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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 31 mars 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
demandant de l’administration communale de Louvain demandant des réformes
politiques et diverses mesures économiques et administratives (de La Coste) et pétitions relatives à la concession
ferroviaire de Louvain à la Sambre (de La Coste, Frère-Orban, de Man d’Attenrode),
aux incompatibilités parlementaires, à
l’arrestation et l’expulsion d’étrangers (Karl Marx) (Bricourt,
Cans, Rogier, Bricourt,
Zoude, Castiau, Rogier),
au chemin de fer dans le Luxembourg et aux réformes politiques (Zoude) et au suffrage universel (Rogier,
Castiau, Lebeau, Zoude, Castiau, Lebeau,
de Mérode)
2) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire de
9 millions de francs au budget du département de la guerre. Examen par la
chambre (Chazal, Malou, Verhaegen, de Man d’Attenrode, Orban, Delehaye, Manilius, Delfosse, Rogier, de Brouckere, Malou)
3) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au
budget du département de la guerre (de Man d’Attenrode)
4) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au
budget du département de l’intérieur (Rousselle)
5) Projets de loi accordant des crédits
supplémentaires au budget du département des travaux publics (Lesoinne)
6) Rapport sur une pétition relative à l’exemption du droit sur le sel
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1191) M. Troye
procède à l'appel nominal à deux heures un quart.
La séance est
ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du
procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Troye fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Van Swygenhove présente des observations
complémentaires à sa demande relative à l'élection des médecins de la garde
civique. »
(page 1192) - Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de
loi sur la garde civique.
_______________
« Plusieurs habitants
de la communes d'Ortho présentent des observations contre le projet de loi sur
l'emprunt. »
« Mêmes observations
de quelques habitants de Bievène. »
- Renvoi à la section
centrale chargée d'examiner le projet d'emprunt.
_______________
« Les membres du conseil communal de Bras
proposent des mesures qui ont pour objet d'améliorer la situation du pays et
notamment du Luxembourg. »
« Mêmes observations
du sieur Wanderscheid. »
- Renvoi à la
commission des pétitions/
« Le sieur
d'Henry demande l'abolition de la peine de mort en matière politique. »
- Même renvoi.
_______________
« Plusieurs pharmaciens dans la province
du Limbourg demandent l'établissement d'un jury spécial pour l'examen des
pharmaciens, »
- Même renvoi. \
_______________
« Le sieur Delsemme, ancien officier,
prie la chambre de lui faire obtenir la croix de fer ou toute autre récompense
nationale. »
-Même renvoi.
_______________
« Le sieur Delem demande qu'il soit donné
suite à sa proposition relative à la fourniture des lits militaires, et que les
cantines établies dans les forts et dans les casernes soient mises en
adjudication. »
- Même renvoi.
_______________
« Le sieur Dauvv, distillateur à Santbergen,
demande l'annulation d'un procès-verbal de contravention qui a été dressé à sa
charge par des employés des accises. »
« Même demande
de l'administration communale de Santbergen, »
- Même renvoi.
_______________
« Des habitants de Courtray se plaignent de la
conduite d'un des magistrats de cette ville. »
- Même renvoi.
_______________
« Plusieurs élèves de l'université de Gand
proposent un mode de nomination du jury d'examen universitaire. »
- Même renvoi.
_______________
« Plusieurs habitants de l'arrondissement de
Nivelles demandent que pour les élections aux chambres qui doivent se faire
dans l'arrondissement, les électeurs soient convoqués au chef-lieu du canton ou
qu’au moins ceux des cantons de Wavre, Jodoigne et Perwez se réunissent à
Wavre. »
- Même renvoi.
_______________
Par divers messages
en date du 29 et du 30 mars, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :
1° Le projet de loi
prorogeant la loi du 3 janvier 1847, sur des étoupes.
2° Le projet de loi
relatif au cens électoral pour la formation des conseils communaux.
3° 23 projets de loi
de naturalisation ordinaire.
- Pris pour
notification.
RAPPORTS DE PETITIONS
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition saris date, la
dame Mathieu, veuve du sieur Colin, ancien militaire, prie la chambre de statuer
sur sa demande tendant à obtenir un secours. »
Renvoi à M. le ministre de la guerre.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de
Vellereille-le-See, le 21 décembre 1845, le sieur Siller, curé à
Vellereille-le-Sec, atteint d'une grave infirmité, demande une augmentation de
traitement. »
Renvoi à M. le ministre de la justice.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. – « Par pétition datée
d'Ostende, le 10 juin 1846, le sieur Samyn, ancien employé des douanes, prie la
chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir une augmentation de
pension. »
Dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Renaix,
le,7 juillet 1846,, la dame Gondallier prie la chambre de faire accorder une
pension de retraite à son mari, le sieur Vervaert, ancien facteur de la poste
rurale. »
Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de
Saint-Aubin, le 12 août 1816, le sieur Thibaux, ancien instituteur,, réclame,
l'intervention de la chambre pour obtenir un secours. »
Dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Vilvorde,
le 6 mai 1846, le sieur Debrichy, ancien soldat mis à la réforme par suite
d'une blessure, qu'il a reçue à la jambe, demande une pension. »
Renvoi à M. le ministre de la guerre.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Gand, le
6 avril 1847, la dame Van de Weyer, veuve du sieur Bastin, ancien vérificateur
des douanes à Gand, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la
révision de sa pension. »
Dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée de Lanaeken,
le 25 novembre, 1847, le sieur Schragen, préposé des douanes, pensionné,
demande une augmentation de pension. »
Dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée d'Ixelles,
le 30 novembre 1847, la dame Bristow, veuve du général Lecharlier, demande une
pension. »
Renvoi à M. le ministre de la guerre.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur.
« Par pétition datée de Flobecq, le 26 décembre 1847,, la dame Haegman,
veuve du sieur Mouligneau, chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur, prie la
chambre de lui faire obtenir, tout ou partie de la pension dont jouissait son
mari, en sa qualité de légionnaire. »
Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition sans date, le
sieur Blistin, ancien gardien de deuxième classe à la maison d'arrêt de Liège,
demande une augmentation de pension. »
Dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
______________
M.
