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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 décembre 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions
relatives à l’impôts sur les débits de boissons (de Breyne)
et à l’organisation de l’instruction primaire (Bricourt)
2) Projet de loi prorogeant la loi sur le régime des
entrepôts (Osy)
3) Motion d’ordre relative au projet de loi
établissant un code pénal disciplinaire pour la marine marchande et la pêche
maritime (Maertens, d’Hoffschmidt,
Delfosse)
4) Nomination d’un membre de la commission de
surveillance de la caisse d’amortissement et de la caisse des dépôts et
consignations (de Man d’Attenrode)
5) Projet de loi portant le budget du département de
l’intérieur pour l’exercice 1848. Discussion des articles. Instruction primaire
et intervention du clergé dans l’enseignement (nomination des instituteurs,
enseignement normal, convention de Tournay) (Nothomb, Le Hon, Nothomb, Frère-Orban, Rogier, Le Hon, Nothomb)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 302) M. A. Dubus
procède à l'appel nominal à midi un quart. La séance est ouverte.
M. Troye
lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M.
A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Nicolas-Henri-Romain Noël, sergent-major au régiment du
génie, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation.»
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Plusieurs cabaretiers débitants de boissons distillées à Wercken demandent
l'abrogation de la loi du 18 mars 1838 qui établit un impôt de consommation sur
les boissons distillées. »
« Même demande des cabaretiers et habitants de Zarren et de Beeringen. »
M. de
Breyne. - Je demande le dépôt sur le bureau, pendant la
discussion du budget des voies et moyens, pour servir de renseignements.
- Cette proposition est adoptée.
________________
« Plusieurs habitants de Halleux
prient la chambre de rejeter le projet de loi sur les successions et toute
augmentation de dépenses ou d'impôts qui lui serait proposée. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi, et
dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.
________________
« L'administration communale
d'Hooghlede prie la chambre d'allouer au budget un crédit destiné à couvrir les
déficits des communes dont les ressources sont épuisées par suite de
circonstances extraordinaires. »
- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
________________
« Le conseil communal de Beverloo présente des observations sur la
direction à donner à la route décrétée de Turnhout vers Hechtel ou Beeringen. »
- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.
________________
« Plusieurs propriétaires,
marchands et hôteliers, à Waehtebeke, demandent le recreusement du canal de
Moervaert. »
- Même renvoi.
« Le sieur Dumoulin, instituteur à Fayt-lez-Seneffe, demande des
modifications à la loi du 23 septembre 1842, organique de l'instruction
primaire. »
M.
Bricourt. - Comme la pétition du sieur Dumoulin signale
d'une manière remarquable les vices de la loi de 1842 sur l'instruction
primaire cl présente des vues nouvelles très judicieuses sur cette matière, je
demande le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt
rapport.
- Cette proposition est adoptée.
________________
M. le gouverneur du Luxembourg
adresse à la chambre 115 exemplaires du mémoire que la députation permanente
vient d'adresser à M. le ministre des travaux publics sur les constructions à
faire dans cette province.
- Distribution à MM. les membres de la chambre et dépôt à la
bibliothèque.
________________
Il est fait hommage à la chambre par M. Jalheau de son travail intitulé
: « Etudes sur quelques moyens de sauver les Flandres. »
- Distribution à MM. les membres et dépôt à la bibliothèque.
________________
« IL est fait hommage à la chambre par M. Fedor Declercq de 13
exemplaires de son opuscule intitulé : « Rapports intimes entre la faculté
de philosophie et lettres et l'administration. »
- Dépôt à la bibliothèque.
PROJET DE LOI PROROGEANT LA LOI SUR E REGIME DES ENTREPOTS
M. le
ministre des finances (M. Veydt). -
Messieurs, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour objet de
proroger la loi du 18 juin 1842 qui autorise le gouvernement à apporter des
modifications au régime des importations et des transport des marchandises en
transit direct ou par entrepôt. Je demande la permission de lire le rapport qui
accompagne ce projet, car il en démontre l'urgence. Voici ce rapport :
« Messieurs, la loi du 18 juin 1842 a conféré au gouvernement le pouvoir
de modifier le régime d'importation et de transport de marchandises en transit
direct et en transit par entrepôt.
« Cette loi, qui n'avait d'effet que pour an, a été prorogée d'année en
année, et expire de nouveau le 31 décembre 1847.
« Mon honorable prédécesseur vous a communiqué, dans la séance du 14
novembre 1845 (documents, n° 6), les mesures arrêtées jusqu'alors par le
gouvernement en vertu de cette loi. Il n'en a été adopté aucune autre depuis
cette époque.
« Dans le but de donner aux dispositions sanctionnées par l'expérience
un caractère définitif et de faire jouir le commerce de nouvelles facilités,
j'ai soumis, le 18 septembre dernier, à l'examen des chambres de commerce et
des autorités dont j'ai cru utile de réclamer l'avis, un projet de loi générale
sur le transit. J'avais compté que l'instruction en serait terminée assez à
temps pour que ce projet pût vous être soumis avant la fin de l'année, mais je
n'ai pas encore reçu le complément des renseignements demandés. Toutefois,
j'espère pouvoir le déposer sur le bureau de la chambre à une époque assez
rapprochée, et j'insisterai alors pour qu'il soit converti en loi pendant la
présente session. En attendant, le Roi m'a chargé de vous présenter le projet
ci-joint à l'effet de proroger pour un nouveau délai d'un an la loi du 18 juin
1842.
« Il importe, messieurs, que cette prorogation
ait lieu avant le 1er janvier 1848, si l'on veut éviter le grave inconvénient
de voir cesser, à cette date, les effets utiles des mesures adoptées, en vertu
de la loi qui va expirer, et, entre autres, l'affranchissement des droits de
transit par les chemins de fer de l'Etat.
« Le Ministre des finances, Veydt. »
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi
dont il vient de donner lecture.
Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés et
distribués.
M. Osy.
- Comme la loi qu'il s'agit de proroger expire le 1er janvier, je propose de
renvoyer le projet qui vient de vous être présenté à une commission nommée par
le bureau. L'honorable M. Loos a fait le rapport l'année dernière ; si cette
année, le rapport pouvait être fait prochainement, il nous serait possible de
voter la loi avant notre séparation,
- Cette proposition est adoptée.
MOTION D’ORDRE
M.
Maertens. - La chambre est saisie d'un projet de loi qui
est de la plus haute importance pour le commerce maritime, qui doit mettre un
terme aux abus que les gens de mer commettent au préjudice des armateurs. Ce
projet est intitulé : Code disciplinaire pénal pour la marine marchande et la
pêche maritime,
Il y a plus d'un an que ce. projet est présenté, il l'a été le 14
décembre 1846. Il a été examiné par toutes les sections et, sauf l'honorable M.
Desmet, qui ne fait plus partie de la chambre, la section centrale est au
complet. Je propose à la chambre d'autoriser le bureau à remplacer M. Desmet.
M. le
président. - C’est fait.
(page
303) M.
Maertens. - Je prie alors M. le président de vouloir bien faire
examiner cet objet le plus promptement possible par la section centrale.
Je ferai remarquer que toutes les
sections centrales chargées d'examiner les budgets, à l'exception de celle à
laquelle est soumis le budget des travaux publics, ont terminé leur travail. Il
en résulte que M. le président et un de MM. les vice-présidents sont
disponibles en ce moment.
Si M. le président avait la bonté de réunir la section centrale chargée
du projet de loi dont il s'agit, section centrale dont j'ai l'honneur de faire
partie, il serait possible qu'elle terminât son examen avant la fin de ce mois
; alors le rapporteur étant nommé, celui-ci pendant les prochaines vacances que
nous avons l'habitude de prendre, pourrait faire son travail et le soumettre à
la chambre immédiatement après notre rentrée ; de cette manière, nous
parviendrions à discuter sans plus de retard un projet de loi réclamé comme
très urgent par le commerce maritime.
M. le ministre des affaires étrangères
(M. d’Hoffschmidt). - Je viens appuyer cette
proposition. Il est à désirer que ce projet soit discuté le plus tôt possible.
Je puis dire avec l'honorable préopinant que le commerce le réclame instamment.
M.
Delfosse. - Chargé par M. le président de présider cette
section centrale, je me propose de la convoquer aussitôt que les sections
centrales du budget des travaux publics et du crédit de 1,300,000 fr. pour les
routes, qui se réunissent tous les jours et que je préside, auront terminé leur
travail.
NOMINATION D'UN MEMBRE DE
LA COMMISSION DE SURVEILLANCE DE LA CAISSE D'AMORTISSEMENT ET DE LA CAISSE DES
DEPOTS ET CONSIGNATIONS
Voici le résultat du scrutin :
82 membres sont présents.
1 membre dépose dans l'urne un billet blanc.
81 prennent part au vote.
Majorité absolue, 41.
M. de Man d'Attenrode obtient 41 suffrages.
M. Osy, 40
En conséquence M. de Man d'Attenrode est proclamé membre de la
commission de surveillance de la caisse d'amortissement et de la caisse des
dépôts et consignations.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR POUR
L’EXERCICE 1848
Discussion des articles
Chapitre XVIII. - Instruction publique
Instruction primaire
Article 7
M. le
président. - Nous sommes arrivés à l'article 7 du chapitre
XVIII, « Instruction moyenne ».
La parole est à M. Nothomb.
M. Nothomb.
- Messieurs, je crois une discussion sur l'instruction primaire utile. C'est ce
qui m'a engagé à retarder le vote du budget de l'intérieur.
Le rapport triennal, présenté par l'un de mes successeurs, est entre vos
mains ; mais il est des considérations qui ne peuvent trouver place dans un
document administratif.
J'ai éprouvé jusqu'ici un double embarras : je suis forcé de parler très
souvent de moi. Cependant chacun comprend que je me trouve forcément en cause
dans cette question.
Je suis aussi forcé de parler du clergé. J'aurais même continué par
cette seule considération à garder le silence, si je n'en avais été affranchi
en quelque sorte par une publication faite naguère..
Je me propose de ne faire usage d'aucun autre document que de ce
rapport, et du résumé en forme de lettre adressée à mon successeur M. Van de
Weyer par l'évêque de Liège. C'est par erreur que l'on a attribut cette à
l'archevêque de Malines. C'est le résumé des réclamations qui avaient été
élevées au nom de l'épiscopat contre mon administration.
Je suis donc forcé de discuter et de contester publiquement
quelques-unes des prétentions du clergé.
Je conserve néanmoins pour le clergé le plus profond respect. J'ai eu de
nombreuses relatons avec lui et je m'en honore. Dans quelque position que je
puisse me trouver, il rencontrera toujours chez moi le souvenir des services
qu'il a rendus à la cause nationale en 1830. Le clergé belge est
essentiellement national, quelquefois peut-être même nous le confondons trop
avec un clergé étranger, le clergé français qui a vu avec déplaisir la
révolution de juillet de 1830, tandis que le clergé belge a été notre associé
dans notre révolution.
Il est un autre fait que nous avons déjà beaucoup trop perdu de vue ce
que l'histoire n'oubliera pas, pour juger la conduite du clergé belge depuis
1830.
Si le clergé belge a contracté, dans la lutte antérieure à 1830, des
habitudes politiques, ne faut-il pas un peu s'en prendre au rôle qui lui a été
assigné dans la révolution ? Tels hommes qui aujourd'hui lui reprochent avec
hauteur son rôle politique, trop longtemps prolongé, ont accepté, avant 1830,
le clergé comme auxiliaire dans la levée de boucliers qualifiée de
pétitionnement, dans les associations secrètes où se préparaient les élections
; ils l'ont accepté comme auxiliaire dans la grande lutte elle-même de 1830 ;
ils l'ont accepté encore comme auxiliaire dans les années suivantes où nous
avions à reconstruire le pays en face de l'étranger.
Ce n'est pas, messieurs, que je désire voir se perpétuer le rôle
politique du clergé ; j'explique comment ce rôle lui a été, en quelque sorte,
imposé en 1350, par la force des circonstances.
Si le rôle politique du clergé doit cesser, et je le souhaite, il lui
reste un autre rôle d'une influence immense et qui le met constamment en
contact avec le gouvernement ; j'entends parler du rôle assigné au clergé dans
l'instruction primaire. C'est à cette question toute spéciale que je
m'attacherai, et je désire, autant que possible, que la question conserve ce
caractère spécial.
Je ne viens donc pas m'ériger en accusateur du clergé, je viens
seulement discuter devant vous, messieurs, quelques-unes des prétentions
récemment constatées par une publication qui, je le répète, a été faite
indépendamment du gouvernement, aussi bien qu'elle a eu lieu indépendamment de
moi-même. Je viens discuter ces prétentions parce que cette discussion se
rattache nécessairement à l'examen même de mon administration, à l'examen de
l'exécution que la loi de 1842 a reçue.
J'ai vécu, ainsi que mes deux successeurs, je n'en excepte pas
l'honorable M. de Theux ; nous avons vécu, nous avons marché, nous avons agi
entre deux luttes : lutte avec l'opposition libérale, qui trouvait que nous
faisions toujours trop ; lutte avec le clergé, qui, souvent, trop souvent,
trouvait que nous ne faisions pas assez. La première lutte a été publique ;
elle a contribué à donner au pays cette impulsion qui a créé la situation
actuelle. La deuxième lutte est restée secrète, et ce n'est pas moi qui ai levé
le voile.
Quand j'ai quitté le ministère en juin 1845, il y avait, entre le clergé
et moi, un dissentiment sur plusieurs questions très graves. Une première
réclamation m'a été adressée par le clergé, le 25 avril 1844. J'ai répondu, une
première fois, le 13 mai 1844, et j'ai maintenu la position que j'avais prise.
La réclamation a été renouvelée le 2 août 1844 ; j'ai de nouveau maintenu, le 2
septembre 1844, la position déjà prise. Les évêques alors ont cru devoir
recourir au Roi, le 23 novembre 1844, et m'adresser à moi-même un mémoire où se
trouvent résumés leurs griefs. Ce mémoire est à peu près l'équivalent du
document récemment publié et qui a été adressé à M. Van de Weyer.
Ce mémoire et la requête au Roi sont restés sans réponse de ma part.
Quand j'ai quitté le ministère, j'ai emporté cette partie de la correspondance.
Je me réservais de faire un triage. Néanmoins je vous avoue, messieurs, que
j'aurais probablement éprouvé un certain embarras : je n'aurais su quel
caractère assigner à cette correspondance, mais la question de savoir quel est
le véritable caractère de cette correspondance est devenue à peu près oiseuse,
et mon embarras a dû cesser lorsque M. Van de Weyer m'a écrit, le 26 novembre
1844, que les évêques lui avaient révélé l'existence du conflit qui existait
entre eux et moi.
Dès lors les évêques supposaient eux-mêmes que la correspondance se
trouvait au ministère, et je me suis empressé de la restituer ; j'ai écrit à M.
Van de Weyer que du moment où la correspondance était invoquée, je la
restituerais sans entrer dans la distinction des lettres officielles,
personnelles et confidentielles. J'ajoutai, en outre, que je priais M. Van de
Weyer d'examiner les engagements qui devaient résulter de cette correspondance,
et que je m'en rapporterais à son jugement. M. Van de Weyer, sous la date du 10
février 1846, a résumé les engagements que j'avais pris, les a confirmés ; il
n'en a rien rétracté, il n'y a rien ajouté. Je dois ici des remerciements à M.
Van de Weyer pour la loyauté avec laquelle il a examiné et apprécié cet
incident de mon administration ; il s'est attaché au fond des choses.
Messieurs, si je rétablis ainsi l'ordre des dates, c'est pour répondre à
un reproche qui m'a été fait. On m'a dit que de deux choses l'une, ou je
n'aurais pas dû emporter la correspondance, ou, une fois emportée, je n'aurais
pas dû la restituer. Vous voyez, messieurs, d'après quelles circonstances j'ai
été amené à restituer les pièces au ministère de l'intérieur.
Quant au fait d'avoir conservé des pièces, c'est une chose qui se
présente, à peu près, à chaque changement de ministère ; les ministres gardent
souvent des pièces, se réservant d'en faire le triage. Il n'y a là rien
d'étrange.
Après avoir vidé ce débat que je pourrais appeler personnel, j'aborde,
messieurs les considérations générales ; je reviendrai aussi plus tard sur les
causes du confit.
Il est essentiel, messieurs, de se rappeler quelles idées ont dominé la
législature, dans la discussion et le vote de la loi du 25 septembre 1842 ; il
faut, de toute nécessité, se rendre bien compte de la position qui est assignée
par la Constitution au gouvernement belge, par rapport au clergé.
Le clergé belge a une position tout exceptionnelle en Europe. Cette
position résulte de deux disposition qu'on peut qualifier d'exorbitantes, mais
qui n'en sont pas moins constitutionnelles.
En Belgique, en premier lieu, le clergé est indépendant ; en second
lieu, la liberté de l’enseignement est admise. Dans d'autres pays, le clergé
est soumis au gouvernement, il doit obéir au gouvernement, et s'il a des
réclamations à raire, il doit, tout en les adressant au gouvernement, continuer
à se soumettre, à obéir en un mot. En Belgique, au contraire, le clergé peut,
en vertu de son indépendance, refuser son concours au gouvernement. Cette
abstention du clergé, ce refus du concours du clergé, est un droit
inconstitutionnel, incontestable.
Ce n'est pas tout. Après avoir refusé son concours, le clergé peut, à
côté de l'établissement gouvernemental qu'il abandonne, créer à son gré un
autre établissement rival.
Ainsi le clergé, en vertu de son indépendance, a le droit de se retirer,
et il trouve la sanction de ce droit dans la liberté d'enseignement. Cette
position ne se rencontre nulle part ; elle-ne se rencontre pas en Autriche où
le clergé est soumis au gouvernement, la religion s'identifiant avec l'Etat ;
elle ne se rencontre pas non plus en France, non qu'il y ait identification de
la religion avec l'Etat, mais la législation de l'empire subsiste malgré la
révolution de 1830.
Nous avons, messieurs, au début de la discussion de la loi sur
l’enseignement primaire, rappelé ces dispositions dont la portée est évidente ;
nous avons ensuite établi la nécessité de l'union, dans les écoles primaires,
de l'éducation religieuse à l'enseignement proprement dit.
