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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 janvier 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
relative aux facilités accordées aux habitants des territoires cédées pour
l’acquisition de la nationalité belge (Huveners)
2) Propositions de la section centrale du budget des
voies et moyens, relatives aux droits sur les sucres. Mise à l’ordre du jour (Rogier, Osy, Mercier,
de La Coste, Veydt, Rodenbach)
3) Projet de loi portant le budget du département de
la justice pour l’exercice 1848. Discussion générale. (A : Indépendance
réciproque de l’Eglise et de l’Etat) (A, droits de l’Etat sur les curés
succursalistes, incident diplomatique avec le Saint-Siège,
révocation d’un curé à Xhavée (de Bonne), A (de Haussy), classification des tribunaux de première
instance (A. Dubus), critique des legs testamentaires
faits au profit des établissements de bienfaisance, critique de la charité au
point de vue social, répression de la mendicité (notamment ecclésiastique) (Sigart), droits de l’Etat sur les curés succursalistes, A,
révocation d’un curé à Xhavée (d’Anethan, de Haussy, de Bonne, Raikem), A, legs testamentaires
faits au profit des établissements de bienfaisance, bienfait de la charité (de Mérode), A (de Haussy, d’Anethan, Rogier, d’Anethan)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 537) M. de Villegas procède à l'appel
nominal à 2 heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance
précédente ; la rédaction en est adoptée ; il présente l'analyse des pétitions
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur A.-G. Paulin-Legriel, employé à
l'administration des chemins de fer de l'Etal, né à Vazouy (France), demande la
naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre
de la justice.
________________
« Les secrétaires
communaux du canton de Lens demandent une augmentation de traitement et leur
participation à la caisse de retraite des employés de l'Etat. »
- Renvoi à M. le
ministre de l'intérieur.
________________
« Plusieurs habitants d'Overpelt demandent
l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation
sur les boissons distillées. »
« Même demande de
plusieurs habitants de Templeuve, Jodoigne, et plusieurs cabaretiers et
débitants de boissons distillées, dans le Limbourg et dans la commune
d'Avelghem. »
- Renvoi à M. le
ministre des finances.
________________
« Plusieurs
propriétaires, négociants et cultivateurs à Beersel, prient la chambre de
rejeter le projet de loi relatif au droit de succession et toute augmentation
de dépense qui lui serait proposée.
« Même demande de
plusieurs habitants de Hoesselt, Rixingen, Lowaige, Bertogne, Rutten,
Membruggen, Fall et Mheer, Vlytingen, Veltwezelt, Jesseren, Vechmael, Millen,
Wiers, Willaupuis, Rumillies, Manbray. »
- Renvoi à la section
centrale chargée d'examiner le projet, et dépôt sur le bureau pendant la
discussion des budgets.
________________
« Plusieurs habitants de Senonchamps demandent
qu'on ajourne les travaux d'agrandissement de l'église de Mande-Saint-Etienne
ou que le gouvernement les aide à payer leur quote-part des frais de ces
travaux.»
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du budget de la justice.
________________
« Le bourgmestre de la commune de Sugny prie
la chambre de s'occuper du projet de loi qui sépare Sugny de Pussemange et
Bagimont. »
- Renvoi à la
commission chargée de l'examen du projet de loi.
________________
« Plusieurs
brasseurs et marchands de levure à Diest demandent une augmentation du droit
d'entrée sur la levure de bière. »
« Même demande de
plusieurs marchands de levure à Bruxelles. »
- Renvoi à la
commission d'industrie.
________________
« Plusieurs habitants de Molenbeek demandent
qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »
- Renvoi à la
commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion des
budgets.
________________
« La chambre de commerce et des fabriques
d'Anvers présente des observations contre les propositions de la section
centrale concernant les sucres. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion de ces propositions.
________________
« Le sieur
Thonon, avoué à la cour d'appel de Liège, demande que le-nombre d'avoués près
de cette cour soit diminué. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
________________
« La dame Hageman,
veuve du sieur Mouligneau, chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur, prie la
chambre de lui faire obtenir tout ou partie de la pension dont jouissait son
mari, en sa qualité de légionnaire. »
- Même renvoi.
« L'administration
communale de Molen-Beersel demande une loi qui admette les habitants de cette
commune à faire leur déclaration pour conserver la qualité de Belge. »
M. Huveners. - Je demande que
cette requête soit renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un
prompt rapport.
- Cette proposition
est adoptée.
________________
« Plusieurs négociants de Courtray se
plaignent de la concurrence que leur fait un conducteur du service des ponts et
chaussées, et demandent qu'il soit interdit à ces fonctionnaires d'exercer soit
par eux-mêmes, soit par leurs femmes, un commerce quelconque. »
- Même renvoi.
________________
« Le sieur Lécrivain, commissaire-voyer du
canton de Leuze, demande une nouvelle loi sur la voirie vicinale. »
- Même renvoi.
________________
« Le sieur Jamotte, détenu chez les frères
Célites, à Malines, demande sa mise en liberté. »
- Même renvoi.
________________
« Le sieur Detry, receveur pensionné, réclame
l'intervention de la chambre pour obtenir la liquidation d'une créance à charge
de l'Etat. »
- Même renvoi.
________________
» Le sieur Van Battel
prie la chambre de lui faire obtenir ce qui lui revient de sa masse
d'équipement pendant qu'il était au service des Pays-Bas. »
- Même renvoi.
________________
« Le sieur Van Passen, cultivateur à Berchem,
réclame l'intervention de la chambre, pour obtenir une indemnité du chef des
pertes causées par les événements de guerre de la révolution. »
- Même renvoi.
________________
« Plusieurs
officiers pensionnés prient la chambre de statuer sur leur demande tendant à
obtenir le remboursement des retenues qui ont été opérées sur leurs
appointements. »
- Même renvoi.
________________
« Le sieur Maximilien de Gardin, mineur de
première classe an régiment du génie, demande à recouvrer la qualité de Belge
qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger, sans y être
autorisé par le Roi.»
- Renvoi à M. le
ministre de la justice.
________________
« Le sieur E.
Ladouce, à Anvers, né à Creveld (Prusse), demande la naturalisation ordinaire.
»
- Même renvoi.
________________
Par divers messages, en date du 31 décembre
1847, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :
1° Le budget des
dotations ;
2° Le budget des
dépenses pour ordre ;
3° Le budget des
voies et moyens ;
4° Le budget de la
guerre ;
5° Le projet de loi
prorogeant la loi du 18 juin 1842 relative au transit.
6° Le projet de loi
ouvrant au ministère des travaux publics un crédit provisoire de 1,341,759 fr.
21 c.
7° Le projet de loi
ouvrant au ministère de la justice un crédit provisoire d'un million.
- Pris pour
notification.
________________
M. Dolez informe la
chambre qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance.
- Pris pour
information.
________________
M. Bruneau, retenu
chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
PROPOSITIONS DE LA SECTION CENTRALE DU BUDGET DES VOIES ET MOYENS, RELATIVES AUX DROITS SUR LES SUCRES
Motion d’ordre
M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier). - Messieurs, dans la
dernière séance qui a précédé les vacances de la chambre, j'avais demandé
qu'avant de passer à l'examen des propositions de la section centrale, la
chambre continuât la discussion des budgets ; l'assemblée ne s'est pas trouvée
en nombre, pour prendre une résolution, relativement à ma proposition. Je dois
la reproduire aujourd'hui, au nom du cabinet ; je pense qu'il importe qu'avant
de nous lancer dans une discussion qui pourra nous prendre peut-être une
semaine, nous continuions et achevions d'abord ce qu'il y a de plus urgent à
l'ordre du jour, l'examen du budget de la justice et de celui des travaux
publies.
M.
Osy. - Messieurs, je suis prêt, pour ma part, à discuter
les propositions de la section centrale, relatives aux sucres ; je suis même
inscrit le premier ; mais je crois, avec M. le ministre de l'intérieur, qu'il
serait beaucoup plus convenable de terminer d'abord les budgets.
En effet, d'après la
loi de comptabilité, le gouvernement doit nous présenter les budgets de 1849
avant le 1er mars prochain ; or, si la question des sucres nous occupe pendant
10 ou 12 jours, comment serait-il possible de nous présenter tous les budgets
avant cette époque ? Il en serait, celle année-ci, comme l'année dernière ; on
ne déposerait que quelques budgets, et l'ensemble de la situation financière
pour l'année 1849 ne nous serait pas connu. Je le répète, je ne recule pas
devant la discussion de la question des sucres ; mais il n'y a pas de péril en
la demeure, l'amendement de la section centrale tend véritablement à détruire
une loi qui a encore cinq mois à courir.
M. Mercier. - Messieurs, je
crois devoir insister pour que l'ordre du jour soit conservé tel qu'il a été
établi dans une séance précédente. L'intérêt du trésor est ici engagé, et
l'honorable M. Osy, qui vient de prendre la parole, a fait sentir lui-même quel
est cet intérêt : c'est que si nous ne prenons pas une prompte décision, celle
que nous prendrions dans un mois, dans six semâmes, serait beaucoup moins
efficace, parce que nous approcherions alors de l'époque où la loi du 17
juillet 1846 doit recevoir sa complète exécution.
Si, cependant, la
chambre ne maintenait pas cet ordre du jour, je demanderais au moins que M. le
ministre des finances voulût bien faire connaître son opinion sur une question
qui a été posée par la section centrale, à savoir si, au moyen des dispositions
proposées par la section (page 538)
centrale, M. le ministre pense que le crédit de trois millions sera atteint.
M. Osy. - C'est la
discussion.
M. Mercier. - C'est vous qui
avez fait de la discussion en donnant un motif pour écarter les propositions de
la section centrale, et non pour en faire ajourner la discussion jusqu'après
les deux budgets. Quant à moi, je demande uniquement à M. le ministre des
finances de vouloir bien, soit à présent, soit plus tard, si la discussion est
ajournée, de vouloir bien faire connaître à la chambre l'opinion du
gouvernement sur la proposition de la section centrale, quant au produit. Je le
demande, parce que la section centrale s'est réservé de substituer à cette
proposition une disposition qu'elle a indiquée ou toute autre, pour le cas où
la première ne serait pas efficace, ou dépasserait le but que la section veut
atteindre.
C'est pour ce motif
que j'adresse cette demande à M. le ministre des finances, dont je réclame une
réponse soit à présent, soit, en tout cas, avant la discussion.
M. le président. - Entend-on qu'une
discussion s'établisse sur la réponse de M. le ministre des finances ?
Plusieurs voix. - Non ! non !
M. de La Coste. - J'ai demandé la
parole pour faire une rectification ou du moins pour donner une explication
relativement à ce que je lis dans une pièce qui nous a été distribuée par le
ministère.
L'honorable M. de
Corswarem avait demandé un état indiquant les noms des fabricants.
Le ministère répond :
« Il est de règle que
les noms propres sont toujours écartés des documents remis aux chambres. Dans
une circonstance à laquelle l'honorable député a fait allusion on a, il est
vrai, dévié de cette règle, mais il est à observer que le document inséré à
l'appui du rapport du 28 avril 1847 de l'honorable M. de La Coste, page 10,
n'avait pas été préparé pour être déposé à la chambre ; il faisait partie du
dossier particulier du ministre, qui s'en est servi dans la discussion qu'il a
soutenue dans le sein de la section centrale. »
Messieurs, d'après
cet exposé, on pourrait supposer que j'ai commis une sorte d'indiscrétion en
publiant avec les noms propres un état qui faisait partie d'un dossier
particulier dont M. le ministre des finances aurait fait usage, dans la
discussion au sein de la section centrale.
