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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 3 décembre 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant le budget de la dette publique pour 1848. Discussion générale.
Equilibre général entre recettes et dépenses, recours excessif à la dette
flottante (Veydt, Delfosse, Cogels, Delfosse, Cogels, Delfosse, Cogels, (+droit de succession, monopole des assurances par
l’Etat) Rogier, (+monopole des assurances par l’Etat) Malou, (+droit de succession) de
Corswarem)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 181) M. Troye
procède à l'appel nominal à 1 heure et demie.
La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer
donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est
approuvée.
M. Troye
fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Antoine Gulckens, traducteur juré du tribunal et du parquet
du procureur du roi, à Liège, né à Maestricht, demande la naturalisation
ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
_______________
« Les membres du conseil communal
de Grand-Leez demandent que l'un des nouveaux notariats, que le projet de loi
sur cette matière accorde au canton de Gembloux, soit établi à Grand-Leez. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le
notariat.
_______________
« Le sieur Fontaine réclame
l'intervention de la chambre pour que sa belle-mère, la dame Vandermaesen,
obtienne le payement des retenues opérées sur sa pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_______________
« La dame Chauliac, veuve de
Plunkett, prie la chambre de statuer sur sa demande, tendant à ce que les
services militaires de son mari en qualité d'officier autrichien lui soient
comptés dans la liquidation de sa pension. »
- Même renvoi.
_______________
« L'administration communale de
Marckeghem prie la chambre d'allouer au budget du département de l'intérieur un
crédit destiné à couvrir les déficits des communes dont les ressources sont
épuisées par suite de circonstances extraordinaires.
« Même demande de l'administration communale de Denterghem. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de crédit
de 500,000 fr. en faveur des Flandres.
_______________
« Plusieurs habitants de
Waesmunster demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un
impôt de consommation sur les boissons distillées. »
- Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens.
_______________
« Plusieurs habitants de
Bergilers demandent que l'arrêté royal du 6 mai 1845, relatif au rétablissement
de la fondation Surlet soit rapporté et que les biens de cette fondation soient
remis au bureau de bienfaisance. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_______________
Lettre de M. Petrement accompagnant l'envoi de plusieurs exemplaires de
sa brochure intitulée : « Du système actuel du travail, ou de l'inégalité des
forces ».
Lettre de M. le directeur du Musée de l'industrie accompagnant l'envoi
de deux exemplaires de la 3ème livraison de 1847 du bulletin du Musée.
- Dépôt à la bibliothèque.
_______________
Lettre de M. de Villegas annonçant qu'une indisposition l'empêche
d'assister aux séances de la chambre.
- Pris pour information.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE LA DETTE
PUBLIQUE POUR 1848
Discussion générale
M. le
ministre des finances (M. Veydt). -
Messieurs, la discussion à laquelle la chambre assiste depuis deux jours, a
pris de larges proportions. Je crois que nous devons tous nous en applaudir. Le
débat a déjà produit plusieurs résultats utiles.
L'honorable ministre des travaux publics a, dans son discours d'hier,
insisté sur ce point que le ministère, en exposant quelle était la situation
financière du pays, à son entrée aux affaires, n'était mû par aucun esprit de
récrimination, par aucun désir de faire peser sur le ministère précédent la
situation telle qu'il l'a trouvée. J'avais, dans le discours que j'ai prononcé,
indiqué les mêmes intentions. J'avais eu soin de dire qu'une grande partie des
ressources extraordinaires que j'énumérais avait servi à faire des travaux qui
augmentent la richesse nationale pour le présent et pour l'avenir.
L'honorable M. Malou s'est plu à en faire une énumération longue et
complète, car elle tient une large place dans le discours que nous avons écouté
hier..
Si je n'avais eu pour but de me renfermer dans une question de chiffres,
je me serais également livré à des développements ou du moins à une
récapitulation telle qu'on la trouve à la fin de l'aperçu financier de M.
Hubert qui conclut, qu'en admettant même que des fautes aient été commises,
qu'il y ait eu quelques prodigalités, il y a pour le pays une ample
compensation dans les ressources provenant des travaux d'utilité publique de
tout genre, qui placent la Belgique dans une position digne d'envie, sous
beaucoup de rapports.
