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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 18 mars 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions
relatives à l’arrestation de M. et de Mme Marx (Castiau,
Rogier, Delfosse), à
l’indépendance des députés-fonctionnaires et au cens électoral au niveau
communal (Castiau, Delfosse, de Brouckere)
2) Projet de loi relatif à la fixation du cens
électoral au niveau communal, notamment suppression de ce sens (de Brouckere)
3) Motion d’ordre relative au cours légal accordé à
quelques monnaies étrangères en Belgique. Politique monétaire (Verhaegen, Frère-Orban)
4) Motion d’ordre relative au droit sur les sucres (Orban)
5) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au
budget du département des travaux publics pour l’achèvement du canal latéral à
la Meuse ((+industrie charbonnière et canal de Charleroy) Bricourt,
Castiau, Frère-Orban, Castiau, (+canaux de la Campine) Dechamps,
de Mérode, Frère-Orban,
(+personnel des ponts et chaussées) (de Man d’Attenrode, Frère-Orban, de Man d’Attenrode, Frère-Orban, de Man d’Attenrode, Frère-Orban, de Man d’Attenrode),
Orban, Frère-Orban, Lesoinne, Orban, Frère-Orban, Orban, Malou, Frère-Orban, Mercier)
6) Projets de loi accordant des crédits
supplémentaires au budget du département des travaux publics, pour la
construction du canal de Zelzaete à la mer du Nord, pour le canal de la
Campine, pour le réendiguement du polder de Lillo, pour le canal de Deynze à
Schipdonck
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1083) M. T'Kint de
Naeyer fait l'appel nominal à
deux heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance précédente, dont
la rédaction est adoptée ; il présente l'analyse des pièces qui ont été présentées
à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Smets prie la chambre d'exempter de l'avance
des 8/12 de la contribution foncière, les propriétés qui ne sont pas occupées
faute de locataires. «
- Renvoi à la commission des pétitions.
_______________
« Le sieur Victor
Faider, avocat à Bruxelles, transmet une copie de sa réclamation contre la note
publiée par le Moniteur, relativement à l'arrestation de son client, le sieur
Marx et sa femme, et prie la chambre d'en ordonner l'insertion dans ce journal.
»
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Castiau. -
Messieurs, la chambre vient d'ordonner le renvoi de la pétition du sieur Faider
à la commission des pétitions. Cette pétition est d'une nature assez urgente : il
y a eu dernièrement, dans la chambre, une interpellation sur l'expulsion et l’arrestation
du sieur Marx. A la suite de celle interpellation, un article a paru au
Moniteur ; il s'agit maintenant de quelques observations, en réponse à cet
article. Ces observations ont été adressées à ce journal depuis deux jours, mais
jusqu'ici elles n'ont pas été insérées. Je désire savoir si M. le ministre de
la justice, qui a le Moniteur dans ses attributions, s'est opposé à l'insertion
de ces observations.
Je demande, en outre, que la commission des pétitions
soit invitée à faire un prompt rapport.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs,
M. le ministre de la justice n'étant pas présent, je répondrai à l'honorable M.
Castiau que l'intention du gouvernement n'est pas d'autoriser l'insertion de
cette lettre au Moniteur. J’ignore si M. le ministre de la justice s'est opposé
à cette insertion ; mais, pour ma part, le directeur du Moniteur m'ayant
demandé s'il devait insérer la lettre, je lui ai répondu que non. Ce serait
poser un antécédent qui pourrait mener le gouvernement fort loin. La voie
légale est ouverte d'ailleurs à toutes les personnes qui croient avoir à se
plaindre d'un article de journal.
M. Delfosse. - Nous n'avons pas à nous occuper maintenant de la pétition ; nous n'en
connaissons pas le contenu ; nous ne le connaîtrons que lorsque la commission
des pétitions aura fait son rapport ; alors, nous pourrons examiner ce qu'il y
a lieu de faire.
- La chambre décide que la commission des pétitions
sera invitée à faire un prompt rapport sur la pétition.
« Plusieurs habitants
de Liège demandent la réforme parlementaire et la suppression du cens d'éligibilité
aux fonctions communales et appellent l'attention de la chambre sur plusieurs
questions de l'ordre moral et de l'ordre matériel. »
M. Castiau. -
Je demande que la pétition soit renvoyée à la section centrale, chargée de l'examen
du projet de loi concernant le cens pour les élections communales.
M. Delfosse. - Messieurs, il y a un point pour lequel la pétition doit être renvoyée
à la section centrale, comme l'honorable M. Castiau le propose ; mais pour les
autres points, la pétition doit être renvoyée à la commission des pétitions, et
je demanderai que la commission fasse un rapport sur cette pétition en même
temps que sur celle du conseil communal de Louvain, qui est de la même nature.
M. de Brouckere. - Il est inutile de renvoyer à la section centrale ; je vais déposer son
rapport sur le bureau ; il suffit que la pétition reste déposée sur le bureau.
- Ce dépôt est ordonné.
En outre, la pétition sera ensuite renvoyée à la commission
des pétitions.
_______________
M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre le
rapport triennal sur l'instruction primaire.
- Dépôt à la bibliothèque.
_______________
M. de Lescluse adresse à la chambre 120 exemplaires
de sa brochure sur la question financière.
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
_______________
M. de Haerne informe la chambre qu'une indisposition
l'empêche d'assister à la séance.
PROJET DE LOI RELATIF AU CENS ELECTORAL AU NIVEAU COMMUNAL
M. de Brouckere. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale,
qui a été chargée primitivement d'examiner le projet de loi concernant le cens
électoral des communes, sur la suppression du cens d'éligibilité.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre
jugera probablement qu'il y a lieu de le mettre à l'ordre du jour en même temps
que projet de loi relatif au cens électoral.
M. de Brouckere. - Je crois devoir faire observer qu'il y a urgence que la chambre s'occupe
de ces deux rapports qui se résumeront en un seul projet de loi.
Il est à remarquer que la formation des listes électorales
dans les communes commence le 1er avril, et nous sommes déjà fort avancés dans
le mois de mars.
M. le président. - D'après l'observation qui vient d'être faite, je
proposerai de mettre ce projet de loi en tête de l'ordre du jour de lundi.
- Cette proposition est adoptée.
MOTION D’ORDRE
M. Verhaegen. _ Il y a quelques Jours, nous avons fait une loi donnant
un cours légal à quelques monnaies étrangères, entre autres aux souverains
anglais dont le taux a été fixé à 25 fr. 50 c. On vient de me dire que dans des
stations du chemin de fer de l'Etat on a refusé à des voyageurs des souverains
anglais. Sur les observations des voyageurs que ces monnaies devaient être
reçues, les receveurs ont répondu qu'ils n'avaient pas d'ordre pour les
recevoir. On leur a répliqué que la loi leur en faisait un devoir ; ils ont
persisté à dire qu'ils n'avaient pas d'ordre et qu'ils ne les recevraient pas.
Je prie M. le ministre de prendre des mesures pour que force reste à la loi et
que les agents de l'Etat reçoivent les monnaies auxquelles cours légal a été
donné.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - De pareils faits ne peuvent être que le résultat
d'une erreur. La loi doit être exécutée par tout le monde, et ceux qui doivent
le plus s'empresser de le faire, ce sont les agents de l'Etat. Il ne peut y
avoir aucune difficulté à cet égard ; les monnaies étrangères auxquelles
la loi a donné cours en Belgique seront reçues dans les caisses publiques.
MOTION D’ORDRE
M. Orban. - Pendant
le courant de cette session, il a été présenté à la chambre, par un de ses
membres, un projet de loi ayant pour objet de modifier la législation sur les
sucres. Ce projet a été présenté alors que le pays était prospère, et que le
trésor n'avait pas de besoins extraordinaires. Il était fondé sur cette considération
qu'il était juste que le sucre, objet de consommation pour la classe riche,
concourût dans une équitable proportion à fournir des ressources à l'Etat,
alors que les objets de consommation pour la classe pauvre sont fortement
imposés.
Maintenant que les circonstances sont graves, que le
trésor a des besoins urgents auxquels il faut faire face par des moyens extrêmes,
que l'on est obligé de frapper coup sur coup sur les contribuables qui déjà
supportent dans les temps ordinaires toutes les charges publiques, tout le monde
doit reconnaître qu'il y a urgence à s'occuper de ce projet de loi. Il le faut
sous un triple rapport : d'abord pour que l'impôt sur les sucres participe dans
de justes proportions aux charges extraordinaires que nous sommes obligés de
créer ; en second lieu, pour pourvoir au déficit que nous devons prévoir dans
les prévisions du budget des voies et moyens, et notamment en ce qui concerne
la recette du chemin de fer. Enfin, messieurs, pour pourvoir aux intérêts de
l'emprunt que nous avons voté et de celui que nous serons probablement obligés
de voter encore.
Je prie donc M. le président de faire connaître où en
est l'examen de ce projet en section centrale. Toutes les sections ont terminé leur
tâche, toutes ont nommé leur rapporteur, et je crois être bien informé en
affirmant que toutes sont favorables au projet de l'honorable M. Mercier.
M. le président. - La section centrale ne s'en est pas encore occupée,
tous ses membres ayant été absorbés par l'examen des projets de loi politiques.
Je convoquerai alternativement cette section centrale et les autres, de manière
que l'examen des divers projets de loi puisse marcher simultanément. Je la
convoquerai aussitôt que les sections dont ses membres font partie auront
terminé l'examen du projet de loi d'emprunt.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE POUR L’ACHEVEMENT DU
CANAL LATERAL A LA MEUSE
Discussion générale
M. le président. - La section centrale a pris, sur le projet de loi
présenté par le gouvernement, les conclusions suivantes.
La section centrale, tout en déplorant de voir le crédit
alloué dépassé d'une manière aussi exorbitante, pense néanmoins qu'il est de
notre loyauté de remplir les engagements qui ont été contractés pour compte de
notre gouvernement sur un territoire étranger, et, vu l’urgence, propose
d'accorder comme à-compte un crédit de 2,000,000 de francs, à prendre sur les
fonds mis à la disposition du gouvernement par la loi du 20 février 1848. La
section reste saisie du projet et attend pour se prononcer sur le surplus du
crédit demandé, et sur les autres points soulevés dans la section centrale, que
M. le ministre lui ait fourni les pièces justificatives promises.
En conséquence, elle propose le projet de loi suivant
:
« Art. 1er. Le crédit de 3,500,000 francs, ouvert par
la loi du 16 mai 1845, pour la construction d'un canal de navigation, latéral à
la Meuse, de Liège vers le canal de Maestricht à Bois-le-Duc, est augmenté de
2,000.000 de francs. »
« Art. 2. Cette augmentation de crédit sera prélevée
sur les fonds mis à la disposition du gouvernement par la loi du 26 février
1848. »
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). déclare se rallier à ce projet dé loi, sur lequel
la discussion est ouverte.