Je crois devoir
expliquer ce qui s'est passé ; à la vérité, il est matériellement exact que cet
état a été publié comme annexe du rapport ; mais pourtant ce n'est pas, je
pense, comme pièce à l'appui du rapport proprement dit ; c'est, si je ne me
trompe, comme pièce à l'appui de l'opinion consignée dans une note fournie par
l'honorable M. Loos, qui a été imprimée textuellement dans le rapport, et dans
laquelle l'honorable membre se réfère à des renseignements fournis par M. le
ministre des finances, « que nous joignons ici, » est-il dit dans
cette note, «sous les lettres A et B. »
Ces documents
appartiennent donc à la note de l'honorable M. Loos, et non au corps du
rapport. Je ne veux pas, en dégageant la responsabilité de la section centrale
et la mienne, faire retomber un reproche sur l'honorable auteur de la note ; je
crois même pouvoir ajouter que, dans mon opinion, il n'y avait aucune espèce
d'indiscrétion à publier cette pièce, qui a été déposée sur le bureau de la
section centrale par M. le ministre, sans demander que les noms fussent
supprimés ou que le tableau ne fût pas imprimé. Mais, quant à moi, je n'avais
aucune espèce de police ou de censure à exercer sur ces pièces.
Je passe maintenant à un autre point, et je demanderai
à M. le ministre de vouloir s'expliquer sur la question de savoir, dans le cas
où la discussion serait ajournée, si nonobstant cette remise, ce délai qui
interviendrait sur la question du rendement, on continuerait à appliquer la loi
en ce qui touche l'augmentation du droit sur le sucre indigène, tandis que
d'après le rapport de la section centrale M. le ministre avait reconnu qu'il
serait juste, dans le cas où la loi demeurât suspendue quant au rendement,
qu'elle le fût également quant à l'augmentation progressive du droit sur le
sucre indigène.
M. le président. - Je pense que les
motions d'ordre ayant pour objet des demandes de renseignements ultérieurs
devraient être postposées après la décision sur la question de savoir si la
discussion de la question des sucres sera renvoyée après les budgets ; sans
cela on s'engagera peu à peu dans le fond de cette discussion.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Ce n'est,
messieurs, que pour répondre à une question spéciale soulevée par l'honorable
M. de La Coste.
L'omission des noms
propres dans le travail qui a été présenté à la chambre, en conformité des
demandes qui ont été adressées au département des finances, n'implique, en
aucune façon, l'idée que l'on a mal fait de publier des noms propres à la suite
du travail de la section centrale, dont l'honorable député de Louvain était
rapporteur. Mais dans l'intention de l'administration ces noms n'étaient pas
destinés à la publicité, et la liste n'en était pas complète. Il m'a paru
préférable, pour me conformer à l'usage parlementaire qui a prévalu, d'omettre
tous les noms propres et de n'indiquer que les chiffres avec l'indication des
localités où les établissements industriels sont situés. Ce sont là les
renseignements que la chambre peut avoir besoin d'avoir sous les yeux.
Toutefois, messieurs, il n'y a pas d'obstacle à la publication des noms, et le
travail serait complété, sous ce rapport, si l'utilité en était reconnue.
M. Malou. - Cela n'offre aucun
inconvénient.
M. le ministre des finances (M. Veydt). – Quant à la
question de savoir si l'accise de 34 francs, imposée au sucre indigène, doit
être ramenée au chiffre de la campagne précédente, qui était de 30 francs, elle
nous a paru dépendre, en grande partie, des explications que, dans la
discussion, je prierai mon honorable prédécesseur de bien vouloir donner.
M. Rodenbach. - Il est évident que
la discussion des budgets est plus urgente que la discussion de la loi sur les
sucres, d'autant plus que, dans six mois, il faudra réviser cette loi. Ces
changements continuels de législation jettent la perturbation dans le commerce
et froissent beaucoup d'intérêts, J'insiste donc pour qu'on aborde
immédiatement la discussion des budgets.
- La chambre,
consultée, adopte la proposition de M. le ministre de l'intérieur.
En conséquence, elle
décide qu'elle s'occupera en premier lieu de la discussion du budget de la
justice.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1848
Discussion générale
M. le président. - La parole est à M.
de Bonne dans la discussion générale.
M. de Bonne. - Messieurs, ce
n'est pas lorsque je puis espérer d'être écouté avec un peu de sympathie, que
je mettrai un terme aux réclamations que je n'ai cessé de faire au ministère depuis
que j'ai l'honneur de siéger dans cette assemblée.
Aussi, ce qui pour certaines personnes a été
un sujet de blâme est pour moi un sujet de félicitations. Je sais gré au
ministère actuel de s'être expliqué clairement, de manière à faire cesser les
craintes que causait le système théocratique dans lequel le précédent ministère
conduisait le gouvernement. L'Etat est laïque, a dit le ministère : c'est là
une vérité triviale, mais il fallait la dire puisque depuis longtemps on la
méconnaissait.
Ce qui mérite nos louanges, notre
reconnaissance, ce sont les mots suivants : « et il lui conservera ce
caractère ».
C'est là un
engagement dont je prends acte, quoique, j'en suis persuadé, nous n'ayons pas à
le rappeler au ministère.
J'en prends acte,
parce que ce n'est pas tout que de proclamer un principe : notre temps et
surtout notre situation particulière veulent des applications.
L'année dernière j'ai
élevé la voix en faveur des curés-succursalistes : je demandais qu'ils
cessassent d'être livrés à l'arbitraire des évêques, et j'invoquais pour cela
non seulement la loi du 18 germinal an x, mais encore les lois canoniques, les
propres lois de l'Eglise romaine.
On m'a répondu alors
que je soumettais à la chambre une question de théologie, étrangère à sa
compétence, que je voulais ériger la chambre en Sorbonne et qu'il fallait me
fermer la bouche par l'ordre du jour.
Un membre, que je ne
nommerai pas, est allé même jusqu'à dire qu'il y avait inconvenance de ma part
à m'avancer sur ce terrain.
J'ai laissé et je
laisserai toujours de côté ces aménités peu courtoises et extra-parlementaires,
parce que je veux avoir raison dans la forme aussi bien qu'au fond.
Le fond, c'est que
l'épiscopat malgré ses dénégations et ses protestations, c'est que l'épiscopat
ne veut reconnaître en Belgique d'autre loi que sa propre volonté ; c'est qu'il
semble regarder tous les pouvoirs dont la Constitution a délégué l'exercice au
Roi, aux chambres et aux tribunaux, comme des instruments à son usage ; c'est
que tous les moyens lui sont bons pour assurer la suprématie qu'il s'arroge.
Il ne s'agit donc
plus seulement de savoir si un évêque a le droit de révoquer un desservant qui
lui déplaît, sans dire pourquoi la question s'est agrandie par diverses
circonstances dont je vais vous entretenir.
Et d'abord je me
souviens qu'il y a douze ou treize ans on avait élevé deux trônes dans l'église
de Ste-Gudule, l'un destiné au Roi, l'autre à l'archevêque de Malines. Celui de
l'archevêque était d'un pied au moins plus élevé que celui du souverain, j'ai
été moi-même vérifier le fait. Cela ne s'est plus renouvelé, parce que
l'indignation publique en a fait justice.
L'on a compris que
les esprits n'étaient pas préparés à voir et à admettre ces preuves publiques
de supériorité : qu'il fallait procéder graduellement, d'abord par théorie dans
le séminaire, puis auprès du clergé secondaire qui ensuite enseignerait, sans
doute, au peuple des doctrines qu'on aurait introduites, d'abord à l'aide des
signes matériels, toujours si puissants sur l'esprit de la multitude.
Autre circonstance :
Dans les séminaires
on enseigne la théologie de Dens.
Nous n'avons rien à
voir dans les séminaires, dira- t-on ; c'est là une question que nous
examinerons plus tard. On y enseigne donc la théologie de Dens. Cette théologie
établit la suprématie temporelle du Saint-Siège, elle contient des maximes
subversives de tout gouvernement, par exemple, l'indépendance du clergé de
toute autorité séculière ; elle prétend démontrer que les personnes, les biens,
les lieux consacrés à Dieu sont exempts de la juridiction du souverain ; que
les ecclésiastiques ne doivent payer le tribut (les impôts) qu'autant que le
pape et l'évêque avec son clergé y ont consenti. Une atteinte à ces immunités
fait encourir l'excommunication ipso facto, etc.
Cet ouvrage est
ancien, sa publication remonte à 1789, lorsque le siège de l'archevêché de
Malines était occupé par le cardinal d'Alsace.
(page 539) Vous savez que ce prélat avait été élevé, dirigé et
toujours dominé par les jésuites, qui étaient parvenus à en Faire un
archevêque, puis un cardinal.
Je regrette de devoir
prononcer le nom de cette corporation, mais lorsqu'on consulte l'histoire pour
signaler un abus, c'est toujours elle qu'on rencontre.
A l'apparition de cet
ouvrage, dans lequel l'auteur prétendait même que la bulle In cœna Domini était
en vigueur dans les Pays-Bas, le prince Charles de Lorraine, auquel nous
élevons une statue, rendit, le 2 mai 1759, trois décrets pour le faire
supprimer, pour en défendre l'impression, ainsi que celle des livres défendus.
Eh bien ! si mes
renseignements sont exacts, des éditions nouvelles de cette théologie ont été
faites en Belgique au mépris des pouvoirs établis par la Constitution, et la
jeunesse des séminaires est élevée dans ce mépris.
Troisième circonstance.
Pour faire fructifier les principes de cet enseignement, on a fait encore une
autre publication.
L'office de Grégoire
VII n'a jamais été admis dans les Pays-Bas. Charles VI, empereur d'Allemagne,
père de Marie-Thérèse, l'avait défendu en 1730 : Marie-Thérèse fut obligée, en
1750, de renouveler les défenses de le maintenir. Malgré ces deux rescrits,
l'épiscopat belge l'a rétabli !
Pour comprendre
l'importance de ma citation, qu'il me soit permis de faire un bien petit narré
de ce fait historique. Vous connaissez tous l'histoire de Grégoire VII,
Hildebrand, fondateur de la puissance politique et temporelle de Rome. Je ne
parlerai que de sa légende. En 1584 nos nom fut inséré dans le martyrologe : en
1609 le pape Paul V permit de l'honorer comme un saint. Mais Benoit XIII, grand
admirateur de Grégoire VII, non seulement permit, mais voulut qu'on en récitât
l'office dans toute l'église. Quoique la légende fût été un peu adoucie, la
bulle de Benoit XIII n'en éprouva pas moins une répulsion générale, aussi bien
de la part des évêques d'alors que de toutes les puissances qui en défendirent
la publication et firent supprimer l'office.
Comme je l'ai dit,
l'empereur Charles VI rendit, à cet effet, un décret le 29 avril 1730, et
remarquez que 20 ans après, le 27 juin 1750, Marie-Thérèse fut obligée de
renouveler la défense.