Pirmez, rapporteur. - « Par pétition datée d'Andenne,
le 21 janvier 1848, la dame Mackers, veuve du sieur Crispin, garde forestier,
demande une augmentation de pension ou un secours. »
Dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
M. Zoude,
deuxième rapporteur.. - « Par pétition datée de Louvain,
le 11 mars 1848, le conseil communal de Louvain présente des considérations en
faveur de quelques réformes politiques, et appelle l'attention de la chambre
sur plusieurs intérêts particuliers à la ville e t à l'arrondissement de
Louvain. »
La pratique régulière de notre Constitution avait amené, disent les
pétitionnaires, la manifestation du vœu national, et dans un avenir plus ou
moins rapproché, les questions d’ordre et de liberté doivent recevoir une
solution que les événements de France ont précipitée.
La plupart des réformes ont été accueillies de manière à convaincre que
le temps de les accorder était venu.
Aussi la ville de Louvain, dont les pétitionnaires sont les
représentants, et l'organe, déclare que la chambre jouit de toutes ses
sympathies ; les pétitionnaires adhèrent de toute la force de leur conviction à
la réforme électorale, à l'abaissement du cens pour les communes.
Toutefois l'extension subite des droits politiques à un nombre
considérable de citoyens, ne les trouvera pas tous également préparés à
l'exercice de ces nouveaux droits ; c'est pourquoi il importe que a jeune,
génération appelée bientôt à jouir des droits de la réforme électorale, soit
formée de bonne heure à l’initiation politique ; dès lors il est de la
plus évidente opportunité de rendre obligatoire l'enseignement élémentaire des
droits et des devoirs du citoyen.
Les pétitionnaires expriment le regret que la chambre ne soit pas
revenue purement et simplement à la loi de 1836 pour la nomination des
bourgmestres. .
Depuis la réforme électorale pour les élections des chambres, des
conseils provinciaux et communaux, il est difficile de croire que le moment de
la réforme parlementaire ne soit pas venu.
Cette réforme, pour être complète, doit déclarer que le mandat
législatif est incompatible avec les fonctions salariées par l'Etat.
Après la réforme politique, il est urgent de s'occuper des améliorations
sociales, il faut chercher les moyens d'éteindre le paupérisme. Pleins de
confiance dans la chambre et le gouvernement, ils déclarent qu'ils prêteront au
pays leur part de concours et de sacrifices nécessaires à assurer son
indépendance et sa prospérité.
Mais, comme les adhésions les plus durables sont en raison des intérêts
particuliers satisfaits, ils croient devoir exposer les causes qui répandent le
malaise dans leur population.
Ils sont dans l'entière confiance que l'on respectera, à leur égard, la,
Constitution qui a décrété la liberté de renseignement.
Ils se plaignent du retard apporté à l’organisation du personnel de leur
tribunal, lorsque le ministre de |a justice en a reconnu l'utilité.
Ils se plaignent du tort, que le chemin de fer a occasionné à leur
canal, surtout alors que les denrées alimentaires circulaient gratuitement, par
cette voie, ce qui a anéanti le transport par le canal et a fait perdre à la
classe ouvrière une somme de 80,000 francs, ce qu'ils démontrent par des
chiffres. On avait bien promis une indemnité, mais elle n'a jamais été payée.
Ils indiquent les moyens de compenser cette, perte ; tels seraient la
construction d'une maison centrale de détention, le remboursement du cautionnement
fourni pour le chemin de fer de Louvain a la Sambre, ce qui mettrait la
compagnie en position d'achever les travaux commencés dans, l'intérieur de la
ville ; l'assimilation de l'entrepôt de Louvain aux entrepôts libres ; ils
proposent encore d'autres moyens de venir au secours de la classe malheureuse.
Ils protestent d'avance contre l'intention qu'on pourrait leur supposer
de chercher à créer des embarras au gouvernement.
Cette pétition tout entière se recommande par des vues sages et patriotiques,
et mérite toute l'attention du ministère.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition
au département de l'intérieur.-
. M. de
La Coste. - Messieurs, les questions d'une nature politique qui sont
traitées dans cette pétition ont déjà été, pour la plupart, l'objet de travaux
de la chambre ou de propositions du gouvernement, ou le seront incessamment. Il
y a d'autres questions, par exemple, celles qui concernent l'enseignement, qui
effectivement rentrent dans les attributions du ministère de l'intérieur.
J'appuie donc le renvoi à ce département.
Mais la chambre aura remarqué qu'il y est aussi question du tribunal de
Louvain, de la prison, du chemin de fer, de l'entrepôt de la ville de Louvain.
Par conséquent, le renvoi au département de l'intérieur ne répond pas
entièrement à l’objet de la pétition. Quant à ce qui concerne le département
des travaux publics, .comme les objets qui se rapportent à ce département ont
été traités dans une pétition spéciale, je ne m'en (page 1193) occuperai pas maintenant ; mais je demanderai que la
pétition soit également renvoyée au département de la justice et au département
des finances.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'extrairai
de la pétition toutes les demandes qui peuvent concerner mes collègues, et je
m'empresserai de les leur communiquer.
M.
de La Coste. - Messieurs, d'après cette déclaration, je
n'insiste pas sur ma proposition ; le renvoi au département de l'intérieur
suffit.
- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur est mis aux
voix et prononcé.
______________
M. Zoude,
rapporteur. - « Par pétition sans date, plusieurs habitants
de Neufchâteau demandent la réduction des traitements des fonctionnaires
publics et des ministres du culte et celle de l'armée. »
Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il est
bien entendu que c'est un renvoi pur et simple ? (Oui ! oui !)
M. Zoude, rapporteur. -
« Par pétition datée de Louvain, le 14 mars 1848, le conseil communal de
Louvain demande que le gouvernement soit autorisé à restituer à la société
concessionnaire du chemin de fer de Louvain à Namur le cautionnement qu'elle a
déposé. »
Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
M.
de La Coste. - Messieurs, l'honorable ministre des travaux
publics étant présent, je lui demanderai s'il est à même de donner quelques
explications sur l'objet de cette pétition. Lorsque les conditions de la
concession du chemin de fer de Louvain à la Sambre eurent été modifiées en
dernier lieu, la société a demandé avec instance que la ville de Louvain
secondât de tous ses moyens l'exécution des travaux qui devaient s'exécuter
dans cette ville.