M. Bricourt. - Messieurs, lors de la discussion de la loi du 20
mai 1845, qui alloue un crédit de 3,500,000 francs pour la construction du canal
latéral à la Meuse, plusieurs membres de cette assemblée ont prétendu, et avec
raison, que l'Etat ne devait pas prendre cette entreprise à sa charge ; qu'elle
devait être abandonnée à l'industrie privée. C'est, en effet, ce qui a toujours
été pratiqué à l'égard du Hainaut.
La canalisation de la Sambre, le canal de Charleroy
à Bruxelles, celui de Mons à Condé, les divers chemins de fer autorisés depuis quelques
années par la législature, toutes ces voies de communication ont été ou
devaient être exécutées sans la participation du trésor public et au, moyen de
concessions de péages. Ce mode de procéder a eu pour résultat de soumettre les
charbonnages du Hainaut à des droits de péage qui devaient couvrir les intérêts
du capital dépensé et amortir ce capital lui-même, et devenaient extrêmement
onéreux.
Pour être juste et logique tout à la fois, il fallait
suivre le même système à l’égard du bassin houiller de Liège. Mais on a prétendu
que le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse et le canal de Mons à Alost ouvrant
aux charbonnages de Charleroy et à ceux de Mons les marchés des Ardennes
françaises et de la Hollande dont les charbonnages de Liège étaient en possession,
l'Etat devait leur accorder une compensation pour le préjudice qu'ils en
éprouveraient et, en conséquence, se charger lui-même de la construction du
canal latéral à la Meuse. Voici, en effet, en quels termes s'exprimait M. le
ministre des travaux publics à cette époque :
« Si le canal latéral
n’était pas voté par la chambre, je le déclare, l’équilibre entre les grands
centres industriels du pays serait complètement rompu. Le chemin de fer
d’Entre-Sambre-et-Meuse a été accepté par la chambre. Je pense qu’il n’y a plus
de doute sur l’exécution du canal de Jemmapes à Alost qui est concédé et dont le
capital n’avait pas encore été fait ; mais je pense qu’à l’heure qu’il
est, ce capital est formé et que l’exécution du canal va avoir lieu. Or, le
canal de Jemappes à Alost doit ouvrir le marché de la Hollande au bassin de
Mons. Le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse doit ouvrir le marché des
Ardennes françaises et de la Marne aux houilles du bassin de Charleroy. Je ne
dis pas que le bassin de Liége en sera exclu ; mais enfin il y rencontrera
la concurrence du bassin de Charleroy qu’il n’y rencontrait plus déjà depuis
quelques années.
« J’ai dit,
messieurs, que si la construction du canal n’est pas accueillie par la chambre,
il y aura défaut de compensation. L’équilibre commercial qui existe entre les
trois grands bassins houillers de la Belgique sera rompu. Or, la chambre n’a
aucune raison de le rompre. Ce serait un mal véritable, une injustice
flagrante, selon moi, et cette injustice, vous pouvez ne pas la commettre à
l’aide d’une dépense minime, d’une dépense qui doit rapporter beaucoup à l’Etat
et qui doit produire au bassin de Liége un avenir commercial brillant. »
Trois années se sont écoulées depuis l'époque où M.
le ministre des travaux publias s'exprimait ainsi, et les éventualités qu'il invoquait,
et les craintes qu'il avait conçues pour les charbonnages de Liège ne se sont
pas réalisées. Le canal de Mons à Alost est toujours à l'état de projet et
n'aura probablement jamais de suite. Le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse
est en construction, il est vrai, sur la section de Charleroy à Walcourt ; mais,
si mes souvenirs sont fidèles, la section de Walcourt à la Meuse qui est la
partie la plus considérable et qui seule doit ouvrir aux houilles de Charleroy
le marché des Ardennes françaises, est ajournée indéfiniment.
Cependant de bassin houiller de Liège va jouir du canal
latéral à la Meuse qui devait être la compensation d'un préjudice qui ne s'est
pas réalisé.
D'un autre côté, l'équilibre que l'on voulait maintenir
entre les différents bassins charbonniers du pays est rompu au détriment du
Hainaut. La plupart des marchés de la Hollande fréquentés aujourd'hui par les
charbonnages du Centre, tels que ceux de Rotterdam, Zierickzée, Dordrecht,
Gorinchem, Schiedam, Delft, Breda, etc., etc., vont être perdus pour eux. Au
moyen du canal latéral à la Meuse et par suite du droit minime de péages auquel
il est soumis, le bassin houiller de Liège les en évincera facilement, ou au
moins leur fera une concurrence d'autant plus ruineuse que déjà aujourd’hui ils
ne peuvent s'y soutenir qu'en faisant les plus grands sacrifices sur les prix
de leurs charbons et en se bornant, pour ainsi dire, à couvrir leurs frais
d'exploitation.
En présence d'un semblable état de choses, les charbonnages
du Centre seraient en droit de venir, à leur tour, réclamer le maintien de
l'équilibre. Invoquant les antécédents du gouvernement ils pourraient lui
demander de faire dans leur intérêt ce qui at été fait et ce qui existe encore
dans l’intérêt du bassin de Charleroy. Ils pourraient lui dire. : C'est dans le
but de nous placer sur un pied d'égalité avec ces charbonnages que vous nous
avez soumis à des droits de navigation sur le canal de Charleroy, comme si nous
le parcourions dans toute son étendue. Eh bien, partant du même principe, vous
devez fixer les droits de péages du canal latéral à la Meuse de manière que
nous puissions conserver les marchés de la Hollande dont nous sommes en
possession. Et ils seraient d'autant plus fondés à tenir ce langage, que le
canal latéral à la Meuse, dont la construction n'avait été primitivement estimée
qu'à 3,500,000 francs et qui devait, disait-on, donner des produits considérables,
coûtera plus de 7 millions, et peut-être même davantage ; car, s’il faut juger
du nouveau devis par le premier, il est bien à craindre qu'on ne vienne encore
dans la suite solliciter de nouveaux crédits.
Mais, messieurs, je dois le dire, bien que l'arrondissement
qui m'a honoré de son mandat aurait avantage à raisonner de cette manière dans
cette circonstance, l'équilibre entre les différents bassins charbonniers du
pays, est, selon moi, nuisible aux intérêts des consommateurs, il est contraire
au développement de la richesse nationale, il est un obstacle à ce que nos
différentes industries qui font usage de. houille puissent soutenir la
concurrence des pays étrangers ; il est destructif de toute émulation entre les
producteurs : c'est, en un mot, le sacrifice de l'intérêt de tous à l'intérêt
de quelques-uns ; c'est, en outre, une idée qui, belle en théorie, ne pourra
jamais être réalisée, quelque chose que l'on fasse.
Je ne viendrai donc pas chercher à entraver, sous ce
prétexte, la construction du canal latéral à la Meuse.
Mais je dirai au gouvernement : Il vous a été démontré
à différentes reprises de la manière la plus évidente que, bien que l'Etat soit
complètement remboursé des frais d'acquisition du canal de Charleroy, la
navigation y est encore soumise à des droits exorbitants et en dehors de toute
proportion avec ceux établis sur les autres canaux du pays. Il vous a surtout
été démontré que la disposition du tarif de ce canal qui soumet les charbons du
Centre aux mêmes droits que s'ils partaient de Charleroy, constitue une
injustice criante.
Eh bien ! que le jour de la
justice luise aussi pour nous. Ecoutez nos griefs, débarrassez-nous des
entraves qui arrêtent l'essor de nos industries, réduisez les droits de péages
sur le canal de Charleroy au niveau de ceux établis sur les autres canaux, et
remplacez le péage uniforme existant par un péage en raison de la distance
parcourue.
Cependant je reconnais que, dans les circonstances où
nous nous trouvons, le gouvernement ne peut se priver de cette branche de ressource.
Je n'insisterai donc point pour que cette mesure soit adoptée immédiatement.
Mais je prendrai acte de l'avantage conféré aux charbonnages de Liège et du
préjudice causé à ceux du Centre, et je demanderai que M. le ministre des
travaux publics veuille au moins nous donner la promesse d'étudier cette
question et de présenter un projet de loi qui déclare en principe que, pour le
jour de l'ouverture du canal latéral à la Meuse, les droits de péages sur le
canal de Charleroy seront payés en raison de la distance parcourue et réduits
au quart du taux actuel. La réponse qu'il donnera à cet égard déterminera de
vote que j'ai à émettre.
M. Castiau. -
Messieurs, je ne viens pas examiner la question traitée par l’honorable préopinant,
celle de l'équilibre des divers bassins houillers. Il nous a présenté sur cette
question des observations très sages et très justes, qui sans doute seront
appréciées par le gouvernement. Mais enfin, ces considérations me paraissent se
rattacher d'une manière par trop incidente au projet de loi. Je m'en tiendrai
donc aux seules questions qui me paraissent découler directement du projet de
loi.
Suivant M. le ministre des travaux publics, il n'y aurait
en quelque sorte pas de question ni de débats. Il y aurait nécessité de voter
de crédit, sauf à ajourner les observations critiques qu'on aurait à présenter
plus tard sur l'irrégularité de cette dépense. Eh bien, je ne suis pas de cette
opinion. Je crois qu'il y a ici une grave question, une question de
responsabilité ministérielle, que nous devons examiner dès à présent, car ce sont
là des questions qui ne comportent pas d'ajournement. M. le ministre vous disait
que vous étiez débiteurs, que l'Etat devait payer et ne pouvait se soustraire à
cette obligation.
Mais il me semble, messieurs, qu'il faut connaître avant
tout quelle est cette dette, son origine et son caractère. Le pays est tenu :
oui, si la dette est régulière et légale ; non, s'il s'agit d'une dette
irrégulière, illégale, contractée en dehors des promesses faites et du mandat
qui avait été donné à l'un des prédécesseurs de M. le ministre actuel. De quoi
s'agit-il donc, messieurs, dans cette occurrence ? Le canal latéral à la Meuse
est décrété dans la session de 1845. C'était l'honorable M. Dechamps qui était
alors ministre des travaux publics. La dépense du canal était estimés alors à
une somme de 3,500,000 fr. et l'on nous annonçait formellement qu'elle ne
dépasserait pas ce chiffre. Qu'arrive-t-il aujourd'hui ? Que cette somme de 3,500,000
fr. est dépensée ; que l'on a contracté de nouveaux engagements pour une somme
de 2 millions ; que ces deux sommes réunies ne suffiront pas ; qu'il faudra (page 1085) arriver à de nouveaux
crédits et à une dépense de 7 millions pour payer ce canal dont l'évaluation
avait été fixée arec tant d'assurance dans cette enceinte.
Messieurs, il s'agit donc encore ici d'un de ces crédits
supplémentaires qui sont le fléau, la lèpre de notre état financier ; d'un de
ces crédits supplémentaires que l'on a toujours eu le tort d'admettre jusqu'ici
si légèrement et qui, chaque année, ont rompu l'équilibre entre les recettes et
les dépenses, et créent un déficit qu'on ne sait maintenant combler que par des
moyens que je n'ai pas à caractériser aujourd'hui.