Les motifs en sont
connus : dans Grégoire VII est personnifié l’ultramontanisme le plus exagéré,
et la légende rappelait les hauts faits et les actes qui lui méritaient
l'admiration générale... de Rome s'entend.
Elle le louait entre
autres choses d'avoir excommunié Henri IV, empereur d'Allemagne, d'avoir mis
son royaume en interdit, d'avoir délié ses sujets du serment de fidélité, etc.,
etc.
Les successeurs de ce
pape jusqu'à Grégoire XVI, pour obtenir que cet office fût maintenu, ont
successivement corrigé cette légende.
La dernière
correction, qui est récente, a retranché de l'éloge l'interdiction du royaume
de Henri IV, l'excommunication et le fait d'avoir délié les sujets du serment
de fidélité.
Seulement on a
conservé celui d'avoir privé l'empereur de la communion des fidèles, fidelium
communione privavit. C'est-à-dire que réellement l'excommunication a été
maintenue et que les termes seuls en ont été changés.
II semble que ce ne
soit plus une excommunication que la privation de la communion des fidèles ;
mais au fond c'est la même chose, c'est tout simplement une petite
circonlocution jésuitique.
Je termine par vous
dire que cette légende est insérée dans le bréviaire nouveau imprimé à Malines
en 1836, chez Hanicq, avec l'approbation et licence de S. Em. l'archevêque en
date du 29 avril 1836.
Si je vous ai rappelé
ces faits et ces doctrines que vous connaissez sans doute aussi bien que moi,
c'est pour vous prouver, messieurs, en dépit des dénégations, que l'épiscopat
enseigne et soutient encore de nos jours les mêmes principes qui l'animèrent au
XVIIIème siècle et dans les siècles précédents.
L'excommunication
fulminée contre Henri IV, la privation de la communion des fidèles, subsiste
encore virtuellement contre tous ceux qui s’opposent aux prétentions de
l'épiscopat, contre moi (bien certainement) et contre tous ceux qui croient de
leur devoir de poursuivre partout où elles se retranchent les doctrines
subversives de nos institutions.
Quatrième
circonstance. Une thèse pour obtenir le grade de docteur en droit canonique a
été soutenue à Louvain les 26, 27 et 28 juillet 1841 par Auguste Kempeneers.
Le principe de la
souveraineté temporelle du saint-siège y est clairement établi et soutenu en
vertu d'une lettre de Grégoire le Grand ; la voici :
« Si un roi, un
prêtre, un juge, un séculier connaissant notre constitution (celle de lui
Grégoire), essayait d'y contrevenir, qu'il soit privé de sa dignité, de sa
puissance, de son honneur et qu'il sache que pour l'iniquité qu'il a perpétrée,
il est justiciable de la justice divine. » Thèse 28, p. 248.
Je borne là ma
citation : elle renferme encore des principes bien curieux, et j'engage mes
honorables collègues à la lire.
Cette dissertation a
été dédiée à Monseigneur Corn. Van Bommel, évêque de Liège et visée par la
faculté de théologie de Louvain.
Cinquième
circonstance. Le ministère, après avoir proclamé dans son programme du 12 août
l'indépendance du pouvoir civil, croit devoir envoyer auprès du saint-siège un
de nos concitoyens les plus respectables et les plus respectés dans tous les
partis.
Son but était
d'assurer le père commun des fidèles que malgré toutes les assertions
contraires, malgré toutes les calomnies, il y aurait toujours en Belgique
respect sincère pour la foi et les dogmes, protection pour les pratiques de la
religion, justice et bienveillance pour les ministres des cultes agissant dans
le cercle de leur mission religieuse.
Eh bien ! vous savez
ce qui est avenu : la nomination de M. Leclercq n'a pas été agréée à Rome.
Ce fait, messieurs,
est d'une gravité telle que je vous demande la permission d'y insister un
moment.
Toutes les
précautions, comme on vous l'a dit, avaient été prises ; toutes les formes
avaient été rigoureusement observées pour faire réussir cette mission ; choix
d'une personne parfaitement honorable et sous le rapport politique et sous le
rapport religieux ; présentation au Roi qui la trouve digne et capable de
parler en son nom ; insinuation préalable auprès du saint-siège pour s'assurer
de son agréation ; rien de ce qu'exigent les règles les plus délicates de la
diplomatie n'avait été négligé, et cependant tout cela n'aboutit qu'à un refus.
Pourquoi, messieurs ? Je le dirai en deux mots, et j'appelle sur eux toutes vos
réflexions. C'est qu'à Rome le gouvernement belge est considéré comme nul s'il
n'est patronné par les évêques de Belgique.
Ce n'a donc pas été
parce que cet honorable magistrat n'offrait pas assez de garantie, mais bien
parce qu'il en offrait trop qu'il a été repoussé.
Son admission, sa
présence à la cour de Rome eussent fait évanouir, eussent détruit les
préventions injustes et injurieuses qu'on a fait naître et entretenu contre
l'opinion libérale : c'est ce qu'on redoutait le plus ! Et non sans raison, la
vérité eût ramené la concorde : l'erreur maintient la dissidence qui offre des
ressources pour tromper la crédulité publique.
Enfin, messieurs, une
dernière circonstance ! et celle-là me ramène à la question des desservants.
L'évêque de Liège
révoque le desservant de la succursale de la Xhavée. Celui-ci-soutient que
l'évêque n'a pas ce droit, parce que les curés de succursale sont inamovibles
tant d'après la loi du 18 germinal an x que d'après le droit canonique.
L'évêque persiste et
le desservant interjette appel de sa décision auprès du saint-siège : il a même
soin de se soumettre provisoirement, ainsi que l'exige la discipline, jusqu'à
ce que le saint-siège ait prononcé. Mais comment fera-t-il parvenir sa réclamation
à Rome ? Il s'adresse à son évêque qui refuse ; il s'adresse au nonce
apostolique qui refuse ; il s'adresse au ministre de la justice (d'alors) qui
refuse.
Econduit de toutes
parts, il s'adresse au tribunal de Liège, non pour être réintégré dans sa cure,
mais pour demander qu'au moins le ministre de la justice lui fasse payer son
traitement à titre provisoire et pour l'aider à vivre. Le tribunal se déclare
incompétent. Appel à la cour de. Liège, non seulement contre la décision du
tribunal, mais encore contre l'acte de révocation abusive posé par l'évêque. La
cour de Liège se déclare également incompétente sur l'un et sur l'autre point.
Et alors le curé de
la Xhavée, bien convaincu qu'il n'y a de justice pour lui ni auprès de ses
supérieurs ecclésiastiques, ni auprès de l'autorité administrative, ni auprès
des tribunaux, prend le parti de se rendre justice à lui-même. Il se rétablit
dans la cure qu'il avait provisoirement quittée ; il en élimine son successeur
qui lui cède la place, et, malgré son interdiction, il y fait tous les actes du
saint ministère.
L'évêque aussitôt
sent le besoin de recourir au bras séculier pour obtenir main forte : mais
croyez-vous qu'il s'adresse au gouvernement ?
Non, messieurs, le 8
juin avait porté ses fruits ; le ministère était changé et l'évêque ne veut pas
plus traiter avec M. de Haussy, comme ministre de la justice, que le pape avec
M. Leclercq comme ministre ou ambassadeur de Belgique.
II s'adresse au nonce
apostolique, et c'est le nonce qui demande main-forte au gouvernement pour
réprimer un schisme.
Le gouvernement
répond qu'il n'a point à se mêler de schisme ni de schismatiques ; il refuse
d'intervenir, et, à l'heure qu'il est, la Belgique présente le scandale inouï
d'un prêtre révoqué sans jugement et qui est forcé de se faire justice à
lui-même, contrairement à toutes les règles de la loi civile et de la loi
religieuse.
A quoi tout cela
tient-il ? A ce que la police des cultes n'est plus réglée dans notre pays ; à
ce que le clergé ou plutôt l'épiscopat, abusant d'une indépendance qu'il croit
être absolue, ne veut plus, comme je le disais, reconnaître d'autre loi que sa
propre volonté !
Je demande au
ministère, s'il souffrira que cela continue, s'il laissera fouler aux pieds les
droits de l'Etat, de la couronne, du gouvernement.
Il ne le peut sans
forfaire à ses devoirs, à la Constitution, au serment de fidélité qu'il a
prêté.
Il n'est pas
nécessaire de recourir à Rome pour faire cesser cet état d'anarchie. C'est au
pouvoir législatif seul qu'appartient le droit de réglementer l'exercice des
cultes en Belgique ; et le démontrer est chose facile.
Je demande à l'avance
pardon à la chambre de devoir rappeler des principes vulgaires, mais on a
toujours contesté, dénaturé, chacune de mes paroles et je m'y vois obligé.
Tout le monde sait
que, pour constituer un de ces corps politiques que (page 540) nous nommons Etats, il est nécessaire que chaque membre
se soumette à la souveraineté d'un pouvoir indépendant, unique et universel,
c'est-à-dire, que la volonté d'un seul être physique ou moral, individuel ou
complexe, doit être la règle universelle de tons les citoyens.
L'unité de la
puissance publique et son universalité, dit H. Portalis, p. 87, sont une
conséquence nécessaire de son indépendance. La puissance publique doit se
suffire à elle-même : elle n'est rien si elle n'est tout...
Ce principe n'est pas
nouveau ; depuis Aristote jusqu'à nos jours, Grotius, Puffendorf, Barbeyrac,
Burlamaqui, etc., tous l'ont enseigné.
Le plus moderne de
ces publicistes, M. de Serrigny (Traité du droit public, t. I, p. 19), a
condensé en peu de mots l'idée de la souveraineté. « C'est, dit-il, le droit de
commander en dernier ressort dans un Etat ou de dire le dernier mot sur les
grandes affaires qui l'intéressent. »
M. de Serrigny a
puisé ce principe dans Builamaqui [Traité du droit de la nature, t. IV, p.
350), mais il n'a pas complété son emprunt : je vais le faire pour lui. Il
ajoute : « La souveraineté par conséquent ne souffre rien, non seulement qui
soit au-dessus d'elle, mais même qui ne lui soit assujetti ; elle embrasse dans
son étendue tout ce qui peut intéresser le bonheur de l'Etat, et le sacré comme
le profane. »
Donc la souveraine
autorité doit nécessairement appartenir au souverain, à son gouvernement.
Même opinion chez M.
de Portalis, qui après avoir dit que la puissance publique n'est rien si elle
n'est tout, ajoute : « Les ministres de la religion ne doivent pas avoir la
prétention de la partager ni de la limiter. » (On comprend bien qu'il s'agit
ici de la puissance civile.) V. Disc, sur le concordat, p. 87.
Si ces principes sont
vrais, et ils sont incontestables, car sans eux pas de gouvernement possible,
peut-on admettre que l'épiscopat ait sans contrôle une juridiction qui entraine
des effets civils et temporels sur une classe de citoyens ?
Que deviendrait la
souveraineté nationale en Belgique ? Elle serait précaire, elle serait nulle,
si des hommes qui exercent une grande influence sur les esprits et les
consciences pouvaient, à votre insu, sans votre concours et malgré vous,
infliger des peines personnelles et matérielles.
