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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 décembre 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 302) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi un quart. La séance est ouverte.

M. Troye lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

M. A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Nicolas-Henri-Romain Noël, sergent-major au régiment du génie, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation.»

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs cabaretiers débitants de boissons distillées à Wercken demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838 qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées. »

« Même demande des cabaretiers et habitants de Zarren et de Beeringen. »

M. de Breyne. - Je demande le dépôt sur le bureau, pendant la discussion du budget des voies et moyens, pour servir de renseignements.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants de Halleux prient la chambre de rejeter le projet de loi sur les successions et toute augmentation de dépenses ou d'impôts qui lui serait proposée. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi, et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.


« L'administration communale d'Hooghlede prie la chambre d'allouer au budget un crédit destiné à couvrir les déficits des communes dont les ressources sont épuisées par suite de circonstances extraordinaires. »

- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.


« Le conseil communal de Beverloo présente des observations sur la direction à donner à la route décrétée de Turnhout vers Hechtel ou Beeringen. »

- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.


« Plusieurs propriétaires, marchands et hôteliers, à Waehtebeke, demandent le recreusement du canal de Moervaert. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dumoulin, instituteur à Fayt-lez-Seneffe, demande des modifications à la loi du 23 septembre 1842, organique de l'instruction primaire. »

M. Bricourt. - Comme la pétition du sieur Dumoulin signale d'une manière remarquable les vices de la loi de 1842 sur l'instruction primaire cl présente des vues nouvelles très judicieuses sur cette matière, je demande le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


M. le gouverneur du Luxembourg adresse à la chambre 115 exemplaires du mémoire que la députation permanente vient d'adresser à M. le ministre des travaux publics sur les constructions à faire dans cette province.

- Distribution à MM. les membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.


Il est fait hommage à la chambre par M. Jalheau de son travail intitulé : « Etudes sur quelques moyens de sauver les Flandres. »

- Distribution à MM. les membres et dépôt à la bibliothèque.


« IL est fait hommage à la chambre par M. Fedor Declercq de 13 exemplaires de son opuscule intitulé : « Rapports intimes entre la faculté de philosophie et lettres et l'administration. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi prorogeant le terme de la loi du 18 juin 1842, relative au régime d'importation en transit direct et par entrepôt

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour objet de proroger la loi du 18 juin 1842 qui autorise le gouvernement à apporter des modifications au régime des importations et des transport des marchandises en transit direct ou par entrepôt. Je demande la permission de lire le rapport qui accompagne ce projet, car il en démontre l'urgence. Voici ce rapport :

« Messieurs, la loi du 18 juin 1842 a conféré au gouvernement le pouvoir de modifier le régime d'importation et de transport de marchandises en transit direct et en transit par entrepôt.

« Cette loi, qui n'avait d'effet que pour an, a été prorogée d'année en année, et expire de nouveau le 31 décembre 1847.

« Mon honorable prédécesseur vous a communiqué, dans la séance du 14 novembre 1845 (documents, n° 6), les mesures arrêtées jusqu'alors par le gouvernement en vertu de cette loi. Il n'en a été adopté aucune autre depuis cette époque.

« Dans le but de donner aux dispositions sanctionnées par l'expérience un caractère définitif et de faire jouir le commerce de nouvelles facilités, j'ai soumis, le 18 septembre dernier, à l'examen des chambres de commerce et des autorités dont j'ai cru utile de réclamer l'avis, un projet de loi générale sur le transit. J'avais compté que l'instruction en serait terminée assez à temps pour que ce projet pût vous être soumis avant la fin de l'année, mais je n'ai pas encore reçu le complément des renseignements demandés. Toutefois, j'espère pouvoir le déposer sur le bureau de la chambre à une époque assez rapprochée, et j'insisterai alors pour qu'il soit converti en loi pendant la présente session. En attendant, le Roi m'a chargé de vous présenter le projet ci-joint à l'effet de proroger pour un nouveau délai d'un an la loi du 18 juin 1842.

« Il importe, messieurs, que cette prorogation ait lieu avant le 1er janvier 1848, si l'on veut éviter le grave inconvénient de voir cesser, à cette date, les effets utiles des mesures adoptées, en vertu de la loi qui va expirer, et, entre autres, l'affranchissement des droits de transit par les chemins de fer de l'Etat.

« Le Ministre des finances, Veydt. »

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture.

Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés et distribués.

M. Osy. - Comme la loi qu'il s'agit de proroger expire le 1er janvier, je propose de renvoyer le projet qui vient de vous être présenté à une commission nommée par le bureau. L'honorable M. Loos a fait le rapport l'année dernière ; si cette année, le rapport pouvait être fait prochainement, il nous serait possible de voter la loi avant notre séparation,

- Cette proposition est adoptée.

Ordre des travaux de la chambre

M. Maertens. - La chambre est saisie d'un projet de loi qui est de la plus haute importance pour le commerce maritime, qui doit mettre un terme aux abus que les gens de mer commettent au préjudice des armateurs. Ce projet est intitulé : Code disciplinaire pénal pour la marine marchande et la pêche maritime,

Il y a plus d'un an que ce projet est présenté, il l'a été le 14 décembre 1846. Il a été examiné par toutes les sections et, sauf l'honorable M. Desmet, qui ne fait plus partie de la chambre, la section centrale est au complet. Je propose à la chambre d'autoriser le bureau à remplacer M. Desmet.

M. le président. - C’est fait.

(page 303) M. Maertens. - Je prie alors M. le président de vouloir bien faire examiner cet objet le plus promptement possible par la section centrale.

Je ferai remarquer que toutes les sections centrales chargées d'examiner les budgets, à l'exception de celle à laquelle est soumis le budget des travaux publics, ont terminé leur travail. Il en résulte que M. le président et un de MM. les vice-présidents sont disponibles en ce moment.

Si M. le président avait la bonté de réunir la section centrale chargée du projet de loi dont il s'agit, section centrale dont j'ai l'honneur de faire partie, il serait possible qu'elle terminât son examen avant la fin de ce mois ; alors le rapporteur étant nommé, celui-ci pendant les prochaines vacances que nous avons l'habitude de prendre, pourrait faire son travail et le soumettre à la chambre immédiatement après notre rentrée ; de cette manière, nous parviendrions à discuter sans plus de retard un projet de loi réclamé comme très urgent par le commerce maritime.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je viens appuyer cette proposition. Il est à désirer que ce projet soit discuté le plus tôt possible. Je puis dire avec l'honorable préopinant que le commerce le réclame instamment.

M. Delfosse. - Chargé par M. le président de présider cette section centrale, je me propose de la convoquer aussitôt que les sections centrales du budget des travaux publics et du crédit de 1,300,000 fr. pour les routes, qui se réunissent tous les jours et que je préside, auront terminé leur travail.

Nomination d'un membre de la commission de surveillance de la caisse d'amortissement et de la caisse des dépôts et consignations

Voici le résultat du scrutin :

82 membres sont présents.

1 membre dépose dans l'urne un billet blanc.

81 prennent part au vote.

Majorité absolue, 41.

M. de Man d'Attenrode obtient 41 suffrages.

M. Osy, 40

En conséquence M. de Man d'Attenrode est proclamé membre de la commission de surveillance de la caisse d'amortissement et de la caisse des dépôts et consignations.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1848

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVIII. Instruction publique

Instruction primaire
Article 7

M. le président. - Nous sommes arrivés à l'article 7 du chapitre XVIII, « Instruction moyenne ».

La parole est à M. Nothomb.

M. Nothomb. - Messieurs, je crois une discussion sur l'instruction primaire utile. C'est ce qui m'a engagé à retarder le vote du budget de l'intérieur.

Le rapport triennal, présenté par l'un de mes successeurs, est entre vos mains ; mais il est des considérations qui ne peuvent trouver place dans un document administratif.

J'ai éprouvé jusqu'ici un double embarras : je suis forcé de parler très souvent de moi. Cependant chacun comprend que je me trouve forcément en cause dans cette question.

Je suis aussi forcé de parler du clergé. J'aurais même continué par cette seule considération à garder le silence, si je n'en avais été affranchi en quelque sorte par une publication faite naguère..

Je me propose de ne faire usage d'aucun autre document que de ce rapport, et du résumé en forme de lettre adressée à mon successeur M. Van de Weyer par l'évêque de Liège. C'est par erreur que l'on a attribut cette à l'archevêque de Malines. C'est le résumé des réclamations qui avaient été élevées au nom de l'épiscopat contre mon administration.

Je suis donc forcé de discuter et de contester publiquement quelques-unes des prétentions du clergé.

Je conserve néanmoins pour le clergé le plus profond respect. J'ai eu de nombreuses relatons avec lui et je m'en honore. Dans quelque position que je puisse me trouver, il rencontrera toujours chez moi le souvenir des services qu'il a rendus à la cause nationale en 1830. Le clergé belge est essentiellement national, quelquefois peut-être même nous le confondons trop avec un clergé étranger, le clergé français qui a vu avec déplaisir la révolution de juillet de 1830, tandis que le clergé belge a été notre associé dans notre révolution.

Il est un autre fait que nous avons déjà beaucoup trop perdu de vue ce que l'histoire n'oubliera pas, pour juger la conduite du clergé belge depuis 1830.

Si le clergé belge a contracté, dans la lutte antérieure à 1830, des habitudes politiques, ne faut-il pas un peu s'en prendre au rôle qui lui a été assigné dans la révolution ? Tels hommes qui aujourd'hui lui reprochent avec hauteur son rôle politique, trop longtemps prolongé, ont accepté, avant 1830, le clergé comme auxiliaire dans la levée de boucliers qualifiée de pétitionnement, dans les associations secrètes où se préparaient les élections ; ils l'ont accepté comme auxiliaire dans la grande lutte elle-même de 1830 ; ils l'ont accepté encore comme auxiliaire dans les années suivantes où nous avions à reconstruire le pays en face de l'étranger.

Ce n'est pas, messieurs, que je désire voir se perpétuer le rôle politique du clergé ; j'explique comment ce rôle lui a été, en quelque sorte, imposé en 1350, par la force des circonstances.

Si le rôle politique du clergé doit cesser, et je le souhaite, il lui reste un autre rôle d'une influence immense et qui le met constamment en contact avec le gouvernement ; j'entends parler du rôle assigné au clergé dans l'instruction primaire. C'est à cette question toute spéciale que je m'attacherai, et je désire, autant que possible, que la question conserve ce caractère spécial.

Je ne viens donc pas m'ériger en accusateur du clergé, je viens seulement discuter devant vous, messieurs, quelques-unes des prétentions récemment constatées par une publication qui, je le répète, a été faite indépendamment du gouvernement, aussi bien qu'elle a eu lieu indépendamment de moi-même. Je viens discuter ces prétentions parce que cette discussion se rattache nécessairement à l'examen même de mon administration, à l'examen de l'exécution que la loi de 1842 a reçue.

J'ai vécu, ainsi que mes deux successeurs, je n'en excepte pas l'honorable M. de Theux ; nous avons vécu, nous avons marché, nous avons agi entre deux luttes : lutte avec l'opposition libérale, qui trouvait que nous faisions toujours trop ; lutte avec le clergé, qui, souvent, trop souvent, trouvait que nous ne faisions pas assez. La première lutte a été publique ; elle a contribué à donner au pays cette impulsion qui a créé la situation actuelle. La deuxième lutte est restée secrète, et ce n'est pas moi qui ai levé le voile.

Quand j'ai quitté le ministère en juin 1845, il y avait, entre le clergé et moi, un dissentiment sur plusieurs questions très graves. Une première réclamation m'a été adressée par le clergé, le 25 avril 1844. J'ai répondu, une première fois, le 13 mai 1844, et j'ai maintenu la position que j'avais prise. La réclamation a été renouvelée le 2 août 1844 ; j'ai de nouveau maintenu, le 2 septembre 1844, la position déjà prise. Les évêques alors ont cru devoir recourir au Roi, le 23 novembre 1844, et m'adresser à moi-même un mémoire où se trouvent résumés leurs griefs. Ce mémoire est à peu près l'équivalent du document récemment publié et qui a été adressé à M. Van de Weyer.

Ce mémoire et la requête au Roi sont restés sans réponse de ma part. Quand j'ai quitté le ministère, j'ai emporté cette partie de la correspondance. Je me réservais de faire un triage. Néanmoins je vous avoue, messieurs, que j'aurais probablement éprouvé un certain embarras : je n'aurais su quel caractère assigner à cette correspondance, mais la question de savoir quel est le véritable caractère de cette correspondance est devenue à peu près oiseuse, et mon embarras a dû cesser lorsque M. Van de Weyer m'a écrit, le 26 novembre 1844, que les évêques lui avaient révélé l'existence du conflit qui existait entre eux et moi.

Dès lors les évêques supposaient eux-mêmes que la correspondance se trouvait au ministère, et je me suis empressé de la restituer ; j'ai écrit à M. Van de Weyer que du moment où la correspondance était invoquée, je la restituerais sans entrer dans la distinction des lettres officielles, personnelles et confidentielles. J'ajoutai, en outre, que je priais M. Van de Weyer d'examiner les engagements qui devaient résulter de cette correspondance, et que je m'en rapporterais à son jugement. M. Van de Weyer, sous la date du 10 février 1846, a résumé les engagements que j'avais pris, les a confirmés ; il n'en a rien rétracté, il n'y a rien ajouté. Je dois ici des remerciements à M. Van de Weyer pour la loyauté avec laquelle il a examiné et apprécié cet incident de mon administration ; il s'est attaché au fond des choses.

Messieurs, si je rétablis ainsi l'ordre des dates, c'est pour répondre à un reproche qui m'a été fait. On m'a dit que de deux choses l'une, ou je n'aurais pas dû emporter la correspondance, ou, une fois emportée, je n'aurais pas dû la restituer. Vous voyez, messieurs, d'après quelles circonstances j'ai été amené à restituer les pièces au ministère de l'intérieur.

Quant au fait d'avoir conservé des pièces, c'est une chose qui se présente, à peu près, à chaque changement de ministère ; les ministres gardent souvent des pièces, se réservant d'en faire le triage. Il n'y a là rien d'étrange.

Après avoir vidé ce débat que je pourrais appeler personnel, j'aborde, messieurs les considérations générales ; je reviendrai aussi plus tard sur les causes du confit.

Il est essentiel, messieurs, de se rappeler quelles idées ont dominé la législature, dans la discussion et le vote de la loi du 25 septembre 1842 ; il faut, de toute nécessité, se rendre bien compte de la position qui est assignée par la Constitution au gouvernement belge, par rapport au clergé.

Le clergé belge a une position tout exceptionnelle en Europe. Cette position résulte de deux disposition qu'on peut qualifier d'exorbitantes, mais qui n'en sont pas moins constitutionnelles.

En Belgique, en premier lieu, le clergé est indépendant ; en second lieu, la liberté de l’enseignement est admise. Dans d'autres pays, le clergé est soumis au gouvernement, il doit obéir au gouvernement, et s'il a des réclamations à raire, il doit, tout en les adressant au gouvernement, continuer à se soumettre, à obéir en un mot. En Belgique, au contraire, le clergé peut, en vertu de son indépendance, refuser son concours au gouvernement. Cette abstention du clergé, ce refus du concours du clergé, est un droit inconstitutionnel, incontestable.

Ce n'est pas tout. Après avoir refusé son concours, le clergé peut, à côté de l'établissement gouvernemental qu'il abandonne, créer à son gré un autre établissement rival.

Ainsi le clergé, en vertu de son indépendance, a le droit de se retirer, et il trouve la sanction de ce droit dans la liberté d'enseignement. Cette position ne se rencontre nulle part ; elle-ne se rencontre pas en Autriche où le clergé est soumis au gouvernement, la religion s'identifiant avec l'Etat ; elle ne se rencontre pas non plus en France, non qu'il y ait identification de la religion avec l'Etat, mais la législation de l'empire subsiste malgré la révolution de 1830.

Nous avons, messieurs, au début de la discussion de la loi sur l’enseignement primaire, rappelé ces dispositions dont la portée est évidente ; nous avons ensuite établi la nécessité de l'union, dans les écoles primaires, de l'éducation religieuse à l'enseignement proprement dit.

Cette nécessité admise, nous nous sommes demandé par quels moyens, nous pouvions obtenir l'éducation religieuse. Ne pouvant l'obtenir que par le clergé, nous devons demander le concours du clergé. Ce concours doit être volontaire, il ne peut être forcé, il ne peut être commandé par le gouvernement.

C'est toujours là qu'il faut en revenir. Ainsi pas d'instruction primaire, pas d'instruction religieuse sans le concours du clergé. Ce concours ne peut être que volontaire. Il faut donc faire dans l'organisation de l'enseignement primaire une position honorable au clergé ; il faut en un mot s'entendre avec lui.

C'est là tout le sens de la loi organique du 23 septembre 1842, loi qui n'est qu'un corollaire de la Constitution de 1831.

Dans d'autres pays où une constitution de ce genre n'existe pas, la loi organique de l'enseignement primaire serait un non-sens, on ne la comprendrait pas. La raison en est fort simple ; c'est que les principes dont cette loi n'est que la consécration, n'existent pas dans ces pays. Juger la loi du 23 septembre avec les souvenirs de la législation impériale, ou sous la préoccupation de la charte française, c'est ne pas se mettre dans la position requise pour apprécier cette loi.