Comment donc, messieurs, entend-on expliquer cette augmentation
criante d'une dépense portée au double des devis primitifs ? Voici la
justification qu'on a tentée dans l'exposé des motifs :
« En ce qui concerne la partie du canal en cours d’exécution
sur le territoire néerlandais, l'excédant de dépenses est le résultat de trois
causes principales :
« 1° Exécution d'après des directions partielles plus
dispendieuses que celles de l'avant-projet et que celles du projet de l'ingénieur
Goudriaan, dressé en 1829, en demeurant toutefois dans la direction générale de
ce dernier projet, conformément aux stipulations de la convention internationale
du 12 juillet 1845.
« 2° Impossibilité où l'on s'est trouvé d'effectuer
des opérations préalables sur le territoire néerlandais, et de se rendre ainsi suffisamment
compte de l'importance des ouvrages à exécuter ;
« 3° Prix élevé des bâtiments et des terrains compris
dans le tracé du canal. »
Que résulte-t-il, messieurs, de cet exposé des motifs
? Que, quand la question a été soumise à la chambre en 1845, elle n'était pas
étudiée ; que c'était un projet incomplet, que les questions principales
n'étaient pas résolues et qu'il y avait impossibilité d'assurer les bases de
l'estimation.
Aussi quelle était alors l'opinion d'une partie de la
chambre et entre autres d'un des anciens collègues de M. Dechamps, de l'honorable
M. Malou ? Cet honorable membre protestait avec force et raison contre ce
projet incomplet et qui laissait en suspens les principales questions. Il
vous signalait les lacunes du travail et insistait surtout sur la nécessité de
conclure préalablement la convention internationale, dont dépendait l'exécution
du canal. Enfin il prétendait que la somme réclamée serait insuffisante et
demandait l'ajournement à la session de 1846.
Que devait faire en pareil
cas l'honorable M. Dechamps ? Il devait se rendre aux observations présentes
par son ancien collègue ; reconnaître qu'en effet les bases d'évaluation
n'étaient pas fixées, que tout dépendait de la convention à conclure et qu'il
était impossible, dans l'état de l'instruction de l'affaire, qu'elle fût
soumise au vote de l'assemblée.
Eh bien, messieurs,
qu'a-t-il fait, au contraire ? L'honorable M. Dechamps, dans son inexplicable
impatience, ne s'est pas voulu rendre à tous ces motifs d'ajournement. Il
voulait en finir, en finir à tout prix. Voici en quels termes il repoussait
l'ajournement, auquel il aurait dû se soumettre, lui ministre des travaux
publics, au lieu de presser imprudemment l'adoption du projet, comme il l'a
fait, en déclarant, à diverses reprises, que la dépense n'excéderait pas le
chiffre de 3,500,000 francs.
« M. Dechamps,
ministre des travaux publics. Messieurs, je viens combattre la motion
d’ajournement que vous a proposée l’honorable M. Malou. L’honorable membre
propose l’ajournement, afin qu’il y ait plus ample informé. Il a supposé que la
question n’était pas suffisamment instruite.
« Messieurs, le
projet d’un canal latéral entre Liége et Maestricht est l’un des projets les
plus anciens, les plus étudiés de tous les projets de canaux dont le
gouvernement ait à s’occuper. Ce projet complet
a été traité, dès 1829, par M. Goudriaan. Le projet de M.
l’ingénieur Kummer n’est que le projet de M. Goudriaan, amendé et rectifié.
Ainsi, il est impossible d’avoir un projet plus complet, et la chambre aurait
beau prononcer l’ajournement l’année prochaine le gouvernement serait dans
l’impossibilité de lui présenter un projet plus complètement étudié et mieux
mûri.
« Il y a
quelques jours, lorsque nous discutions des projets de chemins de fer concédés,
les membres qui combattaient le projet avaient une confiance complète dans les
calculs présentés par les ingénieurs.
« Aujourd’hui,
messieurs, la thèse change. M. l’ingénieur Kummer, dans ses calculs positifs,
évalue la dépense à 3,500,000 fr. Cette dépense, on n’y compte pas, elle doit
s’élever à je ne sais quel chiffre. Les produits qui sont évalués au minimum,
il faut le dire, lorsqu’on se rend compte du mouvement commercial qui doit
avoir lieu entre Liége et la Hollande, et entre Liége et la campine anversoise,
les produits, dis-je, sont contestés.
« M. L’ingénieur
Kummer évalue au minimum les revenus directs du canal à 150,000 fr., ce qui
forme un bien bel intérêt du capital à dépenser. En défalquant 72,000 fr. de
frais d'entretien, il restera plus de 150,000 fr. pour couvrir les intérêts du
capital employés. » (Moniteur 1541, 1542.)
Voilà, messieurs, les promesses qui ont été faites alors
hautement, solennellement dans cette enceinte, et c'est à la suite de ces assurances
et de ces promesses que l’on a surpris, qu'on me permette l'expression, un vote
de confiance. La majorité a eu foi aux promesses et aux déclarations de M.
Dechamps, elle a suivi l'entraînement qu'il lui imprimait et voté imprudemment
la dépense qu'on réclamait.
Ce n'est pas tout, le succès de M. Dechamps dans cette
enceinte a eu du retentissement à l'extérieur. Vous savez, messieurs, que, pour
la première fois de sa vie peut-être, l'honorable M. Dechamps a été entouré
pendant quelques heures de l'auréole de la popularité ; l'industrie liégeoise
s'est émue à la suite du succès qu'il avait obtenu, elle lui a décerné une
magnifique ovation pour lui témoigner sa reconnaissance ; il y a eu un grand
banquet, des discours apologétiques, et enfin une médaille d'or. On n'aurait
pas fait davantage s'il avait sauvé le pays.
C'était très flatteur pour l'amour-propre de M. le ministre
; malheureusement cette fois encore ce seront les contribuables qui vont faire
les frais de ce beau triomphe.
M. le ministre des travaux publics, je le répète, a
donc eu dans cette circonstance les honneurs d'un véritable triomphe. (Interruption.)
Je sais qu'il y a eu des dissidents qui n'ont pas voulu
s'associer à ces démonstrations triomphales. (Nouvelle interruption.) Je le sais et je les en félicite.
Quoi qu'il en soit, l'ovation n'en a pas moins été décernée
; mais ainsi qu'on l’a dit souvent, il n'y a qu'un pas du Capitole à la roche Tarpéienne
; le Capitole était la fête de Liège, le triomphe de Liège, les discours et la
médaille. La roche Tarpéienne c'est ce qui arrive maintenant : C'est le
déficit, c'est le démenti donné à toutes les prévisions de M. Dechamps, à
toutes les promesses qu'il a faites pour déterminer la chambre à voter
l'exécution du canal latéral à la Meuse.
Et cependant ce sont ces promesses et ces assurances
si positives qui ont déterminé le vote de la chambre. M. Dechamps s'est porté
fort en cette matière en s'appropriant le travail des ingénieurs et en répétant
à satiété que les questions étaient suffisamment étudiées et les études
complètes. Il a protesté de toutes ses forces contre l'ajournement de la discussion
; il a déclaré et garanti que le revenu du canal en couvrirait les frais.
Tout cet échafaudage de promesses et d'espérances, ces
engagements et ces promesses, tout cela s'est évanoui ; et à la place des fictions
ministérielles apparaît la triste réalité. Le canal coûtera deux fois le prix
d'estimation, et ses revenus n'en couvriront jamais les frais. Eh bien, messieurs,
je pense qu'en induisant, comme il l'a fait, la chambre en erreur, M. Dechamps
a commis la plus grave des fautes et engagé sa responsabilité.
Je sais que l’honorable membre est accoutumé à traiter
assez cavalièrement les questions de responsabilité personnelle ; je sais que,
dans une autre occasion, M. Dechamps a mis la chambre au défi de la lui
appliquer en repoussant un crédit supplémentaire scandaleux, et malheureusement
la chambre n'a pas osé répondre à son défi et elle a eu l'impardonnable
faiblesse de voter ce crédit contre lequel elle aurait dû se soulever tout
entière.
Il en serait de même sans doute de la proposition que
je ferais de rejeter le crédit pour en laisser une partie à la charge du ministre
qui a violé la loi en outrepassant son pouvoir et le crédit voté. Aussi, sans
m'inquiéter de la décision de la majorité, je n'en crois pas moins remplir un
devoir en cette circonstance, en déclarant que l'honorable M. Dechamps a engagé
de la manière la plus grave sa responsabilité, en trompant la chambre par ses
déclarations et en obtenant le vote de la majorité à l'aide d'une véritable
surprise.
Ce n'est pas, du reste, la seule question de responsabilité
ministérielle qui se rattache à ce projet de loi que nous examinons. La chambre
avait été induite en erreur par les calculs et les promesses de M. Dechamps ;
eh bien, maintenant encore, vous allez voir que la pensée imprudente qui avait
emporté, sans examen, le vote du canal de la Meuse, a continué à planer sur
cette entreprise, et a produit d'autres résultats non moins fâcheux que ceux
dont nous avons à nous plaindre aujourd'hui.
Avant de construire le canal, il y avait une convention
à conclure avec la Hollande. Cette convention aurait dû précéder l'adoption du
projet de loi ; on a trouvé bon de voter le canal, sans même savoir quelle
serait la négociation et quel était notre négociateur ! Il suffit de connaître
les résultats pour dire que ce négociateur était encore M. Dechamps. Cette
négociation, s'il faut croire ce qu'on m'en a dit, a été également une
négociation de malheur, car il aurait encore, dans cette circonstance, oublié
et sacrifié les intérêts du pays.
Il s'agissait d'un canal qui intéressait également la
Hollande et la Belgique ; si la négociation avait été conduite avec habileté,
la Hollande aurait facilement consenti à se charger de la construction du canal
qui devait traverser son territoire.
Quel a été, au contraire, le résultat de la négociation
? C'est que la Belgique a pris l'engagement de payer les travaux qui se
feraient sur le territoire hollandais, et que les travaux ont été abandonnés
entièrement à l'arbitraire du gouvernement hollandais. Aucune garantie n'a été
stipulée. Le gouvernement belge a été placé dans une position plus fâcheuse
qu'un concessionnaire ordinaire ; un concessionnaire ordinaire aurait suivi la
continuation des travaux, il les aurait exécutés ; il aurait eu recours, dans
tous les cas, à la garantie de l'adjudication et aux autres garanties dont nous
environnons l'exécution des travaux publics.
Eh bien, le gouvernement belge a été repoussé complètement
et de l'exécution et même de la surveillance des travaux. Les travaux ont été
confiés à un entrepreneur choisi par le gouvernement hollandais ; tout s'est
fait dans l'ombre Ces travaux n'ont été l'objet d'aucune adjudication ; aucun
contrôle sérieux n'y a présidé, il a fallu tout abandonner à l'arbitraire de
l'entrepreneur hollandais. Toutes les questions d'expropriation et la question
si grave de la direction du canal dans Maestricht, toutes les questions enfin
ont été résolues contre la Belgique ; et c'est là précisément la source du
déficit dont on vient nous demander de combler une partie envolant un crédit
provisoire de deux millions.