Comme je le disais, je n'étais préoccupé que d'un seul point, de la
démonstration que le ministère actuel ne rencontre plus les mêmes ressources
dont ses prédécesseurs ont usé, qu'il ne peut pas en espérer de pareilles, car
la source en est tarie, et que, par conséquent, il sera obligé de recourir à
d'autres moyens, à l'emprunt temporaire ou définitif, pour faire face à de
nouvelles dépenses en travaux d'utilité publique, qu'il nous reste à exécuter.
Un autre résultat à constater de la discussion à laquelle nous
assistons, c'est que sur plusieurs points nous nous sommes rapprochés
l'honorable M. Malou et nous. En effet, il disait dans un passage de son
discours d'hier que, pendant son ministère, il avait également songé à la
nécessité d'accroître les ressources du trésor. Cette préoccupation a été celle
de bien des ministres ; mais les actes n'ont pas toujours suivi les paroles.
Qu'il me soit permis de me livrer aussi à une revue rétrospective à ce sujet.
Voici ce qu'on lit dans quelques-uns des discours prononcés par les
ministres des finances, en présentant les budgets.
Ce sont d'excellentes maximes, de fort bons principes, dont nous n'avons
qu'à poursuivre la réalisation.
Ainsi, en présentant le budget de l'exercice 1839, l'honorable baron
d'Huart disait :
« L'ordre dans les finances de l'Etat est une nécessité de l'époque où
nous vivons : un gouvernement qui, aujourd'hui, ne satisferait pas à cette
condition, porterait avec lui le germe de son affaiblissement. »
Lorsque l'honorable M. Smits proposa le budget des voies et moyens de
1843, il s'exprima en ces termes :
« La législature comprendra avec le gouvernement la nécessité
d'améliorer nos ressources financières, en présence des besoins toujours
nouveaux qui dérivent des progrès de la civilisation et de la protection que
réclament l'agriculture, le commerce, l'industrie, les sciences et les arts. »
L'année suivante l'honorable M. Mercier disait :
« Chaque année amène de nouveaux besoins, et si certaines exigences
disparaissent, d'autres viennent inévitablement les remplacer. »
En présentant le budget de 1845, le même ministre reconnaissait :
« Qu'il était prudent de considérer la situation financière comme ne
présentant que l'équilibre rigoureux entre les revenus ordinaires et les dépenses.
»
Comment parlait, à son tour, l'honorable M. Malou, en présentant son
premier budget (1846) ?
« Sans doute, en envisageant les intérêts essentiels du pays, en tenant
compte des éventualités que le temps peut amener, ce n'est pas assez d'avoir
obtenu et de conserver un rigoureux équilibre entre les recettes et les
dépenses. Depuis plusieurs années, l'on s'est maintes fois préoccupé de la
nécessité de créer une réserve pour parer aux crises qui peuvent tarir ou
rendre moins abondantes certaines sources de revenu public, en même temps
qu'elles exigent des dépenses plus fortes. Puissent les chambres et le
gouvernement réaliser cette idée si grande et si utile pour l'avenir de la
Belgique ! »
C'était un vœu que l'honorable M. Malou émettait, et il était au point
de le réaliser, après deux années de méditation, lorsqu'il a déposé la charge
de ministre.
La sollicitude pour l'amélioration de notre situation financière, n'a
pas fait défaut aux sections centrales qui ont eu à examiner les budgets des
voies et moyens.
Je citerai notamment les paroles de l'honorable M. de Man, en présentant
le rapport du budget de 1846. Les voici : « Le devoir de l'administration est
d'assurer la clôture des exercices par des excédants de recettes, suffisant,
pour réduire au moins l'émission des bons du trésor qui représentent le
découvert, et de rendre à la dette flottante le caractère de sa loi primitive,
oui n'était autre que de permettre la disposition immédiate des rentrées
arriérées du trésor pour assurer la marche du service.