Nous verrons, à quelles conditions le concours du clergé a été obtenu. Nous verrons si, en obtenant ce concours, on a abdique l'indépendance du pouvoir civil. Je n'hésite pas à dire que si on conserve le concours du clergé dans l'enseignement primaire, c'est qu'on restera à peu près ou se placera plus ou moins dans la voie où je me suis placé. Au contraire, si on perd le concours du clergé dans l'enseignement primaire, on créera une situation toute nouvelle. Il n'est pas sans intérêt, avant d'aller plus loin, d'examiner comment cette situation nouvelle pourrait être surmontée par le gouvernement réduit à lui-même par la législature réduite à elle-même.

Si le clergé se retirait de l'enseignement primaire, s'il refusait son concours pour l'enseignement moyen, comment pourrait-on surmonter la situation nouvelle qui résulterait de cet état de choses ? Un premier moyen vous a été indiqué il y a peu de temps.

Ne pourrait-on pas, disait-on, comme moyen de coercition en quelque sorte, suspendre une partie des conséquences de l'article 117 relatif au traitement du clergé ? La législature engagée dans une lutte envers le clergé pourrait être tentée de priver le clergé de ses traitements en tout ou en partie.

Je crois que ce moyen coercitif, s'il est constitutionnel, serait inefficace, qu'on ne surmonterait pas par là la difficulté qu'on se serait créée. On a songé à un autre moyen, c'est l'émancipation du clergé inférieur avec l'espoir de trouver dans les rangs secondaires une complaisance qu'on n'aurait pas trouvée chez les chefs C'est là un moyen impraticable. La hiérarchie de l'Eglise ne dépend ni du gouvernement ni de la législature. L'Eglise catholique est une monarchie ; évidemment ce régime ne pourrait être modifié que par le chef même de l'Eglise.

Ce n'est pas sérieusement qu'on pourrait renouveler une espèce de constitution civile du clergé. Je rappelle là une des grandes fautes de l'assemblée constituante.

Il est un troisième moyen dont on s'est aussi occupé, c'est le rétablissement des appels comme d'abus. Le moyen est d'abord inconstitutionnel et en lui-même il serait inefficace, car il ne termine pas le litige ; c'est un blâme, rien de plus, vous restez dans une impasse.

Un quatrième moyen serait de toucher aux articles 14 et 17 delà Constitution, de faire une révision de ces articles qui consacrent l'indépendance du clergé et la liberté d'enseignement.

La révision de la Constitution ne peut entrer dans les calculs de personne, ce serait quitter le terrain où est notre salut commun. Je ne vois donc pas de moyen coercitif efficace, si nous arrivons à cette situation grave, selon moi, de perdre le concours du clergé dans l'enseignement primaire.

Il y aurait un dernier moyen, ce serait de se passer du clergé. C'est arriver à séculariser complètement l'enseignement primaire ; on ne donnerait dans les écoles communales que l'enseignement purement scientifique, et on irait chercher l'enseignement religieux là où il se donne. (Interruption.)

Les interruptions que je rencontre me font croire que j'ai bien fait de soulever la discussion. Je désire que ceux qui pensent que le dernier moyen que je viens d'indiquer est le seul auquel on doive recourir exposent cette doctrine.

Je déclare que ce dernier moyen, ce moyen suprême serait une tentative impolitique, antisociale, tentative à l'avance condamnée par l'histoire, qui n'aurait pour elle aucun homme d'Etat sérieux en Europe.

Je sais qu'il y a une opinion qui ne s'est pas encore produite ouvertement dans cette chambre, qui s'est produite dans la presse, dans quelques brochures, d'après laquelle les écoles rationalistes seraient les seules écoles vraiment constitutionnelles. Je désire que cette opinion se produise, qu'elle soit discutée. Je dis qu'écarter de l'enseignement primaire l'élément religieux, serait laisser entrer, serait pousser dans les voies rationalistes les jeunes générations et les classes inférieures de la société. Ce serait faire ce qui n'a encore été tenté nulle part.

Je suis de l'avis de sir Robert Peel, par exemple, qui déclare que l'éducation du peuple doit être religieuse, et que pour l'éducation religieuse dans les écoles communales il faut, non pas un enseignement général, mais un enseignement dogmatique.

Je suis de l'opinion de M. Guizot qui, tout en déclarant l'Etat laïque, dit que l'atmosphère de l'école doit être religieuse.

Je suis de l'avis de M. Villemain qui déclare franchement que le grand but vers lequel doivent tendre tous les efforts du gouvernement français, est précisément de rendre à l'instruction primaire en France son caractère religieux trop affaibli.

Je n'hésite donc pas à le dire, en m'exprimant comme je l'ai fait, dans le discours d'introduction en quelque sorte aux débats de la loi de 1842, je n'hésite pas à le dire de nouveau, je me suis séparé hautement, ouvertement des théories du XVIIIème siècle, d'après lesquelles la société pourrait reposer sur des bases purement nationalistes.

La nécessité de l'adjonction de l'éducation religieuse à l'enseignement primaire a été admise par tous ceux qui ont voté la loi de 1842. Cette nécessité étant admise, il fallait recourir au clergé.

Voyons maintenant quelles ont été, dans l'application, les concessions qu'on accuse le ministère dont j'ai fait partie d'avoir faites au clergé, pour l'exécution de la loi de 1842.

Je m'occuperai principalement de deux points : les nominations et l'enseignement normal. C'est sur ces deux points que l'attention du public a été principalement appelée. C'est aussi sur ces deux points qu'il y a eu dissentiment entre le clergé et moi. Vous verrez ce que j'ai refusé au clergé ; vous verrez ce que j'ai cru pouvoir lui accorder et à quel titre.

Les uns décideront si j'ai eu tort de refuser, les autres si j'ai trop accordé.

Il faut d'abord ne pas perdre de vue que l'on peut par voie administrative, à titre de convenance, d'une manière officieuse, exceptionnelle, faire dans l'exécution ce qu'on ne ferait pas à titre d'obligation permanente, écrite, soit dans la loi, soit dans un arrêté royal, soit dans une déclaration ministérielle.

C'est une observation qu'il importe de ne pas perdre de vue ; elle a été faite à plusieurs reprises dans la discussion de la loi de 1842. Beaucoup d'orateurs, dont je pourrais citer les noms, n'ont pas hésité à déclarer que, dans l'application, on pourrait faire par voie administrative ce qu'on s'interdisait de faire à titre d'obligation.

Voici entre autres comment un orateur s'exprimait dans la séance du 9 août 1842 :

« Je désire le concours du clergé dans l'instruction primaire. J'ajouterai même que si j'avais à agir administrativement, je pourrais aller plus loin que le projet de loi de 1834, parce que, en administration, on ne confère pas de droits, parce que, en administration, on peut révoquer le lendemain, s'il y a abus, ce qu'on a concédé la veille. »

C'est là précisément ce que le clergé n'a pas assez compris : il a voulu obtenir de mes successeurs et de moi, à titre d'obligation, ce qui n'avait été accordé qu'à titre de convenance, et momentanément ; il a voulu que le gouvernement s'engageât absolument pour tous les cas possibles.

J'insiste sur ce point parce que c'est en quelque sorte le siège de la question, en ce qui concerne l'appréciation à faire de mon administration.

Il faut distinguer les nominations à faire dans les écoles communales primaires et dans les écoles primaires supérieures. Dans l'école communale, l'instituteur est chargé de donner, sous la direction du ministre du culte, l'enseignement de la religion et de la morale. Comment se sont faites les agréations ? Il est à remarquer que cette question, comme l'a dit l'honorable M. de Theux, a perdu beaucoup de son importance.

La période des agréations est écoulée. Mais des cas d'agréation rares, il est vrai, peuvent se présenter ; on peut encore nommer instituteurs des personnes qui ne sont pas des aspirants-instituteurs, formés dans les écoles normales de l'Etat, ou dans les écoles normales adoptées par le gouvernement. Dans ce cas, il y aurait encore lieu à agréation. Quoi qu'il en soit, et bien que la question ait perdu de son importance, comme il s'agit d'apprécier le passé, encore faut-il s'y arrêter.

Il existe une inspection civile et une inspection ecclésiastique. J'ai autorisé des communications officieuses entre l'inspecteur civil et l'inspecteur ecclésiastique, non pas sur toutes les qualités requises pour l'instituteur, mais seulement sur les qualités requises relativement à l'enseignement de la morale et de la religion.

Par deux circulaires, l'une du 17 novembre 1842, l'autre du 28 mars 1845, l'inspecteur civil a été autorisé à prendre l'avis de l'inspecteur ecclésiastique pour constater l'aptitude de l'instituteur nommé à donner l'enseignement de la morale et de la religion.

L'inspecteur civil donne d'abord son avis sur la capacité scientifique de l'instituteur ; il fait suivre cet avis de l'avis de l'inspecteur ecclésiastique sur l'aptitude de l'instituteur à enseigner la morale et la religion ; et enfin il est autorisé à joindre à ce second avis son propre avis lorsqu'il y a doute de sa part, lorsqu'il n'est pas d'accord avec l'inspecteur ecclésiastique.

Je dis que cette manière d'agir était une conséquence nécessaire de la loi. Je demande à quoi se serait réduit le rôle de l'inspecteur ecclésiastique si l'on n'avait pas pris son avis sur l'aptitude de l'instituteur à enseigner la morale et la religion. C'était une conséquence nécessaire de la (page 305) loi, et je vais même jusqu'à dire que si j'avais autorisé une communication officielle, tandis que je n'ai autorisé qu'une communication officieuse, tandis que j'ai autorisé seulement l'inspecteur civil à prendre cet avis au lieu que j'aurais pu lui imposer l'obligation de le prendre, la loi n'eût pas été méconnue, l'indépendance du pouvoir civil n'eût pas été violée.

Voilà donc, messieurs, comment l'agréation s'est faite pendant la période de quatre ans. L'inspecteur civil était autorisé à prendre l'avis de l'inspecteur ecclésiastique sur les qualités requises pour l'enseignement de la religion et de la morale, je ne puis assez le répéter, il n'a que l'autorisation de le faire, et cet avis, il le transmet au ministre de l'intérieur en y joignant, s'il le juge convenable, son propre avis, ses propres observations.

La position, messieurs, n'est pas la même pour les écoles primaires supérieures. Là, ce n'est pas un instituteur qui enseigne la morale et la religion ; c'est un prêtre qui est chargé de cet enseignement. Il en est chargé, aux termes de la loi, par le clergé. Et ici, messieurs, je dois rappeler votre attention sur une précaution que j'ai cru pouvoir prendre pour sauvegarder jusqu'aux apparences de l'abdication du pouvoir civil.

Le prêtre désigné par le clergé pour enseigner la morale et la religion dans une école primaire supérieure, n'entre pas d'emblée en fonctions ; il faut un arrêté royal qui admette le prêtre à donner l'enseignement. Voici cette formule qui a jusqu'à présent échappé à l'attention du public ; il faut un arrêté royal portant la rubrique ordinaire ; le nom du Roi : « Vu la lettre de tel évêque, qui a nommé un tel prêtre pour donner l'enseignement de la morale et de la religion dans telle école primaire supérieure ;

« Vu la loi,

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Un tel, prêtre nommé par l’évêque, est admis à donner l'enseignement de la morale et de la religion dans tel établissement. »

C'est une espèce d'exequatur que le gouvernement lui délivre. Je dis qu'on ne pourrait pas être plus soigneux de l'indépendance du pouvoir civil. J'ai peut-être, en cette partie, renchéri sur la loi.

La même précaution, messieurs, a été prise pour l'installation des inspecteurs ecclésiastiques cantonaux et diocésains. Il leur faut, à eux, une déclaration du ministre, qui est insérée au Moniteur, et qui porte : « Le ministre de l'intérieur déclare qu'un tel prêtre a été nommé par un tel évêque, inspecteur cantonal ou diocésain. En conséquence, le ministre invite les autorités à reconnaître un tel en la qualité susdite, etc. »

C'est encore un exequatur que l'inspecteur ecclésiastique cantonal ou diocésain obtient du gouvernement. C'est en un mot une espèce d'investiture donnée par le gouvernement.

J'ai fait remarquer qu'il y a une différence, quant à l'enseignement de la morale et de la religion, entre les écoles primaires communales et les écoles primaires supérieures.

La question restait de savoir si un pareil avis pouvait être pris pour la nomination des autres instituteurs dans les écoles primaires supérieures.

Je dois ici avouer, messieurs, que le clergé a été officieusement, à titre de convenance, consulté sur la formation du premier personnel de plusieurs écoles primaires supérieures ; je le reconnais ; mais ceci n'a jamais été fait qu'à titre de convenance, que par simple voie administrative.

Il importe aussi de remarquer qu'il s'agissait de la première formation du personnel tout entier ; et l'on conçoit que le ministre ait voulu, dans beaucoup de cas, dans le doute, s’entourer de tous les renseignements désirables. J’ai donc autorisé soit le gouverneur, soit l’inspecteur civil, à prendre dans certains cas l’avis de l’évêque ou de l’inspecteur diocésain ; cela s'est fait pour plusieurs écoles primaires supérieures.

J'ai dit, messieurs, que des communications officieuses avaient été autorisées entre l'inspecteur civil et l'inspecteur ecclésiastique pour la nomination de l'instituteur chargé de l'enseignement de la morale et de la religion dans les écoles communales.

Une importante question s'est présentée ; celle de savoir quelles seraient les conséquences de la déclaration faite par le clergé, que l'instituteur, réunissant d'ailleurs toutes les qualités nécessaires pour l'enseignement civil, n'avait pas l'aptitude nécessaire pour l'enseignement de la morale et de la religion.

Cette question, messieurs, est traitée dans le rapport sur l'enseignement primaire ; néanmoins, ce fait est trop important pour que je ne vous lise pas ce passage :

« Le clergé seul est juge de l'aptitude d'un instituteur à enseigner la religion ; si cette aptitude était déclarée indispensable par la loi, n'en résulterait-il pas nécessairement que le clergé serait juge suprême de l'admissibilité aux fonctions d'instituteur primaire ?

« La question a été soulevée dès l'année 1843. Un instituteur, nommé régulièrement par le conseil communal, devait être agréé par le gouvernement. L'autorité civile, après avoir instruit l'affaire, attestait que le titulaire présentait toutes les garanties désirables d'instruction et de de moralité. L'inspecteur diocésain, tout en rendant hommage à la moralité de l'instituteur, avait refusé de lui délivrer un certificat d'aptitude pour l'enseignement de la religion et de la morale.

« On demandait que le gouvernement refusât l'agréation à cause de cette circonstance, et que ce fût une règle pour l'avenir. Par arrêté du 21 septembre 1843, le ministre de l'intérieur agréa la nomination, et, dans une lettre de la même date, il a exposé en ces termes, au gouverneur de la province, le motif de sa décision :

« L'instituteur L.... m'a été représenté comme un homme irréprochable sous le rapport de la conduite : il est vrai que l'autorité ecclésiastique ne lui a pas délivré un certificat d'aptitude pour l'enseignement de la morale et de la religion ; mais ce n'était pas un motif pour me refuser à agréer sa nomination. Si M. le desservant de.... ne croyait pas pouvoir lui confier cet enseignement, il devrait s'en charger lui-même ou le faire donner par une autre personne. En effet, M. le gouverneur, le cours d'instruction morale et religieuse est obligatoire, et il résulte de la discussion de la loi qu'il appartient au ministre du culte d'y pourvoir, ou par l'instituteur, s'il en juge celui-ci capable, ou par lui-même ou par un délégué.

«Veuillez, M. le gouverneur, porter ce qui précède à la connaissance de M. le desservant de........, par l'entremise de M. l'inspecteur diocésain. »

C'est ma décision.

Voici maintenant ce qu'ajoute l'auteur du rapport, l'honorable M. de Theux :

« Cependant il est extrêmement désirable que partout l'instituteur puisse se livrer lui-même à l'enseignement religieux. Le gouvernement a donné des instructions dans ce sens à MM. les inspecteurs : il ne faut pas que l'instituteur puisse se refuser arbitrairement à remplir cette partie de sa mission. Les fonctionnaires civils doivent, en pareil cas, considérer la bonne volonté ou l'obstination et il a été bien entendu qu'un maître d'école qui ne voudrait faire aucun effort pour se rendre propre à l'enseignement de la religion et de la morale manquerait à ses devoirs et mériterait une révocation si, par sa faute, il rendait impossible le concours du clergé dans son école. Si c'est à cause de son peu de moralité que le clergé refuse de reconnaître à un individu l'aptitude pour enseigner la religion et la morale, alors il n'y a pas de doute qu'une des qualités essentielles manquant à cet individu, il ne peut être nommé instituteur. »

Voilà comment l'honorable M. de Theux apprécie la résolution que j'ai prise, en l'approuvant.

Vous voyez donc, messieurs, que nous n'avons pas même admis comme conséquence qu'un instituteur, reconnu capable de donner l'enseignement scientifique, ne pouvait pas être nommé du moment où l'autorité ecclésiastique contestait son aptitude à donner l'enseignement moral et religieux. Nous avons décidé que dans des cas spéciaux on pouvait même agréer l'instituteur. Certes on ne pouvait pas aller plus loin pour sauvegarder l'indépendance du pouvoir civil. Je dis, messieurs, que si on abusait de ce principe on pourrait rendre les écoles purement civiles ; mais il ne faut jamais partir de l'idée que le gouvernement abuserait à ce point d'une faculté que la loi lui donne.

J'ai dit que, pour quelques nominations, le clergé avait été officieusement consulté, dans certains cas. Un règlement général d'administration publique, du 10 avril 1846, a décidé de quelle manière le personnel, en cas de vacature, serait renouvelé. Une commission a été instituée ; dans cette commission siège ordinairement un prêtre, et c'est cette commission qui prépare les propositions à faire au gouvernement pour les vacatures partielles. Je crois donc que, pour l'avenir, il n'était plus nécessaire ni convenable de consulter même officieusement le clergé pour les vacances partielles. La présence d'un prêtre dans la commission administrative de l'école primaire supérieure est une garantie suffisante. Il dépend même de lui de faire constater son avis négatif quand il s'agit de faire une proposition, et qu'il n'est pas d'accord avec la majorité. Le ministre apprécie.