(page 1086) N'est-il pas évident que l'honorable M. Dechamps,
par cette négociation maladroite, a compromis de nouveau les intérêts du pays
et engagé gravement sa responsabilité ?
Je n'en ai pas fini encore. Les irrégularités et les
illégalités se multiplient à mesure qu'on avance dans l'examen des faits, et je
ne puis passer sous silence une dernière question de responsabilité que le
projet de loi soulève. C'est celle relative aux engagements qui ont été pris en
dehors du crédit alloué par la chambre ; la chambre avait voté 3,500,000 fr.,
cette somme épuisée, que fallait-il faire ? Avant de prendre de nouveaux engagements,
il fallait en référer immédiatement à la chambre et obtenir son adhésion.
C'était le moins qu'on lui devait, après l'avoir trompée aussi gravement. Ici
encore, on a traité la chambre avec le sans-gêne dont les ministres ont
contracté la douce habitude ; on l'a considérée comme n'existant pas et l'on a
commencé par prendre des engagements jusqu'à concurrence de deux millions, sans
même la consulter.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - C'est le résultat des adjudications publiques ;
les fonds se trouvaient engages en totalité.
M. Castiau. -
Alors mes reproches n'en retombent qu'avec plus de force sur l'ancien ministre des
travaux publics. D'ailleurs je dois dire que mes observations n'avaient rien de
personnel à M. Frère, qui est resté étranger aux actes que j'attaque ; toutes
mes critiques s'adressent directement et justement à l'honorable M. Dechamps,
et je pense que sur ce point il ne peut y avoir de malentendu. L'observation de
l'honorable M. Frère vient aggraver encore toutes les fautes qui ont été
commises en cette circonstance par M. Dechamps. Toutes les adjudications ont eu
lieu en même temps, nous dit-on. Mais à quelle époque ont-elles eu lieu ? En
1845 ou 1846 sans doute.
M. le ministre des travaux publics (M.
Frère-Orban). - Permettez-moi de
vous interrompre un moment. On a mis en adjudication les travaux à exécuter
pour le creusement du canal et les travaux d'art. Je parle de la partie
s'étendant sur le territoire belge. Ces travaux étaient estimés, d'après les
devis, à une somme de 1,900,000 fr., je pense ; ils ont été adjugés pour une
somme de 1,700,000 fr., ainsi pour une somme inférieure à l'estimation qui
avait été faite par l'ingénieur. On ne pouvait pas scinder cette partie.
On a ensuite procédé aux expropriations, pour livrer
les terrains à l'entrepreneur, au fur et à mesure de l'exécution ; sur les
expropriations il y a eu de très grands mécomptes ; ce qui avait été estimé à
3, 4, 5,000 francs a dû être payé, d'après les décisions des tribunaux, 12,15 ou
18,000 francs.
Voilà, pour la partie du canal exécutée sur notre territoire,
la cause de la différence entre les prix d'estimation et la dépense réelle.
C'est en ce sens que j'ai dit qu'on n'avait pas pu venir ultérieurement demander
à la chambre de compléter les crédits alloués ; le tout s'est trouvé engagé ;
cela devait être, d'après le mode d'opérer qu'on a suivi, et il n'était guère
possible qu'on en suivit un autre.
M. Castiau. - Eh bien, soit ; je suis fatigué de mon rôle d'accusateur, et j'ai eu
malheureusement à produire tant d'accusations à charge de l'honorable M. Dechamps,
que je puis bien ne pas m'arrêter à celle que j'allais développer.
En présence de tels abus, messieurs, il m'est impossible
d'allouer le nouveau crédit demandé, car ce crédit est en quelque sorte un bill
d'indemnité pour l'honorable M. Dechamps ; je ne puis lui accorder ce bill
d'indemnité, après les faits graves que j'ai révélés, après le préjudice qui en
est résulté pour le pays ; et s'il est vrai que la responsabilité des ministres
ne puisse être appliquée dans cette chambre, et qu'elle continue à être
aujourd'hui comme toujours un mensonge, je ne veux pas, du moins, accepter en
quelque sorte la complicité des faits graves que j'ai produits à charge de
l'ancien ministre des travaux publics, en votant même partiellement le crédit
destiné à les sanctionner et à les absoudre.
M. Dechamps. - J'en demande pardon à l'honorable M. Castiau qui semble s'être attribué
la mission de donner des leçons à ses collègues qui ne partagent pas son
opinion ; je lui en demande pardon, mais il a tellement prodigué ses blâmes,
ses remontrances et ses reproches aux ministres passés, aux ministres présents,
se réservant de les prodiguer aux ministres futurs, à moins qu'il ne soit lui-même
plus tard un de ces ministres, que ses reproches ont singulièrement perdu de la
valeur qu'il voudrait leur attribuer. Il a cru, par les observations critiques
un peu amères qu'il vient de m'adresser, faire une espèce de compensation aux
témoignages de gratitude que le commerce et la ville de Liège ont bien voulu me
donner à l'occasion du canal latéral à la Meuse, et aux éloges que les amis de
l'honorable membre m'ont décernés l'année dernière, pour avoir fait triompher
ce projet d'utilité publique.
Il a voulu me montrer le revers de la médaille dont
il a parlé tout à l'heure. (Interruption.)
Il me permettra de le lui dire, ses reproches très peu
fondés, comme je vais le démontrer, ne forment nullement à mes yeux la compensation
de ces témoignages qui n'étaient pas une flatterie adressée par des amis
politiques à un ministre, puisqu'ils émanaient d'adversaires politiques qui ont
eu la loyauté de séparer l'administrateur de l'homme politique, en rendant
justice aux efforts que j'avais faits, comme c'était du reste mon devoir.
Je m'étonne que l'honorable membre s'élève avec tant
de vivacité contre la construction du canal latéral à la Meuse : lui qui tient
beaucoup à être toujours conséquent avec lui-même, tombe ici dans une complète
contradiction.
L'année dernière, tous ses amis politiques,
auxquels il s'est associé par son vote, reprochaient au ministère dont je
faisais partie précisément son hésitation à admettre le principe de ce qu'on
appelait la dérivation de la Meuse, c'est-à-dire la continuation du canal
latéral à travers Liège jusqu'à Chokier, ce qui doit coûter, non 7 millions,
mais peut-être 18 à 20 millions. Eh bien, les honorables amis politiques de M.
Castiau, auxquels il s'est uni par son vote, m'ont fait baisser plus d'une fois
la tête sous les éloges exagérés qu'ils me prodiguaient pour l'énergie que
j'avais mise à défendre ce canal contre les efforts qu'on avait faits pour s'y
opposer.
On accusait M. de Bavay, parce qu'il ne voulait pas
admettre immédiatement le principe de cette dépense considérable ; l'honorable membre
s'associait à ce blâme que ses amis adressaient au gouvernement en paroles
véhémentes, parce que nous ne voulions pas qu'on votât sans aucune étude
préalable, sans devis ni projets quelconques, le principe de la prolongation de
ce canal latéral, au prix de 15 à 20 millions ; et aujourd'hui l'honorable M.
Castiau nous jette un blâme immérité, parce que des mécomptes ont eu lieu dans
les devis, il lance l'anathème contre ce canal latéral, dont l'année dernière
il voulait l'extension au-delà de Liège ! Il est impossible de donner un
exemple de contradiction plus éclatant que celui-là.
L'honorable membre me reproche d'avoir combattu la motion
d'ajournement qui avait été faite par mon honorable ami M. Malou, qui n'était
pas alors mon collègue au ministère.
Je viens de relire la discussion de 1845. Les motifs
d'ajournement présentés par MM. Malou, Osy et David, étaient puisés en dehors
des faits relatifs aux évaluations.
Les motifs que faisait valoir M. Malou étaient en premier
lieu la situation du trésor public. En second lieu, il combattait l'utilité du
canal, il donnait la préférence aux passes artificielles, à l'amélioration dans
le lit même de la Meuse ; il combattait le principe du projet ; en troisième
lieu, mon honorable ami, avec MM. David et Osy, apportait pour motif de la
demande d'ajournement la convention qu'ils auraient voulu que l'on négociât
préalablement avec le gouvernement hollandais.
Personne ne songeait à prétendre que l'on pût exiger
que le gouvernement hollandais exécutât le canal à ses frais, sur son
territoire ; jamais pareille pensée n'est vernie à l'un de nous en 1845. MM.
Osy et Malou craignaient seulement que le gouvernement des Pays-Bas n'imposât
au gouvernement belge des compensations dans l'ordre commercial. Voilà ce que
les honorables membres craignaient ; voilà les motifs d'ajournement qui ont été
présentés.
Je maintiens que les raisons par lesquelles je combattais
cette demande d'ajournement sont aussi vraies aujourd’hui qu'alors. Je crois
aujourd'hui comme alors que le canal latéral est un des travaux d'utilité
publique les plus importants qui aient été décrétés depuis 1830. C'est la tête
d'une grand système de navigation qui doit rattacher Liège au marché hollandais
et l'aider à reconquérir la partie de ce marché que l'Allemagne et l'Angleterre
lui avaient enlevée, d'un système de navigation qui complète les canaux de la
Campine et forme la véritable jonction de la Meuse à l'Escaut, de Liège à
Anvers, qui n'existerait pas sans ce complément, c'est la condition
indispensable du défrichement de la Campine, car sans ce canal il y a impossibilité
de transporter en toute saison les chaux de Liège et de Namur dans la Campine
pour fertiliser ses bruyères.
Je connais peu de canaux en Belgique qui aient une utilité
plus haute que celui-là, et je m'honore d'avoir contribué à faire triompher le
système qui a prévalu.
On voulait qu'on abandonnât ce travail à l'entreprise
particulière ; j'ai soutenu que ce canal n'était pas concessible, parce qu'il
forme une voie internationale ; l'expérience a prouvé que si ce système de
concession avait triomphé, ce canal ne serait pas fait.
La chambre n'a pas voté en faveur du canal latéral parce
que la dépense avait été évaluée à 3,500,000 francs, mais parce qu'elle a reconnu
qu'il constituait un travail utile, indépendamment de la somme nécessaire pour
l'établir.
L'honorable M. Castiau prétend que j'ai trompé la chambre,
que j'ai trahi les intérêts du pays.
Je viens de prouver que je n'ai pas trahi les intérêts
du pays, que je les ai, au contraire, servis. Si les ingénieurs m'avaient
présenté un devis de sept millions, j'aurais proposé le projet et j'espère que
je l'aurais fait admettre à raison de son importance industrielle, commerciale
et agricole.
Les deux chambres étaient tellement peu sous l'empire
de l'évaluation plus ou moins approximative de la dépense, qu'au sénat, presque
tous les membres qui ont pris part à la discussion ont soutenu que le
gouvernement devait faire exécuter le canal latéral tout entier sur le territoire
belge, en contournant Maestricht. MM. de Rouillé, Desmanet de Biesme, de
Ribaucourt, de Renesse, Cassiers, ont soutenu cette opinion, nonobstant les
sommes énormes qu'il eût fallu consacrer à une exécution aussi dispendieuse.