Cette nécessité admise, nous nous sommes demandé par quels moyens, nous
pouvions obtenir l'éducation religieuse. Ne pouvant l'obtenir que par le
clergé, nous devons demander le concours du clergé. Ce concours doit être
volontaire, il ne peut être forcé, il ne peut être commandé par le
gouvernement.
C'est toujours là qu'il faut en revenir. Ainsi pas d'instruction
primaire, pas d'instruction religieuse sans le concours du clergé. Ce concours
ne peut être que volontaire. Il faut donc faire dans l'organisation de
l'enseignement primaire une position honorable au clergé ; il faut en un mot
s'entendre avec lui.
C'est là tout le sens de la loi organique du 23 septembre 1842, loi qui
n'est qu'un corollaire de la Constitution de 1831.
Dans d'autres pays où une constitution de ce genre n'existe pas, la loi
organique de l'enseignement primaire serait un non-sens, on ne la comprendrait
pas. La raison en est fort simple ; c'est que les principes dont cette loi
n'est que la consécration, n'existent pas dans ces pays. Juger la loi du 23
septembre avec les souvenirs de la législation impériale, ou sous la préoccupation
de la charte française, c'est ne pas se mettre dans la position requise pour
apprécier cette loi.
Nous verrons, à quelles conditions le concours du clergé a été obtenu.
Nous verrons si, en obtenant ce concours, on a abdique l'indépendance du pouvoir
civil. Je n'hésite pas à dire que si on conserve le concours du clergé dans
l'enseignement primaire, c'est qu'on restera à peu près ou se placera plus ou
moins dans la voie où je me suis placé. Au contraire, si on perd le concours du
clergé dans l'enseignement primaire, on créera une situation toute nouvelle. Il
n'est pas sans intérêt, avant d'aller plus loin, d'examiner comment cette
situation nouvelle pourrait être surmontée par le gouvernement réduit à
lui-même par la législature réduite à elle-même.
Si le clergé se retirait de l'enseignement primaire, s'il refusait son
concours pour l'enseignement moyen, comment pourrait-on surmonter la situation
nouvelle qui résulterait de cet état de choses ? Un premier moyen vous a été
indiqué il y a peu de temps.
Ne pourrait-on pas, disait-on, comme moyen de coercition en quelque
sorte, suspendre une partie des conséquences de l'article 117 relatif au
traitement du clergé ? La législature engagée dans une lutte envers le clergé
pourrait être tentée de priver le clergé de ses traitements en tout ou en
partie.
Je crois que ce moyen coercitif, s'il est constitutionnel, serait
inefficace, qu'on ne surmonterait pas par-là la difficulté qu'on se serait
créée. On a songé à un autre moyen, c'est l'émancipation du clergé inférieur
avec l'espoir de trouver dans les rangs secondaires une complaisance qu'on
n'aurait pas trouvée chez les chefs C'est là un moyen impraticable. La
hiérarchie de l'Eglise ne dépend ni du gouvernement ni de la législature.
L'Eglise catholique est une monarchie ; évidemment ce régime ne pourrait être
modifié que par le chef même de l'Eglise.
Ce n'est pas sérieusement qu'on pourrait renouveler une espèce de
constitution civile du clergé. Je rappelle là une des grandes fautes de
l'assemblée constituante.
Il est un troisième moyen dont on s'est aussi occupé, c'est le
rétablissement des appels comme d'abus. Le moyen est d'abord inconstitutionnel
et en lui-même il serait inefficace, car il ne termine pas le litige ; c'est un
blâme, rien de plus, vous restez dans une impasse.
Un quatrième moyen serait de toucher aux articles 14 et 17 delà
Constitution, de faire une révision de ces articles qui consacrent
l'indépendance du clergé et la liberté d'enseignement.
La révision de la Constitution ne peut entrer dans les calculs de
personne, ce serait quitter le terrain où est notre salut commun. Je ne vois
donc pas de moyen coercitif efficace, si nous arrivons à cette situation grave,
selon moi, de perdre le concours du clergé dans l'enseignement primaire.
II y aurait un dernier moyen, ce serait de se passer du clergé. C'est
arriver à séculariser complètement l'enseignement primaire ; on ne donnerait
dans les écoles communales que l'enseignement purement scientifique, et on
irait chercher l'enseignement religieux là où il se donne. (Interruption.)
Les interruptions que je rencontre me font croire que j'ai bien fait de
soulever la discussion. Je désire que ceux qui pensent que le dernier moyen que
je viens d'indiquer est le seul auquel on doive recourir exposent cette
doctrine.
Je déclare que ce dernier moyen, ce moyen suprême serait une tentative
impolitique, antisociale, tentative à l'avance condamnée par l'histoire, qui
n'aurait pour elle aucun homme d'Etat sérieux en Europe.
Je sais qu'il y a une opinion qui ne s'est pas encore produite
ouvertement dans cette chambre, qui s'est produite dans la presse, dans
quelques brochures, d'après laquelle les écoles rationalistes seraient les
seules écoles vraiment constitutionnelles. Je désire que cette opinion se
produise, qu'elle soit discutée. Je dis qu'écarter de l'enseignement primaire
l'élément religieux, serait laisser entrer, serait pousser dans les voies
rationalistes les jeunes générations et les classes inférieures de la société.
Ce serait faire ce qui n'a encore été tenté nulle part.
Je suis de l'avis de sir Robert Peel, par exemple, qui déclare que
l'éducation du peuple doit être religieuse, et que pour l'éducation religieuse
dans les écoles communales il faut, non pas un enseignement général, mais un
enseignement dogmatique.
Je suis de l'opinion de M. Guizot qui, tout en déclarant l'Etat laïque,
dit que l'atmosphère de l'école doit être religieuse.
Je suis de l'avis de M. Villemain qui déclare franchement que le grand
but vers lequel doivent tendre tous les efforts du gouvernement français, est
précisément de rendre à l'instruction primaire en France son caractère
religieux trop affaibli.
Je n'hésite donc pas à le dire, en m'exprimant comme je l'ai fait, dans
le discours d'introduction en quelque sorte aux débats de la loi de 1842, je
n'hésite pas à le dire de nouveau, je me suis séparé hautement, ouvertement des
théories du XVIIIème siècle, d'après lesquelles la société pourrait reposer sur
des bases purement nationalistes.
La nécessité de l'adjonction de l'éducation religieuse à l'enseignement
primaire a été admise par tous ceux qui ont voté la loi de 1842. Cette
nécessité étant admise, il fallait recourir au clergé.
Voyons maintenant quelles ont été, dans l'application, les concessions
qu'on accuse le ministère dont j'ai fait partie d'avoir faites au clergé, pour
l'exécution de la loi de 1842.
Je m'occuperai principalement de deux points : les nominations et
l'enseignement normal. C'est sur ces deux points que l'attention du public a
été principalement appelée. C'est aussi sur ces deux points qu'il y a eu
dissentiment entre le clergé et moi. Vous verrez ce que j'ai refusé au clergé ;
vous verrez ce que j'ai cru pouvoir lui accorder et à quel titre.
Les uns décideront si j'ai eu tort de refuser, les autres si j'ai trop
accordé.
Il faut d'abord ne pas perdre de vue que l'on peut par voie
administrative, à titre de convenance, d'une manière officieuse,
exceptionnelle, faire dans l'exécution ce qu'on ne ferait pas à titre d'obligation
permanente, écrite, soit dans la loi, soit dans un arrêté royal, soit dans une
déclaration ministérielle.
C'est une observation qu'il importe de ne pas perdre de vue ; elle a été
faite à plusieurs reprises dans la discussion de la loi de 1842. Beaucoup
d'orateurs, dont je pourrais citer les noms, n'ont pas hésité à déclarer que,
dans l'application, on pourrait faire par voie administrative ce qu'on
s'interdisait de faire à titre d'obligation.
Voici entre autres comment un orateur s'exprimait dans la séance du 9
août 1842 :
« Je désire le concours du clergé dans l'instruction primaire.
J'ajouterai même que si j'avais à agir administrativement, je pourrais aller
plus loin que le projet de loi de 1834, parce que, en administration, on ne
confère pas de droits, parce que, en administration, on peut révoquer le
lendemain, s'il y a abus, ce qu'on a concédé la veille. »
C'est là précisément ce que le clergé n'a pas assez compris : il a voulu
obtenir de mes successeurs et de moi, à titre d'obligation, ce qui n'avait été
accordé qu'à titre de convenance, et momentanément ; il a voulu que le
gouvernement s'engageât absolument pour tous les cas possibles.
J'insiste sur ce point parce que c'est en quelque sorte le siège de la
question, en ce qui concerne l'appréciation à faire de mon administration.
Il faut distinguer les nominations à faire dans les écoles communales
primaires et dans les écoles primaires supérieures. Dans l'école communale,
l'instituteur est chargé de donner, sous la direction du ministre du culte,
l'enseignement de la religion et de la morale. Comment se sont faites les
agréations ? Il est à remarquer que cette question, comme l'a dit l'honorable
M. de Theux, a perdu beaucoup de son importance.
La période des agréations est écoulée. Mais des cas d'agréation rares,
il est vrai, peuvent se présenter ; on peut encore nommer instituteurs des
personnes qui ne sont pas des aspirants-instituteurs, formés dans les écoles
normales de l'Etat, ou dans les écoles normales adoptées par le gouvernement.
Dans ce cas, il y aurait encore lieu à agréation. Quoi qu'il en soit, et bien
que la question ait perdu de son importance, comme il s'agit d'apprécier le
passé, encore faut-il s'y arrêter.
Il existe une inspection civile et une inspection ecclésiastique. J'ai
autorisé des communications officieuses entre l'inspecteur civil et
l'inspecteur ecclésiastique, non pas sur toutes les qualités requises pour
l'instituteur, mais seulement sur les qualités requises relativement à
l'enseignement de la morale et de la religion.
Par deux circulaires, l'une du 17 novembre 1842, l'autre du 28 mars
1845, l'inspecteur civil a été autorisé à prendre l'avis de l'inspecteur
ecclésiastique pour constater l'aptitude de l'instituteur nommé à donner
l'enseignement de la morale et de la religion.
L'inspecteur civil donne d'abord son avis sur la capacité scientifique
de l'instituteur ; il fait suivre cet avis de l'avis de l'inspecteur
ecclésiastique sur l'aptitude de l'instituteur à enseigner la morale et la
religion ; et enfin il est autorisé à joindre à ce second avis son propre avis
lorsqu'il y a doute de sa part, lorsqu'il n'est pas d'accord avec l'inspecteur
ecclésiastique.
Je dis que cette manière d'agir était une conséquence nécessaire de la
loi. Je demande à quoi se serait réduit le rôle de l'inspecteur ecclésiastique
si l'on n'avait pas pris son avis sur l'aptitude de l'instituteur à enseigner
la morale et la religion. C'était une conséquence nécessaire de la (page 305) loi, et je vais même jusqu'à
dire que si j'avais autorisé une communication officielle, tandis que je n'ai
autorisé qu'une communication officieuse, tandis que j'ai autorisé seulement
l'inspecteur civil à prendre cet avis au lieu que j'aurais pu lui imposer
l'obligation de le prendre, la loi n'eût pas été méconnue, l'indépendance du
pouvoir civil n'eût pas été violée.
Voilà donc, messieurs, comment l'agréation s'est faite pendant la
période de quatre ans. L'inspecteur civil était autorisé à prendre l'avis de
l'inspecteur ecclésiastique sur les qualités requises pour l'enseignement de la
religion et de la morale, je ne puis assez le répéter, il n'a que
l'autorisation de le faire, et cet avis, il le transmet au ministre de
l'intérieur en y joignant, s'il le juge convenable, son propre avis, ses
propres observations.
La position, messieurs, n'est pas la même pour les écoles primaires
supérieures. Là, ce n'est pas un instituteur qui enseigne la morale et la
religion ; c'est un prêtre qui est chargé de cet enseignement. Il en est
chargé, aux termes de la loi, par le clergé. Et ici, messieurs, je dois
rappeler votre attention sur une précaution que j'ai cru pouvoir prendre pour
sauvegarder jusqu'aux apparences de l'abdication du pouvoir civil.
Le prêtre désigné par le clergé pour enseigner la morale et la religion
dans une école primaire supérieure, n'entre pas d'emblée en fonctions ; il faut
un arrêté royal qui admette le prêtre à donner l'enseignement. Voici cette
formule qui a jusqu'à présent échappé à l'attention du public ; il faut un
arrêté royal portant la rubrique ordinaire ; le nom du Roi : « Vu la lettre de
tel évêque, qui a nommé un tel prêtre pour donner l'enseignement de la morale
et de la religion dans telle école primaire supérieure ;
« Vu la loi,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Un tel, prêtre nommé par l’évêque, est admis à donner l'enseignement
de la morale et de la religion dans tel établissement. »
C'est une espèce d'exequatur que le gouvernement lui délivre. Je dis
qu'on ne pourrait pas être plus soigneux de l'indépendance du pouvoir civil.
J'ai peut-être, en cette partie, renchéri sur la loi.
La même précaution, messieurs, a été prise pour l'installation des
inspecteurs ecclésiastiques cantonaux et diocésains. Il leur faut, à eux, une
déclaration du ministre, qui est insérée au Moniteur, et qui porte : « Le
ministre de l'intérieur déclare qu'un tel prêtre a été nommé par un tel évêque,
inspecteur cantonal ou diocésain. En conséquence, le ministre invite les
autorités à reconnaître un tel en la qualité susdite, etc. »
C'est encore un exequatur que l'inspecteur ecclésiastique cantonal ou
diocésain obtient du gouvernement. C'est en un mot une espèce d'investiture
donnée par le gouvernement.
J'ai fait remarquer qu'il y a une différence, quant à l'enseignement de
la morale et de la religion, entre les écoles primaires communales et les
écoles primaires supérieures.
La question restait de savoir si un pareil avis pouvait être pris pour
la nomination des autres instituteurs dans les écoles primaires supérieures.
Je dois ici avouer, messieurs, que le clergé a été officieusement, à
titre de convenance, consulté sur la formation du premier personnel de
plusieurs écoles primaires supérieures ; je le reconnais ; mais ceci n'a jamais
été fait qu'à titre de convenance, que par simple voie administrative.
Il importe aussi de remarquer qu'il s'agissait de la première formation
du personnel tout entier ; et l'on conçoit que le ministre ait voulu, dans
beaucoup de cas, dans le doute, s’entourer de tous les renseignements
désirables. J’ai donc autorisé soit le gouverneur, soit l’inspecteur civil, à
prendre dans certains cas l’avis de l’évêque ou de l’inspecteur diocésain ;
cela s'est fait pour plusieurs écoles primaires supérieures.
J'ai dit, messieurs, que des communications officieuses avaient été
autorisées entre l'inspecteur civil et l'inspecteur ecclésiastique pour la
nomination de l'instituteur chargé de l'enseignement de la morale et de la
religion dans les écoles communales.
Une importante question s'est présentée ; celle de savoir quelles
seraient les conséquences de la déclaration faite par le clergé, que
l'instituteur, réunissant d'ailleurs toutes les qualités nécessaires pour
l'enseignement civil, n'avait pas l'aptitude nécessaire pour l'enseignement de
la morale et de la religion.
Cette question, messieurs, est traitée dans le rapport sur
l'enseignement primaire ; néanmoins, ce fait est trop important pour que je ne
vous lise pas ce passage :
« Le clergé seul est juge de l'aptitude d'un instituteur à enseigner la
religion ; si cette aptitude était déclarée indispensable par la loi, n'en
résulterait-il pas nécessairement que le clergé serait juge suprême de
l'admissibilité aux fonctions d'instituteur primaire ?
« La question a été soulevée dès l'année 1843. Un instituteur, nommé
régulièrement par le conseil communal, devait être agréé par le gouvernement.
L'autorité civile, après avoir instruit l'affaire, attestait que le titulaire
présentait toutes les garanties désirables d'instruction et de de moralité.
L'inspecteur diocésain, tout en rendant hommage à la moralité de l'instituteur,
avait refusé de lui délivrer un certificat d'aptitude pour l'enseignement de la
religion et de la morale.
« On demandait que le gouvernement refusât l'agréation à cause de cette
circonstance, et que ce fût une règle pour l'avenir. Par arrêté du 21 septembre
1843, le ministre de l'intérieur agréa la nomination, et, dans une lettre de la
même date, il a exposé en ces termes, au gouverneur de la province, le motif de
sa décision :
« L'instituteur L.... m'a été représenté comme un homme irréprochable
sous le rapport de la conduite : il est vrai que l'autorité ecclésiastique ne
lui a pas délivré un certificat d'aptitude pour l'enseignement de la morale et
de la religion ; mais ce n'était pas un motif pour me refuser à agréer sa
nomination. Si M. le desservant de.... ne croyait pas pouvoir lui confier cet
enseignement, il devrait s'en charger lui-même ou le faire donner par une autre
personne. En effet, M. le gouverneur, le cours d'instruction morale et
religieuse est obligatoire, et il résulte de la discussion de la loi qu'il
appartient au ministre du culte d'y pourvoir, ou par l'instituteur, s'il en
juge celui-ci capable, ou par lui-même ou par un délégué.
«Veuillez, M. le gouverneur, porter ce qui précède à la connaissance de
M. le desservant de........, par l'entremise de M. l'inspecteur diocésain. »
C'est ma décision.
Voici maintenant ce qu'ajoute l'auteur du rapport, l'honorable M. de
Theux :
« Cependant il est extrêmement désirable que partout l'instituteur
puisse se livrer lui-même à l'enseignement religieux. Le gouvernement a donné
des instructions dans ce sens à MM. les inspecteurs : il ne faut pas que
l'instituteur puisse se refuser arbitrairement à remplir cette partie de sa
mission. Les fonctionnaires civils doivent, en pareil cas, considérer la bonne
volonté ou l'obstination et il a été bien entendu qu'un maître d'école qui ne
voudrait faire aucun effort pour se rendre propre à l'enseignement de la
religion et de la morale manquerait à ses devoirs et mériterait une révocation
si, par sa faute, il rendait impossible le concours du clergé dans son école.
Si c'est à cause de son peu de moralité que le clergé refuse de reconnaître à
un individu l'aptitude pour enseigner la religion et la morale, alors il n'y a
pas de doute qu'une des qualités essentielles manquant à cet individu, il ne
peut être nommé instituteur. »
Voilà comment l'honorable M. de Theux apprécie la résolution que j'ai
prise, en l'approuvant.
