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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 janvier 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 589) M. Troye procède à l'appel nominal à midi et quart.

M. T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Troye présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Les habitants de plusieurs communes du canton d'Andenne prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.


« Plusieurs notaires du canton d'Ellezelles présentent des observations concernant le projet de loi sur le notariat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le conseil communal de Beaufays demande que le chef-lieu du canton de Louvegné soit transféré à Beaufays et que les communes de Tilff et d'Embourg soient réunies à ce canton. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


« Plusieurs habitants de Hulsen, commune de Baelen, présentent des observations sur la direction à donner à la route de Mall à Beeringen. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


« Le sieur Wellain, membre du conseil communal de Forges, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à ce que le bourgmestre de cette commune se conforme à l'article 62 de la loi communale et que les décisions du conseil soient respectées. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Nivelles et de la banlieue présentent des observations contre la suppression du premier canton de justice de paix de cette ville. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


« Plusieurs habitants de Courtray demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »

(page 590) Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion des budgets.


« Le sieurVanden Moortgat demande que le gouvernement fasse abattre les arbres qui se trouvent sur la chaussée de Grammont à Gand, et qui empêchent l'exploitation de son moulin à vent situé à Steenhuyze-Wynhuyze. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Malou demande un congé de 6 jours à partir de lundi prochain.

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1848

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisance

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur l'ensemble du chapitre IX, Etablissements de bienfaisance.

M. Malou. - Messieurs, il semble, au premier abord, que le débat engagé devant cette chambre doit être stérile et sans résultat ; il semble, comme on le dit quelquefois, qu'en se livrant à cette discussion la chambre perd son temps. Je crois pouvoir établir qu'il n'en est rien, que non seulement il s'agit d'un intérêt très grand, d'un intérêt vital pour les classes les plus nombreuses, mais que cette discussion doit avoir un résultat sérieux, sinon aboutir à un vote immédiat. En effet, s'il est démontré au gouvernement que l'application de son système contrarie tous les intérêts dont il est le tuteur, s'il est démontré que l'application de ce système, lors même qu'elle serait légale, est fatale pour les intérêts qu'il doit sauvegarder, de deux choses l'une : dans la première hypothèse ii cherchera à faire une meilleure application des lois, dans la seconde les chambres sauront qu'il est de leur devoir d'aviser.

Messieurs, ce n'est pas trop que de consacrer à l'examen de notre législation sur la bienfaisance publique quelques heures dans une seule session.

Il y a ici, messieurs, un fait et un système. Le fait, c'est l'application que le gouvernement a faite de l'article 84 de la loi communale en ce qui concerne le legs fait par le curé Lauwers.

Le système, c'est que désormais l'article 84 de la loi communale serait à peu près annulé, c'est que la bienfaisance privée serait restreinte, sinon annulée, dans ses rapports avec la bienfaisance publique.

.La question de légalité a son importance sans doute. Loin de moi la pensée de vouloir la méconnaître ; mais cependant je m'y arrêterai très peu, les motifs de l'une et de l'autre opinion ont été développés, je n'hésite pas à le dire, avec un talent tellement remarquable qu'il serait téméraire à moi de vouloir ajouter de nouvelles considérations aux arguments qui ont été produits.

Mais cette question présente un autre côté plus digne de l'attention de la chambre et du pays, c'est le côté social, et je dirai chrétien, de l'application du système du gouvernement. Quant à la question de légalité, il n'entre sans doute dans l'opinion de personne de contester au gouvernement le droit de réduire les dispositions testamentaires faites en faveur des pauvres ; l'article 910 du Code civil confère ce droit ; le gouvernement peut en user, d'après l'exposé des motifs de cet article, quand il trouve un excès condamnable dans les dispositions qu'il est appelé à approuver. Ainsi le droit de restriction est évident, mais si l'on ne veut pas arrêter l'essor de. la charité privée et nuire au développement de la charité publique, ce droit doit être exercé avec prudence selon l'ensemble des principes de notre législation civile.

Ici un fait me frappe en premier lieu : si les père et mère de M. Lauwers lui avaient survécu, quelle eût été, d'après notre droit civil, la part qui leur serait revenue ? Ils auraient pu obtenir chacun un quart de la succession. Si, dans cette hypothèse, M. Lauwers avait disposé de la moitié de sa succession, la disposition était complètement inattaquable d'après le droit civil ; son père et sa mère n'auraient obtenu chacun qu'un quart de la succession. N'ayant pas laissé d'ascendants, il pouvait disposer de la totalité de sa succession au profil d'un tiers, comme il a pu en disposer au profit des pauvres. C'est en présence de cette législation que le gouvernement a cru pouvoir disposer (car remarquez que c'est le gouvernement qui a testé ; ce n'est pas M. Lauwers), a cru pouvoir disposer, dis-je, de la moitié de sa succession au profit de collatéraux.

Quoiqu'il s'agisse ici d'un droit, je dirai que l'application, l'usage de ce droit n'a pas été fait avec discernement, n "a pas été fait de manière à encourager la bienfaisance.

Est-ce bien sérieusement que, pour justifier le système de l'arrêté du 30 décembre, on invoque l'article 900 du Code civil ?

Est-ce bien sérieusement qu'en présence de cette clause si formelle : « Je veux que la distribution soit faite par les curés », on vient vous dire qu'il s’agit d’une condition contraire aux lois ? Je ne pense pas qu'il y ait un jurisconsulte, ni dans cette chambre, m dans le pays, qui puisse voir une condition dans une clause aussi formelle. C'est l'institution même ; c'est le mode d'exécution de l'institution. Ce n'est pas une condition que le gouvernement a réputée non écrite. C'est une clause du testament elle-même que le gouvernement a réputée non édite.

Un mot sur l'article 84 de la loi communale. Je me replace un instant sur le terrain où s'est placé l'honorable député de Bruxelles, M. Tielemans. L'honorable membre reconnaît(si je l'ai bien compris) que les règlements de 1824 et 1825 donnent le droit pour l'avenir de constituer des administrateurs spéciaux. Mais il ajoute que ces règlements n'étaient pas légaux ; il ajoute que la loi communale, sans prétendre rien innover, a consacré, pour le passé et pour l'avenir, le système des règlements de 1824. Quelles sont les conséquences naturelles de ce raisonnement ? C'est qu'à présent, non en vertu des règlements, mais en vertu de la loi communale, qui, sans innover, a maintenu les principes de ces règlements, il est permis à la bienfaisance privée de constituer des administrateurs spéciaux pour les legs faits aux pauvres.

Telle est la conséquence logique du système qui a été soutenu hier, avec tant de talent, devant vous.

Ce n'est pas à dire qu'en présence de telle institution, de telle clause, si bizarre qu'elle puisse être, le gouvernement doive approuver ou rejeter, d'une manière absolue, les dispositions testamentaires faites dans l'intérêt des indigents. Mais il est un principe dont le gouvernement ne doit jamais s'écarter.

Il ne doit pas à plaisir, sans évidente nécessité, s'écarter de la volonté du testateur ; il doit au contraire, pour la saine appréciation de ces actes, s'attacher à concilier dans une juste mesure, selon les principes des lois et selon la volonté du testateur, ces dispositions mêmes avec les dispositions générales organiques de la charité publique.

Ce système avait prévalu jusqu'à ce jour. A mon grand regret, on s'en est écarté dans cette circonstance.

Je citerai les faits qu'a rappelés hier l'honorable ministre de la justice.

En 1837, une dame protestante légua aux fabriques des églises catholiques de Bruxelles et au consistoire protestant des sommes importantes.

La question soumise au gouvernement était donc de savoir si les fabriques d'églises peuvent accepter au nom des pauvres, si en d’autres termes elles sont personnes civiles ou susceptibles de le devenir pour autre chose que pour l'objet spécial de leur mission, c'est-à-dire pour le cuite. Eh bien, cette question, le gouvernement la décide négativement, et il a raison, parce que les fabriques d'églises ne peuvent pas être transformées en bureaux de bienfaisance. Elles ont, d'après la loi, un caractère, un mandat spécial.

Mais s'ensuit-il que le gouvernement annule toutes les clauses du testament ? S'ensuit-il que le gouvernement substitue sa volonté à celle de la testatrice ? En aucune manière. Le gouvernement dit : Les hospices de Bruxelles ont seuls qualité pour accepter la donation ; mais pour nous conformer à la volonté de la testatrice, les hospices de Bruxelles remettront le produit des capitaux aux pauvres que les fabriques des églises et que le consistoire protestant leur désigneront chaque année.

(page 591) C’est là, messieurs, ce que j'appelle concilier le système général des lois sur la bienfaisance publique avec la volonté clairement, directement exprimée par la testatrice.

Voilà ce qu'on a fait en 1837. Voilà ce que M. le ministre de la justice a appelé hier, les vrais principes, et c'est là aussi, messieurs, puisqu'il faut le dire, précisément le contraire de ce qu'on a fait aujourd'hui.

La deuxième question qui s'est présentée, est celle au sujet de laquelle j'ai fait dans les bureaux, comme fonctionnaire, une note dont M. le ministre de la justice a cru pouvoir donner lecture partielle à la chambre.

Je n'examine pas, messieurs, cette question comme précédent administratif, comme idée gouvernementale. Je veux seulement attirer l'attention de la chambre sur ce point. Pour moi, quant à la note en elle-même, et quant au système dont elle est l'expression, je ne puisque remercier M. le ministre de la justice d'avoir bien voulu la produire.

Voici, messieurs, quel était le fait.

Une dame lègue une somme aux pauvres protestants de Maria-Hoorebeke. Le bureau de bienfaisance de cette commune demande à être autorisé à accepter ce legs, et le diaconat protestant de Maria-Hoorebeke forme, de son côté, la même demande.

Je fus consulté sur cette question, et pénétré de l'idée qu'il faut maintenir l'unité dans la charité légale, que le bureau de bienfaisance est seul le représentant des pauvres de tous les cultes, je conclus que le gouvernement devait autoriser l'acceptation du legs par le bureau de bienfaisance de Maria-Hoorebeke ; mais je conclus en même temps dans une autre partie de cette note qui est déposée sur le bureau à ce qu'on observe la volonté de la testatrice, c'est-à-dire à ce que cette somme parvienne aux pauvres protestants de Maria-Hoorebeke ; le gouvernement a disposé dans ce sens, conciliant encore une fois la volonté manifeste de la testatrice avec les exigences générales de notre système de bienfaisance publique. Tel est le deuxième précèdent dont on s'est complètement écarté aujourd'hui.

Troisième fait.

On lègue aux pauvres de Bruges, pour être distribuée par les curés, une somme de 126,000 fr. Le gouvernement autorise encore une fois les représentants légaux des pauvres, l'administration publique, à accepter le legs ; mais il maintient la volonté du testateur, eu ce sens que la distribution se fait par les personnes que le testateur a désignées.

Je dis, messieurs, que ces faits ne sont pas les seuls. A Bruxelles même, comme on vous l'a déjà dit, les hospices remettent chaque année à des personnes qui ont été désignées par les testateurs, des sommes provenant de capitaux dont ils ont l'administration.

Messieurs, permettez-moi de placer ici une considération morale. Il y avait à Bruxelles une jurisprudence administrative connue. Le curé Lauwers devait la connaître mieux que personne, parce que chaque année il lui en était fait application par la remise de sommes provenant ainsi de fondations particulières.

En présence de ce précédent, le testament est doublement faussé dans son application, puisque le curé Lauwers devait savoir, devait croire du moins que cette jurisprudence était fondée sur la loi : il devait croire que son testament sortirait ses effets. Or, s'il résulte quelque chose de ce débat, c'est que le testament du curé Lauwers ne sort ses effets sous aucun rapport, ni quant au mode ni quant à la distribution ; en effet le mode a été vicié par l'arrêté royal du 30 décembre et la distribution a été viciée par l'application que les hospices font des capitaux légués par M. Lauwers.

Veuillez remarquer, messieurs, que dans le système que je défends, on résout à la satisfaction de tous les intérêts, les objections fondamentales présentées hier par l'honorable M. Tielemans.

En effet, messieurs, il est évident que dans ce système le patrimoine du pauvre est complètement garanti par l'intervention de l'autorité publique ; mais on évite, m même temps, d'aller au-delà du but, on évite de restreindre la bienfaisance privée, de s'opposer aux volontés si diverses des hommes, en leur imposant une gêne que la loi n'exige pas et qui ne peut avoir d'autre effet que de paralyser la charité privée, dans ses rapports avec les intérêts publics.

Voici donc, l'un en regard de l'autre, les deux systèmes : le gouvernement pense que, d'après les lois actuellement existantes, il lui est complètement interdit, en toute hypothèse, de permettre à d'autres, curés, particuliers, membres de la famille, étrangers, à d'autres qu'aux hospices ou aux bureaux de bienfaisance, d'accepter des legs ; en quoi il a raison ; mais il ne veut pas permettre à d'autres, et même sous le contrôle de l'autorité publique, de faire la distribution, la remise des sommes provenant de ces legs. Nous, au contraire, nous pensons (car je pense qu'on s'est exagéré les conséquences du système de mon honorable ami M. d'Anethan), nous pensons que le gouvernement peut, en vertu de l'article 84 de la loi communale, et tout en exigeant les garanties nécessaires pour la conservation du patrimoine des pauvres, permettre que la volonté des fondateurs, lorsqu'ils confient à d'autres mains qu'à celles des hospices le soin de distribuer le fruit de leur libéralité, que cette volonté sorte set effets, et soit conciliée ainsi avec les exigences des intérêts publics.

Ces deux systèmes ainsi définis, permettez-moi de les rapprocher l'un de l'autre, au point de vue social, au point de vue de l'intérêt des familles, du droit de propriété, de l'intérêt des pauvres. Telle me paraît être la véritable question qui s'agite dans ce débat.

(page 592) Et d'abord, messieurs, nous le savons tous, la révolution française a fait d'immenses ravages dans le patrimoine des pauvres. Consultez aujourd'hui vos budgets, les budgets des communes, les budgets des établissements publics, vous verrez que la charité légale reçoit aujourd'hui des communes des subsides qui pour tout le royaume s'élèvent annuellement à plus de 3 millions.

J'ai indiqué l'année dernière, dans la discussion du budget des voies et moyens, d'après les renseignements incomplets qu'il m'avait été possible de recueillir, ce chiffre de 3 millions, que je crois de beaucoup au-dessous de la réalité.

Les ressources de la charité légale sont donc insuffisantes et il est de l'intérêt de l'administration, de l'intérêt de tous, d'exciter la bienfaisance privée, afin qu'on puisse un jour en venir à ce résultat que dans toutes les localités, comme cela n'existe malheureusement que d'une manière très exceptionnelle pour quelques-unes, les institutions de bienfaisance puissent se suffire, faire face à leurs dépenses par leurs revenus et se passer des subsides communaux.

L'intérêt est évident ; tout système qui tendra à restreindre l'action de la charité privée est donc contraire aux intérêts d'une bonne administration, contraire aux intérêts de la société.

Quel est donc le résultat de ce système ? En le réduisant à son expression la plus simple, il n'est autre que d'exclure une des formes de la bienfaisance publique, de l'exclure. sans motif, sans nécessité d'intérêt public. Et quelle est la forme qu'on exclut ainsi ? C'est celle qui a des racines historiques dans le pays, c'est presque la seule forme de la bienfaisance privée dans notre pays, et je vais citer un fait qui le démontrera à la dernière évidence.

Nous avons des fondations d'instruction publique ; le revenu en est considérable ; je crois que le revenu des fondations qui ont été sauvées de la tourmente de 1790, s'élève à plus de 600,000 francs ; et voyez comment ces fondations, dont l'état nous a été distribué récemment, ont été créées ; elles l'ont été toutes avec des réserves quant à la famille, quant aux parents du fondateur. Ainsi, dans cette partie de la bienfaisance publique (puisqu'il s'agit aussi de fondations pour l'éducation des pauvres), la forme qu'on exclut est celle qui est usitée, qui est traditionnelle depuis des siècles dans notre pays.

Et puisque ce fait m'amène sur ce terrain, comment a-t-on fait ? On a organisé le contrôle de l'autorité publique sur les donations destinées à l'instruction ; mais on s'est bien gardé de supprimer la volonté des fondateurs, en tant qu'elle établissait des administrateurs spéciaux ; toutes ces fondations, au contraire, sont des fondations de famille, le patrimoine de l'instruction publique, et garanti, comme celui des pauvres peut l'être, sans qu'on viole la volonté des fondateurs.

Et, messieurs, les dotations même de nos établissements de bienfaisance n'ont-elles pas presque partout la même origine ? N'est-ce pas aussi à l'époque de la législation française, des lois de frimaire an V, que ces donations spéciales, avec l'intervention spéciale de la famille des donateurs, ont disparu ? N'est-ce pas précisément ce qui, dans la discussion de l'article 84, causait les inquiétudes, les préoccupations notamment de M. Jullien qui croyait y voir un effet rétroactif à l'égard des fondations déjà réunies aux dotations générales des hospices ?

En effet, veuillez-le remarquer, messieurs, peut-être la question pour certaines personnes est-elle obscurcie, parce qu'il s'agit d'un curé donnant à distribuer à d'autres curés. Messieurs, ce serait voir là un fait, et non pas le système ; il s'agit ici de savoir si un autre que les hospices et les bureaux de bienfaisance pourra distribuer ; cet autre pourra être quelquefois un curé, mais le plus souvent ce seront les familles, les parents, ce seront les personnes auxquelles le fondateur accorde plus de confiance. La main qui distribue sera bien souvent la cause de la libéralité ; on le perd de vue ; les faits historiques, tout l'ensemble de l'origine de la fortune de nos établissements de bienfaisance, on méconnaîtrait cela en une fois.

Il ne s'agit donc pas ici de savoir si l'administration des bureaux de bienfaisance demeurera laïque ou deviendra ecclésiastique ; mais si chacun du nous pourra conserver sa libre action, sa libre disposition dans les intérêts de famille, comme dans l'ordre des intérêts publics.

Il y a plus : une question de tolérance religieuse se trouve au fond de ce début. Dans un pays où la presque totalité de la population est catholique, c'est principalement dans l'intérêt des cultes dissidents que le système dont je me fais l'organe en ce moment, doit être maintenu. La preuve en résulte des faits mêmes que je viens de rappeler.

Dans deux circonstances sur trois, il s'agissait de dispositions faites par des personnes appartenant à des cultes dissidents et qui voulaient que ce fût la main d'un de leurs coreligionnaires qui fît parvenir leurs aumônes à leurs coreligionnaires.

Au nom de la tolérance civile, vous devez vouloir encore maintenir la possibilité de ce fait dans votre législation. Les catholiques le savent ; les bureaux de bienfaisance, les hospices appartiennent à leur culte ; mais les dissidents savent aussi que leurs legs, tout en restant sous la surveillance de l'autorité publique, sont remis à des personnes de leur communion religieuse pour distribuer leurs aumônes à ceux auxquels ils les ont destinées. Une question de tolérance, je dirai presque une question de constitutionnalité, j'ai le droit de le dire, se trouve donc réellement au font du débat.

