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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 2 mars 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
relative au cens électoral (Castiau)
2) Projet de loi portant réforme des dépôts de
mendicité. Conditions de sortie (d’Anethan, de Haussy), organisation et régime disciplinaire,
finances communales (d’Elhoungne, de Haussy, Rodenbach, Orban, d’Anethan, d’Elhoungne, de Haussy),
répartition des indigents et/ou création de dépôts de mendicité agricoles pour
les jeunes gens (Orban, de Haussy,
d’Anethan, d’Elhoungne,
(+établissement pénitentiaire pour jeunes gens de Saint-Hubert) (Orban, d’Anethan), (+prix de la
journée d’entretien) de Haussy, Dedecker,
d’Elhoungne, Rodenbach, de Haussy)
3) Projet de loi fixant le cens électoral pour la
nomination des députés et des sénateurs au minimum établi par la constitution (de Brouckere)
4) Motion d’ordre relative aux travaux du canal
latéral de la Meuse (Frère-Orban) (+canal de
Schipdonck et canal de Zelzaete à la mer du Nord) (d’Elhoungne,
Frère-Orban)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Verhaegen, vice-président.)
(page 961) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.
- La séance est ouverte.
M. Troye lit le
procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Clermont soumet à la chambre un projet de
loi qui établit un cens uniforme pour les élections aux chambres, qui réduit le
cens électoral pour la formation des conseils provinciaux et des conseils
communaux, et qui établit une incompatibilité entre le mandat de député ou de
sénateur et les fonctions conférées par le gouvernement. »
- Sur la proposition de M. Castiau, renvoi aux sections centrales
chargées d'examiner les projets de loi concernant le cens électoral pour la formation
des chambres et des conseils communaux.
________________
« Le sieur Coppin demande que le gouvernement
propose des réformes dans l'ordre politique et l'ordre matériel. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
« Plusieurs Luxembourgeois demandent que la
naturalisation soit accordée seulement pour services éminents rendus au pays,
que les fonctions publiques ne soient plus remplies par des étrangers, et que
la garde civique soit organisée dans le Luxembourg. »
- Même renvoi.
________________
Par message du 1er mars, le sénat informe la
chambre qu'il a adoptés :
1° Le projet de loi ouvrant au département des
affaires étrangères un crédit supplémentaire de 155,443 fr. 77 c ;
2° Le projet de loi qui apporte des modifications
au tarif des douanes ;
3° Le projet de loi relatif au dépôt des étalons
prototypes des poids et mesures ;
4° Le projet de loi qui transfère à Eghezée le
chef-lieu de la justice de paix établi à Dhuy ;
5° Le projet de loi transférant à Lennick-Saint-
Quentin le chef-lieu de la justice de paix établi à Lennick-Saint-Martin ;
6° Le projet de loi qui exempte des droits de
timbre et d'enregistrement les actes des conseils des prud'hommes.
- Pris pour notification.
________________
M. Fallon informe la chambre qu'une indisposition
l'empêche de prendre part à ses travaux.
- Pris pour information.
PROJET DE LOI PORTANT REFORME DES DEPOTS DE MEDICITE
Discussion des articles
Article 4
M. le président. - La chambre est parvenue à l'article 4 ainsi conçu :
« Art. 4. Un arrêté royal déterminera, pour tous
les dépôts de mendicité les conditions de sortie. Cependant les indigents
entrés volontairement dans un dépôt, ne pourront, la première fois, être
astreints à y séjourner plus de trente jours ; s'ils rentrent au dépôt dans le
cours de la même année, ce temps sera de six mois au moins et d'un an au plus.
« Cette dernière disposition ne sera pas
applicable à l'indigent qui n'aura quitté le dépôt qu'à la demande de
l'autorité communale, en conformité de l'article 2 de la présente loi. »
M. d’Anethan. - J'ai quelques questions à adresser à M. le ministre de la justice
relativement à cet article dont la disposition est nouvelle ; elle ne se
trouvait pas dans le projet primitif, et M. le ministre de la justice l'a
présentée sans en faire connaître les motifs, le but, la portée. Je prie donc
M. le ministre de la justice de bien vouloir, en réponse à mes questions,
expliquer le sens de l'article qu'il a introduit dans la loi.
D'après l'article en discussion, lorsqu'un indigent
arrive pour la première fois dans un dépôt de mendicité, il peut être contraint
à' y séjourner pendant trente jours. Lorsque, dans la même année, il retourne
une seconde fois au dépôt, il peut être contraint d'y séjourner six mois au
moins et un an au plus.
Le deuxième paragraphe est ainsi conçu : « Cette
dernière disposition ne sera pas applicable à l’indigent qui n'aura quitté le
dépôt qu'à la demande de l'autorité communale, en conformité de l'article 2 de
la présente loi.» Ces mots : « cette dernière disposition », à quoi
s'appliquent-ils ?
Si je les comprends bien, ils ne peuvent comprendre
que les indigents qui, ayant été une première fois au dépôt, en sont sortis par
l'intervention de l'autorité communale, et y sont retournés ensuite.
Je ne comprendrais pas l'application de cette
disposition aux individus reclus une première fois. Si tel est le sens de cet
article, je ne me figure pas sur quoi il peut être basé.
En effet si un indigent quitte le dépôt de
mendicité parce que l'administration communale l'a réclamé, et si quelque temps
après il demande à rentrer au dépôt, je ne vois pas pourquoi on ne lui
appliquerait pas la même disposition qu'à celui qui a volontairement quitté le
dépôt et qui doit plus tard y rentrer.
Dans l'un et dans l'autre cas la position est la
même ; il me paraît même que la position de celui qui a été réclamé par
l'administration communale devrait être envisagée avec moins de faveur que la
position de celui qui est sorti volontairement du dépôt dans l'idée et avec
l'espoir de trouver du travail.
Mais la personne à qui la commune a donné du
travail et qui, malgré cette ressource, est retombée dans l'indigence me
paraît, je le répète, mériter moins de considération et d'égards que la
personne qui est sortie volontairement du dépôt de mendicité et qui n'a pu,
malgré ses efforts, se procurer du travail. Je pense donc qu’il y aurait
injustice à traiter cette dernière avec plus de rigueur que la première ; au
moins jusqu'à présent, je ne vois aucun motif d'admettre la différence
proposée.
Dans tous les cas, messieurs, s'il y a des raisons
pour adopter cette disposition, ce que je ne pense pas, la disposition serait
incomplète. Car il ne faudrait pas borner l'exception au cas où l'individu
sortirait du dépôt sur la demande de la commune ; il faudrait y comprendre le
cas où la sortie du dépôt aurait lieu sur la demande de la famille. On accorde
à la famille les mêmes droits qu'à la commune ; par conséquent, la demande
faite par la famille doit avoir les mêmes conséquences que la demande faite par
la commune. Il n'y a aucune différence. Car dans l'un et l'autre cas, la sortie
est accordée, uniquement parce que l'individu dont on demande la sortie aura du
travail, soit que sa famille lui en fournisse, soit que la commune lui en
donne. Dans l'un et l'autre cas la position de l'individu qui sort du dépôt est
complètement identique.
J'ai une dernière demande à adresser à M. le
ministre de la justice.
D'après l'article 4,
l'individu qui entre pour la première fois dans un dépôt sera astreint d'y
séjourner pendant 30 jours ; après une seconde entrée il peut être contraint
d'y séjourner pendant un an. Je désirerais savoir si cette obligation de séjour
pendant un temps déterminé enlève à la commune pendant ce temps le droit de
faire sortir le reclus, alors qu'elle a acquis l'assurance de pouvoir lui
procurer du travail. Je pense que le droit de la commune, consacré par
l'article 2, doit naître dès le moment de l'entrée (page 962) au dépôt, et n'est pas suspendu un seul instant,
depuis l'entrée de l'indigent dans le dépôt.
Ne serait-il pas injuste d'empêcher une commune, à
son grand préjudice, de retirer un indigent du dépôt pour lui procurer du
travail ? Ne serait-ce pas injustement priver de sa liberté un individu qui
pourrait être utile et entretenu plus économiquement dans la commune ?
Je pense donc que l'article doit être entendu en ce
sens que les droits de la commune ne sont pas limités par la disposition de
l'article 4. Je prie le gouvernement de nous donner sa pensée à cet égard.
M. le ministre de la
justice (M. de Haussy). -
Messieurs, je pense, comme l'honorable préopinant, que le droit de la commune
ne peut être restreint, et qu'il s'applique également à l'indigent qui entre
pour la première fois au dépôt de mendicité comme à celui qui y rentre après en
être sorti. Le droit de la commune écrit dans l'article 2 de la loi est
illimité, et l'on ne peut dans aucun cas empêcher une commune de retirer
l'indigent d'un dépôt de mendicité lorsqu'elle est disposée à lui procurer du
travail ou des secours suffisants, sauf à la députation permanente à apprécier
à cet égard si la commune est en mesure de réaliser l'offre qu'elle fait de
procurer ce travail ou ces secours.
L'honorable M. d'Anethan a demandé en premier lieu
si ces mots « cette dernière disposition ne sera pas applicable à l'indigent
qui n'aura quitté le dépôt qu'à la demande de l'autorité communale, en
conformité de l'article 2 de la présente loi », si ces mots concernent l'indigent qui entre
une première fois au dépôt, comme à celui qui y rentre après en être sorti.
Messieurs, il me semble que cette disposition s'applique aux indigents des deux
catégories, et je ne vois, pour mon compte, aucun motif pour établir une
distinction entre ceux qui entrent pour la première fois au dépôt et ceux qui y
rentrent après en être sortis dans le cours de la même année. Je crois qu'un
indigent qui, après être resté pendant 30 jours au dépôt de mendicité, en sort
et se trouve plus tard dans la nécessité d'y rentrer, doit, si sa famille vient
à son secours, être autorisé à en sortir comme il y serait autorisé s'il était
au dépôt pour la première fois. En un mot, il n'y a, selon moi, aucun motif de
distinction entre les deux catégories de reclus, c'est-à-dire entre les
récidifs et ceux qui sont entrés au dépôt pour la première fois.