Vous voyez donc, messieurs, que nous n'avons pas même admis comme
conséquence qu'un instituteur, reconnu capable de donner l'enseignement
scientifique, ne pouvait pas être nommé du moment où l'autorité ecclésiastique
contestait son aptitude à donner l'enseignement moral et religieux. Nous avons
décidé que dans des cas spéciaux on pouvait même agréer l'instituteur. Certes
on ne pouvait pas aller plus loin pour sauvegarder l'indépendance du pouvoir
civil. Je dis, messieurs, que si on abusait de ce principe on pourrait rendre
les écoles purement civiles ; mais il ne faut jamais partir de l'idée que le
gouvernement abuserait à ce point d'une faculté que la loi lui donne.
J'ai dit que, pour quelques nominations, le clergé avait été
officieusement consulté, dans certains cas. Un règlement général
d'administration publique, du 10 avril 1846, a décidé de quelle manière le
personnel, en cas de vacature, serait renouvelé. Une commission a été instituée
; dans cette commission siège ordinairement un prêtre, et c'est cette
commission qui prépare les propositions à faire au gouvernement pour les
vacatures partielles. Je crois donc que, pour l'avenir, il n'était plus
nécessaire ni convenable de consulter même officieusement le clergé pour les
vacances partielles. La présence d'un prêtre dans la commission administrative
de l'école primaire supérieure est une garantie suffisante. II dépend même de
lui de faire constater son avis négatif quand il s'agit de faire une
proposition, et qu'il n'est pas d'accord avec la majorité. Le ministre
apprécie.
Ainsi, messieurs, c'est par forme de convenance, pour le premier personnel
des écoles primaires supérieures, que les évêques ont été consultés dans
certains cas, et cet état de choses ne devait même être que transitoire ;
l'étal permanent était réglé par l'arrêté royal du 10 avril 1842.
C'est, messieurs, contre cette manière de procéder que le clergé a élevé
des réclamations. Je vais vous donner lecture d'un passage d'un résumé adressé
par l'évêque de Liège à mon successeur, l'honorable M. Van de Weyer :
« En quoi donc consistera-t-elle cette part du clergé dans la
nomination des instituteurs ? quelles seront pour le clergé ces garanties
indirectes de leur moralité et de leurs principes religieux ? Selon ma manière
de voir, M. le ministre, cette part et cette garantie ne peuvent résulter que
d'un règlement de votre administration, d'après lequel on ne procédera à aucune
nomination ni dans les écoles primaires supérieures, ni dans aucune institution
où nous sommes appelés à prêter notre concours, sans qu'au préalable nous ayons
été entendus, soit directement, soit indirectement dans la personne de nos
inspecteurs.
« La raison m'en paraît évidente : c'est nous qui sommes compétents
pour prendre et transmettre au gouvernement les informations nécessaires sur
les qualités morales et religieuses du candidat ; c'est nous qui sommes
particulièrement intéressés à ce que le candidat possède ces qualités ; c'est
encore nous qui sommes chargés, par la loi, de le surveiller et de le diriger
dans la principale mission de l'école, et qui devons répondre du succès de
cette mission principale d'où dépend en partie le bonheur des familles et de la
société ; les lois divines et humaines nous en font une. obligation rigoureuse.
Il n'est personne, me paraît-il, M. le ministre, qui n'en conclue que dans
l'esprit de la loi nous devons être entendus avant qu'une nomination se fasse,
et que prétendre, avec le parti exclusif, que l'autorité civile aurait le droit
de nommer sans aucune intervention préalable de notre part, ce serait renverser
toute l'économie (page 306) de la
loi ; ce serait mettre en principe qu'une loi de conciliation confère à l'un le
droit d'absorber l'autre ?
« Le parti avait soutenu que les évêques ne céderaient jamais sur la
nomination pure et simple ; ils ont cédé, M. le ministre, et cette modération a
contribué au triomphe de votre honorable prédécesseur ; mais vous serez juste,
et vous conviendrez que le droit à une part dans la nomination, à une garantie
indirecte, mais essentielle, les évêques ne peuvent pas plus l'abandonner à
l'autorité civile, que le gouvernement n'a pu ni voulu, pour un moindre objet,
abandonner la sienne à la commune. Si cette part n'est pas écrite dans la loi,
les évêques ne sont que plus en droit de l'attendre de la loyauté du
gouvernement, qui a réclamé leur concours et qui savait qu'il était à ce prix.
« En vain dirait-on que nous pourrons toujours faire nos
représentations après que la nomination aura été faite ; car ce serait rendre,
en principe, notre intervention peu honorable et souvent odieuse, en nous
réduisant au rôle d'accusateurs, chaque fois que le choix aurait été
malheureux. Ce rôle, nous ne pourrions pas l'accepter, et c'est pour cela, que
désirant éloigner une source de collisions et de mécomptes (il y en a déjà eu),
et fomenter une confiance aussi réelle que durable, j'ose réclamer une mesure
qui, suppléant au silence de la loi, me garantisse une part dans la nomination
des instituteurs, maîtres ou professeurs, pour tout genre ou degré
d'instruction publique auquel je serai invité à concourir. Il me semble qu'il
suffira d'une demande d'avis, administrativement établie et généralement
pratiquée, pour que la loi soit et demeure une véritable loi d'union et de
conciliation. »
C'est là, messieurs, une. réclamation que j'ai cru devoir repousser. Je
n'ai inséré ni dans un arrêté royal, ni dans un arrêt' ministériel, ni dans une
lettre ou déclaration ministérielle, l'obligation de consulter le clergé sur
les nominations à faire. Dans certains cas, je l'ai consulté à titre officieux,
à titre de convenance pour la première formation. (Interruption.) Je l'ai consulté, je l'ai avoué, pour le premier
personnel des écoles primaires supérieures.
La question est donc celle-ci : M. le ministre de l'intérieur peut-il
consulter le clergé pour les nominations ? Je dis : Oui ; dans certains cas, et
à titre de convenance, à titre officieux ; non, il ne le peut pas, il ne le
doit pas, à titre d'obligation écrite d'une manière absolue. Voilà, selon moi,
la ligne de démarcation.
Il faut cependant être juste, l'évêque ne demandait pas qu'on prît
l'engagement de suivre son avis. Ce n'est pas cet engagement qu'il demande au
gouvernement, il demande seulement l'engagement de prendre l'avis, le
gouvernement restant toujours libre.
Je dis ceci, parce qu'il ne faut pas exagérer la réclamation de l'évêque
de Liège. Il restait toujours à l'évêque de Liège l'abstention ; mais cette
abstention n'aurait pas pu être basée sur ce seul fait, que le gouvernement
n'aurait pas dû faire de nominations sans consulter l'évêque.
Une
voix. - Et Tournay ?
M. Nothomb.
- La question de Tournay n'a pas été précisément la même. A Tournay on a
conclu, à mon insu, une convention portant non seulement la clause de
l'engagement, par l'autorité communale, de prendre l'avis du clergé, mais
encore la clause de suivre cet avis. La seconde clause est contraire à
l'indépendance du pouvoir civil, comme l'est aussi la première. J'ai repoussé
une première clause de ce genre par le règlement organique des écoles primaires
supérieures ; à plus forte raison aurais-je repoussé la seconde.
La seconde clause qui se trouvait dans la convention de Tournay, ne
m'était pas inconnue ; d'autres conseils communaux se sont adressés à moi ; je
leur ai donné le conseil de ne pas insérer une clause de ce genre dans leur
convention ; et je puis le dire aujourd'hui : si le conseil communal de Tournay
m'avait consulté, il aurait reçu de moi le même conseil. La convention de
Tournay doit avoir été conclue au mois de mai 1845, j'en ai eu connaissance par
les journaux ; j'ai rencontré le bourgmestre à Bruxelles, je lui ai exprimé mon
étonnement au sujet de cet acte ; j'ai reçu le texte de la convention à peu
près au moment où je quittais le ministère, et l'on peut même voir en marge de
la lettre du bourgmestre que j'ai fait mes réserves à l'égard de la convention.
Je suis donc d'accord avec l'honorable membre qui a bien voulu m'interrompre,
et qui par-là m'a amené à parler de la convention de Tournay : j'aurais
repoussé comme loi Tune ou l'autre clause.
Pour nous en tenir à Tournay, si je reconnais qu'il y a abdication du
pouvoir civil dans l'insertion d'une clause de ce genre, dans une convention, y
aura-t-il également abdication si librement, dans un cas donné, un conseil
communal décidait que quelques délégués ou même la commission administrative
prendrait officieusement l'avis d'un évêque ? Evidemment non ; la position est
différente ; il n'y a plus un engagement absolu, à titre d'obligation, de
prendre l'avis de l'évêque. C'est une simple question de convenance, de
nécessité, qu'on apprécie d'après les circonstances.
Si, messieurs, on peut produire de moi un acte qui renferme, je ne dirai
pas la seconde clause, on ne doit pas s'y attendre, mais seulement la première
clause, celle qui astreint le gouvernement à demander l'avis sans même qu'il
soit tenu de le suivre, eh bien, je déclare qu'on doit révoquer cet acte ;
j'avouerai que, dans cette circonstance, j'aurai méconnu l'indépendance du
pouvoir civil ; il faut qu'il reste libre de consulter ou de ne pas consulter.
Mais je dis qu'il y a des cas où le gouvernement fait bien de consulter
officieusement ; c'est quand il y a un doute. Lorsque l'évêque a donné un avis
officieux, il y a aussi en quelque sorte renonciation de sa part à user au
moins immédiatement de son droit d'abstention.
Si, par exemple, un choix malheureux vient à avoir lieu par suite de
circonstances quelconques, l'évêque qui aura été consulté officieusement, devra
se résigner jusqu'à un certain point, patienter comme le gouvernement,
respecter autant que possible, à moins que le scandale ne soit trop grand, la
position de cet instituteur. Ainsi, il y a des cas où le gouvernement agit
sagement en prenant officieusement l'avis de l'évêque. (Interruption.)
On me dit : « Vous avez consulté les évêques sur les nominations des
inspecteurs cantonaux civils. » En effet, messieurs, l'avis des évêques a été
officieusement demandé dans certains cas ; mais là il y a eu réciprocité,
c'est-à-dire que les évêques ont aussi soumis leurs listes pour les inspecteurs
cantonaux ecclésiastiques. Je puis même dire qu'un évêque a retiré, sur ma
demande, une nomination déjà faite.
Je dis qu'ici encore j'agissais sagement, parce qu'il était question de
la formation d'un premier personnel, en l'absence bien souvent de
renseignements suffisants.
Dans une province, je le sais, des réclamations assez vives ont été
élevées contre la nomination des inspecteurs cantonaux. Il s'agit du Hainaut.
Sur 18 inspecteurs cantonaux proposés par la députation, neuf seulement ont été
nommés par moi.
D'abord, j'étais dans mon droit. La loi porte que le gouvernement est
seulement tenu de prendre l'avis de la députation ; il a été entendu qu'il ne
s'agissait pas d'avis conforme. Je ne puis pas entrer ici publiquement dans
tous les détails de cette nature, je puis dire que la députation de cette
province a eu un grand tort envers moi, elle ne s'est pas strictement conformée
à la loi, la loi porte que le gouvernement prendra l'avis de la députation.
Résulte-t-il de là que la députation a le droit de présentation ? Non.
Elle aurait pu faire comme les députations des autres provinces, se contenter
de me donner son avis sur chaque pétition considérée isolément, sauf à me faire
officieusement une présentation ; je ne me serais pas refusé à la prendre en
considération.
C'est ce qu'a fait la députation de Liège ; elle m'a fait un travail
extrêmement remarquable sur les requêtes adressées au gouvernement pour les
places d'inspecteurs, elle a donné son avis sur toutes les pétitions, sans les
classer. Le droit du ministre était d'apprécier les demandes des titulaires
sans présentation.
La députation m'a demandé la permission de me faire connaître ses
préférences, de me faire des présentations. Sur quatorze présentations j'ai
fait dix nominations ; quatre seulement des individus présentés n'ont pas été
nommés, j'ai choisi d'autres personnes également recommandées par la
députation. J'ai regretté que la députation du Hainaut n'ait pas voulu se
conformer à cette manière de procéder. Elle m'a présenté un seul candidat pour
chaque ressort ; j'ai dû faire un travail nouveau, je n'ai pu admettre dans ce
travail que 9 de ces candidats.
Voici donc, messieurs, ce qui s'est fait pour les nominations. Là où
exceptionnellement le clergé a été consulté, c'a été à titre de convenance pour
le cas donné, sans engagement pour l'avenir. C'est cet engagement que j'ai
refusé de prendre, de là le grief de l'épiscopat.
Je passe, messieurs, au deuxième point, l'organisation de l'enseignement
normal. L'enseignement normal, d'après la loi, doit être donné par trois genres
d'établissements : les écoles normales de l'Etat au nombre de deux, les écoles
épiscopales adoptées, soumises au régime de la loi, et l'inspection civile, en
troisième lieu par les cours normaux.
Je ne m'arrêterai au premier genre d'institution, aux écoles normales de
l'Etat, que pour rappeler ce qui s'est passé pour la nomination des directeurs.
Dans la discussion quelques membres auraient voulu qu'on insérât la disposition
formelle que le gouvernement choisirait pour directeur de chaque école normale
un prêtre. Voici ce que j'ai répondu :
« L'honorable comte de Mérode, M. Dumortier et moi, nous avons le
même but : c'est ce qui arrivera dans la pratique ; mais je dis que vous ne
pouvez pas aller aussi loin dans les termes de votre loi. On m'a demandé si je
nommerais un ecclésiastique principal. Je n'hésite pas à dire : Oui, si, comme
gouvernement, je le fais librement ; non, si on me l'imposait, Je ne veux pas
que cela me soit imposé par la loi. Je veux, en un mot, que le gouvernement
conserve sa libre action. Je demande que dans les termes de la loi on n'aille
pas plus loin que ne l'exige le système de la loi.
« Il est très possible, très probable, que, si je suis appelé à
exécuter la loi, je propose au Roi de nommer deux prêtres directeurs des deux
écoles normales ; mais le gouvernement restera libre dans son action ; il saura
s'il doit maintenir ou faire cesser cet état de choses. »
J'ai donc nommé librement les deux directeurs qui sont des prêtres, j'ai
voulu rester libre ; j'aurais pu nommer des laïques ; les deux prêtres, qui
sont des hommes fort distingués, ont été mis à ma disposition par l'archevêque,
sans condition aucune.
La deuxième espèce d'établissement normal, ce sont les écoles
épiscopales soumises au régime de l'inspection civile par suite de l'agréation
du gouvernement. Cette agréation s'est faite le 7 décembre 1843, cependant la
demande m'avait été adressée le 28 janvier de la même année. L'agréation n'a eu
lieu que onze mois après, de plus il a été déclaré que le temps de l'exemption
de l'agréation pour les élèves de cette école ne (page 307) daterait que du mois d'avril 1844. Le clergé a trouvé
encore un grief dans cette conduite, il a pensé que j'aurais dû accorder
l'agréation le 28 janvier et ne pas attendre une année.
Le clergé avait pris les devants, ses écoles normales existaient, elles
avaient été dotées en partie par le gouvernement, par mes prédécesseurs
indistinctement, sans condition. C'est moi qui ai fait insérer une disposition
qui a permis de placer ces sept écoles sous l'inspection civile.
J'ai dit que c'était une véritable conquête. Je maintiens l'expression.
Si l'inspection n'est pas efficace, renforcez-la. Mais c'est beaucoup de
pouvoir inspecter ces écoles quand on le juge nécessaire, de pouvoir se rendre
compte de l'enseignement qu'on y donne, de prendre part à la délivrance des
certificats de capacité. II fut un temps où l'on aurait désespéré d'obtenir un
résultat semblable.
En attendant un an, vous devinez quelle a été ma pensée ; je ne voulais
pas me laisser devancer complètement par les évêques, je voulais que tout fût
préparé pour l'enseignement normal à donner par l'Etat. L'agréation des sept
écoles ecclésiastiques n'a eu lieu que quand tout était préparé pour l'installation
des deux écoles de l'Etat et pour l'organisation des cours normaux. J'arrive
ainsi à la troisième espèce d'établissements normaux ; l'adjonction des cours
normaux à une école primaire supérieure par province, était une faculté
introduite par la loi. J'aurais pu ne pas user de cette faculté ; en n'en usant
pas, en m'abstenant ou en attendant, je ne sais quel genre de reproche on
aurait pu m'adresser.
J'ai usé de la faculté ; un arrêté royal a décidé que des cours normaux
seraient adjoints à huit écoles primaires supérieures : Virton, Bruges, Anvers,
Bruxelles, Gand, Tournay, Liège et Namur.
Un reproche qui m'est adressé par l'opposition libérale, c'est que ces
cours normaux n'ont jamais été organisés. Il n'existent, dit-on, que sur le
papier. Ceux qui me font ce reproche ne se rendent pas compte de la nature de
ces institutions et de l'organisation qui a été arrêtée.
Bien que ce soit assez longuement expliqué dans le rapport triennal, je
suis forcé de revenir sur quelques faits.
En ce qui concerne l'organisation des cours normaux, j'ai décidé, dès le
25 mars 1843, que les cours normaux seraient organisés de la manière suivante :
on choisira des élèves dans les écoles primaires supérieures, qui seront
pendant deux ans, sous la surveillance spéciale du directeur, dans ces écoles
où ils feront leurs études préparatoires. À l'expiration de la deuxième année,
il y aura des examens. Si, à cette époque, ils n'ont pas changé de vocation,
s'ils subissent convenablement leurs examens, ils passeront à la troisième année,
au cours de pédagogie, et ils seront internés.
Cette organisation ne devait être apparente qu'à la troisième année.
C'est la cause de l'erreur de ceux qui m'ont souvent fait ce reproche. Les
élèves devaient être pendant deux ans confondus avec les élèves de l'école
primaire supérieure. Ils ne sont soumis à un régime spécial qu'à la troisième
année. Or cette troisième année est postérieure à ma sortie du ministère.