Au point de vue des droits de la propriété, l'honorable M. Verhaegen disait hier que le droit de disposer après son décès était exclusivement un droit civil ; ce point est controversé, les jurisconsultes sont partagés ; les uns diront que le droit de tester est une conséquence du droit de propriété ; les autres soutiennent que c'est un effet de la loi civile. Si on consulte l'exposé des motifs du Code civil, on voit que le législateur a voulu écarter cette controverse ; il s'est dit que quelque dût le système sur l'origine de ce droit, il ne pouvait être restreint par la loi, il devait être consacré par elle, toutes les fois qu'un intérêt d'humanité ou un intérêt public n'exigerait pas de le restreindre.

Notre législation civile est donc fondée sur ce principe que, comme conséquence du droit de propriété, il y a libre disposition dans tous les cas non exclus par la loi. Je dirai que la civilisation, le respect de la propriété est d'autant plus étendu que ce droit de tester est plus absolu. Quelle est la restriction, la seule restriction qui existe dans votre législation ? C'est la légitime. Eh bien, que voyez-vous dans cette disposition ? La légitime restreinte à la ligne directe et à une certaine quotité ; l'ascendant quand il survit n'a droit qu'à un quart de la propriété.

La libre disponibilité existe pour chacun de nous, de manière que nous pouvons, quand il n'y a pas d'ascendants et de descendants, disposer au profit d'un tiers, d'un étranger, de la totalité de notre fortune ; la loi n'a aucun compte à nous demander, nous avons usé d'un droit civil si l'on veut, mais un droit positif reconnu par la loi.

Si on admettait qu'on peut réduire de moitié la donation faite à des pauvres, quelle serait la conséquence ? Nous pourrions tous profiter de la totalité d'une donation, à l'exception des pauvres ; votre législation aurait pour résultat de créer un privilège, un seul… au préjudice des pauvres.

Le système du gouvernement est contraire à une idée chrétienne, à une idée de civilisation ; dans toutes les sociétés où l'homme s'appartient à lui-même, vous avez, par une volonté providentielle, la charité ; vous avez au contraire dans les sociétés où l'homme ne s'appartient pas, ou l'esclavage avec ses formes brutales ou le servage et la servitude de l'homme dans une forme plus adoucie. Si vous avez dans les sociétés chrétiennes où l'homme est libre la charité comme devoir, comme besoin public, il faut l'encourager, il ne faut pas repousser une forme spéciale de la charité privée, il faut au contraire lui donner plus d'essor, plus de développement.

Prenons garde, au milieu de nos luttes de partis, que des idées du moment, des idées d'intolérance ne viennent exclure de la charité légale la pensée religieuse, qu'on ne substitue pas à la charité chrétienne, sous prétexte que la bienfaisance publique est laïque, une philanthropie dépouillée du sentiment religieux et qui ne répondrait pas aux croyances et aux convictions de la nation ! Rappelons-nous que la charité est d'origine chrétienne et doit conserver ce caractère.

Voyons en effet ce qui s'est passé ; est-ce bien dans ce moment, quand nous voyons au milieu de la partie la plus souffrante de nos populations le clergé se dévouer au soulagement des malheureux, quand nous voyons la nécrologie du clergé chargée de tant de martyrs de maladies contagieuses qui sévissent sur plusieurs parties du pays, que vous allez décider qu'il n'est pas permis à un testateur de faire parvenir ses aumônes aux pauvres par la main du curé ? Non, vous ne pouvez pas le vouloir. Rappelons-le toujours ici, la société telle qu'elle est constituée aujourd'hui n'a pas rempli son devoir quand elle a donné un morceau de pain au malheureux pour apaiser sa faim ; la charité chrétienne et religieuse a un caractère moral, il faut lui conserver ce caractère primitif.

Il le faut, non seulement par devoir, mais par intérêt ; oui, par intérêt, car le pauvre doit trouver dans l'idée religieuse des motifs d'un ordre supérieur pour se résigner à l'inégalité de sa condition sociale.

A ce point de vue, ce n'est pas une question de parti que nous agitons. Je le répète, cette discussion portera ses fruits ; je suis convaincu que quand des circonstance analogues à celles qui se sont présentées à propos du testament du curé Lauwers se présenteront de nouveau, le gouvernement examinera avec plus de soin s'il n'y a pas moyen de concilier la volonté expresse du testateur avec les exigences de nos lois quant à la charité publique.

La discussion n'eût-elle produit que ce résultat, je me féliciterais qu'elle eût eu lieu, comme je me féliciterais de m'y être associé. Il faut, toutes les opinions doivent le vouloir, associer tous nos efforts pour donner à la charité publique son libre, son entier développement.

M. de Bonne. - Messieurs, je n'abuserai pas de votre patience, et je ne demande que de dire quelques mots pour répondre aux critiques plus qu'amères de l'honorable comte de Mérode. Je ne veux pas réfuter tous les griefs qu'il s'est plu à détailler. Seulement je rappellerai que l'administration des hospices qu'il accuse est une mineure à qui la loi n'accorde que la gestion des biens et l'emploi des revenus aux secours de la bienfaisance, des hôpitaux et des hospices.

Pour tout le reste elle est placée sous la tutelle de la commune immédiatement, sous celle de l’administration provinciale médiatement et, en dernier ressort, du gouvernement.

Il résulte de là que les reproches du noble collègue frappent à la fois sur tous les pouvoirs légaux de notre pays.

Déplacement de l'hôpital, plan de la construction, trop belle d’après M. le comte de Mérode, le choix de la localité ; tout cela a été soumis à toutes ces autorités et n'a été exécuté que par leurs ordres.

Je vous laisse, messieurs, à apprécier vous-mêmes combien sont fondées toutes ces critiques.

Un mot encore. M. le comte de Mérode s'est apitoyé sur le sort de l’aumônier de l’hôpital Saint-Jean qu’on a expulsé, a-t-il dit, comme s’il n’y avait pas de quoi le loger, etc. D’abord, il n’a pas été expulsé.

(page 593) Messieurs, depuis quelques années l'aumônier de l'hôpital St-Pierre n'habite plus dans l'établissement.

Le conseil des hospices a pensé qu'il fallait de l'uniformité dans son administration, et il a fait pour Saint-Jean ce qui avait été fait pour Saint-Pierre, indemnité de logement ; augmentation de traitement, tout a été réglé à la satisfaction générale.

Mais pourquoi ne pas les y conserver comme par le passé ? dira-t-il ?

Parce qu'il y avait des inconvénients inutiles à rappeler et qui ont donné lieu à bien des réclamations. La presse même s'en est assez souvent occupé.

Alors et à diverses reprises le principal prélat de Bruxelles a sollicité le placement de l'aumônier de Saint-Pierre en dehors de l'hôpital, puis Son Eminence le cardinal archevêque de Matines en a fait la demande positive et le conseil y a acquiescé.

Ce qui a été demandé comme utile pour un hôpital doit l'être également pour l'autre, avec d'autant plus de raisons que les mêmes inconvénients existaient.

Le blâme, la critique de M. le comte de Mérode tombe encore sur les hommes pour lesquels il professe le respect le plus grand, qui le méritent et qui n'ont fait aucune observation, lorsque la mesure leur a été communiquée.

Quant au vicaire, il n'a jamais été que provisoire ; son secours n'est pas nécessaire : pourquoi augmenter des frais inutiles là, lorsqu'ils peuvent être requis ailleurs. Si fallait accéder à toutes les demandes de ce genre, les hôpitaux de Bruxelles seraient bientôt métamorphosés en congrégations religieuses.

Les attaques nombreuses faites contre l'administration des hospices et de la bienfaisance n'ont, à mes yeux, pour but que de faire croire que le clergé est exclu et qu'on repousse son concours dans la charité publique, tandis que c'est lui, en bien petite partie à la vérité, qui le refuse ; car excepté trois curés que j'ai suffisamment désignés, tous les autres lui viennent en aide avec un zèle et un dévouement dignes d'éloges.

Je crois, en terminant, pouvoir vous exprimer ma pensée tout entière sur la cause de cette espèce de hourra poussé contre l'administration de la charité publique à l’occasion du testament du curé Lauwers. Le gouvernement a réduit la donation ! Voilà le grief. C’est un précédent qui sera invoqué lorsque des dons seront faits aux fabriques, séminaires et autres établissements de maimorte. C'est le partage qui blesse vivement nos adversaires. Cet exemple leur semble funeste pour les mainmortes. L'arrêté royal a réduit de moitié la donation du curé de l'église de Finisterre. Quelles conséquences pour l'avenir ! Ou réduira les donations. Voilà un malheur incalculable pour les mainmortes.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, je n'avais pas l'intention de prendre part à ce débat ; je n'ai pas le désir de le prolonger beaucoup ; je comptais ne pas y prendre part, parce qu'il me semblait que les efforts de nos adversaires devaient rester impuissants, et que toutes les subtilités du raisonnement ne parviendraient pas à faire sortir d'un texte plus ou moins obscur, plus ou moins ambigu, une pensée hostile aux institutions qui ont remplacé la législation renversée par un grand mouvement révolutionnaire, je veux parler de la révolution de 1789.

Je ne sais si c'est par suite d'une étude trop approfondie des canons et des conciles que certaines personnes, fort orthodoxes, je me plais à le croire, proclament parfois des propositions très hérétiques au point de vue de nos institutions et de notre droit public.

Parmi ces propositions, il n'en est guère, à mon sens, de plus pernicieuse que celle qui s'est produite, dans cette enceinte, depuis quelques jours. Elle fait partie d'un système complet qu'il n'est pas inutile de signaler à votre attention.

En 1789, on a fait table rase de l'ancienne organisation de la société : trois choses essentielles qui étaient dans les mains du clergé ont été confiées à la garde de l'autorité civile ; c'est le temporel du culte ; c'est l'instruction ; c'est la bienfaisance publique. Ces trois intérêts sociaux qui formaient jadis l’apanage, le privilège exclusif des corporations religieuses ont été civilement organisés. Depuis plus d'un demi-siècle, cet état de choses existe : philosophes, historiens, hommes d'Etat, tous y applaudissent, et tout à coup, en Belgique, voici qu'il se forme un parti qui a la prétention de réédifier l'édifice du passé.

On sait ses intentions avouées, en matière d'instruction. A une autre époque, ce système a été mis à nu ; je ne veux pas y revenir. Je me bornerai à énoncer ici la formule sophistique sous laquelle on cache ici la conspiration contre les droits de l'autorité civile. Point d'instruction, dit-on, sans éducation. Point d'éducation si elle n'est morale et religieuse ; or, le prêtre seul peut enseigner la morale et la religion. Donc, de fait ou de droit, par l'intervention officieuse, ou par l'intervention officielle, l'épiscopat doit être le maître de l'instruction.

On a suffisamment démontré, et récemment encore, combien cette proposition est fausse. Je ne veux pas la discuter de nouveau ; mon seul but est de signaler ce système complet d'insurrection contre les principes d'organisation dus à la révolution de 1789.

La même prétention se manifeste quant aux intérêts du culte ; on nie audacieusement, le mot est vrai, audacieusement, le droit du pouvoir civil sur les biens affectés au culte.

Voici quelle est cette prétention :

« Le pouvoir civil empiéterait sur l'indépendance de l'Eglise, si, sous prétexte que tout ce qui est temporel serait exclusivement de son domaine, il se substituait à l'Eglise dans l'administralion de son patrimoine. Le jour où la théorie d'un prétendu droit du pouvoir civil sur l’administration des biens de l'Eglise serait imposée à la Belgique, ce jour-là commencerait la plus étrange oppression qui fut jamais ; au lieu de cet unique frère sacristain couronné qui, au siècle dernier, s'est rendu si odieux et si ridicule, il y en aurait, sous notre régime constitutionnel semi-démocratique, autant qu'il y a, dans le royaume, d'administrations civiles, grandes et petites ; et les petites, infiniment plus nombreuses, seraient aussi incontestablement les plus tracassières. On verrait donc, par l’application d’un principe faix, un des pays les plus libres de l’Europe, une des nations les plus religieuses de la terre, donner au monde le triste spectacle d'une flagrante et permanente hostilité de l'Etat contre l'Eglise et de l'Eglise contre l'Etat. »

Voilà quelles sont les prétentions qui se sont révélées à l'occasion de la discussion de ce même budget de la justice, à l'occasion du chapitre que vous avez adopté il y a trois jours. Elles sont écrites, elles sont signées par M. l'évêque de Liège.

Cette négation incroyable des droits de l'autorité civile, en matière d'instruction et en ce qui touche le temporel du culte, va surgir pour la troisième fois en ce qui concerne la bienfaisance publique.

C'est enfin, aujourd'hui, messieurs, c'est le droit de l'autorité quant à la charité légale, c'est le droit de l'autorité civile, quant à la bienfaisance publique, qui est également mis en question !

Ainsi, messieurs, vous le voyez, on ne tente ni plus ni moins que la résurrection de l'ancien régime. A ce point de vue, la question qui nous occupe est grave, et je suis de l'avis de l'honorable M. Malou que ce n'est pas trop de quelques heures à y consacrer.

Messieurs, il y a dans la question qui nous occupe, comme l'a dit tout à l'heure l'honorable M. Malou, un fait et un système. Du fait de la réduction du legs, j'ai peu de chose à dire. On prétend qu'il pourrait avoir pour effet d'étouffer des pensées charitables, d'empêcher les œuvres de bienfaisance.

Je ferai d'abord une question : A quoi bon le droit du gouvernement s’il ne peut jamais en user ? Car notre critique s'appliquerait à tous les cas de réduction... (Interruption.) Dans le cas d'abus, me dit-on.

L'abus ! quand existera-t-il ? Qui peut le constater ? L'autorité, sans doute, c'est une question d'appréciation. (Interruption). Vous tous, je le veux ; mais cette critique devient insignifiante si l'on veut se reporter aux avis qui ont été donnés précisément pour l'appréciation de ce point de fait.

Une autorité est consultée, c'est l'autorité chargée d'administrer le patrimoine du pauvre ; elle répond qu'il y a lieu de réduire, qu'il y a excès. L'autorité supérieure est consultée, ce sont tous les élus d'une grande ville, ce sont trente des premiers citoyens de la cité ; ils répondent encore à l'unanimité qu'il y a lieu à réduire, qu'il y a excès ! La députation est consultée, elle répond encore à l'unanimité, qu'il y a lieu à réduire, qu'il y a excès ! Eh bien, messieurs, le gouvernement se rallie à cet avis unanime. Où donc est le crime ? Est-ce en un pareil cas que l'on peut blâmer le gouvernement de l'exercice qu'il a fait de son droit de réduire en cas d'excès ? Quand donc usera-t-il de ce droit ? Est-ce, au contraire, quand toutes les autorités lui demanderont de maintenir le legs dans son intégralité ?

Vous ne pouvez donc pas blâmer avec fondement le gouvernement de l'usage qu'il a fait de son droit, en pareil cas.

Un autre grief a été élevé par l'honorable M. Malou. C'est que le gouvernement a effacé la disposition du testament qui ordonne de remettre aux curés la somme léguée, c'est que le gouvernement a déclaré que cette clause était contraire à la loi. Ce deuxième grief s'applique au système suivi par le gouvernement.

La clause d'un legs en faveur des pauvres, portant que la somme sera remise à un tiers pour être distribuée aux pauvres institués, renferme-t-elle une condition ou un mode d'exécution ? C'est un mode d'exécution, suivant l'honorable M. Malou. Mais que ce soit un mode d'exécution, que ce soit une condition, il est inutile de discuter ce point ; la disposition est contraire à la loi ; condition ou mode d'exécution, elle est contraire à la loi, car il n'y a pas d'autres représentants légaux des pauvres que les hospices et les bureaux de bienfaisance, il n'y en a pas d'autres, il ne peut pas être permis d'en instituer d'autres, sans l'assentiment du pouvoir législatif.

Si l'on s'écarte de ce système, on tombe manifestement dans le chaos, dans l'anarchie ; il y aura autant d'administrations qu'il plaira aux testateurs d'en former, autant de modes d'administration qu'il plaira aux testateurs d'en déterminer. Et le pouvoir ne pourra pas intervenir ! Il pourra bien refuser le legs, mais il ne pourra pas modifier le mode d'administration, car si l'on blâme l'usage que le gouvernement a fait du droit de réduction, à plus forte raison blâmerait-on la substitution d'un mode à un autre. Ainsi tout ce qu'il plaira au testateur de faire, devra être exécuté dans le système que je combats.

L'honorable M. Malou indique, dit-il, un moyen de tout concilier. Ce moyen consiste à faire accepter le legs par l'établissement public, sauf à remettre la somme aux personnes désignées par le testateur ; c'est ainsi que j'ai compris l'honorable M. Malou.

M. Malou. - Oui.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'établissement légal aura donc le pouvoir d'accepter le legs, mais il devra remettre le (page 594) revenu de la somme léguée aux personnes désignées par le testateur. (Interruption.)

Ce sera, suivant la disposition, ou le capital ou le revenu, et vous n'avez pas oublié que l'on a prétendu que le testament du curé Lauwers ne contenait pas une disposition des revenus, mais contenait une disposition du capital même au profit des pauvres désignés.

Ainsi, il est évident qu'il faudrait, selon les cas, remettre même le capital aux personnes indiquées et que l'établissement créé par la loi n'interviendrait que pour remplir la simple formalité d'accepter les legs. Mais alors, messieurs, pourquoi faire intervenir l'autorité ? Revenez-en à la législation du bas empire ; c'est bien plus simple. Durant le bas empire, tout testateur était législateur ; il pouvait, à son gré, instituer des fondations de tous genres, désigner qui bon lui semblait, ses héritiers ou des tiers, pour administrer la fortune à laquelle il donnait une affectation déterminée.

Rétablissez cette législation, mais ne réduisez pas les établissements publics à ce rôle dérisoire d'accepter les legs à charge de les remettre à des tiers, qui en useraient comme bon leur semblerait. Quel serait votre moyen de contrôle ? Ces administrateurs rendront-ils compte ? A qui rendront-ils compte ? En vertu de quoi ? Quelle est la loi que vous invoquerez pour les amener à rendre compte de l'emploi de ces sommes ? le jour, messieurs, où l'on viendrait vous demander des dispositions réglementaires en ce sens, vous ne manqueriez pas de vous lever pour déclarer qu'il ne faut pas scruter la conscience des administrateurs, la conscience des personnes chargées de remettre aux pauvres les sommes qui leur ont été léguées.