- L'article 4 est adopté.
Article 5
« Art. 5. L'organisation, le régime et la
discipline des dépôts de mendicité seront déterminés par le Roi, les
députations permanentes des conseils provinciaux intéressés entendues. »
M. d’Elhoungne. - Je demanderai à M. le ministre de la justice de bien vouloir nous
faire connaître les motifs qui l'ont déterminé à introduire ici un principe
entièrement nouveau. L'article propose d'enlever à la dépuration permanente des
conseils provinciaux une partie de leurs attributions et de la transférer au
gouvernement central. Ce sera, d'après cet article, le gouvernement qui
organisera et réglementera les dépôts de mendicité, tandis que les communes
devront supporter les frais de cette organisation.
Vous savez, messieurs, qu'en thèse générale, toute
organisation faite par le gouvernement coûte fort cher. Je vous laisse à penser
ce que ce sera quand le gouvernement lui-même ne devra pas payer, quand il ne
devra pas demander aux chambres les subsides nécessaires, quand tous les frais
des mesures qu'il décrétera seront supportés par les communes. Il peut y avoir
là un principe extrêmement funeste pour les finances des communes, et je pense
que la chambre ne voudra pas, dans la disposition d'esprit où elle se trouve,
sanctionner légèrement une disposition d'une pareille gravité.
S'il s'agissait, messieurs, d'une réforme complète,
définitive, qui nous permît d'espérer que les dépôts de mendicité pourront
désormais fonctionner avec régularité et atteindre le but qu'on se propose en
les créant, alors sans doute je comprendrais une pareille innovation ; mais il
s'agit d'une réorganisation qui n'en sera pas une.
En effet, nous avons bien corrigé, dans les dépôts
de mendicité, quelques-uns des abus, notamment en ce qui concerne les entrées
et les sorties, mais c'est là tout. Décrétez qu'il y aura dans les dépôts
actuels un classement des reclus, que le gouvernement fera une nouvelle
organisation du travail, et vous ne ferez absolument rien ; cela n'aboutira à
aucun résultat.
Déjà le gouvernement des Pays-Bas avait décrété que
le travail serait réorganisé dans les dépôts, qu'il y aurait un classement des
reclus d'après leur âge, leur sexe, leur moralité.
Un arrêté, contresigné par l’honorable M. Lebeau,
alors ministre de la justice, a prescrit en 1835 précisément la même chose. Ces
deux arrêtés ont conféré ce soin aux députations permanentes. Qu'en est-il
résulté ? Absolument rien, Les prescriptions du législateur sont restées
impuissante devant les faits. Les députations permanentes, chargées de
réglementer les dépôts de mendicité, d'y organiser le travail, d'y opérer une
classification, se sont trouvées contraintes, sous la pression des
circonstances, de ne rien organiser, ou quand elles avaient fait une
organisation, de la détruire à l'instant même.
Maintenant le gouvernement sera-t-il plus heureux
que les députations permanentes ? Evidemment non ; car le gouvernement n'aura
pas, par la loi que vous allez voter, des moyens plus sérieux de maîtriser les
faits et d'opérer un classement convenable des différentes catégories
d'individus qui-se trouvent aux dépôts de mendicité,
La loi que nous faisons ne peut être, et elle n'est
qu'une loi transitoire. Il faudra évidemment une loi définitive pour créer plus
tard de nouveaux dépôts de mendicité, et notamment un dépôt agricole de
mendicité pour les mendiants valides. Ce n'est qu'après cette mesure qu'on
pourra parler d'une reforme sérieuse et réelle des dépôts de mendicité.
Je pense donc que, dans la situation des esprits,
avec les graves préoccupations qui, il faut bien le dire, distraient la chambre
de l'objet qui est en discussion, nous ne pouvons sanctionner le nouveau
système que le gouvernement propose. J'inviterai M. le ministre de la justice
(je pense que c'est un conseil sage à donner au gouvernement) j'inviterai,
dis-je, M. le ministre de la justice à ne pas insister sur cette innovation et
à maintenir, quant à ce point, la législation existant.
Il y a utilité et opportunité à laisser les
députations permanentes, qui sont en quelque sorte les tutrices des communes,
en possession du droit qu'elles ont de réglementer et d'organiser les dépôts de
mendicité existants et à laisser ainsi l'intérêt des communes entièrement sauf.
Lorsque l'honorable M. d'Anethan a présenté le
projet primitif, projet beaucoup plus complet, plus radical que celui qui
résulte des amendements proposés par le nouveau cabinet, eh bien, ce projet qui
était cependant très bon à plusieurs égards, a rencontré une répulsion générale
de la part des communes. On disait : « Vous allez organiser des dépôts de
mendicité à grands frais ; vous allez mettre en pratique, par la main du
gouvernement, un système de philanthropie très large, très coûteux ; et vous
exigerez des communes d'en supporter la dépense : nous nous y opposons avec
énergie. » Et toutes les communes ont fait de l'opposition au projet de
l'honorable M. d'Anethan. Si bien qu'en présence de cette opposition unanime,
la section centrale n'a pas osé se rallier à ce projet, et qu'elle est venue
proposer à la chambre un projet infiniment plus restreint et plus modeste, qui
modifiait complètement le projet primitif.
Messieurs, je crois qu'il
doit à plus forte raison en être ainsi aujourd'hui que nous n'abordons qu'une
réforme partielle, où nous ne faisons qu'une loi provisoire. Nous ne pouvons
évidemment introduire une innovation qui menace de jeter la perturbation dans
les finances de toutes les communes.
Il y a encore, pour agir ainsi, une considération
d'un autre ordre. La loi sur les dépôst de mendicité est surtout très
importante pour les communes des Flandres. Ces communes, en effet, ont un grand
nombre de mendiants dans les divers dépôts de mendicité. Les frais de séjour de
ces mendiants sont déjà pour elles une charge qu'elles peuvent à grande peine
supporter. Maintenant si le gouvernement vient, avec un grand luxe de
personnel, organiser les dépôts de mendicité, il aggravera encore la position
des communes. Il ne fera rien de très bon, et il fera, à coup sûr, quelque
chose de très cher.
M. le ministre de la
justice (M. de Haussy). -
Messieurs, l'honorable préopinant est dans l'erreur, quand il pense que le
gouvernement introduit un nouveau principe dans la législation. La loi qui a
créé les dépôts de mendicité est du 5 juillet 1808, et l'article 6 de cette loi
est ainsi conçu : « Chaque dépôt de mendicité sera créé et organisé par une
loi. »
C'est donc au gouvernement qu'il appartenait, non
seulement de créer, mais encore d'organiser les dépôts de mendicité. Aux termes
de la loi du 13 août 1833, le prix de la journée d'entretien à payer par les
communes doit être fixé annuellement par le gouvernement pour chaque province,
après avoir pris l'avis de la députation permanente. Je ne connais aucune loi
qui ait autorisé les députations permanentes des conseils provinciaux à
réglementer les dépôts de mendicité. Je dois dire que la chose serait très
difficile dans la pratique, puisqu'il y a des dépôts de mendicité qui font le
service de deux ou trois provinces. Ainsi le dépôt de Mons fait le service des
provinces de Hainaut, de Namur et de Luxembourg. Comment ces dépôts
pourraient-ils être soumis à des règlements émanés des députations permanentes,
puisqu'il faudrait que les députations de plusieurs provinces s'entendissent
pour faire de semblables règlements ?
Vous voyez donc que ces dépôts qui font le service
de plusieurs provinces ne sont pas des établissements exclusivement
provinciaux. Il s'agit, en quelque sorte, d'un intérêt général ; et dès lors il
convient de laisser au gouvernement le droit d'organiser et de réglementer les
établissements, droit dont le principe est écrit, d'ailleurs, dans le décret du
5 juillet 1808.
Il y a plusieurs motifs
pour maintenir ce droit au gouvernement ; il importe que ces dépôts soient
organisés avec uniformité, avec un esprit d'ensemble qui doit caractériser
l'administration de ces sortes d'établissements. Or, c'est une chose impossible
à réaliser, et ce sera un obstacle permanent à toutes les améliorations que de
laisser aux administrations provinciales le soin de réglementer les dépôts
situés dans leur province. Le motif qu'on fait valoir pour retirer ce droit au
gouvernement, c’est que le gouvernement administrerait avec trop de luxe,
aurait un personnel trop nombreux, en un mot qu'il prendrait plaisir à grever
les communes de frais beaucoup plus considérables que ceux auxquels elles sont
soumises lorsque ces établissements sont sous l'administration directe de la
province.
Je pense que ces motifs ne sont ni fondés ni
sérieux. L'expérience est là pour démontrer que le gouvernement administre avec
plus d'économie que les provinces. Je pourrais vous mettre sous les yeux l'état
comparatif des frais d'entretien dans les dépôts et dans les prisons centrales
; vous verriez qu'il y a une économie très importante du côté de
l'administration des prisons, économie qu'on n'est pas encore parvenu à
atteindre dans les dépôts de mendicité. Je pense donc qu'il serait convenable
de maintenir le principe que l'organisation des dépôts appartient au
gouvernement.
M. Rodenbach. - Je pense aussi que le gouvernement doit pourvoir réglementer en
certains cas ce qui concerne les dépôts de mendicité. Je citerai un fait ; on
sait que dans les grandes prisons, par le travail des prisonniers, on obtient
des bénéfices. Il devrait en être de même dans (page 963) les dépôts, car le plus souvent leur population se
compose d'ouvriers propres à divers métiers. Je ne dis pas qu'on ne rend pas
compte des résultats du travail qui se fait dans ces dépôts, mais jamais ces
comptes ne parviennent dans les communes. Elles ne savent pas, elles voudraient
connaître ce qu'ont pu gagner les ouvriers dont elles ont payé l'entretien dans
ces dépôts. Je sais qu'il en est qui sont moins aptes que d'autres au travail,
on voudrait savoir ce qu'ils ont pu produire ; mais les communes ont toujours
dû payer des frais d'entretien et jamais on ne leur a remis un bénéfice, pas
même un compte, c'est une lèpre ; c'est ce qui ruine le plus les communes.