Mais la Constitution
a donné une liberté entière aux cultes, ne cesse-t-on de dire : l'article 16
défend d'intervenir dans la nomination et l'installation de ses ministres,
etc., etc. !
Tout cela est vrai
quant à la partie spirituelle et dogmatique des cultes reconnus en Belgique.
Mais lorsque des
intérêts matériels ou personnels qui se rattachent à la vie civile sont en
cause, alors commence la compétence du pouvoir civil.
Ce droit est la
conséquence du principe posé par Jésus-Christ lui-même : faut-il toujours citer
ses paroles « mon règne n'est pas de ce monde. »
L'épiscopat voudrait
bien pouvoir les retrancher de l'Evangile !
La Constitution, en
proclamant la liberté des cultes, n'a établi aucun règlement pour leur exercice
public. La raison est sensible à saisir.
Les législateurs
constituants connaissaient les lois institutives et organiques des cultes admis
et professés en Belgique. Ils ont cru, ils devaient croire que l'exercice de
chacun de ces cultes se ferait conformément à ces lois.
Bien certainement ils
n'ont pas entendu que ces cultes n'auraient aucune règle, ou que leurs chefs ou
leurs ministres s'en feraient à leur caprice et que l'Etat devrait les reconnaître
et les adopter.
Cette interprétation
serait subversive de l'indépendance du gouvernement, ce serait avoir constitué
l'anarchie.
Si la loi organique
de l'an X renferme des dispositions inconciliables avec quelques articles de
notre Constitution, elle doit être révisée pour mettre un terme aux
contestations.
Si on prétend que
cette loi organique est abrogée, il faut en faire une autre, et l'urgence est
démontrée.
La puissance civile a
seule le droit de faire des règlements et des lois sur les matières
ecclésiastiques. Les lois de Constantin, de Théodose, de Justinien, les
capitulaires de Charlemagne, dc Louis le Débonnaire, celles de nos anciens
princes, de Charles V, de ses prédécesseurs et de ses successeurs qui se
trouvent dans les collections de nos placards prouvent l'usage de ce droit.
Quant au droit
lui-même, l'article premier du concordat en est une reconnaissance solennelle,
puisqu'on y lit : « La religion catholique, apostolique et romaine sera
librement exercée, son culte sera public en se conformant aux règlements de
police que le gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique. »
Si le gouvernement
peut promulguer des règlements de police relatifs à l'exercice du culte, il
peut, par raison de conséquence, réprimer les contraventions à ces règlements.
(V. Portalis, p. 205.)
C'est en vain qu'on
opposera la liberté des cultes proclamée par la Constitution, je ne l'attaque
pas, je lui conserve tous ses droits ; mais la liberté n'est pas la licence, la
Constitution n'a pas affranchi les cultes des droits civils de la souveraineté.
La nation belge en se
constituant en Etat en 1830 n'a pu vouloir établir des droits destructifs de
son maintien, de sa conservation, de son existence.
L'article 25 de la
Constitution porte que tous les pouvoirs émanent de la nation et qu'ils sont
exercés de la manière établie par la Constitution. Est-il dit quelque part que
les ministres ou les chefs de ces cultes se feront des lois, des règlements et
qu'ils ne seront pas soumis à la souveraineté nationale ? Nulle part cela n'est
écrit. Et quand même cela serait, cette disposition serait nulle et réputée non
écrite. Une nation ne s'aliène jamais ; elle ne peut se suicider, on ne peut
prescrire contre elle.
L'Etat, dit M. de
Serrigny, t. I, p. 22, n'a jamais pu engager la puissance publique, celle-ci ne
se compromet pas : elle est perpétuellement indépendante parce qu'elle est
souveraine : vous détruiriez la souveraineté, si vous détruisiez son
indépendance.
La conduite et les
prétentions de l'épiscopat, que je sépare entièrement du clergé, car
remarquez-le bien, c'est la liberté et les droits de celui-ci que je défends ;
le manque d'égards non pas du saint-père qui a été induit en erreur, mais de
son gouvernement, tout nous oblige à veiller aux prérogatives de la
souveraineté belge !
Pour mettre un terme
à un état de choses déplorable, aux contestations sur le droit du gouvernement
à la police des cultes, et pour prévenir les embarras graves qui pourraient
surgir dans notre pays, je crois pouvoir, dis-je, inviter, solliciter même le
ministre de nous présenter un projet de loi sur cette matière.
C'est au Roi et aux chambres qu'appartient le droit de
faire une loi sur la police des cultes, et aux tribunaux en appartiendra
l'application. Ces droits me semblent évidents, positifs, incontestables.
Il ne s'agit donc
plus que de déterminer les cas et de régler la forme de la procédure.
Et veuillez y
réfléchir, messieurs, tous citoyens belges, aussi bien les prêtres que les
laïques, nous ne pouvons reconnaître en Belgique qu'un Roi, une loi, une
justice ; un Roi, celui que nous avons choisi, une loi, celle que nous avons
faite, une justice, celle que nous avons constituée.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs,
l'honorable M. de Bonne est venu, à l'occasion de la discussion générale du
budget de la justice, reproduire les graves questions de discipline et de
hiérarchie ecclésiastique, qu'il avait déjà soulevées lors de la discussion des
derniers budgets. Messieurs, je dois le reconnaître, l'insistance de
l'honorable M. de Bonne atteste la force de ses convictions ; le talent
remarquable avec lequel il traite ces questions prouve qu'il en a fait une
étude profonde et consciencieuse.
Messieurs, je
n'exprime ici que mon opinion personnelle, et je n'hésite pas à déclarer que je
partage à plusieurs égards les convictions de l'honorable M. de Bonne. Ainsi,
messieurs, je pense comme lui que la loi organique du 18germinal an X reconnaît
deux espèces de desservants : les desservants succursalistes titulaires
d'église et ceux qui ne sont chargés que de la desserte provisoire d'une
succursale ou d'une chapelle. Ceux-ci sont, d'après l'article 31 de la loi
organique du 18 germinal an X, sous la surveillance et la direction des curés.
Mais ils doivent être agréés par les évêques et peuvent être révoqués par eux.
Ceux-là, au contraire, sont nommés par les évêques. Mais, dans mon opinion, ils
jouissent des mêmes privilèges, des mêmes avantages que les curés de première
et de seconde classe ; c'est-à-dire qu'ils ne peuvent être privés de leurs
fonctions et de leurs titres qu'en vertu d'une sentence de déposition émanée
d'une officialité ou d'un tribunal ecclésiastique quelconque dans les formes
prescrites par les lois canoniques.
Mais, messieurs,
quelle que soit l'opinion qu'on puisse se former sur cette question, dont je
reconnais d'ailleurs toutes les difficultés, je pense que la chambre n'est
probablement pas disposée à engager ici une discussion approfondie qui
resterait stérile, car elle ne pourrait aboutir à aucun résultat.
En effet, la
législature est-elle compétente pour résoudre des questions qui touchent à des
principes de théologie ou de droit canonique ? Est-elle compétente pour
décider, par exemple, que tel ou tel desservant a été bien ou mal révoqué par
son évêque ? Pourrait-elle le faire en présence des articles 14 et 16 de la
Constitution, qui, d'une part, proclament de la manière la plus absolue la
liberté des cultes, et, d'une autre part, interdisent au gouvernement
d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation d'aucun ministre
d'un culte quelconque ?
Evidemment,
messieurs, la législature serait incompétente ; elle serait impuissante pour
prendre aucune décision sur des questions de ce genre. Une discussion sur ces
questions me paraît donc parfaitement oiseuse.
Est-ce à dire,
messieurs, qu'il n'y aurait rien à faire pour arriver au but indiqué par
l'honorable M. de Bonne ? qu'il n'y aurait rien à faire pour sortir de la
situation dans laquelle on se trouve ? Je pense, au contraire, qu'avec de la
bonne volonté de part et d'autre, avec des intentions bienveillantes, on
pourrait parvenir à un résultat favorable et terminer une bonne fois ces
difficultés.
Permettez-moi,
messieurs, de vous exposer à cet égard quelques idées. Je serai aussi succinct
que possible.
Messieurs, il faut
bien le reconnaître, notre législation est devenue insuffisante pour déterminer
parfaitement les rapports de l'Eglise et de l'Etat. Elle est insuffisante pour
régler toutes les conséquences civiles des actes posés par le clergé dans son
ressort spirituel, dans les limites de ses attributions religieuses ; et le
motif de cette insuffisance, messieurs, il est facile de le comprendre. Sous le
régime impérial, qui s'est continué à cet égard sous le gouvernement des
Pays-Bas, les libertés religieuses n'étaient pas aussi étendues qu'elles le
sont aujourd'hui ; l'autorité spirituelle n'était pas entièrement indépendante
du pouvoir temporel ; toute la législation de l'époque a donc dû se ressentir
plus ou moins (page 541) de
l'influence du pouvoir prépondérant. La révolution de 1830 a changé cet ordre
de choses. La constitution belge, en proclamant la liberté absolue des cultes,
en consacrant l'entière indépendance des deux pouvoirs, a nécessairement sinon
abrogé, au moins fortement ébranlé la législation existante sous les rapports
de l'Eglise et de l'Etat.
Ainsi le concordat de
1801 n'existe plus en grande partie, presque toutes ses dispositions sont
virtuellement abrogées ; ainsi la loi organique du 18 germinal an X, que le
saint-siège n'avait jamais reconnue, mais qui n'en était pas moins une loi de
l'Etat, se trouve altérée dans plusieurs de ses dispositions, qui sont
incompatibles avec les principes de liberté consacrés par notre nouveau droit
public. Peut-être en est-il de même encore de quelques autres dispositions des
lois existantes sur la matière.
C'est là, messieurs,
la véritable cause du chaos dans lequel nous nous trouvons, de ces dissidences
continuelles, de ces discussions incessantes et irritantes avec le haut clergé,
en un mot, de cette espèce d'anarchie au milieu de laquelle les lois restent
sans exécution, parce qu'on conteste la force obligatoire de leurs
dispositions.
Messieurs, il n'y
aurait, dans mon opinion, qu'un moyen de sortir de cette impasse et de mettre
fin à ces conflits, ce serait de procéder au remaniement complet des lois
organiques du culte, ce serait d'établir sur des bases vraies et solides les
relations de l'autorité spirituelle et du pouvoir temporel, ce serait en
d'autres termes de régler d'après les principes de notre nouveau droit public
les rapports généraux de l'Eglise catholique avec les droits et la police de
l'Etat.
Ainsi, par exemple,
le gouvernement n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination des ministres
du culte ; et cependant cette nomination produit des effets civils, parce que
le droit au traitement y est attaché. Or, aucune loi quelconque ne détermine le
mode de cette nomination ; aucune loi ne dit à qui appartient le droit de
nomination des ministres du culte ; aucune loi ne dit si ce droit entraîne
celui de les révoquer ; ni, enfin, quelles sont les formes établies pour
garantir contre l'arbitraire, contre l'abus de ce droit.
Tout cela est réglé
sans doute par les lois canoniques ; mais, vous le savez, messieurs, les lois
de l'Eglise, par la force même du principe de la distinction et de
l'indépendance de l'Eglise et de l'Etat pour tout ce qui est de leur domaine
respectif, sont sans sanction aux yeux de la loi civile et sont dépourvues de
toute autorité légale pour le gouvernement.