N'est-il pas évident qu'un système de ce genre c'est le chaos, l'anarchie, la confusion ? Que c'est vouloir rétablir ce qu'on a eu tant de peine à faire disparaître ? Que c'est empêcher précisément l'unité de l'administration, la centralisation des secours, détruire la surveillance de l'autorité, mettre obstacle aux moyens de s'assurer que les biens donnés aux pauvres ne sont pas divertis de leur destination, ne sont pas employés à d'autres usages que ceux prescrits par le bienfaiteur ? Est-il donc sans exemple que ces biens aient été dilapidés, détournés de leur destination ? Est-il donc sans exemple que les fondations faites au profit des pauvres aient été transformées en bénéfices ? Ai-je besoin, dans une assemblée où l’on a tant parlé de conciles, d’invoquer ces conciles qui ont exclu les religieux de l’administration des hôpitaux parce que les biens des pauvres avaient été trop souvent transformés en bénéfices ? Eh bien, lorsque vous aurez établi une législation telle que celle qui a été indiquée par mes honorables contradicteurs, quel moyen aurez-vous d'empêcher de semblables abus, si ce n'est ces actes révolutionnaires qu'il faut éviter, dont il faut prévenir la nécessité ? A une époque plus ou moins éloignée, lorsque vous aurez consacré les abus pendant des siècles, il faudra une autre révolution pour les faire disparaître.

L'honorable M. Malou a dit encore qu'en vertu de la disposition contenue dans l'article 84, interprété comme il le fait, on stimulait la charité, qu'on la favorisait, qu'on la surexcitait ; qu'il ne fallait pas se priver d'un pareil moyen ; qu'il y avait ici un grand intérêt social, et qu'il fallait conserver tous les éléments propres à le servir.

Depuis 1824, depuis 1836, cette disposition existe ; elle aurait eu la portée qu'on lui attribue, elle serait favorable aux legs en faveur des pauvres ; et qu'a-t-on fait pourtant depuis 1824, depuis 1836 ? Avons-nous vu la charité se diriger dans ces voies ?

Je sais qu'il y a beaucoup de legs au profit des séminaires, des cathédrales, des fabriques d'églises ; mais les legs au profit des pauvres n'ont pas accru dans la même proportion ; toutefois ces legs ont été faits purement et simplement, et non pas en usant de la prétendue faculté que vous considérez comme un stimulant essentiel ; c'est exceptionnellement que des testateurs égarés, trompés, s'abusant sur les droits que peut avoir un mourant, ont institué des administrations particulières.

Enfin, c'est au nom de la toléranre que l'honorable M. Malou a aussi soutenu le système exorbitant que je combats. C'est là un prétexte spécieux, mais il n'est que spécieux ; c'est précisément à raison de la liberté des cultes, à raison des principes de tolérance que nous devons faire régner qu'il doit y avoir une bienfaisance publique qui ne peut être exercée que par l'autorité publique, parce que la bienfaisance publique, exercée par l’autorité publique, n'est ni juive, ni protestante, ni catholique, ni anglicane ; elle ne voit qu'une seule chose : les malheureux ; elle donne aux malheureux, par cela seul qu'ils sont malheureux ; et ne leur demande pas : « Allez-vous à la messe, à confesse ? Remplissez-vous tel ou tel devoir religieux ? »

Voilà ce qu'on doit vouloir lorsqu'on veut la liberté ! Il faut donner aux malheureux, sans aucune espèce de considération tirée de leur croyance, de leur religion ou de la manière dont ils la pratiquent.

Eh bien, messieurs, lorsque vous aurez introduit le système que nos honorables contradicteurs préconisent, vous verrez, au contraire, les legs faits en faveur de tel ou tel culte, de telle ou telle secte. Oui, on fera, des legs au profil des personnes de telles sectes, de telles croyances, de telles religions ; on fera renaître ce que la liberté des cultes condamne, ce que la tolérance repousse : on parquera les pauvres selon leurs croyances.

On confond évidemment ici la bienfaisance publique avec la charité, qui est un devoir, une vertu privée. Que l’homme vivant exerce, à son gré, l’empire de sa volonté, qu’il l’exerce dans la voie de la charité, rien de mieux, il faut y applaudir ; nul ne songe à porter atteinte à l’exercice de la charité par les êtres vivants ; la loi serait insensée, qui voudrait y intervenir. Elle ne peut pas plus régler les inspirations de la conscience que les battements du cœur.

Mais du devoir de faire la charité, il ne faut pas conclure au droit qu'aurait un individu de déclarer qu'après sa mort on fera telle chose conformément à sa volonté, qu'on fera à perpétuité tel usage de son bien. Ici le droit de la société conserve tout son empire, car une disposition de ce genre ne peut être autorisée que dans un intérêt social.

C'est par une extension hardie donnée à la puissance de la volonté, qu'on est arrivé au droit de tester ; mais ce droit doit être renferme dans des limites raisonnables ; il ne peut être exercé que dans l'intérêt social ; sous quelque face qu'on l'envisage, au double point de vue de la famille ou de la société, ce droit a des bornes ; il n'y aurait ni raison ni sagesse à le laisser illimité.

Or, pouvez-vous accorder à un testateur le droit absolu d'imposer à perpétuité à la société une volonté quelconque ? Pouvez-vous admettre le droit d'un testateur, de créer des personnes civiles, de faire, lui mort, ce qu'il n'aurait pas pu faire vivant ? C'est exclusivement le droit du législateur de créer des personnes civiles ; et vous voulez le transférer à tous les mourants. (Interruption.) Avec le concours de l'autorité civile, me dit-on, avec le consentement du gouvernement. Oui, sans doute ; mais vous nous placez dans un cercle d'où il serait impossible de sortir. Le concours du gouvernement §... Quand le gouvernement refuse, il est coupable ; il faudrait toujours accepter ; il faudrait donc dire que toujours le mourant aura la puissance d'imposer à la société sa volonté à perpétuité ! Et si dans la suite des siècles, on trouve que tel mode d'administration imposé par ce mourant est devenu vicieux, qu'il faut le changer, transférer à d'autres administrations le soin de surveiller le bien des pauvres, que direz-vous ? Ce que disent tous ceux qui protestent contre la révolution de 89, ce qu'on vient de dire tout à l'heure dans cette enceinte : « On a violé la volonté des testateurs ! »

Il faut donc en revenir à des principes plus conformes à la raison ; il faut autoriser tous les legs faits aux pauvres dans une juste mesure, mais il faut les autoriser quand ils s'adressent à des établissements publics, placés sous le contrôle d'autorités qui surveilleront l'emploi des biens, avec toutes les garanties que la société a le droit d'exiger.

Mais, nous-dit-on, la confiance ne s'impose pas ; pourquoi voulez-vous que tel ou tel citoyen, tel ou tel croyant ait confiance dans l'autorité publique qui est chargée d'administrer officiellement la charité ?

Peut-on admettre, messieurs, qu'on puisse témoigner une telle défiance contre l'autorité publique ? Rien ne la légitime. Est-il raisonnable de penser que ces administrateurs successifs garantiraient mieux le bien des pauvres que les administrations qui existent sous le contrôle de l'autorité ?

Je reconnais qu'un testateur, à l'heure de la mort, choisissant son ami, son parent, un membre de sa famille, peut dire alors qu'il a la plus grande certitude que les biens qu'il lègue seront appliqués conformément à sa volonté ; mais à celui qu'il a ainsi nommé, cent personnes succéderont.

Dans la suite des siècles il y aura des successeurs à l'infini ; que sait le testateur de la confiance que mériteront ces administrateurs, que sait-il du bon ou du mauvais emploi qui pourra être fait de ses legs ? Ne faut-il pas plutôt dire que le danger existe du côté de ces administrations imparfaites, organisées au hasard, agissant sans règles et sans contrôle, et subissant toutes les vicissitudes de la fortune de ceux qui sont appelés à les diriger ? N'est-il pas évident que ces administrations présentent bien moins de garanties que les administrations publiques, placées sous le contrôle de toute la société ?

L'honorable M. Malou nous a dit enfin qu'il pensait qu'il y avait, de la part de nos amis, quelque préoccupation dans l'appréciation de la question qui nous occupe, parce que le legs était fait à des curés et que peut-être c'était là le motif qui nous amenait à combattre les propositions qu'il énonçait. Je dis, en toute vérité, que c'est précisément le contraire.

J'admets qu'en désignant les curés de certaines paroisses, le testateur adoptait un mode qui présentait moins d'inconvénients que s'il avait choisi des personnes à qui la charité est moins impérieusement prescrite.

Mais en toute hypothèse, qu'il s'agisse de curés ou d'autres personnes, le danger n'existe pas moins ; il sera plus grave dans un cas que dans l'autre ; mais toujours c'est à des personnes qu'il ne connaît pas, puisqu'elles se renouvelleront dans la suite des siècles, qu'il confie le soin d'administrer sa fortune, et d'en faire, sans contrôle, un emploi déterminé. Or, je ne pense pas que quelqu'un veuille prétendre que l'administration des hospices ou les bureaux de bienfaisance, qui sont des administrations publiques, présentent moins de garanties que ces administrateurs extraordinaires, inconnus même à ceux de qui ils tiennent leur droit. Je crois avoir rencontré les diverses considérations qu'a fait valoir l'honorable M. Malou.

L'honorable membre ne s'est pas occupé de la question de légalité ; il ne s'est pas demandé si c'était à bon droit qu'on pouvait soutenir l'opinion qu'il a émise et qui s'éloigne déjà de l'opinion défendue hier par d'autres membres de cette chambre. Sous le rapport purement légal, je n'ai rien à ajouter après les lumineux développements que notre savant collègue, M. Tielemans, a apportés dans ce débat. Mais vous me permettrez, en terminant, de présenter une seule considération.

Pouvez-vous penser qu'une législation formée à la suite d'une immense révolution, élaborée avec tant de peine et tant de sollicitude aussi (page 595) complète, présentant aussi peu d'inconvénients, ait été tout à coup modifiée dans son essence par une disposition introduite sans qu’il y ait eu même un exposé de motifs qui fasse connaître le but de cette disposition, ait été changée par un paragraphe ajouté à l'article 84 de la loi communale.

Si on était venu dire à la chambre en 1834 ou en 1836, quand on a discuté ce paragraphe, qu'il avait pour but de bouleverser entièrement la législation préexistante, et de nous ramener à la législation la plus imparfaite qui ait jamais existé en cette matière, à la législation du bas empire, y eût-il eu une seule voix dans la chambre pour soutenir une pareille proposition ?

Aussi dans la discussion de l'article 84 de la loi communale, on retrouve aisément cette pensée qu'on ne veut rien innover, rien changer, c'est la législation préexistante qu'on veut maintenir, il n'y a pas d'équivoque, on ne veut rien détruire, on ne veut pas innover : « Il n'est pas dérogé, » ainsi parle la loi.

Que l'on ait maintenu toute la législation sur l'administration des biens des pauvres, les droits qui résultent des arrêtés de l'an X et de l'an XI poux ceux qui voudront créer des lits dans des hôpitaux, de pouvoir désigner les pauvres qui les occuperont, le droit enfin consacré par le décret du 3 juillet 1806 de prendre part à l'administration des hospices, d'y venir exercer un contrôle de concert avec l'administration publique, oh ! je le comprends : c'est une vérité que je me garde bien de méconnaître. Mais souscrire au système préconisé par l'honorable M. d'Anethan, c'est impossible.

M. d’Anethan. - J'avais demandé la parole pour un fait personnel en entendant hier M. Verhaegen, mais pour ne pas prolonger cette discussion, à laquelle la chambre paraît désirer de mettre un terme, j'y renonce.

M. de Mérode. - L'honorable M. de Bonne m'a reproché d'abord d'avoir attaqué d'autres pouvoirs que l'administration des hospices et d'avoir porté ma critique sur les autorités municipales et provinciales qui auraient approuvé cette commission. Je ne pense pas qu'il soit défendu de signaler ici les erreurs que pourraient commettre ces autorités ; mais je ne me suis pas le moins du monde livré à une pareille censure, et si j'ai émis un doute sur l'utilité de la transplantation de l'hôpital Saint-Jean, je ne suis pas allé plus loin, et je déclare n'être pas assez bien informé à cet égard pour me prononcer contre un changement qui, cependant, a coûté bien des journées de malades, il faut en convenir, et qui, par le luxe qu'on y a déployé, a chargé de dettes considérables le bien des pauvres.

Ainsi, messieurs, le premier grief de l'honorable M. de Bonne contre mes plaintes n'est pas fondé ; il a parlé ensuite de l'hôpital Saint-Pierre, dont je ne m'étais pas occupé : il a dit que l'aumônier de cet établissement avait été logé hors de la maison, d'accord avec l'archevêque de Malines ; mais il faut savoir que là, messieurs, le bâtiment est ancien, mal distribué ; l'aumônier était placé au milieu des individus attaqués de maladies honteuses. Et quand l'archevêque approuve la demeure particulière, c'est quand elle communique avec l'hospice, qu'elle est ainsi dans son enclos, comme à Malines, Anvers, etc. ; il s'en est expliqué par sa lettre à la commission de Bruxelles, lorsque l'aumônier de l'hôpital Saint-Jean a été exclu de la position qu'il occupait si légitimement d'après les titres de fondation, si convenablement dans l'intérêt des malades ; car, messieurs, aucun autre motif ne peut faire désirer à l'aumônier ce logement intérieur, plutôt qu'un logement externe ; mais l’honorable M. de Bonne ne l'a point pris en considération.

Il a, d'autre part, assuré que l'assistant de l'aumônier était inutile, et la preuve contraire est que celui-ci l'entretient à ses propres dépens, ce qui se conçoit aisément d'ailleurs, vu le grand nombre de malades auxquels il doit des soins de jour et de nuit.

Puisque j'ai la parole, je demande à présenter quelques observations encore à l'appui de ce que j'ai dit hier.

Messieurs, Portalis, en 1802, disait au corps législatif : « La piété avait fondé tous nos établissements de bienfaisance et elle les soutenait. Qu'avons-nous fait quand, après la dévastation générale, nous avons voulu rétablir les hospices ? Nous avons rappelé les vierges chrétiennes qui se sont si généreusement consacrées au service de l'humanité malheureuse, infirme et souffrante. Ce n'est ni l'amour-propre ni la gloire qui peuvent encourager ces vertus et des actions trop dégoûtantes et trop pénibles pour pouvoir être payées par des applaudissements humains. Il faut élever les regards au-dessus des hommes et l'on ne peut trouver des motifs de zèle et d'encouragement que dans cette piété qui est étrangère aux vanités du monde et qui fait goûter (entendez bien ces paroles}, et qui fait goûter dans l'exercice du bien public des consolations que la raison seule ne pourrait nous donner. »

Je demanderai à tout contradicteur quelconque de mes observations, présentées hier, s'il contredit aussi celles que Portalis présentait en 1802 au corps législatif, ou s'il les accepte.

Dans ce dernier cas, que je suppose admis, à mon contradicteur, quel qu'il soit, je demanderai qui formera des vierges chrétiennes dévouées au service de l'humanité malheureuse, infirme et souffrante ? Et il devra me répondre avec Portalis que c'est la piété, étrangère aux vanités du monde, et qui fait goûter dans l'exercice d'actions dégoûtantes des consolations que la raison seule ne peut donner.

Or une commission qui trouve que la première personne à exclure d'un logement dont le droit était acquis par des titres et des siècles de possession, c'est le prêtre chargé du soin des âmes. Une semblable commission porte-t-elle vraiment ses regards au-dessus des hommes, c'est-à-dire vers Dieu, et peut-elle non seulement former des vierges chrétiennes, mais leur donner des motifs de zèle et d'encouragement ? Cela paraîtra sans doute plus qu'improbable.

Remarquez, messieurs, que le plus illustre fondateur des vierges chrétiennes, destinées au service des pauvres, Saint-Vincent-de-Paul leur a donné une règle qui leur impose l'obligation de soigner à la fois les corps et les âmes. Je ne conteste pas à une commission composée, je veux le croire, d'hommes très entendus dans les affaires temporelles, et là pourtant aussi je fais mes réserves en faveur de la charité pieuse, je ne lui conteste pas la capacité suffisante pour l’application des remèdes du corps. Mais, quant aux remèdes de l’âme, non seulement elle n’y comprend rien, mais elle empêche qu'ils soient donnés par les sœurs dont elle fausse ainsi l'office en le bornant aux services matériels, et ceux-ci ne suffisent point pour qu'elles portent leurs regards au-dessus des hommes, et cependant la généralité des pauvres malades belges confiés à leur sollicitude maternelle, car c'est là son caractère, craignent-ils l'exercice de la double mission qui leur incombe selon l'esprit de leur institut ? Je dis que non, messieurs, et, pour s'en assurer, qu'on établisse des salles desservies par des infirmiers ou des femmes à gages, et des salles confiées aux sœurs, dirigées comme le comprend la vraie charité chrétienne de leur règle, et l'on verra de quel côté se portera la préférence habituelle des pauvres, surtout quand ils se croiront en danger de mort. Et, à propos de ce mot, imposant, pour ne pas dire plus encore, qui appelle si sérieusement la méditation des penseurs qui ne veulent pas marcher en aveugles vers la fin dernière de l'homme, permettez-moi, messieurs, de vous soumettre une dernière réflexion qui a souvent frappé mon esprit. Depuis six siècles, l'hôpital Saint-Jean a renfermé dans ses murs des milliers de pauvres, la grande affaire pour eux était-elle, après tout, de passer quelques jours de plus sur la terre ou de la quitter dans la grâce divine ?

Car, remarquez-le bien, pour la plupart des malheureux l'hôpital c'est le dernier asile, c'est le lieu de passage du temps à l'éternité. Sans doute il est bon de guérir les maladies corporelles, il est très louable de panser les plaies, ces œuvres sont éminemment prescrites par l'Evangile ; mais enfin, ce n'est pas la chose principale qu'il recommande, car lorsqu'il parle du véritable nécessaire, il porte nos vues plus haut, selon l'expression de Portalis, que je me plais à répéter. C'est pourquoi si l'on m'offrait de vivre encore cent ans au hasard ou de mourir demain dans la grâce de Dieu, je n'hésiterais pas un instant. Mais l'âme du pauvre, enfant du christianisme comme moi, n'est pas moins précieuse que la mienne, et c'est pourquoi toujours je désirerai lui porter, autant que possible, à la fois les deux secours matériel et spirituel, et si la bureaucratie administrative pense et agit autrement, comment voulez-vous me forcer à lui donner ma confiance et saisir en quelque sorte à la gorge ma charité pour la mettre à sa discrétion ? C'était là l'œuvre despotique des lois révolutionnaires de la France de 1793 ; mais en quoi lui ressemble notre humaine et libérale révolution de 1830 ?

M. Dedecker. - Je félicite l'honorable ministre des travaux publics d'avoir restitué à ce débat son véritable caractère. La question de légalité qui a été traitée, dans les séances précédentes, avec une incontestable supériorité, d'une part, par l'honorable M. d'Anethan, et de l’autre, par l'honorable M. Tielemans, est en définitive du ressort des tribunaux. La véritable question pour la chambre, c'est la question politique, c'est la question sociale. C'est à ce point de vue que je remercie le ministre des travaux publics d'avoir, avec une franchise à laquelle je rends hommage, dévoilé toute la pensée du gouvernement.