Ainsi, messieurs, c'est par forme de convenance, pour le premier personnel des écoles primaires supérieures, que les évêques ont été consultés dans certains cas, et cet état de choses ne devait même être que transitoire ; l'étal permanent était réglé par l'arrêté royal du 10 avril 1842.

C'est, messieurs, contre cette manière de procéder que le clergé a élevé des réclamations. Je vais vous donner lecture d'un passage d'un résumé adressé par l'évêque de Liège à mon successeur, l'honorable M. Van de Weyer :

« En quoi donc consistera-t-elle cette part du clergé dans la nomination des instituteurs ? quelles seront pour le clergé ces garanties indirectes de leur moralité et de leurs principes religieux ? Selon ma manière de voir, M. le ministre, cette part et cette garantie ne peuvent résulter que d'un règlement de votre administration, d'après lequel on ne procédera à aucune nomination ni dans les écoles primaires supérieures, ni dans aucune institution où nous sommes appelés à prêter notre concours, sans qu'au préalable nous ayons été entendus, soit directement, soit indirectement dans la personne de nos inspecteurs.

« La raison m'en paraît évidente : c'est nous qui sommes compétents pour prendre et transmettre au gouvernement les informations nécessaires sur les qualités morales et religieuses du candidat ; c'est nous qui sommes particulièrement intéressés à ce que le candidat possède ces qualités ; c'est encore nous qui sommes chargés, par la loi, de le surveiller et de le diriger dans la principale mission de l'école, et qui devons répondre du succès de cette mission principale d'où dépend en partie le bonheur des familles et de la société ; les lois divines et humaines nous en font une. obligation rigoureuse. Il n'est personne, me paraît-il, M. le ministre, qui n'en conclue que dans l'esprit de la loi nous devons être entendus avant qu'une nomination se fasse, et que prétendre, avec le parti exclusif, que l'autorité civile aurait le droit de nommer sans aucune intervention préalable de notre part, ce serait renverser toute l'économie (page 306) de la loi ; ce serait mettre en principe qu'une loi de conciliation confère à l'un le droit d'absorber l'autre ?

« Le parti avait soutenu que les évêques ne céderaient jamais sur la nomination pure et simple ; ils ont cédé, M. le ministre, et cette modération a contribué au triomphe de votre honorable prédécesseur ; mais vous serez juste, et vous conviendrez que le droit à une part dans la nomination, à une garantie indirecte, mais essentielle, les évêques ne peuvent pas plus l'abandonner à l'autorité civile, que le gouvernement n'a pu ni voulu, pour un moindre objet, abandonner la sienne à la commune. Si cette part n'est pas écrite dans la loi, les évêques ne sont que plus en droit de l'attendre de la loyauté du gouvernement, qui a réclamé leur concours et qui savait qu'il était à ce prix.

« En vain dirait-on que nous pourrons toujours faire nos représentations après que la nomination aura été faite ; car ce serait rendre, en principe, notre intervention peu honorable et souvent odieuse, en nous réduisant au rôle d'accusateurs, chaque fois que le choix aurait été malheureux. Ce rôle, nous ne pourrions pas l'accepter, et c'est pour cela, que désirant éloigner une source de collisions et de mécomptes (il y en a déjà eu), et fomenter une confiance aussi réelle que durable, j'ose réclamer une mesure qui, suppléant au silence de la loi, me garantisse une part dans la nomination des instituteurs, maîtres ou professeurs, pour tout genre ou degré d'instruction publique auquel je serai invité à concourir. Il me semble qu'il suffira d'une demande d'avis, administrativement établie et généralement pratiquée, pour que la loi soit et demeure une véritable loi d'union et de conciliation. »

C'est là, messieurs, une. réclamation que j'ai cru devoir repousser. Je n'ai inséré ni dans un arrêté royal, ni dans un arrêt' ministériel, ni dans une lettre ou déclaration ministérielle, l'obligation de consulter le clergé sur les nominations à faire. Dans certains cas, je l'ai consulté à titre officieux, à titre de convenance pour la première formation. (Interruption.) Je l'ai consulté, je l'ai avoué, pour le premier personnel des écoles primaires supérieures.

La question est donc celle-ci : M. le ministre de l'intérieur peut-il consulter le clergé pour les nominations ? Je dis : Oui ; dans certains cas, et à titre de convenance, à titre officieux ; non, il ne le peut pas, il ne le doit pas, à titre d'obligation écrite d'une manière absolue. Voilà, selon moi, la ligne de démarcation.

Il faut cependant être juste, l'évêque ne demandait pas qu'on prît l'engagement de suivre son avis. Ce n'est pas cet engagement qu'il demande au gouvernement, il demande seulement l'engagement de prendre l'avis, le gouvernement restant toujours libre.

Je dis ceci, parce qu'il ne faut pas exagérer la réclamation de l'évêque de Liège. Il restait toujours à l'évêque de Liège l'abstention ; mais cette abstention n'aurait pas pu être basée sur ce seul fait, que le gouvernement n'aurait pas dû faire de nominations sans consulter l'évêque.

Une voix. - Et Tournay ?

M. Nothomb. - La question de Tournay n'a pas été précisément la même. A Tournay on a conclu, à mon insu, une convention portant non seulement la clause de l'engagement, par l'autorité communale, de prendre l'avis du clergé, mais encore la clause de suivre cet avis. La seconde clause est contraire à l'indépendance du pouvoir civil, comme l'est aussi la première. J'ai repoussé une première clause de ce genre par le règlement organique des écoles primaires supérieures ; à plus forte raison aurais-je repoussé la seconde.

La seconde clause qui se trouvait dans la convention de Tournay, ne m'était pas inconnue ; d'autres conseils communaux se sont adressés à moi ; je leur ai donné le conseil de ne pas insérer une clause de ce genre dans leur convention ; et je puis le dire aujourd'hui : si le conseil communal de Tournay m'avait consulté, il aurait reçu de moi le même conseil. La convention de Tournay doit avoir été conclue au mois de mai 1845, j'en ai eu connaissance par les journaux ; j'ai rencontré le bourgmestre à Bruxelles, je lui ai exprimé mon étonnement au sujet de cet acte ; j'ai reçu le texte de la convention à peu près au moment où je quittais le ministère, et l'on peut même voir en marge de la lettre du bourgmestre que j'ai fait mes réserves à l'égard de la convention. Je suis donc d'accord avec l'honorable membre qui a bien voulu m'interrompre, et qui par là m'a amené à parler de la convention de Tournay : j'aurais repoussé comme loi Tune ou l'autre clause.

Pour nous en tenir à Tournay, si je reconnais qu'il y a abdication du pouvoir civil dans l'insertion d'une clause de ce genre, dans une convention, y aura-t-il également abdication si librement, dans un cas donné, un conseil communal décidait que quelques délégués ou même la commission administrative prendrait officieusement l'avis d'un évêque ? Evidemment non ; la position est différente ; il n'y a plus un engagement absolu, à titre d'obligation, de prendre l'avis de l'évêque. C'est une simple question de convenance, de nécessité, qu'on apprécie d'après les circonstances.

Si, messieurs, on peut produire de moi un acte qui renferme, je ne dirai pas la seconde clause, on ne doit pas s'y attendre, mais seulement la première clause, celle qui astreint le gouvernement à demander l'avis sans même qu'il soit tenu de le suivre, eh bien, je déclare qu'on doit révoquer cet acte ; j'avouerai que, dans cette circonstance, j'aurai méconnu l'indépendance du pouvoir civil ; il faut qu'il reste libre de consulter ou de ne pas consulter.

Mais je dis qu'il y a des cas où le gouvernement fait bien de consulter officieusement ; c'est quand il y a un doute. Lorsque l'évêque a donné un avis officieux, il y a aussi en quelque sorte renonciation de sa part à user au moins immédiatement de son droit d'abstention.

Si, par exemple, un choix malheureux vient à avoir lieu par suite de circonstances quelconques, l'évêque qui aura été consulté officieusement, devra se résigner jusqu'à un certain point, patienter comme le gouvernement, respecter autant que possible, à moins que le scandale ne soit trop grand, la position de cet instituteur. Ainsi, il y a des cas où le gouvernement agit sagement en prenant officieusement l'avis de l'évêque. (Interruption.)

On me dit : « Vous avez consulté les évêques sur les nominations des inspecteurs cantonaux civils. » En effet, messieurs, l'avis des évêques a été officieusement demandé dans certains cas ; mais là il y a eu réciprocité, c'est-à-dire que les évêques ont aussi soumis leurs listes pour les inspecteurs cantonaux ecclésiastiques. Je puis même dire qu'un évêque a retiré, sur ma demande, une nomination déjà faite.

Je dis qu'ici encore j'agissais sagement, parce qu'il était question de la formation d'un premier personnel, en l'absence bien souvent de renseignements suffisants.

Dans une province, je le sais, des réclamations assez vives ont été élevées contre la nomination des inspecteurs cantonaux. Il s'agit du Hainaut. Sur 18 inspecteurs cantonaux proposés par la députation, neuf seulement ont été nommés par moi.

D'abord, j'étais dans mon droit. La loi porte que le gouvernement est seulement tenu de prendre l'avis de la députation ; il a été entendu qu'il ne s'agissait pas d'avis conforme. Je ne puis pas entrer ici publiquement dans tous les détails de cette nature, je puis dire que la députation de cette province a eu un grand tort envers moi, elle ne s'est pas strictement conformée à la loi, la loi porte que le gouvernement prendra l'avis de la députation.

Résulte-t-il de là que la députation a le droit de présentation ? Non. Elle aurait pu faire comme les députations des autres provinces, se contenter de me donner son avis sur chaque pétition considérée isolément, sauf à me faire officieusement une présentation ; je ne me serais pas refusé à la prendre en considération.

C'est ce qu'a fait la députation de Liège ; elle m'a fait un travail extrêmement remarquable sur les requêtes adressées au gouvernement pour les places d'inspecteurs, elle a donné son avis sur toutes les pétitions, sans les classer. Le droit du ministre était d'apprécier les demandes des titulaires sans présentation.

La députation m'a demandé la permission de me faire connaître ses préférences, de me faire des présentations. Sur quatorze présentations j'ai fait dix nominations ; quatre seulement des individus présentés n'ont pas été nommés, j'ai choisi d'autres personnes également recommandées par la députation. J'ai regretté que la députation du Hainaut n'ait pas voulu se conformer à cette manière de procéder. Elle m'a présenté un seul candidat pour chaque ressort ; j'ai dû faire un travail nouveau, je n'ai pu admettre dans ce travail que 9 de ces candidats.

Voici donc, messieurs, ce qui s'est fait pour les nominations. Là où exceptionnellement le clergé a été consulté, c'a été à titre de convenance pour le cas donné, sans engagement pour l'avenir. C'est cet engagement que j'ai refusé de prendre, de là le grief de l'épiscopat.

Je passe, messieurs, au deuxième point, l'organisation de l'enseignement normal. L'enseignement normal, d'après la loi, doit être donné par trois genres d'établissements : les écoles normales de l'Etat au nombre de deux, les écoles épiscopales adoptées, soumises au régime de la loi, et l'inspection civile, en troisième lieu par les cours normaux.

Je ne m'arrêterai au premier genre d'institution, aux écoles normales de l'Etat, que pour rappeler ce qui s'est passé pour la nomination des directeurs. Dans la discussion quelques membres auraient voulu qu'on insérât la disposition formelle que le gouvernement choisirait pour directeur de chaque école normale un prêtre. Voici ce que j'ai répondu :

« L'honorable comte de Mérode, M. Dumortier et moi, nous avons le même but : c'est ce qui arrivera dans la pratique ; mais je dis que vous ne pouvez pas aller aussi loin dans les termes de votre loi. On m'a demandé si je nommerais un ecclésiastique principal. Je n'hésite pas à dire : Oui, si, comme gouvernement, je le fais librement ; non, si on me l'imposait, Je ne veux pas que cela me soit imposé par la loi. Je veux, en un mot, que le gouvernement conserve sa libre action. Je demande que dans les termes de la loi on n'aille pas plus loin que ne l'exige le système de la loi.

« Il est très possible, très probable, que, si je suis appelé à exécuter la loi, je propose au Roi de nommer deux prêtres directeurs des deux écoles normales ; mais le gouvernement restera libre dans son action ; il saura s'il doit maintenir ou faire cesser cet état de choses. »

J'ai donc nommé librement les deux directeurs qui sont des prêtres, j'ai voulu rester libre ; j'aurais pu nommer des laïques ; les deux prêtres, qui sont des hommes fort distingués, ont été mis à ma disposition par l'archevêque, sans condition aucune.

La deuxième espèce d'établissement normal, ce sont les écoles épiscopales soumises au régime de l'inspection civile par suite de l'agréation du gouvernement. Cette agréation s'est faite le 7 décembre 1843, cependant la demande m'avait été adressée le 28 janvier de la même année. L'agréation n'a eu lieu que onze mois après, de plus il a été déclaré que le temps de l'exemption de l'agréation pour les élèves de cette école ne (page 307) daterait que du mois d'avril 1844. Le clergé a trouvé encore un grief dans cette conduite, il a pensé que j'aurais dû accorder l'agréation le 28 janvier et ne pas attendre une année.

Le clergé avait pris les devants, ses écoles normales existaient, elles avaient été dotées en partie par le gouvernement, par mes prédécesseurs indistinctement, sans condition. C'est moi qui ai fait insérer une disposition qui a permis de placer ces sept écoles sous l'inspection civile.

J'ai dit que c'était une véritable conquête. Je maintiens l'expression. Si l'inspection n'est pas efficace, renforcez-la. Mais c'est beaucoup de pouvoir inspecter ces écoles quand on le juge nécessaire, de pouvoir se rendre compte de l'enseignement qu'on y donne, de prendre part à la délivrance des certificats de capacité. Il fut un temps où l'on aurait désespéré d'obtenir un résultat semblable.

En attendant un an, vous devinez quelle a été ma pensée ; je ne voulais pas me laisser devancer complètement par les évêques, je voulais que tout fût préparé pour l'enseignement normal à donner par l'Etat. L'agréation des sept écoles ecclésiastiques n'a eu lieu que quand tout était préparé pour l'installation des deux écoles de l'Etat et pour l'organisation des cours normaux. J'arrive ainsi à la troisième espèce d'établissements normaux ; l'adjonction des cours normaux à une école primaire supérieure par province, était une faculté introduite par la loi. J'aurais pu ne pas user de cette faculté ; en n'en usant pas, en m'abstenant ou en attendant, je ne sais quel genre de reproche on aurait pu m'adresser.

J'ai usé de la faculté ; un arrêté royal a décidé que des cours normaux seraient adjoints à huit écoles primaires supérieures : Virton, Bruges, Anvers, Bruxelles, Gand, Tournay, Liège et Namur.

Un reproche qui m'est adressé par l'opposition libérale, c'est que ces cours normaux n'ont jamais été organisés. Il n'existent, dit-on, que sur le papier. Ceux qui me font ce reproche ne se rendent pas compte de la nature de ces institutions et de l'organisation qui a été arrêtée.

Bien que ce soit assez longuement expliqué dans le rapport triennal, je suis forcé de revenir sur quelques faits.

En ce qui concerne l'organisation des cours normaux, j'ai décidé, dès le 25 mars 1843, que les cours normaux seraient organisés de la manière suivante : on choisira des élèves dans les écoles primaires supérieures, qui seront pendant deux ans, sous la surveillance spéciale du directeur, dans ces écoles où ils feront leurs études préparatoires. À l'expiration de la deuxième année, il y aura des examens. Si, à cette époque, ils n'ont pas changé de vocation, s'ils subissent convenablement leurs examens, ils passeront à la troisième année, au cours de pédagogie, et ils seront internés.

Cette organisation ne devait être apparente qu'à la troisième année. C'est la cause de l'erreur de ceux qui m'ont souvent fait ce reproche. Les élèves devaient être pendant deux ans confondus avec les élèves de l'école primaire supérieure. Ils ne sont soumis à un régime spécial qu'à la troisième année. Or cette troisième année est postérieure à ma sortie du ministère.

Des élèves qui se destinaient aux fonctions d'instituteur primaire ont été choisis en 1844, dans les écoles primaires supérieures de Bruxelles, de Gand, de Tournay, de Bruges et de Virton. Ils ont continué à faire leurs études. Trente se sont présentés ; savoir : 3 à Bruxelles, 8 à Gand, 6 à Tournay, 3 à Bruges et 10 à Virton. Ces 30 élèves ainsi répartis ont continué leurs études dans ces écoles primaires supérieures. A l'expiration de la deuxième année, mon successeur l'honorable M. Van de Weyer a fait subir des examens réguliers. Sur 30 élèves, 17 ont été admis à devenir aspirants-instituteurs ; ils ont été internés, et ont suivi les cours de pédagogie.

Voilà quelle devait être l'organisation des cours normaux. (Interruption.)

Le système était donc celui-ci : choisir dans huit écoles primaires supérieures un certain nombre d'élèves, leur laisser continuer leurs études pendant deux ans, confondus avec les autres élèves de l'école primaire supérieure. A l'expiration de la deuxième année, examen, passage au cours de pédagogie, et internat. J'ai admis la nécessité de l'internat. En cela, j'ai pour moi tous ceux qui s'occupent d'enseignement normal. Ils regardent les cours normaux, les écoles normales comme offrant de grands dangers, lorsqu'un internat n'y est pas joint.

