu'aurais-je donc pu dire, si, rentrant chez moi, mes concitoyens m'avaient adressé ce reproche : Le pays était en péril ; tu n'as pas osé dire : non ; tu as reculé devant la nécessité de dire oui. Non, messieurs, je n'ai pu m’exposer à une semblable réception, et je sentais déjà d'avance la rougeur me monter au front. Eh bien donc, contemplant ce qui se passe en dehors de nous et partout, je me (page 1225) suis dit : C'est au nom de principes bien purs que l'exagération se fait place et vient s'adresser à des passions longtemps comprimées ; un gouvernement qui n'est point définitif, mais à qui je me plais à reconnaître de la loyauté dans ses volontés, sera-t-il toujours assez puissant et sur l'ensemble et sur les détails pour empêcher le droit des gens d'être jamais violé, pour empêcher que la liberté, qui doit être respectée, ne reçoive des atteintes plus ou moins incessantes de la part de passions qui, trouvant trop étroit le terrain sur lequel elles ont pris naissance, veulent le répandre au dehors ? Alors j'ai dit : Mon pays veut qu'on soutienne son honneur, mon pays veut qu'on soutienne sa liberté ; les questions d'argent que nous discuterions longtemps, que nous discuterions pied à pied dans d'autres circonstances, ces questions doivent disparaître. Quel est donc le citoyen belge, l'homme libre qui, trouvant que sa liberté, sa dignité peuvent être compromises, viendrait en quelque sorte peser l'or d'un côté et de l'autre peser sa liberté, au risque de trouver à ses yeux celle-ci trop légère dans la balance ? Cet homme, messieurs, ce ne sera pas moi.

Les observations que j'ai pu faire, les souvenirs qui se sont représentés à ma mémoire, les enseignements du passé, tout cela a opéré ma conviction. Je n'hésite plus, je dirai : Oui. Je dirai : Vous voulez un crédit, vous l'aurez ! Mais je dirai en même temps aux ministres, je dirai au gouvernement : Vos concitoyens placent leur confiance en vous ; votre devoir maintenant, votre devoir sacré, votre devoir de patriotisme est de répondre par la sagesse, par le zèle, par le courage, à la confiance qui vous est montrée, et dont je me féliciterai peut-être un jour d'avoir le l'organe.

M. Delehaye. - Messieurs, je me serais abstenu peut-être de prendre la parole si je n'avais cru comprendre qu'un de mes honorables amis, M. Delfosse, verrait un acte de mauvais citoyen dans le refus d'un vote affirmatif sur la proposition du gouvernement. (Interruption.)

Je remercie mon honorable ami d'avoir dissipé mes doutes.

Je continue, messieurs. Jusqu'ici la nationalité belge ne nous imposait pas les nouveaux devoirs que quelques honorables membres veulent lui assigner.

Tous les ans j'ai combattu les allocations demandées, parce que dans mon opinion notre nationalité trouvait sa garantie dans l'intérêt des grandes puissances à conserver notre neutralité.

Si nous étions attaqués, disais-je, par le Midi, le Nord viendrait à notre secours, et l'équilibre européen nous défendrait suffisamment contre toute attaque. On me répondait : Pour que vous puissiez être défendus par l'une ou l’autre puissance, vous devriez du moins pouvoir vous défendre assez longtemps pour que l'on pût venir à votre secours.

Aujourd'hui ce n'est plus la même chose.

Nous pourrions être attaqués par une seule nation, par la France ; mais qui donc pourrait venir à notre aide ?Ce ne sera plus l'Allemagne, elle est assez occupée chez elle ; ce ne sera pas l'Angleterre, où déjà malheureusement la question irlandaise inspire les appréhensions les plus graves.

Nous serons donc, en cas d'attaque de la part de la France, abandonnés à nos propres forces.

Mais, messieurs, croira-t-on jamais que les mesures prises par le gouvernement soient suffisantes pour repousser une pareille attaque ?

Pour nous opposer à la France, ce n'est pas 9 millions qu'il faut pour justifier une pareille prétention, ce sont des sommes autrement fortes qu’il faudrait imposer au pays. Aussi, pleins de confiance dans la loyauté française, ne ferons-nous pas l'injure à nos voisins du Midi de croire que jamais ils songent à porter la guerre au sein d'une nation faible qui n'a jamais eu pour eux que des sentiments d'admiration et de bienveillance.