Grâce à la faculté donnée aux communes par l'article 2, le vice administratif
disparaîtra et nos communes qui, dans les Flandres surtout, sont criblées de
dettes pour l'entretien de leurs mendiants dans les dépôts de mendicité,
verront diminuer les charges qui les accablent.
M. Orban. - Je
n'ajouterai qu'une observation à celles qu'a présentées l'honorable M.
d'Elhoungne pour vous démontrer qu'il y a lieu de supprimer l’article 5. Cette
suppression est, à mon avis, une conséquence nécessaire de la modification que
la section centrale a fait subir au projet primitif. Ce projet, tel qu'il avait
été présenté par le précédent cabinet, avait pour but de réorganiser même les
dépôts de mendicité, et de remplacer les dépôts existants par des dépôts
agricoles. Dans ce nouveau système, les frais d'établissement tombaient
exclusivement à charge de l'Etat, et l'on conçoit dès lors que le droit
d'organisation et d'administration appartenant maintenant aux députations
permanentes était naturellement transféré au gouvernement central.
Mais on a renoncé à cette idée, à cette création
nouvelle ; l'on maintient ce qui existe et l'on se borne à instituer deux
établissements nouveaux pour les jeunes gens.
Or, messieurs, comme les
établissements actuels appartiennent presque tous, si pas tous, aux provinces,
il est tout naturel que les administrations provinciales conservent comme par
le passé le droit de pourvoir à l'administration de ces dépôts. D'un autre
côté, il est plus conforme à l'ordre naturel des attributions que les
députations provinciales, qui sont les tutrices des communes, soient appelées à
régler une dépense qui doit retomber sur elles, qui les intéresse si
essentiellement.
Il me semble donc, avec l'honorable M. d'Elhoungne
que l'article 5 peut et doit être supprimé.
M. d’Anethan. - Je pense aussi qu'il n'y aurait pas grand inconvénient à supprimer
l'article 5. Je dirai même que cette suppression est conforme au projet
primitif ; quand le gouvernement demanda le droit d'organiser lui-même les
dépôts de mendicité, il n'avait en vue que les dépôts agricoles, à telles
enseignes que l'article 5 du projet primitif portait : « La destination et le
mode d'administration des dépôts de mendicité sont provisoirement maintenus.
Toutefois, un arrêté royal réglera les conditions d'entrée et de sortie. »
Cette dernière condition est remplie par l'article 2 que nous avons voté. Je
pense qu'il est à peu près inutile de donner dès à présent au gouvernement le
droit de créer, pour les dépôts de mendicité actuels, une nouvelle
organisation, car avec les dépôts existants, il serait difficile pour ne pas
dire impossible, de rien faire, de rien organiser, pour atteindre le but du
projet primitif.
S'il s'agissait d'organiser une première fois les
dépôts de mendicité, je serais de l'avis de M. le ministre de la justice : le
gouvernement devrait, selon moi, être chargé de ce soin. Je n'hésite pas à dire
que je ne puis admettre sur ce point l'opinion de l'honorable M. d'Elhoungne.
Cet honorable membre nous
dit : En 1825, le roi Guillaume a donné aux états provinciaux la mission
d'organiser les dépôts de mendicité. En 1833, un arrêté signé par M. Lebeau a
fait la même injonction aux commissions d'inspection des dépôts, et pourtant
rien n'a été fait. J'en conclus, contrairement à l'avis de l'honorable député
de Gand, qu'il faut confier à d'autres qu'à ces autorités une organisation
qu'ils ont été impuissants à constituer. Je développerais cette thèse s'il
s'agissait réellement d'une nouvelle organisation, s'il s'agissait de créer
d'autres dépôts sur d'autres bases. Mais en présence des amendements du
gouvernement qui ne permettent pas pour le moment la création de dépôts
agricoles, il est peut-être préférable de laisser à la loi un caractère
provisoire qui annonce l'intention de venir promptement la compléter ; et dès
lors, je ne vois pas de motif pour désirer le maintien de l'article 5
M. d’Elhoungne. - J'ajouterai aux observations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la
chambre une remarque pour rectifier ce qui a été dit par l'honorable ministre
de la justice. Il est vrai que le décret du 5 juillet 1810 accorde au
gouvernement le droit exclusif d'organiser et de réglementer les dépôts de
mendicité. Mais il ne faut pas perdre de vue que ce décret ne met pas à charge
des communes les frais d'entretien des reclus.
D'après ce décret, les frais des dépôts de
mendicité étaient supportés par le trésor, par la caisse départementale et par
les villes ayant le plus de ressources à raison soit de leur octroi, soit de
leur revenu. On faisait de tout cela un fonds commun qui devait servir à
défrayer les dépôts de mendicité.
Un arrêté du roi des Pays-Bas, du 12 octobre 1819,
vint mettre à la charge des communes l'entretien des indigents détenus dans les
dépôts de mendicité. Un arrêté du 12 octobre 1825, conséquence naturelle de
l'arrêté précédent, décréta que les règlements des dépôts de mendicité seraient
proposés par la commission administrative, arrêtés par les états députés, et
approuves par le roi.
Nous sommes encore aujourd'hui sous l'empire- de
cette législation. De sorte que, en proposant le rejet de l'article 5, loin de
demander une dérogation à la législation existante, je demande le maintien du
statu quo. Celui-ci consiste, non pas dans les dispositions dit 5 juillet 1810,
comme le pense M. le ministre, mais dans les dispositions combinées des arrêtes
des 12 octobre 1819 et 12 octobre 1825.
L'honorable M. d'Anethan a dit que, dans les
considérations que j'ai présentées, il y avait au fond un argument décisif pour
enlever aux députations permanentes l'administration des dépôts de mendicité,
car, j'aurais avoué, selon lui, que l'autorité provinciale a été chargée, en
1825 et en 1833, de l'organisation de ces dépôts, et qu'elle ne s'en est pas occupée.
Mais ce n'est pas là le
sens de mes observations. J'ai dit que les députations provinciales avaient été
chargées, en 1819 et en 1825, d'organiser les dépôts de mendicité, et qu'elles
n'avaient pu rien faire de sérieux et de stable, parce que ce qui était fait un
jour devait être changé le lendemain, en raison des circonstances. Or, rien
n'est plus facile à prouver ; il suffit de se rappeler la destination
aujourd'hui si complexe des dépôts de mendicité, il suffit de se rappeler que
ces dépôts contiennent à la fois les vagabonds, les mendiants condamnés, des
indigents valides, les femmes, les enfants, les infirmes, les vieillards, en un
mot toutes les variétés de misères humaines.
Or, il est impossible qu'un dépôt de mendicité
conserve une organisation stable, une classification quelconque, une
discipline, si toutes les vicissitudes qui peuvent étendre ou limiter tant de
misères diverses, doivent réagir sur sa situation et sur son régime, s'il doit
se plier ainsi à toutes les alternatives de souffrance et de crise que tant de
catégories d'infortunés subissent fréquemment, à tant de changements qu'éprouve
le sort des populations malheureuses. Je le répète, l'organisation admise en
principe un jour devait être détruite le lendemain par les faits.
M. le ministre de la
justice (M. de Haussy). -
Messieurs, si je cherchais un argument à faire valoir en faveur de la
disposition qui laisse au gouvernement le droit de réglementer les dépôts de
mendicité, je le trouverais dans l'assentiment général que cette disposition a
reçue quant aux nouveaux dépôts à créer. Personne ne conteste que pour ces
dépôts le droit de réglementer ne doive appartenir au gouvernement. Cependant
ce seront toujours les communes qui supporteront les frais d'entretien des
indigents dans ces dépôts.
Pourquoi donc une mesure que l'on reconnaît comme
excellente, quand il s'agit de l'appliquer aux nouveaux dépôts qu'il s'agit de
créer, ne serait-elle pas également bonne et utile pour les dépôts actuels ?
A la vérité, je sais que dans la pratique cela
n'existe pas aujourd'hui. Mais si c'est une amélioration que nous pouvons
introduire utilement, s'il peut en résulter dans l'administration des dépôts de
mendicité plus d'ordre, plus d'uniformité, plus de discipline, si surtout il ne
doit pas en résulter plus de dépenses et je crois qu'on peut être parfaitement
rassuré par l'exemple des autres établissements publics qui sont sous
l'administration du gouvernement, je crois que le même motif existe pour
étendre la main du gouvernement sur les dépôts actuels. Je suis convaincu que
la réforme que l'on cherche à y introduire sera tout à fait incomplète et ne
produira que des effets très imparfaits, si vous ne donnez pas au gouvernement
le droit d'administrer ces dépôts par des règlements uniformes, règlements qui
seront d'ailleurs arrêtés de commun accord avec les députations provinciales
qui seront toujours consultées en premier lieu.
- L'article 5 est mis aux voix et rejeté.
Article 6
« Art. 6. Les dépôts de mendicité actuels seront
exclusivement affectés aux indigents, mendiants et vagabonds adultes.
« Il sera créé par le gouvernement des
établissements spéciaux, sous le titre de dépôts agricoles, pour les jeunes
indigents, mendiants et vagabonds des deux sexes, âgés de moins de 18 ans.
« Ces établissements seront organisés de manière à
employer, autant que possible, les jeunes gens, et particulièrement les
garçons, aux travaux de l'agriculture et à les former aux professions
susceptibles d’être exercées avec profil dans les campagnes.
« Les jeunes gens des deux sexes seront, en tous
cas, placés dans des établissements distincts et séparés.»
M. Orban. -
Messieurs, l'article 6 commence par décider d'une manière absolue qu'il sera
créé par le gouvernement des établissements spéciaux, sous le titre de dépôts
agricoles pour les jeunes indigents des deux sexes, et la disposition finale de
ce même article décrète d'une manière non moins absolue que les jeunes gens des
deux sexes seront, dans tous les cas, placés dans des établissements distincts
et séparés.