Des élèves qui se destinaient aux fonctions d'instituteur primaire ont
été choisis en 1844, dans les écoles primaires supérieures de Bruxelles, de
Gand, de Tournay, de Bruges et de Virton. Ils ont continué à faire leurs
études. Trente se sont présentés ; savoir : 3 à Bruxelles, 8 à Gand, 6 à
Tournay, 3 à Bruges et 10 à Virton. Ces 30 élèves ainsi répartis ont continué
leurs études dans ces écoles primaires supérieures. A l'expiration de la
deuxième année, mon successeur l'honorable M. Van de Weyer a fait subir des
examens réguliers. Sur 30 élèves, 17 ont été admis à devenir aspirants-instituteurs
; ils ont été internés, et ont suivi les cours de pédagogie.
Voilà quelle devait être l'organisation des cours normaux. (Interruption.)
Le système était donc celui-ci : choisir dans huit écoles primaires
supérieures un certain nombre d'élèves, leur laisser continuer leurs études
pendant deux ans, confondus avec les autres élèves de l'école primaire
supérieure. A l'expiration de la deuxième année, examen, passage au cours de
pédagogie, et internat. J'ai admis la nécessité de l'internat. En cela, j'ai pour
moi tous ceux qui s'occupent d'enseignement normal. Ils regardent les cours
normaux, les écoles normales comme offrant de grands dangers, lorsqu'un
internat n'y est pas joint.
Pour obtenir l'internat, il nous fallait des locaux. Ces locaux manquent
dans la plupart des villes. Ils ont été refusés dans d'autres. Mais s'ils
avaient existé, à l'expiration de la deuxième année, les élèves auraient été
internés.
A Virton, il existe de beaux locaux. Les élèves y sont internés.
A la suite d'examens, il y a eu 17 élèves admis, dont 5 de l'école de
Virton.
On trouvera peut-être que ce nombre n'est pas assez considérable, qu'il
ne faudrait pas d'internes. C'est un autre système : ceux qui ne trouvent pas
le nombre assez considérable voudraient faire dégénérer les cours normaux en
écoles normales, voudraient que ces cours fissent double emploi avec les écoles
normales de l'Etat et avec les écoles épiscopales. Ceux qui ne veulent pas
d'internat faussent, d'après moi, l'institution de l'enseignement normal.
Voilà ce qui a été fait sous mon administration et sous celle de mon
successeur, pour cinq écoles primaires supérieures. Si rien n'a été fait pour
les autres écoles primaires supérieures, c'est par des motifs dont les détails
sont indiqués dans le rapport et dont je ne parle pas pour ne pas trop
prolonger cette discussion.
Je dirai cependant qu'à Namur il serait encore impossible d'avoir des
cours normaux.
Croiriez-vous qu'à Namur l'école primaire supérieure qui compte 54
élèves répartis en cinq divisions, n'a à sa disposition qu'une seule chambre ?
Si j'étais resté au ministère, j'aurais maintenu le système consistant à
interner les aspirants-instituteurs après deux ans d'études préparatoires.
Je n'entends pas strictement régler le nombre d'élèves qu'il
conviendrait de choisir. J'ai dit qu'en moyenne on pouvait aller jusqu'à douze.
Mais ce n'est qu'une moyenne. On pourrait même aller jusqu'à un certain nombre,
puisque sur trente élèves, dix-sept seulement ont été admis
aspirants-instituteurs. Je ne me prononce pas quant à la fixation du chiffre.
Je dis seulement qu'il faudrait un nombre assez limité.
.le ne demande pas qu'on approuve ce système. Je demande seulement qu'on
reconnaisse qu'il y avait une organisation des cours normaux, dont le caractère
ne devait être apparent qu'à l'expiration de la deuxième année.
En organisant ces cours, j'ai usé de la faculté que donnait la loi au
gouvernement. C'est contre l'arrêté où j'ai usé de cette faculté qu'il y a eu
réclamation des évêques, qui auraient voulu me voir renoncer à l'exécution de
cet arrêté.
En apparence il a semblé que j'y renonçais parce que le public ne
remarquait pas que ce n'était qu'à l'expiration de la deuxième année qu'il y
avait des aspirants-instituteurs. Et comme je l'ai dit, à l'expiration de la
deuxième année, je n'étais plus au ministère.
J'avais aussi fixé le nombre d'élèves à admettre pour les deux premières
années dans les écoles normales de l'Etat. Ce nombre était de 75. Les évêques
auraient désiré me voir prendre l'engagement de ne pas dépasser ce chiffre.
Cette demande forme leur troisième grief.
J'ai refusé de prendre cet engagement ; j'ai dit formellement que je
voulais rester libre, que le gouvernement augmenterait le nombre d'élèves dans
ces deux écoles normales, s'il le jugeait convenable.
Je résume donc les trois points sur lesquels ont porté les dissentiments
entre le clergé et moi.
En premier lieu, on me demandait d'écrire à titre d'obligation
l'engagement pour le gouvernement de prendre toujours l'avis des évêques pour
les nominations à faire. J'ai refusé de prendre cet engagement.
En second lieu, on me demandait de renoncer à l'adjonction des cours
normaux à certaines écoles primaires supérieures désignées au nombre de huit.
J'ai refusé de prendre cet engagement. L'exécution a été poursuivie en tant que
le comportait le genre d'organisation que j'avais adopté.
En troisième lieu, on m'a demandé de m'engager, au nom du gouvernement,
à ne pas dépasser le nombre d'élèves admis dans les deux écoles normales de l'Etat.
J'ai refusé encore de prendre cet engagement.
Cependant, messieurs, c'est sur la supposition qu'il a été fait droit à
ces trois réclamations que l'on fonde l'allégation dirigée contre moi, que j'ai
complètement abdiqué l'indépendance du pouvoir civil.
Voilà, messieurs, les faits rétablis dans toute leur exactitude.
Il est vrai, je le répète de nouveau, car je veux mettre une entière
franchise dans les explications que je donne ; il est vrai que, pour certaines
nominations, j'ai pris ou j'ai fait prendre officieusement l'avis des évêques.
Mais ceci n'a été fait qu'à titre officieux, par mesure exceptionnelle, sans
engagement pour l'avenir.
J'aurais donc, messieurs, si j'avais été appelé à me prononcer, j'aurais
repoussé la convention de Tournay, comme l'a repoussée l'honorable M. Le Hon.
Je l'aurais repoussée en vertu des mêmes principes. Mais, je le répète aussi,
en l'absence de toute convention, sans obligation écrite, j'aurais peut-être,
comme membre du conseil communal de Tournay, consenti à prendre pour un cas
donné, l'avis officieux de l'évêque. D'ailleurs cela se pratiquait à Tournay ;
mais malheureusement on n'a pas voulu continuer ce qui se pratiquait.
M. Le
Hon. - Qui ne l'a pas voulu ?
M. Nothomb.
- Malheureusement l'évêque.
Je dis malheureusement, parce que le résultat de la lutte engagée à
Tournay est digne de fixer l'attention du clergé, l'attention de cette chambre,
l'attention de tous les hommes religieux du pays, de tous ceux qui attachent de
l'importance au maintien de l'éducation religieuse dans l'enseignement.
J'ai dit quelle était la position du gouvernement vis-à-vis de
l'épiscopat. J'ai dit quel était le droit du clergé ; ce droit est
l'abstention. Mais est-ce à dire que le clergé doive exercer ce droit d'une
manière arbitraire, qu'il doive, par exemple, le subordonner à la réalisation
de prétentions qui ont été condamnées par les chambres et par tous les
ministères ? Je dis que si l'épiscopat subordonnait son droit d'abstention à la
réalisation de ces prétentions, il userait de son droit d'abstention d'une
manière arbitraire. C'est ce que j'ai déclaré dans le cours de la discussion de
1842, et c'est ce que je répète aujourd'hui.
Le clergé, messieurs, est peut-être trop préoccupé des luttes qui ont
été soutenues dans d'autres temps et qui se sont terminées d'une manière
heureuse pour lui. Il est peut-être trop préoccupé de la lutte sous Joseph II,
par exemple, et sous le feu roi des Pays-Bas. Mais ces luttes étaient des
luttes contre des gouvernements étrangers. La lutte qui (page 308) pourrait naître aujourd'hui entre le clergé et le
gouvernement si, par exemple, le clergé opérait en quelque sorte une retraite
en masse des écoles primaires, ce serait une lutte contre le gouvernement
national, contre le gouvernement du pays.
Qu'est-il arrivé, messieurs, à Tournay ? Le prélat s'était flatté que
l'établissement abandonné par lui serait aussi abandonné par les pères de
famille. Une lutte s'est engagée non pas entre une autorité étrangère et le
clergé, mais avec une autorité nationale. Et il faut y prendre garde, le
sentiment religieux a ici dû céder chez tous les pères de famille qui, disposés
à envoyer leurs enfants dans des établissements où se donne le double
enseignement, ont néanmoins envoyé leurs enfants à l'athénée abandonné par le
clergé, et ont ainsi donné une sanction à leurs votes politiques.
Messieurs, je n'hésite pas à le dire, ce résultat est énorme. Le clergé
doit y songer comme nous ; il ne faut pas amener la sécularisation de
l’enseignement primaire. Il faut même, autant que possible, ne pas amener la
sécularisation de l'enseignement moyen. Je dirai donc au clergé : Craignez
d'engager la lutte entre le sentiment civique et le sentiment religieux. Dans
cette lutte, tous les pères de famille engagés seront forcément amenés à donner
la préférence à l’établissement abandonné par vous, si vous l'avez délaissé
sans raisons approuvées par eux.
Il ne suffit pas, messieurs, d'avoir un droit ; il faut encore savoir en
user avec intelligence, avec discernement, avec prudence, avec à-propos. Il y a
de grands dangers pour l'ordre social à voir les établissements d'enseignement
primaire et moyen abandonnés par le clergé. Mais ce danger n'existe pas
seulement pour l'ordre social ; il peut exister pour la religion elle-même. On
pourrait arriver jusqu'à voir s'affaiblir ces habitudes religieuses qui
existent et caractérisent le peuple belge.
Je vous ai dit franchement comment j'avais entendu l'exécution de la loi
de l'enseignement primaire. Je vous ai dit par quelles idées j'avais été
dominé. Il y a des personnes qui trouveront que j'ai peut-être été trop
préoccupé du danger de voir le retrait du concours du clergé. Je désire que
d'autres ne soient pas trop préoccupés de l'idée contraire. S'il arrivait par
la conduite inconsidérée du gouvernement, par le relâchement qui s'introduirait
dans les établissements publics, que le clergé, par des raisons qui seraient
approuvées par les pères de famille, à raison de choix malheureux, par exemple,
désertât les écoles, je dis que le gouvernement s'exposerait à une grave
responsabilité ; mais j'ajoute que si, d'un autre côté, le clergé reproduisait
les prétentions qui ont été condamnées par M. de Theux, au sujet du droit de
nomination, comme elles l'avaient été par M. Van de Weyer, comme elles
l'avaient été par moi, et que pour ces motifs le clergé vînt à se retirer de
l'enseignement primaire, dans ce cas je lui laisserais toute la responsabilité
de l'altération qui pourrait survenir dans les mœurs religieuses de la
Belgique.
Je crois, messieurs, avoir touché les points
principaux sur lesquels l'attention de la chambre et du public a été dirigée,
en ce qui concerne l'exécution que la loi de 1842 a reçue de ma part. Je prie
les honorables membres qui ont bien voulu m'écouter, d'examiner, avec
impartialité, le rapport triennal que vous avez sous les yeux. Pesez les
considérations que j'ai présentées et appréciez l'exécution que la loi a reçue
entre mes mains. Je crois avoir exécuté la loi d'après son texte, d'après son
esprit, en restant fidèle au double principe qui lui sert de base.
- M.
Delfosse remplace M. Liedts au fauteuil.
M. Le
Hon. - Messieurs, l'honorable préopinant vient d'appeler
l'attention de la chambre sur un des objets très importants qui avaient pris
place dans la discussion de l'adresse. L'honorable membre a été, pour ainsi
dire, la personnification du système qui a rencontré des juges sévères depuis
quelques années. Il a présenté la loi du 23 septembre 1842. Il a présidé à son
exécution ; mieux que personne, il en connaissait l'esprit. Il s'est conduit,
sans doute, dans le sens de l'idée créatrice de cette loi. Je n'ai pas
l'habitude de faire intervenir les intentions dans le jugement que je porte des
actes publics ; mais les actes, leur caractère, leurs tendances, leur ensemble,
appartiennent à votre discussion et assortissent à la juridiction de l'opinion
publique. C'est là ce qu'on a attaqué, ce que j'ai cru devoir attaquer moi-même
dans l'administration de l'honorable préopinant. Je persiste à dire qu'on l'a
fait à bon droit.
L'honorable membre, dans son discours qui est à mes yeux un essai de
justification, a cru devoir préluder par des considérations générales sur
l'organisation de notre état politique sur la position qui a été faite au
clergé, sur le rôle militant que ce dernier a joué en 1830, rôle, à ce qu'il
paraît, dont il aurait conservé l'habitude depuis que les dangers ont cessé
pour lui ; depuis qu'il a pu se reposer en paix dans la jouissance des droits
que la victoire lui avait donnés.
Je ne sais comment le clergé interprétera l'opinion de l'honorable
membre quant à l'attitude qu'a prise l'épiscopat vis-à-vis du pouvoir civil.
Je n'ai pas bien compris moi-même si l'orateur trouvait toute naturelle
et légitime la conduite du clergé, en matière d'enseignement, ou bien s'il
voulait, en passant, jeter sur elle quelques officieux palliatifs. Pour moi, je
suis aussi net en fait de principes de gouvernement, et aussi large en fait de
liberté, que l'honorable membre, et je déclare, franchement que, quels que
soient les souvenirs d'un autre temps, quelles que soient les habitudes
belliqueuses contractées au milieu des luttes de 1828 et 1829, je n'admets pas
que le clergé, qui a vu briser les entraves qu'on apportait à l'exercice de sa
mission spirituelle, qui a vu combler tous ses vœux, dépasser toutes ses
espérances, qui jouit, dans noire pays, d'une position que lui envieraient tous
les prélats de l'Europe, même les plus ambitieux, je n'admets pas qu’il puisse
venir disputer au pouvoir civil une partie de son domaine, sous le vain
prétexte qu'il l'aurait aidé à le conquérir, et alors que sans entraves et sans
trouble il est en possession absolue, exclusive du domaine spirituel. La nation
a voulu la liberté civile et politique pour tous les citoyens : après
avoir fait au clergé, avec la loyauté et la confiance la plus entière, une
situation indépendante et honorable, elle entend conserver au gouvernement de
l'Etat les attributs essentiels de son autorité.
Vous venez de nous dire comment vous comprenez ces deux indépendances ;
je vais expliquer à mon tour, moi, comment je les conçois. En 1830, lorsque le
prince archevêque de Malines, M. de Méan, priait le congrès, dans sa requête du
17 décembre, de consacrer la liberté de l'enseignement et la liberté
d'association à côté de la liberté religieuse, il donnait pour motif qu'il
fallait assurer aux catholiques le libre exercice de leur culte, à l'abri des
vexations et des entraves dont ils avaient fait la longue et triste expérience.
Les évêques alors (et je puis parler de leur opinion, car j'étais membre
des états généraux, et ils travaillaient à nous la faire partager) que
demandaient-ils en fait d'enseignement ? Que l'on brisât les entraves qui
pesaient sur la liberté générale. « Pourquoi, disaient-ils, l'autorisation
préalable et les certificats de capacité ? Les pères de famille ne sont-ils pas
les meilleurs juges des établissements d'instruction qui conviennent à leurs
enfants ? Laissez ouvrir des écoles par tous ceux qui veulent enseigner ;
laissez faire même à des malfaiteurs, s'il en est, qui osent le tenter. Où en
est le danger ? Quel est le père de famille qui ira leur confier ses enfants ?
» Voilà le langage raisonnable, persuasif et très libéral que l'épiscopat
tenait à cette époque.
Nous avons parfaitement compris que la liberté devait exister pour tous
; le congrès a voté la Constitution et vous avez vu dans quels termes
sacramentels il y a institué, dans l'article 17, la liberté absolue de
l'enseignement ; il l'a affranchi de toute mesure préventive. On avait proposé
et mis aux voix un amendement qui introduisait le principe d'une surveillance
des établissements privés, surveillance qui aurait été exercée par des
fonctionnaires électifs. Eh bien, l'amendement a été rejeté. Ainsi, dans le
pays, il n'y a pas de surveillance légale possible, de la part du gouvernement,
sur les établissements d'instruction privée, par conséquent sur tous les
établissements ecclésiastiques.
Vous avez placé à côté de cette liberté d'enseignement, la liberté
religieuse et l'indépendance du clergé. C'était lui assurer la latitude la plus
complète dans l'exercice de la mission du sacerdoce.
Vous avez donc séparé les deux domaines, le spirituel et le temporel.
Maintenant je me demande si l'inviolabilité acquise et garantie
constitutionnellement au clergé, permet au pouvoir civil de le laisser
intervenir ,pour d'autres motifs que ceux qui tiennent directement aux matières
religieuses et morales, dans la direction et l'administration de l'enseignement
public
Veuillez remarquer qu'autrefois il ne pouvait fonder aucun établissement
sans l'autorisation de l'Etat, qui, seul, réglementait cette instruction.
Aujourd'hui, si un collège, une école quelconque du pays reçoit une
mauvaise direction dans l'opinion du clergé, celui-ci est libre d'ériger dans
la même localité un établissement ecclésiastique d'instruction, et il a usé
largement de cette faculté. Là où il existait d'excellentes institutions
privées, le clergé est venu placer à côté d'elles des écoles dont il était le
seul fondateur, le seul directeur et qui plus d'une fois ont fait tomber des
établissements, fruits de longs travaux et de grands sacrifices, qui avaient
joui jusque-là de la confiance du public. Ces essais de concurrence,
quelquefois abusifs, n'ont pas été toujours également heureux.
Je reconnais donc qu'il y a pour le clergé, dans l'intérêt de la morale
et de la religion, un moyen infaillible de faire contrepoids aux mauvaises
doctrines, au mauvais enseignement ; c'est de venir placer, en vertu de la
liberté absolue, dont il jouit, un établissement ecclésiastique à côte de ceux
qui pourraient porter atteinte à la religion et à la morale ; je comprends qu'il
exerce ce droit très légitimement et sans offense à d'autres établissements de
la concurrence privée.