Ce ne peut donc être que pour repousser ces invasions, qui ne sont pas de notre siècle, de ces hordes indisciplinées et désavouées de tout le monde, dont nous venons de voir l'inutile tentative ; or, pour repousser de pareilles atteintes, faut-il, messieurs, 9 millions de francs ? Je ne puis le croire ; dans la sixième section à laquelle j'ai eu l’honneur d'appartenir, un honorable membre, souvent rapporteur du budget de la guerre, nous avait prouvé qu'en mettant à la disposition du gouvernement 6,500,000 francs nous lui fournissions les moyens d'augmenter l'armée de près de 20,000 hommes jusqu'au 1er mars prochain ; nous l'avions nommé rapporteur pour défendre cette opinion à la section centrale ; je regrette que, dans le rapport qui nous est soumis, il ne soit fait aucune mention de cette proposition.

Pour défendre le territoire belge contre une invasion de troupes désavouées, ne suffit-il pas, messieurs, d'augmenter nos forces militaires de 10,000 hommes ? Je ne ferai point l'injure à l'armée d'en douter.

Ce que je ne veux pas, c'est que l'on achète aujourd'hui 2,000 chevaux qu'on arme nos places fortes, toutes dépenses inutiles, et qui pèseraient trop lourdement sur l'ouvrier dont le ministère n'apprécie pas assez bien la situation financière.

Nous avons passé une double année de disette, toutes les économies sont épuisées. Le commerce, l'industrie sont en stagnation, le propriétaire, le rentier ne perçoivent qu'une partie de leurs fermages ou de leurs rentes. Ce n'est pas dans une situation pareille qu'on peut songer à frapper les contribuables de trois années et demie de contributions foncières, et de deux années de contributions personnelles et d'autres charges encore, alors qu'en France on se contente de 45 centimes additionnels.

Je n'hésite pas à dire que l'emprunt proposé porterait une atteinte grave à notre nationalité, au maintien du bon ordre, parce qu'un grand nombre, le plus grand nombre des contribuables sont dans l'impossibilité de l'acquitter.

J'entends dire qu'on le réduira ; mais, messieurs, si vous adoptez les dépenses, force vous sera d'adopter aussi les moyens d'y faire face. Je voterai pour la somme de 6,500,000 francs, je n'irai pas au-delà.

M. Orban, rapporteur. - Messieurs, le projet de loi qu'on discute en ce moment a été envoyé à la section centrale chargée de l'examen du projet d'emprunt, mais en considérant cette section centrale comme une commission spéciale. Dans le rapport sur le projet d'emprunt, l'on fera sans doute mention de l'observation qui a été faite par la sixième section. Nous n'avons pas pu appeler l'honorable M. Brabant, parce qu'il n'était pas à Bruxelles ; nous l'aurions volontiers entendu, mais je lui ai demandé quels motifs pouvaient justifier la réduction, j'en ai conféré longuement avec lui, et c'est par suite de ses observations qu'à mon tour j'ai posé à M. le ministre de la guerre différentes questions, questions qui ont été résolues de telle manière que la section centrale à l'unanimité, moins les deux abstentions, a cru pouvoir proposer à la chambre l'adoption du crédit de 9 millions.

- La clôture de la discussion est demandée.

M. Manilius (sur la clôture). - Messieurs, pendant le discours de l'honorable M. Delehaye, M. le ministre de l'intérieur l'a interrompu, et il a demandé la parole. Je crois que l'on ne doit pas clôturer sans l'entendre. D'ailleurs je désirerais moi-même motiver mon vote ; il n'y a pas péril dans la demeure. Que l'on veuille continuer la discussion ; je m'oppose à la clôture.

- La chambre prononce la clôture de la discussion générale. On passe aux articles.

Discussion des articles et vote sur l'ensemble du projet

« Art. 1er. Il est accordé au département de la guerre un crédit de neuf millions de francs (fr. 9,000,000), pour les dépenses extraordinaires et éventuelles dudit département, jusqu'au 1er septembre 1848. »

- Adopté.


« Art. 2. Le Roi déterminera, par des arrêtés, l'emploi de ce crédit entre les divers articles du budget de la guerre, selon les besoins réels du service. »

- Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

79 membres ont répondu à l'appel nominal.

74 ont répondu oui.

5 ont répondu non.

En conséquence le projet de loi est adopté et il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Anspach, Biebuyck, Broquel-Goblet, Bruneau, Cans, Ceps, d'Anethan, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bonne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Henot, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Tielemans, T Kint de Naeyer, Troye, Vanden Eynde, Van Huffel, Verhaegen et Liedts.

Ont répondu non : MM. Castiau, David, Delehaye, Lys, Moreau.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.