Il résulte évidemment, me semble-t-il, de la
combinaison de ces deux dispositions qu'il y aura des établissements agricoles
spéciaux, uniquement consacrés aux jeunes filles.
Messieurs, je ne sais si telle a été l'intention du
gouvernement ; mais, quant à moi, je ne concevrais pas d'établissements
agricoles ainsi organisés. Il est évident que si les jeunes filles peuvent être
employées à des travaux agricoles, c'est à des travaux tout à fait secondaires,
et que les principaux ne peuvent être faits que par des hommes.
D'un autre côté, si par impossible on pouvait
concevoir un établissement agricole de cette espèce, je ne comprendrais pas
encore l’utilité de la création, car les occupations que pourraient y
rencontrer les jeunes filles n'exigent aucun apprentissage, ne constituent pas
une profession. Pour les jeunes garçons, les travaux agricoles peuvent exiger
une certaine expérience et, par suite, constituer des professions utiles ; par
exemple, celle de garçon de labour, de charron, de constructeur d'instruments
de jardinier, qui se rattachent essentiellement a une institution agricole.
Mais il n'en est pas de même des jeunes filles qui ne peuvent y être employées
qu'à des travaux tout à fait secondaires, tels que la fenaison, l'essarclage,
le soin des prairies, occupations tout à fait (page 964) matérielles qui ne demandent aucune expérience, de même
qu'elles ne peuvent constituer un moyen d'existence.
Je dois donc croire que telle n’a pas été
l’intention du gouvernement. En effet, la disposition de l’article 6 est
empruntée à la section centrale, et je lis dans le rapport de cette section,
que les établissements agricoles destinés aux jeunes gens de 18 ans doivent
être consacrés exclusivement aux garçons. La section centrale a même eu à
s'occuper delà question de savoir si l'on ne pourrait pas y faire travailler
simultanément des jeunes gens des deux sexes, en maintenant toutefois la
séparation, et cette question a été résolue négativement.
Je suppose donc que le
gouvernement n'a pas eu l'intention de créer des établissements agricoles pour
les jeunes filles. Mais s'il en est ainsi, il y aurait lieu de modifiera le
deuxième paragraphe de l'article 6, et il me semble qu'on pourrait le faire
dans les termes suivants : « Il sera créé, par le gouvernement, des
établissements spéciaux pour les jeunes indigents, mendiants et vagabonds des
deux sexes, âgés de moins de 18ans, » en supprimant les mots :
« exclusivement agricoles ».
Le paragraphe suivant qui déclare que les
établissements qui concernent les jeunes garçons seront consacrés aux travaux
de l'agriculture suffirait pour déterminer le véritable but de la loi.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'avais déjà indiqué sur le projet que je tiens
à la main, que ces mots : « sous le titre de dépôts agricoles »,
devaient disparaître, parce que, en effet, les dépôts pour les jeunes filles ne
peuvent être des dépôts agricoles proprement dits. Mais ils seront toujours des
établissements mixtes, c’est-à-dire que les occupations auxquelles les jeunes
filles seront appliquées seront aussi, en quelque sorte, agricoles, en ce sens
qu'elles seront dirigées, autant que possibles, vers l'exercice de toutes les professions
qui peuvent leur être les plus utiles à la campagne. Mais il est évident
qu'elles devront aussi apprendre d'autres métiers, et que les dépôts qui leur
seront destinés n'auront ainsi qu'accessoirement un caractère agricole.
En conséquence, me ralliant à la proposition de
l'honorable M. Orban, Je propose la suppression des mots : « sous le titre
de dépôts agricoles ».
M. d’Anethan. - Messieurs, le deuxième paragraphe porte : « Ces établissements seront
organisés de manière à employer, autant que possible, les jeunes gens et particulièrement
les garçons aux travaux de l'agriculture, etc. » Il faudrait, d'après les
observations qui ont été faites, supprimer les mois : « les jeunes gens et
particulièrement, » et dire : « de manière à employer, autant que possible, les
garçons, etc. »
M. le ministre de la
justice (M. de Haussy). - Je ne
vois aucun inconvénient à cette suppression ; cela n'empêchera pas que le dépôt
de jeunes filles ne puisse être organisé également dans le sens de l'article,
si la chose est praticable.
M. d’Elhoungne. - Je regrette, messieurs, que le gouvernement, en proposant la
création de deux nouveaux dépôts de mendicité, se soit arrêté à un établissement
spécial et agricole pour les jeunes filles.
Il n'a pas échappé à la chambre que les mesures
proposées par le gouvernement n'auront aucunement pour effet de réformer
définitivement les dépôts actuels.
Le défaut de classement, vice fondamental de ces
dépôts, continuera à subsister ; les hommes, les femmes, les infirmes, les
vieillards, continueront à y être confondus. On se bornera à en distraire les
jeunes gens des deux sexes. Par-là, je dois le dire, on ne fera pas ce qui est
le plus important et le plus pressé.
Pourquoi, en effet, créer un établissement nouveau
pour les filles puisqu'il y a un ancien dépôt, celui de Hoogstraeten, qui
pouvait très bien être approprié à cette destination ? Ce n'est pas là qu'il
fallait porter la réforme.
Mais où il fallait la porter immédiatement et avant
tout, c'est sur la réclusion des mendiants valides qui forment la population la
plus compromettante des dépôts. En distrayant des dépôts les mendiants valides,
on aurait fait un grand pas, on aurait opéré une sorte de classement de fait
qui pouvait momentanément suffire, en attendant qu'une situation financière
plus favorable nous permît d'effectuer une réforme complète Mais isoler
seulement les jeunes filles et les jeunes garçons, ce n'est absolument rien
faire de décisif pour la réforme des dépôts actuels.
Je dis, messieurs, qu'il faudrait surtout isoler
les mendiants valides. Ce sont, en effet, ceux-là qui entrent aujourd'hui en
grand nombre et fréquemment dans les dépôts, à cause de la proximité des
grandes villes, tandis que c'est à leur égard qu'il faudrait être le plus
sévère, parce qu'ils font le plus de mal à la moralité des établissements.
Je regrette donc, messieurs, que le gouvernement se
soit décidé à proposer seulement la création d'établissements nouveaux pour les
jeunes gens des deux sexes ; je le regrette d'autant plus que ces
établissements coûteront beaucoup : un crédit de 600,000 fr. nous est demandé
pour cet objet.
Il est, en outre, fort problématique que ces dépôts
parviennent à se peupler. Le projet ne fixe pas de maximum pour la journée
d'entretien. Or quelle sera la commune qui voudra envoyer ses enfants indigents
dans un établissement créé à grands frais par le gouvernement et où la journée
d'entretien pourra être fort élevée.
Savez-vous, messieurs, comment on pourvoit dans
beaucoup de communes des Flandres à l'entretien des enfants pauvres, des
enfants abandonnés ? On les fait venir le jour de l'an sur la place publique ;
on les y expose, on les y étale, et on en fait l'objet d'une espèce d'adjudication
publique : celui qui se charge au meilleur marché de les nourrir et de les
entretenir, est déclaré adjudicataire pour une année ! Voilà comment les
communes qui ont adopté cette espèce de traite des blancs réduisent à sa plus
simple expression la dépense de l'entretien de leurs enfants pauvres. Eh bien,
croyez-vous que ces communes consentent à payer un prix probablement très élevé
de la journée d'entretien dans un dépôt de mendicité ? Evidemment non.
Vous n'avez donc rien fait d'efficace, à moins que le gouvernement ne fasse un
pas de plus, et qu'il ne fixe dans la loi un maximum de la journée d'entretien.
Dans la position surtout où se trouvent la plupart des communes, elles feront
nécessairement de ceci une question d'argent.
Je dis donc, d'abord, que l'on a tort de commencer
la réforme en ne faisant que des dépôts spéciaux pour les jeunes gens des deux
sexes, au lieu de faire un dépôt spécial pour les mendiants valides, dont la
nécessité est beaucoup mieux comprise. J'ajoute que l'on a tort de consacrer à
cela une somme de 600,000 fr., lorsqu'on est à peu près certain que ces fonds
seront dépensés sans grands résultats, parce que les communes ne voudront pas
envoyer leurs enfants pauvres dans les dépôts dont il s'agit.
Je ferai remarquer que la section
centrale qui a examiné le projet de M. d'Anethan, et qui a proposé un dépôt
spécial pour garçons, a compris toute la portée de l'observation que j'ai
présentée et a introduit dans le projet un maximum de la journée d'entretien.
Elle a été convaincue que, dans la situation où se trouvent les communes des
Flandres, il leur serait impossible d'envoyer leurs enfants indigents à ce
dépôt, parce qu'elles ne consentiraient jamais à payer un prix élevé pour
l'entretien d'enfants, alors qu'elles ne peuvent pas même le faire pour les
adultes dans toute la force de l'âge.
M. Orban. -
L'honorable M. d'Elhoungne a exprimé le regret de ce que le gouvernement
propose la création d'un établissement spécial pour jeunes filles. Je crois que
l'honorable membre peut être rassuré à cet égard ; l’article 9, qui alloue une
somme de 600,000 fr., ne permettra pas de créer deux dépôts.
En effet, messieurs, la section centrale porte à
500,000 fr., d'après des calculs positifs, la dépense nécessaire pour le seul
dépôt de garçons ; or, en ajoutant cent mille francs à cette somme, je suppose
que le gouvernement a eu l'intention de pourvoir plus largement à cette dépense
et non de se mettre en mesure de créer un second établissement destiné aux
jeunes filles.
L/honorable M. d'Elhoungne regrette même qu'on
veuille établir des dépôts agricoles pour jeunes gens, au lieu de consacrer une
pareille création aux mendiants adultes et valides. Il eût été, me semble-t-il,
facile de satisfaire en cela au désir exprimé par l'honorable membre, tout en
remplissant le but que s'est proposé la section centrale. Dans quel but la
section centrale, dont le gouvernement n'a fait qu'emprunter les vues, a-t-elle
proposé la création d'un dépôt pour jeunes garçons ? C'est seulement,
messieurs, à l'effet de pouvoir faire l'essai d'un système qui peut être
étendu, plus tard, à tous les établissements de mendicité. Eh bien, cet essai,
le gouvernement peut le réaliser sans faire aucune dépense : il n'a qu'à
l'appliquer au pénitentiaire de jeunes garçons, établi à Saint-Hubert.