Pour obtenir l'internat, il nous fallait des locaux. Ces locaux manquent dans la plupart des villes. Ils ont été refusés dans d'autres. Mais s'ils avaient existé, à l'expiration de la deuxième année, les élèves auraient été internés.

A Virton, il existe de beaux locaux. Les élèves y sont internés.

A la suite d'examens, il y a eu 17 élèves admis, dont 5 de l'école de Virton.

On trouvera peut-être que ce nombre n'est pas assez considérable, qu'il ne faudrait pas d'internes. C'est un autre système : ceux qui ne trouvent pas le nombre assez considérable voudraient faire dégénérer les cours normaux en écoles normales, voudraient que ces cours fissent double emploi avec les écoles normales de l'Etat et avec les écoles épiscopales. Ceux qui ne veulent pas d'internat faussent, d'après moi, l'institution de l'enseignement normal.

Voilà ce qui a été fait sous mon administration et sous celle de mon successeur, pour cinq écoles primaires supérieures. Si rien n'a été fait pour les autres écoles primaires supérieures, c'est par des motifs dont les détails sont indiqués dans le rapport et dont je ne parle pas pour ne pas trop prolonger cette discussion.

Je dirai cependant qu'à Namur il serait encore impossible d'avoir des cours normaux.

Croiriez-vous qu'à Namur l'école primaire supérieure qui compte 54 élèves répartis en cinq divisions, n'a à sa disposition qu'une seule chambre ?

Si j'étais resté au ministère, j'aurais maintenu le système consistant à interner les aspirants-instituteurs après deux ans d'études préparatoires.

Je n'entends pas strictement régler le nombre d'élèves qu'il conviendrait de choisir. J'ai dit qu'en moyenne on pouvait aller jusqu'à douze. Mais ce n'est qu'une moyenne. On pourrait même aller jusqu'à un certain nombre, puisque sur trente élèves, dix-sept seulement ont été admis aspirants-instituteurs. Je ne me prononce pas quant à la fixation du chiffre. Je dis seulement qu'il faudrait un nombre assez limité.

.le ne demande pas qu'on approuve ce système. Je demande seulement qu'on reconnaisse qu'il y avait une organisation des cours normaux, dont le caractère ne devait être apparent qu'à l'expiration de la deuxième année.

En organisant ces cours, j'ai usé de la faculté que donnait la loi au gouvernement. C'est contre l'arrêté où j'ai usé de cette faculté qu'il y a eu réclamation des évêques, qui auraient voulu me voir renoncer à l'exécution de cet arrêté.

En apparence il a semblé que j'y renonçais parce que le public ne remarquait pas que ce n'était qu'à l'expiration de la deuxième année qu'il y avait des aspirants-instituteurs. Et comme je l'ai dit, à l'expiration de la deuxième année, je n'étais plus au ministère.

J'avais aussi fixé le nombre d'élèves à admettre pour les deux premières années dans les écoles normales de l'Etat. Ce nombre était de 75. Les évêques auraient désiré me voir prendre l'engagement de ne pas dépasser ce chiffre.

Cette demande forme leur troisième grief.

J'ai refusé de prendre cet engagement ; j'ai dit formellement que je voulais rester libre, que le gouvernement augmenterait le nombre d'élèves dans ces deux écoles normales, s'il le jugeait convenable.

Je résume donc les trois points sur lesquels ont porté les dissentiments entre le clergé et moi.

En premier lieu, on me demandait d'écrire à titre d'obligation l'engagement pour le gouvernement de prendre toujours l'avis des évêques pour les nominations à faire. J'ai refusé de prendre cet engagement.

En second lieu, on me demandait de renoncer à l'adjonction des cours normaux à certaines écoles primaires supérieures désignées au nombre de huit. J'ai refusé de prendre cet engagement. L'exécution a été poursuivie en tant que le comportait le genre d'organisation que j'avais adopté.

En troisième lieu, on m'a demandé de m'engager, au nom du gouvernement, à ne pas dépasser le nombre d'élèves admis dans les deux écoles normales de l'Etat. J'ai refusé encore de prendre cet engagement.

Cependant, messieurs, c'est sur la supposition qu'il a été fait droit à ces trois réclamations que l'on fonde l'allégation dirigée contre moi, que j'ai complètement abdiqué l'indépendance du pouvoir civil.

Voilà, messieurs, les faits rétablis dans toute leur exactitude.

Il est vrai, je le répète de nouveau, car je veux mettre une entière franchise dans les explications que je donne ; il est vrai que, pour certaines nominations, j'ai pris ou j'ai fait prendre officieusement l'avis des évêques. Mais ceci n'a été fait qu'à titre officieux, par mesure exceptionnelle, sans engagement pour l'avenir.

J'aurais donc, messieurs, si j'avais été appelé à me prononcer, j'aurais repoussé la convention de Tournay, comme l'a repoussée l'honorable M. Le Hon. Je l'aurais repoussée en vertu des mêmes principes. Mais, je le répète aussi, en l'absence de toute convention, sans obligation écrite, j'aurais peut-être, comme membre du conseil communal de Tournay, consenti à prendre pour un cas donné, l'avis officieux de l'évêque. D'ailleurs cela se pratiquait à Tournay ; mais malheureusement on n'a pas voulu continuer ce qui se pratiquait.

M. Le Hon. - Qui ne l'a pas voulu ?

M. Nothomb. - Malheureusement l'évêque.

Je dis malheureusement, parce que le résultat de la lutte engagée à Tournay est digne de fixer l'attention du clergé, l'attention de cette chambre, l'attention de tous les hommes religieux du pays, de tous ceux qui attachent de l'importance au maintien de l'éducation religieuse dans l'enseignement.

J'ai dit quelle était la position du gouvernement vis-à-vis de l'épiscopat. J'ai dit quel était le droit du clergé ; ce droit est l'abstention. Mais est-ce à dire que le clergé doive exercer ce droit d'une manière arbitraire, qu'il doive, par exemple, le subordonner à la réalisation de prétentions qui ont été condamnées par les chambres et par tous les ministères ? Je dis que si l'épiscopat subordonnait son droit d'abstention à la réalisation de ces prétentions, il userait de son droit d'abstention d'une manière arbitraire. C'est ce que j'ai déclaré dans le cours de la discussion de 1842, et c'est ce que je répète aujourd'hui.

Le clergé, messieurs, est peut-être trop préoccupé des luttes qui ont été soutenues dans d'autres temps et qui se sont terminées d'une manière heureuse pour lui. Il est peut-être trop préoccupé de la lutte sous Joseph II, par exemple, et sous le feu roi des Pays-Bas. Mais ces luttes étaient des luttes contre des gouvernements étrangers. La lutte qui (page 308) pourrait naître aujourd'hui entre le clergé et le gouvernement si, par exemple, le clergé opérait en quelque sorte une retraite en masse des écoles primaires, ce serait une lutte contre le gouvernement national, contre le gouvernement du pays.

Qu'est-il arrivé, messieurs, à Tournay ? Le prélat s'était flatté que l'établissement abandonné par lui serait aussi abandonné par les pères de famille. Une lutte s'est engagée non pas entre une autorité étrangère et le clergé, mais avec une autorité nationale. Et il faut y prendre garde, le sentiment religieux a ici dû céder chez tous les pères de famille qui, disposés à envoyer leurs enfants dans des établissements où se donne le double enseignement, ont néanmoins envoyé leurs enfants à l'athénée abandonné par le clergé, et ont ainsi donné une sanction à leurs votes politiques.

Messieurs, je n'hésite pas à le dire, ce résultat est énorme. Le clergé doit y songer comme nous ; il ne faut pas amener la sécularisation de l’enseignement primaire. Il faut même, autant que possible, ne pas amener la sécularisation de l'enseignement moyen. Je dirai donc au clergé : Craignez d'engager la lutte entre le sentiment civique et le sentiment religieux. Dans cette lutte, tous les pères de famille engagés seront forcément amenés à donner la préférence à l’établissement abandonné par vous, si vous l'avez délaissé sans raisons approuvées par eux.

Il ne suffit pas, messieurs, d'avoir un droit ; il faut encore savoir en user avec intelligence, avec discernement, avec prudence, avec à-propos. Il y a de grands dangers pour l'ordre social à voir les établissements d'enseignement primaire et moyen abandonnés par le clergé. Mais ce danger n'existe pas seulement pour l'ordre social ; il peut exister pour la religion elle-même. On pourrait arriver jusqu'à voir s'affaiblir ces habitudes religieuses qui existent et caractérisent le peuple belge.

Je vous ai dit franchement comment j'avais entendu l'exécution de la loi de l'enseignement primaire. Je vous ai dit par quelles idées j'avais été dominé. Il y a des personnes qui trouveront que j'ai peut-être été trop préoccupé du danger de voir le retrait du concours du clergé. Je désire que d'autres ne soient pas trop préoccupés de l'idée contraire. S'il arrivait par la conduite inconsidérée du gouvernement, par le relâchement qui s'introduirait dans les établissements publics, que le clergé, par des raisons qui seraient approuvées par les pères de famille, à raison de choix malheureux, par exemple, désertât les écoles, je dis que le gouvernement s'exposerait à une grave responsabilité ; mais j'ajoute que si, d'un autre côté, le clergé reproduisait les prétentions qui ont été condamnées par M. de Theux, au sujet du droit de nomination, comme elles l'avaient été par M. Van de Weyer, comme elles l'avaient été par moi, et que pour ces motifs le clergé vînt à se retirer de l'enseignement primaire, dans ce cas je lui laisserais toute la responsabilité de l'altération qui pourrait survenir dans les mœurs religieuses de la Belgique.

Je crois, messieurs, avoir touché les points principaux sur lesquels l'attention de la chambre et du public a été dirigée, en ce qui concerne l'exécution que la loi de 1842 a reçue de ma part. Je prie les honorables membres qui ont bien voulu m'écouter, d'examiner, avec impartialité, le rapport triennal que vous avez sous les yeux. Pesez les considérations que j'ai présentées et appréciez l'exécution que la loi a reçue entre mes mains. Je crois avoir exécuté la loi d'après son texte, d'après son esprit, en restant fidèle au double principe qui lui sert de base.

- M. Delfosse remplace M. Liedts au fauteuil.

M. Le Hon. - Messieurs, l'honorable préopinant vient d'appeler l'attention de la chambre sur un des objets très importants qui avaient pris place dans la discussion de l'adresse. L'honorable membre a été, pour ainsi dire, la personnification du système qui a rencontré des juges sévères depuis quelques années. Il a présenté la loi du 23 septembre 1842. Il a présidé à son exécution ; mieux que personne, il en connaissait l'esprit. Il s'est conduit, sans doute, dans le sens de l'idée créatrice de cette loi. Je n'ai pas l'habitude de faire intervenir les intentions dans le jugement que je porte des actes publics ; mais les actes, leur caractère, leurs tendances, leur ensemble, appartiennent à votre discussion et assortissent à la juridiction de l'opinion publique. C'est là ce qu'on a attaqué, ce que j'ai cru devoir attaquer moi-même dans l'administration de l'honorable préopinant. Je persiste à dire qu'on l'a fait à bon droit.

L'honorable membre, dans son discours qui est à mes yeux un essai de justification, a cru devoir préluder par des considérations générales sur l'organisation de notre état politique sur la position qui a été faite au clergé, sur le rôle militant que ce dernier a joué en 1830, rôle, à ce qu'il paraît, dont il aurait conservé l'habitude depuis que les dangers ont cessé pour lui ; depuis qu'il a pu se reposer en paix dans la jouissance des droits que la victoire lui avait donnés.

Je ne sais comment le clergé interprétera l'opinion de l'honorable membre quant à l'attitude qu'a prise l'épiscopat vis-à-vis du pouvoir civil.

Je n'ai pas bien compris moi-même si l'orateur trouvait toute naturelle et légitime la conduite du clergé, en matière d'enseignement, ou bien s'il voulait, en passant, jeter sur elle quelques officieux palliatifs. Pour moi, je suis aussi net en fait de principes de gouvernement, et aussi large en fait de liberté, que l'honorable membre, et je déclare, franchement que, quels que soient les souvenirs d'un autre temps, quelles que soient les habitudes belliqueuses contractées au milieu des luttes de 1828 et 1829, je n'admets pas que le clergé, qui a vu briser les entraves qu'on apportait à l'exercice de sa mission spirituelle, qui a vu combler tous ses vœux, dépasser toutes ses espérances, qui jouit, dans noire pays, d'une position que lui envieraient tous les prélats de l'Europe, même les plus ambitieux, je n'admets pas qu’il puisse venir disputer au pouvoir civil une partie de son domaine, sous le vain prétexte qu'il l'aurait aidé à le conquérir, et alors que sans entraves et sans trouble il est en possession absolue, exclusive du domaine spirituel. La nation a voulu la liberté civile et politique pour tous les citoyens : après avoir fait au clergé, avec la loyauté et la confiance la plus entière, une situation indépendante et honorable, elle entend conserver au gouvernement de l'Etat les attributs essentiels de son autorité.

Vous venez de nous dire comment vous comprenez ces deux indépendances ; je vais expliquer à mon tour, moi, comment je les conçois. En 1830, lorsque le prince archevêque de Malines, M. de Méan, priait le congrès, dans sa requête du 17 décembre, de consacrer la liberté de l'enseignement et la liberté d'association à côté de la liberté religieuse, il donnait pour motif qu'il fallait assurer aux catholiques le libre exercice de leur culte, à l'abri des vexations et des entraves dont ils avaient fait la longue et triste expérience.

Les évêques alors (et je puis parler de leur opinion, car j'étais membre des états généraux, et ils travaillaient à nous la faire partager) que demandaient-ils en fait d'enseignement ? Que l'on brisât les entraves qui pesaient sur la liberté générale. « Pourquoi, disaient-ils, l'autorisation préalable et les certificats de capacité ? Les pères de famille ne sont-ils pas les meilleurs juges des établissements d'instruction qui conviennent à leurs enfants ? Laissez ouvrir des écoles par tous ceux qui veulent enseigner ; laissez faire même à des malfaiteurs, s'il en est, qui osent le tenter. Où en est le danger ? Quel est le père de famille qui ira leur confier ses enfants ? » Voilà le langage raisonnable, persuasif et très libéral que l'épiscopat tenait à cette époque.

Nous avons parfaitement compris que la liberté devait exister pour tous ; le congrès a voté la Constitution et vous avez vu dans quels termes sacramentels il y a institué, dans l'article 17, la liberté absolue de l'enseignement ; il l'a affranchi de toute mesure préventive. On avait proposé et mis aux voix un amendement qui introduisait le principe d'une surveillance des établissements privés, surveillance qui aurait été exercée par des fonctionnaires électifs. Eh bien, l'amendement a été rejeté. Ainsi, dans le pays, il n'y a pas de surveillance légale possible, de la part du gouvernement, sur les établissements d'instruction privée, par conséquent sur tous les établissements ecclésiastiques.

Vous avez placé à côté de cette liberté d'enseignement, la liberté religieuse et l'indépendance du clergé. C'était lui assurer la latitude la plus complète dans l'exercice de la mission du sacerdoce.

Vous avez donc séparé les deux domaines, le spirituel et le temporel. Maintenant je me demande si l'inviolabilité acquise et garantie constitutionnellement au clergé, permet au pouvoir civil de le laisser intervenir ,pour d'autres motifs que ceux qui tiennent directement aux matières religieuses et morales, dans la direction et l'administration de l'enseignement public

Veuillez remarquer qu'autrefois il ne pouvait fonder aucun établissement sans l'autorisation de l'Etat, qui, seul, réglementait cette instruction.

Aujourd'hui, si un collège, une école quelconque du pays reçoit une mauvaise direction dans l'opinion du clergé, celui-ci est libre d'ériger dans la même localité un établissement ecclésiastique d'instruction, et il a usé largement de cette faculté. Là où il existait d'excellentes institutions privées, le clergé est venu placer à côté d'elles des écoles dont il était le seul fondateur, le seul directeur et qui plus d'une fois ont fait tomber des établissements, fruits de longs travaux et de grands sacrifices, qui avaient joui jusque-là de la confiance du public. Ces essais de concurrence, quelquefois abusifs, n'ont pas été toujours également heureux.

Je reconnais donc qu'il y a pour le clergé, dans l'intérêt de la morale et de la religion, un moyen infaillible de faire contrepoids aux mauvaises doctrines, au mauvais enseignement ; c'est de venir placer, en vertu de la liberté absolue, dont il jouit, un établissement ecclésiastique à côte de ceux qui pourraient porter atteinte à la religion et à la morale ; je comprends qu'il exerce ce droit très légitimement et sans offense à d'autres établissements de la concurrence privée.

Mais vous, ministre du Roi, vous vous laisserez dire, dans une correspondance officielle, que le clergé ne peut continuer son concours à un établissement fondé sous les auspices de l'administration publique, dont les professeurs auront été nommés par le gouvernement de l’Etat ou choisis par une administration élective, investie de la confiance des pères de famille, composée même d'une partie de ceux dont les enfants fréquentent les écoles ; vous, ministre du Roi, vous souffrirez en silence que l'épiscopat, affectant des alarmes qui ne peuvent être fondées au milieu de populations religieuses comme les nôtres, vous déclare que là où on ne lui assure pas une part efficace dans la nomination des professeurs indistinctement, il ne peut continuer à prêter son concours, c'est-à-dire, qu'il refuse un prêtre pour l'enseignement de la morale et de la religion, un principal ecclésiastique, voire même un aumônier ; en un mot qu'il retire son appui et s'abstient !