L'année suivante, le même membre disait au nom de la section centrale :
« Elle forme des vœux pour que le gouvernement ne présente, à l'avenir, que des
budgets de dépenses et de recettes équilibrées de manière à offrir un excédant
de ressources de deux à trois millions, destinés à faire face à l'imprévu,
c'est-à-dire aux crédits supplémentaires et aux dépenses dont la nécessité se
révèle pendant le cours de l'exercice. »
Que disait le rapporteur de la commission du sénat (budget des voies et
moyens de 1846) :
« Les 14,500,000 fr.de bons du trésor sont un nouvel emprunt. Dans des
circonstances ordinaires, il vaudrait mieux songer à quelques mesures
financières, pour équilibrer d'une manière assurée les dépenses et les
ressources. » Et parmi les recettes auxquelles on pourrait songer, les droits
de succession étaient compris, soit dit en passant.
Que s'est-il passé le 12 août 1847 lorsque le ministère est arrivé aux
affaires ? Il a annoncé dans son programme que la situation financière du (page 182) pays appellerait
tout d'abord son attention, et qu'il était résolu à assurer et à maintenir
l'équilibre dans les budgets.
Il était dès lors de notre devoir de mettre nos actes en harmonie avec
les paroles que nous avions prononcées, avec les principes que nous avions
nous-mêmes approuvés avant de faire partie d'aucun ministère. Je crois,
messieurs, que ces engagements expliquent suffisamment la position que nous
avions prise.
Après ces considérations générales qui justifient ce que nous avons
fait, s'il était nécessaire de le justifier, nous allons entrer dans quelques
points de détails relatifs à des chiffres. Je m'attacherai à suivre le même
ordre que l'honorable M. Malou.
Il vous a d'abord parlé des recettes et dépenses ordinaires des budgets
depuis 1830. L'honorable membre m'a souvent mis en cause ; il s'est appuyé de
ce qu'il a appelé mes aveux. Les chiffres que j'ai donnés dans la situation
financière sont les chiffres officiels de la trésorerie. Il est impossible d'y
rien changer ; ; mon intention n'a jamais été d'y rien changer, et tous les
ministres suivront probablement la même marche. Si ces chiffres étaient
contestés, je crois pouvoir assurer que la trésorerie ne manquerait pas d'en
établir l'exactitude.
(page 193) Il en sera
probablement encore de même des chiffres mentionnés dans les comptes soumis, en
ce moment, à la chambre et qui ont déjà subi l'examen de la cour des comptes.
De tous les exercices
à partir e 1830 jusqu'à la fin de 1847, voici, en quelques mots, la situation.
D'abord sur les exercices en cours d'exécution, celui de 1845 présente un boni
de 900,000 fr. ; l'exercice de 1846 une insuffisance de 2 millions, et celui de
1847, également une légère insuffisance ; elle est de 172,000 fr. En
établissant la compensation de ces résultats, il y a un déficit de 1,300,000
fr. sur les trois exercices.
Les exercices clos et
arrêtés définitivement de 1830 à 1840 soldent aussi par un passif dont le
chiffre est de 6,489,000 fr.
Les recettes et
dépenses de 1841 et 1842, dont le compte est soumis en ce moment à la
législature, présente un déficit plus considérable, car il s'élève à 15,299,000
fr.
En réunissant tous
ces chiffres nous arrivons à un total de 21,788,000 fr.
Mais alors viennent les
exercices de 1843 et 1844. Le premier, qui est en ce moment soumis à la cour
des comptes, présente un boni très considérable (19,147,000 fr.). C'est dans
cet exercice que figurent les fonds que nous a procurés notre liquidation avec
les Pays-Bas. L'exercice de 1844 offre également un boni. En les réunissant, on
arrive à un solde actif de 23,357,000 fr. Il ne reste, messieurs, qu'une
dernière opération à faire.
Etablissons la
compensation des chiffres et nous avons sur tous les exercices, clos, antérieurs
au 1er janvier 1845,un solde actif de 1,944,000 fr. dont il faut déduire le
passif de 1,300,000 fr. des exercices en cours d'exécution ; nous arrivons
ainsi au chiffre, cité par l'honorable M. Malou, de 643,694, solde actif.