Eh bien, messieurs,
cette convention dont je viens de parler remédierait à ces inconvénients ; il
serait institué, conformément aux principes du droit canonique, des
officialités pour juger les différends qui pourraient surgir entre les évêques
et les curés, et l'on comblerait ainsi les lacunes existant aujourd'hui dans la
législation régulatrice des rapports entre l'Eglise et l'Etat.
C'est dans un
arrangement de cette espèce qu'il y aurait lieu de chercher à réaliser le vœu
de. l'honorable M. de Bonne en faveur du clergé inférieur ; et soyez-en
certains, messieurs, la cour de Rome ne peut refuser, elle ne refuserait pas
aux desservants les mêmes privilèges, les mêmes garanties dont jouissent les
curés primaires. Et pourquoi le refuserait-elle, alors que nous ne lui
demanderions que ce qui est conforme à toutes les lois ecclésiastiques ; que ce
qui existe dans tous les pays catholiques, sauf la France où la loi du 18
germinal an X a toujours été interprétée dans un sens différent ?
Messieurs, je ne sais
si je me fais illusion, mais il me paraît possible de parvenir à réaliser cette
pensée, de fixer sur des bases solides et durables les rapports de l'Eglise et
de l'Etat. Je ne me dissimule pas sans doute les difficultés de cette tâche ;
mais nous pouvons compter, pour les vaincre, sur le concours de tous les
intérêts. En effet, messieurs, l'intérêt du haut clergé, celui de la religion
elle-même sont d'accord avec l'intérêt du gouvernement et l'intérêt général du
pays, pour presser l'issue d'une semblable négociation.
L'épiscopat doit
désirer, autant que le gouvernement lui-même, de voir mettre fin à un état de
choses qui l'expose à des luttes continuelles, qui engendre chaque jour des
récriminations et des plaintes, qui laisse le pouvoir civil impuissant et
désarmé pour prêter l'appui du bras séculier pour l'exécution des actes mêmes
les plus réguliers, les plus justes, au point de vue religieux.
D'un autre côté, la
paix intérieure de l'Eglise est-elle bien assurée dans l'état incertain et
précaire de ses rapports avec le pouvoir civil ? Les lois qui règlent sa
hiérarchie sont-elles observées ? N'y a-t-il pas toujours souffrance et danger,
de schisme dans son sein, alors qu'elle ne peut faire respecter et maintenir
son autorité ? Peut-on dire enfin que la religion n'est pas éminemment
intéressée à voir déterminer au plus tôt et d'une manière stable la position de
l'Eglise vis-à-vis de l'Etat. ! Ainsi, par exemple, n'est-ce pas quelque chose
de déplorable et même scandaleux, au point de vue religieux, que le spectacle
de ces luttes entre les membres du clergé inférieur et les chefs diocésains, de
ces luttes où l'on se dispute la possession du temple, lequel reste
généralement à celui qui est soutenu par la majorité de la population ? Ces
scandales seraient impossibles s'il existait des règles fixes pour ta
nomination et la révocation des curés et des desservants ; et les juridictions
ecclésiastiques qui connaîtraient des cas d'abus, étant une fois instituées, il
n'y aurait plus d'obstacle à ce que le gouvernement payât le traitement et
maintînt en possession du presbytère et du temple celui qui aurait été
régulièrement désigné. Je ne forme aucun doute, pour mon compte, que les luttes
politiques qui ont eu lieu depuis plusieurs années dans les chambres, dans le
pays, n'eussent été beaucoup moins animées, si les rapports de l'Etat avec le
clergé avaient été réglés sur les bases immuables de l'indépendance réciproque
des deux pouvoirs. C'est assez vous dire, messieurs, que nous aurions fait un
pas vers la conciliation des partis, si nous pouvions atteindre le but que je
viens d'indiquer.
Le gouvernement fera sans doute de ces graves
questions l'objet d'un sérieux examen ; il fera ses efforts pour fixer d'une
manière nette et positive les rapports de l'autorité civile avec l'autorité
spirituelle, pour combler les lacunes et pourvoir à l'insuffisance de notre
législation. Mais en attendant qu'on ait pu accomplir cette œuvre, le
gouvernement doit maintenir, d'une main ferme, l'exécution des lois existantes,
dans toutes celles de leurs disposition qui sont compatibles avec la
Constitution, et spécialement dans celles qui ont pour objet la haute
surveillance que le gouvernement est appelé à exercer sur l'administration des
biens des établissements publics, destinés à l'entretien du culte.
M. A. Dubus. - Messieurs, la
discussion générale du budget delà justice me fournit l'occasion d'appeler
l'attention du gouvernement sur la classification des tribunaux de première
instance.
La division des
tribunaux en quatre classes a donné lieu, non sans raison, à des réclamations
nombreuses. Trois classes ont généralement paru suffisantes : une première pour
les villes de premier ordre ; une deuxième pour les chefs-lieux de province où
siège une cour d'assises ; une troisième comprenant tous les autres tribunaux
de première instance. Cette classification est en harmonie avec les
attributions plus ou moins importantes des tribunaux et avec le rang des villes
où ils siègent.
Je ne conçois pas les
motifs qui ont pu faire décider la création d'une quatrième classe. Croirait-on
que la vie est moins chère dans une petite ville que dans une ville importante
? Ce serait une erreur. Dans une ville de la province d'Anvers que je puis
citer et où siège un tribunal de la quatrième classe, la vie est plus chère
qu'à Louvain, à Hasselt ou à Verviers.
On ne peut pas non
plus avoir pris pour base de cette division le chiffre de la population, le
nombre plus ou moins considérable de causes portées annuellement devant les
tribunaux, car d'après les données statistiques concernant l'administration de
la justice criminelle et civile, cette base n'aurait pas été toujours observée.
Tongres, par exemple, est rangé dans la deuxième classe, tandis que cet
arrondissement, dont on a détaché un canton, n'a pas même l'importance de
plusieurs autres arrondissements qui n'ont que des tribunaux de quatrième
classe.
Il n'est guère
possible non plus d'attribuer à un motif d'économie la création de la quatrième
classe, car une économie d'une vingtaine de mille francs par an ne peut
balancer les inconvénients qui en résultent.
Aujourd'hui,
messieurs, à cause de la modicité des traitements qui y sont attachés, les
places déjuge de la quatrième classe ne sont envisagées que comme une sorte de
noviciat judiciaire, et à la première vacature dans une classe plus élevée, les
titulaires s'empressent de demander leur changement. Aussi le personnel de ces
tribunaux souvent renouvelé présente d'ordinaire peu de magistrats
expérimentés, connaissant les usages, les mœurs et les coutumes de leurs
justiciables. L'intérêt public exige cependant que tous les tribunaux sans
exception soient composés d'hommes qui réunissent aux connaissances des lois, les
connaissances pratiques si nécessaires. Je suis convaincu que l'administration
de la justice n'aurait qu'à gagner à la suppression de la quatrième classe des
tribunaux de première instance.
La dignité de la
magistrature exige que tous les juges puissent vivre d'une manière convenable,
et il est impossible que celui qui appartient à la quatrième classe puisse se
procurer dans une petite ville, où tout est ordinairement cher, les moyens de
satisfaire aux exigences de sa position ; il lui est même souvent impossible de
donner une éducation convenable à ses enfants.
Les classes
inférieures des tribunaux de première instance doivent | être la pépinière de
la magistrature, et quel est l'avocat pourvu de la plus mince clientèle qui
voulût changer sa position contre celle de juge ou de substitut d'un tribunal
de quatrième classe ?
L'importance des
tribunaux de première instance est grande. C'est devant eux que toutes les
causes sont instruites. La loi du 18 avril 1827 avait déjà reconnu cette
importance, en écartant la quatrième classe et en statuant qu'au lieu de trois,
cinq juges concourraient aux décisions. Je ne puis donc assez, répéter que la
classification actuelle est vicieuse, et j'appelle sur ce point toute
l'attention du gouvernement.
Dans l'hypothèse même
de la conservation de la quatrième classe, le tribunal auquel je faisais
allusion tout à l'heure aurait droit d'être rangé dans une classe supérieure.
Le tribunal de
Verviers a été élevé au deuxième rang parce que cette ville est le siège de
grandes industries, et qu'il y fait cher vivre.
Turnhout, situé à la frontière hollandaise, se ressent
singulièrement de l'excessive cherté de la vie dans ce pays. Turnhout a aussi
des établissements industriels importants, et son commerce est considérable. Sa
population doublée depuis 25 ans, et qui est aujourd'hui da plus de 14 mille
âmes, le nombre d'employés supérieurs et inférieurs des douanes qui y ont leur
résidence, son éloignement des grandes villes et d'autres circonstances qu'il
est inutile d'énumérer, tendent à y élever considérablement la valeur des
objets de première nécessité.
La population de
l'arrondissement dépasse le chiffre de (page
542) 100,000 âmes ; le dépôt de mendicité d'Hoogstraeten, la colonie si
importante de Gheel se trouvent dans son ressort.
Je me bornerai à ces
observations en appelant toute la sollicitude de M. le ministre de la justice
sur cet objet.
M. Sigart. - Dans les
attributions du ministre dont nous discutons le budget se trouvent les administrations
de bienfaisance. Je viens vous montrer quel danger naîtrait de l'approbation
donnée indistinctement à tous les legs faits au profit de ces administrations.
J'ai eu l'honneur de
vous exposer mes idées sur la charité par le trésor public.
Je vous ai dit que
c'était le moyen de développer la misère.
Je vous ai dit que la
charité par le budget n'a pas de frein, que rien ne pourrait nous arrêter
lorsque nous aurions les honneurs de la bienfaisance sans en avoir la charge
que nous jetterions sur le contribuable.
Je viens vous dire
aujourd'hui que la charité testamentaire est aussi sans frein.
Quand quelqu'un
voudra pendant sa vie donner tout ou partie de ses biens aux pauvres, ce sera
son affaire, je ne m'y opposerai pas ; j'admirerai même, non le résultat, mais
le courage du sacrifice. Je ne crois pas que l'ordre social puisse en être
compromis ; je n'ai pas fort peur que l'on aille trop loin, même poussé par
l'orgueil de paraître bienfaisant, même excité par l'espoir d'un prix usuraire
dans une autre vie.
Mais c'est tout autre
chose quand on donne par testament ; l'avarice n'est plus là pour mettre un
point d'arrêt.
Mon dilemme sur la
charité par le budget vous semblera sans doute applicable à la charité après
décès.
A qui enlève-t-on la
succession, quand on teste pour les pauvres ?
A une personne plus
ou moins aisée, ou à une personne indigente.
Qu'eût fait la
personne aisée de son héritage ? Elle l'eût peut-être employé d'une manière
productive dans le commerce ou dans l'industrie ; mais j'admets l'hypothèse la
plus défavorable : elle l'eût dépensé en toilette, voitures, etc., elle eût
fait vivre des tailleurs, des fabricants de draps, des carrossiers, etc. ; ne
vaut il pas autant faire vivre des ouvriers que des mendiants ?
Ou bien l'héritage
est enlevé à un malheureux. Alors c'est un malheureux soulagé aux dépens d'un
autre malheureux.