Oui, messieurs, de l'aveu de M. le ministre des travaux publics, il y a ici tout un système ; c'est ainsi, du reste, que le pays entier a, dès le premier abord, jugé la question qui nous occupe. L'arrêté royal modifiant le testament du curé Lauwers n'est qu'une des formules, l'une des faces de la réaction qui vient de s'opérer, dans le monde politique, contre le clergé. J'espère que les auteurs de cet arrêté et ceux qui le défendent auront du moins la franchise de l'avouer.

Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics, en expliquant le système de sécularisation de la charité, a mis une certaine ostentation à opposer ces idées nouvelles à celles qui avaient cours sous l'ancien régime ; il a semblé déduire de ce parallèle qu'il y a ici, relativement à cette question de la bienfaisance, des hommes qui rêvent encore la résurrection du passé.

Les observations que je vais avoir l'honneur de présenter à la chambre feront voir où sont les hommes rétrogrades en fait de charité, et où sont les hommes véritablement progressifs.

Messieurs, je sais qu'il est devenu de bon ton, depuis quelque temps, de faire l'éloge de la grande révolution française. Je ne veux pas examiner si cet éloge, sans restriction, est bien placé dans, la bouche d'un ministre du Roi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - De la révolution de 89, oui.

M. Dedecker. - Je ne veux pas être injuste envers cette grande transformation sociale qui, en définitive, n'a été que l'application politique des principes les plus élevés du catholicisme. Tout en rejetant la responsabilité morale des horreurs au moyen desquelles cette transformation a eu lieu, je reconnais que c'est à elle que nous devons ces grandes institutions, ces principes féconds qui constituent la vie des (page 596) modernes nations. L'arbre fut planté dans le sang, regrettons-le ; mais acceptons-en généreusement les fruits.

M. le ministre des travaux publics se trompe étrangement lorsqu'il suppose que c'est la révolution française qui a posé les premiers jalons du système de la sécularisation de la charité dont il demande aujourd'hui le complément administratif.

Elle est bien longue la lutte entre le pouvoir civil et l'autorité religieuse relativement à l'administration des biens des pauvres. Elle est curieuse l'histoire de cette lutte. La plupart des pays de l'Europe pourraient vous dire ce que les pauvres en définitive ont gagné à l'adoption forcée du système exclusif que l’on vient vanter devant vous, sans tenir aucun compte des bienfaits qui, à côté de cette administration laïque insensiblement établie, ont été rendus par la charité religieuse.

Oui, messieurs, d'ancienne date, depuis le XIVème siècle, et surtout durant le XVème et le XVIème siècle, il y a eu une lutte bien vive entre les administrateurs laïques des communes d'une part et les corporations religieuses d'autre part, pour établir les juridictions respectives relativement à l'administration des biens des pauvres. Jusque-là les évêques avaient eu, de temps immémorial, la haute surveillance de cette administration. Toutes les mesures qui furent proposées, toutes les lois qui furent portées successivement pour accorder à l'autorité laïque une part dans l'administration des biens des pauvres furent le résultat d'une double préoccupation qui dominait les esprits à cette époque.

D'un côté on voulait arrêter l'accumulation de richesses entre les mains d'un clergé puissant comme corps politique, puissant comme propriétaire ; de l'autre côté, on voulait restreindre l'influence qui devait résulter pour le clergé de l'administration, de la distribution des biens des pauvres.

Voilà les deux pensées, hautement avouées parfois et parfois habilement dissimulées, qui ont constamment dirigé les corps laïques, les juristes dans leurs préventions contre l'autorité religieuse, du chef de l'administration des biens des pauvres. Ce sont encore ces deux pensées qui ont inspiré l'Assemblée constituante dans le système nouveau de bienfaisance qu'elle a inauguré.

Messieurs, ces préoccupations ne doivent pas nous étonner à cette époque. Je conçois parfaitement bien, en présence de cette grande, de cette énorme puissance du clergé, puissance comme corps politique et puissance comme propriétaire, je conçois qu'on ait cru devoir prendre des précautions contre l'extension démesurée de cette puissance. Je conçois que la société se soit jusqu'à certain point alarmée de cette accumulation de richesses et de propriétés dans les mains des corporations religieuses.

Mais aujourd'hui, messieurs, de pareilles préoccupations seraient-elles encore justifiées ? Sommes-nous encore en présence des faits qui les firent naître ? Le clergé est-il corps politique ? Est-il encore propriétaire ? Aujourd'hui avez-vous à craindre l'exagération, en faveur des fondations de bienfaisance, des munificences dues à la piété des rois et des peuples ?

Mais vous ne connaissez que trop bien quel est, à cet égard, l'état actuel de la société ? D'un côté, le scepticisme, le luxe et l'égoïsme restreignant continuellement le budget de la bienfaisance ; d'un autre côté, les misères humaines s'étendant avec une effrayante rapidité. Et c'est en présence de ces deux faits incontestables, la diminution constante des ressources des pauvres, et l'augmentation croissante de leurs besoins, que vous venez appliquer avec une rigueur inaccoutumée une législation qui n'a été créée qu'en vue de restreindre la puissances des corporations religieuses et comme propriétaires et comme corps politiques ?

Mais, dit l'honorable ministre des travaux publics, ne pouvons-nous donc pas faire usage de la loi ? Les dotations en faveur des églises ou en faveur des pauvres sont soumises à une autorisation du gouvernement. Voulez-vous donc que ce soit là une vaine formule, que ce soit là un droit dont nous ne puissions pas faire usage ?

J'en demande bien pardon à M. le ministre, je ne conteste pas la nécessité de l'autorisation ; je reconnais le droit du gouvernement d'examiner s'il y a lieu d'accorder cette autorisation ; mais je me réserve aussi le droit d'examiner si, dans l'usage qu'il a fait de son droit, le gouvernement est resté fidèle à l'esprit de la législation qu'il invoque.

Eh bien, s'agit-il, dans l'espèce, de la fondation d'une corporation religieuse ? Je sais, qu'à tort ou à raison, il y a des personnes qui s'effrayent de la multiplicité des corporations religieuses en Belgique. S'agit-il d'une donation faite à une de ces corporations ? Non ; il s'agit d'un legs fait aux pauvres, à distribuer par les curés de Bruxelles, appartenant à ce bas clergé pour lequel on affecte tant de sympathie. Evidemment, si vous consultez l'esprit de toute la législation, qui a voulu que les donations faites aux pauvres fussent soumises à l'autorisation du gouvernement, vous reconnaîtrez que les motifs qui ont guidé le législateur n'existent pas ici, et que, loin de renchérir sur la rigueur de la loi, il faudrait l'interpréter ici plus généreusement et en relâcher la rigueur. En effet, dans le testament de M. Lauwers, il s'agit d'une simple distribution de secours à faire aux pauvres de Bruxelles, et non pas de la constitution de nouvelles corporations religieuses, ni de l'augmentation de leurs revenus et de leurs propriétés.

Le deuxième motif qui a provoqué la sécularisation de l'administration des biens des pauvres, c'est, comme je le disais tantôt, la crainte de l'influence qui devait résulter pour le clergé de l'administration et de la distribution de ces biens,

Mais, messieurs, quel genre d'influence résulte-t-il pour le clergé de la distribution des secours aux pauvres ?

Est-ce une influence personnelle ? Mais vous savez que cette distribution de secours n'est en définitive qu'un devoir des plus rudes, des plus pénibles, et qu'il faut tout le dévouement religieux pour le remplir jusqu'au bout. Et quelle est le plus souvent la perspective de ce dévouement du clergé ? L'ingratitude, la calomnie ! Savez-vous ce qu'il y a encore au bout de ce dévouement du clergé ? Qu'on lise cette lettre qui s'est trouvée dernièrement dans tous les journaux ; vous y verrez que depuis quelques mois seulement, il y a, dans les Flandres seules, soixante et dix prêtres, soixante et dix hommes à la fleur de l'âge, morts victimes de leur zèle, martyrs de leur charité !

Est-ce une influence politique ? Mais quelle influence politique peut donner au clergé son contact avec cette classe infime de la société, que personne, parait-il, n'est disposé à lui envier ?

Si donc l'exercice de la bienfaisance donne au clergé quelque influence, ce ne peut être qu'une influence toute sociale, toute conservatrice des principes sans lesquels, aujourd'hui plus que jamais, la conservation de la société est impossible.

Et malheureusement, messieurs, ce n'est pas seulement l'autorité du clergé qu'on voudrait diminuer ; ce n'est pas précisément au clergé même que l'on en veut ; c'est à tout ce qui porte le caractère religieux en fait de charité. En voulez-vous la preuve ? Elle est dans ces tracasseries injustes, dans ces haines aveugles dont on poursuit ces admirables associations de Saint-Vincent-de-Paul, composées de jeunes gens distingués par leur intelligence et leur position sociale, et qui se consacrent, avec une abnégation touchante, avec un dévouement éclairé auquel je suis heureux de rendre hommage du haut de la tribune nationale, au soulagement de toutes les misères.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Qui les persécute ?

M. Dedecker. - Des officiers de l'armée ont été persécutés pour avoir fait partie de ces associations. Il n'y a pas de jour qu'il n'y ait dans la presse libérale des attaques contre ces associations.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous ne sommes pas responsables des actes de la presse.

M. Dedecker. - Je n'accuse pas le gouvernement, du chef des tendances de la presse, mais pour le fait relatif aux officiers.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Vous attaquez le ministère précédent.

M. Dedecker. - Peu m'importe sur qui mes reproches tombent ; lors même qu'ils retomberaient sur mes amis politiques, je n'en dirai pas moins toute ma pensée.

Messieurs, après avoir analysé les préoccupations qui ont provoqué l'arrêté relatif au testament de M. Lauwers, voyons quelles en seront les conséquences.

Nous nous trouvons en présence de deux charités : la charité légale ou administrative, et la charité privée.

Si l'on pouvait espérer, de la mesure que vient de prendre le gouvernement, ce résultat, qu'en restreignant l’action de la charité privée, on aurait par cela même augmenté l'action, étendu l'influence de la charité légale, je pourrais concevoir ce système. Mais évidemment, messieurs, à moins de s'aveugler sur la disposition actuelle des esprits, on ne peut espérer un tel résultat.

Le principal défenseur de l’arrêté, l’honorable M. Tielemans, paraissait préoccupé, dans les observations qu'il vous a présentées, de l'idée d'éviter, par une organisation forte, par l'établissement de règles et de formes certaines, tout ce qui pourrait amener la diminution et l'altération du patrimoine des pauvres. Cette sollicitude est très honorable, sans doute ; mais j'en ai une autre ; j'ai peur qu'on ne mette un obstacle à l'augmentation de ce patrimoine ; et cette peur est bien autrement légitime, et ce danger est bien autrement réel.

Oui, messieurs, la conséquence immanquable de la mesure prise par le gouvernement sera de tarir les sources de la charité.

Et pourquoi cela ? Lorsqu'on a fait une donation entre vifs, ou une donation testamentaire à un bureau de bienfaisance, est-ce que par là le patrimoine des pauvres est nécessairement augmenté ? II n'en est rien, messieurs. Il en résulte très souvent que l'on diminue par là la somme des sacrifices que la commune est obligée de s'imposer pour subvenir aux dépenses des bureaux de bienfaisance. Car, vous le savez, dans toutes nos villes et même dans les dernières communes de nos campagnes, les bureaux de bienfaisance ne peuvent, par eux-mêmes et avec leurs propres revenus, suffire aux soulagement de toutes les misères. Partout les conseils communaux sont obligés d'intervenir et de grever le budget de la commune pour venir, par des subsides, au recours des bureaux de bienfaisance. Eh bien ! qu'arrive-t-il ? C'est que les conseils communaux sont heureux de soulager la commune d'une partie de ses sacrifices lorsque les revenus des bureaux de bienfaisance viennent à s'accroître par suite des dons ou des legs que leur sont faits.

On m'a cité une ville où le sacrifice fait par le conseil communal en faveur du bureau de bienfaisance était, il y a quelques années, de 100,000 fr., et où il n'est plus aujourd'hui que de 30,000 fr., par suite des donations et des legs faits en faveur du bureau de bienfaisance. Le conseil communal a vu là, non pas un moyen d'augmenter le revenu des pauvres, mais un moyen de diminuer ses sacrifices ; de manière que ce sont en définitive ces donateurs qui payent une partie des subsides qu'on payait au moyen de l'impôt communal.

(page 597) Voilà le résultat clair auquel aboutit le système que préconise exclusivement le gouvernement, résultat qui certes n'est pas de nature à provoquer de nombreuses donations.

Messieurs il y a un autre motif pour lequel vous verrez, par suite de la mesure que vient de prendre le gouvernement, se tarir la source de la charité.

On se méprend étrangement sur le véritable caractère de la charité. Je ne crains pas de le dire, la charité est presque toujours et a presque toujours été, à travers les siècles, une inspiration religieuse. On vous l'a dit encore aujourd'hui, messieurs, l'honorable ministre des travaux publics en a fait l'aveu, il n'y a qu'un instant, à la chambre, les legs charitables diminuent, et M. le ministre a semblé mettre en regard la diminution du nombre des legs en faveur des pauvres et l'augmentation du nombre des legs faits en faveur des églises ou des corporations.

Le fait en lui-même n’est pas exact. Il y a eu diminution dans les legs en faveur des pauvres, il n'y a pas eu augmentation proportionnelle des legs en faveur des églises et des corporations religieuses. Mais qu'est-ce que cela prouve ? Que ces deux genres d'actes de bienfaisance partent tous deux d'une même inspiration. Et, en effet, la charité est indivisible. Cette générosité, qui est le résultat de la piété, se manifeste par des voies diverses, mais qui, en définitive, viennent toujours aboutir au même principe.

De plus, non seulement on se méprend sur le véritable caractère de la charité, en ce sens qu'on ne veut pas voir qu'elle est une inspiration religieuse ; mais on ne veut pas assez reconnaître le but religieux que veulent atteindre la plupart de ces donateurs en faveur des pauvres.

L'honorable ministre des travaux publics a cru faire l'éloge de l'administration laïque des biens des pauvres, en vous disant que devant elle il y a égalité pour tous les malheurs ; qu'aux yeux de l'administration laïque, tous les malheureux ont un égal droit aux secours de la bienfaisance publique sans qu'on examine s'ils vont, ou non, à la messe. Je ratifie, sous ce rapport, l'éloge que vient de faire M. le ministre des travaux publics de l'impartialité de l'administration laïque des biens des pauvres ; mais il est évident cependant que si, tout en étant impartial, sans négliger aucun malheur, ou peut trouver dans l'aumône un moyen de moralisation des classes inférieures de la société, on doit être heureux de faire usage de ce moyen, loin de le repousser.

C'est une grande erreur que de croire que la charité ne doive se proposer pour but que le soulagement matériel de la misère ; elle a aussi un but plus élevé, un but de moralisation ; et, pour la plupart des donateurs, c'est un but essentiel de la charité. Comment ! il y a quelques jours à peine, nous entendions l'honorable ministre de la guerre évoquer devant nous le fantôme des émeutes, le fantôme des troubles populaires, et qu'avait-il, en définitive, à opposera ces désordres possibles ? Le règne du sabre ! Vous croyez devoir faire un appela la force brutale ? Eh bien, il y a des hommes dont toute la vie est dévouée au soulagement des classes pauvres ; mais qui consacrent aussi toutes les ressources que la charité met à leur disposition, toutes les influences que leur donne leur dévouement, à améliorer l'état moral de ces classes inférieures de la société.

Ne faut-il pas redouter d'entraver une charité qui concourt si généreusement et si efficacement à maintenir l'ordre social, à le garantir des atteintes que lui portent de tous côtés les passions mauvaises conjurées contre lui ? Car, en définitive, pour dompter ces passions mauvaises, il n'y a que ces deux moyens : la force brutale ou la conscience !

Il y a donc, messieurs, quoi qu'on dise ou qu'on fasse, deux charités en présence, ou plutôt deux formes de l'administration de la charité. Est-ce un mal ? Si l'on est exclusif, oui ; mais qui est-ce qui est exclusif, les défenseurs de l'arrêté royal ou mes honorables amis ? Pour moi, je n'entends en aucune façon restreindre l'action de la charité légale. J'accepte l'administration de la charité légale ; je la considère, à certains égards, comme un bienfait. Je ne suis pas du tout injuste envers les honorables citoyens qui se dévouent, eux aussi, à l'œuvre sublime de la charité. Ne me sera-t-il pas permis de demander la même justice pour la charité privée, par cela seul qu'elle revêt un caractère religieux ?

Je sais, messieurs, qu'il y a une espèce de défiance entre les deux administrations, c'est un malheur et une faute ; mais c'est le jeu des passions qui seront toujours dans le cœur humain. Cette rivalité que je déplore existera toujours ; elle a toujours existé, comme l'atteste l'histoire ; mais si cette rivalité, en définitive, peut tourner vers le bien de la société, pourquoi l'empêcher, aujourd'hui surtout que la concurrence est la loi de la société ? Pourquoi, je le demande, vouloir restreindre l'action de la charité religieuse et privée ?

Est-ce que quelqu'un songe à restreindre l'action de la charité légale ? Mais comprenons donc une bonne fois la libéralité de nos institutions ; souffrons, de grâce, que le bien se fasse, n'importe par qui ; acceptons le bien de quelque part qu'il vienne. On invoque sans cesse la révolution française. Nous avons, me semble-t-il, nous, une révolution plus respectable, plus nationale, à invoquer, c'est la révolution de 1830. Trop d'esprits malheureusement l'oublient aujourd'hui ; trop de passions en sont venues dénaturer complètement les institutions, et en méconnaître l'esprit si audacieusement mais si généralement libéral.

Ce n'est pas seulement l'esprit de nos institutions que j'invoque, pour demander la liberté dans la charité. J'invoquerai aussi le témoignage de toutes les intelligences d'élite qui se sont occupées du problème de la charité.

Tous ces auteurs ont reconnu que tout en maintenant la charité légale il faut surtout encourager la charité privée. Je voudrais pouvoir citer les admirables pages consacrées à cette question par un homme dont vous ne récuserez pas l'autorité, par M. de Cormenin. Cet auteur a établi un parallèle admirablement écrit entre les deux charités et l'avantage est resté à la charité privée.

Ainsi, messieurs, la faute du gouvernement, d'après moi, c'est d'avoir vu une question de réaction religieuse, une question, permettez-moi de le dire, cléricale, là où il ne s'agissait que d'une question sociale. Je voudrais me tromper, mais il n'est plus possible d'en douter après l'aveu de M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Toutes les autorités étaient d'accord.

M. Dedecker. - Il ne s'agit pas de savoir combien de personnes ont concouru à l'adoption de ce système nouveau ; j'examine le système en lui-même.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Mais le fait a été avoué, je pense, par M. le ministre des travaux publics.