Et quand vous aurez écoulé un pareil langage, sans y répondre avec la dignité, avec la confiance de l'homme qui parle au nom du gouvernement du pays, serez-vous en droit de nous dire que vous avez défendu l'indépendance et la dignité du pouvoir civil ? Oh ! non, assurément non ; je n'aurai tout à l'heure que trop de moyens de le prouver.

Assurément je suis un de ceux qui de ce banc défendraient le clergé (page 309) contre les atteintes qu'on voudrait porter à ses prérogatives. Je les ai soutenues, il y a 20 ans, et il me trouvera à cette place, animé du même esprit et des mêmes résolutions.

Mais aussi le clergé dont je parle a pour moi une acception particulière. J'appelle ainsi les ministres de cette religion sainte qui élève les âmes, qui les épure, les guide et les console ; mais non pas ces hommes qui l'abaissent, la dénaturent, et l'offensent en la mêlant aux prétentions ambitieuses qu'elle condamne, et aux luttes politiques où sa mission serait d'apporter la concorde et la paix. Pour ces derniers, je ne crains pas que jamais leur cause puisse être confondue avec la religion, objet du respect et de l'amour sincère des Belges.

Oui, je le répète, je serais un des premiers à défendre les droits menacés du clergé ; mais quand aucun danger ne le menace, quand il jouit en paix de toutes ses franchises, lorsque ses nombreux établissements d'instruction sont respectés, encouragés même par la sollicitude de l'administration publique non moins que par la piété des fidèles, je sens qu'il est pour nous aujourd'hui un devoir grave, impérieux, c'est de protéger et de défendre contre ses atteintes, contre ses empiétements, contre ses tentatives de toute nature, l'indépendance du pouvoir civil.

Je reprends la thèse de l'honorable M. Nothomb, et je dis qu'après la victoire de 1830, après la consécration si éclatante de ses libertés, de ses franchises et de ses privilèges, le clergé devait se renfermer dans son domaine et donner à la Belgique l'exemple des vertus paisibles et modestes du sacerdoce et non le spectacle de prétentions ambitieuses et d'un injuste arbitraire.

Notre tâche à nous est d'appliquer sans cesse l'esprit de nos institutions ; en matière d'enseignement public, il est sage de placer au frontispice de nos lois la religion et la morale comme les premiers éléments de l'éducation primaire : mais l'enseignement de la morale et de la religion ne devient pas impossible, parce qu'en vertu de son indépendance l'autorité ecclésiastique aura refusé arbitrairement son concours ? l'établissement dont il se sépare n'est pas pour cela frappé d'une sorte d'interdit.

Vous tirez de l'indépendance du clergé des conséquences qui mènent droit à la négation de la liberté d'enseignement ; partant de ce point que la morale et la religion sont au nombre des premiers éléments de l'instruction primaire, vous dites : Point d'enseignement religieux sans le concours du clergé, et, par conséquent, à défaut de ce concours, point d'instruction primaire complète ni possible.

Voilà la conclusion à laquelle vous aboutissez nécessairement et c'est, à mon sens, une erreur.

Oui, il faut un enseignement moral et religieux dans les établissements d'instruction primaire. Consacrez ce principe dans la loi ; mais quant à l'intervention personnelle et toute spéciale des ministres des cultes sur lesquels vous n'avez pas d'autorité, ce n'est là qu'un incident d'exécution.

Les temples sont ouverts à l'instruction religieuse des fidèles, et la morale peut être l'objet d'un enseignement laïque.

Je dis donc, pour finir avec les considérations générales qu'a traitées l’honorable préopinant, qu'il y a nécessité grave pour le gouvernement de maintenir les attributs de son pouvoir civil, à raison même du respect qu'il porte à l'indépendance.et aux prérogatives du clergé.

Maintenant quels sont le véritable esprit et la mesure constitutionnelle dans lesquels doit s'exercer l'action du pouvoir civil en matière d'enseignement ? Messieurs, j'ai exprimé mon opinion à ce sujet dans une autre enceinte, en des termes que je ne pourrais rendre plus précis : permettez-moi de vous les citer :

« La Constitution a consacré la liberté absolue de l’enseignement (article 17) à côté des libertés de la presse et des cultes (article 14).

« Sous ce régime, le clergé catholique, les communautés religieuses, comme tout individu quelconque, peuvent ouvrir des établissements d'instruction privée, sans autorisation préalable. Ces établissements, affranchis de tout contrôle administratif, sont organisés selon les vues plus ou moins éclairées de leurs fondateurs, qui règlent à leur gré la direction du pensionnat, le choix des professeurs, le programme des études et l'admission des élèves.

« Cette liberté sans limites, hommage rendu aux droits de l'intelligence et à ceux du père de famille, devait avoir pour contrepoids naturel une organisation forte de l'instruction publique. Celle-ci, en effet, destinée à satisfaire aux besoins nouveaux de la société belge, a pour mission de tenir sans cesse toutes les branches de l’enseignement à la hauteur des progrès de la science. Ses universités et ses collèges doivent être ouverts à toutes les classes de citoyens, sans exception, qui toutes concourent à les fonder et à les soutenir.

« La Constitution (article 17, paragraphe premier) a prescrit dans ce but que l'instruction publique, donnée aux frais de l'État, fût réglée par la loi. Elle a voulu également, tout en réservant aux conseils des communes et des provinces le règlement des intérêts exclusivement communaux et provinciaux (article 31), que l'action du législateur fût libre et entière à l'égard de ces intérêts, toutes les fois qu'ils se confondent avec les intérêts généraux (article 108) ; et certes, il n'en est pas de plus général, de plus intimement lié au bien-être moral et matériel d'un peuple et à l'avenir de ses institutions, que son système d'éducation publique à tous les degrés. »

Il m'avait paru qu'en matière d'enseignement, il fallait donner aux établissements publics une organisation forte, c'est-à-dire, où l’action du gouvernement et de ses délégués serait prédominante. Vous avez organisé l'enseignement primaire par la loi du 23 septembre 1842. Quel en a été l'esprit général ? Pour l'Etat, vous avez rendu l’instruction primaire obligatoire dans chaque commune. Vous l'avez instituée à trois degrés : les écoles communales, les écoles primaires supérieures, les écoles normales et cours normaux annexés.

Vous avez maintenu à la commune le droit de nomination des professeurs que lui conférait la loi communale de 1836, mais en modifiant son exercice pendant le terme de quatre années. Vous avez attribué au pouvoir central la nomination des professeurs des écoles primaires supérieures et des écoles normales, ainsi que celle des inspecteurs laïques des établissements. Vous avez imposé la charge de leur dépense à la commune sous des conditions de subsides déterminés et proportionnels de la part, d'abord, de la province et, ensuite, de l'Etat.

Pour le clergé, qu'avez-vous fait ? Vous avez posé en principe que l'enseignement moral et religieux ferait partie de l'instruction primaire, et vous avez décidé que cet enseignement serait donné par les ministres du culte. Instituant ensuite une inspection ecclésiastique, vous en avez abandonné le personnel au choix de l'épiscopat. C'était assigner une action légale, régulière et directe au clergé dans les établissements publics d'instruction, alors que la surveillance de ces établissements privés est interdite à l'Etat.

Quelles ont été, en retour de ces procédés, la conduite et les prétentions du clergé ? Il vous a dit que dès que vous recouriez à son intervention, c'était à vous de subir les conditions qu'il y mettait.

Ces conditions il vous les a fait connaître : Il a demandé une participation honorable et efficace dans la nomination des professeurs : appelée donner l'enseignement moral et religieux, il a prétendu qu'il devait s'assurer qu'aucun professeur ne blessait dans sa conduite, ses principes et ses leçons ni la religion ni la morale ; que celles-ci ne recevaient aucune atteinte dans les cours d'histoire et des sciences ; dans le choix des livres de classe et des ouvrages à décerner en prix ; il a voulu que le droit de décider l'exclusion définitive des élèves fût enlevé au collège échevinal et que le gouvernement le consultât sur toutes les nominations des membres des commissions administratives. Qu'est-il résulté des concessions faites par condescendance à toutes ces prétentions ?

Cette conséquence, que tout dans un établissement d'instruction publique devrait tomber sous le contrôle et la surveillance du clergé. De là est venue cette singulière prétention que l'honorable membre prétend n'avoir pas accueillie, dans sa pensée sans doute, mais contre laquelle je n'ai vu, dans les pièces qui ont été signalées, aucune réprobation officielle.

Le ministère s'est trouvé en présence de l'épiscopat qui lui a dit : Vous avez posé dans votre loi la nécessité de l'intervention ecclésiastique pour l'enseignement religieux. Vous ne m'avez pas consulté et je suis indépendant de vous ; je fais mes conditions à mon tour : à vous de les subir ou je m'abstiens. Quel était le devoir du cabinet pour répondre dignement à un tel langage ? Il devait procéder avec indépendance et autorité à la nomination des commissions administratives et des professeurs des écoles primaires supérieures ; il devait en outre veiller à ce que le choix des instituteurs communaux fût fait sans le concours et en dehors de l'influence du clergé. Il devait aussi choisir les inspecteurs laïques parmi les hommes capables par leur caractère et leurs antécédents de soutenir les droits de son autorité civile dans les conflits qui pouvaient s'élever avec les délégués de l'épiscopat.

Voilà l'esprit de conduite que recommanderaient la prudence, l'intérêt du pouvoir et les sentiments les plus vulgaires de dignité. Qu'a-t-on fait ?

On se fait un mérite d'avoir refusé de suivre le clergé dans la voie des engagements positifs et des formules réglementaires qu'il lui demandait. Je le conçois parfaitement : la loi y mettait obstacle. Mais l'honorable préopinant oublie sans doute tout ce qu'embrasse l'ensemble des faits de son administration.

Peut-il nier l'influence toute-puissante qu'a exercée le clergé sur la présentation ou le choix, soit des membres des commissions administratives des écoles primaires supérieures, sou des professeurs des écoles, soit des inspecteurs cantonaux et provinciaux ? Il y a là toute une série de faits régulière, non interrompue.

Ce n'est pas de la condescendance noble et bienveillante, ce ne sont pas de ces égards. que l'on doit à l'autorité spirituelle, toutes les fois qu'il y a entente commune, désir réciproque de commun accord. Il y a déférence absolue, constante, complète de l'administration publique envers le clergé qui est venu stipuler hautement les conditions de son concours, se montrant fort indifférent aux intérêts élevés de la religion elle-même. Devant cette attitude impérieuse du clergé, le devoir de l’autorité civile lui commandait de défendre avec vigilance et fermeté !e domaine confié à sa garde.

A cet égard, il me répugne un peu d'entrer dans de nouveaux détails et de citer des faits. Les faits, dans ces circonstances, ressemblent beaucoup à des noms propres ; mais l'auteur a lui-même provoqué la discussion. Il a voulu relever ce qu'on avait dit précédemment que les droits du pouvoir civil avaient été abandonnés, désertés dans l'exécution de la loi de l'instruction primaire, et dans tous les rapports que la direction de l'enseignement donne aux grands pouvoirs de I Etat avec le clergé. Eh bien, j'ai éprouvé à mon tour le désir de connaître la correspondance qui a voyagé de Bruxelles à Berlin et de Berlin à Bruxelles. Je ne sais si elle était d'une nature privée ou confidentielle à son origine, et si (page 310) avec le temps et les circonstances elle a pris un caractère officiel ; mais après ce qu'en ont écrit MM. Nothomb et Van de Weyer, il nous est permis de la regarder et de la traiter comme réellement officielle.

Les passages qui en ont été lus à la chambre m'avaient inspiré l'idée, pour ma propre justification, de vérifier si je m'étais trompé quand j'ai parlé de cette condescendance si absolue, si constante, que j'ai appelée abandon des droits du pouvoir civil. Car, je l'ai dit dans une autre séance, les droits de l'Etat, les devoirs qui sont imposés par la nature même des fonctions publiques, on ne les abandonne pas positivement par des actes en forme authentique. Ainsi l'on n'annoncera pas dans une circulaire qu'on substitue l'action du clergé à celle du pouvoir civil. Mais quand des témoignages écrits viennent confirmer officiellement les faits avancés sur la foi de la notoriété publique, vous voudrez bien ne pas vous en prendre à moi des citations intéressantes que je me vois forcé d'invoquer pour répondre à des dénégations faites avec tant d'assurance. Si l'on avait laissé le débat au point où il était resté à notre dernière discussion, je ne l'aurais certes pas renouvelé.

J'ai lu les principales pièces qui se trouvent au dossier, et voici quelques passages qui ont fixé mon attention. Vous y verrez d'abord que le gouvernement admet les évêques à correspondre avec lui comme corps épiscopal. Plusieurs des lettres les plus importantes sont signées par le cardinal-archevêque et par les évêques de Belgique. Je ne sais jusqu'à quel point il était convenable qu'un ministre reconnût la régularité de ce mode de relations officielles.

Voici une lettre des évêques du 25 avril 1844 :

Ils réclament contre le projet d'allouer immédiatement des bourses complètes aux écoles normales de l'Etat, et de créer des cours normaux près des écoles primaires supérieures.

« Lettre du ministre, M. Nothomb, du 15 mai 1844, en réponse à la lettre épiscopale du 25 avril. »

Il s'attache à prouver qu'il a tout fait à l'avantage du clergé. Il a nommé deux ecclésiastiques comme directeurs des deux écoles normales de l'Etat.

Il prouve son dévouement au clergé par les calculs suivants :

Dans la séance du 24 août 1842, en discutant l'article 35 de la loi, il avait posé en fait qu'il faut pourvoir annuellement, en Belgique, à 164 places d'instituteurs primaires ; qu'en faisant une large part aux écoles normales de l'Etat, elles fourniraient les 2/3 de ce nombre, soit 120, ou 60 pour chacune des deux écoles ; ce qui supposait pour chacune un nombre de 100 à 200 élèves.

Le tiers restant des instituteurs devrait être fourni par tous les établissements du pays, ecclésiastiques et laïques.

Cette proposition fut admise.

Mais, ajoute le ministre, dans l'application, le gouvernement a renversé cette proposition et l’a même forcée encore (ce sont ses termes) en faveur des écoles du clergé.

« Calcul au maximum »

En 1840, il y avait en Belgique 2,744 instituteurs communaux et 1,146 instituteurs privés.

Le nombre des instituteurs, des deux classes, en Belgique, s'élèvera quand l'organisation de l'enseignement primaire sera terminée, à environ 4,000.

En évaluant à 5 p. c, les places qui deviendront vacantes annuellement, il y aura 230 nominations à faire chaque année.

« Calcul au minimum »

Ne prenons pour base que les chiffres de 1840 soit 2,744 instituteurs communaux et 1,140 instituteurs privés ; total. 3,899 ou 3,900.

Il y aura, sur ce pied, 100 instituteurs à former annuellement.

Dans le premier cas, celui du maximum, les écoles normales de l'Etat, où les études durent trois ans, ne fourniront au plus que 100 instituteurs.

Les cours normaux., 30.

Les écoles du clergé, 100.

Dans le deuxième cas, celui du minimum, les écoles normales de l'Etat, composées de 150 élèves donneront au plus 50.

Les cours normaux, 18.

Les écoles normales du clergé fourniront presque tout le nombre restant, 127.

Or, ajoute encore le ministre, c'est par le système du minimum que le gouvernement a commencé ; le clergé a donc une part de plus de 2/3 dans les instituteurs à nommer chaque année, et jamais la part de l'Etat ne sera de plus de 130 sur 230 nominations.

Pour rassurer davantage encore l'épiscopat, le ministre croit devoir renforcer sa preuve.

Les écoles normales de l'Etat, dit-il, ne recevront jamais plus de 300 élèves, aspirants-instituteurs.

Les cours d'étude durant 3 années, il n'en pourra sortir qu’un tiers annuellement, soit 130.

Les sept écoles normales du clergé ne contiendront jamais moins de 350 élèves : elles seront donc à même de fournir 116 instituteurs par année.

Quant aux bourses, le ministre donne aux évêques l'assurance que les écoles du clergé et celles de l'Etat seront traitées, à cet égard, sur le pied d'une parfaite égalité.

« Lettre de l'évêque de Liége du 14 mai 1844, au ministre. »

Il proteste vivement contre l'établissement de cours normaux auprès des écoles primaires supérieures dans la province de Liège, et déclare son intention de s'adresser directement au Roi s'il n'a pas de réponse satisfaisante.

Messieurs, voici la réponse de M. le ministre Nothomb à Monseigneur, en date du 16 mai 1840. Je n'ai rien trouvé qui réfutât le système épiscopal. La réponse est pleine de modération ! comme il convenait, mais pleine aussi d'une déférence très respectueuse et très humble.

« Réponse du ministre, M. Nothomb, à l'évêque de Liége, du 16 mai 1844 »

Il expose ses intentions. Il rappelle que, d'après les évaluations du clergé, le nombre des élèves de chaque école normale des évêques ne dépassera pas 50.

Il annonce qu'il allouera 50 bourses de 200 fr. ou 6,000 fr. par école. La jouissance de chaque bourse durera 3 années par titulaire.

Il négociera pour faire supporter la moitié des bourses par les provinces.

Il rassure l'évêque de Liège contre les craintes qu'il éprouve de la concurrence que pourra faire à l'école normale de St-Roch et à celle de Nivelles, l'école primaire supérieure, décrétée alors en principe pour la ville de Liège :

Le ministre ajoute, et ce passage mérite attention :

« Si l'on pouvait s'entendre pour organiser à Liège une école primaire supérieure, d'abord cet établissement se trouvera, en vertu de la loi, soustrait complètement à l'action de l'autorité communale qui n'aura pas à y intervenir, si ce n'est pour fournir les locaux.