Le gouvernement, en plaçant à Saint-Hubert le
pénitentiaire des jeunes détenus, avait l'intention de les appliquer aux
travaux agricoles. Sous tous les rapports, cette idée était d'une exécution
facile ; mais la commune, qui avait promis de céder les terrains nécessaires,
n'a pas tenu son engagement, et le gouvernement a été longtemps dans
l'impossibilité de donner suite à son projet primitif.
Mais la situation du
gouvernement est complètement changée, depuis le vote de la loi sur le
défrichement, loi qui l'autorise à exproprier les communes qui ne veulent pas
vendre ou laisser partager leurs terrains incultes. Avant cette loi, le
gouvernement devait, je le reconnais, rester dans une inaction forcée. Mais
aujourd'hui il est armé du moyen de triompher du mauvais vouloir des communes ;
et il peut, sans beaucoup de dépense, créer à Saint-Hubert un magnifique
établissement agricole. Il existe à proximité du pénitentiaire des terrains vagues
très étendus qu'on pourrait acquérir à peu de frais.
Comme, d'un autre côté, les bâtiments existants
sont très vastes, qu'ils ont été approprier à cette destination et qu'ils
n'exigeraient aucune construction nouvelle, il y aurait là tous les éléments pour
réaliser sans frais l'expérience que l'on veut entreprendre et pour la réaliser
avec une grande utilité, car la population actuelle du pénitentiaire est dès
maintenant plus considérables que ne le sera de longtemps celle de
l'établissement que l’on se propose de fonder.
M. d’Anethan. - Messieurs, je partage à certains égards l’avis de l'honorable M.
d'Elhoungne. Je pense avec lui qu'il aurait été préférable de créer d'abord un
dépôt agricole pour les adultes ; je crois avec lui que cette mesure eût été
efficace, et aurait produit d'excellents résultats et qu'au point de vue de la
morale et de l'utilité, c'eût été le meilleur moyen de faire cesser la
confusion qui règne dans les dépôts entre les adultes et les jeunes gens.
Mais s'il eût été peut-être préférable de commencer
par cette réforme, il n'est pas moins essentiel d'opérer la séparation dans le
plus bref délai et de soustraire les jeunes gens au contact dangereux qu'a
signalé l’honorable M. d'Elhoungne, contact que les jeunes gens ne peuvent
éviter maintenant, la plupart des travaux se faisant en commun ; nous sommes
tous d'accord qu'il faut faire cesser le plus tôt possible ce contact.
Aussi, puisque dans l'état actuel de nos finances,
il n'est guère possible d'organiser un dépôt agricole pour les mendiants
valides, je félicite le gouvernement de s'être au moins rallié au système de la
section (page 963) centrale et
d'avoir tenté l'essai que celle-ci a conseillé ; il produira, j'en suis
certain, des résultats avantageux.
Je désire
que cette disposition obtienne l'assentiment de la chambre, tout en regrettant
qu'on ne puisse introduire dès maintenant les améliorations appuyées par
l'honorable M. d'Elhoungne, et que j'avais proposées.
Cet honorable membre craint que les communes
n'envoient pas les jeunes gens dans les dépôts agricoles, attendu qu'en général
l'entretien de ces enfants est mis au rabais, et qu'ils sont confiés aux
individus qui veulent les soigner aux moindres frais possible.
Il suffirait déjà de cet état de choses pour
justifier complètement la réforme proposée. Quant aux craintes manifestées par
l'honorable membre, je ne les crois pas fondées, elles trouvent leur réfutation
dans les articles déjà votés. Je reconnais avec l'honorable M. d'Elhoungne que
si les communes restaient maîtresses d'envoyer ou de ne pas envoyer leurs
mendiants dans les dépôts de mendicité, quelques-unes d'entre elle pourraient
continuer à pratiquer ce qu'elles font aujourd'hui, au grand détriment des
jeunes indigents ; mais l'honorable membre n'a pas fait attention que, d'après
les articles déjà votés, lorsque les communes refuseront, sans motifs fondés,
d'envoyer leurs indigents dans les dépôts agricoles, la députation permanente,
le gouvernement et les commissaires d'arrondissement ont le droit de les y
envoyer ; les conséquences du refus que redoute l'honorable M. d'Elhoungne, de
la part des communes, ne se réaliseraient donc pas.
Au reste, je suis convaincu que l'entretien sera
moins coûteux dans les dépôts agricoles à créer que dans les dépôts de
mendicité existants ; il suffirait, pour partager cette conviction de voir ce
qui se passer à l'étranger, dans les dépôts agricoles.
Les rapports sur les colonies agricoles étrangères,
rapports qui sont annexés au rapport de la section centrale, nous font voir,
d'après les résultats obtenus dans ces établissements, que dans les dépôts
agricoles à créer en Belgique, l'entretien pourrait être beaucoup moins coûteux
qu'il ne l’est aujourd'hui dans les dépôts de mendicité.
Il existe déjà dans la Flandre occidentale des
établissements agricoles pour les vieillards, où le prix de la journée
d'entretien n'est que la moitié de ce qu'une journée coûte dans les dépôts de
mendicité. Comment n'arriverait-on pas au même résultat avec des jeunes gens qui
pourront travailler d'une manière beaucoup plus énergique, que ne le peuvent
des hommes arrivés au déclin de la vie ?
L'honorable M. d'Elhoungne, anticipant sur la
discussion de l'article 8 a parlé du taux de la journée d'entretien, et
l'honorable membre aurait désiré qu'on fixât un maximum.
Je pense qu'il serait dangereux, peut-être même
impossible, de fixer dès à présent un maximum dans la loi, car si
l'établissement, par des circonstances quelconques, ne pouvait pas pourvoir à
tous ses besoins, à l'aide de la journée d'entretien, telle qu'elle serait
fixée par le maximum, je demande qui supporterait la différence.
Il faudrait, pour ce cas, établir dans la loi
l'obligation nouvelle, soit pour la province, soit pour l'Etat, de subvenir à
ce que le prix de la journée d'entretien aurait laissé de déficit. D'après la
loi de 1833, la journée d'entretien est fixée annuellement d'après les besoins
présumés de l'établissement ; si la commune n'est pas en état de payer le prix
fixé, la province y pourvoit au moyen d'un subside, mais dans la limite de la
journée d'entretien antérieurement fixée. Si un maximum était fixé
irrévocablement, il faudrait donc qu'en même temps l'on déclarât que la
province ou l'Etat viendrait en aide à l'établissement pour pouvoir continuer à
subsister.
L'honorable M. Orban pense qu'on aurait pu se
dispenser de créer un dépôt pour les jeunes gens, à cause de l'existence du
pénitencier de Saint-Hubert, qui serait appelé à rendre les mêmes services. Cet
établissement est destiné à une autre catégorie de reclus, aux individus
condamnés pour crime ou délit ; comment serait-il possible de vouloir confondre
dans l'établissement de Saint-Hubert les individus simplement malheureux avec
des individus coupables ?
Si l'on repousse cette confusion, comment vouloir
que l'établissement de Saint-Hubert, destiné aux individus condamnés, leur
offre un séjour plus avantageux et plus agréable que n'offriraient aux simples
indigents nos dépôts de mendicité ? Ce serait faire le contraire de ce que la
justice réclame.
Mon honorable ami, M. Orban, voudrait-il peut-être
que le pénitencier de Saint-Hubert devint agricole, uniquement pour faire un
essai, d'après lequel, s'il était heureux, on constituerait plus tard des
établissements de même nature pour les mendiants ?
Mais, messieurs, il existe des établissements assez
nombreux pour n'avoir pas besoin d'expérience ultérieure. Dans les pays
étrangers, l'essai a été fait, il a très bien réussi, je ne pense donc pas
qu'il faille attendre pour réaliser les vœux depuis longtemps exprimés. Je ne
pense pas qu'il faille attendre un nouvel essai à
St-Hubert, qui, peut-être, ne réussirait pas à cause de l'ingratitude et de la
stérilité du terrain. Il est, en effet, reconnu que pour établir avec succès un
dépôt agricole, il est important de ne pas prendre des terres de trop mauvaise
qualité ; il faut, au contraire, que les jeunes gens qui s'occupent de culture
prennent goût à ce travail en le voyant fructifier ; si on choisissait des
terres stériles ou du moins difficilement susceptibles de culture, il serait à
craindre que l'essai ne réussit pas, et il serait déplorable d'abandonner une
création qui pourrait avoir de si bons résultats, uniquement parce qu'on aurait
choisi de mauvais terrains pour faire un essai.
Je pense que l'idée de mon honorable ami M. Orban,
ne peut pas être adoptée. J'espère vivement que la proposition du gouvernement
sera admise sans recourir inutilement à des frais nouveaux.
M. le ministre de la
justice (M. de Haussy). - Les observations
que vient de faire l'honorable préopinant me permettront d'être assez court dans
celles que je veux vous présenter. Le gouvernement a le même désir que l’honorable
M. d'Elhoungne ; il voudrait la création immédiate d'un établissement pour les
adultes ; le gouvernement espère que dans peu il sera à même de pouvoir
réaliser ce projet qu'il n'a nullement abandonné. Mais, pour le moment, il
croit, d'accord avec la section centrale, qu'il faut procéder par un premier
essai, sauf à entrer plus tard plus avant dans cette voie.
Différentes considérations justifient cette
résolution du gouvernement ; à l'époque où le projet a été présenté à la
chambre, on était en négociation avec la société des colonies agricoles de
Merxplas et Wortel pour faire l'acquisition des bâtiments et des terrains de
cette société. Aujourd'hui cette acquisition n'est plus possible ; le prince
Frédéric des Pays-Bas ayant acquis cette propriété, on ne peut plus y songer
pour y établir le dépôt d'adultes dont il a été question à cette époque.