Ainsi donc les chambres n'ont pas voté en faveur du
canal latéral parcs qu'il ne devait coûter que 3,500,000 fr., mais parce qu'il est
utile. L'utilité du canal, voilà l'objet de la responsabilité du ministre ; il
est impossible que l'on puisse raisonnablement reprocher à un ministre d'avoir
été induit en erreur par les calculs de ses ingénieurs ; ces calculs, il les (page 1087) présente à la chambre, non
pour la tromper, mais pour l'éclairer ; mais ce qui tombe directement sous sa
responsabilité, c'est la conception du projet, c'est son utilité, ce sont ses
résultats pour le pays ; or, cette responsabilité-là je l'accepte tout
entière.-
Si l'on veut me blâmer d'avoir ouvert la Hollande au
bassin de Liège et d'avoir posé la condition de sa prospérité, d'avoir complété
le système des canaux de la Campine et d'avoir aidé puissamment aux défrichements
de cette contrée, j'accepte ce blâme comme un des éloges auxquels je tiens le
plus.
Mais le devis n'était-il pas sincère ? Aurais-je trompé
la chambre ? L'honorable M. Castiau vient de rappeler mes paroles de 1845, dont
je m'empare pour ma justification.
Le projet du canal latéral à la Meuse date de 1819.
L'ingénieur en chef du waterstaat, M. Goudriaan, après plusieurs années d'études,
a proposé au gouvernement des Pays-Bas, en 1829, un projet complet dans tous
ses détails.
Un autre ingénieur distingué, M. Kummer, était chargé,
depuis 1842, d'études spéciales sur la Meuse, de Liège à Maestricht. Après ces
deux années d'études, il est venu me proposer d'adopter le projet de M.
Goudriaan, c'est-à-dire le projet de canal latéral à la Meuse.
Lorsque je me suis décidé à présenter ce projet, que
je considère comme la seule solution possible à donner à la question de l'amélioration
de la navigation de la Meuse, j'avais les études de MM. Goudriaan et Kummer,
auxquelles ces deux ingénieurs avaient consacré cinq années de travail, et
l'honorable M. Castiau viendrait dire que j'ai présenté un projet non étudié et
que je ne devais pas considérer comme sérieux ! Je le demande à lui-même, quel
ministre des travaux publics pourrait avoir la prétention de présenter un
projet sérieux, si celui-là ne devait pas être considéré comme tel par le
gouvernement ?
L'honorable membre a semblé vouloir me menacer d'un
cas de responsabilité personnelle. Je me permettrai de lui répondre que si tous
les ministres des travaux publics devaient encourir une responsabilité pareille
pour les projets de chemins de fer ou de canaux, pour lesquels les devis ont été
de beaucoup dépassés, tous seraient condamnés à supporter des sommes beaucoup
plus considérables que celle dont l'honorable membre voudrait me rendre
responsable.
Vous paierai-je des chemins de fer de l'Etat, et notamment
du chemin de fer de l'Est, pour lequel le devis primitif des ingénieurs a été cinq
fois dépassé ? Une seule des sections du chemin de fer de l'Etat n'a pas offert
d'incroyables mécomptes, c'est celle de Namur à Braine-le-Comte.
Je crois que M. le ministre des travaux publics doit
présenter à cette séance même des projets de loi de crédit complémentaire pour
l'exécution de travaux publics. Je ne citerai eu passant que le canal de Zelzaete.
La chambre avait voté 4 millions pour la construction de es canal de Zelzaete à
la mer. Si mes renseignements sont exacts, ces 4 millions seront absorbés,
lorsque deux sections seulement seront construites, c'est-à-dire la moitié à
peu près du canal entier.
L'augmentation de moitié de la dépense signalée pour
le canal latéral à la Meuse va se reproduire relativement au canal de Zelzaete.
Faut-il, pour cela, accuser le ministre qui a présenté le projet du canal de
Zelzaete, d'avoir trompé la chambre et d'avoir fait un acte de mauvaise
administration ?
Non, pas plus qu'on ne m'accusera d'avoir fait un
acte de mauvaise administration en présentant le projet de loi relatif au canal
latéral à la Meuse, dont l'importance, du reste, est autrement grande que celle
du canal de Zelzaete.
Mais avant d'accuser le gouvernement et les ingénieurs
d'inexactitude coupable, il aurait fallu connaître un peu plus les faits pour
mieux les apprécier. Pour moi, j'aurais désiré que l'on attendît les communications
que M. le minière des travaux publics doit faire à la section centrale, comme
réponse à ses nombreuses demandes de renseignements ; car, pas plus que
l’honorable M.. Castiau et qu'aucun membre de la chambre, je ne suis en mesure
de pouvoir apprécier exactement les faits. Mais en me rapportant à l'exposé des
motifs du projet de loi, il est évident que l'augmentation principale de la
dépense provient de causes en dehors des prévisions possibles du gouvernement.
Quelle est la cause principale du mécompte dont on se
plaint ? C'est la valeur exorbitante à laquelle les expropriations des terrains
se sont élevées.
Je te demande à tous les membres de la chambre : lorsqu'on
a discuté le projet de loi, est-ce que personne a pu supposer que la valeur des
terrains se serait élevée à 15 ou 20 mille francs par hectare ? Je conviens que
l'évaluation a été trop faible. Mais je me souviens que lorsque l'honorable M.
de Garcia est venu nous dire, en 1845, qu'il ne serait pas surpris qu'une
partie des terrains pût être expropriée à 10,000 fr. par hectare, tous nous
avons considéré cette somme comme une exagération. Mais un ingénieur peut-il
être responsable de ce que les expropriations ont monté au chiffre de 20,000
par hectare, par suite de décisions judiciaires ?
Dans tous les travaux exécutés en Belgique, il n'y avait
aucun exemple qui pût faire croire à une évaluation aussi démesurée.
Voilà donc la première cause du déficit. Car, veuillez
le remarquer, M. le ministre des travaux publics vient de le dire, l'ingénieur
ne s'est pas trompé dans l'évaluation des travaux du canal, qui sont surtout de
sa compétence. Là il est resté en dessous de la réalité. Mais l'insuffisance
provient de l'évaluation exorbitante attribuée aux terrains et aux propriétés
bâties, en vertu de décisions judiciaires, dont l'ingénieur, pas plus que le
gouvernement, ne peut être responsable.
Il y a une deuxième cause de l'élévation des dépenses
qui est en dehors des prévisions de l'ingénieur et du gouvernement. Il ne faut
pas oublier que tout en adoptant, en général, le plan de l'ingénieur Goudriaan,
on a choisi pour l'entrée dans Maestricht des directions nouvelles, en dehors
des prévisions du premier projet, directions beaucoup plus dispendieuses que
celles qui avaient été primitivement adoptées.
Ainsi, une erreur de nivellement existait, dit-on, dans
le projet de M. Goudriaan ; cette erreur a nécessité l'établissement d'une écluse
nouvelle, laquelle a coûté 200,000 fr. La chambre comprendra que quand j'ai
présenté le projet de loi, M. Kummer n'avait pu faire les opérations préalables
sur le terrain hollandais ; il ne le pouvait pas. Il a donc dû s'en rapporter
au projet de l'ingénieur du waterstaat M. Goudriaan, projet sérieusement étudié
en 1829.
Messieurs, il y a un autre fait qui m'a frappé dans
l'exposé des motifs.
D'après le projet que j'ai présenté à la chambre, on
croyait pouvoir utiliser l'arche du pont de la Meuse à Maestricht et éviter ainsi
l'emprise des maisons de la rue du Bouc. Or, par des raisons que je ne connais
pas (car quoi qu'en ait dit l'honorable M. Castiau, je n'ai pas été chargé de
l'exécution du canal, je l'ai seulement fait décréter], on a renoncé au projet
primitif.
Mais il en est résulté que, par suite de l'adoption
de la direction nouvelle, on a dû effectuer une dépense de 622,000 fr. que je n'avais
pu prévoir, et que M. Kummer n'avait pu prévoir plus que moi-même.
Une troisième dépense n'a pu être prévue en 1845 ; c'est
celle de 440,000 fr. destinée à mettre le canal latéral à la Meuse en corrélation
avec la future dérivation de la Meuse. Ce projet concerne, je crois, le
ministère actuel. Je ne le critique pas ; l'honorable M. Castiau probablement
le critiquera encore moins, puisqu'il a voté l'an dernier pour la dérivation de
la Meuse. Mais enfin, c'est une dépense de près de 500,000 fr. que je n'avais
pas prévue, puisqu'elle n'est pas relative directement au projet de canal
latéral à la Meuse.
Il y a aussi des travaux imprévus résultant des exigences
militaires en Hollande. Le génie militaire a exigé des travaux, des dépenses
qu'on ne pouvait prévoir et qui montent à une somme de près de 500,000 fr.
Ainsi d'une part, la première cause de l'augmentation
des dépenses doit être attribuée à la valeur exorbitante des terrains, valeur
décrétée par les jugements des tribunaux qui sont en dehors des prévisions et
de l'influence du gouvernement.
En second lieu, on a exécuté des travaux nouveaux, en
dehors des plans primitifs, pour une somme qui, si je ne me trompe, s'élève à
près de 1,500,000 fr.
Il est facile, messieurs, par ces considérations très
simples, d'apprécier les causes de l'augmentation de la dépense, et la chambre
reconnaîtra qu'aucun grief ne peut m'être adressé avec quelque raison. Certainement
le ministre qui avait droit d'avoir confiance dans les études qu'on lui
présentait et qui avaient demandé cinq années de travaux à deux ingénieurs, ne
peut être responsable, d'aucune manière, des erreurs commises dans le devis.
Voilà ma réponse au premier grief articulé par l'honorable
M. Castiau. Je persiste à soutenir que le canal latéral à la Meuse est un
travail de haute utilité publique, commerciale, agricole et industrielle ; que
ce canal, dût-il coûter 7 millions, est un ouvrage public que la chambre a bien
fait de voter ; et je me réjouis d'avoir fait triompher l'opinion que j'ai
défendue à cette époque.
J'ajoute en passant qu'avec la dépense même de 7 millions,
le canal reste encore un travail d'utilité publique avantageux au point de vue
de ses revenus. La chambre sait que si les ingénieurs en général se sont
presque toujours trompés dans leurs prévisions relativement au coût des travaux
publics, en Belgique comme en France et ailleurs, ils se sont presque toujours
trompés aussi relativement aux produits de ces mêmes travaux. Pour le chemin de
fer comme pour les canaux, toujours les produits ont dépassé et de beaucoup les
prévisions des ingénieurs.
Je suis convaincu que les prévisions des ingénieurs
relativement aux produits du canal latéral seront beaucoup dépassées, lorsqu'on
réfléchit à l'immense mouvement commercial que le canal latéral doit amener entre
Liège et la Hollande d'une part, et la Campine et Anvers de l'autre.