(Le ministre pensait sans doute que la non-intervention de l'administration communale devait être agréable à Mgr. l'évêque de Liège.)

Ensuite la section normale se composera au maximum de douze élèves soumis à un régime sévère pendant trois années.

« Lettre du cardinal-archevêque et des autres évêques à M. Nothomb du 2 août 1844 »

L'épiscopat, en corps, demande qu'il soit sursis à l'établissement de cours normaux auprès des écoles primaires supérieures et que le nombre des élèves, dans les écoles normale de l'Etat, ne dépasse pas les limites auxquelles le ministre l'a provisoirement réduit.

L'épiscopat insiste pour obtenir immédiatement les 30 bourses promises pour chaque école du clergé.

Il demande en outre :

1° Que l'exclusion définitive des élèves ne soit pas attribuée au collège échevinal, mais bien à l'instituteur en chef ;

2° Que l'on ajoute à la liste des congés les jours fériés à la campagne ;

3° Que les évoques soient entendus avant que l'on arrête le règlement général prescrit par l'article 15 de la loi de 1842 ;

4° Que la loi ne soit pas exécutée dans l'ordre moral et religieux, en dehors de l'action des délégués du clergé.

A cet égard, l'épiscopat cite l'exemple suivant :

Dans certaines localités, en instituant des écoles primaires supérieures, on a formé les commissions, on a nommé les professeurs, sans que nos délégués aient été appelés ni officiellement ni officieusement à donner ni avis, ni renseignements.

« Après cela, on nous demandera des prêtres pour y venir donner l'instruction religieuse, ri nous pourrons nous trouver devint un personnel tel que notre coopération directe devienne impossible. Il ne saurait être dans l'intérêt du gouvernement de procéder de la sorte. »

Veuillez remarquer que cette dernière observation s'applique à des écoles primaires supérieures, dont les professeurs sont nommés par le gouvernement.

Le clergé dit à un ministre du Roi que s'il ne participe pas directement à la nomination des professeurs, le personnel pourra être composé de telle sorte, qu'il lui serait impossible de concourir à l'éducation morale et religieuse ; et le ministre du Roi ne répond rien à cette offense.

Or, je vous le demande, quelles connaissances faut-il pour choisir avec discernement un professeur ? Faut-il vivre dans la retraite comme les membres du clergé, ou bien pratiquer la vie de famille et certaines relations de société ? Qui donc jugera le mieux les qualités morales et intellectuelles, les titres scientifiques et littéraires d'un professeur ? Est-ce celui qui n'a aucun rapport avec le monde ? Et encore, en supposant qu'il en fût ainsi, peut-on admettre que le gouvernement ira choisir un homme indigne, un homme immoral pour enseigner la jeunesse ? Voilà cependant les inductions qu'autorise une correspondance à laquelle, dans sa juste susceptibilité, un homme d'Etat, haut placé, comme un ministre du Roi, n'aurait pas dû se résigner si humblement.

Comment l'honorable M. Nothomb a-t-il répondu à ces réclamations ? Voici, messieurs, sa lettre du 2 septembre 1844 :

Le ministre annonce à l'épiscopat que les sept écoles normales du clergé jouiront de 105 bourses provinciales de 200 fr., et de 105 autres bourses sur le trésor public. Total, 210 bourses assurées dès 1845.

Il ajoute que ce résultat inespéré est dû tout entier à sa persévérance et à ses instances auprès des conseils provinciaux.

Il ajoute qu'il est toujours entré dans ses vues d'entendre les observations des chefs diocésains avant de compléter l'organisation.

Il rappelle qu'il y a moins d'un an il s'occupait de la nomination des inspecteurs cantonaux, « nominations qui lui ont valu les remerciements du clergé ».

(page 311) Il se déclare sensible à des représentations auxquelles il était loin de s'attendre sur la manière dont s'étaient formées les écoles primaires supérieures. Il répond à chaque évêque en particulier. Il est intéressant de le suivre dans ses réponses.

Paragraphe pour l'évêque de Gand.

« Il existait à Gand une école primaire supérieure avant la loi de 1842. Rien n'y a été changé.

« Deux écoles nouvelles ont été fondées. ; l'une à Alost ; V. G. voudra bien se rappeler que l'organisation en a été faite avec le concours du clergé.

. « L'autre à Renaix : là encore les conseils du clergé ont été suivis en tous points. V. G. sait que je me suis même créé un embarras qui, malheureusement, n'a pas encore cessé. »

On lit à la fin de la minute le passage suivant, bâtonné de deux traits de plume en croix, que je produis ici comme note et comme fait.

« Un père de famille habitant Renaix s'y livrait avec succès à l'enseignement depuis plus de 30 ans, estimé de tous les habitants, fortement appuyé par l'autorité locale. Il a été sacrifié au protégé de V. G., et cependant il est impossible d'articuler contre la moralité de M. Willequet aucun fait. Personne ne voudrait prendre publiquement la responsabilité d'une accusation de ce genre ;des membres influents de la législature, parmi lesquels je citerai l'honorable M. Dedecker, se sont au contraire portés garants pour ce père de famille. »

Ainsi donc, les évêques reprochaient au ministre de ne pas se conduire assez d'après leurs avis, et il est obligé de venir rappeler à l'un d'eux : qu'il a sacrifié au protégé de Monseigneur un père de famille ; un homme honorable entouré de la considération publique et qui vivait de sa profession depuis 30 ans ! (Grande agitation dans les tribunes.)

M. le président. - J'invite le public à s'abstenir de marques d'approbation ou d'improbation. Si ces manifestations se renouvellent je devrai faire évacuer les tribunes.

M. Le Hon. - Je supplie moi-même le public de ne pas revenir à de semblables manifestations. Je ne les recherche pas.

Je continue ma lecture :

« Paragraphe pour l'évêque de Liège.

« Il y a deux écoles primaires supérieures dans le diocèse de Liège. Elles sont antérieures à la loi de 1842, rien n'y a été changé. Celle dont l'établissement est décrété à Liège, par arrêté royal du 25 septembre 1845, n'est pas encore organisée Le motif du retard qu'a éprouvé jusqu'ici le gouvernement, est son désir de réaliser son organisation de manière à donner aux vues sages de V. G. toutes les faraudes désirables.

« L'effet déjà acquis à l'arrêté du 3 août a été de faire cesser l'école normale communale et provinciale de Liège ; conséquence qui, comme vous le savez, n'a pas laissé de me causer des embarras que j'ai dû surmonter. »

« Paragraphe pour l’évêque de Bruges. »

« II n'y a encore dans votre diocèse qu'une seule école primaire supérieure complètement organisée. C'est celle de Bruges : loin d'avoir négligé de consulter l'autorité ecclésiastique, sur le choix du personnel, je dois dire que c'est, en quelque sorte, sur ses propositions que tous les choix ont été faits. »

« Paragraphe pour l'évêque de Namur. »

« Cinq écoles existent dans ce diocèse. Celle de Namur est antérieure à la loi de 1842. Celle de Dinant ne forme qu'un seul établissement avec le collège dirigé par V. G. Les trois autres sont dans la province de Luxembourg.

« A Virton, le collège communal contre lequel s'élevaient e si graves préventions de la part du clergé a été transformé. A quels reproches, à quelles injures n’ai-je pas été en butte de la part de l’opposition libérale ?

« Il est vrai que quelques professeurs de ce collège ont été conservés comme professeurs à l'école primaire supérieure.

« Mais, ajoute-t-il, je ne pouvais expulser indistinctement tous les professeurs de l'ancien collège. Je n'aurais pas hésité à le faire, si l'on avait articulé des griefs précis et sérieux. Mais personne n'a pris la responsabilité d'une accusation réelle. »

Maintenant, messieurs, voici ce qu'a répondu M. le ministre de l'intérieur à cette prétention des évêques. Ils se plaignaient, notamment, que l'on organisât des écoles primaires supérieures sans leur concours, et M. le ministre est obligé de leur rappeler, à chacun, qu’il n'a fait que suivre en tous points, il dit : leurs conseils, et moi je dis : leurs prescriptions ; car, lorsqu'on va jusqu'à sacrifier un homme irréprochable pour lui préférer le protégé du clergé, je dis qu'on pose un acte de condescendance coupable et d'injustice criante qu'on ne saurait blâmer trop sévèrement.

Je termine par une lettre de Mgr l'évêque de Gand, qui est la conséquence de tous les faits dont je viens de présenter le résumé :

« J'ai appris que d'autres évêques ont fait entendre aux directeurs des écoles primaires supérieures de leur diocèse que du moment que des cours normaux seront annexés, ils retireront le concours qu'ils prêtent à ces écoles, en leur accordant des professeurs de religion et de morale.

« Il est inutile que je vous prévienne que je ne me séparerai pas de mes collègues dans une question de si haute importance. »

Ainsi donc voilà qui est bien entendu : il ne s'agit plus de danger des mauvais choix de professeurs. On fait acte d'opposition à une institution jugée utile par le gouvernement et redoutée par l’épiscopat, que préoccupe l'intérêt de ses écoles normales. Il ne veut pas des cours normaux annexés aux écoles primaires supérieures, et il retire à celles-ci son concours, si son opposition n'est pas respectée.

Messieurs, je viens d'accomplir une tâche très pénible en déroulant à vos yeux la série de ces fragments de correspondances dont la lecture avait fait sur mon esprit une impression profonde. Je l'avoue, quand dans la séance du 19 novembre j'ai porté devant vous, contre les ministères des six dernières années, l'accusation d'avoir déserté la cause du pouvoir civil, dans leurs rapports avec l’épiscopat, j'exprimais une conviction fondée sur une suite de faits graves, les uns à ma connaissance particulière, les autres de notoriété publique. Je n'osais pas penser qu'il fût possible d'apporter des preuves de la nature de celles que je vous soumets aujourd'hui.

Maintenant, je vous le demande, messieurs, ai-je eu raison, ai-je eu tort de dire naguère qu'il y avait une politique nouvelle à introduire dans notre pays, que les rapports officiels ou officieux qui avaient existé entre les ministres et l’épiscopat avaient eu un caractère de faiblesse et constitué un système de concession qui n'était pas en harmonie avec l'esprit de nos institutions, avec l'organisation des grands pouvoirs de l'Etat ?

L'honorable M. Nothomb semble penser que, parce que le clergé est indépendant chez nous, il faut se prosterner à ses pieds, pour obtenir son indispensable concours dans l'enseignement public, il vous a dit : « Le gouvernement belge ne peut pas commander au clergé ce qu'exigerait de lui le gouvernement français ou tout autre gouvernement étranger. » Moi, je pense que si l'on était forcé d'admettre la doctrine de l'ancien ministre de l'intérieur, il faudrait presque se repentir d'avoir consacré, d'une manière si absolue, l'indépendance d'un corps qui pèserait à ce point sur l'administration du pays. Ne voyez-vous donc pas que la liberté de l'enseignement, dans la situation que vous lui faites, deviendrait impossible ? Car vous posez en principe la nécessité absolue du concours, en même temps que la possibilité de son refus ; et cette possibilité est maintenant traduite en fait et en fait essentiellement arbitraire.

Je dois penser que l'honorable préopinant n'a pas bien compris l'esprit de nos institutions ; je crois que le clergé peut jouir de son indépendance spirituelle, tout en respectant le domaine de la puissance civile ; je crois aussi que plus il se renferme dans les limites de cette indépendance, plus il grandira dans le respect et la confiance de la nation. Le pouvoir central peut parfaitement diriger seul l'exercice de ses droits et veiller au maintien de ses attributions. Quand le domaine assigné par la Constitution à chaque pouvoir, soit temporel, soit spirituel, est respecté, il peut s'établir alors des relations de bonne intelligence et de commun accord fondées, d'une part, sur l'intérêt si noble, si élevé, si pur de la religion ; de l'autre, sur l'intérêt de la bonne administration et de la paix intérieure du pays. Je pense qu'il y a toujours des moyens officieux de rapprochement ; mais ces moyens ne sont honorables qu'autant qu'ils sont compatibles avec l'indépendance et la dignité des pouvoirs dont ils tendent à concilier les vues, le concours et l'action.

Qu'avez-vous vu sous le ministère qui a, selon moi, abandonné les prérogatives de l'Etat ? Je n’accuse pas les intentons : on peut de bonne foi embrasser une erreur ou entrer dans un système faux et même dangereux. Qu'avez-vous vu ? Des administrations centrales elles-mêmes renoncer à des attributions d'ordre public : la loi communale leur prescrivait de nommer leurs professeurs communaux ; elles ont aliéné ce droit par des conventions expresses en faveur du clergé ; les administrations provinciales, de leur côté, ont sanctionné ces contrats, dont la portée sans doute n'avait pas été bien comprise.

Et quel a été le principe de cet abandon et de cette indifférence ? L'exemple du gouvernement. Le clergé s'est habilement prévalu, dans ses rapports avec la commune et la province, du système de condescendance qui aplanissait tous les obstacles et faisait accueil à presque toutes les exigences auprès du pouvoir central.

Une seule résistance a éclaté dans un conseil communal ; résistance énergique, mais sage et raisonnée.

L'honorable préopinant, en citant le conflit relatif à l'athénée de Tournay, a condamné la prétention épiscopale qui l’avait soulevé ; je suis enchanté que son suffrage vienne, quoique un peu tard, se joindre à celui de tous les hommes publiques qui ont approuvé l'administration communale de Tournay. Le ministre de l'intérieur qui a précédé immédiatement l'honorable M. Rogier, n'avait pas de prime abord jugé les exigences de l’épiscopat aussi déraisonnables, car si mon souvenir est fidèle, il a déclaré dans cette enceinte qu'une loi qui repousserait les stipulations du genre de celles qu'on a blâmées dans la convention de Tournay, n'aurait pas son assentiment.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. Le Hon. - Je m'empresse toutefois de rendre justice à l'intelligence pratique de l'honorable membre ; depuis, il a professé et franchement avoué une opinion toute différente. Mais, remarquez-le bien, messieurs, on paraît croire que l'article si vivement attaqué dans la convention de Tournay date de 1845 ; il n'en est rien : l'extrait que j'ai cité de l'engagement contracté des évêques date de 1838 ; dès cette époque, l’épiscopat avait arrêté en principe qu'il retirerait son concours et son appui à tout établissement public d'instruction où il n'aurait pas la part d'autorité qu'il arbitrerait et où cette part ne lui serait pas acquise par les stipulations d'un contrat.

(page 312) Aussi il serait difficile d'imaginer quelque chose de plus inouï que ce qui se passait à Tournay. Pendant 50 ans, un ecclésiastique avait dirigé sous le titre de principal l'athénée de cette ville, sous la république française, sous l'empire et comme sous la domination des Pays-Bas, jamais la moindre difficulté ne s'était élevée à ce sujet. Quand le principalat était vacant, l'administration priait l'évêque de désigner un ecclésiastique de son diocèse pour l'occuper ; il ne s'agissait nullement alors de difficulté, ni de conditions.

Le clergé comprenait qu'il était plus intéressé que personne à surveiller de près l'éducation du grand nombre de fils de famille, réunis dans ce vaste établissement. Il est vrai qu'à ces différentes époques, il n'était pas indépendant et répondait avec empressement et bienveillance à la confiance de l'autorité publique.

En 1845, la place de principal vint à vaquer à l'athénée de Tournay. L'administration communale prie l'évêque de vouloir bien désigner un prêtre, conformément aux traditions de cinquante années. Sa Grandeur formule des conditions et exige que leur acceptation fasse l'objet d'une convention écrite. Parmi les clauses proposées, on remarquait celle-ci :

« Art. 2. En cas de nomination d'un professeur nouveau, la liste des candidats sera soumise à l'ordinaire du diocèse qui, s'il existe des motifs graves, religieux ou moraux, à la charge des candidats, en fera l'objet d'observations auxquelles l'administration sera tenue de faire droit. »

D'après la correspondance que j'ai lue, et un passage d'une lettre dé Mgr l'évêque de Liège, dont l'honorable M. Nothomb a donné lecture, le système de ce prélat est absolument le même que celui de l'évêque de Tournay ; dans les deux cas la condition consiste à être entendu sur toutes les nominations de professeur, sous peine de refus de concours et d'abstention, si les observations ne sont pas accueillies. Et l'abstention peut se traduire en une autre sorte de mise en interdit.

Je dois avouer, messieurs, que plusieurs honorables membres du conseil communal de Tournay ont craint de prime abord que la chute de l'établissement ne fût la conséquence de la rupture ; et, en effet, après cinquante années de parfaite intelligence et de bienveillant appui, on ne voit pas se rompre sans regrets et sans appréhension des relations aussi honorables pour les deux autorités et si longtemps utiles au succès de cette institution communale.

Eh bien, il a fallu pourtant en prendre son parti. L'évêque a persisté dans ses prétentions, il a révoqué le principal ecclésiastique ; l'administration l'a remplacé par un laïque, professeur distingué, d'un caractère irréprochable à tous égards. Je puis affirmer que jamais, depuis sa création, l'athénée de Tournay n'a été plus prospère ; que jamais des témoignages plus sympathiques de confiance de la part des pères de famille ne se sont manifestés. Ce résultat est une grande leçon sur laquelle les hommes d'Etat et le clergé sont appelés à réfléchir. Il vient justifier ce que j'avais l'honneur de vous dire dans la discussion de l'adresse, que lorsque le clergé ne peut pas se présenter en victime de l'intolérance ou de l'oppression, que ses droits, protégés par d'inviolables garanties, sont reconnus et respectés partout, il ne peut pas empiéter sur le domaine et usurper les attributs de l'autorité publique, sans froisser en même temps les droits des citoyens, sans s'aliéner l'esprit des pères de famille ; car eux aussi, sous le régime de nos institutions libérales, font partie de cette administration civile contre laquelle l'épiscopat élève ses prétentions exorbitantes ; ou bien, ils ont confiance en elle, parce qu'ils ont concouru à la former.