M. Dedecker. - Ainsi, messieurs, au fond, la question qui nous occupe n'est pas une question d'influence politique du clergé. S'il y a ici une influence du clergé en jeu, c'est une influence toute sociale. Qu'il me soit permis de le rappeler. J'ai prédit au gouvernement et aux partis qu'on ne se contenterait pas en Belgique d'attaquer l'influence politique du clergé, que les coups portaient plus haut, qu'on attaquerait bientôt aussi l'influence sociale du clergé. Je ne pensais pas que cette prévision dût se réaliser si tôt.

Oui, messieurs, au-dessus de toutes ces questions, il y a une question immense que nous devrions avoir seule en vue ; ce ne sont ni des subtilités de légiste, ni des préoccupations politiques, ce sont les intérêts du pauvre qui doivent surtout nous guider. Le ministère a manifesté à différentes reprises ses sympathies pour les classes pauvres. Je lui en sais gré, mais qu'il ne pose pas ainsi des actes qui finiraient par faire douter les populations de la sincérité de ces sympathies, sincérité que j'accueille moi, mais que je désire ne pas voir démentir par des actes.

Je le sais, la mesure prise par le gouvernement lui vaudra peut-être, dans certaines régions de son parti, un peu de popularité équivoque ; mais, à sa place, laissant à la charité toute sa liberté et toute sa puissance, je préférerais les bénédictions du pauvre !

Aujourd'hui que nous sommes sous l'empire d'institutions libérales, qu'un immense sentiment de liberté nous anime, c'est au nom de la liberté que je vous demande aussi de ne pas entraver l'action de la charité. La charité, messieurs, la charité n'est ni catholique ni libérale ; elle n'est ni laïque, ni ecclésiastique. La charité domine tous les orages des partis. Redoutons l'invasion des préjugés politiques dans le domaine de la charité. Que cette intolérance qui, au grand détriment de nos plus chers intérêts, règne encore dans les esprits, que cette intolérance au moins ne descende pas dans les cœurs ! Surtout veillons à l'avenir du patrimoine des pauvres. Ouvrons à la charité toutes ses issues ; au lieu de l'entraver, acceptons-la sous quelque forme qu'elle se présente ; accueillons-la, quelque robe qu'elle ait revêtue. Multiplions les artères de cette charité qui doit porter la vie jusqu'aux extrémités du corps social.

Lorsqu'au XVIème siècle, en Angleterre, après la suppression des corporations religieuses, Henri VIII avait provoqué la destruction de la charité religieuse, qui eut pour premier résultat l'établissement de la charité forcée, source de tant de maux, Charles-Quint, plus adroit politique, disait : « Notre cousin d'Angleterre est occupé à tuer la poule aux œufs d'or. » Eh bien, messieurs, je vous dirai aussi, en terminant : Prenez garde, en entravant la charité religieuse, de tuer la poule aux œufs d'or !

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'honorable orateur qui vient de se rasseoir me paraît s'être trouvé sous l'empire d'une singulière préoccupation en supposant au ministère, à l'occasion de l'arrêté qu'il a pris, les intentions qu'il a signalées en commençant, celles qu'il a répétées plusieurs fois, celles qu'il a redites encore en terminant. L'honorable orateur nous a dit que cet acte révélait toute une pensée, tout un système de réaction contre le clergé. Je me demande, en vérité, messieurs, à quel propos cette imputation peut être dirigée contre moi ? Pourquoi le clergé est-il invoqué dans cette question ? Pourquoi y mêler son nom ? Pourquoi toujours mêler la religion et le clergé à toutes choses, à tout ce qui s'agite, à tout ce qui se débat, à tout ce qui se discute dans cette enceinte ?

Messieurs, la religion est tout à fait étrangère à la question que nous examinons. La religion y est aussi étrangère que le clergé. Tous nous professons et nous devons professer un respect entier, un respect sincère pour la religion ; à mon sens, messieurs, il n'est pas plus facile de comprendre le monde sans Dieu que la société sans religion.

De toutes parts. - Très bien ! très bien !

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Mais lorsque je veux placer la religion là où elle doit être réellement, dans sa véritable sphère, je ne puis consentir à être accusé d'hostilité contre elle ou contre le clergé, chaque fois que nous aurons à discuter un point de droit public ou privé, une mesure qui de près ou de loin, directement ou indirectement peut atteindre le clergé. Le règlement des affaires temporelles n'est pas de son domaine...

Un membre. - La charité !

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Permettez, messieurs, (page 598) laissez-moi continuer. Qu'importe à la religion et qu'importe eu. réalité au clergé, tel ou tel mode d'administration des biens des pauvres ? Est-ce que la religion est intéressée, est-ce que le clergé est intéressé à ce que la charité se fasse par l’entremise d'administrateurs nommés par l'autorité publique ou choisis par le testateur ? Que le clergé, messieurs, et veuillez l'y convier, que le clergé se confonde avec la société civile, qu'il marche d'accord avec elle, qu'il inspire d'abondantes libéralités au profit des pauvres, qu'il accepte le contact de l'autorité civile, qu'il ne place point l'autorité civile en suspicion, et tout le monde sera d'accord pour le seconder.

Si vous provoquez le clergé à faire fructifier les aumônes et à les verser dans les caisses de l'autorité publique, de cette autorité qui ne demande qu'une seule chose, de pouvoir contrôler l'emploi des biens ainsi donnés, de savoir au nom de la société si ces biens ne sont pas divertis, si vous conviez le clergé à entrer dans cette voie, qui est sage, qui est raisonnable, n'y aurait-il pas un grand pas, un pas immense fait vers cette conciliation dont vous parlez tant ? La défiance que l'on fait paraître contre l'autorité civile ne peut que provoquer des représailles du même genre à l'égard du clergé.

Le vice n'est pas dans la législation ; il est dans la défiance injuste qu'on veut faire peser sur l'autorité civile.

L'honorable M. Dedecker me paraît donc s'être entièrement trompé ; toutes les choses belles, raisonnables, sensées, profondément senties qu'il a pu vous dire sur la charité, je veux les appliquer ; que tout se fasse dans le sens indiqué par l'honorable M. Dedecker.

Mais pourquoi exclure l'autorité civile ?

M. Dedecker. - Je ne l'exclus pas.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Vous l'excluez virtuellement ; vous réduisez l'autorité civile à un rôle purement passif ; vous lui dites : « Intervenez pour accepter ; cela fait, tout est accompli ; votre rôle a cessé. » Est-ce là, messieurs, le rôle que peuvent jouer les représentants de la société ?

Je reviendrai tout à l'heure sur ces considérations, en rencontrant diverses autres objections qui ont été présentées par l'honorable M. Dedecker.

Mais ici, et pour suivre l'ordre que l'honorable orateur a suivi, je rencontre une critique de l'honorable membre, au sujet de l'éloge que j'aurais fait de. la révolution française de 89, en ce qui concerne la législation spéciale sur la charité légale ; il s'est demandé si cet éloge était bien placé dans la bouche d'un ministre du Roi.

Je le crois, messieurs ; j'ai dit que la révolution de 89 était une grande et magnifique révolution ; je n'ai pas parlé des excès de 92 et de 93 ; j'ai prononcé ce mot de 89 qui rappelle l'abolition des jurandes et des maîtrises, l'abolition des privilèges de la noblesse et du clergé ; qui rappelle l'avènement du tiers état. C'est à cette révolution que nous devons ce que nous sommes ; et comme nous avons reçu de père en fils, avec le sang, le souvenir des ignominies qu'on fit peser sur le tiers état pendant des siècles, nous pouvons aussi aujourd'hui glorifier cette magnifique révolution de 89, et nous devons plaindre ces insensés, ces ingrats qui renient cette mère glorieuse qui les a mis au monde à la vie publique ; qui, de parias qu'ils étaient, les a faits citoyens, et pour tout dire en un mot, qui a proclamé de nouveau cette loi du Christ, la grande et sainte loi de l'égalité !

C'est à elle que nous devons notre organisation sociale, organisation que nous devons consolider, que nous ne devons laisser attaquer sur aucun point ; c'est à elle aussi que nous devons, je l'ai déjà dit, l'organisation de la charité légale.

Cette législation, dit-on, a eu peur objet de mettre obstacle à l’établissement des corporations ; mais peut-il en être ainsi, me dit l'honorable M. Dedecker,, lorsqu'il s'agit des pauvres ?

Et d'abord quel sens donne-t-on au paragraphe de l'article 84 de la loi communale, sur lequel on se fonde pour prétendre à un droit tout à fait nouveau ? Est-il général, absolu ou exceptionnel ? S'il est général, s'il s'applique à toute espèce de fondations et dispositions testamentaires, c'est précisément la reconstitution de toutes les corporations, c'est de droit de faire par testament, avec l'assentiment du gouvernement, des personnes civiles, il n'y a pas lieu, semble-t-il, de restreindre l'article 84 aux legs en faveur des pauvres.... La charité, les pauvres ne sont ici que les prétextes qui servent à colorer les attaques dirigées en ce moment contre nous. Cela s'applique donc à toute espèce d'établissements qu'il conviendra à un testateur de décréter par sa seule volonté ; il y aura donc des fondations de tout genre ; c'est donc la reconstitution de l'ancien régime.

Au contraire, la disposition serait-elle spéciale, s'appliquerait-elle aux seuls établissements de bienfaisance, aux seuls legs, aux seules fondations en faveur des pauvres ? Dites-le ; et lorsque vous l'aurez dit, vous ne m'aurez pas vaincu sur ce terrain ; car ce que vous essayez de faire à l'aide de l'interprétation que vous donnez à l'article 84, vous trouvez encore dans la législation d'autres moyens de le faire pour d'autres objets. Ainsi. par extension et par abus de dispositions actuellement existantes, n'avons-nous pas vu, sous le ministère précédent, des fondations d'instruction publique autorisées, décrétées et qui sont en plein exercice ?

M. d’Anethan. - La cour en a reconnu la légalité.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je ne puis discuter ici des arrêts de cour d'appel que, très probablement, vous invoquiez mal à propos.

Voilà donc, en matière d'instruction, le moyen de reconstitution des corporations. A la vérité, l'honorable M. Dedecker ne voudrait pas qu'on entrât dans cette voie ; mais, hélas ! les ministères précédents s'y sont profondément engagés et il est temps de s'arrêter. Et pour un autre point, quel abus n'a-t-on pas fait, dans ces derniers temps, des décrets de 1809 et de 1810, décrets inconstitutionnels, qui n'ont quelque légalité que parce qu'ils n'ont pas été attaqués dans les délais déterminés par les constitutions de l'empire ?

Quel abus n'a-t-on pas fait de ces décrets qui autorisaient le gouvernement à donner la personnification civile à des congrégations hospitalières ? Sous prétexte de congrégations hospitalières, nous avons vu pulluler les corporations enseignantes ; on ne s'est pas enquis du point de savoir si la congrégation hospitalière avait seulement ce but charitable de soigner les malades ni si ce but était réellement rempli ; on a laissé s'implanter dans le but une foule de corporations enseignantes ; eh bien, tout cela, encore une fois, c'est la reconstitution de l'ancien régime.

L'honorable membre auquel je réponds a supposé que le système qui avait été appliqué par le gouvernement était un système nouveau ; mais nous n'avons rien inventé ; nous avons appliqué la législation telle qu'elle est ; la seule chose nouvelle, c'est le système que nous combattons, et qui consistée prétendre qu'à la faveur de l'article 84 de la loi communale, tout testateur, avec l'approbation du gouvernement, peut établir toute espèce de fondation.

Selon le système de la législation tel qu'il existe depuis plus d'un demi-siècle, nous soutenons que les établissements publics seuls peuvent recevoir et administrer les biens qui sont donnés aux pauvres ; nous soutenons que cela s'est ainsi fait depuis 1789 jusqu'à ce jour et doit continuer à être fait. Vous prétendiez, au contraire, que pour que la charité ne soit pas gênée dans son exercice, il faut permettre à tout testateur, avec l'autorisation du gouvernement, dites-vous, d'instituer tel administrateur qu'il trouve bon, parent, ami, connaissance prêtre ou laïque, pour administrer et distribuer les biens, comme il l'entend, comme il veut, sans contrôle, sans que l'autorité civile ait aucun moyen de contrôler l'emploi des fonds.

Messieurs, nous ne voulons pas restreindre la charité. La charité privée a toute liberté. Qui songe à l'entraver ? qui veut y porter obstacle ? quelle est la mesure par laquelle on aurait élevé la prétention de contrarier en quelque façon que ce soit la charité privée ? Il ne s'agit pas ici de la charité privée ; tout homme vivant en Belgique a droit de la faire comme il l'entend, cela n'est soumis à aucune espèce de règle, aucune espèce de contrôle ; on s'en rapporte à sa conscience, à son intelligence. Mais, de quoi nous parle ici M. Dedecker ? D'un homme mort, à qui il suppose une volonté, et une volonté immuable à perpétuité !

C'est pour cette volonté, après qu'on a cessé d'être, qu'il faut des institutions ; et toute la question dès lors se réduit à savoir si mieux vaut celles qui sont placées sous votre contrôle à vous législateurs, sous le contrôle de tous les citoyens, qui s'administrent au grand jour, ou bien s'il faut donner la préférence à ces administrations bâtardes semées par tout le pays, aussi nombreuses qu'il peut y avoir de donations, agissant sans contrôle, administrant selon le caprice de celui que le hasard appelle à les diriger ! Voilà la question ; elle est là et pas ailleurs. Nous voulons l'administration publique intervenant dans la gestion du patrimoine du pauvre, vous voulez qu'après sa mort un individu puisse imposer à la société une administration de ses biens à perpétuité.

Vous voulez de plus que ce soit sans contrôle, sans qu'on puisse demander compte à cette administration de l'emploi des fonds qui lui ont été confiés ; vous voulez qu'à perpétuité, sans que la société puisse s'enquérir, si les fonds ont été bien employés, s'ils ont servi à leur destination, un administrateur puisse en faire ce que bon lui semble ; vous vous abandonnez à la foi d'un inconnu.

J'entends qu'on dit : L'autorité pourra intervenir ; mais de quel, droit la société pourra-t-elle intervenir si le testateur l'a exclue ? Selon vous, la volonté du testateur qui exclut l'autorité civile de l'administration du legs doit être respectée ; s'il préfère un prêtre ou un laïque, un parent ou un ami et, après eux, ce qui devient grave, le successeur ou l'héritier et ainsi à perpétuité, selon vous, cette volonté est sacrée.

Si cette volonté doit être respectée, comment la volonté qu'il manifesterait d'exclure tout contrôle, la dispense qu'il accorderait de rendre compte ne serait-elle pas également respectée ? Si l'autorité voulait exercer un contrôle, on lui demanderait quelle est la loi qui l'autorise à intervenir dans la surveillance des établissements ainsi créés ? i Je dois le répéter en terminant, la charité, le clergé, la religion sont parfaitement étrangères à la question qui nous occupe. La seule question à examiner, c'est de savoir si l'administration des biens des pauvres doit rester confiée à l'autorité civile (je ne parle pas de la charité exercée par des hommes vivants), ou si les biens légués aux pauvres pourront être administrés à perpétuité par des administrateurs désignés par les testateurs. Vous ne pouvez admettre ce dernier système ; ce serait donner à la volonté d'un mourant la puissance de créer des personnes civiles ; ce serait reconnaître à tout moribond une sorte de pouvoir législatif.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ajouterai que quelques (page 599) mots, je craindrais affaiblir l'impression du discours que vous venez d'entendre. Mais je dois protester contre l'imputation d'avoir voulu faire de la question qui nous occupe une question de système, une question de parti. Le gouvernement n'a vu dans cette affaire qu'une question d'équité et une question de légalité ; ce sont nos honorables contradicteurs qui font de cette affaire une question de parti. Si, au lieu d'instituer des administrateurs ecclésiastiques, l’abbé Lauwers avait institué des administrateurs laïques, la question n'aurait pas été soulevée dans cette enceinte. C'est parce que l'institution porte sur des membres du clergé, parce que les administrateurs désignés par le testateur appartiennent à l’Eglise, qu'on nous accuse de faire de cette affaire une question de parti, et d'avoir voulu les exclure. Non, encore une fois, nous n'avons vu là qu'une question d'utilité, d'équité, de légalité, abstraction faite de la qualité des personnes ; et nous aurions fait la même chose quand les administrateurs désignés eussent été laïques ; nous l'aurions même fait à plus forte raison, car si la loi nous l’avait permis nous aurions admis de préférence, pour administrateurs spéciaux, des ecclésiastiques, parce que nous avons une grande confiance dans la moralité, dans les vertus des membres du clergé, que nous craindrions encore moins d'abus de leur part que de la part d'administrateurs laïques indépendants. Nous avons donc exclu les administrateurs désignés par le curé Lauwers, quoique ecclésiastiques et non parce qu'ils étaient ecclésiastiques. J'ai dit que nous n'avions vu qu'une question d'équité. Comment pouvions-nous juger de l'équité autrement que par tous les avis dont nous étions entourés ? Car les attaques dont nous sommes l'objet ne sont que la mise en suspicion, sinon la mise en accusation de toutes les autorités qui, sans en excepter une seule, ont donné des avis favorables aux parents indigents du testateur. Nous n'avons même pas été aussi loin que nous aurions pu le faire, si nous nous étions entièrement conformés à l'avis de ces autorités.

La députation permanente entre autres dit dans son avis qu'elle estime que la part des parents pauvres du testateur doit être au moins de la moitié du produit net de la succession : et nous n'avons donné aux parents pauvres du testateur que la moitié du produit brut, ce qui est inférieur à l'opinion émise par la dépuration.

De ce que nous maintenons, dans cette circonstance, tous les droits de l'autorité civile, de ce que nous voulons laisser intacte cette grande institution des établissements publics de bienfaisance que la France nous a léguée, que toutes les nations étrangères nous envient et que quelques-unes nous ont empruntée, s'ensuit-il que nous voulions exclure toute espèce de concours du clergé dans l'administration de la charité légale ? Non, messieurs, ce que nous répudions, c'est la gestion, c'est l'administration, c'est le droit absolu, exclusif d'administrer. Mais dans diverses circonstances le gouvernement, et nous le ferions également, a permis une certaine intervention, conformément aux volontés des testateurs. Le gouvernement a plus d'une fois autorisé ces administrations publiques à prendre l'avis des membres du clergé, à leur demander des listes des pauvres qui pourraient leur servir de guide dans les distributions à faire. Une intervention officieuse de cette espèce ne serait jamais refusée, parce qu'elle n'a rien de contraire aux dispositions de la loi.

Pourquoi dans l'affaire de la succession de M. Lauwers une semblable mesure n'a-t-elle pas été prise ? C'est parce que les distributions devaient être faites aux pauvres de Bruxelles par l'entremise des comités de charité institués en vertu de la loi, comités de charité dont MM. les curés de Bruxelles sont de droit les présidents. Ainsi, ils devaient être eux-mêmes les intermédiaires des distributions à faire et par conséquent les exécuteurs légaux des dispositions et des volontés du défunt.