Ces travaux cependant paraissent abandonnés. Tous les efforts de la
société semblent se diriger vers une autre extrémité de la ligne. La reprise
des travaux dans la ville de Louvain rassurerait cette localité sur l'avenir du
chemin de fer, et en même temps procurerai du travail à la classe ouvrière.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il peut donner
quelques explications à cet égard, et s'il veut bien s'engager à donner à la
pétition toute l'attention que réclame l'importance de sou objet.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Le conseil communal de Louvain a fait, il y a quelque temps,' une démarche
auprès de moi, pour obtenir que les travaux de la compagnie concessionnaire du
chemin de fer de Louvain à la Sambre puissent être continués aux abords de la
ville. J'ai agi auprès de la compagnie par tous les moyens en mon pouvoir. La
compagnie a fait valoir différentes objections que je n'ai pas vaincues jusqu'à
présent. Je ferai en sorte (je l'ai recommandé déjà à diverses reprises) que la
compagnie emploie les ouvriers aux travaux indiqués par l'honorable préopinant.
Je doute que, dans les circonstances actuelles, quoi qu'on fasse, on obtiendra
d'elle qu'elle y mette une très grande activité.
J'examinerai néanmoins cette pétition qui m'est recommandée par
l'honorable député de Louvain.
M. de Man d’Attenrode.
- Messieurs, il est une demande des pétitionnaires qui n'a pas été éclaircie
par le gouvernement dans sa réponse à l'honorable M. de la Coste.
Le conseil communal de Louvain émet le vœu que le cautionnement soit
restitué à la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Louvain à la
Sambre. Je demande que l’on traite cette compagnie comme l'on a traité la
compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg. M. le ministre des
travaux publics ne nous a donné aucun renseignement relativement à cette
demande et elle est importante, car le gouvernement pourrait imposer comme
condition de la restitution du cautionnement, l'obligation de reprendre les
travaux dans la ville de Louvain.
Je désirerais donc savoir si la compagnie concessionnaire du chemin de
fer de Louvain à la Sambre a demandé la restitution de son cautionnement, et si
le gouvernement ne serait pas disposé à nous présenter un projet de loi destiné
à ce que cette restitution pût s’opérer sous certaines conditions.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- J’ai répondu tout à l’heure aux observations de l’honorable M. de La Coste.
La pétition ne s’y applique pas précisément. Elle avait pour objet la restitution
du cautionnement, ainsi que le disait l’honorable M. de Man. Il n’est pas à ma
connaissance que la compagnie l’ait demandée. Le cautionnement est du reste
réduit maintenant à une somme assez minime. Je ne pense pas que la restitution
de cette somme serait considérée comme assez importante pour l’accepter avec la
condition de faire exécuter, dans la ville de Louvain, les travaux dont il
s’agit.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur.
- « Par pétition datée de Liége, le 11 mars 1848, plusieurs habitants de
Liège demandent la réforme parlementaire et la suppression du cens
d'éligibilité aux fonctions communales, et appellent l’attention de la chambre
sur plusieurs questions de l'ordre moral et de l'ordre matériel. »
La réforme électorale, disent les pétitionnaires, ne serait qu'une
mesure sans valeur, si elle n'avait pour résultat la réforme parlementaire qui
doit écarter de la représentation nationale tout élément qui pourrait en
altérer l'indépendance. Ils demandent, en conséquence, de décréter
l'incompatibilité absolue des fonctions publiques salariées avec le mandat
législatif.
Ils appellent également l'attention de la chambre sur la loi de 1836 qui
exige, comme condition d'éligibilité aux fonctions de conseiller communal, le
payement du cens requis pour être électeur. Cette disposition étant maintenant
modifiée, il n'y a plus lieu de s'en occuper.
Parmi les questions qui intéressent la prospérité du pays, ils signalent
l'organisation de l'enseignement national sous la direction exclusive du
pouvoir civil.
La condition de la classé ouvrière doit également réclamer la
sollicitude de la chambre, et en attendant une solution satisfaisante à cet
égard, on recommande les moyens propres à instruire et à moraliser la classe
pauvre, l'établissement de caisses de prévoyance dans toutes les industries et
l'abolition complète des droits de douane sur l'entrée des céréales et des
bestiaux.
Cependant on recommande de ne pas perdre de vue les besoins de
l'agriculture, cette branche importante de la richesse nationale, qui peut
contribuer si puissamment à prévenir ou au moins à atténuer les effets du
paupérisme.
Les pétitionnaires terminent en disant qu'ils ont cédé à leur devoir en
portant à la connaissance de la chambre les vœux de l’opinion publique ;
ils la conjurent d'adopter les réformes immédiatement praticables et d'aider le
gouvernement de ses conseils dans la réalisation des réformes qu'ils ont
indiquées.
Renvoi au département de l'intérieur.
- Adopté.
M. Zoude,
rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 18
mars 1843, le sieur Victor Faider, avocat à Bruxelles, transmet une copie de sa
réclamation contre la note publiée par le Moniteur, relativement à
l'arrestation de son client ; le sieur Marcx et sa femme, et prie la chambre
d'en ordonner l’insertion dans ce journal. »
Conclusions : Dépôt au bureau des renseignements.
M. Bricourt. - Messieurs, lorsque je me suis
occupé, dans la séance du 11 de ce mois, de l’arrestation du docteur Marcx et
de sa femme et de celle du sieur Gigot, j’ai signalé plus faits de nature à
motiver contre leurs auteurs l’application de peines graves.
En présence de cette déclaration, il était du devoir de l'autorité
d'ouvrir une enquête judiciaire, conformément aux dispositions du code
d'instruction criminelle. C'est ce qui a été reconnu par M. le ministre de la
justice qui a d'ailleurs pris l'engagement de suivre cette marche.
Si les renseignements, qui me sont parvenus sont exacts, il paraîtrait
qu'une enquête a en effet eu lieu par-devant l'un des juges d'instruction de
Bruxelles.
Je m'attendais donc à rencontrer cette instruction dans le dossier
déposé sur le bureau de la chambre par M. le ministre de la justice ; mais, à
mon grand étonnement, je n'en ai trouvé aucune trace.
En effet le dossier déposé ne contient qu'une espèce de procès-verbal
dressé par M. Vanhauwen, commissaire adjoint, faisant fonctions de commissaire
de police de la première division de la ville de Bruxelles et quelques lettres de M. le
procureur général et de M. le bourgmestre de Bruxelles.
Ces lettres ainsi que le rapport qui vient de vous être fait par
l’honorable M. Zoude se fondent uniquement sur le procès-verbal dont je viens
de vous parler. Or, messieurs, quelle est la valeur de ce procès- verbal, et
quelle confiance peut-il inspirer ?
Veuillez remarquer que M. Vanhauwen est ici partie intéressée ; il
est prévenu lui-même d’avoir donné à ses agents l’ordre d’arrêter et
d’incarcérer M. et Mme Marcx.