Telle était la
situation connue au 1er septembre 1847.
Mais, messieurs, il
faut mettre en regard de ce boni les chiffres que j'ai indiqués dans l'exposé
qui précède le budget, modifié, des voies et moyens pour 1848. Je demande à la
chambre de me permettre de donner quelques explications à ce sujet. J'aborde,
en premier lieu, le crédit supplémentaire qui concerne le département des
finances, de 1,558,962 fr.
Quelle est sa
décomposition ? La provision due au caissier général n'a pas été ordonnancée par
la cour des comptes pour les années 1841, 1842, 1843, 1844. Les allocations
portées, de ce chef, aux budgets de ces exercices s'élèvent ensemble à 910,000
fr., montant des annulations.
Mais la somme due au
caissier pour ces quatre termes et qui est, en chiffre exact, de 1,029,000 a
été comprise par lui dans ses comptes annuels, et il s'agit de la régulariser
dans la comptabilité de l'Etat.
Il y a ensuite une
somme de 285,254 fr. non régularisée et provenant de la perle sur la refonte
des monnaies provinciales ou du pays, retirées de la circulation. Ceci concerne
l'exercice de 1840, qui avait, de ce chef, un crédit de 125,000 fr. presque
entièrement resté sans emploi.
Ces deux sommes
réunies forment à peu près la totalité du crédit supplémentaire. Le surplus se
répartit entre un assez grand nombre d'articles, dont j'ai donné le détail
complet à la section centrale chargée de l'examen du budget des voies et
moyens. Voilà pour le département des finances.
Le crédit
supplémentaire qui le concerne est le seul qui se compose, pour la très grande
partie, de régularisations. Quant aux autres crédits supplémentaires, qui se
trouvent compris dans le chiffre de 5,680,967, déjà plusieurs en sont
parfaitement connus de la chambre. Ainsi, le crédit de 1,319,360 fr. concernant
le département de la justice, a été approuvé sans modification par la section
centrale à l'examen de laquelle il a été envoyé ; le projet de loi est à notre
ordre du jour, et il est probable que la chambre le votera tel qu'il a été
présenté.
J'ai également
présenté un crédit supplémentaire de 160,072 francs pour le service du
ministère des affaires étrangères, et un crédit de 10,000 fr. pour la marine.
Les exposés de motifs à l'appui de ces deux projets de loi en donnent les
détails.
Pour l'arriéré du
département de l'intérieur porté à la. somme de 649,529 francs, je ne suis pas
encore à même de fournir toutes les explications ; mais la chambre sait que
nous y avons compris les 500,000 francs pour supplément de crédit, exercice
1847, en faveur des Flandres.
Je ne m'arrêterai
pas, messieurs, au crédit supplémentaire de 30,744 fr. demandé pour le
département de la guerre ; car vous en avez déjà connaissance par le projet de
loi qui vous a été présenté. Quant au crédit destiné à couvrir l'insuffisance
de l'allocation de 1847 pour le service de la dette flottante, fr. 650,000, il
convient d'attendre que l'année soit écoulée afin d'avoir un chiffre exact ;
mais la somme prévue sera nécessaire.
L'honorable
rapporteur du budget qui est en discussion a fait connaître dans son rapport
les causes pour lesquelles l'allocation sera insuffisante. Elles sont
exceptionnelles pour l'exercice de 1847.
Il nous reste,
messieurs, l'arriéré du département des travaux publics. Les renseignements ne
sont pas tous complets ; mais dans l’un des discours que M. le ministre des
travaux publics a prononcés, il a fait connaître que le chiffre de 1,302,500
fr. comprenait un million de supplément pour les dépenses du chemin de fer en
1847.
Telles sont,
messieurs, les explications qu'il m'a paru utile de donner pour la
justification du chiffre de 5,680,967, annoncé pour les crédits supplémentaires
qui nous sont connus jusqu'à présent, et qui seront très probablement votés par
la législature.