Je doute que la loi
ait eu en vue le danger spécial que je signale ; mais c'est parce qu'elle a
prévu qu'il pouvait y en avoir à permettre certains legs de bienfaisance,
qu'elle a donné au gouvernement le droit de les annuler.
L'usage que M. le
ministre de la justice a fait récemment du pouvoir que la loi lui attribue, me
fait penser qu'il comprend ses devoirs. Je viens l'encourager à s'avancer
résolument dans la voie où il est entré ; qu'il ne donne pas facilement son
approbation à certaines donations : il réjouira les familles et empêchera la
lèpre du paupérisme de s'étendre encore.
Il est certain
qu'approuver tout legs de bienfaisance, c'est avec le temps faire, sur une
autre échelle, la même chose qu'établir la taxe des pauvres ; c'est aussi
donner une liste civile à la misère. Alors il faut s'attendre aux conséquences,
qui se sont développées en Angleterre : l'extension du paupérisme, l'obligation
de créer des workhouses.
Si nous n'y prenons
garde, ces workhouses, ces horribles galères, deviendront une nécessité
d'autant moins éloignée, que nous négligeons les moyens à notre disposition qui
sont bien préférables à leur création ; je veux parler de nos lois sur la répression
de la mendicité, qu'il serait bien temps de remettre en vigueur.
Après avoir parlé de
ceux qui font la charité, j'aurai, j'espère, votre permission, messieurs, pour
terminer par quelques mots sur ceux qui la demandent.
Il n'y a de richesse
que par le travail, il n'y a de dignité que par le travail, sans lui il n'y a
que misère et abjection. Le travail c'est la condition essentielle de l'état
social. Mais cette loi du travail pour le plus grand nombre est extrêmement
dure : il est certain que l'homme ne sort de sa paresse native que lorsque la
nécessité l'y contraint. Pour quelques-uns la nécessité c'est l'aiguillon de
besoins plus ou moins étendus ; pour quelques autres c'est la crainte du
châtiment.
Or, la crainte du
châtiment qu'est-elle devenue ? Peut-on se douter aujourd'hui que la mendicité
soit un délit ?
On comprend qu'au
milieu de circonstances calamiteuses on ait un peu oublié les lois sur la
répression de la mendicité, mais je crois faire acte méritoire en excitant le
gouvernement à avoir de la mémoire. Peut-être lorsqu'il examinera la
législation sur la matière, la trouvera- t-il insuffisante et croira-t-il
devoir combler ses lacunes.
Et quand je demande
que la mendicité soit réprimée, j'entends qu'elle le soit sous toutes ses
formes, quels que soient ceux qui l'exercent, j'entends qu'il n'y ait pas de
privilège.
La Constitution donne
aux Belges le droit de s'associer, mais je ne crois pas que ce droit emporte
celui de mendier. Il faut empêcher que les associations de certaine espèce ne
deviennent ce qu'elles étaient autrefois, de puissants suçoirs qui pompent en
peu de temps toute la substance d'un pays et le réduisent à une affreuse
misère.
Si des Belges ayant des ressources acquises veulent
consacrer leur temps à la prière, si ensuite, pour le faire plus commodément,
ils veulent se réunir, rien de mieux, la Constitution a bien fait de le leur
permettre, c'eût été une tyrannie que de les en empêcher ; mais qu'ils vivent
exclusivement des ressources qu'ils apportent dans leur communauté et non de
celles qu'ils pourraient soutirer de populations sur lesquelles ils vivraient
en parasites.
Le devoir de réprimer
la mendicité, sans exception, est exercé par tous les gouvernements. Les
gouvernements théocratiques seuls le négligent, parce qu'ils trouvent dans le
monachisme un auxiliaire important ; mais aussi c'est une des causes de la
misère chez les nations sur lesquelles ils dominent.
Je compte que notre
gouvernement aura l'œil ouvert et que sans rigueur inutile, mais avec vigueur,
il saura accomplir sa mission sociale.
M. d’Anethan. - Messieurs,
l'honorable M. de Bonne est revenu cette année, comme les années précédentes,
sur les questions qu'il avait traitées relativement aux cultes. L'honorable
membre espérait obtenir de la part du ministère actuel des réponses plus
satisfaisantes que celles qu'il avait obtenues sous le ministère précédent. Je
doute qu'il ait été fort satisfait de la réponse que vient de lui faire M. le
ministre de la justice, car il s'est borné à renvoyer l'honorable M. de Bonne à
un concordat futur dont il a indiqué quelques bases d'une manière très
sommaire.
L'honorable M. de
Bonne avait principalement insisté sur un point ; il s'était occupé de nouveau
de la question des desservants, et il avait critiqué la décision qui avait été
prise sous l'administration dont j'avais l'honneur de faire partie, décision en
vertu de laquelle on avait refusé le traitement au desservant révoqué et on
l'avait alloué au desservant postérieurement nommé pour le remplacer. C'était
précisément là-dessus qu'avaient porté les critiques de l'honorable M. de
Bonne, et pourtant je n'ai pas entendu dans la réponse de M. le ministre qu'il
ait indiqués si cette marche est suivie ou abandonnée sous le ministère actuel.
L'honorable M. de
Bonne avait parlé de scandales qui avaient lieu, il les avait attribués à la
mesure qui avait été prise par l'évêque de Liège. J'ai été étonné que M. le
ministre de la justice n'ait pas cru devoir, je ne dis pas prendre le parti de
l'évêque, mais au moins rétablir les faits dans leur véritable jour et montrer
que ces scandales n'étaient pas attribuables au chef diocésain qui avait agi
d'après son droit, mais devaient être attribué, uniquement au desservant qui
n'avait pas respecté les droits et pouvoirs de son évêque et s'était mis
au-dessus des lois civiles et des lois canoniques.
L'honorable M. de
Bonne avait dit également que l'évêque de Liège quand le desservant de la
Xhavée avait repris ses fonctions au grand scandale de tous et au mépris de la
décision qui l'avait frappé, que l'évêque de Liège, au lieu de s'adresser au
ministre du la justice, s'était adressé au nonce du pape, et que c'était par
cette voie que les réclamations de l'évêque étaient parvenues au gouvernement.
Il est fort possible, fort probable même que le nonce, informé du scandale qui
avait lieu, en ait conféré avec M. le ministre de la justice ; il est possible
que le représentant du saint-siège, ému par la crainte d'un schisme, se soit
adressé au ministre de la justice pour voir si d'après notre législation, il y
avait des moyens de le prévenir ou de le faire cesser. Mais l'évêque de Liège
ne s'est pas borné à écrire au nonce, il s'est adressé aussi au ministre de la
justice ; une correspondance s'est engagée entre l'évêque et le ministre et
elle a abouti, si mes renseignements sont exacts, à un accord complet entre le
ministre et l'évêque.
Je regrette que M. le
ministre n'ait pas fait connaître à la chambre l'existence de ces
communications pour rectifier les assertions de M. de Bonne.
M. le ministre de la
justice vous a dit qu'il partageait sur plusieurs points les opinions de
l'honorable M. de Bonne, mais il n'en a fait connaître qu'un seul sur lequel
cet accord existait entre lui et l'honorable membre ; ce point c'est la
distinction entre les desservants succursalistes et d'autres desservants.
Je persiste dans
l'opinion que j'ai déjà émise, qu'il n'y a qu'une seule espèce de desservants
et qu'il ne peut y en avoir qu'une seule, d'après le droit canonique et d'après
les articles organiques. Une seule catégorie de ces ecclésiastiques a toujours
été reconnue par les gouvernements, par les évêques et par le saint-siège.
Jamais le saint-siège n'a admis deux espèces de desservants, il n'a jamais
admis que des desservants qui, à l'exception de l'inamovibilité, jouissent de
tous les privilèges attribués aux véritables curés canoniquement institués.
Je ne comprends pas comment une nouvelle
espèce de desservants aurait été récemment découverte. Je le répète, l'opinion universellement
admise par l'Eglise et par tous les gouvernements qui se sont succédé, est
qu'il n'y a qu'une espèce de desservants et non deux, dont l'une jouirait de
l'inamovibilité et l'autre serait amovible. En présence des articles organiques
de l'an X, il est impossible, me paraît-il, de soutenir avec fondement la thèse
que les desservants sont mis sur la même ligne que les curés, tandis qu'il y a
une séparation bien tranchée entre ces deux ordres d'ecclésiastiques. La
nouvelle espèce de desservants à laquelle on fait allusion, n'aurait aucun
caractère tracé, ni par les lois canoniques ni par les articles organique.
M. le ministre de la
justice a reconnu lui-même qu'il existait différents articles des lois
organiques relatives aux cultes qui ne pouvaient plus recevoir d'application,
qui étaient inconciliables avec l'esprit de nos institutions et avec le texte
de notre Constitution.
J'ai reconnu à
différentes reprises cette vérité, et je l'ai même invoquée.
(page 543) Différents articles organiques n'ont plus été exécutés
depuis 1830. Les articles qui apportaient des entraves à la liberté du culte,
qui gênaient cette liberté complète dont il doit jouir, qui faisaient
intervenir le gouvernement dans la nomination, l'installation et la révocation
des ministres du culte, ces articles ne peuvent plus recevoir d'exécution.
Faut-il maintenant, comme semble le penser M. le ministre de la justice,
remplacer ces articles par d'autres dispositions ? Est-il nécessaire de faire
une convention avec la cour de Rome pour régler ces différents points ? Cette
question est très grave. Mon intention ne peut être de la traiter en ce moment.
Je ferai une seule
observation. Je ne concevrais pas une convention où l'on ferait intervenir le
gouvernement dans la nomination, l'installation et la révocation des ministres
du culte ; car pour arriver à une semblable convention, il faudrait commencer
par réviser la Constitution.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier). - Il ne s'agit pas
de cela !
M. d’Anethan. - Il ne s'agit pas
de cela, me dit M. le ministre de l’intérieur. Je fais un appel à M. le
ministre de la justice, je m'en réfère à ses paroles, qui seront sans doute
insérées au Moniteur ; n'a-t-il pas dit qu'il fallait régler le mode de
nomination et de révocation des ministres du culte ? N'a-t-il pas dit que les
inconvénients qui existaient provenaient de ce que le mode de nomination et de
révocation n'était pas réglé, qu'il était indispensable de le régler de commun
accord ?
Voilà, si j'ai bien
entendu, quel a été, sinon les paroles, au moins le sens des paroles de M. le
ministre de la justice.
Je répète que pour
arriver à ce résultat, il faudra commencer par réviser la Constitution.
M. le ministre de la
justice vous a dit qu'il était temps de s'occuper du chaos où nous étions
plongés, de faire cesser ces dissidences incessantes qui avaient lieu, de
rétablir l'ordre et l'harmonie où existerait en quelque sorte l'anarchie.
J'avoue que ce sont les premiers mots que j'entends qui pourraient me faire
penser qu'il régnerait, relativement aux objets dont a parlé M. le ministre de
la justice, un état de choses qui mériterait le nom d'anarchie. Quant aux
dissidences incessantes, je suis également très curieux de les connaître.
Depuis 1830, il n'y a
eu que trois difficultés qui se sont présentées : l’une dans le diocèse de
Tournay, les autres dans le diocèse de Liège. Voilà les seuls cas de dissidence
qui se soient présentés, du moins à ma connaissance. Encore les deux cas qui
ont eu lieu en 1832 et 1834 se sont heureusement terminés après très peu de
temps.