Le procès-verbal de M. Vanhauwen contient ensuite une déclaration de
l’adjoint-commissaire Daxbeck. Cette déclaration n’est pas moins suspecte, car
c’est cet adjoint qui a pénétré dans le domicile des époux Marcx et qui les a
arrêtés. Singulière instruction que celle où l’on prend les prévenus pour
témoins et pour juges !
Viennent ensuite deux autres déclarations sans
importance, puisqu’elles portent sur des faits étrangers aux délits
d’arrestation arbitraire et de violation de domicile. Si ce procès-verbal
rapporte si complaisamment des déclarations intéressées, en revanche, il écarte
soigneusement celles qui auraient pu faire connaître les curieux détails de
cette affaire. Aucun témoin sérieux et important n’a été entendu.
La vérité risquait donc d’être étouffée, si
l’administration communale de Bruxelles ne s’était livrée, de son côté, à une
enquête sévère et consciencieuse. Cette enquête, dans laquelle on a entendu
tous les agents de police qui ont pris part à l’arrestation des époux Marcx,
ainsi que plusieurs autres personnes, est venue confirmer les faits que j'avais
signalés à la chambre.
Il est à regretter que M. le ministre de la justice n’en ait pas eu
connaissance. Je suis persuadé qu'il se serait fait un devoir de la produire
avec les autres pièces qu’il a déposées.
Cependant, comme il importe que la vérité se fasse jour dans cette
affaire, je demanderai que l’instruction faite par les soins de
l’administration communale, ainsi que celle du juge d’instruction, soient
jointes au dossier, et qu’il soit sursis à toute décision sur le rapport de M.
Zoude, jusqu’au moment où cette production aura été faite.
M. Cans. -
L’affaire relative à l’enquête que la section de police du conseil communal a
été chargée de faire n’est pas terminée. Elle a reçu (page 1194) avant-hier communication du rapport qui sera présenté
demain au conseil communal.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier).
- Je demande que l'honorable M. Bricourt veuille bien préciser les pièces qui,
suivant lui, devraient être fournies encore par le gouvernement ; il y a deux
ordres de faits, et pour ainsi dire deux ordres de responsabilité dans cette
affaire.
Le gouvernement a cru devoir ordonner l'expulsion d'un étranger. Ainsi
que je l'ai déjà dit, il prend sur lui toute la responsabilité de cette mesure,
il sera prêt à donner à la chambre, en temps opportun, toutes les explications
qu'elle demandera.
A côté de ce fait d'expulsion vient se placer un fait de police locale,
l'arrestation d'un individu et de sa femme dans un estaminet, ou, si l'on veut,
dans un hôtel où ils séjournaient depuis deux ou trois jours.
Ce fait se détache entièrement de celui d'expulsion ; ce n'était pas
pour procéder à l'expulsion que les agents de la police locale se sont
introduits dans l'estaminet du Bois-Sauvage.
C'est sur ce fait d'arrestation par la police locale que
l'administration de la ville de Bruxelles a ordonné une enquête. Cette enquête
est terminée, mais le conseil n'en a pas encore délibéré. Aussitôt qu'elle
l'aura fait, l'enquête tombera dans le domaine public ; si l'on désire qu'il
soit jointe à l'information judiciaire qui a déjà été faite et produite par le
gouvernement, on la joindra.
M. Bricourt.
- J'ai déjà dit que je ne critiquais pas l'usage que le gouvernement avait
fait, à l'égard du docteur Marcx, de la faculté qui lui est accordée par la loi
de 1835. Je répéterai encore la même déclaration, mais je dirai qu'en le
faisant arrêter, ainsi que sa femme et le sieur Gigot, on a violé ouvertement
la loi, et c'est sur ce point que porte ma critique.
Quant aux pièces dont je demande la production, je les ai déjà fait
connaître à la chambre : ce sont l'enquête du conseil communal et l'enquête qui
a dû être faite par le juge d'instruction. Bien que les agents de police qui
ont opéré ces arrestations ressortissent à l'administration communale, si les
faits que j'ai signalés sont vrais, il y aurait délit, et par conséquent
obligation pour le gouvernement et pour le parquet du procureur du roi d'ouvrir
une enquête et de faire exercer des poursuites.
M.
de Brouckere. - L'enquête judiciaire se fait.
M. Bricourt. - Je demande qu'elle soit produite
avec l'enquête communale.
M. Zoude.
- Comme le pétitionnaire paraît inspirer
quelque intérêt, je demanderai à la chambre la permission de lire un écrit qui
a été saisi sur lui au moment de son arrestation. Cette pièce était en
allemand, mais on l'a traduite :
(page 1203) « DECISION DE L'ALLIANCE CENTRALE DES COMMUNISTES.
« Prolétaires et tous
nos frères unissez-vous,
« Le comité central
de l'Alliance des communistes à Bruxelles :
« D'après la décision
de l’ex-comité central de Londres par laquelle celui-ci établit la résidence du
comité central à Bruxelles et se déclare dissout, le comité central,
« Considérant :
« Que, dans les circonstances
actuelles la réunion des membres de l'Alliance principalement des Allemands est
impossible ;
« Que les principaux
membres sont arrêtés ou expulsés ou peuvent à toute heure recevoir leur
expulsion ;
« Que Paris est en ce
moment le centre de tout le mouvement révolutionnaire ;
« Que les
circonstances actuelles demandent une conduite énergique de l'alliance pour
laquelle un pouvoir discrétionnaire est nécessaire en ce moment ;
« Décide :
« Art. 1er. Le comité
central est transféré à Paris.
« Art. 2. Le
comité central de Bruxelles donne au membre Charles Marx un pouvoir
discrétionnaire pour toutes les affaires de la direction centrale de
l'Alliance.
« Art. 3. Le membre
Marx, aussitôt qu'il aura pris connaissance des événements, établira à Paris un
nouveau comité central et y appellera les membres qui ne demeurent pas à Paris.
« Art. 4 Le comité central de Bruxelles est dissous.
« Décidé à Bruxelles,
le 3 mars 1848.
« Le comité
central, Signé : Engels, G. Fischer, Gigot, H. Steinger, K. Marx. »
(page 1194) Maintenant M. le ministre a
déposé sur le bureau une enquête et je remarque entre cette enquête et celle de
l'administration communale les contradictions suivantes :
L'enquête
déposée par M. le ministre constate que c'est vers minuit, heure à laquelle la
police fait sa ronde pour faire fermer les lieux publics, et en voyant de la
lumière dans la salle commune...