Il faut donc chercher de nouveaux terrains et faire
des constructions spéciales ; mais, messieurs, il en résulterait des dépenses
très considérables ; nous n'avons pas pensé que le moment fût opportun pour
venir demander les fonds nécessaires pour l'érection de semblables
établissements ; il y a plus, tout annonce qu'un seul dépôt d'adultes ne serait
pas suffisant eu égard au nombre considérable d'indigents de cette catégorie
qui existe dans nos dépôts de mendicité. Or s'il fallait créer deux dépôts pour
les mendiants et indigents de cette catégorie qui sont dans les cinq dépôts du
royaume, il en résulterait une dépense énorme qu'il est impossible de proposer
en ce moment.
Il y a aussi des motifs administratifs pour
l'ajournement momentané de la construction de ces établissements ; il serait
impossible d'ailleurs, quand même la chambre mettrait les ressources
nécessaires à la disposition du gouvernement, de fonder tout cela à la fois ;
il faut procéder avec lenteur, il faut créer un personnel ; il y a des mesures
administratives qui ne peuvent pas être improvisées et qui doivent être prises
successivement.
Quand nous aurons fait un ou deux dépôts,
l'expérience nous aura instruits, et nous pourrons poursuivre avec plus
d'assurance la réforme que nous avons tous le désir d'introduire dans nos
dépôts de mendicité. Pour le moment, je crois qu'il faut se borner à une seule
catégorie d'indigents ; l'honorable M. d'Elhoungne est d'accord avec nous pour
l'établissement d'un dépôt de jeunes garçons. Quant au dépôt de jeunes filles,
l'honorable membre ne le croit pas nécessaire. Pour moi, je pense que la mesure
serait incomplète si on ne l'essayait que sur les jeunes garçons ; il y a,
dans nos dépôts actuels, quatre ou cinq cents jeunes filles de moins de 18 ans,
confondues avec les adultes et les infirmes, sans qu'il soit possible d'établir
aucune espèce de séparation à cause de l'insuffisance des locaux et de
l'encombrement des établissements.
C'est une chose essentielle pour les jeunes filles
comme pour les garçons que de les soustraire au contact des adultes, car c'est
ce contact qui les rend plus vicieux, plus immoraux qu'ils ne sont à leur
entrée.
C'est sur cette classe qu'il faut commencer par
agir pour opérer la réforme ; cela est plus important encore que vis-à-vis des
adultes, car ces jeunes gens qui sortent des dépôts de mendicité se jettent
souvent dans la carrière du crime, et on les voit bientôt passer devant les
tribunaux correctionnels ou les cours d'assises pour aller ensuite peupler nos
prisons.
L'honorable M. d'Elhoungne voudrait que l'on fixât
un maximum du prix de la journée d'entretien dans les dépôts qu'il s'agit de
créer. Ce serait, comme l'a fait observer l'honorable préopinant, un précédent
très dangereux ; car il en résulterait que si la journée d'entretien dépassait,
ce maximum, l'Etat supporterait la différence. Ce qui serait déroger au
principe fondamental de notre législation, qui veut que ce soient les communes
du domicile de secours qui soient chargées de pourvoir à l'entretien des
indigents.
S'il s'agissait de fixer le maximum au taux proposé
par la section centrale qui est, je crois, de 38 c., il n'y aurait pas
d'inconvénient ; car il est presque impossible qu'il s'élève au-delà.
Mais l'honorable M. d'Elhoungne, dans un comité
dont il fait partie, et qui a été consulté sur cette question, avait proposé de
fixer le maximum de la journée d'entretien à 25 c. Je pense que l'on descendra
au-dessous de ce taux.
Il y a des dépôts agricoles, dans les pays voisins,
où la journée d'entretien ne coûte que de 13 à 14 c. Il est probable cependant
que le premier essai ne sera pas aussi avantageux, que les dépenses seront
d'abord plus élevées. Il ne serait pas juste que l'Etat supportât la différence
qui pourrait exister. Le but de l'honorable M. d'Elhoungne, c'est d'attirer les
jeunes gens dans ces dépôts, d'engager les administrations communales à y
envoyer les indigents.
L'honorable M. d'Elhoungne
se fait à cet égard illusion. La population actuelle de nos dépôts de mendicité
est plus que suffisante pour peupler les deux dépôts qu'il s'agit de créer. Si
l'on abaissait la journée d'entretien à un taux trop peu élevé, si l'on
poussait ainsi les communes à y envoyer leurs jeunes indigents, ce ne serait
pas un seul dépôt qu'il faudrait créer, mais trois ou quatre, et peut-être
davantage. Je ne pense pas qu'il soit dans les intentions de la chambre, pas
plus (page 966) que dans celles du gouvernement,
d'entrer dans cette nouvelle voie. Je pense qu'il faut maintenir ce principe
que c'est aux communes seules qu'incombe la charge de l'entretien des indigents
dans les dépôts de mendicité, sauf les subsides qu'elles peuvent demander à la
province, quand leurs ressources sont insuffisantes.
M. Dedecker. - La difficulté que je remarque dans l'appréciation des projets de
réforme que le gouvernement propose provient, selon moi, de ce qu'on ne se rend
pas un compte exact de ce que c'est qu'un dépôt de mendicité. Quelles catégories
d'individus contiennent ces dépôts ? L'honorable M. d'Elhoungne l'a dit, des
vieillards, des infirmes, des adultes des deux sexes et des enfants des deux
sexes.
Ce pêle-mêle est évidemment, aux yeux de tous, le
vice radical des dépôts de mendicité. Je voudrais donc que, pour entrer dans un
système rationnel, ou pût opérer un classement parfait des diverses catégories
de mendiants.
Je voudrais d'abord que, pour les vieillards et les
infirmes, on encourageât par des subsides la création d'établissements tels que
ceux dont a parlé M. d'Anethan, et tels qu'il s'en trouve aujourd'hui dans la
plupart des grandes communes des Flandres. Ce sont des hospices où les
vieillards et les valétudinaires sont employés, dans la mesure des forces qui
leur restent, à de petites exploitations agricoles, et où on les entretient par
conséquent à très peu de frais.
Viennent ensuite les jeunes mendiants.
Je ne puis, en aucune façon, partager la manière de
voir de l'honorable M. d'Elhoungne, relativement à l'établissement de maisons
de réforme pour les enfants.
L'honorable M. d'Elhoungne croit qu'il ne fallait
pas commencer par créer des dépôts spéciaux pour les enfants, et que ces dépôts
seront parfaitement inutiles.
Je suis, je l'avoue, d'une opinion tout autre. Je
crois que c'est par là qu'il fallait commencer la réforme des dépôts de
mendicité. On ne peut continuer plus longtemps de confondre les enfants avec
les adultes et les vieillards. C'est le principal inconvénient, le plus grand
vice que le gouvernement devait, avant tout autre, s'attacher à faire
disparaître. Ensuite, je crois que c'est précisément la réforme relative aux
jeunes mendiants qui sera le plus immédiatement et le plus directement
efficace. Car, comme je le disais il y a deux jours, pour les mendiants valides,
pour ces mendiants invétérés et incorrigibles, il y a bien peu de chose, il n'y
a rien à faire ; toutes les législations, toutes les administrations ont
toujours été impuissantes contre eux ; sur les jeunes mendiants, au contraire,
on peut exercer encore une certaine action ; là il y a encore de mauvais
penchants à réformer, de bonnes habitudes à créer, une éducation morale, une
instruction professionnelle à donner.
La critique faite, par l'honorable membre, des
établissements en faveur des jeunes mendiants me surprend d'autant plus, qu'il
vient de flétrir si énergiquement ce trafic odieux par lequel on adjuge parfois
les enfants, cette espèce de traite de blancs.
L'honorable M. d'Elhoungne se révolte, et avec
raison, à l'idée de cette barbare coutume ; de l'autre côté, il combat
l'institution de dépôts spéciaux pour les enfants indigents. Veut-il continuer
à les laisser dans nos dépôts actuels, en contact avec tous les vices ? Je ne
puis le supposer un seul instant. Que veut-il donc ? Que veut-il que les
communes en fassent ?
Il faut donc des institutions spéciales pour
l'enfance indigente. Il importe de les organiser sur un pied économique, sans
doute ; je demande, avec la section centrale, que l'on fixe au taux le plus bas
possible le maximum pour la journée d'entretien de ces enfants. Il n'y a à cet
égard qu'une voix, parce qu'il faut, avant tout, que ces dépôts aient un
caractère d'utilité positive ; il faut que les administrations communales aient
intérêt à placer dans les établissements nouveaux ces enfants qui sont
aujourd'hui abandonnés à toutes les incuries d'une odieuse spéculation.
Reste la nombreuse catégorie des mendiants, celle
des adultes. C'est cette catégorie qui forme la masse de la population des
dépôts. L'honorable M. d'Elhoungne les prend en masse, et propose pour eux la
création, dans l'avenir, d'un nouveau dépôt. Je crois, quant à moi, qu'il y a
une distinction essentielle à faire entre ces indigents adultes entassés dans
les dépôts actuels de mendicité.
Vous ne pouvez confondre des mendiants invétérés,
des hommes abrutis, condamnés comme vagabonds, avec des indigents honnêtes, qui
n'ont eu que le malheur de manquer momentanément de travail et de devoir
demander du pain. Je ne puis consentir, pour ma part, à ce que l'on continue de
confondre, dans les dépôts de mendicité, ces malheureux avec des hommes flétris
par la justice.
Qu'y a-t-il donc là à faire ?
Je voudrais que les dépôts de mendicité actuels
fussent affectés exclusivement, comme établissements de répression, aux
mendiants adultes, condamnés comme vagabonds, et aux mendiants d'habitude, qui
refusent obstinément le travail qu'on leur offre dans leur localité. Je
voudrais donc voir exclure des dépôts de mendicité ceux qui, momentanément sans
ouvrage, sont forcés aujourd'hui de s'y présenter volontairement.