Mais j'admets les prévisions des ingénieurs en ce qui
concerne le calcul des produits du canal.
Quelles sont ces prévisions ? Le revenu du canal serait
de 222,000 fr. ; l'entretien étant de 23,000 fr., reste 200,000 fr. de revenu.
C'est un revenu de 3 p. c.
Eh bien, je le demande à l'honorable M. Castiau, si
j'excepte le canal de Charleroy, qui rapporte des revenus que je pourrais appeler
usuraires, quel est le canal en Belgique qui rapporte 3 p. c. de revenu ?
L'honorable M. Castiau a soulevé un autre grief, et
vous allez voir, messieurs, qu'il n'est pas plus fondé que le premier.
Il vous a dit qu'il blâmait avec la même énergie la
convention faite avec la Hollande, pour amener le consentement des Pays-Bas à l'exécution
du canal latéral. Il a appelé cette négociation une négociation de malheur. Et
pourquoi cette négociation est-elle une négociation de malheur ? Parce que la
Belgique exécute à ses frais, sur le territoire hollandais, les travaux du
canal latéral à la Meuse.
Messieurs, déjà
lors de la discussion en 1845, j'avais indiqué l'exécution aux frais de la Belgique
du canal sur le territoire hollandais, comme étant la condition pour la
Belgique de rester maîtresse des péages. La (page 1088) chambre l'avait parfaitement compris. L'honorable M. Castiau
ignore probablement que la Hollande a renoncé au droit de percevoir aucun péage
sur la partie du canal qui se trouve sur son territoire. C'est le seul moyen de
nous rendre maîtres des péages et d'avoir un canal belge sur le territoire
hollandais.
Ainsi la clause que critique l'honorable M. Castiau
est celle précisément dont nous devons le plus nous féliciter.
On doit se rappeler que, dans la discussion, une des
graves objections que l'on produisait était celle-ci. On disait : Vous allez construire
le canal ; mais la Hollande restera libre de le grever de droits onéreux ; elle
pourra, suivant les caprices que les circonstances lui dicteront, entraver, annuler
le résultat que vous attendez de votre canal. Eh bien ! par la convention, nous
sommes restés maîtres des péages, parce que nous avons exécuté les travaux à
nos frais. C'était la condition de notre indépendance.
Vous voyez que cette objection tombe au premier examen.
L'honorable M. Castiau a cru que ces travaux étaient
exécutés sans surveillance, sans aucun contrôle de la part du gouvernement
belge. C'est une erreur. D'après la convention il est établi une commission
mixte, composée d'un ingénieur hollandais, d'un ingénieur belge et d'un
représentant du génie militaire ; tous les plans d'exécution sont soumis à cette
commission, et nonobstant cette garantie première, tous les plans d'exécution
sont encore transmis au gouvernement beige pour être approuvés. Ainsi, rien ne
peut se faire sans l'assentiment d'une commission dans laquelle l'intérêt belge
est représenté et sans l'assentiment définitif du gouvernement belge.
M. Castiau. – Les Belges n'ont pas la majorité dans cette commission.
M. Dechamps. - Ce n'est pas la question, le gouvernement belge est représenté par un
ingénieur ; le gouvernement hollandais, par un ingénieur ; et le génie militaire,
par un membre de ce corps. Mais, je le répète, les plans sont toujours soumis à
l'assentiment définitif du gouvernement belge.
Le troisième grief de l'honorable M. Castiau se rapporte
à l'exécution du canal. Je répondrai que, presque immédiatement après le vote
du projet, j'ai quitté le ministère, et que je ne puis être responsable de
l'exécution du canal. Mes successeurs n'ont du reste aucune raison de craindre
cette responsabilité.
Je crois, messieurs, avoir rencontré les différentes
objections de l'honorable M. Castiau. J'aurais désiré appuyer quelques-unes des
observations de M. Bricourt en ce qui concerne l'équilibre que j'avais voulu
établir en 1845, et que les circonstances ont en partie rompu entre les divers
bassins ; mais ces considérations trouveront mieux leur place plus tard et à
propos d'autres projets présentés.
M. de Mérode. - Messieurs, je félicite le pays de la discussion qui vient d'avoir lieu,
parce qu'elle tend à préserver enfin, s'il est possible, les contribuables de
ces magnificences faites aux dépens de tous, au profit particulier, de
quelques-uns.
Ceux-ci ne manquent pas de récompenser par des ovations
plus ou moins magnifiques les ministres qui leur procurent, n'importe à quel
prix, ces avantages spéciaux.
Mais il est bon que la censure vienne à son tour, .quand
les sommes indiquées dans les prévisions ministérielles, auxquelles les chambres
s'abandonnent avec trop de confiance, sont dépassées outre mesure.
Seulement, messieurs, il faut en convenir, l'honorable
M. Dechamps a trouvé tant de coupables à s'associer, qu'il est impossible de
lui attribuer une responsabilité exceptionnelle.
La leçon à tirer de ce débat comme des fatales émissions
des bons du trésor que j’ai tant et si souvent combattues, et qui pèsent
maintenant si péniblement et si mal à propos sur les contribuables, c'est de
ménager à l’avenir les véritables intérêts généraux, c'est de ne pas se lancer
légèrement et facilement désormais dans toutes les entreprises auxquelles les
intérêts locaux poussent constamment les ministères si peu stables aujourd'hui,
et dont l'amour-propre et l'envie de se distinguer par des œuvres brillantes
ont besoin d'être plutôt modérés que surexcités.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, je crois qu'on aurait bien fait d'attendre
que le gouvernement eût fourni les renseignements demandés par la section
centrale, avant de se livrer à la discussion qui vient d'avoir lieu, et qu'on
est obligé d'interrompre ; sans qu'elle puisse amener aucune espèce de solution.
Je pense, messieurs, que le gouvernement remettra à la section centrale des
renseignements propres à faire disparaître la plupart des griefs qui ont été
articulés à l'occasion de l'exécution du canal latéral.
Je ne veux pas entrer dans le fond de cette discussion
; je persiste à croire qu'elle est inopportune. Mais je dois rappeler un point
essentiel, pour ne pas laisser peser des insinuations injustes sur l'ingénieur
qui a été chargé de la rédaction des projets relatifs au canal. Ces projets se
divisent en deux parties : les uns concernent les travaux à exécuter sur le
territoire belge ; les autres, les travaux à exécuter sur le territoire
hollandais.
Pour les travaux à exécuter sur le territoire belge,
et pour ce qui regarde la partie qui est réellement de la compétence de l'ingénieur,
les travaux d'art, les choses qu'il peut estimer, qu'il doit savoir apprécier
d'une manière exacte, pour cette partie, l'ingénieur chargé de la rédaction des
projets est entièrement disculpé. Les évaluations qu'il avait fournies n'ont pas
été dépassées dans l'adjudication ; au contraire, les travaux ont été adjugés
pour des sommes inférieures aux chiffres des estimations.
L'acquisition des terrains nécessaires pour le canal
a exigé des sommes beaucoup plus considérables que ce qui avait été prévu ;
mars de bonne foi, peut-on en faire un grief à l'ingénieur ? Un ingénieur n'est
pas plus appelé, par son état, à connaître la valeur des propriétés, la valeur
de jardins, la valeur de terres, que le premier venu ; en pareille matière un
notaire est tout aussi compétent et peut-être même beaucoup plus compétent
qu'un ingénieur. L'ingénieur a donné des évaluations qu'il a crues bonnes,
qu'il a crues exactes ; il a pensé qu'au moyen des sommes qu'il indiquait, on
pouvait acquérir les propriétés nécessaires. L'ingénieur s'est trompé, mais
personne ne saurait-lui en faire un grief, à moins de supposer qu'il a été de
mauvaise foi dans les indications qu'il a données. Or, c'est ce que personne ne
prétend.
Quant aux travaux à exécuter sur le territoire hollandais,
ils n'ont pas pu être préalablement examinés ; l'ingénieur a dû s'en rapporter
à ce qui avait été fait depuis plusieurs années avant lui ; il n’a pu rien
vérifier, rien contrôler. Mais c’est ce que personne n’ignorait ; on n’a
point prétendu qu’il s’était rendu sur le territoire hollandais pour étudier le
projet ; tout le monde savait qu'il avait dû se borner à reproduire les
indications qui n'avaient pas été vérifiées.
Dans l'exécution, ces indications ont dû être entièrement
modifiées ; il y avait des erreurs matérielles commises ; il a fallu faire des
dépenses tout à fait imprévues ; la direction qu'on avait supposé devoir être
suivie a dû être entièrement changée ; il a fallu traverser Maestricht, enlever toute une rue ; il a fallu faire des dépenses
en dehors de toutes les prévisions.
L'ingénieur, encore une fois, ne peut pas être rendu
responsable de ce qui avait été fait avant lui, des indications qui avaient été
données et qui renfermaient des erreurs matérielles, très graves dans leurs conséquences.
Quoi qu'il en soit, ces considérations ne peuvent retarder
le payement de la somme qui est actuellement demandée ; cette somme est due,
elle est due légitimement. On ne peut pas différer davantage le payement du
prix des terrains qui ont été expropriés et des travaux exécutés, et alors je
demande s'il n'est pas sage de suivre le conseil que j'ai donné hier, de voter
ce crédit provisoire, qui est urgent, indispensable, et d'ajourner la
discussion jusqu'à ce que le gouvernement ait produit les documents qu'il a
promis et jusqu'à ce que la section centrale ait fait le rapport qui est
annoncé. Ce rapport sera présenté dans un bref délai ; mais, en attendant, rien
n'empêche la chambre de voter le crédit proposé et qui est parfaitement
justifié.
- La discussion générale est close et la chambre passe
à l'examen des articles.
Discussion des articles
« Art. 1er. Le crédit de 3,500,000 fr. ouvert par la
loi du 16 mai 1845, pour la construction d'un canal de navigation latéral à la
Meuse, de Liège vers le canal de Maestricht à Bois-le-Duc, est augmenté de 2,000,000
de francs. »
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour
développer un amendement qui tendrait à mettre obstacle à ce que le
gouvernement pût disposer, pour le payement des traitements dei ingénieurs et
surveillants, des sommes allouées pour les travaux. Je pense que le
gouvernement ne s'opposera pas à cet amendement ; car dans la discussion du
dernier budget des travaux publics, les articles relatifs aux traitements des
ingénieurs, conducteurs et surveillants ont été augmentés d'une manière
notable, et si l’on veut relire au tableau du budget la note qui accompagne
cette augmentation, on verra que l'intention du gouvernement était de
concentrer aux articles 33 et 34 du budget tous les traitements et indemnités
qui se trouvaient épars et rattachés à une multitude de crédits spéciaux
destinés à des travaux.
Voici mon amendement :
« Les traitements ou indemnités du personnel chargé
de la direction ou de la surveillance ne pourront être prélevés sur des allocations
destinées aux travaux.»
- L’amendement est appuyé.