M. Castiau.
- Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Plusieurs voix.
- On ne peut pas interrompre un orateur pour faire une motion d'ordre.
M. Castiau. - Alors je demande la parole
pour un rappel au règlement.
Je
demande qu'on mette d'abord aux voix la proposition de l'honorable M. Bricourt,
l'ajournement de la discussion jusqu'à la production de l'enquête. Cet
honorable membre demande l'ajournement, et voilà M. le rapporteur qui se lance
en plein dans la discussion et vient nous donner lecture de pièces qui sont de
nature à soulever contre la réclamation des préventions de nature à la faire
rejeter. Réservons les pièces et les observations pour le jour de la
discussion.
M. le président.
- La proposition de M. Bricourt tend à l'ajournement de la discussion. Il
demande qu'on ne statue sur les conclusions du rapport qu'après le dépôt sur le
bureau de l'enquête judiciaire.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - Le résultat de
l'information judiciaire se trouve dans des pièces que mon collègue M. le
ministre de la justice a remises sur le bureau. S'il y a quelque autre pièce
qu'il soit au pouvoir du gouvernement de remettre à la chambre, il la lui
remettra.
M. le président.
- C'est à la chambre a se prononcer sur l'ajournement.
-
La proposition d'ajournement est mise aux voix et rejetée.
M. le président.
- Les conclusions tendent au dépôt de la pétition au bureau des renseignements.
-
Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude,
rapporteur. - « Par pétition datée d'Arlon, le 17 mars
1848, plusieurs habitants demandent des voies de communication et des débouchés
pour le Luxembourg, la réforme parlementaire et des économies dans les dépenses
de l'Etat. »
Les
pétitionnaires se plaignent de ce que, pour prix de leur dévouement et de leur
coopération à la conquête de l’indépendance belge, ils aient été payés par le
sacrifice d'une partie de leur territoire. La dette sacrée de la reconnaissance
contractée envers eux s'accroît tous les jours.
Toutes
les provinces ont été dotées de voies rapides et économiques, le Luxembourg
seul est resté étranger à cette sollicitude ; aussi toutes les industries y
sont dans des conditions telles qu'elles ne peuvent concourir avec celles des
autres parties du royaume. Dans les temps de disette, les denrées alimentaires
y sont plus chères qu'ailleurs, tandis que dans les années d'abondance, elles y
sont à meilleur compte que dans les autres provinces, en sorte que la balance
ne peut jamais se rétablir.
Dans
l'intérêt de ses industries, la Belgique a fait des sacrifices avec la plupart
des puissances, tantôt envers l'Allemagne, tantôt envers la France et même
envers la Hollande ; dans le Luxembourg, au contraire, on n'a procuré aucun
débouché en remplacement de ceux que le morcellement avait enlevés.
C'est
un chemin de fer, c'est la canalisation de ses rivières que cette province
réclame.
En
dehors des intérêts matériels, on demande la réforme parlementaire,
l'incompatibilité absolue de toutes les fonctions, celles des ministres
exceptées, avec le mandat de représentant.
On
réclame des économies dans les dépenses de l'Etat, une forte réduction dans le
budget de la guerre, le renvoi des militaires, et que l'économie qui en
proviendra soit employée au soulagement de l'industrie et du commerce.
On
demande aussi la suppression de la marine, le remplacement des ambassadeurs par
des chargés d'affaires, la réduction du nombre des employés dans toutes les administrations,
l'abrogation de la loi sur les pensions des ministres, une application plus
intelligente et plus modérée de la loi sur les pensions en général.
L'adoption
d'un système commercial basé sur le libre échange, l'union douanière avec tous
les pays, au moins avec les pays voisins.
Tels
sont les vœux que les pétitionnaires demandent de prendre en sérieuse
considération.
La
commission conclut au renvoi à MM. les ministres des travaux publics et des
finances.
-
Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude,
rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 23 mars
1848, plusieurs habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel, après
révision de la Constitution. »
Conclusion :
Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier).
- Messieurs, jusqu'ici j'ai laissé passer à peu près sans observation les
conclusions de M. le rapporteur, par lesquelles il renvoyait au ministre de
l'intérieur des pétitions dont les auteurs, usant parfaitement de leurs droits
constitutionnels, demandaient au gouvernement beaucoup de choses ou très
difficiles, ou déjà faites par le gouvernement, notamment en ce qui concerne
les réformes politiques.
J'ai
laissé passer, dis-je, sans observation ces pétitions, me réservant, pour mes
collègues et pour moi, le soin de les examiner attentivement, et si dans le
nombre des vœux exprimés par les pétitionnaires, il en est qui puissent être
légitimement satisfaits, nous nous ferons un devoir de donner satisfaction à
ces vœux.
Je
ne puis pas, messieurs, accepter de même le renvoi de la pétition par laquelle
plusieurs habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel et la révision
de la Constitution. La Constitution est bonne telle qu'elle est ; elle n'a
nullement besoin d'être révisée, et, sous ce rapport, le renvoi au gouvernement
serait, de, la part de la chambre, une démarche complètement inutile.
Je
demanderai donc, messieurs, le dépôt au bureau des renseignements, à moins qu'on
ne veuille voter purement et simplement l'ordre du jour.
M. Castiau. - Puisque M. le ministre
conclut au dépôt de la pétition au bureau des renseignements, il me semble,
messieurs, qu'il ne peut pas y avoir grand inconvénient à la renvoyer également
à l'examen de M. le ministre de l'intérieur. S'il est convenable que la chambre
prenne communication de la pétition et examine s'il y a lieu de faire droit aux
réclamations des pétitionnaires, les mêmes motifs de convenance existent
également pour le gouvernement. J'aurais compris que M. le ministre de
l'intérieur proposât purement et simplement l'ordre du jour sur celle pétition,
quoiqu'elle fût parfaitement légale, mais il ne le fait pas ; il demande le
dépôt au bureau des renseignements, ce qui est une invitation aux membres de la
chambre d'examiner la question soulevée par les pétitionnaires. Les mêmes
motifs existent pour les ministres. Le renvoi de la pétition au gouvernement
est donc la conséquence de la proposition faite par M. le ministre de
l'intérieur lui-même. Je demande que la chambre ordonne également le renvoi de
la pétition au département de l'intérieur, conformément aux conclusions de la
commission des pétitions.