Mais vous, ministre du Roi, vous vous laisserez dire, dans une
correspondance officielle, que le clergé ne peut continuer son concours à un
établissement fondé sous les auspices de l'administration publique, dont les
professeurs auront été nommés par le gouvernement de l’Etat ou choisis par une
administration élective, investie de la confiance des pères de famille,
composée même d'une partie de ceux dont les enfants fréquentent les écoles ;
vous, ministre du Roi, vous souffrirez en silence que l'épiscopat, affectant
des alarmes qui ne peuvent être fondées au milieu de populations religieuses
comme les nôtres, vous déclare que là où on ne lui assure pas une part efficace
dans la nomination des professeurs indistinctement, il ne peut continuer à
prêter son concours, c'est-à-dire, qu'il refuse un prêtre pour l'enseignement
de la morale et de la religion, un principal ecclésiastique, voire même un
aumônier ; en un mot qu'il retire son appui et s'abstient !
Et quand vous aurez écoulé un pareil langage, sans y répondre avec la
dignité, avec la confiance de l'homme qui parle au nom du gouvernement du pays,
serez-vous en droit de nous dire que vous avez défendu l'indépendance et la
dignité du pouvoir civil ? Oh ! non, assurément non ; je n'aurai tout à l'heure
que trop de moyens de le prouver.
Assurément je suis un de ceux qui de ce banc défendraient le clergé (page 309) contre les atteintes qu'on
voudrait porter à ses prérogatives. Je les ai soutenues, il y a 20 ans, et il
me trouvera à cette place, animé du même esprit et des mêmes résolutions.
Mais aussi le clergé dont je parle a pour moi une acception
particulière. J'appelle ainsi les ministres de cette religion sainte qui élève
les âmes, qui les épure, les guide et les console ; mais non pas ces hommes qui
l'abaissent, la dénaturent, et l'offensent en la mêlant aux prétentions
ambitieuses qu'elle condamne, et aux luttes politiques où sa mission serait
d'apporter la concorde et la paix. Pour ces derniers, je ne crains pas que
jamais leur cause puisse être confondue avec la religion, objet du respect et
de l'amour sincère des Belges.
Oui, je le répète, je serais un des premiers à défendre les droits
menacés du clergé ; mais quand aucun danger ne le menace, quand il jouit en
paix de toutes ses franchises, lorsque ses nombreux établissements
d'instruction sont respectés, encouragés même par la sollicitude de
l'administration publique non moins que par la piété des fidèles, je sens qu'il
est pour nous aujourd'hui un devoir grave, impérieux, c'est de protéger et de
défendre contre ses atteintes, contre ses empiétements, contre ses tentatives
de toute nature, l'indépendance du pouvoir civil.
Je reprends la thèse de l'honorable M. Nothomb, et je dis qu'après la
victoire de 1830, après la consécration si éclatante de ses libertés, de ses
franchises et de ses privilèges, le clergé devait se renfermer dans son domaine
et donner à la Belgique l'exemple des vertus paisibles et modestes du sacerdoce
et non le spectacle de prétentions ambitieuses et d'un injuste arbitraire.
Notre tâche à nous est d'appliquer sans cesse l'esprit de nos
institutions ; en matière d'enseignement public, il est sage de placer au
frontispice de nos lois la religion et la morale comme les premiers éléments de
l'éducation primaire : mais l'enseignement de la morale et de la religion ne
devient pas impossible, parce qu'en vertu de son indépendance l'autorité
ecclésiastique aura refusé arbitrairement son concours ? l'établissement dont
il se sépare n'est pas pour cela frappé d'une sorte d'interdit.
Vous tirez de l'indépendance du clergé des conséquences qui mènent droit
à la négation de la liberté d'enseignement ; partant de ce point que la morale
et la religion sont au nombre des premiers éléments de l'instruction primaire,
vous dites : Point d'enseignement religieux sans le concours du clergé, et, par
conséquent, à défaut de ce concours, point d'instruction primaire complète ni
possible.
Voilà la conclusion à laquelle vous aboutissez nécessairement et c'est,
à mon sens, une erreur.
Oui, il faut un enseignement moral et religieux dans les établissements
d'instruction primaire. Consacrez ce principe dans la loi ; mais quant à
l'intervention personnelle et toute spéciale des ministres des cultes sur
lesquels vous n'avez pas d'autorité, ce n'est là qu'un incident d'exécution.
Les temples sont ouverts à l'instruction religieuse des fidèles, et la
morale peut être l'objet d'un enseignement laïque.
Je dis donc, pour finir avec les considérations générales qu'a traitées
l’honorable préopinant, qu'il y a nécessité grave pour le gouvernement de
maintenir les attributs de son pouvoir civil, à raison même du respect qu'il
porte à l'indépendance.et aux prérogatives du clergé.
Maintenant quels sont le véritable esprit et la mesure constitutionnelle
dans lesquels doit s'exercer l'action du pouvoir civil en matière
d'enseignement ? Messieurs, j'ai exprimé mon opinion à ce sujet dans une autre
enceinte, en des termes que je ne pourrais rendre plus précis : permettez-moi
de vous les citer :
« La Constitution a consacré la liberté absolue de l’enseignement
(article 17) à côté des libertés de la presse et des cultes (article 14).
« Sous ce régime, le clergé catholique, les communautés religieuses,
comme tout individu quelconque, peuvent ouvrir des établissements d'instruction
privée, sans autorisation préalable. Ces établissements, affranchis de tout
contrôle administratif, sont organisés selon les vues plus ou moins éclairées
de leurs fondateurs, qui règlent à leur gré la direction du pensionnat, le
choix des professeurs, le programme des études et l'admission des élèves.
« Cette liberté sans limites, hommage rendu aux droits de l'intelligence
et à ceux du père de famille, devait avoir pour contrepoids naturel une
organisation forte de l'instruction publique. Celle-ci, en effet, destinée à
satisfaire aux besoins nouveaux de la société belge, a pour mission de tenir
sans cesse toutes les branches de l’enseignement à la hauteur des progrès de la
science. Ses universités et ses collèges doivent être ouverts à toutes les
classes de citoyens, sans exception, qui toutes concourent à les fonder et à
les soutenir.
« La Constitution (article 17, paragraphe premier) a prescrit dans
ce but que l'instruction publique, donnée aux frais de l'État, fût réglée par
la loi. Elle a voulu également, tout en réservant aux conseils des communes et
des provinces le règlement des intérêts exclusivement communaux et provinciaux
(article 31), que l'action du législateur fût libre et entière à l'égard de ces
intérêts, toutes les fois qu'ils se confondent avec les intérêts généraux
(article 108) ; et certes, il n'en est pas de plus général, de plus intimement
lié au bien-être moral et matériel d'un peuple et à l'avenir de ses
institutions, que son système d'éducation publique à tous les degrés. »
Il m'avait paru qu'en matière d'enseignement, il fallait donner aux
établissements publics une organisation forte, c'est-à-dire, où l’action du
gouvernement et de ses délégués serait prédominante. Vous avez organisé
l'enseignement primaire par la loi du 23 septembre 1842. Quel en a été l'esprit
général ? Pour l'Etat, vous avez rendu l’instruction primaire obligatoire dans
chaque commune. Vous l'avez instituée à trois degrés : les écoles communales,
les écoles primaires supérieures, les écoles normales et cours normaux annexés.
Vous avez maintenu à la commune le droit de nomination des professeurs
que lui conférait la loi communale de 1836, mais en modifiant son exercice
pendant le terme de quatre années. Vous avez attribué au pouvoir central la
nomination des professeurs des écoles primaires supérieures et des écoles
normales, ainsi que celle des inspecteurs laïques des établissements. Vous avez
imposé la charge de leur dépense à la commune sous des conditions de subsides
déterminés et proportionnels de la part, d'abord, de la province et, ensuite,
de l'Etat.
Pour le clergé, qu'avez-vous fait ? Vous avez posé en principe que
l'enseignement moral et religieux ferait partie de l'instruction primaire, et
vous avez décidé que cet enseignement serait donné par les ministres du culte.
Instituant ensuite une inspection ecclésiastique, vous en avez abandonné le
personnel au choix de l'épiscopat. C'était assigner une action légale,
régulière et directe au clergé dans les établissements publics d'instruction,
alors que la surveillance de ces établissements privés est interdite à l'Etat.
Quelles ont été, en retour de ces procédés, la conduite et les
prétentions du clergé ? Il vous a dit que dès que vous recouriez à son
intervention, c'était à vous de subir les conditions qu'il y mettait.
Ces conditions il vous les a fait connaître : Il a demandé une
participation honorable et efficace dans la nomination des professeurs :
appelée donner l'enseignement moral et religieux, il a prétendu qu'il devait
s'assurer qu'aucun professeur ne blessait dans sa conduite, ses principes et
ses leçons ni la religion ni la morale ; que celles-ci ne recevaient aucune atteinte
dans les cours d'histoire et des sciences ; dans le choix des livres de classe
et des ouvrages à décerner en prix ; il a voulu que le droit de décider
l'exclusion définitive des élèves fût enlevé au collège échevinal et que le
gouvernement le consultât sur toutes les nominations des membres des
commissions administratives. Qu'est-il résulté des concessions faites par
condescendance à toutes ces prétentions ?
Cette conséquence, que tout dans un établissement d'instruction publique
devrait tomber sous le contrôle et la surveillance du clergé. De là est venue
cette singulière prétention que l'honorable membre prétend n'avoir pas
accueillie, dans sa pensée sans doute, mais contre laquelle je n'ai vu, dans
les pièces qui ont été signalées, aucune réprobation officielle.
Le ministère s'est trouvé en présence de l'épiscopat qui lui a dit :
Vous avez posé dans votre loi la nécessité de l'intervention ecclésiastique
pour l'enseignement religieux. Vous ne m'avez pas consulté et je suis
indépendant de vous ; je fais mes conditions à mon tour : à vous de les subir
ou je m'abstiens. Quel était le devoir du cabinet pour répondre dignement à un
tel langage ? Il devait procéder avec indépendance et autorité à la nomination
des commissions administratives et des professeurs des écoles primaires
supérieures ; il devait en outre veiller à ce que le choix des instituteurs
communaux fût fait sans le concours et en dehors de l'influence du clergé. Il
devait aussi choisir les inspecteurs laïques parmi les hommes capables par leur
caractère et leurs antécédents de soutenir les droits de son autorité civile
dans les conflits qui pouvaient s'élever avec les délégués de l'épiscopat.
Voilà l'esprit de conduite que recommanderaient la prudence, l'intérêt
du pouvoir et les sentiments les plus vulgaires de dignité. Qu'a-t-on fait ?
On se fait un mérite d'avoir refusé de suivre le clergé dans la voie des
engagements positifs et des formules réglementaires qu'il lui demandait. Je le
conçois parfaitement : la loi y mettait obstacle. Mais l'honorable préopinant
oublie sans doute tout ce qu'embrasse l'ensemble des faits de son
administration.
Peut-il nier l'influence toute-puissante qu'a exercée le clergé sur la
présentation ou le choix, soit des membres des commissions administratives des
écoles primaires supérieures, sou des professeurs des écoles, soit des
inspecteurs cantonaux et provinciaux ? Il y a là toute une série de faits
régulière, non interrompue.
Ce n'est pas de la condescendance noble et bienveillante, ce ne sont pas
de ces égards. que l'on doit à l'autorité spirituelle, toutes les fois qu'il y
a entente commune, désir réciproque de commun accord. Il y a déférence absolue,
constante, complète de l'administration publique envers le clergé qui est venu
stipuler hautement les conditions de son concours, se montrant fort indifférent
aux intérêts élevés de la religion elle-même. Devant cette attitude impérieuse
du clergé, le devoir de l’autorité civile lui commandait de défendre avec
vigilance et fermeté !e domaine confié à sa garde.
A cet égard, il me répugne un peu d'entrer dans de nouveaux détails et
de citer des faits. Les faits, dans ces circonstances, ressemblent beaucoup à
des noms propres ; mais l'auteur a lui-même provoqué la discussion. Il a voulu
relever ce qu'on avait dit précédemment que les droits du pouvoir civil avaient
été abandonnés, désertés dans l'exécution de la loi de l'instruction primaire,
et dans tous les rapports que la direction de l'enseignement donne aux grands
pouvoirs de I Etat avec le clergé. Eh bien, j'ai éprouvé à mon tour le désir de
connaître la correspondance qui a voyagé de Bruxelles à Berlin et de Berlin à
Bruxelles. Je ne sais si elle était d'une nature privée ou confidentielle à son
origine, et si (page 310) avec le
temps et les circonstances elle a pris un caractère officiel ; mais après ce
qu'en ont écrit MM. Nothomb et Van de Weyer, il nous est permis de la regarder
et de la traiter comme réellement officielle.
Les passages qui en ont été lus à la chambre m'avaient inspiré l'idée,
pour ma propre justification, de vérifier si je m'étais trompé quand j'ai parlé
de cette condescendance si absolue, si constante, que j'ai appelée abandon des
droits du pouvoir civil. Car, je l'ai dit dans une autre séance, les droits de
l'Etat, les devoirs qui sont imposés par la nature même des fonctions
publiques, on ne les abandonne pas positivement par des actes en forme
authentique. Ainsi l'on n'annoncera pas dans une circulaire qu'on substitue
l'action du clergé à celle du pouvoir civil. Mais quand des témoignages écrits
viennent confirmer officiellement les faits avancés sur la foi de la notoriété
publique, vous voudrez bien ne pas vous en prendre à moi des citations
intéressantes que je me vois forcé d'invoquer pour répondre à des dénégations
faites avec tant d'assurance. Si l'on avait laissé le débat au point où il
était resté à notre dernière discussion, je ne l'aurais certes pas renouvelé.
J'ai lu les principales pièces qui se trouvent au dossier, et voici
quelques passages qui ont fixé mon attention. Vous y verrez d'abord que le
gouvernement admet les évêques à correspondre avec lui comme corps épiscopal.
Plusieurs des lettres les plus importantes sont signées par le
cardinal-archevêque et par les évêques de Belgique. Je ne sais jusqu'à quel
point il était convenable qu'un ministre reconnût la régularité de ce mode de
relations officielles.
Voici une lettre des évêques du 25 avril 1844 :
Ils réclament contre le projet d'allouer immédiatement des bourses
complètes aux écoles normales de l'Etat, et de créer des cours normaux près des
écoles primaires supérieures.
« Lettre du ministre, M. Nothomb, du 15 mai 1844, en réponse à la
lettre épiscopale du 25 avril. »
Il s'attache à prouver qu'il a tout fait à l'avantage du clergé. Il a
nommé deux ecclésiastiques comme directeurs des deux écoles normales de l'Etat.
Il prouve son dévouement au clergé par les calculs suivants :
Dans la séance du 24 août 1842, en discutant l'article 35 de la loi, il
avait posé en fait qu'il faut pourvoir annuellement, en Belgique, à 164 places
d'instituteurs primaires ; qu'en faisant une large part aux écoles normales de
l'Etat, elles fourniraient les 2/3 de ce nombre, soit 120, ou 60 pour chacune
des deux écoles ; ce qui supposait pour chacune un nombre de 100 à 200 élèves.
Le tiers restant des instituteurs devrait être fourni par tous les
établissements du pays, ecclésiastiques et laïques.
Cette proposition fut admise.
Mais, ajoute le ministre, dans l'application, le gouvernement a renversé
cette proposition et l’a même forcée encore (ce sont ses termes) en faveur des
écoles du clergé.
« Calcul au maximum »
En 1840, il y avait en Belgique 2,744 instituteurs communaux et 1,146
instituteurs privés.
Le nombre des instituteurs, des deux classes, en Belgique, s'élèvera
quand l'organisation de l'enseignement primaire sera terminée, à environ 4,000.
En évaluant à 5 p. c, les places qui deviendront vacantes annuellement,
il y aura 230 nominations à faire chaque année.
« Calcul au minimum »
Ne prenons pour base que les chiffres de 1840 soit 2,744 instituteurs
communaux et 1,140 instituteurs privés ; total. 3,899 ou 3,900.
Il y aura, sur ce pied, 100 instituteurs à former annuellement.
Dans le premier cas, celui du maximum, les écoles normales de l'Etat, où
les études durent trois ans, ne fourniront au plus que 100 instituteurs.
Les cours normaux., 30.
Les écoles du clergé, 100.
Dans le deuxième cas, celui du minimum, les écoles normales de l'Etat,
composées de 150 élèves donneront au plus 50.
Les cours normaux, 18.
Les écoles normales du clergé fourniront presque tout le nombre restant,
127.
Or, ajoute encore le ministre, c'est par le système du minimum que le
gouvernement a commencé ; le clergé a donc une part de plus de 2/3 dans les
instituteurs à nommer chaque année, et jamais la part de l'Etat ne sera de plus
de 130 sur 230 nominations.
Pour rassurer davantage encore l'épiscopat, le ministre croit devoir
renforcer sa preuve.
Les écoles normales de l'Etat, dit-il, ne recevront jamais plus de 300
élèves, aspirants-instituteurs.
Les cours d'étude durant 3 années, il n'en pourra sortir qu’un tiers
annuellement, soit 130.
Les sept écoles normales du clergé ne contiendront jamais moins de 350
élèves : elles seront donc à même de fournir 116 instituteurs par année.
Quant aux bourses, le ministre donne aux évêques l'assurance que les
écoles du clergé et celles de l'Etat seront traitées, à cet égard, sur le pied
d'une parfaite égalité.
« Lettre de l'évêque de Liége du 14 mai 1844, au ministre. »
Il proteste vivement contre l'établissement de cours normaux auprès des
écoles primaires supérieures dans la province de Liège, et déclare son
intention de s'adresser directement au Roi s'il n'a pas de réponse
satisfaisante.
Messieurs, voici la réponse de M. le ministre Nothomb à Monseigneur, en
date du 16 mai 1840. Je n'ai rien trouvé qui réfutât le système épiscopal. La
réponse est pleine de modération ! comme il convenait, mais pleine aussi d'une
déférence très respectueuse et très humble.
« Réponse du ministre, M. Nothomb, à l'évêque de Liége, du 16 mai
1844 »
Il expose ses intentions. Il rappelle que, d'après les évaluations du
clergé, le nombre des élèves de chaque école normale des évêques ne dépassera
pas 50.
Il annonce qu'il allouera 50 bourses de 200 fr. ou 6,000 fr. par école.
La jouissance de chaque bourse durera 3 années par titulaire.
Il négociera pour faire supporter la moitié des bourses par les
provinces.