M. le ministre des travaux publics (M.
Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable
préopinant a perdu de vue ce qui s'est passé dans cette chambre lors de la
discussion de mon budget. J'ai donné, à cette époque, des explications
complètes à l'occasion d'un amendement de même nature qui avait été présenté
par l'honorable membre. J'ai demandé que son amendement fût rattaché aux
articles du chemin de fer. La chambre l'a décidé ainsi.,
Quant au personnel des ponts et chaussées, j'ai fait
une distinction : il y a des traitements et des indemnités relatifs au personnel
définitif du corps des ponts et chaussées, et que j'ai portés intégralement au
budget de 1848. J'ai également fait observer qu'il y avait un personnel
temporaire qui devait continuer à être payé sur des fonds spéciaux. Je n'ai pas
de fonds au budget pour payer ce personnel. Si on appliquait le principe à
toute espèce de personnel, il me serait impossible de faire face à cette
dépense. Je ne puis donc pas adopter l'amendement de l’honorable M. de Man.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je suis étonné de l'accueil que le
gouvernement fait à mon amendement. Lors de la discussion du budget des travaux
publics, il avait été entendu que tous les traitements, imputés sur des fonds
spéciaux destinés à des travaux, figureraient dorénavant au budget. Voici la
note dans laquelle le ministre explique l’augmentation portée de ce chef au
budget de 1848 : « Ces augmentations ne sont que fictives, puisqu'elles
proviennent de la réunion en deux articles globaux de toutes les allocations et
imputations (page 1089) sur les
fonds spéciaux destinés à rétribuer le
personnel du service des ponts et chaussées. »
Vous conviendrez, messieurs, qu'après une note explicative
aussi claire, j'étais fondé à présenter mon amendement et à espérer que le
gouvernement s'y rallierait. Si je recours au cahier de développements qui
accompagne le budget, je trouve qu'après avoir jugé fondée une observation de
M. le rapporteur de la section centrale du budget de 1847 (M. Brabant), qui avait
qualifié de chaos la manière dont nos allocations destinées à faire face aux
traitements du personnel étaient réparties au budget, M. le ministre des travaux
publics s'est exprimé en ces termes pour motiver la réunion en deux articles de
tous les traitements :
« Frappé de la justesse de ces observations, et
tenant avant tout à faire connaître aux chambres la vérité en toutes choses, j'ai
voulu que le projet de budget de l'exercice 1848 présentât dans ses allocations,
pour le service des ponts et chaussées, une division bien tranchée entre les
dépenses destinées aux travaux, et celles du personnel ; j'ai voulu que l'on
sût pertinemment quelle charge incombe au trésor de chef du personnel de ce
service, sans qu'il pût rester à personne une arrière-pensée sur l'imputation
des dépenses du personnel sur d'autres allocations que celles qui y seront
spécialement affectées par la loi du budget. »
Plus loin, M. le ministre indique en détail les allocations
qui ont été détachées de divers services pour composer les articles 33 et 34.
C'est ainsi qu'au n°16 je lis que la dépense du personnel
attaché au service spécial du canal latéral à la Meuse, soit 26,950 fr., ont
été transférés à l'article 33.
C'est ainsi qu'au n°30 je
trouve que l'article 34 du budget a été augmenté de la dépense résultant des
traitements des surveillants attachés au service spécial du canal latéral à la
Meuse, soit 7,640 fr. ; voir page 88 et suivantes des développements nouveaux à
l'appui du budget de 1848.
Il me semble, messieurs, qu'après avoir voté ces sommes
destinées au payement des traitements des ingénieurs et des surveillants chargés
du service spécial de la Meuse, la chambre n'hésitera pas à adopter mon amendement.
Nous avons voté les augmentations proposées par le gouvernement
aux articles 33 et 34 du budget parce qu'on nous les a fait envisager comme des
transferts destinés à régulariser nos tableaux de dépenses, à les rendre
intelligibles, à séparer les dépenses du personnel des dépenses du matériel. Et
voilà que maintenant on nous déclare que les sommes votées au budget pour le
personnel ne sont pas suffisantes ! Je ne puis résister à un sentiment pénible,
à un sentiment de surprise, que M. le ministre des travaux publics dissipera,
je l'espère.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai rappelé le débat que, lors de la
discussion du budget de 1848, un amendement de la même nature avait soulevé dans
cette enceinte. Je faisais remarquer qu'à cette occasion j'avais déclaré qu'on
pouvait adopter cet amendement quant au chemin de fer, que je ne pouvais consentir
à ce qu'il fût appliqué au personnel des ponts et chaussées. Après mes
explications, ma distinction a été admise ; l'honorable M. de Man a appliqué
son amendement exclusivement an personnel du chemin de fer. Quant au personnel
des ponts et chaussées, je disais que les traitements et indemnités du
personnel définitif se trouvaient, en effet, intégralement portés au budget, mais
qu'il y avait encore certaines dépenses de personnel qui devaient être imputées
sur des crédits spéciaux ; et combattant l'amendement de l'honorable M. de Man,
je faisais un appel, comme je fais un appel aujourd'hui, aux développements de
mon budget.
L'honorable membre vient de lire un passage de ces développements
; mais il s'arrête à mi-chemin ; il s'arrête aux phrases qui signalent les
transferts.
Il aurait dû lire aussi ce
qui suit : « Quant aux aides temporaires, chaîneurs porte-mire, etc., etc., qui
sont de véritables ouvriers payés à la journée et congédiés dès que leur
service n'est plus nécessaire, leur salaire sera payé, comme par le passé, sur
les fonds affectés aux études des projets ou aux travaux spéciaux. »
J'ai donc déclaré, à cette époque, qu'il en devait être
ainsi.
Mais il y a ici un motif particulier pour ne pas adopter
l'amendement. Il s'agit d'un crédit destiné à acquitter des obligations préexistantes,
et dans ces obligations se trouvent compris les traitements et indemnités du
personnel même définitif. Si l'amendement de l'honorable M. de Man était
adopté, il en résulterait que ces traitements et ces indemnités ne seraient pas
payés.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je n'ai pas donné lecture de la
phrase qu'a citée M. le ministre des travaux publics, parce qu'elle s'applique
à des chaîneurs, porte-mire, qui ont droit, non pas à des traitements, mais à
des salaires ; or, mon amendement ne concerne que les traitements.
Nous nous sommes plaints souvent de l'abus grave qui
consistait à nous voiler une partie des traitements du corps des ponts et chaussées
; M. le ministre des travaux publics, lors de la discussion de son budget, a
déclaré formellement qu'il voulait faire cesser cet abus. Maintenant voilà
qu'il a l'air de revenir sur ses pas, et qu'il déclare que nous n'avons pas
encore voté toutes les sommes nécessaires aux traitements, en votant au budget
au-delà d'un million pour les traitements du personnel des ponts et chaussées,
j’avoue que je n'y comprends réellement plus rien.
En effet la lecture attentive des notes du
gouvernement, dont je viens de donner lecture, le souvenir des discussions
intervenues lors de l'examen du budget, tout doit vous rappeler, messieurs, que
l'intention manifestée clairement par le ministre des travaux publics était de
réunir sans exception en deux articles portés au budget tous les traitements du
personnel des ponts et chaussées, c'est cette intention qui a fait adopter en
quelque sorte sans opposition l'augmentation si considérable proposée au budget
de la présente année.
Nous avons voté cette augmentation, afin d'avoir sous
les yeux et réunis en deux articles tous les traitements, afin de pouvoir en
contrôler le mouvement.
La chambre ne peut vouloir le retour d'un abus, qui
a soulevé tant de réclamations et condamné par le gouvernement lui-même.
M. le ministre des travaux publics (M.
Frère-Orban). - L'honorable membre
confond deux choses distinctes ; il veut appliquer au passé la règle adoptée pour
l'avenir. Il s'agit ici de dépenses faites, de sommes dues, qui sont à payer.
Pour l'avenir l'honorable membre a parfaitement raison ; les allocations pour
tout le personnel ayant été transférées an budget, on ne pourra plus faire
d'imputation sur les fonds spéciaux pour le personnel définitif des ponts et
chaussées. J'ajoute cependant qu'il y aura encore sur les fonds spéciaux, même
pour l'avenir, certaines dépenses de personnel, comme celles que j'ai indiquées
tout à l'heure, qui sont nécessairement à prélever sur les fonds spéciaux.
L'amendement de l'honorable membre est donc sans objet,
il ne peut être adopté sans mettre le gouvernement dans l'impossibilité de
payer ses dettes.
M. de Man d’Attenrode. - Puisqu'il s'agit du passé, je retire mon amendement.
Mais il bien entendu que les traitements de la campagne qui va s'ouvrir ne
pourront être imputés sur les fonds que la chambre va allouer.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
Article 2
« Art. 2. Cette augmentation de crédit sera prélevée
sur les fonds mis à la disposition du gouvernement par la loi du 26 février
1848. »
M. Orban. - Les considérations
si vraies qu'a fait valoir l'honorable M. Castiau, et que je me proposais de présenter
s'il ne l'avait pas fait lui-même, suffiraient pour déterminer mon vote négatif
sur le projet qui vous est soumis. Je dois dire cependant, qu'indépendamment de
ces motifs, je ne pourrais dans aucun cas donner mon vote à l'article 2, qui
impute sur l'emprunt forcé de 12 millions, voté le 26 février 1848, les deux
millions que l'on veut consacrer au canal latéral â. la Meuse.
Il faut que la section centrale, auteur de cette proposition,
ait bien perdu de vue l'origine, le caractère et la destination de cet emprunt,
pour l'affecter à un semblable usage.
II est évident que quand nous avons voté à l'unanimité
et sans discussion cet emprunt forcé, nous lui assignions dans notre pensée une
destination spéciale, dont en aucun cas elle ne pouvait être détournée.
Au surplus, les explications
données dans les sections excluaient, de la manière la plus positive, la pensée
de consacrer toute une partie de ces fonds à des travaux publics. Le
patriotique empressement que le pays a mis à payer cet emprunt extraordinaire
prenait sa source dans la même conviction, dans la pensée que ces sommes
devaient être exclusivement employées au maintien de notre indépendance et de
notre nationalité.
De pareils sentiments devaient être respectés. Il y
avait vis-à-vis du pays, vis-à-vis de nous-mêmes, une question de bonne foi. L'on
n'eût point dû vous proposer un pareil détournement d'une ressource en quelque
sorte sacrée.
Nous sommes à la veille de demander au pays de s'imposer
de nouveaux et plus lourds sacrifices. Le gouvernement vous propose un nouvel
emprunt de 45 millions. Craignez, messieurs, que l'usage que vous allez faire
de l'emprunt de 12 millions n'attiédisse cet empressement patriotique que vous
avez rencontré une première fois chez les contribuables.
M. le ministre des
travaux publics (M. Frère-Orban). - Je ne comprends pas la chaleur de l’honorable membre à propos de
l'article 2 du projet. La section centrale a dit que le crédit sera prélevé sur
les fonds qui viennent d'être mis à la disposition du gouvernement ; là-dessus
l'honorable membre s’indigne : il prétend que c'est un détournement de fonds !