Ils savent apprécier quand une intervention est arbitraire et une exigence illégitime, et ils se séparent à leur tour d'un clergé dont ils reconnaissent les torts. Savez-vous jusqu'où peut s'étendre la funeste influence ? Jusque dans la région élevée du sentiment religieux où le sacerdoce devrait rester pur de tout contact avec les intérêts et les passions qui agitent et troublent la société civile.

Les ministres du culte obtiennent toujours le respect et la vénération des Belges lorsqu'ils sont dans le temple des interprètes de la parole divine, et, hors du temple, des apôtres de paix, de concorde et de charité.

Eh bien, malgré ces dispositions d'une piété sincère, à Tournay, les pères de famille ne tenant aucun compte des démarches et des efforts du clergé pour les convaincre qu'ils ne pouvaient plus accorder la même confiance à l'enseignement de l'athénée, ont compris, grâce à la publicité de tous nos actes, qu'ils pouvaient continuer à confier leurs enfants à l'établissement et, à l'heure qu'il est, l'athénée de Tournay regorge d'élèves.

Fort de cette expérience, je dirai à l'ancien ministre qui cherchait par un système de condescendance si persévérant à s'assurer le concours du clergé : L'administration de Tournay vous a appris dans quelle limite le concours du clergé est indispensable et dans quelles circonstances il cesse même d'être utile.

Cette administration a reconnu qu'il est sage de rechercher l'assistance et l'appui de l'autorité religieuse par toutes les déférences qui peuvent se témoigner avec dignité, mais non par celles que dicte la faiblesse ou la crainte.

Elle a prouvé qu'elle était décidée à ne rien négliger dans cette voie, pour atteindre le but. Mais quand tous les moyens honorables de conciliation ont été épuisés, elle a fait un loyal appel à la confiance et à la justice des pères de famille ; et cet appel a été entendu par cela même que le clergé, dans son indépendance, avait abusé du droit d'abstention.

Je me résume : j'ai dit, dans la discussion précédente, que depuis six années le ministère n'avait pas défendu le domaine du pouvoir civil, que dans les rapports avec le clergé, en matière d'enseignement, il n'avait pas applique la loi avec indépendance et dignité.

Je vous le demande : l'honorable M. Nothomb a-t-il détruit les assertions que j'avais avancées, et les faits généraux qui en étaient la base ? J'accepte sans crainte le jugement de la chambre.

J'ai la conviction profonde qu'il y a une politique nouvelle à introduire dans cette partie de l'administration ; je ne saurais trop recommander au gouvernement d'entretenir avec le clergé, avec l'épiscopat, les rapports les plus bienveillants, d'avoir pour lui de la déférence, du respect, de montrer ce désir de conciliation, qui est toujours le meilleur esprit de l'administration pratique, mais de ne pas souffrir que les attributions constitutionnelles du pouvoir civil reçoivent la moindre atteinte. Qu'il se rappelle sans cesse que s'il cédait aux injustes exigences de l'autorité religieuse, en matière d'instruction publique, la liberté de l'enseignement ne serait plus que mensonge et fiction, et l'on pourrait voir renaître, en dehors de l'action du gouvernement, un monopole qu'en d'autres temps toutes les opinions ont combattu comme oppressif et flétri comme immoral.

M. Nothomb. - Je voudrais avoir le droit de demander au ministère la publication de toute ma correspondance. C'est un précédent que je ne veux pas poser, je ne veux pas dans mon intérêt personnel compromettre les relations de confiance qui doivent exister entre le gouvernement et le clergé. Je regrette vivement de ne pouvoir faire cette demande, j'aime mieux m'en abstenir, dussé-je être méconnu. Je ne veux pas relever ce qu'il y a eu d'étrange dans la nouvelle manière de procéder qu'a adoptée un honorable membre : arriver avec une pièce isolée, choisir quelques fragments, quelques lignes ! On a été jusqu'à lire des passages raturés.

Je voudrais que toute la correspondance pût être publiée. Cette publication présente les plus grands inconvénients pour le gouvernement. Quant à moi, je le répète, je ne demanderai pas cette publication. J'aurais désiré qu'on appréciât ma conduite comme l'a fait mon prédécesseur, j'aurais voulu qu'on lût la lettre du 10 février 1846 où il résume mes engagements et déclare qu'ils sont conformes à la loi. Je n'ai pas l'avantage, comme l’honorable membre, d'avoir le dossier entre mes mains, cette pièce me manque.

On a même analysé les deux lettres de manière à ne choisir que les phrases qui pouvaient être compromettantes pour moi, et à laisser de côté les passages établissant qu'il n'y avait pas d'engagement pris par moi sur les points où ils étaient réclamés par le clergé.

Par exemple, dans la dernière lettre du 2 septembre 1844, n'importait-il pas d'éclairer la chambre sur l'engagement qu'on me demandait de ne pas donner suite à l'adjonction de cours normaux ? J'ai formellement répondu que je maintenais ma décision : « Dans ma réponse du 15 mai dernier, j'ai eu l'honneur de communiquer à S. E. le cardinal copie d'une lettre à M. le gouverneur du Brabant, dans laquelle tout le système d'enseignement normal des écoles primaires supérieures est expliqué. Cette lettre avait été lue par moi à la chambre des représentants et insérée au Moniteur. Il y a donc de ma part engagement d'instituer, d'après ce plan, les cours normaux, dont la création, autorisée par la loi, a été décrétée par arrêté royal. »

Je maintenais donc ma décision.

J'ai expliqué quel est le système que j'avais arrêté pour l'adjonction des cours normaux, et comment il devait recevoir son développement avec le temps.

Deuxième point. Ai-je pris l'engagement de ne pas dépasser dans les écoles normales le chiffre indiqué de 75 élèves ? Je lis dans la même lettre, un peu plus bas : « Le gouvernement ne croit pas pouvoir s'engager à ne pas dépasser dans les écoles de l'Etat le chiffre de 75 élèves. »

Ainsi, je refuse de prendre l'engagement de limiter le chiffre.

M. Le Hon. - Je n'ai pas dit le contraire.

M. Nothomb. - Soit ; mais avouez-le, il eût été infiniment préférable pour moi d'imprimer tout le dossier. Chacun connaît ce genre de système consistant à isoler une phrase, à rendre même par là les réponses presque ridicules. Je croyais avoir dispensé ceux qui voulaient me répondre de recourir à ce procédé. J'avais mis assez de franchise dans ma manière d'exposer les faits. J'avais reconnu que pour les premières nominations dans les écoles primaires supérieures, le clergé avait été dans plusieurs cas consulté. J'avais ajouté que cet état de choses était transitoire ; que l'arrêté organique des écoles primaires supérieures, du 10 avril 1843, n'admettait pas que le clergé pût être consulté. Cet arrêté a-t-il été révoqué ? Non.

J'ajouterai que si j'avais pu m'attendre à voir ainsi pour la première fois des lettres lues à chambre, certes je leur aurais donné une autre forme. (Interruption.) Sans doute, messieurs, c'est une précaution que chacun de vous aurait prise. Est-ce que quand vous écrivez une lettre et qu'on vous dit qu'elle sera publiée, vous ne prenez pas d'autres précautions que quand elle doit rester inconnue ? D'après tous les précédents du gouvernement depuis 1830, on ne venait pas lire ainsi des lettres à la chambre.

On aurait dû voir le fond de la correspondance. J'avais assez largement posé les faits ; il ne fallait pas prendre dans les deux lettres les fragments les plus compromettants et qui cessaient de l'être quand on prenait l'ensemble de la correspondance. Je me borne à répondre que sur les points dont il s'agit j'ai persisté à refuser les engagements qu'on me demandait. C'est constaté entre autres par le commencement de la lettre du 2 septembre, dont on n'a cité que quelques passages.

(page 313) Tant que le clergé n’a pas publié ces exigences, je me suis abstenu d’en parler ; ce n’est qu’aujourd’hui que je le fais lorsqu’il s’est mis en cause par la publicité donnée en dehors de cette chambre. J’ai dû dire à mon tour quel est le conflit qu'il y a eu entre le clergé et moi. Il me semble maintenant qu'on consent même à la publication du dossier. Je ne sais si le gouvernement en a apprécié toutes les conséquences. Je présume que M. le ministre de l'intérieur veut conserver à l'avenir des relations de confiance avec le clergé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. Nothomb. - Je dois m'étonner d'autant plus de la marche que l’on suit maintenant qu'il y a quelques jours, on s'est montré très roide pour la publication des lettres d'un ancien gouverneur. Si l'on veut publier toute la correspondance, tout le dossier, je ne demande pas mieux ; mais je reconnais que le gouvernement a le droit de s'y refuser et qu'il y a prudence à s'abstenir.

M. Le Hon. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - J'avais l'intention de prendre la parole dans ce débat. Je me proposais d'entrer, comme l'honorable M. Le Hon, dans l'examen de l'appréciation des faits ; mais l'état souffrant de ma santé aujourd'hui ne me permet pas de me livrer aune discussion approfondie. Je me bornerai donc à donner une explication sur un seul point, le caractère de la correspondance.

Lorsque l'honorable M. Nothomb, quittant le ministère de l'intérieur, eut emporté le dossier par mégarde...

M. Nothomb. - Ce n'est pas par mégarde.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Au moment de son départ, l'honorable M. Nothomb avait reçu de M. le directeur de l'instruction publique un carton contenant la correspondance, et que M. Nothomb, selon les expressions de sa lettre à M. Van de Weyer, eut le tort d'emporter sans l'ouvrir. Plus tard, M. Van de Weyer, ayant reçu une lettre par laquelle les évêques invoquaient une correspondance qui aurait existé entre eux et son prédécesseur, et ne trouvant aucune trace de cette affaire dans les archives du ministère, leur répondit, le 21 novembre 1845, en ces termes :

« La lecture de ces deux pièces m'a démontré qu'il doit avoir existé entre MM. les évêques et l'ancien ministre de l'intérieur des relations confidentielles, verbales décrites, auxquelles M. Nothomb du moins ne paraissait pas vouloir reconnaître un caractère officiel.

« Il a, en effet, considéré cette correspondance de cabinet comme lui appartenant personnellement et il n'en a laissé aucune trace dans les archives du département.

« Je vois au contraire par les lettres des évêques que ceux-ci auraient regardé toute cette correspondance comme officielle et comme parfaitement ostensible.

« Jusqu’à ce que j'aie pu apprendre de M. Nothomb lui-même quel est le caractère que le ministre a l'intention d'attribuer aux relations particulières qu'il a eues avec les chefs des diocèses, je me crois obligé de m'abstenir de vous demander de nouvelles copies des pièces de cette correspondance ; je craindrais que mon prédécesseur ne trouvât ce procédé peu délicat, et d'un autre côté, je ne voudrais pas vous exposer, M. l'évêque, à devoir me refuser de plus complètes confidences. »

Un fait ressort donc de cette lettre de M. Van de Weyer, c'est qu'aux yeux des évêques la correspondance était officielle et parfaitement ostensible. Nous allons voir que M. Nothomb l'a considérée également comme officielle.

A la suite de cela, M. Van de Weyer écrivit à M. Nothomb, le 26 novembre 1845, la lettre dont je vais vous donner lecture.

(M. le ministre éprouvant dans ce moment une grande fatigue, ne peut continuer et remet la pièce à son collègue M. Rogier.)

M. Nothomb. - Il faut publier le tout ; cela vaut mieux.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Soit. Mais vous n'avez pas le droit de dire qu'il y a un abus à faire connaître cette correspondance, tout prouve qu'elle est officielle. En effet, porte-t-elle sur des faits personnels à quelques individus, sur des faits qu'on ne peut publier par convenance pour des personnes ? Non ; elle ne porte que sur des doctrines, sur des actes politiques, sur des actes qui sont du domaine de la chambre, que la chambre a le droit et le devoir d'apprécier ! (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le président. - Je rappelle que tout signe d'approbation ou d'improbation est interdit par le règlement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je pourrais me dispenser de faire connaître à la chambre par quelles circonstances le dossier qui joue un si grand rôle en ce moment, a été remis à mon collègue des travaux publics. Cependant comme on a trouvé étrange que cette affaire fût portée à la connaissance de la chambre par mon collègue et non par moi-même, je dirai en peu de mots comment cela est arrivé.

J'étais occupé à parcourir cette correspondance, dans laquelle je trouvais déposés et les prétentions du haut clergé et les principes des ministères qui m'avaient précédé, lorsque je reçus la visite de mon honorable collègue. Je lui fis part de l'impression pénible que j'avais éprouvée en parcourant cette correspondance, où je trouvais presque à chaque page des traces manifestes de l'abandon des prérogatives du pouvoir civil.

Mon honorable collègue, qui s'est particulièrement occupé de questions d'instruction publique dans le conseil communal de la ville de Liége, attacha un intérêt tout particulier à cette correspondance où d'ailleurs diverses affaires relatives à la ville de Liège avaient été traitées. Il m'en demanda la communication, ce qui fut fait le soir même.

On trouve étrange, messieurs, que des faits relatifs à l'ensemble de l'administration, que des faits caractéristiques de toute une politique, que des faits qui ont rapport aux questions qui divisent tout le pays, aux questions en vue desquelles les élections ont eu lieu, qui ont été l'origine du renversement du gouvernement précédent et la cause de l'avènement du ministère nouveau ; on trouve étrange que ces faits nous émeuvent et reçoivent dans cette enceinte un commencement de publicité. On m'oppose la conduite que j'ai tenue il y a deux jours en présence des exigences de ceux qui demandaient que je livrasse à la publicité toute une correspondance personnelle, à l'occasion de la destitution d'un fonctionnaire public.

Il n'y a pas. messieurs, la moindre analogie entre ces circonstances. Je me suis refusé à prendre l'initiative de la publication officielle d'une correspondance qui a eu lieu entre un gouverneur et moi à l'occasion de la destitution, c'était dans la crainte de poser un fâcheux antécédent. Depuis lors cette correspondance a été publiée par l'honorable M. d'Huart et on a pu juger si c'était par un intérêt personnel que je me refusais à cette publication.

Je n'avais, je puis le dire, l'administration à laquelle j'appartiens n'avait qu'à gagner à la voir livrer au public. Maintenant que l'intéressé a cru devoir prendre la voie des journaux pour livrer au public sa correspondance, j’userai à mon tour du même droit, je la compléterai par des pièces importantes. La publication de ces pièces comprendra deux rapports que j’ai adressés au Roi et une lettre de M. d’Huart qui ne figure pas dans la correspondance publiée par lui. Qu'il me suffise de dire que la lettre non publiée était sinon un démenti, au moins une renonciation complète aux griefs qui avaient été articulés dans les lettres précédentes.

On trouve inconvenant, aujourd'hui, que des pièces qui sont d'un intérêt général et qui, par leur importance, sont évidemment du domaine public ; on trouve fâcheux que de pareilles pièces soient produites dans cette enceinte.

Mais l'honorable M. Nothomb ne peut sérieusement se livrer à une pareille critique, lui qui n'a pas cessé de publier sous toutes les formes tous les actes de son administration. Si je parcours même le rapport triennal sur l'instruction primaire, j'y trouve bon nombre de lettres, d'extraits de correspondances avec le clergé même. Je sais fort bien que, parmi ces lettres, il en est où l'on fait un grand éloge de l'administration de l'honorable M. Nothomb. Mais enfin l'honorable ministre a jugé utile, pour éclairer le public sur son administration, de publier ces documents.

S'il y a des doutes, messieurs, sur la portée des citations qui sont faites, si l'on croit que l'on a dénaturé certains actes, que l'on a tronqué certaines parties de la correspondance ; pour ma part, je le déclare, je ne m'opposerais pas à ce que cette correspondance tout entière fût livrée à la publicité. Une pièce essentielle, déjà, a été livrée au public. Un des évêques n'a pas craint de saisir l'opinion publique d'une partie de cette correspondance. C'est même de ce point qu'est parti l'honorable M. Nothomb pour s'occuper de nouveau de cette affaire.

Pour moi, messieurs, je ne serais pas revenu sur cette affaire ; par égard pour mes prédécesseurs, j'avais gardé le silence dans le premier débat.

Aujourd'hui il ne m'est plus possible de me taire. J'ai été provoqué à parler.

Eh bien, je le dis, et je n'entends pas non plus attaquer les intentions de l'honorable M. Nothomb, mais je n'ai pas reconnu dans la conduite qu'il a tenue alors, je n'y ai pas reconnu la conduite d'un homme d'Etat disposé à défendre, comme il le devait, les prérogatives qui lui étaient confiées.

J'ai, comme membre de l'opposition, reproché au gouvernement deux choses à propos de la loi sur l'enseignement primaire. Je lui ai reproché de ne pas avoir exécuté la loi dans toutes ses parties ou de l'avoir mal exécutée.

Ces reproches, j'en ai retrouvé le fondement et la justification dans la correspondance dont nous nous occupons. J'ai reproché au gouvernement de ne pas avoir organisé les cours normaux ; les cours normaux, en effet, n'ont pas été organisés. Je ne savais pas pourquoi ; je l'ai appris :le haut clergé ne voulait pas qu'ils fussent organisés.

L'honorable M. Nothomb croit que, après avoir déposé le germe de l'organisation dans un arrêté royal, cette organisation s'est, sans doute, faite toute seule.