Il rassure l'évêque de Liège contre les craintes qu'il éprouve de la
concurrence que pourra faire à l'école normale de St-Roch et à celle de
Nivelles, l'école primaire supérieure, décrétée alors en principe pour la ville
de Liège :
Le ministre ajoute, et ce passage mérite attention :
« Si l'on pouvait s'entendre pour organiser à Liège une école primaire
supérieure, d'abord cet établissement se trouvera, en vertu de la loi,
soustrait complètement à l'action de l'autorité communale qui n'aura pas à y
intervenir, si ce n'est pour fournir les locaux.
(Le ministre pensait sans doute que la non-intervention de
l'administration communale devait être agréable à Mgr. l'évêque de Liège.)
Ensuite la section normale se composera au maximum de douze élèves
soumis à un régime sévère pendant trois années.
« Lettre du cardinal-archevêque et des autres évêques à M. Nothomb
du 2 août 1844 »
L'épiscopat, en corps, demande qu'il soit sursis à l'établissement de
cours normaux auprès des écoles primaires supérieures et que le nombre des
élèves, dans les écoles normale de l'Etat, ne dépasse pas les limites
auxquelles le ministre l'a provisoirement réduit.
L'épiscopat insiste pour obtenir immédiatement les 30 bourses promises
pour chaque école du clergé.
Il demande en outre :
1° Que l'exclusion définitive des élèves ne soit pas attribuée au
collège échevinal, mais bien à l'instituteur en chef ;
2° Que l'on ajoute à la liste des congés les jours fériés à la campagne
;
3° Que les évoques soient entendus avant que l'on arrête le règlement
général prescrit par l'article 15 de la loi de 1842 ;
4° Que la loi ne soit pas exécutée dans l'ordre moral et religieux, en
dehors de l'action des délégués du clergé.
A cet égard, l'épiscopat cite l'exemple suivant :
Dans certaines localités, en instituant des écoles primaires
supérieures, on a formé les commissions, on a nommé les professeurs, sans que
nos délégués aient été appelés ni officiellement ni officieusement à donner ni
avis, ni renseignements.
« Après cela, on nous demandera des prêtres pour y venir donner
l'instruction religieuse, ri nous pourrons nous trouver devint un personnel tel
que notre coopération directe devienne impossible. Il ne saurait être dans
l'intérêt du gouvernement de procéder de la sorte. »
Veuillez remarquer que cette dernière observation s'applique à des
écoles primaires supérieures, dont les professeurs sont nommés par le
gouvernement.
Le clergé dit à un ministre du Roi que s'il ne participe pas directement
à la nomination des professeurs, le personnel pourra être composé de telle
sorte, qu'il lui serait impossible de concourir à l'éducation morale et
religieuse ; et le ministre du Roi ne répond rien à cette offense.
Or, je vous le demande, quelles connaissances faut-il pour choisir avec
discernement un professeur ? Faut-il vivre dans la retraite comme les membres
du clergé, ou bien pratiquer la vie de famille et certaines relations de société
? Qui donc jugera le mieux les qualités morales et intellectuelles, les titres
scientifiques et littéraires d'un professeur ? Est-ce celui qui n'a aucun
rapport avec le monde ? Et encore, en supposant qu'il en fût ainsi, peut-on
admettre que le gouvernement ira choisir un homme indigne, un homme immoral
pour enseigner la jeunesse ? Voilà cependant les inductions qu'autorise une
correspondance à laquelle, dans sa juste susceptibilité, un homme d'Etat, haut
placé, comme un ministre du Roi, n'aurait pas dû se résigner si humblement.
Comment l'honorable M. Nothomb a-t-il répondu à ces réclamations ?
Voici, messieurs, sa lettre du 2 septembre 1844 :
Le ministre annonce à l'épiscopat que les sept écoles normales du clergé
jouiront de 105 bourses provinciales de 200 fr., et de 105 autres bourses sur
le trésor public. Total, 210 bourses assurées dès 1845.
Il ajoute que ce résultat inespéré est dû tout entier à sa persévérance
et à ses instances auprès des conseils provinciaux.
Il ajoute qu'il est toujours entré dans ses vues d'entendre les
observations des chefs diocésains avant de compléter l'organisation.
Il rappelle qu'il y a moins d'un an il s'occupait de la nomination des
inspecteurs cantonaux, « nominations qui lui ont valu les remerciements du
clergé ».
(page 311) II se déclare
sensible à des représentations auxquelles il était loin de s'attendre sur la
manière dont s'étaient formées les écoles primaires supérieures. Il répond à
chaque évêque en particulier. II est intéressant de le suivre dans ses réponses.
Paragraphe pour l'évêque de Gand.
« Il existait à Gand une école primaire supérieure avant la loi de 1842.
Rien n'y a été changé.
« Deux écoles nouvelles ont été fondées. ; l'une à Alost ; V. G. voudra
bien se rappeler que l'organisation en a été faite avec le concours du clergé.
. « L'autre à Renaix : là encore les conseils du clergé ont été suivis
en tous points. V. G. sait que je me suis même créé un embarras qui,
malheureusement, n'a pas encore cessé. »
On lit à la fin de la minute le passage suivant, bâtonné de deux traits
de plume en croix, que je produis ici comme note et comme fait.
« Un père de famille habitant Renaix s'y livrait avec succès à
l'enseignement depuis plus de 30 ans, estimé de tous les habitants, fortement
appuyé par l'autorité locale. Il a été sacrifié au protégé de V. G., et cependant il est impossible d'articuler
contre la moralité de M. Willequet aucun fait. Personne ne voudrait prendre
publiquement la responsabilité d'une accusation de ce genre ;des membres
influents de la législature, parmi lesquels je citerai l'honorable M. Dedecker,
se sont au contraire portés garants pour ce père de famille. »
Ainsi donc, les évêques reprochaient au ministre de ne pas se conduire
assez d'après leurs avis, et il est obligé de venir rappeler à l'un d'eux :
qu'il a sacrifié au protégé de Monseigneur un père de famille ; un homme
honorable entouré de la considération publique et qui vivait de sa profession
depuis 30 ans ! (Grande agitation
dans les tribunes.)
M. le
président. - J'invite le public à s'abstenir de marques
d'approbation ou d'improbation. Si ces manifestations se renouvellent je devrai
faire évacuer les tribunes.
M. Le
Hon. - Je supplie moi-même le public de ne pas revenir à
de semblables manifestations. Je ne les recherche pas.
Je continue ma lecture :
« Paragraphe pour l'évêque de Liège.
« Il y a deux écoles primaires supérieures dans le diocèse de Liège.
Elles sont antérieures à la loi de 1842, rien n'y a été changé. Celle dont
l'établissement est décrété à Liège, par arrêté royal du 25 septembre 1845,
n'est pas encore organisée Le motif du retard qu'a éprouvé jusqu'ici le
gouvernement, est son désir de réaliser son organisation de manière à donner
aux vues sages de V. G. toutes les faraudes désirables.
« L'effet déjà acquis à l'arrêté du 3 août a été de faire cesser
l'école normale communale et provinciale de Liège ; conséquence qui, comme vous
le savez, n'a pas laissé de me causer des embarras que j'ai dû surmonter. »
« Paragraphe pour l’évêque de Bruges. »
« II n'y a encore dans votre diocèse qu'une seule école primaire
supérieure complètement organisée. C'est celle de Bruges : loin d'avoir négligé
de consulter l'autorité ecclésiastique, sur le choix du personnel, je dois dire
que c'est, en quelque sorte, sur ses propositions que tous les choix ont été
faits. »
« Paragraphe pour l'évêque de Namur. »
« Cinq écoles existent dans ce diocèse. Celle de Namur est antérieure à
la loi de 1842. Celle de Dinant ne forme qu'un seul établissement avec le
collège dirigé par V. G. Les trois autres sont dans la province de Luxembourg.
« A Virton, le collège communal contre lequel s'élevaient e si
graves préventions de la part du clergé a été transformé. A quels reproches, à
quelles injures n’ai-je pas été en butte de la part de l’opposition libérale ?
« Il est vrai que quelques professeurs de ce collège ont été conservés
comme professeurs à l'école primaire supérieure.
« Mais, ajoute-t-il, je ne pouvais expulser indistinctement tous les
professeurs de l'ancien collège. Je n'aurais pas hésité à le faire, si l'on
avait articulé des griefs précis et sérieux. Mais personne n'a pris la
responsabilité d'une accusation réelle. »
Maintenant, messieurs, voici ce qu'a répondu M. le ministre de
l'intérieur à cette prétention des évêques. Ils se plaignaient, notamment, que
l'on organisât des écoles primaires supérieures sans leur concours, et M. le
ministre est obligé de leur rappeler, à chacun, qu’il n'a fait que suivre en
tous points, il dit : leurs conseils, et moi je dis : leurs prescriptions ;
car, lorsqu'on va jusqu'à sacrifier un homme irréprochable pour lui préférer le
protégé du clergé, je dis qu'on pose un acte de condescendance coupable et
d'injustice criante qu'on ne saurait blâmer trop sévèrement.
Je termine par une lettre de Mgr l'évêque de Gand, qui est la
conséquence de tous les faits dont je viens de présenter le résumé :
« J'ai appris que d'autres évêques ont fait entendre aux directeurs des
écoles primaires supérieures de leur diocèse que du moment que des cours
normaux seront annexés, ils retireront le concours qu'ils prêtent à ces écoles,
en leur accordant des professeurs de religion et de morale.
« Il est inutile que je vous prévienne que je ne me séparerai pas
de mes collègues dans une question de si haute importance. »
Ainsi donc voilà qui est bien entendu : il ne s'agit plus de danger des
mauvais choix de professeurs. On fait acte d'opposition à une institution jugée
utile par le gouvernement et redoutée par l’épiscopat, que préoccupe l'intérêt
de ses écoles normales. II ne veut pas des cours normaux annexés aux écoles
primaires supérieures, et il retire à celles-ci son concours, si son opposition
n'est pas respectée.
Messieurs, je viens d'accomplir une tâche très pénible en déroulant à
vos yeux la série de ces fragments de correspondances dont la lecture avait
fait sur mon esprit une impression profonde. Je l'avoue, quand dans la séance
du 19 novembre j'ai porté devant vous, contre les ministères des six dernières
années, l'accusation d'avoir déserté la cause du pouvoir civil, dans leurs
rapports avec l’épiscopat, j'exprimais une conviction fondée sur une suite de
faits graves, les uns à ma connaissance particulière, les autres de notoriété
publique. Je n'osais pas penser qu'il fût possible d'apporter des preuves de la
nature de celles que je vous soumets aujourd'hui.
Maintenant, je vous le demande, messieurs, ai-je eu raison, ai-je eu
tort de dire naguère qu'il y avait une politique nouvelle à introduire dans
notre pays, que les rapports officiels ou officieux qui avaient existé entre
les ministres et l’épiscopat avaient eu un caractère de faiblesse et constitué
un système de concession qui n'était pas en harmonie avec l'esprit de nos
institutions, avec l'organisation des grands pouvoirs de l'Etat ?
L'honorable M. Nothomb semble penser que, parce que le clergé est
indépendant chez nous, il faut se prosterner à ses pieds, pour obtenir son
indispensable concours dans l'enseignement public, il vous a dit : « Le
gouvernement belge ne peut pas commander au clergé ce qu'exigerait de lui le
gouvernement français ou tout autre gouvernement étranger. » Moi, je pense que
si l'on était forcé d'admettre la doctrine de l'ancien ministre de l'intérieur,
il faudrait presque se repentir d'avoir consacré, d'une manière si absolue,
l'indépendance d'un corps qui pèserait à ce point sur l'administration du pays.
Ne voyez-vous donc pas que la liberté de l'enseignement, dans la situation que
vous lui faites, deviendrait impossible ? Car vous posez en principe la
nécessité absolue du concours, en même temps que la possibilité de son refus ;
et cette possibilité est maintenant traduite en fait et en fait essentiellement
arbitraire.
Je dois penser que l'honorable préopinant n'a pas bien compris l'esprit
de nos institutions ; je crois que le clergé peut jouir de son indépendance
spirituelle, tout en respectant le domaine de la puissance civile ; je crois
aussi que plus il se renferme dans les limites de cette indépendance, plus il
grandira dans le respect et la confiance de la nation. Le pouvoir central peut
parfaitement diriger seul l'exercice de ses droits et veiller au maintien de
ses attributions. Quand le domaine assigné par la Constitution à chaque pouvoir,
soit temporel, soit spirituel, est respecté, il peut s'établir alors des
relations de bonne intelligence et de commun accord fondées, d'une part, sur
l'intérêt si noble, si élevé, si pur de la religion ; de l'autre, sur l'intérêt
de la bonne administration et de la paix intérieure du pays. Je pense qu'il y a
toujours des moyens officieux de rapprochement ; mais ces moyens ne sont
honorables qu'autant qu'ils sont compatibles avec l'indépendance et la dignité
des pouvoirs dont ils tendent à concilier les vues, le concours et l'action.
Qu'avez-vous vu sous le ministère qui a, selon moi, abandonné les
prérogatives de l'Etat ? Je n’accuse pas les intentons : on peut de bonne foi
embrasser une erreur ou entrer dans un système faux et même dangereux. Qu'avez-vous
vu ? Des administrations centrales elles-mêmes renoncer à des attributions
d'ordre public : la loi communale leur prescrivait de nommer leurs professeurs
communaux ; elles ont aliéné ce droit par des conventions expresses en faveur
du clergé ; les administrations provinciales, de leur côté, ont sanctionné ces
contrats, dont la portée sans doute n'avait pas été bien comprise.
Et quel a été le principe de cet abandon et de cette indifférence ?
L'exemple du gouvernement. Le clergé s'est habilement prévalu, dans ses
rapports avec la commune et la province, du système de condescendance qui
aplanissait tous les obstacles et faisait accueil à presque toutes les
exigences auprès du pouvoir central.
Une seule résistance a éclaté dans un conseil communal ; résistance
énergique, mais sage et raisonnée.
L'honorable préopinant, en citant le conflit relatif à l'athénée de
Tournay, a condamné la prétention épiscopale qui l’avait soulevé ; je suis
enchanté que son suffrage vienne, quoique un peu tard, se joindre à celui de
tous les hommes publiques qui ont approuvé l'administration communale de
Tournay. Le ministre de l'intérieur qui a précédé immédiatement l'honorable M.
Rogier, n'avait pas de prime abord jugé les exigences de l’épiscopat aussi
déraisonnables, car si mon souvenir est fidèle, il a déclaré dans cette
enceinte qu'une loi qui repousserait les stipulations du genre de celles qu'on
a blâmées dans la convention de Tournay, n'aurait pas son assentiment.
M. de Theux. - Je
demande la parole.
M. Le
Hon. - Je m'empresse toutefois de rendre justice à
l'intelligence pratique de l'honorable membre ; depuis, il a professé et
franchement avoué une opinion toute différente. Mais, remarquez-le bien,
messieurs, on paraît croire que l'article si vivement attaqué dans la
convention de Tournay date de 1845 ; il n'en est rien : l'extrait que j'ai cité
de l'engagement contracté des évêques date de 1838 ; dès cette époque,
l’épiscopat avait arrêté en principe qu'il retirerait son concours et son appui
à tout établissement public d'instruction où il n'aurait pas la part d'autorité
qu'il arbitrerait et où cette part ne lui serait pas acquise par les
stipulations d'un contrat.
(page 312) Aussi il serait
difficile d'imaginer quelque chose de plus inouï que ce qui se passait à
Tournay. Pendant 50 ans, un ecclésiastique avait dirigé sous le titre de
principal l'athénée de cette ville, sous la république française, sous l'empire
et comme sous la domination des Pays-Bas, jamais la moindre difficulté ne
s'était élevée à ce sujet. Quand le principalat était vacant, l'administration
priait l'évêque de désigner un ecclésiastique de son diocèse pour l'occuper ;
il ne s'agissait nullement alors de difficulté, ni de conditions.
Le clergé comprenait qu'il était plus intéressé que personne à
surveiller de près l'éducation du grand nombre de fils de famille, réunis dans
ce vaste établissement. Il est vrai qu'à ces différentes époques, il n'était
pas indépendant et répondait avec empressement et bienveillance à la confiance
de l'autorité publique.
En 1845, la place de principal vint à vaquer à l'athénée de Tournay.
L'administration communale prie l'évêque de vouloir bien désigner un prêtre,
conformément aux traditions de cinquante années. Sa Grandeur formule des
conditions et exige que leur acceptation fasse l'objet d'une convention écrite.
Parmi les clauses proposées, on remarquait celle-ci :
« Art. 2. En cas de nomination d'un professeur nouveau, la liste des
candidats sera soumise à l'ordinaire du diocèse qui, s'il existe des motifs
graves, religieux ou moraux, à la charge des candidats, en fera l'objet
d'observations auxquelles l'administration sera tenue de faire droit. »
D'après la correspondance que j'ai lue, et un passage d'une lettre dé
Mgr l'évêque de Liège, dont l'honorable M. Nothomb a donné lecture, le système
de ce prélat est absolument le même que celui de l'évêque de Tournay ; dans les
deux cas la condition consiste à être entendu sur toutes les nominations de
professeur, sous peine de refus de concours et d'abstention, si les
observations ne sont pas accueillies. Et l'abstention peut se traduire en une
autre sorte de mise en interdit.
Je dois avouer, messieurs, que plusieurs honorables membres du conseil
communal de Tournay ont craint de prime abord que la chute de l'établissement
ne fût la conséquence de la rupture ; et, en effet, après cinquante années de
parfaite intelligence et de bienveillant appui, on ne voit pas se rompre sans
regrets et sans appréhension des relations aussi honorables pour les deux
autorités et si longtemps utiles au succès de cette institution communale.
Eh bien, il a fallu pourtant en prendre son parti. L'évêque a persisté
dans ses prétentions, il a révoqué le principal ecclésiastique ;
l'administration l'a remplacé par un laïque, professeur distingué, d'un
caractère irréprochable à tous égards. Je puis affirmer que jamais, depuis sa
création, l'athénée de Tournay n'a été plus prospère ; que jamais des
témoignages plus sympathiques de confiance de la part des pères de famille ne
se sont manifestés. Ce résultat est une grande leçon sur laquelle les hommes
d'Etat et le clergé sont appelés à réfléchir. Il vient justifier ce que j'avais
l'honneur de vous dire dans la discussion de l'adresse, que lorsque le clergé
ne peut pas se présenter en victime de l'intolérance ou de l'oppression, que
ses droits, protégés par d'inviolables garanties, sont reconnus et respectés
partout, il ne peut pas empiéter sur le domaine et usurper les attributs de
l'autorité publique, sans froisser en même temps les droits des citoyens, sans
s'aliéner l'esprit des pères de famille ; car eux aussi, sous le régime de nos
institutions libérales, font partie de cette administration civile contre
laquelle l'épiscopat élève ses prétentions exorbitantes ; ou bien, ils ont
confiance en elle, parce qu'ils ont concouru à la former.