La conséquence de ce
vote sera de changer le boni de 643,694 fr. en un déficit de 5 millions, soit
en chiffre exact- 5,037,273 fr. (Interruption.)
Les économies des
exercices ? me demande l'honorable M. de La Coste. Je réponds : Ces économies
figurent dans l'actif des exercices en cours d'exécution. Elles y sont portées
pour une moyenne de 2,500,000 francs pour chaque exercice. Suivant des calculs
de probabilité faits par la trésorerie et basés sur l'expérience, cette moyenne
ne serait pas trop forte.
Messieurs, la
situation du trésor constate, pour les crédits affectés aux dépenses
extraordinaires votées pendant les années 1845 à 1847, 23,500,960 fr. Il faut y
ajouter une somme de 2,360,000 fr. pour des bons du trésor portés en recette en
1842 et 1844, soit ensemble (émission de bons du trésor) 25,860,960 fr. Si de
cette somme je déduis celle de dix millions provenant de la conversion en dette
consolidée, faite en 1844, il me reste 15,860,960 fr. Dans la situation du
trésor, ce chiffre est réduit à 15,217,265 francs, parce que l'on a opéré une
autre réduction, celle de 643,694 fr. pour le solde actif des exercices
antérieurs à 1848 ; mais, par les explications qui précèdent, les choses
changent de telle manière qu'au lieu d'une réduction c'est une addition au
passif qu'il faut faire. Le chiffre de 15,860,960 doit être grossi de
5,057,273, ce qui présente alors un déficit de 20,898,233, à la date du 1er
janvier prochain.
Telle est, suivant
moi, la situation, aussi exacte qu'il est possible de l'établir en ce moment.
A présent, examinons
quelle est la somme que nous pouvons déduire de ces 20 millions ? Si nous
voulons déduire l'encaisse, vous savez quelles en seront les conséquences. Nous
avons été d'accord, hier, que le chiffre de la dette flottante décroîtra.
M. Malou. - C'est donc une
valeur réelle.
M. le ministre
des finances (M. Veydt). - A l'administration
des finances on a toujours raisonné dans cette hypothèse, que s'il était fait
emploi de cette somme on en appliquerait le produit à la réduction de la dette
flottante. J'ai continué à indiquer cette opération (page XIII de
l'introduction à la situation du trésor), comme l'avait fait mon honorable
prédécesseur.
Si elle s'effectuait,
vous auriez, d'autre part, une dette fondée plus forte dans la circulation.
Les sommes réservées
dans la caisse de l'Etat, dont il est également parlé à la page XIII, et qui
proviennent de la dotation de l'amortissement des emprunts à 5 p. c, ne
fournissent qu'une facilité momentanée, qui permet de réduire le montant de
l'émission des bons du trésor ; mais comme elles ont un emploi déterminé, elles
ne peuvent être portées comme une valeur en déduction du déficit.
Je ne connais qu'une
seule valeur qui puisse réellement, incontestablement produire ce résultat, lorsque
toutefois elle nous sera acquise. C'est l'excédant du fonds attribué à la
Belgique, à forfait, pour achever la liquidation des anciennes créances. Elle
n'est engagée nulle part ; les intérêts en sont portés au budget de la dette
publique. Ils cesseront de l'être, lorsque la liquidation sera entièrement
terminée, pour toute la partie du capital qui deviendra alors la propriété de
l'Etat.
Je dirai peu de mots
de l'autorisation demandée pour l'émission de bons du trésor à concurrence de
25,000,000 de fr.
L'honorable M. Malou
la portait, en avril dernier, à 21,000,000 de francs.
La situation du
trésor la fixe à 22,935,366, et depuis je suis arrivé à 25,000,000 de fr. à
cause des crédits supplémentaires. En réalité, il faudrait 28,616,555 fr., mais
l'on sait, par expérience, que la circulation peut rester en dessous du chiffre
total.