Messieurs, c'est ce qui a été fait dans d'autres circonstances. Dans une affaire assez récente encore, dans celle de l'acceptation des legs de la dame Hecquet de Berenger, il y a eu aussi des réclamations. Les membres du clergé de Bruxelles prétendaient aussi que les revenus des legs fussent mis à leur disposition, et que la distribution leur en fût exclusivement confiée. Qu'a répondu alors mon honorable prédécesseur ? Il a répondu que la réclamation de MM. les curés de Bruxelles était sans objet depuis la création des comités de charité dont le curé est président dans chaque paroisse. En un mot la solution donnée à cette réclamation par l'honorable M. d'Anethan n'a été autre que celle qui a été donnée dans l'affaire Lauwers et qui se trouve consignée dans les motifs de l'arrêté du 30 décembre.

Un mot encore, messieurs, sur la question de légalité.

L'honorable M. Malou a prétendu que l'article 84 de la loi communale avait rétabli le droit de nommer des administrateurs spéciaux. Mais si l'honorable M. Malou soutient ce système, il doit le maintenir à tous effets quelconques. Le système mixte qu'il est venu vous présenter et qui consisterait à faire intervenir les administrations publiques pour accepter les legs et les administrateurs spéciaux nommés pour la disposition et la distribution, ce système mixte n'est pas admissible, si l'article qu'il invoque doit avoir l'interprétation et la signification qu'il lui donne. De deux choses l'une, ou le droit de nommer des administrateurs spéciaux appartient au testateur, et dans ce cas lorsque le testateur a nommé des administrateurs spéciaux, il faut que tout se fasse exclusivement par leur entremise. Ou bien cet article, comme nous le soutenons, ne peut pas avoir la portée qu'on lui donne ; et dans ce cas les administrateurs spéciaux n'ont aucune qualité légale.

Et par la même raison que vous reconnaissez vous-mêmes que les administrations publiques ont seules qualité pour accepter les legs, la conséquence c'est qu'elles ont seules qualité pour gérer, administrer et distribuer les revenus de ces legs. (La clôture !)

M. Malou. - Messieurs, j'avais le droit d'espérer, après les paroles que j'ai prononcées devant la chambre, que le système qui seul me paraît légal, vrai, social, ne serait pas transformé par M. le ministre des travaux publics en une aspiration vers l'ancien régime.

Lorsque je défendais ce système qui n'est après tout, quand vous l'aurez analysé, quand M. le ministre des travaux publics lui-même l'aura analysé, qui n'est après tout, si le gouvernement persiste dans ses idées, qu'une protestation en faveur de la liberté, j'avais le droit de croire, lorsque je protestais au nom de la liberté, qu'on ne m'accuserait pas de vouloir ressusciter tout l'ancien régime et qu'on ne rattacherait pas à mes idées je ne sais quelle vaste conspiration.

Cette conspiration, comment se produit-elle ? Je cite un exemple. L'évêque de Liège, dans un mémoire qui nous a été distribué, réclame, nous dit-on, contre la législation qui organise la surveillance du temporel du culte. Et parce que l'évêque de Liège aurait élevé cette prétention, nous, qui soutenons ici, sur une question spéciale, ce que nous croyons en conscience, comme bons citoyens, être l'intérêt des pauvres, on nous accuse de nous associer à une opinion sur laquelle nous ne nous sommes pas prononcés, à une opinion que, pour mon compte, si elle a été exprimée, je suis disposé à combattre de toutes mes forces.

Sous le rapport du temporel du culte, comme pour l'instruction, comme pour la bienfaisance, nous devons maintenir, non pas le système de la révolution de 1790, mais le système historique belge, le système qui existait en Belgique pour la bienfaisance, pour l'instruction, pour tous les grands intérêts généraux, bien longtemps avant la révolution française. On perd de vue que nous sommes les aînés de la France en fait de liberté. Lorsqu'on vous parle ici de la révolution française, comme on en parlerait à Paris, on méconnaît notre histoire. Le tiers état était tout en Belgique longtemps avant qu'il ne fût proclamé quelque chose en France.

Moi aussi, je m'associe, je m'associerai toujours, qu'il s'agisse de l'instruction publique de la bienfaisance ou du temporel du culte, je m'associerai toujours aux grands principes de sécularisation du pouvoir, ces grands principes qui sont dans la constitution de 1789 et dans la constitution de 1830.

Si, pour les questions de liberté et d'organisation des pouvoirs, il m'était possible de faire ici un parallèle entre l'esprit de la première période de la révolution française et l'esprit de la constitution de 1830, de grands enseignements pour chacun de nous en résulteraient sans aucun doute.

Je m'associe, messieurs, à la sécularisation de la bienfaisance publique. Et que demandons-nous après tout ? Nous demandons, en maintenant ce principe, que vous n'excluiez pas une des formes de la charité privée. Voilà tout notre système opposé au vôtre.

En fait, que nous dit-on ? On nous dit : Vous aurez des administrations en nombre indéfini ; vous aurez le chaos, l'anarchie ; et de la même voix, dans le même instant, on ajoute : Ce sont des faits très exceptionnels.

Eh quoi ! parce que, exceptionnellement, votre législation permettra d'avoir égard à la volonté d'un testateur, qui aura préféré que la main du ministre de son culte, que la main d'un dominé, ou d'un rabbin distribue les aumônes qu'il a voulu laisser après sa mort, vous aurez le chaos !

Comment, messieurs, il sera permis à la charité privée de distribuer des largesses de la main à la main ; et on mettra obstacle à la bienfaisance qui veut se perpétuer, à la bienfaisance qui veut créer des fondations pour que l'avenir, qui aura ses misères plus grandes peut-être que les nôtres, ait aussi de plus grands moyens de les soulager ! Oui, messieurs, s'il y avait une différence à établir entre les manifestations de la charité, je voudrais que les faveurs les plus grandes de la loi fussent pour cette charité qui fonde et non pour cette charité qui donne pour dépenser ; qu'elles fussent pour cette charité qui crée pour des besoins du présent et prévoit en même temps aux besoins de l'avenir. Pour elle doivent être les sympathies les plus vives de la législature.

Qu'on dise après cela que le droit de tester, de donner effet à sa volonté est une extension hardie du droit de propriété. C'est là un fait contre lequel l'histoire de la législation civile de tous les peuples vient protester.

Il est, messieurs, de l'essence de la propriété de pouvoir se transmettre. La libre disposition de ce que l'homme possède est de l'essence même de la propriété, et tout autre système va droit, contre l'intention de M. le ministre, je n'hésite pas à le dire, à la déshérence au profit de l'Etat, au communisme, au socialisme.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas parlé d'une extension hardie du droit de propriété, mais d'une extension hardie de la volonté.

M. Malou. - Soit. J'aurai mal compris. Mon observation reste en principe.

Pourquoi, nous dit-on, exclure l'autorité civile ? Et pouvez-vous réserver cette intervention, lorsque vous demandez que l'article 84 de la loi communale reste encore dans notre législation ? En vertu de quelle loi admettez-vous la surveillance ?

Messieurs, je m'étonne que l'honorable ministre de la justice, qui a (page 600) dans ses attributions les fondations de l'instruction publique, ne se soit pas chargé de répondre à la place à son collègue, M. le ministre des travaux publics. Dans toutes les fondations pour l'instruction publique, on a trouvé le moyen de concilier parfaitement, avec une surveillance rigoureuse de la gestion du patrimoine de l'instruction publique, l'observation fidèle de la volonté des testateurs.

Je demande que dans les circonstances où exceptionnellement des fondateurs pour des œuvres de bienfaisance proprement dites useront du même droit légal, on garantisse cette même surveillance ; et je le demande parce que ce n'est pas, comme l'a dit M. le ministre, contrarier, détruire en fait la volonté du testateur, mais c'est, au contraire, en assurer l'exécution d'une manière permanente.

Vous demandez en vertu de quelle loi vous avez ce droit. Mais vous l'avez par la nature des choses, et au besoin vous l'avez en vertu de l'article 910 du Code civil. C'est un droit qui a toujours été exercé, et je m'étonne d'avoir à l'établir.

Un doute grave subsiste dans mon esprit. D'après les premières explications qui ont été données, je devais croire que de l'article 84 il restait encore quelque chose, mais cet article, aujourd'hui, est évanoui comme un fantôme, comme un mirage.

Je demande, d'après la discussion, pourquoi, en 1836, on a écrit cette disposition dans la loi communale. Qu'on veuille bien, d'après les discours de MM. les ministres citer une seule circonstance où cette disposition pourra encore avoir effet ; et si on ne peut pas en citer une seule quelle conséquence faut-il en tirer ? Que la disposition ne peut pas être interprétée comme l'ont interprétée mes honorables adversaires, car vous ne pouvez pas admettre qu'on ait écrit dans la loi un non-sens, une disposition, qui ne pût recevoir aucune application.

La loi dit : « il n'est pas dérogé, » dérogé à quoi ? Mais aux actes de fondation, c'est-à-dire qu'il y a possibilité légale d'instituer des administrateurs spéciaux. « Il n'est pas dérogé aux actes de fondation qui créent des administrateurs spéciaux. » Voilà ce que dit l'article 84. Mais il ne dit pas et MM. les ministres raisonnent comme s'il disait : Il n'est pas dérogé à la loi de frimaire an V, et au décret de l'an XI ; ce n'est pas là ce qui se trouve dans la loi communale, c'est le contraire qui s'y trouve.

La première fois que j'ai pris la parole dans ce débat, j'ai démontré que le gouvernement, dans des circonstances analogues à celle-ci, a trouvé des moyens légaux de se conformer mieux à la volonté des fondateurs. Je vous ai cité trois dispositions royales qui, d'après la législation actuelle devraient être insérées au Moniteur. Pour rendre mes observations plus claires, plus complètes, il serait bon de les insérer au Moniteur et je me crois en droit de faire cette insertion puisqu'elles ont été déposées sur le bureau de la chambre et que, si je me suis abstenu de les lire pour épargner les moments de la chambre, j'en ai fait le texte de mes observations.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Pourquoi M. d'Anethan ne les a-t-il pas fait publier ?

M. Malou. - L'interruption m'étonne. Depuis 1830 on était dans l'usage et on avait le droit, d'après la loi, de ne publier des dispositions de cette nature que par extrait. Ce n'est que depuis la loi de 1845, que M. le ministre de la justice connaît sans doute, qu'on doit les publier textuellement au Moniteur.

Les honorables ministres qui ont pris la parole dans ce débat, disent qu'ils ne veulent pas restreindre la charité privée. Je rends pleine justice à leurs intentions, je crois que tel n'est pas leur but ; mais je m'efforce de leur prouver, que leur système tend, indépendamment de leur volonté, à restreindre la charité privée. M. le ministre des travaux publics a fort bien démontré que tout fondateur fait beaucoup mieux de léguer aux hospices la fortune qu'il veut donner aux pauvres, que d'instituer des administrateurs spéciaux.

Je dois avouer qu'après cette démonstration si lumineuse, si je pouvais un jour laisser ma fortune aux pauvres, je n'hésiterais pas à suivre le conseil de M. le ministre des travaux publics ; mais la question est de savoir si les testateurs qui, malgré les observations de M. le ministre, ne partageront pas sa manière de voir et préféreront instituer des administrateurs spéciaux, auront le droit de le faire. Or, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, s'ils n'ont pas ce droit, en fait, vous restreignez la charité privée. Ce résultat est inévitable, il est dans le cœur humain, dans la nature des choses.

On nous demande sérieusement si l'article 84 s'applique à tous les établissements. Mais il suffit de le lire pour se convaincre que le n°2° s'applique exclusivement aux établissements de bienfaisance. Il est impossible de se méprendre sur ce point.

J'allais oublier une dernière objection. Comment, dit-on, vous permettez à un mourant, à une personne qui n'a plus de volonté dans la société civile, vous lui permettez de faire ce que le gouvernement même ne peut pas faire, de créer un être moral ayant des droits dans la société. Mais, messieurs, si cette objection est fondée, elle va beaucoup plus loin ; il n'est dit nulle part que ce sera par un acte de dernière volonté que l'on pourra créer des fondations de bienfaisance ou d'instruction publique. Si le raisonnement est vrai, il est désormais impossible de constituer d'une manière permanente, comme fondation, soit par acte entre-vifs, soit par acte de dernière volonté, un capital quelconque, soit pour l'instruction soit pour la bienfaisance : car là aussi c'est la volonté de l'homme qui crée, sous l'approbation du gouvernement, les fondations dont il s'agit. Mais si le raisonnement est fondé, de quel droit l'appliquez-vous exclusivement aux actes de dernière volonté et lorsque vous avez même dans la législation une disposition formelle telle que l'article 84 de la loi communale, de quel droit soutiendrez-vous que le concours du gouvernement ne suffit pas pour créer une personne civile lorsque le capital nécessaire à la fondation, est constitué par acte entre-vifs ou de dernière volonté ?

Ainsi, messieurs, en résumé, à notre point de vue, le débat est celui-ci. Nous voulons le maintien intact, entier, du système des administrations séculières aussi bien pour la bienfaisance que pour toutes les autres parties de l'administration. Là nous sommes d'accord, non seulement en principe mais j'espère que nous aurons bientôt l'occasion de montrer à nos amis, à nos adversaires, de montrer au pays que nous sommes fidèles à la devise de 1789 et de 1830.

Lorsqu'on se jette dans la discussion de vagues généralités, lorsqu'on cherche à tirer d'un incident ou d'un fait spécial l'indice de vastes conspirations de la part de ses adversaires contre les idées du XIXème siècle, nous sommes dans le faux, nous sommes dans les discussions éternelles, et éternellement stériles de l'esprit de parti. Mais lorsque, au contraire, on arrive dans les faits, dans les questions d'application, on voit s'évanouir tous ces fantômes d'ancien régime et de régime nouveau ; alors on ne voit plus que des citoyens belges, fidèles à l'œuvre de 1830 et qui savent transiger pour que cette œuvre vive, pour qu'elle dure.

M. de Theux. - Je dois, messieurs, donner un mot d'explication sur une observation qui a été faite par l'honorable M. Dedecker. L'honorable M. Dedecker a parlé d'un acte du ministère précédent, relatif à la société de Saint-Vincent-de-Paul. Il a cru voir dans cet acte une pensée hostile envers cette société. Il n'en est rien, messieurs. L'honorable général Prisse rendait hommage au zèle de la société de Saint-Vincent-de-Paul, à tel point qu'il permettait aux employés de ses bureaux d'en faire partie, mais voici les faits qui ont exigé de sa part la disposition relative aux officiers de l'armée active.

Quelques officiers de la garnison de Gand faisaient partie de la société de Saint-Vincent-de-Paul, on crut que ces messieurs auraient exercé une espèce de surveillance sur leurs camarades et se flattaient d'avoir des titres spéciaux à des promotions, à raison de leur participation à cette société. De là des altercations dans le corps d'officiers, des provocations en duel, provocations qui s'élevèrent en peu de jours jusqu'à 6 ou 7. Dès lors le ministre de la guerre avait un devoir à remplir, c'était de rétablir l'harmonie et la paix parmi les camarades d'armes, et c'est là le motif qui l'a déterminé à défendre aux officiers de faire partie non seulement de la société de Saint-Vincent-de-Paul, mais de toute autre société, et, messieurs, la mesure prise par M. le général Prisse a été trouvée tellement bonne par son successeur M. le général Chazal, qu'il l'a maintenue dans toute son intégrité.

On m'a attribué, messieurs, sur l'article 84 de la loi communale une opinion qui n'est pas la mienne, la meilleure preuve en est dans le discours prononcé hier par M. le ministre de la justice et dans l'arrêté qui a été contresigné par moi, de concert avec l'honorable M. Ernst, alors ministre de la justice. Le sens de l'article 84 ne peut être en aucune manière douteux : les premières dispositions établissent le mode de nomination des administrateurs des hospices et des bureaux de bienfaisance, puis par une disposition subséquente l'article dit : « Il n'est point dérogé aux actes de fondation qui établissent des administrateurs spéciaux. »

Cette disposition est-elle exclusivement relative au passé ou embrasse-t-elle également l'avenir ? Il est évident que la loi ne fait pas de distinction entre le passé et l'avenir ; parlant en termes généraux, elle embrasse également et l'avenir et le passé.

D'ailleurs la simple lecture de la discussion montre que l'on ne s'occupait pas du passe, si ce n'est dans la crainte qu'on ne voulût, en quelque sorte, rétablir toutes les anciennes administrations qui existaient dans le principe mais on déclara que telle n'était pas la portée de la loi, qu'elle tendait surtout à établir une plus grande liberté pour l'avenir.

Toutefois l'on aurait tort de conclure ne la disposition de l'article 84 qu'il appartient au testateur seul de créer des administrateurs spéciaux ; il faut encore l'intervention du gouvernement.

Du reste, les choses se sont passées ainsi, même sous l'empire ; il en a été de même sous le gouvernement des Pays-Bas, et cela en vertu des dispositions contenues dans les règlements pour les villes et le plat pays.

M. le ministre des travaux publics a fait un appel à la conciliation ; il a dit que, loin de repousser le clergé, il l'invitait à s'associer à l'autorité civile.

Pour nous, nous appelons également, autant qu'il est en notre pouvoir, cet esprit de conciliation ; mais cet appel, nous ne le faisons pas seulement au clergé, nous le faisons encore à l'administration civile ; nous nous adressons donc aux deux autorités qui, par leurs efforts combinés, peuvent le plus efficacement venir au secours des indigents. Il est essentiel de ne pas perdre de vue qu'il ne suffit pas de donner aux pauvres, pour le moment présent, de la nourriture, des vêtements, du chauffage, mais qu'il faut encore chercher à tarir les sources de la pauvreté.

Les administrateurs de la charité ne doivent négliger aucun moyen en leur pouvoir, de moraliser ceux qu'ils ont mission de secourir.

Ainsi, lors des visites qu'ils font, là où les visiteurs aperçoivent des habitudes de paresse, ils doivent encourager au travail ; là où ils voient régner l'ignorance, ils doivent recommander la fréquentation (page 601) de l'école ; là où règnent des vices, ils doivent encourager à l'abandon de ces vices, à la pratique des vertus chrétiennes et civiles ; là où se fait remarquer de la négligence dans les soins hygiéniques, ils doivent donner des conseils pour entretenir la santé, la rétablir, si elle est altérée.

C'est en unissant tous les efforts, tant de la part du clergé que de la part des administrateurs des pauvres qu'on parviendra surtout à diminuer les sources de la pauvreté ; c'est là le point capital.

- On demande la clôture,

M. Verhaegen (contre la clôture). - Je voudrais dire quelques mots sur les questions nouvelles qu'on vient de soulever. Je voudrais établir qu'un curé qui laisse improductifs chez lui 120,000 francs pendant deux des années les plus calamiteuses que nous ayons eues, et qui meurt en janvier 1847, n'a pas fait ce que les pauvres étaient en droit d'attendre de lui : ce qui prouve que le contrôle de l'autorité publique est nécessaire, et c'est à ce point de vue que j'aurais voulu dire quelques mots.