Ils savent apprécier quand une intervention est arbitraire et une
exigence illégitime, et ils se séparent à leur tour d'un clergé dont ils
reconnaissent les torts. Savez-vous jusqu'où peut s'étendre la funeste
influence ? Jusque dans la région élevée du sentiment religieux où le sacerdoce
devrait rester pur de tout contact avec les intérêts et les passions qui
agitent et troublent la société civile.
Les ministres du culte obtiennent toujours le respect et la vénération
des Belges lorsqu'ils sont dans le temple des interprètes de la parole divine,
et, hors du temple, des apôtres de paix, de concorde et de charité.
Eh bien, malgré ces dispositions d'une piété sincère, à Tournay, les
pères de famille ne tenant aucun compte des démarches et des efforts du clergé
pour les convaincre qu'ils ne pouvaient plus accorder la même confiance à
l'enseignement de l'athénée, ont compris, grâce à la publicité de tous nos
actes, qu'ils pouvaient continuer à confier leurs enfants à l'établissement et,
à l'heure qu'il est, l'athénée de Tournay regorge d'élèves.
Fort de cette expérience, je dirai à l'ancien ministre qui cherchait par
un système de condescendance si persévérant à s'assurer le concours du
clergé : L'administration de Tournay vous a appris dans quelle limite le
concours du clergé est indispensable et dans quelles circonstances il cesse
même d'être utile.
Cette administration a reconnu qu'il est sage de rechercher l'assistance
et l'appui de l'autorité religieuse par toutes les déférences qui peuvent se
témoigner avec dignité, mais non par celles que dicte la faiblesse ou la
crainte.
Elle a prouvé qu'elle était décidée à ne rien négliger dans cette voie,
pour atteindre le but. Mais quand tous les moyens honorables de conciliation
ont été épuisés, elle a fait un loyal appel à la confiance et à la justice des
pères de famille ; et cet appel a été entendu par cela même que le clergé, dans
son indépendance, avait abusé du droit d'abstention.
Je me résume : j'ai dit, dans la discussion précédente, que depuis six
années le ministère n'avait pas défendu le domaine du pouvoir civil, que dans
les rapports avec le clergé, en matière d'enseignement, il n'avait pas applique
la loi avec indépendance et dignité.
Je vous le demande : l'honorable M. Nothomb a-t-il détruit les
assertions que j'avais avancées, et les faits généraux qui en étaient la base ?
J'accepte sans crainte le jugement de la chambre.
J'ai la conviction profonde qu'il y a une
politique nouvelle à introduire dans cette partie de l'administration ; je ne
saurais trop recommander au gouvernement d'entretenir avec le clergé, avec
l'épiscopat, les rapports les plus bienveillants, d'avoir pour lui de la
déférence, du respect, de montrer ce désir de conciliation, qui est toujours le
meilleur esprit de l'administration pratique, mais de ne pas souffrir que les
attributions constitutionnelles du pouvoir civil reçoivent la moindre atteinte.
Qu'il se rappelle sans cesse que s'il cédait aux injustes exigences de
l'autorité religieuse, en matière d'instruction publique, la liberté de
l'enseignement ne serait plus que mensonge et fiction, et l'on pourrait voir
renaître, en dehors de l'action du gouvernement, un monopole qu'en d'autres
temps toutes les opinions ont combattu comme oppressif et flétri comme immoral.
M. Nothomb.
- Je voudrais avoir le droit de demander au ministère la publication de toute
ma correspondance. C'est un précédent que je ne veux pas poser, je ne veux pas
dans mon intérêt personnel compromettre les relations de confiance qui doivent
exister entre le gouvernement et le clergé. Je regrette vivement de ne pouvoir
faire cette demande, j'aime mieux m'en abstenir, dussé-je être méconnu. Je ne
veux pas relever ce qu'il y a eu d'étrange dans la nouvelle manière de procéder
qu'a adoptée un honorable membre : arriver avec une pièce isolée, choisir
quelques fragments, quelques lignes ! On a été jusqu'à lire des passages
raturés.
Je voudrais que toute la correspondance pût être publiée. Cette
publication présente les plus grands inconvénients pour le gouvernement. Quant
à moi, je le répète, je ne demanderai pas cette publication. J'aurais désiré
qu'on appréciât ma conduite comme l'a fait mon prédécesseur, j'aurais voulu
qu'on lût la lettre du 10 février 1846 où il résume mes engagements et déclare
qu'ils sont conformes à la loi. Je n'ai pas l'avantage, comme l’honorable
membre, d'avoir le dossier entre mes mains, cette pièce me manque.
On a même analysé les deux lettres de manière à ne choisir que les
phrases qui pouvaient être compromettantes pour moi, et à laisser de côté les
passages établissant qu'il n'y avait pas d'engagement pris par moi sur les
points où ils étaient réclamés par le clergé.
Par exemple, dans la dernière lettre du 2 septembre 1844, n'importait-il
pas d'éclairer la chambre sur l'engagement qu'on me demandait de ne pas donner
suite à l'adjonction de cours normaux ? J'ai formellement répondu que je
maintenais ma décision : « Dans ma réponse du 15 mai dernier, j'ai eu l'honneur
de communiquer à S. E. le cardinal copie d'une lettre à M. le gouverneur du
Brabant, dans laquelle tout le système d'enseignement normal des écoles
primaires supérieures est expliqué. Cette lettre avait été lue par moi à la
chambre des représentants et insérée au Moniteur. Il y a donc de ma part
engagement d'instituer, d'après ce plan, les cours normaux, dont la création,
autorisée par la loi, a été décrétée par arrêté royal. »
Je maintenais donc ma décision.
J'ai expliqué quel est le système que j'avais arrêté pour l'adjonction
des cours normaux, et comment il devait recevoir son développement avec le
temps.
Deuxième point. Ai-je pris l'engagement de ne pas dépasser dans les
écoles normales le chiffre indiqué de 75 élèves ? Je lis dans la même lettre,
un peu plus bas : « Le gouvernement ne croit pas pouvoir s'engager à ne pas
dépasser dans les écoles de l'Etat le chiffre de 75 élèves. »
Ainsi, je refuse de prendre l'engagement de limiter le chiffre.
M. Le
Hon. - Je n'ai pas dit le contraire.
M. Nothomb.
- Soit ; mais avouez-le, il eût été infiniment préférable pour moi d'imprimer tout
le dossier. Chacun connaît ce genre de système consistant à isoler une phrase,
à rendre même par-là les réponses presque ridicules. Je croyais avoir dispensé
ceux qui voulaient me répondre de recourir à ce procédé. J'avais mis assez de
franchise dans ma manière d'exposer les faits. J'avais reconnu que pour les
premières nominations dans les écoles primaires supérieures, le clergé avait
été dans plusieurs cas consulté. J'avais ajouté que cet état de choses était
transitoire ; que l'arrêté organique des écoles primaires supérieures, du 10
avril 1843, n'admettait pas que le clergé pût être consulté. Cet arrêté a-t-il
été révoqué ? Non.
J'ajouterai que si j'avais pu m'attendre à voir ainsi pour la première
fois des lettres lues à chambre, certes je leur aurais donné une autre forme. (Interruption.) Sans doute, messieurs,
c'est une précaution que chacun de vous aurait prise. Est-ce que quand vous
écrivez une lettre et qu'on vous dit qu'elle sera publiée, vous ne prenez pas
d'autres précautions que quand elle doit rester inconnue ? D'après tous les
précédents du gouvernement depuis 1830, on ne venait pas lire ainsi des lettres
à la chambre.
On aurait dû voir le fond de la correspondance. J'avais assez largement
posé les faits ; il ne fallait pas prendre dans les deux lettres les fragments
les plus compromettants et qui cessaient de l'être quand on prenait l'ensemble
de la correspondance. Je me borne à répondre que sur les points dont il s'agit
j'ai persisté à refuser les engagements qu'on me demandait. C'est constaté
entre autres par le commencement de la lettre du 2 septembre, dont on n'a cité
que quelques passages.
(page 313) Tant que le clergé n’a pas publié ces
exigences, je me suis abstenu d’en parler ; ce n’est qu’aujourd’hui que je
le fais lorsqu’il s’est mis en cause par la publicité donnée en dehors de cette
chambre. J’ai dû dire à mon tour quel est le conflit qu'il y a eu entre le
clergé et moi. Il me semble maintenant qu'on consent même à la publication du
dossier. Je ne sais si le gouvernement en a apprécié toutes les conséquences.
Je présume que M. le ministre de l'intérieur veut conserver à l'avenir des
relations de confiance avec le clergé.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je
demande la parole.
M. Nothomb. - Je dois m'étonner
d'autant plus de la marche que l’on suit maintenant qu'il y a quelques jours,
on s'est montré très roide pour la publication des lettres d'un ancien
gouverneur. Si l'on veut publier toute la correspondance, tout le dossier, je
ne demande pas mieux ; mais je reconnais que le gouvernement a le droit de s'y
refuser et qu'il y a prudence à s'abstenir.
M. Le
Hon. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- J'avais l'intention de prendre la parole dans ce débat. Je me proposais
d'entrer, comme l'honorable M. Le Hon, dans l'examen de l'appréciation des
faits ; mais l'état souffrant de ma santé aujourd'hui ne me permet pas de me
livrer aune discussion approfondie. Je me bornerai donc à donner une
explication sur un seul point, le caractère de la correspondance.
Lorsque l'honorable M. Nothomb, quittant le ministère de l'intérieur,
eut emporté le dossier par mégarde...
M. Nothomb.
- Ce n'est pas par mégarde.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Au moment de son départ, l'honorable M. Nothomb avait reçu de M. le directeur
de l'instruction publique un carton contenant la correspondance, et que M.
Nothomb, selon les expressions de sa lettre à M. Van de Weyer, eut le tort
d'emporter sans l'ouvrir. Plus tard, M. Van de Weyer, ayant reçu une lettre par
laquelle les évêques invoquaient une correspondance qui aurait existé entre eux
et son prédécesseur, et ne trouvant aucune trace de cette affaire dans les
archives du ministère, leur répondit, le 21 novembre 1845, en ces termes :
« La lecture de ces deux pièces m'a démontré qu'il doit avoir existé
entre MM. les évêques et l'ancien ministre de l'intérieur des relations
confidentielles, verbales décrites, auxquelles M. Nothomb du moins ne
paraissait pas vouloir reconnaître un caractère officiel.
« Il a, en effet, considéré cette correspondance de cabinet comme
lui appartenant personnellement et il n'en a laissé aucune trace dans les
archives du département.
« Je vois au contraire par les lettres des évêques que ceux-ci
auraient regardé toute cette correspondance comme officielle et comme parfaitement
ostensible.
« Jusqu’à ce que j'aie pu apprendre de M. Nothomb lui-même quel est le
caractère que le ministre a l'intention d'attribuer aux relations particulières
qu'il a eues avec les chefs des diocèses, je me crois obligé de m'abstenir de
vous demander de nouvelles copies des pièces de cette correspondance ; je
craindrais que mon prédécesseur ne trouvât ce procédé peu délicat, et d'un
autre côté, je ne voudrais pas vous exposer, M. l'évêque, à devoir me refuser
de plus complètes confidences. »
Un fait ressort donc de cette lettre de M. Van de Weyer, c'est qu'aux
yeux des évêques la correspondance était officielle et parfaitement ostensible.
Nous allons voir que M. Nothomb l'a considérée également comme officielle.
A la suite de cela, M. Van de Weyer écrivit à M. Nothomb, le 26 novembre
1845, la lettre dont je vais vous donner lecture.
(M. le ministre éprouvant dans ce moment une grande fatigue, ne peut
continuer et remet la pièce à son collègue M. Rogier.)
M. Nothomb.
- Il faut publier le tout ; cela vaut mieux.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Soit. Mais vous n'avez pas le droit de dire qu'il y a un abus à faire
connaître cette correspondance, tout prouve qu'elle est officielle. En effet,
porte-t-elle sur des faits personnels à quelques individus, sur des faits qu'on
ne peut publier par convenance pour des personnes ? Non ; elle ne porte que sur
des doctrines, sur des actes politiques, sur des actes qui sont du domaine de
la chambre, que la chambre a le droit et le devoir d'apprécier ! (Applaudissements dans les tribunes.)
M. le
président. - Je rappelle que tout signe d'approbation ou
d'improbation est interdit par le règlement.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, je pourrais me dispenser de faire connaître à la chambre par quelles
circonstances le dossier qui joue un si grand rôle en ce moment, a été remis à
mon collègue des travaux publics. Cependant comme on a trouvé étrange que cette
affaire fût portée à la connaissance de la chambre par mon collègue et non par
moi-même, je dirai en peu de mots comment cela est arrivé.
J'étais occupé à parcourir cette correspondance, dans laquelle je
trouvais déposés et les prétentions du haut clergé et les principes des
ministères qui m'avaient précédé, lorsque je reçus la visite de mon honorable
collègue. Je lui fis part de l'impression pénible que j'avais éprouvée en
parcourant cette correspondance, où je trouvais presque à chaque page des
traces manifestes de l'abandon des prérogatives du pouvoir civil.
Mon honorable collègue, qui s'est particulièrement occupé de questions
d'instruction publique dans le conseil communal de la ville de Liége, attacha
un intérêt tout particulier à cette correspondance où d'ailleurs diverses
affaires relatives à la ville de Liège avaient été traitées. Il m'en demanda la
communication, ce qui fut fait le soir même.
On trouve étrange, messieurs, que des faits relatifs à l'ensemble de
l'administration, que des faits caractéristiques de toute une politique, que
des faits qui ont rapport aux questions qui divisent tout le pays, aux
questions en vue desquelles les élections ont eu lieu, qui ont été l'origine du
renversement du gouvernement précédent et la cause de l'avènement du ministère
nouveau ; on trouve étrange que ces faits nous émeuvent et reçoivent dans cette
enceinte un commencement de publicité. On m'oppose la conduite que j'ai tenue
il y a deux jours en présence des exigences de ceux qui demandaient que je
livrasse à la publicité toute une correspondance personnelle, à l'occasion de
la destitution d'un fonctionnaire public.
Il n'y a pas. messieurs, la moindre analogie entre ces circonstances. Je
me suis refusé à prendre l'initiative de la publication officielle d'une
correspondance qui a eu lieu entre un gouverneur et moi à l'occasion de la
destitution, c'était dans la crainte de poser un fâcheux antécédent. Depuis
lors cette correspondance a été publiée par l'honorable M. d'Huart et on a pu
juger si c'était par un intérêt personnel que je me refusais à cette
publication.
Je n'avais, je puis le dire, l'administration à laquelle j'appartiens
n'avait qu'à gagner à la voir livrer au public. Maintenant que l'intéressé a
cru devoir prendre la voie des journaux pour livrer au public sa
correspondance, j’userai à mon tour du même droit, je la compléterai par des
pièces importantes. La publication de ces pièces comprendra deux rapports que j’ai
adressés au Roi et une lettre de M. d’Huart qui ne figure pas dans la
correspondance publiée par lui. Qu'il me suffise de dire que la lettre non
publiée était sinon un démenti, au moins une renonciation complète aux griefs
qui avaient été articulés dans les lettres précédentes.
On trouve inconvenant, aujourd'hui, que des pièces qui sont d'un intérêt
général et qui, par leur importance, sont évidemment du domaine public ; on
trouve fâcheux que de pareilles pièces soient produites dans cette enceinte.
Mais l'honorable M. Nothomb ne peut sérieusement se livrer à une
pareille critique, lui qui n'a pas cessé de publier sous toutes les formes tous
les actes de son administration. Si je parcours même le rapport triennal sur
l'instruction primaire, j'y trouve bon nombre de lettres, d'extraits de
correspondances avec le clergé même. Je sais fort bien que, parmi ces lettres,
il en est où l'on fait un grand éloge de l'administration de l'honorable M.
Nothomb. Mais enfin l'honorable ministre a jugé utile, pour éclairer le public
sur son administration, de publier ces documents.
S'il y a des doutes, messieurs, sur la portée des citations qui sont
faites, si l'on croit que l'on a dénaturé certains actes, que l'on a tronqué
certaines parties de la correspondance ; pour ma part, je le déclare, je ne
m'opposerais pas à ce que cette correspondance tout entière fût livrée à la
publicité. Une pièce essentielle, déjà, a été livrée au public. Un des évêques
n'a pas craint de saisir l'opinion publique d'une partie de cette correspondance.
C'est même de ce point qu'est parti l'honorable M. Nothomb pour s'occuper de
nouveau de cette affaire.
Pour moi, messieurs, je ne serais pas revenu sur cette affaire ; par
égard pour mes prédécesseurs, j'avais gardé le silence dans le premier débat.
Aujourd'hui il ne m'est plus possible de me taire. J'ai été provoqué à
parler.
Eh bien, je le dis, et je n'entends pas non plus attaquer les intentions
de l'honorable M. Nothomb, mais je n'ai pas reconnu dans la conduite qu'il a
tenue alors, je n'y ai pas reconnu la conduite d'un homme d'Etat disposé à
défendre, comme il le devait, les prérogatives qui lui étaient confiées.
J'ai, comme membre de l'opposition, reproché au gouvernement deux choses
à propos de la loi sur l'enseignement primaire. Je lui ai reproché de ne pas
avoir exécuté la loi dans toutes ses parties ou de l'avoir mal exécutée.
Ces reproches, j'en ai retrouvé le fondement et la justification dans la
correspondance dont nous nous occupons. J'ai reproché au gouvernement de ne pas
avoir organisé les cours normaux ; les cours normaux, en effet, n'ont pas été
organisés. Je ne savais pas pourquoi ; je l'ai appris :1e haut clergé ne
voulait pas qu'ils fussent organisés.
L'honorable M. Nothomb croit que, après avoir déposé le germe de
l'organisation dans un arrêté royal, cette organisation s'est, sans doute,
faite toute seule.