J'ai demandé qu'il voulût bien indiquer à quelle école primaire supérieure des cours normaux se trouvaient en réalité attachés, dans quelles localités des cours normaux existaient ; l'honorable membre a cité la commune de Virton ; or, messieurs, voici un document officiel et imprimé ; c'est un discours prononcé par M. Wurth, à la dernière session du conseil provincial du Luxembourg.

« Au moment où je parle, le 12 juillet 1847, les cours normaux décrétés le 3 août 1843, près de l'école de Virton, ne sont pas organisés et ne peuvent, par conséquent, fournir un élève-instituteur ; ils ne le sont pas, malgré les plus instantes démarches de la députation, de la commission et de la commune.

(page 314) « Cependant ceux du clergé le sont et le sont si bien, que pour l'année 1845, l'établissement de Carlsbourg a reçu de l'Etat un subside de 3,000 francs, outre les fonds alloués par la province. »

Voilà, messieurs, ce qui se passait le 12 juillet 1847, à Virton, où l'honorable M. Nothomb croit, à tort. que les cours normaux étaient organisés depuis longtemps. Un pas a été fait depuis lors vers l'organisation, mais le 12 juillet 1847. aucune organisation n'existait. Quant aux autres villes où l'honorable M. Nothomb prétend que les cours normaux ont été organisés, on n'y est pas plus avancé.

Je me suis plaint aussi, comme membre de l'opposition, qu'une autre partie de la loi fût restée sans exécution. J'ai parlé des concours entre les élèves. Pour ces concours, il existe encore moins de traces d'organisation : pourquoi ? Sans doute aussi parce que le haut clergé trouvait mauvais que le gouvernement songeât à organiser les concours. Ce sont là des faits qui résultent de la correspondance. Le haut clergé ne voulait pas que le gouvernement organisât les concours. Il blâmait cette partie de la loi, comme fort regrettable. Les concours sont donc demeurés à l'état de lettre morte dans la loi : je m'en suis plaint dans l'opposition. J'ignorais alors pourquoi les concours restaient sans exécution. Je l’ai connu depuis.,

M. Nothomb avait dit (et ceci est rappelé dans la correspondance), M. Nothomb avait dit : « Beaucoup de choses ne sont pas écrites dans la loi, qui se feront. » Il aurait dû dire aussi que beaucoup de choses étaient écrites dans la loi, qui ne se feraient pas. Les cours normaux et les concours sont choses écrites dans la loi et qui ne se sont pas faites ; je vais dire maintenant des choses qui n'étaient pas écrites dans la loi et qui se sont faites. Ce qui n'était pas écrit dans la loi de 1842, c'est que le clergé aurait le droit d'agréer les instituteurs civils, c'est que le clergé s'attribuerait et obtiendrait en fait le droit d'agréer les inspecteurs civils de l'enseignement primaire. Voilà ce qui n'était pas écrit dans la loi, et voilà ce qui s'est fait au profit du clergé. On lui a donné, en fait, l'agréation des instituteurs civils ; on lui a donné, en fait, l'approbation de la nomination des inspecteurs civils.

Et, messieurs, que fallait-il de plus au clergé ? L'évêque de Liége, qui connaît parfaitement la question de l'instruction publique, qui est très habile, très expérimenté dans ces matières, l'évêque de Liège l'a reconnu, le texte de la loi en lui-même signifie peu ; c'est par l'exécution seule que l'on peut apprécier et son esprit, et son mérite, et son utilité.

Eh bien, messieurs, comment a-t-on exécuté la loi ? On a exécuté la loi selon le bon plaisir et selon les prescriptions du haut clergé.

Mais d'où vient donc, puisque le haut clergé obtenait du gouvernement à peu près tout ce qu'il demandait, l'agréation des instituteurs, l'agréation des inspecteurs, l'absence des cours normaux, l'absence des concours, d'où vient qu'il ne s'est pas tenu pour satisfait, pourquoi est-il venu jeter un nuage au milieu de ces relations si pacifiques qui s'entretenaient entre le ministère et lui ?

Il y a à cela deux raisons : c'est d'abord qu'il est de la nature humaine de ne pas savoir se renfermer dans de justes limites, de devenir d'autant plus exigeant qu'on lui cède davantage ; en deuxième lieu, voici peut-être le raisonnement qu'on se sera fait ; on se sera dit : « Les ministères et les flots sont changeants ; nous obtenons aujourd'hui en fait certains avantages ; mais qui sait si demain nous obtiendrons, sous d'autres administrations, les mêmes facilités ? Tâchons de consacrer le fait, en le faisant passer dans un règlement d'administration générale. »

El c'est ici que le conflit a commencé ; c'est ici, il faut le reconnaître, que l'honorable M. Nothomb a résisté. Il a dit au clergé : « Je vous accorde en fait ce que vous demandez ; j'accepte votre intervention pour la nomination des inspecteurs et des instituteurs ; contentez-vous de cet avantage ; ne me forcez pas de faire entrer toutes ces concessions dans un règlement d'administration générale. Les évêques insistaient, menaçant le ministre de s'adresser directement au Roi ; le ministre, je le déclare encore, a résisté, et je l'en félicite.

J'ai parlé de nominations ; j'aurais pu parler de destitutions ; j'aurais pu faire intervenir aussi l'action du clergé dans cette partie si importante du service. Un fait a été signalé, d'où résulte la preuve évidente que même pour les déplacements des instituteurs, on s'est également soumis aux exigences du clergé.

Maintenant, messieurs, le clergé a-t-il eu tort en montrant de pareilles exigences ? Le clergé, une partie au moins du clergé, agit dans la préoccupation que ses droits, ses devoirs vont jusque-là, qu'à lui seul appartient toute la direction intellectuelle, morale et religieuse de la société : ses exigences sont les conséquences de ses préoccupations ; et on ne s'en cache pas. M. l'évêque de Liège a pris, en quelque sorte les devants, en publiant une partie de la correspondance avec le département de l'intérieur.

Je ne m'étonne pas de voir les évêques mettre en avant de pareilles prétentions, je les conçois à leur point de vue ; je crois cependant que mieux pénétrés de l'esprit du temps, ils finiront par se relâcher grandement de l'exagération de ces prétentions ; plusieurs déjà s'en sont relâchés.

Mais ce que je blâme et ce que j'ai toujours blâmé, ce serait l'espèce d'abandon, que, de son côté, l'Etat ferait de ses droits, de ses obligations. Le maintien des droits de l'Etat voilà, j'ose le dire, le système que nous avons apporté au pouvoir et que nous saurons maintenir intact.

Cependant je dois le dire aussi, n'y a-t-il pas, pour les évêques, une question de bonne foi ? Avait-on, lors de la discussion de la loi sur l'enseignement primaire pris réellement à l'égard du clergé les engagements qu'il rappelle ? Si ces engagements ont été pris, il fallait les tenir ; s'ils n'ont pas été pris, je demande qu'on s'explique sur la réclamation suivante.

« Si la part des évêques (dans la nomination des instituteurs) n'est pas écrite dans la loi, les évêques ne sont que plus en droit de l'attendre de la loyauté du gouvernement, qui a réclamé leur concours et qui savait qu'il é était à ce prix. »

Voilà la déclaration des évêques. Si le gouvernement avait pris un pareil engagement à leur égard, au moment où la loi de l'enseignement primaire a été discutée et votée, il y allait de son honneur de tenir son engagement. Il eût été indigne du gouvernement de tromper, d'un côté la chambre, en se posant devant elle comme parfaitement indépendant et de tromper, d'un autre côté, les évêques, en se réservant de leur refuser la part qu'on leur aurait promise.

La chambre voudra bien me rendre cette justice, que je n'ai pas cherché à entamer ces débats, que j'ai gardé aussi longtemps que j'ai pu un rôle d'abstention.

Je désire beaucoup que ces débats ne revêtent pas un caractère d'irritation.

Je crois qu'en ces sortes de matières surtout, nous devons tous, autant que possible, rester dans les limites de la modération. Mais puisqu'on m'a fourni une occasion d0e parler, je ne veux pas la laisser échapper, sans déclarer que le cabinet se croit obligé de suivre une autre ligne de conduite que celle qui a été suivie par d'honorables prédécesseurs, et que, sous ce rapport, c'est à bon droit que nous avons, en entrant au pouvoir, annoncé que nous apportions au pays une politique nouvelle.

L’honorable M. Nothomb m’a paru sous l’empire d’une crainte exagérée ; il s’est renfermé dans un syllogisme qui, s’il était vrai, conduirait directement à l’anéantissement de la liberté d’instruction en Belgique, enlèverait aux mains du gouvernement le droit que lui a donné la Constitution de diriger l'instruction publique donnée aux frais de l'Etat. Voici le syllogisme dans lequel l'honorable M. Nothomb a eu le tort, selon moi, de se renfermer ; il nous dit : « Pas d'instruction primaire sans religion ; pas d’enseignement religieux sans ministre du culte, et du moment que le ministre du culte refuse son concours religieux. pas d'enseignement primaire. » (Interruption.)

Si je ne me trompe, c'est ainsi que l'honorable M. Nothomb a ouvert la discussion. Eh bien, je l'accorde : pas d'enseignement primaire sans religion. Pas d’enseignement de la religion sans ministre du culte ; c'est-à-dire que la commune, que l'Etat ouvrira à deux battants les portes des écoles et dira au ministre du culte : Venez enseigner la religion, je vous appelle avec empressement ; je vous reçois avec reconnaissance. Mais lorsque le pouvoir civil aura tenu cette conduite et ce langage vis-à-vis du clergé, si celui-ci vient à faire défaut, si par son absence l'enseignement de la religion est négligé dans l'établissement laïque, et qu'il ne se hâte pas d'y porter remède, l'enseignement ne doit pas tomber, ne peut pas tomber pour cela ; et tôt ou tard le clergé reconnaîtrait la faute immense qu'il aurait commise.

Voyez ce qui se passe déjà. Nous avons dans le pays un assez grand nombre d'établissements où le clergé a refusé son concours. Les établissements ont-ils été moins suivis ? ont-ils été désertés par les élèves ? Les parents des élèves ont-ils été fortement alarmés en ne voyant plus paraître le clergé dans l'établissement ? Non, messieurs, rien de cela n'a eu lieu, le nombre des élèves d'année en d'année a été croisant. Toutefois l'autorité civile qui lient à ce que l'enseignement religieux soit maintenu, a été le chercher là où il se donne à tout le monde, où il ne peut pas se refuser. S'il le refusait, viendrait une question qui a été touchée par l'honorable M. Le Hon, la question du salaire du clergé.

La Constitution garantit au clergé son traitement, mais il ne le garantit pas à toute condition ; il n'est pas écrit, par exemple, que s'il refusait dans l'église le service religieux aux populations, le traitement serait encore dû. Tant que l'église sera ouverte à tout le monde, qu'on ne refusera pas l'entrée à des jeunes gens parce qu'ils fréquentent une institution d'enseignement laïque, les établissements laïques n'auront rien à craindre.

Je me livre à des hypothèses qui, j'espère, ne se réaliseront par ; j'ai la conviction que le clergé, convaincu des intentions droites du ministère, ne suscitera pas d'inutiles difficultés. J'espère parvenir à une bonne entente avec le clergé, en lui laissant son indépendance et sa dignité, mais en sauvegardant aussi toute la dignité et l'indépendance et les droits de l'Etat. C'est le meilleur moyen d'arriver à la bonne harmonie, quand chacun fait respecter son indépendance et sait défendre sa dignité, il s'établit une sorte de confiance et de respect réciproques, qui font la force et la durée des rapports.

Savez-vous quand il y a désunion et discorde entre les partis ? C'est quand l'un veut dominer l'autre, quand l'un, par intérêt ou autrement, cherche à tromper l'autre. Mais, quand de part et d'autre on s'explique franchement, quand on est convaincu que celui à qui on a à faire connaît son droit, il est disposé à le faire respecter, les occasions de discorde se présentent plus rarement, on se respecte et on peut se comprendre. Voilà en quel sens j'entends entretenir des relations avec le clergé.

Nous appellerons, nous accueillerons son concours pour l'enseignement religieux. Que si par aveuglement ou tout autre motif, que je n'ai pas à prévoir le concours était refusé aux établissements laïques, ces (page 315) établissements continueraient à exister. L'absence du clergé, je le reconnais avec M. Nothomb, serait un mal ; mais ce mal, il faudrait en reporter la responsabilité sur d'autres que sur nous.

M. Le Hon. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, il a plu à l'honorable M. Nothomb de supposer que j'avais cherché, dans les dossiers de sa correspondance avec les évêques, des passages qui étaient de nature à lui nuire ou à le compromettre, et il a appelé cela un procédé assez peu loyal.

M. Nothomb. - Je ne me suis pas servi de cette expression ; c'était à peu près un terme équivalent.

M. Le Hon. - Je dirai à l'honorable membre que sa supposition n'est ni juste ni bienséante, parce que quand on vient renouveler la discussion d'un intérêt politique aussi grave, on doit s'attendre à une réponse plus précise et plus directe.

La première discussion avait eu lieu en l'absence de l'honorable membre, il fallait avoir trois fois raison pour venir protester, après nos premiers débats, contre la notoriété publique qui accuse les tendances d'une administration de six années. J'ai été l'organe d'une conviction qui était fondée sur quelques faits graves à ma connaissance particulière et sur des faits généraux à la connaissance de tout le monde.

Je me suis vu forcé de rentrer dans le débat parce qu'il ne me convenait pas de voir des assertions que je crois fondées en fait, repoussées par des considérations générales sur la déférence que l'honorable membre aurait eue pour le clergé. J'ai pris (et j'ai déclaré que je subissais une nécessité pénible), j'ai pris dans la correspondance que j'ai eue pendant très peu de temps entre les mains, quelques passages qui m'avaient frappé et qui n'ont pas fait ici une impression moins vive. Je pouvais en extraire d'autres encore. Je ne l'ai pas voulu.

Si la correspondance est déposée sur le bureau, tous les membres de la chambre pourront juger et les pièces originales et mes extraits.

Ceux que j'ai produits me suffisent. Il en est résulté qu'il y avait un ensemble de faits qui excluent une déférence digne, momentanée, et purement accidentelle.

Je n'ai pas le droit de rouvrir la discussion, puisque je n'ai la parole que pour un fait personnel, mais je proteste contre toutes les suppositions que pourrait renouveler l'honorable M. Nothomb ; je crois pouvoir lui en dénier le droit.

M. Nothomb (pour un fait personnel). - Je n'ai pas accusé l'honorable membre de déloyauté, j'ai seulement dit que c'était un procédé nouveau. Je ne pense pas que ce soit contestable, car jusqu'à présent cela ne s'était pas fait. J'ai cité deux phrases que l'honorable membre avait omises et qui sont extrêmement importantes pour moi puisqu'elles détruisent une double accusation.

L'honorable ministre de l'intérieur a lu le passage de la lettre de l'évêque de Liège où ce prélat invoque l'engagement qui aurait été pris d'assurer au clergé une part dans toutes les nominations, de lui assurer des garanties indirectes.

On demande si en effet cet engagement a été pris. Je réponds à cela, négativement. L'évêque fait allusion à la discussion qui a eu lieu à la chambre où j'ai dit à plusieurs reprises que le clergé trouverait dans la loi des garanties indirectes. J'ai dit que l'intervention du clergé, à titre d'obligation, que demandait l'évêque de Liège, était abandonnée, condamnée par la loi. Je suppose que l'évêque donne aux paroles prononcées dans cette chambre et qu'on peut vérifier dans le Moniteur, une portée qu'elles n'avaient pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Vous saviez que le concours du clergé était à ce prix.

M. Nothomb. - Je déclare que je n'ai jamais pris d'autres engagements que ceux qui sont consignés dans la longue discussion insérée au Moniteur. Si l'on peut me produire un passage où j'ai pris cet engagement, qu'on la fasse.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Voici un passage de la lettre épiscopale : « Si cette part (dans la nomination des instituteurs) n'est pas écrite dans la loi, les évêques ne sont que plus en droit de l'attendre de la loyauté du gouvernement qui a réclamé leur concours et qui savait que c’était à ce prix. »

M. Nothomb. - Les évêques se sont réunis peu avant la discussion du projet de loi. Leur réclamation, relative à une part directe dans les nominations, a été faite. On n'en a pas tenu compte. On n'a répondu que par l'institution du double inspectorat. Les évêques avaient des garanties suffisantes. Voilà ce qui a été répondu verbalement. Cette déclaration verbale a été confirmée à plusieurs reprises par moi dans le cours de la discussion.

Il m'est impossible, n'ayant la parole que pour un fait personnel, de répondre aux observations de M. le ministre de l'intérieur ; mais je dois en conclure qu'à l'avenir les communications officieuses entre les inspecteurs seront changées et que notamment la dernière partie de la circulaire de M. Van de Weyer du 10 février 1846 sera révoquée. M. le ministre de l'intérieur ne voudra pas se contenter à mon égard d'un désaveu par des paroles, il y aura désaveu par des actes. Je dois en conclure que dans aucun cas, sans aucune exception, on ne consultera plus même officieusement le clergé sur les nominations à faire.

Du reste, je ne crois pas, je le répète, avoir le droit de rentrer dans la discussion générale.

Puisque M. le ministre de l'intérieur a déposé les pièces sur le bureau, je lui demanderai s'il ne verrait pas d'inconvénient à ce qu'elles fussent imprimées. Je préférerais que tout fût imprimé, depuis la lettre du 25 avril 1844 jusqu'à la lettre du 10 février 1846. C'est tout le dossier. Si l'on y consent, j'accepterais volontiers qu'on imprimât tout le dossier.

M. le président. - La chambre statuera sur cette proposition à l'ouverture de la séance de demain.

- La séance est levée à 5 heures.