Il me semble que si on a mis des fonds à la disposition du gouvernement, c'est
pour payer ses dettes, c'est pour satisfaire aux diverses obligations qui
pèsent à sa charge. Si l'honorable préopinant a un tel effroi de l'article 2,
eh ! mon Dieu, qu'on l’efface. Qu'en résultera-t-il ? Que le gouvernement
payera avec les fonds qui sont mis à sa disposition. C'est une simple formule,
une chose banale. Qu'on dise cela ou qu'on ne le dise pas, du moment que la
chambre vote deux millions, il faut qu'ils soient prélevés quelque part, et
comme on ne peut les prélever que sur les fonds mis à la disposition du
gouvernement, il faut bien les prélever sur les 12 millions.
M. Lesoinne. - Messieurs, il y a des engagements pris pour des travaux faits sur le
territoire étranger qu'on ne peut pas laisser plus longtemps en souffrance ; il
y a des maisons démolies qui ne sont pas payées ; Maestricht, place de premier rang,
a une brèche ouverte ; il est de la loyauté nu gouvernement de remplir des
engagements aussi sacrés. La chambre n’hésitera pas à accorder, n'importe sur
quels fonds, de quoi satisfaire à ces engagements.
M. Orban. – M. le ministre
des travaux publics et, après lui, M. Lesoinne, (page 1090) vous ont dit qu'il y avait des engagements sacrés et qu'il
était de toute nécessité que le gouvernement les remplit n'importe avec quels
fonds.
Je me permettrai de leur demander à mon tour, s'ils
auraient osé proposer à la chambre de voter un emprunt forcé pour satisfaire à ces
engagements, pour payer des dépenses auxquelles la chambre n'avait point donné
son assentiment et qui, ayant été contractées irrégulièrement, ne peuvent nous
lier ; s'ils auraient osé proposer de soumettre le pays à un emprunt forcé « destiné
à payer les travaux du canal latéral à la Meuse ». Eh bien, s'il est vrai
qu'un pareil motif n'aurait pu être donné au projet sans en compromettre
l'adoption, il est tout aussi vrai que vous ne pouvez, après que la chambre a
voté de bonne foi, après que le pays a payé de même, lui donner cette
destination.
Je dois au surplus relever une erreur grave qui a été
commise. Toute la discussion a roulé sur la supposition que les 2 millions demandés
étaient destinés à acquitter des obligations auxquelles on ne pouvait pas se
soustraire.
Je vais lire l'exposé des motifs et vous verrez que
les sommes dépensées et les engagements pris ne s'élèvent qu'à 1,662,391 fr. et
non à 2 millions.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - La date ?
M. Orban. - Je suppose que depuis la présentation du projet, en présence des
embarras financiers du pays, on n'a pas aggravé la première faute commise en
outrepassant de nouveau les crédits votés par la chambre. C'est une supposition
que je fais, et j'aime à croire, pour le gouvernement, que c'est une réalité.
Voici au surplus ce que dit l'exposé des motifs :
« Le tableau publié à la suite du présent exposé des
motifs (annexe n° 1) établit quelles sont, à la date de ce jour, les sommes payées
et les engagements pris, tant en ce qui concerne la partie belge qu’en ce qui
concerne la partie néerlandaise du canal latéral à la Meuse.
« Il résulte de ce tableau que les sommes dépensées
et les engagements pris dépassent de 1,662,391 fr. 55 c. le montant du crédit de
3,500,000 francs alloué par la loi du 16 mai 1845. »
Il est évident, messieurs, que le motif tiré de la nécessité
d'acquitter des engagements pris n'existe pas du moins pour la somme totale
portée dans le projet de loi.
M. le ministre des travaux publics (M.
Frère-Orban). - L'honorable membre
tombe d'erreur en erreur. Vous avez vu tout à l'heure son indignation mal
placée qui maintenant s'est évanouie ; il ne s'agit plus de l'article 2, mais
du crédit lui-même ; on ne devrait pas voter deux millions, mais une somme
moindre. C'est à la date du 9 juillet 1847 que le tableau a été dressé ; depuis
lors on a un peu travaillé, j'imagine, et rien que cela légitimerait la demande
d'une somme de deux millions. L'exposé des motifs renvoie au tableau qui y est
annexé et qui porte la date du 9 juillet 1847.
Il y a un autre motif : tout est dû ; tout est engagé
; la totalité des travaux est mise en adjudication ; tout n'est pas achevé ;
mais il y a obligation d'achever les travaux, d'exécuter le contrat. Les
terrains qui devaient être expropriés le sont tous ou à peu près ; il faut également
les payer.
Ainsi, ce n'est pas une somme de 2 millions qui pourrait
suffire, c'est la totalité du crédit s'élevant à 3,640,000 fr., non pas que ce
doive être immédiatement payé, mais au fur et à mesure de l'exécution des
travaux.
Quant à présent, une somme de 2 millions n'est trop
élevée pour faire face aux obligations.
M. Orban. - J'avais énoncé qu'à la date du 23 février 1848, c'est-à-dire de la
présentation du projet de loi, les dépenses faites, les engagements pris s'élevaient
non pas à 2 millions, mais à 1,662,000 fr. M. le ministre des travaux publics
vient de me répondre que j'avais commis erreur sur erreur.
El il affirme que les dépenses renseignées remonteraient
à la présentation de l'état qui est à la suite de l'exposé des motifs,
c'est-à-dire au 9 juillet 1847.
Je ne puis que répéter une chose, c'est que l'erreur
que m'attribue M. le ministre, c'est lui qui la commet, et pour le prouver je
n'ai qu'à vous citer de nouveau l'exposé des motifs présenté par lui-même, et
j'y vois : Le tableau publié à la suite du présent exposé des motifs établit
qu'elles sont à la date de ce jour les sommes payées et les engagements pris.
Or, la date de ce jour est bien la date de l'exposé
des motifs, c'est-à-dire le 23 février 1848. C'est donc évidemment M. le ministre
qui se trouve ici dans l'erreur.
M.
Malou. - Je
crois que l'on peut supprimer l'article 2. Il est inutile dans les
circonstances actuelles.
La dépense sera faite avec les fonds qui sont à la
disposition du gouvernement, sans qu'il soit nécessaire de les spécifier. Mais
je crois utile de faire une réserve contre la doctrine émise par M. le ministre
des travaux publics. Parce qu'une adjudication a été faite, il ne s'ensuit pas
que le gouvernement ne puisse ralentir ou interrompre les travaux.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Le gouvernement peut rompre le marché en payant
à l'entrepreneur le bénéfice qu'il aurait réalisé s'il avait fait l'opération. Personne
ne conteste cela. C'est une règle consacrée par le droit civil. Mais la
question est de savoir s'il peut être utile de rompre le marché, et si dans un
moment où l'on fait de grands efforts pour donner du travail à la classe ouvrière,
il convient d'interrompre des travaux commencés.
M. Mercier. - On ne peut supprimer l'article. La loi sur la comptabilité
exige que les voies et moyens soient indiqués. Il faut imputer la dépense sur
le fonds de 12 millions, ou sur tout autre ; mais il faut indiquer les voies et
moyens.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - On peut mettre : « les fonds qui ont été, ou
qui seront mis à la disposition du gouvernement ». Cela n'a aucune
importance.
- L'article 2 est mis aux voix et adopté.
Vote sur l’ensemble du projet
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble
du projet de loi ; en voici le résultat :
60 membres sont présents.
5 s'abstiennent.
55 prennent part au vote.
40 votent pour l'adoption.
15 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Lesoinne, Lys, Malou,
Mercier, Moreau, Osy, Pirmez, Rousselle, Sigart, Vanden Eynde, Van Huffel,
Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Anspach, Cans, d'Anethan, Dautrebande,
David, de Breyne, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de La Coste, Delfosse,
Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, Dolez, Dumont,
Fallon, Frère-Orban, Gilson, Huveners, Lange, Lejeune et Liedts.
Ont voté contre : MM. Orban, Thienpont, Tielemans, Van
Renynghe, Verhaegen, Biebuyck, Bricourt, Castiau, Clep, de Bonne, de Clippele,
de Liedekerke, de Meester, Desaive et Jonet.
Se sont abstenus : MM. T'Kint de Naeyer, de Garcia,
de Roo, de Mérode et Eloy de Burdinne.
M. le président. invite les membres qui se sont abstenus à en énoncer
les motifs.
M. T'Kint de Naeyer. - Le rejet de la loi serait une injustice ; mais je
n'ai pas cru devoir m’associer à ceux qui ont rendu le crédit nécessaire. C'est
par ce motif que je me suis abstenu.
M. de Garcia. - J'ai voté pour le projet de loi qui a décrété la
construction du canal latéral à la Meuse. Mais je n'y aurais pas donné mon assentiment,
si j'avais cru qu'il dût entraîner une dépense de 7 millions. Cependant, je
n'ai pas voulu, en refusant le crédit, empêcher le gouvernement de remplir les
obligations qu'il a contractées.
M. de Mérode. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.
M. de Roo. - Je n'ai pas voulu voler pour le projet de loi pour
ne pas voter des fonds pour l'exécution de travaux à faire à l'étranger, par
l'étranger, à des prix exorbitants, tandis que nos ouvriers manquent d'ouvrage.
Je n'ai pas voté contre, parce qu'il y a engagement pris et que le blâme ne
peut retomber sur l'entrepreneur, mais sur l'ingénieur qui a fait un devis
trompeur.
M. Eloy de Burdinne. - Je me suis abstenu, lors du vote du projet de loi qui a décrété ce canal.
J'en ai indiqué les motifs. Je m'abstiens aujourd’hui par les mêmes motifs.
PRESENTATION DE PROJETS DE LOI
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer :
1° Un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département
des travaux publics des crédits complémentaires 1° pour la première section du
canal de Zelzaete ; 2° pour le canal de la Campine ; 3° pour le réendiguement
du polder de Lillo. Ces trois crédits s'élèvent à 266,000 fr. ;
2° Un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département
des travaux publics un crédit supplémentaire de 1,252,775 fr. 75 c, pour solder
les dépenses arriérées de l'exercice 1847 et années antérieures ;
3° Un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département
des travaux publics un crédit de 1,668,000 fr., pour continuation des travaux
de construction du canal de Deynze à Schipdonck et de la deuxième section du
canal de Zelzaete à la mer du Nord ; »
4° Un projet ayant pour objet d'allouer au département
des travaux publics :
B. Un crédit complémentaire de 1,564,544 fr. 87 c, pour
insuffisance de fonds spéciaux mis à la disposition du département des travaux
publics ;
A . D'autoriser le département des travaux publics à
mettre en adjudication divers travaux et fournitures pour le chemin de fer, s'élevant
à une somme de 7,012,846 fr. 10 c, afin de venir en aide aux industries et aux
ouvriers qui sont sans travail.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation
de ces projets de loi.
La chambre en ordonne l'impression, la distribution
et le renvoi aux sections.
La séance est levée à 4 heures et demie.