- La discussion générale sur le chapitre IX est close.

Article premier

« Art. 1er. Frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés, dont le domicile de secours est inconnu : fr. 25,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Subsides : 1° pour favoriser l'érection et l'amélioration des hospices d'aliénés, l'organisation et le soutien des établissements de bienfaisance, des ateliers de travail et d'autres institutions en faveur des classes ouvrières et indigentes ; 2° pour secours aux victimes de l'ophtalmie militaire qui n'ont pas droit à une pension ou à un secours à la charge du département de la guerre : fr. 160,000. »

La section centrale, d'accord avec le gouvernement, réduit le chiffre à 85,000 fr.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, dans le but d'éviter toute difficulté avec la cour des comptes, je prie la chambre d'ajouter les mots : « et toutes dépenses y relatives ».

M. d'Anethan. - Messieurs, d'après la proposition du gouvernement, le chiffre primitif, qui était de 160,000 fr., serait réduit à 85,000. Alors que le gouvernement juge cette dernière somme suffisante, je n'ai pas l'intention d'insister pour que la chambre vote le chiffre primitivement proposé. Je ne puis pourtant m'empêcher de faire une observation : M. le ministre de la justice consent à une réduction, parce que la loi sur les aliénés n'est pas encore votée, et que probablement il est d'avis qu'il n'y a lieu à rien donner pour les établissements de cette nature avant le vote de la loi.

Je suis loin de partager cette opinion, et je dois en outre rappeler à M. le ministre de la justice que des engagements ont été pris envers les établissements d'aliénés à Saint-Trond, à Ypres, par exemple. Pour la commune de Gheel, le subside est, il est vrai, maintenu ; mais d'autres obligations existent encore. Que fera le gouvernement pour un établissement très important, celui de Froidmont (Hainaut) ? Cet établissement, appartenant au gouvernement, sera-t-il abandonné ?

Messieurs, que va-t-il résulter de la réduction proposée par M. le ministre de la justice ? Il en résultera nécessairement que d'ici à assez longtemps aucune amélioration ne pourra être introduite dans les établissements de ce genre ; car la loi sur les aliénés ne sera probablement pas votée dans un court délai. Or, il est généralement reconnu que les établissements d'aliénés laissent beaucoup à désirer.

Je m'efforçais d'y introduire des améliorations successives, à cet effet l'aide du gouvernement était indispensable, il ne l'accordait qu'en prescrivant certaines conditions, indiquées par un médecin célèbre de Gand, qui par son expérience et ses lumières était à même de signaler les meilleures mesures pour atteindre le but désiré.

J'ai une dernière observation à présenter. D'après le relevé des dépenses faites en 1845, on a alloué aux établissements de bienfaisance 120,000 fr. ; et en 1846, 141,912 fr. L'emploi de ces subsides a été complètement justifié et n'a soulevé aucune critiqué, et maintenant on se borne à porter au budget 85,000 fr.

Je me demande si les besoins sont devenus moins pressants, s'il est moins utile que par le passé d'encourager des établissements de bienfaisance, s'il est moins désirable de voir le gouvernement seconder les efforts et le zèle de la charité ?

C'est moi, comme ministre, qui ai présenté le chiffre que mon successeur a cru devoir réduire ; il est donc naturel que cette réduction me fasse faire ces observations que je soumets à la chambre.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je reconnais avec l'honorable préopinant qu'il est urgent d'améliorer le régime des aliénés ; mais le gouvernement pense qu'il serait imprudent et prématuré de faire de grandes dépenses avant le vote de la loi dont la chambre est saisie puisqu'il pourra en résulter d'assez grandes modifications dans le système qui a été suivi jusqu'ici.

C'est dans cette pensée que j'ai cru devoir réduire le chiffre d'abord pétitionné du montant de la somme qui était destinée pour cet objet. Le gouvernement se réserve bien expressément de représenter ce crédit à un prochain budget, aussitôt que la loi aura été votée. Je le rétablirai même au budget de 1849 si j'ai l'espoir que la loi puisse être discutée et votée avant la fin de la session actuelle. J'aurais pu laisser figurer le chiffre de ce crédit au budget, sauf à ne pas dépenser la somme s'il n'y avait pas lieu de le faire ; mais comme j'ai eu l'honneur de le faire observer à la section centrale, j'ai cru devoir faire sur mon budget toutes les réductions possibles afin de pouvoir, sans augmenter le chiffre, total, comprendre un crédit supplémentaire de 170,000 fr. pour couvrir la dépense inattendue qu'a occasionnée la prison cellulaire de Bruges dont les devis ont été excédés de cette somme parce qu'on y a fait un étage de plus.

Il a donc fallu chercher les moyens d'alléger les chiffres du budget de manière à ne pas augmenter la dépense totale. Les pièces relatives à cette affaire me sont parvenues quand le budget était en discussion à la section centrale. Je le répète, au surplus, je n’ai distrait que temporairement le crédit demandé pour l’amélioration du régime des aliénés, j’espère pouvoir le représenter au prochain budget.

- L'article est mis aux voix et adopté avec le chiffre et le libellé proposé par M. le ministre.

Articles 4 à 6

« Art. 3. Frais de la commission instituée dans le but de rechercher les moyens propres à améliorer le sort des classes pauvres, et indemnité de son secrétaire : fr. 5,000. »

- La section centrale a proposé de réduire ce chiffre à 2,000 fr.

Le gouvernement s'est rallié à cette réduction.

-L'article ainsi modifié est mis aux voix et adopté.


« Art. 4. Subside pour l'érection des dépôts de mendicité agricoles : fr. 30,000. »

- La suppression, proposés par M. le ministre, est mise aux voix et prononcée.


« Art. 5. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 175,000. »

- La section centrale propose une réduction de 30,000 fr.

Le gouvernement se rallie à cette réduction.

Cet article, réduit au chiffre de 145,000 fr., est mis aux voix et adopté.


« Art. 6. Subsides : 1° Pour le patronage des condamnés libérés ; 2° pour faire établir et soutenir, à cette fin, des maisons de refuge, où sont également reçues les personnes qui veulent abandonner la voie du vice et de l'immoralité ; 3° pour venir en aide aux institutions qui forment des sujets propres au service des prisons, des dépôts de mendicité et d'autres établissements de bienfaisance : fr. 50,000. »

- Adopté.

Chapitre X. Prisons

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Depuis les modifications de chiffre que j'ai soumises à la section centrale, des adjudications ont eu lieu qui me permettent de proposer au chapitre des prisons une réduction de 80 mille francs sur le crédit demandé ; j'espère même que l'économie sera plus forte encore, mais je n'en suis pas assez certain pour porter la réduction au-delà du chiffre que j'indique. C'est sur l'article 9 du chapitre X qu'elle doit être faite ; le chiffre sera de 650,000 francs au lieu de 700 mille.

M. Cogels. - Le chiffre porté primitivement à l'article premier était de 1,100,000 fr. C'est sur la demande de M. le ministre que la section centrale a consenti à porter le chiffre à 1,600 mille. Cette augmentation est motivée de la manière suivante :

« En prenant pour basé la moyenne de la progression de la population des prisons, pendant les années 1845, 1846 et 1847, il faudra, pour faire face à l'entretien des détenus pendant 1848, en évaluant le coût de la journée au prix de 53 centimes, la somme de 1,595,962 fr., somme ronde 1,600,000 fr. »

Messieurs, la progression de la dépense des prisons a eu une double cause, d'abord l'augmentation de la population et surtout l'augmentation du prix des denrées alimentaires. C'est même la cherté des denrées alimentaires qui a contribué pour beaucoup à cet accroissement de la population.

C'est en 1846 et 1847 que nous avons vu accroître cette population d'une manière démesurée. Dès lors, je pense que M. le ministre a eu une idée fort peu consolante ; en présence de l'abaissement du prix des denrées alimentaires à un taux normal, nous devrions encore voir croître la population des prisons.

Il devrait y avoir, ce me semble, une décroissance en raison du retour des denrées alimentaires à un taux normal. Je pense que le chiffre de. 1,600,000 fr. est exagéré. Je sais que l'adoption d'un chiffre supérieure peut pas avoir de conséquences graves, car on ne peut pas faire des dépenses plus fortes que celles qui sont nécessaires ; mais il en résulte un autre inconvénient, on augmente par là l'insuffisance présumée des ressources nouvelles au-delà de ce qu'exigent les besoins réels.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous avons partout réduit les dépenses autant que nous l'avons pu.

M. Cogels. - Je n'incrimine pas les intentions, ceci est un fait ; si (page 602) au lieu de 1,600 mille francs pour l'entretien et la nourriture des détenus 1,100 mille francs suffisent, les besoins présumés seront augmentés de 500 mille francs, par conséquent les besoins de ressources nouvelles se trouveraient portés de 500 mille francs au-delà de la réalité. Maintenant je me fonde sur les besoins réels ; en 1844 et 1845, les dépenses de cet article ne se sont jamais élevées au-delà de 1,300 mille fr. ; quelquefois elles ne se sont élevées qu'à un million, par conséquent nous pouvons espérer de les voir encore se renfermer dans les mêmes limites.

M. le ministre nous a parlé des nouvelles adjudications qui ont été faites, et c'est justement à cette occasion que je voulais parler du système vicieux que l'on a adopté pour quelques adjudications, entre autres pour les denrées alimentaires qui doivent servir à la nourriture des prisonniers.

Il y a eu, le 5 novembre de l'année dernière, une adjudication de riz. La quantité de riz demandée était de 191,640 kilog., divisée en 10 lots. On a réservé au gouvernement le droit d'admettre, non pas les soumissions les plus basses, mais d'admettre telle espèce de riz qu'il jugerait convenable.

Qu'est-il arrivé ?

Un négociant a soumissionné un seul lot pour du riz carga au prix de 38 francs ; et le 29 novembre, on lui a fait l'adjudication de la totalité du riz à ce prix, tandis qu'un négociant de Termonde avait soumissionné pour 36 fr. seulement, et à l'époque où l'adjudication a été consentie, le riz de cette espèce n'était coté au prix courant de la bourse d'Anvers, qu'à 29 fr. Si nous ajoutons à ce prix de 29 fr. 10 pour cent de bénéfice et un franc pour le transport, nous arriverons à 35 fr. seulement.

Si le gouvernement avait agi sagement et s'il avait fait une nouvelle adjudication, après avoir spécifié la qualité de riz auquel on avait accordé la préférence, il aurait pu réaliser une économie de 2,000 fr.

Je suis persuadé qu'il n'y a eu aucune intention d'accorder une faveur. Cependant je prie M. le ministre d'examiner cet objet. Je pense qu'à l'avenir, dans les adjudications, on pourrait trouver le moyen d'obtenir des conditions plus avantageuses, et on pourrait en même temps obtenir, pour l'alimentation des prisons, des denrées d'une meilleure qualité. Car, si mes renseignements sont exacts, les riz auxquels le gouvernement a accordé la préférence, sont certainement ceux qui conviennent le moins ; ce sont enfin ceux de la plus mauvaise espèce.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. Cogels nous a fait un reproche assez grave. Il prétend que, dans le but de demander à la chambre des ressources nouvelles, nous exagérons les dépenses. Tout à l'heure l'honorable M. d'Anethan nous faisait un reproche différent. Il se plaignait de ce que j'avais réduit de 75,000 francs un crédit compris dans le budget qu'il avait présenté. Ce sont là des reproches tout à fait contradictoires.

Messieurs, la somme qui a été demandée pour les frais d'entretien, d'habillement et de nourriture des prisonniers, s'élève à 1,600,000 fr. Le crédit primitif se trouve donc augmenté de 500,000 fr. Mais l'honorable M. Cogels a oublié que pour l'année dernière il a fallu demander à la chambre un crédit supplémentaire d'un million ; de sorte que la dépense totale de l'entretien des détenus s'est élevée en 1847 à la somme de 2,100,000 fr.

C'est, messieurs, pour éviter de devoir demander un nouveau crédit supplémentaire pour 1848, que j'ai proposé de porter le chiffre à 1,600,000 fr.

Ce chiffre est-il exagéré ? En aucune manière. Il ne comprend que la moitié de la dépense supplémentaire qu'a exigée le service de 1847.

J'ai donc compté que le nombre des prisonniers serait moins élevé en 1848 qu'en 1847, que la journée d'entretien serait aussi plus avantageuse par suite d'une réduction dans le prix des denrées. Ces calculs ne peuvent se faire qu'approximativement ; car nous ne savons pas quelle sera la population des prisons dans le cours de l'exercice qui commence. Mais les évaluations sont faites de manière que nous avons presque la certitude de n'avoir pas de crédits supplémentaires à demander, à moins de circonstances tout à fait imprévues.

Messieurs, la population des prisons a été, en moyenne : en 1845, de 6,750 individus, en 1846, de 8,070 individus et en 1847, de 9,828 individus. Ainsi, en trois ans, la population des prisons s'est accrue de 35 à 40 p. c.

Quant à la journée d'entretien, elle avait été : en 1845, de 40 centimes, en 1846, de 51 centimes et en 1847 de 55 centimes.

J'espère que nous obtiendrons, et déjà les adjudications nous en ont donné la preuve, des réductions assez notables du prix des denrées, et que la population des prisons sera moins forte. Mais c'est précisément dans cette prévision toute favorable aux intérêts du trésor et qui, j'espère, se réalisera, que nous avons réduit le chiffre du crédit supplémentaire de 1847 d'un million à 500,000 fr.

Vous voyez donc que le seul but du gouvernement a été dans cette circonstance de ne pas avoir à demander à la chambre des crédits supplémentaires. Car c'est là un très mauvais système contre lequel la chambre a élevé souvent et élève à chaque instant encore de justes réclamations, et dont il importe de sortir, si nous voulons établir l'ordre et la régularité dans nos finances.

L'honorable M. Cogels a parlé d'abus qui se seraient introduits dans l'adjudication des vivres, et il a cité un fait qu'un journal d'Anvers avait déjà produit sur la plainte d'un adjudicataire évincé.

L'adjudication du riz se faisait autrefois dans chacune des provinces où se trouvent les prisons centrales. J'ai pensé qu'il était préférable que l'adjudication se fît à Anvers, parce que j'ai cru que le commerce d'Anvers était mieux en mesure de pourvoir de cette denrée l'administration des prisons.

L'adjudication a donc été annoncée à Anvers. Elle n'a produit que des résultats auxquels on ne pouvait s'attendre ; des soumissions tellement élevées pour la plupart des lots, qu'il était impossible de les approuver.

Cependant quelques lots avaient été adjugés à des prix assez avantageux, et l'adjudication avait pu être approuvée pour une faible partie.

J'ai consulté M. le gouverneur d'Anvers pour savoir ce qu'il y avait à faire dans cette circonstance. M. le gouverneur a envoyé un des agents | provinciaux à Gand pour s'aboucher avec l'un des adjudicataires qui avait fait l'entreprise pour l'une des maisons centrales de la Flandre. M. le gouverneur m'a fait savoir que cet adjudicataire consentait à faire la fourniture entière moyennant une légère augmentation de 2 fr. par 100 kilog., augmentation qui ne répondait qu'aux frais de transport qu'il devait faire en plus pour faire arriver le riz dans chacune des grandes prisons du royaume. J'ai permis alors de traiter avec cet adjudicataire au prix de 39 fr., tandis que le prix des autres lots était de 37 et de 38 fr. Mais toutes les autres soumissions avaient été faites à des prix tellement exagérés qu'il était impossible de les accepter.

Je crois inutile de donner à la chambre communication de la dépêche de M. le gouverneur d'Anvers qui a conclu ce marché, dépêche par laquelle il me propose de l'approuver.

Messieurs, les adjudicataires évincés font quelquefois retentir les journaux de leurs plaintes, et c'est ce qui est arrivé dans l'espèce. Les adjudicataires se livrent même souvent à une certaine tactique, c'est de s'entendre pour demander des prix très élevés, dans l'espoir que l'on pourra ensuite traiter avec eux de la main à la main moyennant un certain rabais. Mais lorsqu'ils échouent dans cette manœuvre, ils élèvent des plaintes. C'est ce qui a occasionné celle dont un journal d'Anvers s'est rendu l'écho.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je dois ajouter quelques observations à celles de mon honorable collègue M. le ministre de la justice.

Un honorable député a semblé faire le reproche au gouvernement d'une sorte de tactique au moyen de laquelle le gouvernement cherchait à démontrer à la chambre la nécessité de ressources nouvelles, à l'aide de l'augmentation exagérée de certaines dépenses.

Il y aurait de l'injustice à adresser ce reproche au gouvernement.

Nous cherchons, messieurs, à arriver à des budgets vrais, à des budgets sincères, qui ne mettent pas la chambre dans l'obligation, si souvent répétée depuis un certain nombre d'années, de voter des crédits supplémentaires, quelquefois égaux ou même supérieurs aux crédits primitivement votés au budget. Ainsi pour ne pas sortir de l'allocation sur laquelle on discute, le budget de la justice ne s'était trompé dans son évaluation que de la bagatelle d'un million ; mon honorable collègue le ministre de la justice a été obligé de venir demander un crédit supplémentaire d'un million sur une allocation de 1,100,000 fr.

Messieurs, fallait-il pour l'année 1848 exposer la chambre et le gouvernement à un pareil mécompte ? Non, M. le ministre de la justice n'est pas venu demander un crédit de 2 millions ; il a eu égard aux changements survenus dans les circonstances, à la diminution du prix des denrées alimentaires et il a réduit la demande à 1,600,000 fr. Par ce moyen, nous espérons que pour l'année 1848, nous ne serons plus obligés d'arriver avec de nouvelles demandes de crédits supplémentaires.

Nous avons si peu l'intention de grossir certains chiffres de budgets en vue de grossir le budget des voies et moyens, que chaque fois que nous l'avons pu, nous avons été les premiers à proposer des réductions dans les budgets de nos prédécesseurs. C'est ce qui est arrivé notamment pour le département de la guerre. Mon honorable ami M. le ministre de la guerre, avant même la discussion publique, en section centrale, avait commencé par proposer des réductions. En séance publique, il a proposé des réductions nouvelles.

C'est également la voie qui a été suivie par mon honorable ami M. le ministre de la justice. Il a proposé une première réduction qui a été combattue par son honorable prédécesseur et à l'instant même où l'honorable M. Cogels faisait ses observations, M. le ministre de la justice venait de proposer une nouvelle réduction.

Il aurait fallu dans le système qu'on veut nous supposer, nous abstenir de proposer toutes ces réductions. Nous aurions pu nous renfermer dans les chiffres qui avaient été jugés nécessaires par nos honorables prédécesseurs. Mais loin de là ; chaque fois que nous avons pu et aussi loin que nous avons pu marcher dans cette voie, nous avons proposé des réductions, et j'en ai fait moi-même au département de l'intérieur.