Quant à l'affaire du
desservant de la Xhavée qui a occupé l'honorable M. de Bonne, je crois qu'elle
se terminera d'une manière extrêmement simple.
Dès que la cour de Rome aura prononcé (je crois
qu'elle a déjà prononcé sur un incident), je pense qu'il n'y aura pas la
moindre difficulté à faire exécuter la loi, dès que l'exécution de la loi sera
réclamée en vertu d'une décision compétemment rendue. Je ne pense pas que le
gouvernement puisse avoir la moindre intention de maintenir dans l'exercice du
culte, ni dans le presbytère, qu'alors il aurait usurpé, un desservant qui
aurait été révoqué par son évêque, et dont la révocation aurait été confirmée
par le pape.
S'il pouvait y avoir la
moindre hésitation pour le gouvernement, j'en serais à me demander où est la
protection pour les cérémonies du culte qu'il a annoncée dans son programme, où
en est cette bienveillance qu'il a annoncée pour les ministres de la religion.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne parlerai en
ce moment que d'un seul point, de ce qui a eu lien entre Son Excellence le
nonce apostolique et moi. Il y avait peu de temps que j'étais au ministère de
la justice, lorsque Son Excellence le nonce vint me trouver pour m'entretenir
au sujet des faits qui s'étaient passés dans le diocèse de Liège, dans la
commune de la Xhavée. Je déclarai à Son Excellence que le gouvernement ne
pouvait en aucune manière s'immiscer dans la connaissance de ces faits, que
tant que des rapports, des procès-verbaux émanés des autorités compétentes ne
signaleraient pas quelque délit, quelque trouble à l'ordre public, le
gouvernement désirait rester absolument étranger aux difficultés qui pouvaient
exister entre l'évêque de Liège et le curé de la Xhavée.
J'ai écrit ensuite à
M. le gouverneur et à M. le procureur général pour avoir un rapport sur cette
affaire, et pour obtenir leur avis sur la ligne de conduite qu'ils croyaient
devoir être tenue dans ces circonstances. Ces deux hauts fonctionnaires furent
parfaitement d'accord que le gouvernement n'avait nullement à intervenir dans
cette circonstance, que ce serait violer les dispositions de l'article 16 de la
Constitution que prêter de quelque manière que ce fût, l'appui du gouvernement,
du bras séculier pour maintenir le nouveau desservant nommé par M. l'évêque de
Liège en possession de la cure de la Xhavée.
Je témoignai à S.
Excellence le nonce apostolique l’étonnement que me causait la communication
que je recevais de lui et que j'aurais dû recevoir de M. l'évêque de Liège par
l'entremise de M. le gouverneur de cette province.
Effectivement,
quelque temps après, M. l'évêque de Liège m'écrivit au sujet de cette affaire,
et je lui répondis dans le sens que je viens d'indiquer. Je n'ai pas sous les
yeux ma dépêche ; mais j'en ai fait connaître le sens.
Il n'est donc
nullement exact de dire, comme l'a fait l'honorable M. d'Anethan, que j'aurais
été parfaitement d'accord avec M. l'évêque de Liège sur les mesures à prendre.
M. l'évêque demandait que le gouvernement intervînt. Dans un mémoire très
développé il a soutenu que le gouvernement devait lui prêter tout l'appui
possible pour expulser le desservant qu'il considérait comme schismatique et
installer celui qu'il avait nommé à sa place. Je répondis que le gouvernement
ne pouvait intervenir sans violer les dispositions de la Constitution. Les
choses sont restées en cet état.
Quelques faits nouveaux se sont cependant produits
ensuite ; il y a eu quelques légers troubles dans l'église de la Xhavée ; il y
a même eu une plainte de la part du nouveau desservant et appuyée par M.
l'évêque de Liège. Mais comme, d'après l'avis de M. le procureur général, ces
troubles étaient trop peu importants pour donner lieu à des poursuites, le
gouvernement a maintenu sa décision.
Voilà les
explications que j'avais à donner pour démontrer l'inexactitude de ce qu'avait
dit l'honorable M. d'Anethan, que le gouvernement aurait été parfaitement
d'accord avec M. l'évêque de Liège sur ce qu'il y avait à faire dans cette
affaire. C'est absolument le contraire qui a eu lieu. Le gouvernement a refusé
de prêter l'appui qui lui était demandé ; il n'a pas cru pouvoir le faire
légalement et constitutionnellement. M. l'évêque de Liège, au contraire, a persisté
à penser que le gouvernement aurait dû lui prêter cet appui.
M. de Bonne. - Veuillez bien
remarquer, messieurs, que quand j'ai pris la parole, je n'ai pas voulu faire
une proposition à la chambre. Je me suis, comme les années précédentes, adressé
à M. le ministre de la justice : je lui ai fait une interpellation ; je lui ai
signalé des difficultés, des abus ; je lui ai demandé s'il comptait remédier à
cet état de choses.
L'honorable M.
d'Anethan vous a dit que j'étais revenu avec ma thèse habituelle et que je
n'avais rien obtenu.
Mais il n'y avait
rien è obtenir. J'ai appelé l'attention de M. le ministre sur des abus ; je lui
ai signalé des mesures à prendre.
L'honorable M.
d'Anethan a dit que je suis venu répéter mon ancienne homélie sur les
desservants ; mais la question s'est agrandie ; il ne s'agit plus de régler les
droits des desservants ; mais il s'agit de régler même les droits des évêques,
qui étendent leur puissance d'une manière indéfinie. J'ai invité le gouvernement
à y pourvoir d'une manière légale et constitutionnelle.
On dit que, d'après
la loi organique, il n'y a qu'une espèce de desservants ou deux espèces de
desservants. Moi j'en trouve trois, et si l'honorable M. d'Anethan ne les
connaît pas, je vais les lui indiquer. Il y a le desservant que le curé peut
nommer pour desservir une annexe dépendante de la cure ; il le nomme ; l'évêque
n'a que le droit d'approbation. Il y a ensuite le desservant que nomme l'évêque
à un curé malade. Celui-ci demande des vacances, une permission d'absence.
C'est l'évêque qui nomme le desservant ; il n'est encore que provisoire.
Ces deux espèces de
desservants sont amovibles ; ils ne sont que provisoirement nommés.
Mais il y a une
troisième espèce de desservants : c'est le desservant qui a une cure avec des
appointements payés par le gouvernement et qui exerce le ministère du culte
avec tous les pouvoirs et dans la même étendue que les curés primaires et que
les curés secondaires. Je dis que celui-ci est inamovible.
C'est peut-être celui
dont il n'est pas parlé dans la loi organique. Mais comme on vous dit que cette
loi ne peut plus être observée, que fallait-il faire et que doivent faire les
évêques dans ces circonstances ? Ils doivent s'en tenir aux lois de leur
institution, aux lois canoniques ; et ces lois défendent de révoquer sans cause
un desservant qui administre une cure.
Remarquez, messieurs,
que je n'ai jamais contesté le droit d'un évêque de révoquer un desservant ou
un curé, mais je lui conteste le droit de révoquer ad nutum, c'est-à-dire sans
en donner les causes. Je veux qu'il dise les causes, et cela est nécessaire ;
car une des plus grandes précautions que les lois ont prises, c'est d'éviter le
soupçon de simonie. Qui nous garantit que quand un desservant est nommé à une
cure, il n'y entre pas à des conditions honteuses et qu'on ne peut avouer ?
Jusqu'où peuvent aller les soupçons, si un évêque le révoque simplement, sans
dire pourquoi ? Ces soupçons sont une des plaies de l'Eglise et les lois y ont
pourvu ; un des soins les plus constants de la papauté a été de les écarter, et
c'est pour cela qu'il a été défendu qu'un curé qui a charge d'âmes puisse être
révoqué sans cause. S'il est révoqué pour cause, il peut en appeler à son
métropolitain, et du métropolitain il peut en appeler au pape.
J'ai dit que dans
l'affaire du curé de la Xhavée il y avait eu du scandale. Mais d'où est provenu
le scandale ? De ce que ce curé n'a pas rencontré des juges, que de tous côtés,
du côté de ses chefs spirituels comme du côté des chefs temporels, on l'a
repoussé, on a refusé d'admettre ses réclamations.
Quant à ce que j'ai
dit des circonstances de la réclamation qu'avait faite Son Excellence le nonce
à M. le ministre de la justice, il paraît qu'elles sont assez vraies. M.
l'évêque de Liège ne s'est pas adressé directement au ministre ; il s'est
adressé à Son Excellence le nonce. Naturellement je ne suis pas dans les
secrets du cabinet, et je ne sais ce qui s'est passé ensuite. Mats le fait
m'était venu d'une source en laquelle j'ai une grande confiance.
L'article 16 de la
Constitution, vous a-t-on dit, messieurs, garantit la liberté du clergé, et
d'après cette loi les évêques ont la police, ils peuvent disposer vis à-vis de
leurs inférieurs ainsi qu'ils le jugent à propos. Elle n'a rien réglé, rien
limité en établissant la liberté des cultes.
(page 544) C'est
précisément parce qu'il n'y a pas de limites tracées que je crois utile
d'appeler l'attention du ministère sur l'utilité, sur la nécessité d’en tracer.
Je n'examinerai pas
la question de savoir jusqu'à quel point il convient de faire un traité avec la
cour de Rome, ni la constitutionnalité d'un pareil traité. Je crois que les
droits accordés par la Constitution ne peuvent pas se trouver compromis par les
traités qu'on ferait avec le saint-siège. Mais en appelant l'attention de M. le
ministre sur l'utilité et la nécessité de faire une loi sur la police des
cultes, je n'ai pas entendu compromettre ni attaquer en aucune manière les
garanties accordées par la Constitution. Mais je pense qu'il convient d'établir
les circonstances dans lesquelles le pouvoir civil doit intervenir. Celui-ci a
des droits, ce sont ceux qui résultent des bénéfices qu'il accorde.
C'est l'Etat qui paye
les ministres du culte, et quand il a accordé à un ministre du culte son
traitement, il ne faut pas qu'il dépende du caprice d'un évêque de le destituer
et de renouveler cinq ou six fois dans l'année les titulaires de toutes les
cures et de toutes les succursales du royaume.
J'ai dit que je demandais,
et j'ai appelé l'attention sur ce point, une loi sur la police des cultes, non
seulement en ce qui concerne les pouvoirs des évêques vis-à-vis des
desservants, mais aussi en ce qui concerne les pouvoirs du gouvernement
vis-à-vis des évêques. Un exemple vous démontrera l'utilité, si non la
nécessité d'une telle loi.
Je suppose qu'un
évêque, mécontent de l'accueil qu'on ferait à ses prétentions, défendît à tous
les ministres du culte de son diocèse de célébrer les offices dans les églises,
d'y administrer les sacrements. Est-ce que le gouvernement n'aurait pas le
droit de demander à M. l'évêque pourquoi les ouailles sont en interdit, et ne
conviendrait-il pas dans ce cas de pouvoir poursuivre l'évêque ? Il ne pourrait
administrativement lui refuser son traitement ; car il se constituerait juge et
partie. Mais que devrait-il pouvoir faire ? Il devrait pouvoir assigner
l'évêque devant le tribunal et le faire condamner à ce que son traitement ne
soit pas payé jusqu'à ce que son interdit soit levé, sauf ses réclamations à
faire à la cour de Rome.