M. Lebeau. - Messieurs, c'est dans
l'intérêt de la dignité même de la chambre que je viens m'opposer au renvoi à
M. le ministre de l'intérieur. La chambre, quand elle renvoie une pétition aux
ministres, n'entend pas, assurément, leur transmettre des ordres, des
injonctions ; mais elle entend cependant faire une chose sérieuse ; elle entend
appeler tout au moins la sérieuse attention du ministre sur la pétition qu'elle
renvoie à son examen. Or, la chambre peut-elle persister dans les conclusions
de M. le rapporteur, alors que M. le ministre de l'intérieur vient de déclarer,
de la manière la plus catégorique, la plus formelle, qu'il n'aurait absolument
aucun égard au renvoi d'une pareille pétition.
Je
ne vois pas qu'il soit possible que la chambre, sans compromettre sa dignité,
en présence d'une telle déclaration, à moins qu’elle ne veuille (page 1195) établir entre elle et le
ministère un dissentiment profond, qu'il soit possible, dis-je, que la chambre
admette les conclusions du rapport.
Je ne combattrai pas le dépôt au bureau des renseignements,
parce que je ne prends pas la pétition assez au sérieux pour engager à cet
égard une discussion approfondie. D'ailleurs, cette pétition sera une sorte de
document historique du nombre de ceux qui servent à l'intelligence de certaines
époques où l’on voir surgir beaucoup d'idées excentriques. C’est à ce seul
titre que j'adhère au dépôt au bureau des renseignements,
M. Zoude,
rapporteur. - Messieurs, la commission, en proposant le
renvoi à M. le ministre de l'intérieur, n'a pas eu d'autre intention que de lui
confier l'examen de la question de savoir s'il y a lieu, oui ou non,
d'accueillir la demande des pétitionnaires.
M. Castiau.
- M. le ministre de l'intérieur ayant proposé lui-même le dépôt de la pétition
au bureau des renseignements, j'avais cru devoir appuyer la conclusion du
rapport qui proposait le renvoi à M. le ministre.
Les
observations présentées par l'honorable M. Lebeau m'engagent plus que jamais à
persister dans cette proposition.
Quoi
qu'en ait dit l'honorable membre, la question soulevée par la pétition est
sérieuse et très sérieuse. Il s'agit de savoir, en définitive, si les
majorités, auxquelles vous refusez les droits électoraux, ne conserveront pas
même le droit de nous faire parvenir leurs vœux et de nous adresser leurs
réclamations. Il s'agit de savoir si vous leur refuserez jusqu'au droit de se
plaindre de l'exclusion dont vous les frappez, et de s'adresser à notre justice
pour obtenir qu'à leur tour elles soient considérées pour quelque chose dans
notre organisation politique.
Messieurs,
où en est, en réalité, dans ce pays, le principe de l'égalité des citoyens
devant la loi, et quelles sont nos institutions électorales ? Sous l'empire de
la loi de 1831, vous aviez 45,000 électeurs, pour 4 millions d'habitants ;
c’était un électeur par 95 habitants ; maintenant vous avez modifié ces
institutions électorales, qui abandonnaient à une faible minorité le pouvoir
politique ; vous avez abaissé le cens jusqu'à la limite fixée par la
Constitution. Eh bien, quel si grand résultat aurez-vous obtenu par cette
réforme ? C'est que vous avez doublé, triplé peut-être le nombre actuel de vos
électeurs. Mais malgré cette réforme, votre corps électoral ne représentera
encore que la minorité de la nation, vous aurez un électeur par 30 ou 40
habitants.
Ce
système est-il tellement parfait, complet et populaire qu'on soit en droit de
dénier tout caractère sérieux aux propositions qui seraient faites à l’effet de
modifier ce système, de le modifier par les voies constitutionnelles, et de
rétablir enfin le gouvernement représentatif sur sa véritable base, la majorité
?
En
vérité, à en juger par la manière dont l'honorable préopinant a parlé du
suffrage universel, il semblerait que l’honorable membre, qui d'habitude marche
avec son siècle et connaît aussi bien que personne les immenses transformations
qui viennent de s'opérer, a fermé les yeux pendant six semaines ; cette
question du suffrage universel, qu'on relègue dans les régions, de l'excentricité,
c'est-à-dire de l'absurde, elle est résolue en France ; ç'à été le premier acte
du gouvernement républicain. Il a fait tomber l'ilotisme des majorités et
appelé tous les citoyens à l'exercice des droits politiques.
Voici donc le suffrage universel mis en action. De
l'application du suffrage universel surgira la plus grande, la plus puissante,
la plus populaire des assemblées, nationales ; et vous qui prétendez que
toute proposition, tendant à faire examiner la question du suffrage universel,
est une proposition excentrique et indigne d’arrêter un homme sérieux ; alors
peut-être serez-vous obligé de déposer vos prétentions et de courber la tête
devant l’ascendant du génie d’une assemblée issue du suffrage universel et qui
renfermera dans son sein toutes les célébrités de la France.
Ce
n'est pas, du reste, seulement en France qu'il s'agit du suffrage universel :
on le demande encore, et on l’obtiendra très probablement en Allemagne et dans
les pays soumis jusqu'ici à l’absolutisme monarchique ; et lorsque des nations,
courbées longtemps sous le despotisme de la force brutale, et que nous avions
devancées de si loin en progrès politiques, sont sur le point d'être mises en
possession du suffrage universel, il n'y a certes ni excentricité, ni
exagération à demander chez nous, non pas qu'on résolve immédiatement la
question du suffrage universel, mais que les chambres et le gouvernement
l'examinent, l'étudient et se préparent à ajouter de nouveaux progrès à ceux
que nous avons réalisés.
Je
persiste donc à demander le renvoi de la pétition à M. le ministre de
l’intérieur.
M. Lebeau.
- Messieurs, je n'hésite pas à dire qu’aller au-delà des conclusions de M. le
ministre de l'intérieur, ce serait, dans les circonstances où le pays est
placé, la plus grande imprudence, le plus dangereux exemple qui pût émaner
d'une assemblée législative belge.
Comment,
messieurs, le suffrage universel est une question jugée ; le suffrage
universel, devant lequel la Convention nationale elle-même a reculé, est une
question jugée !...
M. Castiau.
- On l’applique en France.
M. Lebeau.
- Dites que c’est une question posée ; mais elle n’est pas résolue encore
dans la pratique ; c’est un grand problème qui est né de circonstances
toutes différentes.
M. Castiau.
- On pratique le suffrage universel aux Etats-Unis et en Suisse.