J'ai demandé qu'il voulût bien indiquer à quelle école primaire
supérieure des cours normaux se trouvaient en réalité attachés, dans quelles
localités des cours normaux existaient ; l'honorable membre a cité la commune
de Virton ; or, messieurs, voici un document officiel et imprimé ; c'est un
discours prononcé par M. Wurth, à la dernière session du conseil provincial du
Luxembourg.
« Au moment où je parle, le 12 juillet 1847, les cours normaux décrétés
le 3 août 1843, près de l'école de Virton, ne sont pas organisés et ne peuvent,
par conséquent, fournir un élève-instituteur ; ils ne le sont pas, malgré les
plus instantes démarches de la députation, de la commission et de la commune.
(page 314) « Cependant ceux du clergé le sont et le sont si bien, que
pour l'année 1845, l'établissement de Carlsbourg a reçu de l'Etat un subside de
3,000 francs, outre les fonds alloués par la province. »
Voilà, messieurs, ce qui se passait le 12 juillet 1847, à Virton, où
l'honorable M. Nothomb croit, à tort. que les cours normaux étaient organisés
depuis longtemps. Un pas a été fait depuis lors vers l'organisation, mais le 12
juillet 1847. aucune organisation n'existait. Quant aux autres villes où
l'honorable M. Nothomb prétend que les cours normaux ont été organisés, on n'y
est pas plus avancé.
Je me suis plaint aussi, comme membre de l'opposition, qu'une autre
partie de la loi fût restée sans exécution. J'ai parlé des concours entre les
élèves. Pour ces concours, il existe encore moins de traces d'organisation :
pourquoi ? Sans doute aussi parce que le haut clergé trouvait mauvais que le
gouvernement songeât à organiser les concours. Ce sont là des faits qui
résultent de la correspondance. Le haut clergé ne voulait pas que le
gouvernement organisât les concours. Il blâmait cette partie de la loi, comme
fort regrettable. Les concours sont donc demeurés à l'état de lettre morte dans
la loi : je m'en suis plaint dans l'opposition. J'ignorais alors pourquoi les
concours restaient sans exécution. Je l’ai connu depuis.,
M. Nothomb avait dit (et ceci est rappelé dans la correspondance), M.
Nothomb avait dit : « Beaucoup de choses ne sont pas écrites dans la loi, qui
se feront. » Il aurait dû dire aussi que beaucoup de choses étaient écrites
dans la loi, qui ne se feraient pas. Les cours normaux et les concours sont
choses écrites dans la loi et qui ne se sont pas faites ; je vais dire
maintenant des choses qui n'étaient pas écrites dans la loi et qui se sont
faites. Ce qui n'était pas écrit dans la loi de 1842, c'est que le clergé
aurait le droit d'agréer les instituteurs civils, c'est que le clergé
s'attribuerait et obtiendrait en fait le droit d'agréer les inspecteurs civils
de l'enseignement primaire. Voilà ce qui n'était pas écrit dans la loi, et
voilà ce qui s'est fait au profit du clergé. On lui a donné, en fait,
l'agréation des instituteurs civils ; on lui a donné, en fait, l'approbation de
la nomination des inspecteurs civils.
Et, messieurs, que fallait-il de plus au clergé ? L'évêque de Liége, qui
connaît parfaitement la question de l'instruction publique, qui est très
habile, très expérimenté dans ces matières, l'évêque de Liège l'a reconnu, le
texte de la loi en lui-même signifie peu ; c'est par l'exécution seule que l'on
peut apprécier et son esprit, et son mérite, et son utilité.
Eh bien, messieurs, comment a-t-on exécuté la loi ? On a exécuté la loi
selon le bon plaisir et selon les prescriptions du haut clergé.
Mais d'où vient donc, puisque le haut clergé obtenait du gouvernement à
peu près tout ce qu'il demandait, l'agréation des instituteurs, l'agréation des
inspecteurs, l'absence des cours normaux, l'absence des concours, d'où vient
qu'il ne s'est pas tenu pour satisfait, pourquoi est-il venu jeter un nuage au
milieu de ces relations si pacifiques qui s'entretenaient entre le ministère et
lui ?
Il y a à cela deux raisons : c'est d'abord qu'il est de la nature
humaine de ne pas savoir se renfermer dans de justes limites, de devenir
d'autant plus exigeant qu'on lui cède davantage ; en deuxième lieu, voici
peut-être le raisonnement qu'on se sera fait ; on se sera dit : « Les
ministères et les flots sont changeants ; nous obtenons aujourd'hui en fait
certains avantages ; mais qui sait si demain nous obtiendrons, sous d'autres
administrations, les mêmes facilités ? Tâchons de consacrer le fait, en le
faisant passer dans un règlement d'administration générale. »
El c'est ici que le conflit a commencé ; c'est ici, il faut le
reconnaître, que l'honorable M. Nothomb a résisté. Il a dit au clergé : « Je
vous accorde en fait ce que vous demandez ; j'accepte votre intervention pour
la nomination des inspecteurs et des instituteurs ; contentez-vous de cet
avantage ; ne me forcez pas de faire entrer toutes ces concessions dans un
règlement d'administration générale. Les évêques insistaient, menaçant le
ministre de s'adresser directement au Roi ; le ministre, je le déclare encore,
a résisté, et je l'en félicite.
J'ai parlé de nominations ; j'aurais pu parler de destitutions ;
j'aurais pu faire intervenir aussi l'action du clergé dans cette partie si
importante du service. Un fait a été signalé, d'où résulte la preuve évidente
que même pour les déplacements des instituteurs, on s'est également soumis aux
exigences du clergé.
Maintenant, messieurs, le clergé a-t-il eu tort en montrant de pareilles
exigences ? Le clergé, une partie au moins du clergé, agit dans la
préoccupation que ses droits, ses devoirs vont jusque-là, qu'à lui seul
appartient toute la direction intellectuelle, morale et religieuse de la
société : ses exigences sont les conséquences de ses préoccupations ; et on ne
s'en cache pas. M. l'évêque de Liège a pris, en quelque sorte les devants, en
publiant une partie de la correspondance avec le département de l'intérieur.
Je ne m'étonne pas de voir les évêques mettre en avant de pareilles
prétentions, je les conçois à leur point de vue ; je crois cependant que mieux
pénétrés de l'esprit du temps, ils finiront par se relâcher grandement de
l'exagération de ces prétentions ;
plusieurs déjà s'en sont relâchés.
Mais ce que je blâme et ce que j'ai toujours blâmé, ce serait l'espèce
d'abandon, que, de son côté, l'Etat ferait de ses droits, de ses obligations.
Le maintien des droits de l'Etat voilà, j'ose le dire, le système que nous
avons apporté au pouvoir et que nous saurons maintenir intact.
Cependant je dois le dire aussi, n'y a-t-il pas, pour les évêques, une
question de bonne foi ? Avait-on, lors de la discussion de la loi sur
l'enseignement primaire pris réellement à l'égard du clergé les engagements
qu'il rappelle ? Si ces engagements ont été pris, il fallait les tenir ; s'ils
n'ont pas été pris, je demande qu'on s'explique sur la réclamation suivante.
« Si la part des évêques (dans la nomination des instituteurs) n'est pas
écrite dans la loi, les évêques ne sont que plus en droit de l'attendre de la
loyauté du gouvernement, qui a réclamé leur concours et qui savait qu'il é
était à ce prix. »
Voilà la déclaration des évêques. Si le gouvernement avait pris un
pareil engagement à leur égard, au moment où la loi de l'enseignement primaire
a été discutée et votée, il y allait de son honneur de tenir son engagement. Il
eût été indigne du gouvernement de tromper, d'un côté la chambre, en se posant
devant elle comme parfaitement indépendant et de tromper, d'un autre côté, les
évêques, en se réservant de leur refuser la part qu'on leur aurait promise.
La chambre voudra bien me rendre cette justice, que je n'ai pas cherché
à entamer ces débats, que j'ai gardé aussi longtemps que j'ai pu un rôle
d'abstention.
Je désire beaucoup que ces débats ne revêtent pas un caractère
d'irritation.
Je crois qu'en ces sortes de matières surtout, nous devons tous, autant
que possible, rester dans les limites de la modération. Mais puisqu'on m'a
fourni une occasion d0e parler, je ne veux pas la laisser échapper, sans
déclarer que le cabinet se croit obligé de suivre une autre ligne de conduite
que celle qui a été suivie par d'honorables prédécesseurs, et que, sous ce
rapport, c'est à bon droit que nous avons, en entrant au pouvoir, annoncé que
nous apportions au pays une politique nouvelle.
L’honorable M. Nothomb m’a paru sous l’empire d’une crainte
exagérée ; il s’est renfermé dans un syllogisme qui, s’il était vrai,
conduirait directement à l’anéantissement de la liberté d’instruction en
Belgique, enlèverait aux mains du gouvernement le droit que lui a donné la
Constitution de diriger l'instruction publique donnée aux frais de l'Etat.
Voici le syllogisme dans lequel l'honorable M. Nothomb a eu le tort, selon moi,
de se renfermer ; il nous dit : « Pas d'instruction primaire sans religion ;
pas d’enseignement religieux sans ministre du culte, et du moment que le
ministre du culte refuse son concours religieux. pas d'enseignement primaire. »
(Interruption.)
Si je ne me trompe, c'est ainsi que l'honorable M. Nothomb a ouvert la
discussion. Eh bien, je l'accorde : pas d'enseignement primaire sans religion.
Pas d’enseignement de la religion sans ministre du culte ; c'est-à-dire que la
commune, que l'Etat ouvrira à deux battants les portes des écoles et dira au
ministre du culte : Venez enseigner la religion, je vous appelle avec
empressement ; je vous reçois avec reconnaissance. Mais lorsque le pouvoir
civil aura tenu cette conduite et ce langage vis-à-vis du clergé, si celui-ci
vient à faire défaut, si par son absence l'enseignement de la religion est
négligé dans l'établissement laïque, et qu'il ne se hâte pas d'y porter remède,
l'enseignement ne doit pas tomber, ne peut pas tomber pour cela ; et tôt ou
tard le clergé reconnaîtrait la faute immense qu'il aurait commise.
Voyez ce qui se passe déjà. Nous avons dans le pays un assez grand
nombre d'établissements où le clergé a refusé son concours. Les établissements
ont-ils été moins suivis ? ont-ils été désertés par les élèves ? Les parents
des élèves ont-ils été fortement alarmés en ne voyant plus paraître le clergé
dans l'établissement ? Non, messieurs, rien de cela n'a eu lieu, le nombre des
élèves d'année en d'année a été croisant. Toutefois l'autorité civile qui lient
à ce que l'enseignement religieux soit maintenu, a été le chercher là où il se
donne à tout le monde, où il ne peut pas se refuser. S'il le refusait,
viendrait une question qui a été touchée par l'honorable M. Le Hon, la question
du salaire du clergé.
La Constitution garantit au clergé son traitement, mais il ne le
garantit pas à toute condition ; il n'est pas écrit, par exemple, que s'il
refusait dans l'église le service religieux aux populations, le traitement
serait encore dû. Tant que l'église sera ouverte à tout le monde, qu'on ne
refusera pas l'entrée à des jeunes gens parce qu'ils fréquentent une
institution d'enseignement laïque, les établissements laïques n'auront rien à
craindre.
Je me livre à des hypothèses qui, j'espère, ne se réaliseront par ; j'ai
la conviction que le clergé, convaincu des intentions droites du ministère, ne
suscitera pas d'inutiles difficultés. J'espère parvenir à une bonne entente
avec le clergé, en lui laissant son indépendance et sa dignité, mais en
sauvegardant aussi toute la dignité et l'indépendance et les droits de l'Etat.
C'est le meilleur moyen d'arriver à la bonne harmonie, quand chacun fait
respecter son indépendance et sait défendre sa dignité, il s'établit une sorte
de confiance et de respect réciproques, qui font la force et la durée des
rapports.
Savez-vous quand il y a désunion et discorde entre les partis ? C'est
quand l'un veut dominer l'autre, quand l'un, par intérêt ou autrement, cherche
à tromper l'autre. Mais, quand de part et d'autre on s'explique franchement,
quand on est convaincu que celui à qui on a à faire connaît son droit, il est
disposé à le faire respecter, les occasions de discorde se présentent plus
rarement, on se respecte et on peut se comprendre. Voilà en quel sens j'entends
entretenir des relations avec le clergé.
Nous appellerons, nous accueillerons son concours
pour l'enseignement religieux. Que si par aveuglement ou tout autre motif, que
je n'ai pas à prévoir le concours était refusé aux établissements laïques, ces
(page 315) établissements
continueraient à exister. L'absence du clergé, je le reconnais avec M. Nothomb,
serait un mal ; mais ce mal, il faudrait en reporter la responsabilité sur
d'autres que sur nous.
M. Le
Hon. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, il a plu à l'honorable M. Nothomb de supposer que j'avais
cherché, dans les dossiers de sa correspondance avec les évêques, des passages
qui étaient de nature à lui nuire ou à le compromettre, et il a appelé cela un
procédé assez peu loyal.
M. Nothomb.
- Je ne me suis pas servi de cette expression ; c'était à peu près un terme
équivalent.
M. Le
Hon. - Je dirai à l'honorable membre que sa supposition
n'est ni juste ni bienséante, parce que quand on vient renouveler la discussion
d'un intérêt politique aussi grave, on doit s'attendre à une réponse plus
précise et plus directe.
La première discussion avait eu lieu en l'absence de l'honorable membre,
il fallait avoir trois fois raison pour venir protester, après nos premiers
débats, contre la notoriété publique qui accuse les tendances d'une
administration de six années. J'ai été l'organe d'une conviction qui était
fondée sur quelques faits graves à ma connaissance particulière et sur des
faits généraux à la connaissance de tout le monde.
Je me suis vu forcé de rentrer dans le débat parce qu'il ne me convenait
pas de voir des assertions que je crois fondées en fait, repoussées par des
considérations générales sur la déférence que l'honorable membre aurait eue
pour le clergé. J'ai pris (et j'ai déclaré que je subissais une nécessité
pénible), j'ai pris dans la correspondance que j'ai eue pendant très peu de
temps entre les mains, quelques passages qui m'avaient frappé et qui n'ont pas
fait ici une impression moins vive. Je pouvais en extraire d'autres encore. Je
ne l'ai pas voulu.
Si la correspondance est déposée sur le bureau,
tous les membres de la chambre pourront juger et les pièces originales et mes
extraits.
Ceux que j'ai produits me suffisent. Il en est résulté qu'il y avait un
ensemble de faits qui excluent une déférence digne, momentanée, et purement
accidentelle.
Je n'ai pas le droit de rouvrir la discussion, puisque je n'ai la parole
que pour un fait personnel, mais je proteste contre toutes les suppositions que
pourrait renouveler l'honorable M. Nothomb ; je crois pouvoir lui en dénier le
droit.
M. Nothomb
(pour un fait personnel). - Je n'ai pas accusé l'honorable membre de déloyauté,
j'ai seulement dit que c'était un procédé nouveau. Je ne pense pas que ce soit
contestable, car jusqu'à présent cela ne s'était pas fait. J'ai cité deux
phrases que l'honorable membre avait omises et qui sont extrêmement importantes
pour moi puisqu'elles détruisent une double accusation.
L'honorable ministre de l'intérieur a lu le passage de la lettre de
l'évêque de Liège où ce prélat invoque l'engagement qui aurait été pris
d'assurer au clergé une part dans toutes les nominations, de lui assurer des
garanties indirectes.
On demande si en effet cet engagement a été pris. Je réponds à cela,
négativement. L'évêque fait allusion à la discussion qui a eu lieu à la chambre
où j'ai dit à plusieurs reprises que le clergé trouverait dans la loi des
garanties indirectes. J'ai dit que l'intervention du clergé, à titre
d'obligation, que demandait l'évêque de Liège, était abandonnée, condamnée par
la loi. Je suppose que l'évêque donne aux paroles prononcées dans cette chambre
et qu'on peut vérifier dans le Moniteur, une portée qu'elles n'avaient pas.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Vous
saviez que le concours du clergé était à ce prix.
M. Nothomb.
- Je déclare que je n'ai jamais pris d'autres engagements que ceux qui sont
consignés dans la longue discussion insérée au Moniteur. Si l'on peut me
produire un passage où j'ai pris cet engagement, qu'on la fasse.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Voici un
passage de la lettre épiscopale : « Si cette part (dans la nomination des
instituteurs) n'est pas écrite dans la loi, les évêques ne sont que plus en
droit de l'attendre de la loyauté du gouvernement qui a réclamé leur concours
et qui savait que c’était à ce prix. »
M. Nothomb.
- Les évêques se sont réunis peu avant la discussion du projet de loi. Leur
réclamation, relative à une part directe dans les nominations, a été faite. On
n'en a pas tenu compte. On n'a répondu que par l'institution du double
inspectorat. Les évêques avaient des garanties suffisantes. Voilà ce qui a été
répondu verbalement. Cette déclaration verbale a été confirmée à plusieurs
reprises par moi dans le cours de la discussion.
Il m'est impossible, n'ayant la parole que pour un fait personnel, de
répondre aux observations de M. le ministre de l'intérieur ; mais je dois en
conclure qu'à l'avenir les communications officieuses entre les inspecteurs
seront changées et que notamment la dernière partie de la circulaire de M. Van
de Weyer du 10 février 1846 sera révoquée. M. le ministre de l'intérieur ne
voudra pas se contenter à mon égard d'un désaveu par des paroles, il y aura
désaveu par des actes. Je dois en conclure que dans aucun cas, sans aucune
exception, on ne consultera plus même officieusement le clergé sur les
nominations à faire.
Du reste, je ne crois pas, je le répète, avoir le droit de rentrer dans
la discussion générale.
Puisque M. le ministre de l'intérieur a déposé les pièces sur le bureau,
je lui demanderai s'il ne verrait pas d'inconvénient à ce qu'elles fussent
imprimées. Je préférerais que tout fût imprimé, depuis la lettre du 25 avril
1844 jusqu'à la lettre du 10 février 1846. C'est tout le dossier. Si l'on y
consent, j'accepterais volontiers qu'on imprimât tout le dossier.
M. le
président. - La chambre statuera sur cette proposition à
l'ouverture de la séance de demain.
- La séance est levée à 5 heures.