Aujourd'hui, si une pareille circonstance se
présentait, je ne sais ce que ferait le gouvernement.
Vous voyez donc qu'il
est nécessaire qu'on s'occupe d'une loi sur la police des cultes. Je le crois
utile, indispensable ; je ne reconnais toutefois pas la nécessité de recourir à
la cour de Rome ; sans cependant que je trouvasse blâmable qu'on soumît les
dispositions de la loi de police au saint-siège et que l'on accueillît ses
observations ; mais il n'y aurait pas là l'exercice d'un droit, il y aurait
simplement acte de déférence de la part du gouvernement.
M. Raikem. - Je demande la
parole.
Plusieurs membres. - A demain !
D’autres membres. - Non, non,
continuons.
M. Raikem. - Je suis aux ordres
de la chambre.
Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. Raikem. - Messieurs, je n'ai
pris la parole que pour dire quelques mots sur une affaire spéciale dont il
s'est agi dans la discussion ; c'est celle qui est relative à la succursale de
la Xhavée.
Mon intention n'est
point d'entrer dans les diverses questions qui ont été soulevées à cette
occasion, mais je ferai uniquement remarquer que, d'abord, quant à ce qui
concerne les desservants, la loi de germinal an X a été constamment interprétée
dans le sens que la disposition de l’article 31 comprenait tous les
desservants. J'en ai pour preuve les diverses décisions du conseil d'Etat de
France.
Or, messieurs, j'ai
toujours entendu enseigner que la meilleure interprétation d'une loi c'était la
manière dont elle avait été exécutée. En France, sous l’empire, c'était par
voie administrative que ces sortes de choses étaient traitées. Je tiens même
que, sous le gouvernement de cette époque, il est intervenu une décision
relativement à un ecclésiastique qui avait été interdit par son évêque, et qui
voulait se maintenir dans l'exercice du culte ; afin de procurer l'exécution de
la mesure prise par l'évêque, après la promulgation de la constitution,
l'autorité judiciaire a été saisie d'une action intentée par le ministère
public contre un desservant qui avait été révoqué par l'évêque, dans le but de
remettre le presbytère et l'église à celui qui avait été nommé en son
remplacement ; mais le ministère public a été déclaré sans qualité pour
intenter cette action. L'arrêt est de 1832. Il a été rendu par la cour de
Liège. On se trouvait naturellement arrêté par ce précédent ; à moins de
renouveler la question, le ministère public se trouvait sans qualité pour agir
par une action civile, sauf à intenter cette action par celui auquel le droit
compétait à cet effet.
D'un autre côté, si ma mémoire est fidèle, quant aux
troubles qui ont eu lieu à l'occasion de la révocation du desservant de la
Xhavée, je crois qu'ils ne pouvaient pas même donner lieu à une poursuite
correctionnelle ; que, d'ailleurs, les poursuites pour contravention de police
auraient atteint des personnes qui avaient été égarées plutôt qu'elles
n'étaient hostiles. Je crois, messieurs, que dans ces circonstances il y avait
de justes motifs de s'abstenir, puisque, d'un côté, il y avait un précédent
quant à l'action civile, et que, d'un autre côté, les faits n'étaient pas assez
graves pour constituer un véritable délit.
Voilà, messieurs,
quelques explications que j'ai cru devoir donner relativement à cet incident,
et c'est là que je crois devoir me borner en ce moment.
M. de Mérode. - Messieurs, je ne
sais s'il est juste d'attaquer constamment dans cette enceinte des personnes qui
n'y sont pas, pour se défendre, et d'affirmer que les évêques belges veulent
exercer la suprématie dans l'ordre civil. Il serait trop long maintenant de
soutenir la thèse contraire, mais ce que je puis dire au moins, c'est que le
cardinal-archevêque de Malines n'a pas la moindre envie de se poser en égal du
prince qui représente la nation vis-à-vis des peuples étrangers. Et la preuve
qu'à l'église même il témoigne au chef de l'Etat son respect, c'est qu'il
reconduit ou le Roi ou la Reine, non seulement jusqu'à l’entrée du chœur, mais
jusqu'au portail.
Messieurs, quand on
voit ce qui se passe dans le monde, peut-on concevoir une crainte plus
chimérique que celle de la domination du clergé ? Car, si le clergé était si
puissant, si le sort de ses membres était si digne d'envie, comment ne
verrait-on pas la carrière ecclésiastique envahie par une foule de prétendants
innombrable, comme il arrive pour toutes les autres ?
Chacun veut être
avocat, médecin, magistrat, fonctionnaire dans toutes les branches d'administration
; tandis qu'à peine les paroisses peuvent-elles être pourvues de curés
desservants et vicaires dans quelques provinces, et dans toutes le nombre
excédant des offices à remplir est bien faible.
Non, je ne crains pas
de le dire, tant d'hommes même parmi ceux qui se prétendent exclusivement
libéraux aiment tant aujourd'hui l'autorité, comme il est facile de le voir,
qu'ils ne manqueraient pas de remplir les séminaires petits et grands, si là se
trouvait le moyen de parvenir à la domination temporelle ; et la meilleure
preuve que l’Eglise n'agit actuellement que dans la sphère du pouvoir spirituel
très peu envié, c'est le petit nombre de ceux qui aspirent aux fonctions qui la
concernent et qu'elle confère.
Messieurs, je ne
m'attendais pas à voir traiter aujourd'hui le budget de la justice, l'ordre du
jour annonçant un débat sur la loi des sucres : mais, bien que surpris par une
discussion prématurée, je dois dire un mot sur la manière dont M. le ministre
de la justice dispose des legs faits en faveur des pauvres. Quand on laisse
tout ou partie de son ben à l'indigence, c'est ordinairement à certaines
conditions qui s'appliquent particulièrement au mode de distribution des
secours à donner et à la qualité des distributeurs futurs auxquels on croit
devoir confier cette tâche.
Il est certain, messieurs, que si les personnes qui
font des pauvres leurs héritiers, n'ont plus l'espoir de voir respecter les
dispositions qu'elles prennent en mourant ou même pendant leur vie, la charité
se découragera ; car la charité n'a pas toujours confiance, il s'en faut, aux
distributeurs qui s'imposent à elle. Je parle ici d'un effet moral, d'un fait,
messieurs, dont le résultat se montrera malheureusement au détriment des
pauvres ; c'est pourquoi je crois utile de le signaler ici.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai demandé la
parole, messieurs, que pour donner encore une explication qui ne paraît
nécessaire. L'honorable M. d'Anethan m'a reproché d'avoir porté atteinte à la
Constitution, en parlant d'une convention qui pourrait se faire entre la cour
de Rome et le gouvernement belge pour régler les rapports temporels de l'Eglise
et de l'Etat. Je dois protester contre l'intention que m'a prêtée l'honorable
M. d'Anethan. Il est bien vrai que j'ai prononcé les mots
de convention et peut-être aussi de concordat ; mais j'ai eu soin d'ajouter que
cette convention devrait avoir pour base le grand principe de notre droit
public, c'est-à-dire, l'indépendance absolue de l'Eglise et de l'Etat ; que,
par conséquent, pour toutes les matières qui seraient du domaine exclusif de
l'Eglise, il était bien entendu que la cour de Rome ferait telle déclaration
qui lui conviendrait, et si j'ai parlé de convention c'est en ce sens que cette
déclaration devrait être acceptée par le gouvernement pour servir de base aux
lois qu'il pourrait présenter aux chambres à l'effet de régler certains
rapports entre l'Eglise et l'Etat, qui sont plus ou moins incertains, plus ou
moins indéterminés dans l'état actuel de la législation.
Voilà, messieurs, ce
que j'ai dit, et je proteste contre toute intention que l'on, pourrait
m'attribuer d'avoir voulu contester à l'autorité ecclésiastique les droits qui
lui appartiennent dans le ressort de ses attributions religieuses, comme je
protesterais également contre toute prétention qui tendrait à ravir au
gouvernement les droits qui lui appartiennent comme pouvoir temporel, comme
pouvoir civil entièrement indépendant.
M. d’Anethan. - Je proteste à mon
leur contre la pensée que m'a attribuée M. le ministre de la justice. Je n'ai
pas dit qu'il entrerait dans ses intentions de violer la Constitution. Je n'ai
pas dit un mot de cela. J'ai rappelé que M. le ministre de la justice avait
annoncé dans son discours que, s'il s'agissait d'une convention avec la cour de
Rome, il faudrait s'occuper également de la nomination et de la révocation des
ministres du culte, et j'ai dit que pour faire une convention où ce point
serait traité il faudrait auparavant réviser la Constitution. Ainsi, si
quelqu'un a une protestation à faire, c'est moi, contre l'intention qu'on me
prête d'avoir reproché à M. le ministre de la justice de vouloir violer la
Constitution.
Du reste, M. le
ministre de la justice avait des notes, il peut les relire et nous verrons
alors si j'ai dit un seul mot qui n'eût pas pour base les paroles prononcées
par lui.
Il me serait, du
reste, agréable d'apprendre que je me suis trompé et que j'ai mal saisi le sens
des paroles de M. le ministre de la justice.
(page 545) M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier). - Messieurs, lorsque
j'ai entendu l’honorable M. d'Anethan interpréter d'une manière tout à fait
erronée les paroles de M. le ministre de la justice, je me suis permis de lui
dire : « Il ne s'agit pas de cela. » Malgré cette dénégation, l'honorable
M. d'Anethan a prétendu qu'il s'agissait de cela. Les explications de M. le
ministre de la justice lui ont démontré qu'il se trompait, et, en effet, il ne
s'est jamais agi, dans l'intention de M. le ministre de la justice, pas plus
que dans l'intention du cabinet, de négociations qui devraient aboutir à ce
qu'on appelle un concordat. Notre droit public ne comporterait pas des
négociations qui devraient aboutir à un pareil résultat. Mais ce dont il peut
s'agir avec Rome, c'est d'obtenir telle déclaration favorable aux prétentions
raisonnables du clergé inférieur. Une pareille déclaration pourrait servir de
base à la conduite du gouvernement dans ses rapports avec le clergé ; chacun
d'ailleurs, clergé et gouvernement, restant libre, aux termes de la
Constitution.
Voilà ce que M. le
ministre de la justice a entendu dire ; et certes si le gouvernement pouvait
obtenir de la cour de Rome tel acte, telle déclaration, de nature à mettre un
terme aux conflits qui existent aujourd'hui, qui se reproduisent souvent d'une
manière fâcheuse entre les chefs diocésains et le clergé inférieur, je crois
que le gouvernement aurait fait une chose utile et pour le clergé et pour
l'ordre public.
M. d’Anethan. - Messieurs, je me
félicite des explications que viennent de donner MM. les ministres de la
justice et de l'intérieur ; je s'en félicite d'autant plus que sur nos bancs
tout le monde, semble-t-il, avait compris le discours de M. le ministre de la
justice comme je l'avais compris moi-même ; les explications qui viennent
d'être données me satisfont, et je suis heureux d'avoir appris du gouvernement
qu'il a l'intention de ne provoquer aucun changement à l'article de la
Constitution relatif aux cultes.
- La séance est levée
à 4 heures 3/4.