Pour ces derniers, je voudrais que l'on créât dans
les campagnes, aux frais des communes, des exploitations agricoles dans le
genre des ateliers de charité existant dans les villes. L'honorable M.
d'Elhoungne a si bien aperçu la lacune qui existe aujourd'hui, que lui-même
propose la création d'un dépôt pour les adultes valides.
Au lieu de l'établissement
que propose l'honorable M. d'Elhoungne, et que M. le ministre de la justice
déclare évidemment insuffisant, j'aimerais bien mieux que l'on organisât, dans
les campagnes, quelques établissements dont je viens de parler. Dans ces
maisons de travail agricole, où travailleraient librement et volontairement les
indigents momentanément sans ouvrage, l'entretien ne coûterait presque rien ;
tandis que les deux dépôts pour les adultes que M. le ministre se propose de
créer coûteront immensément cher. Car ce qui fait la dépense de ces
établissements, c'est la réclusion : il faut pour cela de grands bâtiments, un
personnel nombreux ; tandis qu'avec une exploitation agricole où le travail est
libre et volontaire, vous n'avez aucune de ces grandes dépenses.
Sans cette classification des indigents entassés
pêle-mêle dans nos dépôts de mendicité, sans la création d’établissements
spéciaux pour chacune de ces catégories, la réforme de ces dépôts sera bien
incomplète et ses résultats seront bien équivoques.
M. d’Elhoungne. - Je suis presque confus de faire si souvent appel à l'attention de la
chambre. Mais elle doit comprendre que l'objet en discussion est d'une
importance vraiment vitale. La question qui nous est soumise est celle de la
mendicité ; il s'agit de savoir si nous sommes décidés, chambre et
gouvernement, à déclarer une guerre énergique à cette lèpre de la mendicité qui
s'étend de plus en plus et devient une véritable calamité pour tout le pays.
Je demanderai donc la permission d'expliquer mieux
ma pensée, que la plupart des honorables préopinants ne paraissent pas avoir
nettement saisie.
Les dépôts actuels de mendicité ne fonctionnent pas
bien, n'atteignent pas leur but. On a constaté, et je pense qu'on eu
généralement d'accord pour reconnaître qu'ils ont trois vices principaux.
Le premier résulte de la faculté qu'avaient les
mendiants et les indigents d'entrer au dépôt et d'en sortir à volonté. C'est là
le vice capital du système, celui qui empêchait d'introduire dans les dépôts
toute discipline, toute organisation régulière et faisait de la population de
ces dépôts une espèce de masse flottante sur laquelle on ne pouvait faire aucun
compte assuré. Le projet, par les articles premier et suivants, met un terme à
cet état de choses.
Le second inconvénient résulte du défaut de
classement.
Il y en a un troisième : l'absence, dans les dépôts
de mendicité actuels, du travail qui convient le mieux à ces sortes
d'établissements, du travail agricole ; travail qui est partout demandé, qui
convient à tous et qui ne fait pas à l'industrie normale, à l'industrie
individuelle et libre, une concurrence irrégulière et dangereuse.
Pour le classement, il y avait deux moyens d'y
parvenir ; moyens indirects, il est vrai, mais efficaces, en soustrayant
plusieurs des catégories de détenus qui sont aujourd'hui réunis dans les
dépôts.
On pouvait, en effet, obtenir une sorte de
classement en soustrayant des dépôts les jeunes garçons et les hommes adultes,
pour les mettre dans les dépôts agricoles. C'est le système que je crois le
meilleur.
On peut arriver à un deuxième classement ; c’est
celui qui est adopté par M. le ministre de la justice, et qui consiste à
soustraire des dépôts actuels les jeunes gens des deux sexes. Mais je trouve ce
second moyen moins complet, moins décisif que l'autre. A la rigueur je m'y
rallierai ; mais j'eusse préféré voir soustraire des dépôts actuels
exclusivement les adultes et les jeunes gens du sexe masculin.
M. Dedecker. - Il n'y resterait plus rien.
M. d’Elhoungne. - En soustrayant des dépôts actuels de mendicité les mendiants adultes
et les jeunes garçons, il resterait précisément les vieillards, les infirmes
qui y sont encore, les femmes et les filles, je pense que cela suffirait
amplement à les peupler.
Je voyais un grand avantage à opérer le classement
en enlevant aux dépôts actuels les mendiants adultes et les jeunes gens, parce
que ce sont précisément les deux catégories qu'il faut appliquer au travail
agricole. Les jeunes gens, c'est au travail agricole qu'il faut les former ;
les mendiants adultes, c'est aux travaux de l'agriculture, et aux travaux les
plus durs qu'il faut encore les appliquer.
Pour les jeunes filles et les femmes, ainsi que
l'honorable M. Orban l'a fait remarquer, le travail agricole n'est qu'accessoire.
Il y a donc utilité à les exercer à des travaux autres que les travaux
agricoles, parce qu'elles ne peuvent remplir, dans ceux-ci, qu'un rôle tout à
fait subalterne.
Le gouvernement, par des considérations que la
chambre appréciera, a préféré demander d'opérer le classement en soustrayant
seulement des dépôts actuels les jeunes garçons et les jeunes filles.
Eh bien ! Je suis d'accord avec le gouvernement,
avec l'honorable préopinant et avec la section centrale elle-même, que, pour
les jeunes gens du sexe masculin, c'est une mesure utile, une mesure qui aura
d'excellents effets, si tant est qu'on lui fasse prendre un certain
développement. Mais quant aux jeunes filles, je persiste à contester que la
création d'un pareil établissement soit nécessaire et urgente. Et, si je
considère la pensée même du gouvernement, il semble peu logique de faire cet
essai pour les jeunes filles. Voici pourquoi.
Le gouvernement, M. le ministre l'a dit, ne renonce
pas à créer un dépôt agricole pour les hommes adultes. Cela étant, est-ce qu'il
ne restera pas un des dépôts existants dans lequel on pourra former un
établissement pour les jeunes filles ? et d'autant plus qu'il y en a un prêt à
(page 967) recevoir cette
destination, le dépôt d'Hoogstraeten, où les femmes et les filles sont exercées
au travail agricole.
J'ai dit ensuite qu'en créant un dépôt pour les
jeunes garçons, on prenait une bonne mesure, mais que je craignais de voir
cette mesure produire peu de fruits pour les communes pauvres, et notamment
pour les communes des Flandres. Je persiste à croire, malgré les observations
de l'honorable M. d'Anethan, que cette opinion est fondée. L'observation des
faits la justifie.
On dit : Lorsque les communes montreront du mauvais
vouloir, les députations permanentes seront là pour les forcer à mettre leurs
jeunes indigents au dépôt agricole. Mais l'honorable M. d'Anethan perd de vue
que lorsqu'une députation permanente ordonne de faire entrer au dépôt un jeune
indigent, la commune a le droit de l'en faire sortir en s'obligeant à lui
donner des secours. Or, la commune aura toujours plus d'économie à élever les
enfants indigents chez elle, à continuer à les mettre en adjudication publique,
puisque cette barbare coutume s'introduit chez nous, qu'à les faire entrer au
dépôt de mendicité ou dans une école de réforme.
C'est pour ce motif que j'aurais voulu voir
proposer par le gouvernement l'adoption d'un maximum pour le prix de la journée
d'entretien. La fixation d'un maximum était une chose excellente en soi, parce
que, non seulement c'était un attrait pour les communes, mais parce que c'était
en même temps un frein pour l'administration que l'on forçait ainsi à organiser
cet établissement avec économie. En fixant un maximum, d'une part on assurait
des pensionnaires à l'établissement, et d'autre part on sauvegardait les
communes contre les tendances qu'a toute administration d'organiser d'une
manière trop onéreuse.
Lorsqu'on fonde un pareil établissement, il faut
voir les choses de haut et de loin. Il faut se dire qu'il s'agit surtout d'un intérêt
d'avenir. On ne peut viser à l'amortissement du capital engagé, car le dépôt
agricole qu'on achète est un fonds, est une propriété qui acquiert de la
valeur, et s'il est à portée de terrains incultes qu'on défriche
successivement, il peut augmenter considérablement de valeur. Il y a donc déjà
là une plus-value ; il ne reste plus qu'à organiser et administrer avec
économie pour arriver même à se placer au-dessous du maximum indiqué par la
loi. Sans doute on n'y arriverait pas au commencement, parce que les frais de
premier établissement sont considérables ; parce que les tâtonnements et les
erreurs sont inévitables au début ; mais à force d'économie le gouvernement y
viendrait. Et pour prouver qu'il peut y venir, j'invoquerai le même exemple que
l'honorable M. d'Anethan.
II est parfaitement vrai que, dans les Flandres, il
existe de petits hospices où l'on entretient les vieillards à un taux presque
incroyable. Je citerai l'hospice d'Oost-Nieuwkerke, où la journée d'entretien
n'est que de 9 centimes ; l'établissement de Steenkerke, où la journée
d'entretien est de 13 centimes ; l'établissement de Sleydinghe où la journée
d'entretien est de 24 centimes. C'est que, grâce aux travaux de l'agriculture,
l'établissement produit lui-même la nourriture de tous les pensionnaires. Ceux
qui ne sont pas occupés au travail agricole, ou qui, par suite du chômage de ce
travail, sont retenus à l'intérieur de l'établissement, sont employés à
fabriquer les étoffes nécessaires à l'habillement, etc. Il résulte de cet
ensemble une administration si économique, si favorable, que l'entretien des
détenus ne coûte presque rien.
Or, si le gouvernement
avait le frein d'un maximum, s'il était astreint à ne pas dépasser une certaine
somme de dépense, il imiterait ces petits hospices de nos Flandres. Mais si
vous laissez à l'administration les coudées franches, elle oubliera les
économies, et votre établissement, devenu trop cher, chômera. Vous n'aurez donc
pas de pensionnaires ; vous ne trouverez guère de communes qui voudront
souscrire à des sacrifices trop considérables, surtout dans les commencements,
pendant lesquels l'établissement coûtera le plus cher, où les frais
d'administration seront le plus élevés.