M. Lebeau. - … Qui est né de
circonstances toutes différentes (j'en appelle à vous-même, à votre bon sens),
toutes différentes de celles au milieu desquelles se trouve notre pays.
Comment
! lorsqu'à peine il y a quelques mois, on eût osé rêver les réformes
électorales que le ministère vous a apportées sous l'empire, je le reconnais,
de circonstances que vous ne prévoyiez pas plus que lui ; comment, messieurs,
on trouverait qu'il n'y a pas encore assez, qu'il faut encore lancer les
esprits vers l'inconnu, vers des espérances nouvelles, au-delà de notre Constitution
!
Je
n'hésite pas à le dire : lorsque, par des machinations coupables, que
l'honorable membre sera, j'en suis sûr, le premier à flétrir de son
indignation, la forme de notre gouvernement est attaquée et qu'on veut la
remettre en question, ce n'est pas le moment de prêter aux agitateurs, du
dehors, à l'insu certes de la conscience pure de l'honorable préopinant, de
leur prêter des armes, de leur donner des encouragements ; et si je n'ai pas
été jusqu'à réclamer l'ordre du jour, c'est uniquement parce que M. le ministre
de l'intérieur, ne voulant pas pousser les choses à l'extrême, montrant une
déférence qui n'allait pas au-delà des bornes de la prudence, a demandé le
dépôt au bureau des renseignements, tout en repoussant les conclusions du
rapport.
M. de
Mérode. - Messieurs, les électeurs ne se représentent pas
exclusivement eux-mêmes lorsqu'ils choisissent les membres des chambres ; ils
savent, au contraire, qu'ils remplissent un devoir d'intérêt général. Mais le
droit politique essentiel et principal, c'est celui d'éligibilité qui
appartient à tous les Belges. Je conçois que l'on dépose la pétition au bureau
des renseignements, parce qu'après les expériences que l'on aura faites
ailleurs, elle sera susceptible d'examen, si ces essais obtiennent d'heureux
résultats et augmentent véritablement le bonheur public. Dans ce cas,
messieurs, il pourrait être à propos de réviser notre Constitution ; mais, en
attendant, n'oublions pas que depuis 1830 nous possédons les institutions les
plus libres, expérimentées par une pratique de dix-sept années, Il est donc de
toute évidence que le renvoi à M. le ministre-de l'intérieur n'aurait
maintenant aucun motif. Il n'en est pas de même à l'égard du dépôt au bureau
des renseignements qui laisse la question à résoudre, s'il y a lieu, dans
l'avenir. Pour faire le tour du monde, disait récemment un de nos collègues, la
liberté n'a pas besoin de passer par la Belgique, et je désire vivement qu'elle
passe bientôt par la France, car il s’en faut qu'elle y règne jusqu'ici.
-
Le dépôt au bureau des renseignements est mis aux voix et prononcé.
Le
renvoi simultané de la pétition à M. le ministre de l'intérieur est ensuite mis
aux voix et n'est pas adopté.
______________
M. Zoude,
rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 27 mars
1848, plusieurs ouvriers typographes à Bruxelles demandent l'abolition du
timbre des journaux. »
Renvoi
à M. le ministre des finances.
-
Adopté.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE DE 9 MILLIONS DE FRANCS AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs,
le Roi m'a chargé, de .présenter un projet de loi demandant un crédit supplémentaire
de neuf millions, pour faire face aux, dépenses du département de. la guerre
jusqu'au mois de septembre.
M. le président.
-Il est donné acte à. M. le ministre de la justice de la présentation du projet
de loi qu'il vient de faire connaître.
M. le ministre
de la guerre (M. Chazal) demande le renvoi à la section
centrale chargée d’examiner le projet de loi d’emprunt.
M. Malou. - Il est impossible de renvoyer ce projet
de loi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi d'emprunt.
L'emprunt soulève des questions nombreuses et importantes, dont la section
centrale s'est occupée sans désemparer. Deux membres ont dû s’absenter pour un
ou deux jours ; déjà de ce fait, il résulterait un retard pour l'examen de ce
projet ; il y a un autre motif, le crédit demandé s'applique probablement à un
certain nombre d'articles du budget de la guerre ; ne convient-il pas qu'il
soit renvoyé à une section centrale qui puisse examiner jusqu'à quel point
chacun des crédits alloués peut être devenu insuffisant ?
Ainsi,
deux motifs se réunissent pour faire renvoyer le projet à la section centrale
qui examine le budget de la guerre : plus de promptitude dans l'examen, examen
plus rationnel et plus facile pour la section elle-même.
M. Verhaegen. - Il serait
difficile d'avoir un prompt rapport de la section centrale qui a examiné le
budget de la guerre, car plusieurs des membres de cette section centrale font
partie de celle qui est chargée d'examiner le projet de loi d'emprunt.
M. de Man d’Attenrode.
- M. le ministre vient de déclarer qu'il serait utile d'avoir un prompt
rapport. L'honorable M. Malou, pour qu’on ne renvoyât pas le projet de loi à la
section centrale de l’emprunt, a dit que deux membres étaient absents. Je ferai
observer que trois membres de la section centrale du budget de la guerre sont
également absents. On ne peut donc en avoir un prompt rapport, à moins de
charger le bureau de remplacer les membres absents.
M. Orban.
- Si l'on veut renvoyer à une section centrale le projet de loi qui vient
d'être présenté, c'est incontestablement à la section centrale qui été chargée
de l'examen du projet de loi d'emprunt, car les dépenses relatives au
département de la guerre ont été examinées par les sections qui ont nommé les
membres de cette section centrale. Si l'on veut utiliser les observations faites
dans les sections et consignées dans les procès-verbaux, il faut renvoyer le
projet dont il s'agit à la section centrale du projet de loi d'emprunt. Au
reste, une section centrale n'existe qu’aussi longtemps que la chambre n'a pas
pris de décision sur l'objet ont elle a été saisie. Le budget de la guerre a
été adopté ; par conséquent la section centrale qui l'a examiné n'a plus
d'existence légale.
M. Delehaye. - J'appuie
la proposition de renvoyer le projet de loi à la section centrale de l'emprunt.
Dans la section dont je faisais partie, des observations o.it été faites sur
les dépenses du département de la guerre, et l'honorable M. Orban a demandé
qu'on nommât deux rapporteurs, l'un pour discuter les questions concernant l'emprunt,
et un autre pour discuter les demandes du département de la guerre. Cette
proposition a été trouvée si juste et si fondée que tous les membres s'y sont
ralliés. Nous avons été autorisés à nommer, indépendamment du rapporteur chargé
de s'occuper de la question de l’emprunt, un autre ayant des connaissances plus
spéciales pour les questions relatives au département de la guerre.