Ce que nous cherchons en un mot, messieurs, c'est d'arriver à une situation vraie, à un équilibre véritable dans nos finances. Nous ne cherchons pas à dissimuler les insuffisances du trésor. Nous croyons que c'est là un très mauvais système auquel il faudrait renoncer, si on l’avait suivi, Dissimuler les insuffisances du trésor, malheureusement ce (page 603) n'est pas les combler. Mais en même temps que nous n'avons pas voulu dissimuler les insuffisances du trésor, nous n'avons pas non plus voulu exagérer les dépenses.

Nous avons cherché et nous continuerons de chercher à arriver à des évaluations exactes à des évaluations modérées qui se concilient avec les besoins du service et qui épargnent en même temps à la chambre l'inconvénient des crédits supplémentaires.

Mon honorable collègue M. le ministre de la justice vous a annoncé que s'il lui était démontré que de nouvelles réductions peuvent avoir lieu sur l'allocation demandée pour le budget de 1849, il s'empressera de les proposer à la chambre.

Telle est, messieurs, la marche que tous les ministres entendent suivre : rester vrais dans nos propositions d'augmentation des dépenses et rester vrais aussi dans nos propositions de réduction.

M. Lange, rapporteur. - J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Cogels critiquer l'augmentation de 500,000 fr. demandée à l'article en discussion, par M. le ministre de la justice, et accueillie par la section centrale. Les explications qui viennent d'être données par M. le ministre de l'intérieur et par M. le ministre de la justice, me dispensent d'entrer dans des développements ultérieurs.

J'appellerai cependant l'attention de la chambre sur le fait qui vient de lui être signalé. C'est qu'en 1847 le crédit demandé pour le même objet était aussi de 1,100,000 fr., et que, dans le mois de décembre, un crédit supplémentaire de 1 million a dû être demandé à la chambre.

Cette demande fut reconnue tellement légitime, que la chambre l'adopta à l'unanimité.

Il n'est pas inutile de remarquer que le crédit demandé pour éviter une demande ultérieure ne comprend que la moitié de la somme supplémentaire votée pour 1847.

J'aurai une question à faire à M. le ministre de la justice.

La section centrale a demandé que l'augmentation de 500,000 francs soit portée à la colonne des charges extraordinaires et temporaires. Je désire savoir si M. le ministre de la justice se rallie à cette proposition.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai aucun motif pour ne pas me rallier à cette proposition. Cependant je ne pourrais assurer à la chambre qu'il ne faudra pas encore, les années suivantes, un crédit extraordinaire. Car, messieurs, nous ne pouvons pas espérer dans un an, ni même peut-être dans deux ans, de revenir au taux normal de la journée d'entretien, ni de voir redescendre le chiffre de la population de nos prisons à ce qu'il était il y a quelques années. Je crains que l'influence des circonstances que nous venons de traverser ne se fasse ressentir malheureusement encore pendant quelques années.

M. d’Anethan. - M. le ministre de l'intérieur vient de vous dire que le gouvernement voulait présenter des budgets sincères ; il a ajouté que l'année dernière je ne m'étais trompé que d'un million dans les prévisions des dépenses. Ce rapprochement pourrait faire supposer que M. le ministre a voulu laisser entendre que le budget présenté par moi manquait de ce caractère de sincérité. Mais je ne pense pas que telle ait été sa pensée ; s'il en était autrement, je lui répondrais qu'il m'était tout aussi impossible qu'il le sera à mon honorable successeur de prévoir que le chiffre de la population des prisons aurait été doublé pendant l'année et qu'il en aurait été de même du prix des denrées alimentaires.

M. le ministre de la justice, en répondant à l'honorable M. Cogels, est revenu, je ne sais pourquoi, sur ce que j'avais dit relativement à une réduction que lui-même avait proposée. Messieurs, sans combattre cette réduction, et sans demander le maintien du chiffre primitif, j'ai exprimé le regret, et je le renouvelle, que M. le ministre de la justice ait cru devoir se priver du moyen d'améliorer la situation si déplorable de plusieurs établissements d'aliénés, situation contre laquelle on réclame depuis si longtemps.

Quant au chiffre pour l'entretien des détenus, je déclare l'appuyer tel qu'il est présenté par M. le ministre de la justice. Je pense que le chiffre de 1,600,000 fr. n'est pas exagéré. La population de nos prisons (et M. le ministre de la justice pourrait vous communiquer un chiffre exact), la population de nos prisons, comme je le disais tout à l'heure, a doublé l'année dernière ; de plus, il doit encore exister de nombreuses condamnations qui n'ayant pas pu être immédiatement exécutées faute de locaux suffisants, devront l'être plus tard.

Il en résultera donc que, pendant un certain temps encore, la population des prisons sera probablement maintenue au chiffre actuel, et qu'aussi la somme de 1,600,000 fr. sera nécessaire. Vous voudrez bien remarquer que celle somme est de 500,000 fr. inférieure à la somme dépensée l'année passée.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. d'Anethan a dit qu'il ne pouvait pas prévoir les circonstances qui augmenteraient dans une proportion si considérable la population des prisons. Sans doute en 1847, lorsqu'il présentait le budget de 1848, il ne pouvait pas connaître le résultat de l’année courante, mais il avait le chiffre de 1846 et la population des prisons s'est élevée en 1846 à 8,070 individus, c'est-à-dire à 1,300 environ de plus qu'en 1846. D'un autre côté la journée d'entretien s'est élevée en 1846 à 11 c. au-dessus de ce qu'elle avait été en 1845. Enfin l'honorable membre a été obligé de venir demander à la chambre un crédit supplémentaire de 500,000 fr., je pense, pour pourvoir à l'insuffisance de la somme allouée pour 1846.

Je crois donc que lorsque l'honorable M. d'Anethan a présenté le budget de 1848, il aurait pu tenir compte de ces circonstances, et demander l'augmentation de 800,000 fr. que je suis forcé de demander aujourd'hui.

M. Cogels. - Je n'ai entendu adresser aucun reproche au ministère. L'observation que j'ai présentée, je ne l'ai pas présenter sous forme de reproche. J'ai dit que si comme on avait lieu de l'espérer, la somme demandée ne devait pas être dépensée, il résulterait de cette demande une insuffisance présumée de ressources qui ne se réaliserait pas. Maintenant j'étais fondé à faire cette observation, d'autant plus que M. le ministre avait dit dans la section centrale qu'il prenait pour base de ses calculs l'accroissement de la population des prisons de 1845, 1846 et 1847. Or, j'ai cru devoir faire observer à la chambre que l'année 1847 avait été une année tout à fait exceptionnelle pour la cherté des subsistances, qui avait exercé une grande influence sur le chiffre de la population des prisons, et que nous pouvions espérer que nous en étions arrivés maintenant à une progression décroissante.

M. le ministre a dit que la journée d'entretien avait été en 1845 de 40 centimes, en 1846 de 51 centimes et en 1847 de 55 ou de 57 centimes, je n'ai pas pris note du chiffre. Eh bien, messieurs, les denrées alimentaires sont maintenant à un prix inférieur à celui où elles étaient au commencement de 1846, beaucoup inférieur à celui où elles étaient en 1842 ; nous pouvons donc espérer que pour 1848 la journée d'entretien pourra être réduite au moins à 40 centimes. Lorsque nous tenons compte de cette réduction du prix de la journée d'entretien ainsi que de la diminution que nous pouvons également espérer et que j'espère moi de tout cœur, et la diminution du nombre des prisonniers, je crois, messieurs, que nous pouvons considérer le chiffre porté au budget comme étant au moins suffisant.

Du reste, j'ai voulu seulement appeler l'attention de la chambre sur ce point parce que quand les budgets seront votés et qu'on voudra apprécier la situation réelle de nos finances, on pourra cependant rester dans de justes limites et espérer que le retour de la prospérité générale nous procurera des ressources qui puissent nous dispenser de recourir à de trop grandes augmentations d'impôts.

- La discussion sur l'ensemble du chapitre est close.

Section I. Service domestique
Articles 1 à 7

« Art. 1er. Frais d'entretien, d'habillement, de couchage et de nourriture des détenus : fr. 1,600,000. »


« Art. 2. Gratifications aux détenus employés au service domestique : fr. 34,000. »


« Art. 3. Frais d'entretien, d'habillement et de couchage des gardiens et des surveillants : fr. 24,000. »


« Art. 4. Frais de voyage des membres des commissions administratives des prisons, ainsi que des fonctionnaires et employés des mêmes établissements : fr. 7,500 »


« Art. 5. Traitement des employés attachés au service domestique : fr. 430,000. »


« Art. 6. Récompenses à accorder aux employés pour conduite exemplaire et actes de dévouement : fr. 3,000. »


« Art. 7. Frais d'impression et de bureau : fr. 10,000. »

- Ces articles sont successivement adoptés.

Article 8

« Art. 8. Constructions nouvelles, réparations, entretien des bâtiments et du mobilier : 780,000 fr. »

M. Pirson. - Je désire obtenir un renseignement de M. le ministre de la justice.

La nécessité de construire une nouvelle prison à Dinant avait été reconnue par le prédécesseur même de M. le ministre. Dans un tableau qui a été déposé sur le bureau, pendant la discussion du budget pour l'exercice 1847, tableau indiquant l'emploi auquel était destinée l'allocation de 631,000 fr. pour réparations et constructions nouvelles à faire aux prisons, la ville de Dinant figurait pour une somme de 40,000 fr. Depuis lors, les terrains ont été achetés, mais je ne pense pas qu'ils soient payés et les travaux n'ont pas été commencés. Je prie M. le ministre de vouloir nous dire quel emploi a reçu cette somme de 40,000 fr. De plus je remarque que dans l'annexe M. insérée à la fin du rapport de la section centrale, la prison de Dînant n'est pas comprise dans la répartition du crédit pétitionné pour l'exercice 1848. Vu l'heure avancée de la séance, je ne développerai pas toutes les considérations démontrant non seulement la nécessité, mais l'urgence de construire une nouvelle prison à Dinant. M. le ministre possède d'ailleurs les documents établissant cette urgence qui avait été reconnue par son prédécesseur. Mais je demanderai à l'honorable ministre s'il n'y aurait pas possibilité d'affecter une partie du crédit que nous allons voter, au commencement des travaux de la nouvelle prison de Dinant, et je le prie en tous cas de comprendre cette prison dans l'allocation qui sera portée au budget pour l'exercice 1849.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, en effet la nouvelle prison à faire à Dinant figure pour 40,000 fr. (à titre de première dépense), dans le tableau de l'emploi du crédit voté au budget de 1846. Jusqu'ici on a seulement acheté un terrain au prix de 19 à 20,000 fr. Le plan de la prison n'a pas encore pu être arrêté. Je doute que le crédit que vous allez voter puisse cette année être affecté en partie à la construction de celle nouvelle prison -, mais si pour 1849 le chiffre en est maintenu, la prison de Dinant pourra être comprise dans la répartition. Peut-être même pourra-t-on donner un commencement d'exécution dans le cours du présent exercice.

(page 694) M. Lys. - Messieurs, je viens appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur l'état vraiment déplorable des bâtiments qui, à Verviers, servent à la fois de prison et de palais de justice. Il y a déjà plusieurs années, on avait porté au budget une somme de 50,000 fr. pour mettre l'administration à même de réparer ce bâtiment ; mais cette somme n'a pas reçu cet emploi ; je ne sais-ce qu'elle est devenue.

Je puis affirmer que ces bâtiments sont dans le plus pitoyable état ; il me suffit de vous dire qu'on a dû établir des tirants en fer, pour empêcher l’écartement des murailles.

J'ai déjà dit que le bâtiment sert à deux usages. Dans la partie affectée aux détenus, les prisonniers sont placés pêle-mêle : les détenus pour dettes n'y sont pas séparés d'avec les autres prisonniers.

Remarquez encore qu'il y a le plus grand danger pour le cas d'incendie. Le greffe du tribunal de Verviers est placé dans une espèce d'entresol du bâtiment : au-dessus sont les prisonniers est au-dessous le parquet du procureur du roi. Ainsi, si un incendie venait à éclater, il pourrait, eu égard à la masse de papiers, causer les plus grands malheurs.

Messieurs, il s'est agi de bâtir un nouveau palais de justice ; mais le gouvernement a exigé au préalable que la ville de Verviers intervînt dans cette dépense. Or, la situation dans laquelle cette ville se trouve, rend son intervention pécuniaire impossible, et ce palais restera dès lors fort longtemps en projet si le gouvernement persiste dans son exigence.

Je vous l'ai déjà dit, messieurs, sur une population de 23,000 habitants, Verviers compte 16,000 prolétaires ; ajoutez à cela les petits boutiquiers, les personnes appartenant à divers métiers, et il restera tout au plus trente fabricants de draps.

Quelques maisons riches que nous avons sont extrêmement charitables envers les malheureux, et nous avons même beaucoup à nous en louer, mais on conviendra que pendant les deux années calamiteuses que nous avons traversées, il a fallu à la charité publique des efforts extraordinaires pour fournir aux besoins de ces nombreux ouvriers.

La ville de Verviers est dans une situation financière pénible, parce que, pendant ces deux années, le gouvernement n'a pas accordé de subside à cette ville : il considérait Verviers comme ville, et il ne faisait pas attention, malgré nos vives sollicitations, à l'état exceptionnel dans lequel elle se trouvait.

Dans le moment, elle ne sait comment faire face au subside nécessaire à son bureau de bienfaisance. Voyez les journaux et lisez les discussions qui ont eu lieu au conseil communal à l'occasion du budget. Elle se trouve obérée d'une dette considérable, contractée pendant ces deux dernières années, pour aliments donnés aux indigents ; elle est forcée à imposer sur la fortune présumée de ses habitants, et à négliger les besoins pressants de ses pauvres. cette position est insoutenable et rend impossible tout subside de sa part pour un palais de justice.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - D'après tous les renseignements qui me sont parvenus, je dois reconnaître que le bâtiment de la prison de Verviers est dans un état assez déplorable. Je promets à l'honorable membre de m'occuper avec sollicitude de cette affaire, et de lui donner, s'il est possible, une prompte solution.

Je dois dire, cependant, qu'il est un grand nombre d'autres prisons qui ne sont pas dans un état plus satisfaisant ; ce ne sera qu'à l'aide de crédits extraordinaires qu'on pourra faire réparer ou reconstruire ces prisons.

- Le chiffre de 780,000 fr. est mis aux voix et adopté.

Article 8 (nouveau)

« Art. 8 (nouveau). Traitement et indemnité de route du contrôleur des constructions dans les prisons, et indemnités de route à payer aux architectes : fr. 21,000. »

— Adopté.

Section deuxième. Service des travaux
Articles 9 à 12

« Art. 9. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 650,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Gratifications aux détenus : fr. 183,000. »

-Adopté.


« Art. 11. Frais d'impression et de bureau : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 12. Traitements et tantièmes des employés : fr. 85,400. »

- Adopté.

Chapitre XI. Frais de police

Discussion générale

M. de Brouckere. - Messieurs, je comptais, à l'occasion de ce chapitre, entretenir la chambre des abus graves et nombreux qui se commettent au ministère de la justice, par l'application qu'on y fait de la loi du 22 septembre 1835 sur les étrangers. J'aurais démontré par des faits qu'au département de la justice on a perdu de vue et le sens des dispositions de la loi du 22 septembre 1835 et l'intention qui a présidé, tant à la présentation de la loi par le gouvernement qu'au vote des chambres ; mais la chambre, fatiguée des discussions de ces jours derniers, a hâte de voter le budget du département de la justice, et je ne veux pas retarder le moment de ce vote. Je dois cependant prévenir M. le ministre de la justice que je saisirai la première occasion qui se présentera, d'entretenir la chambre des abus dont je viens de lui parler. En attendant....

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Avez-vous des faits récents ?

M. de Brouckere. - Non, mais j'arrive à une conclusion : je prie M. le ministre de la justice de reprendre à lui l'exercice du droit que lui confère la loi du 22 septembre 1835, d'expulser les étrangers qui, par leur conduite, compromettraient la tranquillité publique, et de ne plus laisser ce droit exorbitant à un employé subalterne.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le gouvernement n'a jamais laissé ce droit à un employé subalterne, car pour expulser un étranger en vertu de la loi du 22 septembre 1835, il faut un arrêté royal et tout arrêté royal est contresigné par le ministre.

Mais il y a une autre question, c'est celle du renvoi de certains étrangers munis de passeports ou qui se présentent sans passeport ou avec des passeports qui ne sont pas reconnus suffisants.

La question est assez grave et l'honorable membre fera bien, ainsi qu'il en a le droit, d'appeler l'attention de la chambre et da gouvernement sur cette question, comme il en a annoncé l'intention, et il pourra alors signaler les faits qui peuvent être venus à sa connaissance.

M. de Brouckere. - Je saisirai la première occasion qui se présentera pour entretenir la chambre ne cet objet. Je démontrerai qu'on a abusé, indignement abusé, des dispositions de la loi du 22 septembre 1835, que ce n'est pas en vertu de la loi sur les passeports qu'on a exclu des étrangers qui s'étaient présentés munis d'un passeport parfaitement en règle. Si on me répond alors que je ne cite pas de faits, que je me borne à prévenir la chambre que je l'entretiendrai de l'abus qu'on a fait de la loi de 1835, je demanderai de nouveau la parole pour citer les faits.

M. d’Anethan. - Je ne prends pas la parole pour répondre à l'honorable M. de Brouckere, mais seulement pour protester contre l'accusation d'avoir fait un abus scandaleux de la loi de 1835, car d'après ce qu'il a dit ces abus remonteraient à mon administration.

Si l'honorable membre apporte devant la chambre la discussion qu'il a annoncée, je crois pouvoir me faire fort d'établir qu'il n'y a eu aucune espèce d'abus.

M. de Brouckere. -Il y a eu une condamnation.

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Service des passeports : fr. 20,000. »

-Adopté.


« Art. 2. Antres mesures de sûreté publique : fr. 48,000. »

- Adopté.

Chapitre XII. Dépenses imprévues

Article unique

« Article unique. Dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 6,000. »

- Adopté.

Chapitre XIII. Dépenses arriérées

Article unique

« Article unique. Pour solde de dépenses arriérées concernant les exercices dont les budgets sont clos : fr. 58,000. »

- Adopté.

Second vote, vote des dispositions légales et sur l'ensemble du projet

M. le président. - Trois amendements ont été introduits, la chambre veut-elle remettre le vote définitif à après-demain ? (Non ! non !)

-La chambre décide qu'elle votera d'urgence.

Les trois amendements introduits sont successivement confirmés.


On passe au vote des articles de la loi :

« Art. 1er. Le budget du ministère de la justice est fixé pour l'exercice 1848 à la somme de 12,706,295 francs, conformément au tableau ci-annexé. »

- Adopté.

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé à l'appel nominal.

La chambre ne se trouvant pas en nombre, cette opération est renvoyée à lundi. La séance est levée à 5 heures.