Et voyez, messieurs, comme on irait, en quelque
sorte, à rebours de bon sens : on n'aurait pas de pensionnaires, on n'aurait
pas de jeunes indigents, précisément à l'époque où doit commencer la guerre
contre la mendicité, à l'époque où il est de la plus grande nécessité que
l'établissement fonctionne et fonctionne avec le plus d'activité et d'énergie
On porterait la journée d'entretien à un taux exagéré, précisément à l'époque
où les communes sont épuisées. Il est évident que le but serait manqué.
M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour donner des
explications sur ces hospices de vieillards dont vient de parler l'honorable
préopinant. Dans le district de Roulers seul, il y a peut-être une douzaine
d'hospices de ce genre, où l'on entretient les vieillards moyennant 13, 14 ou
15 centimes par jour, et voici comment on est parvenu à obtenir une économie
aussi considérable. Ce sont les sœurs de charité qui se chargent de cet
entretien moyennant la rétribution minime que je viens d'indiquer. Cela se fait
en vertu d'un contrat avec le bureau de bienfaisance. Les sœurs n'ont aucun
traitement. Quelques arpents de terre sont annexés à chaque établissement, et
les vieillards se livrent, chacun dans la mesure de ses forces, à la culture de
cette terre. Ainsi aucune ressource n'est perdue, et, d'un autre côté, aucune
dépense d'administration n'est faite puisque, je le répète, les sœurs de
charité n'ont pas de traitement. Je ne crois pas, messieurs, que le
gouvernement puisse faire les choses avec autant d'économie, car il voudra
probablement payer des traitements. Dans tous les cas, je l'engage à étudier
sérieusement l'organisation de ces hospices ; mais je ne pense pas qu'on puisse
s’en rapporter à ce que coûte la journée d’entretien dans des établissements de
cette nature pour évaluer ce que coûtera l’établissement dont il s'agit en ce
moment. Dans la commune que j'habite, l’hospice possède, je pense, 3 hectares
de terre ; il y a une maison qui a été donnée par un particulier, et cet
hospice entretient 80 vieillards moyennant une rétribution de 15 centimes par
tête et par jour.
M. le président. - Il y a deux amendements, le premier consiste à supprimer les mots :
« Sous le titre de dépôts agricoles.» L'autre consiste à retrancher dans le
deuxième paragraphe les mots : « Les jeunes gens et particulièrement. » M. le
ministre s'est rallié à ces deux amendements.
- Les deux amendements sont successivement mis aux
voix et adoptés.
L'article ainsi amendé est ensuite adopté.
Article 7
« Art. 7. Le gouvernement fera, chaque année,
un rapport aux chambres législatives sur l'établissement de réforme des jeunes
reclus. »
M. le ministre de la
justice (M. de Haussy). -
Messieurs, par suite d'un amendement qui vient d'être adopté, il y aura lieu de
rédiger le deuxième paragraphe de l'article 7 de la manière suivante : « Par
exception à l'article 4, les enfants et les jeunes gens entrés volontairement
ou transférés dans ces établissements, à la suite d'une condamnation du chef de
mendicité ou de vagabondage, y seront retenus pendant 6 mois au moins s'ils y
sont pour la première fois et au moins pendant un an s'ils y sont entrés plus
d'une fois. »
PROJET DE LOI FIXANT LE CENS ELECTORAL POUR LA NOMINATION DES DEPUTES ET DES SENATEURS AU MINIMUM ETABLI PAR LA CONSTITUTION
M. de Brouckere. - Messieurs, la section centrale, à laquelle vous avez renvoyé
l'examen du projet de loi de réforme électorale, a terminé ce matin ses
opérations. Elle m'a chargé de vous présenter son rapport. Je demanderai à la
chambre si elle désire que je lui donne immédiatement lecture de ce rapport. (Oui ! oui !) En ce cas, messieurs, je
réclamerai votre indulgence.
« Messieurs, après la révolution de 1830, les
représentants de la nation, à peine réunis en congrès, proclamèrent, d'une
commune voix, l'indépendance du peuple belge, et peu de jours après, ils
déclarèrent que le peuple adoptait, pour forme de son gouvernement, la
monarchie constitutionnelle représentative, sous un chef héréditaire.
« Ces deux grands principes décrétés, le congrès
vota avec la plus complète indépendance, et après une discussion dans laquelle
toutes les opinions avaient pu se faire jour, une Constitution qui garantit au
pays la jouissance de tous les droits, de toutes les libertés, pour la conquête
desquels il venait de combattre d'une manière si glorieuse.
« Egalité de tous devant la loi, liberté
individuelle, liberté des cultes, liberté de l'enseignement, liberté de la
presse, inviolabilité du domicile, garantie de la propriété, droit de
s'assembler et de s'associer, tels sont les grands principes qui forment la
base de la Constitution et dont les autres bienfaits qu'elle nous assure ne
sont, en quelque sorte, que les conséquences.
« Nous pouvons le dire avec un légitime orgueil,
nul peuple en Europe n'est plus libre que le peuple belge, et nul peuple à
aucune époque ne s'est montré plus digne de la liberté.
« Aussi les hommes aux sentiments les plus généreux
applaudissaient-ils généralement aux institutions qui nous régissent, et ils
l'eussent fait sans réserve, peut-être, s'ils n'avaient vu un vice réel dans le
système électoral adopté en 1831.
« L'article 47 delà Constitution avait fixé à 100
fl. d'impôt direct le maximum, et à 20 fl. le minimum du cens qui devait être
requis par la loi, pour donner le droit de faire partie du corps électoral
appelé à élire les membres des chambres. La loi du 3 mars 1831, réglant
l'exécution de cette disposition, établit pour les diverses localités du
royaume un cens inégal, qui varie depuis 20 fl. jusqu'à 80 fl.
« C'est cette inégalité du cens et sa trop grande
élévation dans un certain nombre de localités qui ont suscité des réclamations,
devenues plus vives dans ces derniers temps. Nous devons seulement faire
remarquer que parmi les partisans d'une réforme électorale, les uns la
voulaient immédiate et complète, tandis que d'autres préféraient qu'elle eût
lieu partiellement et progressivement.
« Quoi qu'il en soit, pour ceux qui ont pu
apprécier le calme et la sagesse qu'apporte depuis dix-sept ans la nation belge
dans l'exercice de ses droits politiques, il ne peut exister aucune appréhension
motivée que l'abaissement et le nivellement du cens électoral, quelle que doive
être l'augmentation du nombre des électeurs qui en sera la suite, produisent
des conséquences que le pays ait à regretter. .
« Messieurs, le gouvernement, mû par des considérations
auxquelles on ne saurait trop applaudir, est venu spontanément présenter à la
chambre un projet de loi, fixant le cens électoral à 20 florins pour tout le
pays ; et tel est le sentiment qu'ont tous les membres de la chambre de la
situation du pays, tel est le désir d'union qui les anime que le projet de loi
n’a pas rencontré dans les sections un seul adversaire.
« La section centrale l’a également adopté à
l’unanimité, et elle se fût bornée là, laissant au gouvernement le soin de
présenter à la chambre les mesures d'exécution que le nouveau système électoral
pourra rendre nécessaires, si l’on n’avait manifesté la crainte que plus tard
on ne trouvât dans la loi qui vous est proposée un prétexte pour scinder les
collèges électoraux en fractions, qu’on réunirait dans des localités
différentes, par exemple dans les chefs-lieux de canton.
« M. le ministre de l’intérieur, appelé au
sein de la section centrale, n’a pas hésité à déclarer que, dans l’opinion du
gouvernement, le vote (page 968) des
électeurs au chef-lieu du district et l'abaissement du cens électoral à 20
florins, étaient connexes et inséparables. Il a ajouté qu'il ne voyait aucun
inconvénient à ce que le projet en discussion confirmât le principe consacré
par l’article 19 de la loi du 3 mars 1831, et statuât que les électeurs
continueront à se réunir au chef-lieu du district administratif.
« En conséquence, la section centrale vous propose
l'adoption du projet de loi dont la teneur suit :
« Art. 1er. Le cens électoral pour la
nomination des membres de la chambre des représentants est fixé, pour tout le
royaume, au minimum établi par la Constitution (20 fl., soit fl. 42-32).
« Art. 2, Les électeurs continueront à se réunir au
chef-lieu du district administratif, dans lequel ils ont leur domicile réel.
« Elle considère ce projet de loi comme devant
augmenter encore l’attachement que le pays entier a voué à nos institutions et
resserrer l'union qui, aujourd'hui plus que jamais, nous est nécessaire pour
conserver notre nationalité et notre indépendance. »
- Ce rapport, dont la lecture provoque de
nombreuses marques d'adhésion, sera imprimé et distribué.
La chambre le met à l'ordre du jour de samedi
prochain.
MOTION D’ORDRE
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, mon collègue M. le ministre des
finances a déposé, il y a quelque temps, un projet de loi ayant pour objet
d'allouer au département des travaux publics un crédit supplémentaire de
3,640,000 fr., pour les travaux du canal latéral à la Meuse. Une grande partie
des sommes pour lesquelles le crédit a été demandé est maintenant exigible.
Dans les circonstances actuelles, ce payement est d'une urgence extrême. Je
demande donc que les sections s'occupent incessamment de ce projet de loi.
M. d’Elhoungne. - Je demanderai à M. le ministre des travaux publics de vouloir bien examiner
s'il ne pourrait pas proposer aussi de disjoindre de la loi générale des
travaux publics, les crédits demandés pour le canal de Schipdonck et pour celui
de Zelzaete
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, il n'y a pas urgence à voter ces
crédits. Le département des travaux publics fait remplir les formalités
nécessaires pour arriver à l'expropriation des terrains pour le canal de
Schipdonck ;- jusqu'à ce que ces formalités soient remplies, et qu'on soit en
possession des terrains, il n'y a pas de fonds à dépenser pour acquisition de
terrain, et encore moins pour les travaux proprement dits des deux canaux, Si
l'urgence se révèle, je demanderai la disjonction ; et je saisirai la chambre
d'une proposition spéciale à cet égard.
M. d’Elhoungne. - Très bien !
- La séance est levée à 4 1/2 heures.