On
a prié la section centrale de vouloir admettre, pour l’examen des questions
concernant le département de la guerre, l’honorable M. Brabant, indépendamment
de M. Rousselle, nommé rapporteur pour la question d'emprunt ; voilà ce qui
s'est fait dans la sixième section, sur la proposition de M. Orban.
J'appuie
donc le renvoi à la section centrale de l'emprunt.
M. Manilius. - On
pourrait renvoyer le projet à la section centrale de l'emprunt en y attachant
quelques membres de la section centrale de la guerre. Je ferai observer que
cette section centrale n’existe plus ; elle avait été nommée par l'ancienne
législature. Le budget en exercice avait été présenté l'an dernier et examiné
l'an dernier dans les sections. Maintenant la section centrale de l'emprunt
pourrait s'adjoindre soit l'honorable M. Brabant, soit un autre membre d'une
ancienne section centrale de la guerre, pour examiner l'insuffisance des
chapitres auxquels se rapportent les 9 millions demandés. C'est ce qui me paraît le plus rationnel ; c'est l'importance
des sommes qui seront allouées pour les dépenses de la guerre qui doit décider
de l'emprunt.
Je
me rallie donc à la proposition du gouvernement avec la modification indiquée
par l'honorable M. Delehaye.
M. Delfosse. - Il y a un
précédent déjà posé par la chambre en faveur du renvoi à la section centrale
qui est chargée de l'examen du projet de loi d'emprunt.
Dernièrement
M. le ministre de l'intérieur nous a présenté un projet de loi par lequel il
demande plusieurs millions destinés à l'amélioration du sort des classes
ouvrières.
Ce
projet n'a pas été renvoyé à la section centrale du budget de l'intérieur, mais
à la section centrale du projet de loi d'emprunt.
La
chambre doit donc, pour être conséquente, prononcer le même renvoi pour le
projet qui vient d'être présenté pur M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier).
- Il me serait pénible d'appuyer le renvoi à la section centrale qui examine le
projet de loi d'emprunt, si cette section repoussait ce renvoi d’une manière
absolue. Mais je dois rappeler à l'honorable M. Malou, qui y fait opposition,
que déjà M. le ministre de la guerre a eu plusieurs conférences avec cette
section centrale, et que même il avait été entendu que, pour examiner les
dépenses concernant le département de la guerre, elle s'adjoindrait l'un ou
l'autre membre qui passe pour avoir des connaissances spéciales en cette
matière.
Je
croyais donc que nous étions d'accord. La section centrale s'attendait à ce
renvoi, puisqu'elle a appelé plusieurs fois dans son sein M. le ministre de la
guerre, et qu’elle l’a entendu sur les propositions de nature à justifier la
demande d'emprunt.
Je
prie donc l'honorable M. Malou de ne pas s'opposer davantage à ce renvoi.
M. de Brouckere. - Je ferai
remarquer à la chambre qu'il est impossible de renvoyer le projet à une autre
commission que la section centrale chargée de l’examen du projet de loi
d’emprunt. Je le démontrerai en deux mots : il est reconnu en fait que les
sections qui ont examiné le projet d’emprunt ont examiné les questions
concernant la guerre ; elles ont donc chargé leurs rapporteurs de traiter
ces questions. Vouloir renvoyer le projet de loi à la section centrale du
budget de la guerre de l’année dernière, ce serait s’exposer à le renvoyer à
des membres qui n’auraient pas examiné ces questions dans les sections ;
car il est possible que les membres de la sections centrale du budget de la
guerre n’aient pas pris part aux travaux des sections qui ont examiné le projet
de loi d’emprunt. Il n’y a donc que la section centrale, à qui l’on peut
renvoyer le projet de loi.
Quant
à la proposition de l’honorable M. Delehaye, elle n’est pas sérieuse, en ce
sens qu’on ne refuse pas aux sections le droit de nommer deux rapporteurs.
Lorsqu’il s’agira de traiter les questions concernant la guerre, la section
centrale appellera dans son sein M. Brabant au lieu de M. Rousselle.
M. Malou.
- Je regrette d’insister. Mais il a été question de ce projet ce matin en
section centrale. Si la chambre et le gouvernement désirent que la section
termine le plus tôt possible les travaux qui lui sont confiés, il ne faut pas
lui en confier de nouveaux. On s'est occupé des questions concernant la guerre,
mais pas du projet actuel. Je viens de le parcourir : il se rapporte à
plusieurs articles du budget de la guerre, tels que la solde, les vivres, etc.
M. Brabant.
- Ces détails sont donnés comme renseignements.
M. Malou.
- Encore faut-il les apprécier !
M. le ministre
de la guerre (M. Chazal). - J'ai déjà donné des explications
dans le sein de votre section.
-
La chambre, consultée, renvoie le projet de loi à l'examen de la section
centrale du projet de loi d'emprunt.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE
M.
de Man d’Attenrode dépose le rapport sur un projet de
loi de crédit supplémentaire de 50,163 fr. concernant le département de la
guerre.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR
M. Rousselle. - La
section centrale chargée de l'examen du projet de loi d’emprunt, à laquelle
vous avez renvoyé un projet de loi tendant à accorder un crédit de 3,700,000
francs au département de l'intérieur, s’est mise d'accord avec M. le ministre
de l’intérieur, qui a reconnu que divers travaux compris dans cette demande de
crédit et s’élevant à 1,700,000 fr., pouvaient être ajournés jusqu'au mois de
septembre. En conséquence, elle vous propose de voter le crédit réduit au
chiffre de 2 millions.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR
M. Lesoinne
dépose les rapports sur deux demandes de crédit supplémentaire concernant le
département des travaux publics : l’une de 1,252,705 francs pour travaux
exécutés qui doivent être soldés ; l’autre de 226,000 francs pour les
canaux de Zelzaete et de la Campin et pour le réendiguement du polder de Lillo.
-
La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et, sur la
proposition de M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban) et de M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier), met à l’ordre du jour pour lundi les projets
de loi qu'ils concernent.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR
M. David dépose
le rapport de la commission d'agriculture et d'industrie sur une pétition
tendant à obtenir que l'on simplifie les formalités relatives à l'exemption du
droit sur le sel destiné à l'agriculture.
-
La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et le met à
l'ordre du jour de demain.
-
La séance est levée à 4 heures.