Je termine ici,
messieurs. Dans les explications que j'ai présentées avant-hier, j'ai eu pour
but de faire connaître que le ministère n'aura pas, comme ses prédécesseurs,
des ressources que j'ai évaluées à 35,000,010 de fr. pour les appliquer aux
dépenses qui seront décrétées. Aujourd'hui, je me suis efforcé à mettre en
lumière quelques points principaux, relatifs au compte rendu de la situation
financière. Vous avez toutes les pièces sous les yeux. C'est à vous à juger,
messieurs, comment les choses se présentent réellement. Tout ce que j'ai dit se
rapporte au passé. Mon honorable collègue, M. le ministre
des travaux publics, vous a énuméré les dépenses qui concernent le présent, ce
sont les crédits qu'il a appelés complémentaires, et les dépenses de l'avenir
pour les travaux d'utilité publique, sur lesquels la législature sera appelée à
statuer. Dans cette énumération il n'a pas compris les sommes qui seront
réparties probablement sur plusieurs exercices et qui doivent avoir
spécialement pour objet de porter remède aux souffrances des districts liniers
des Flandres et même, dans d'autres provinces, pour les districts ou la même
cause a produit les mêmes effets. C'est une dette que le pays acquittera et qui
vient accroître les charges qui ont été énumérées.
(page 182) M. Delfosse.
- Messieurs, si l'ancienne politique s'était montrée aussi morale, aussi
franche dans ses actes qu'elle se montre habile dans ses discours, lorsqu'elle
a l'honorable M. Malou pour organe, il est très probable qu'elle n'aurait pas
été condamnée par le pays, et qu'elle serait encore, à l'heure qu'il est, en
possession du pouvoir.
Il a fallu, messieurs, des fautes bien graves pour qu'un parti si
puissant par son organisation, disposant en outre de toutes les influences du
pouvoir, dont il ne se faisait pas faute d'user, ait succombé dans les luttes
électorales.
La discussion de l'adresse a fait ressortir la gravité de ces fautes
dans l'ordre politique et dans l'ordre administratif. Feindre un attachement
sincère aux principes consacrés par la Constitution, alors qu'on s'attachait
dans la pratique à en fausser l'esprit, à en neutraliser les conséquences ;
promettre de l'impartialité dans la distribution des emplois alors qu'on
choisissait presque toujours les hommes, capables ou non, honnêtes ou non, qui
consentaient à devenir les instruments serviles du pouvoir ; plier trop souvent
sous les exigences de l'épiscopat : telles ont été les fautes de la politique
qui a succombé.
Ces fautes on les a niées ; on les niera encore ! Mais qu'importe ? Le
pays est suffisamment éclairé ; il nous a tous vus à l'œuvre. En niant des
faits dont il a été, chaque jour témoin, qui sont de notoriété publique, on se
donne un tort de plus, on descend encore d'un degré plus bas dans son estime.
Battue sur ce terrain, l'ancienne politique cherche à se relever sur la
question financière. A l'entendre, à entendre l'honorable M. Malou, elle
aurait, en quittant le pouvoir, laissé nos finances dans un état satisfaisant
et même prospère.
Je ne puis, messieurs, m'associer aux éloges que l'ancienne politique se
décerne sur ce point comme sur beaucoup d'autres. Non ! elle n'a pas, en se
retirant du pouvoir, laissé nos finances dans un état prospère, ni même
satisfaisant.
Lorsque j'entends l'honorable M. Malou parler de nos finances, il me
semble lire un conte des Mille et une nuits. L'honorable M. Malou est une
espèce de magicien dont la parole crée des millions comme par enchantement.
Mais lorsqu'on approche pour saisir ces millions, on voit qu'ils sont
imaginaires.
L'honorable M. Malou nous a parlé (ce n'est pas la première fois ; il en
a parlé souvent) d'une valeur de 13 millions qui serait à la disposition du trésor.
Il y a longtemps, messieurs, que cette valeur n'a plus qu'une existence
nominale. Elle a été absorbée le jour où l'on a fait figurer an budget des
voies et moyens les 530,000 fr. d'intérêts qu'elle produit annuellement. A
partir de ce jour, l'Etat s'est trouvé à la fois créancier et débiteur de cette
valeur ; c'est vous dire assez qu'elle a été annulée par le fait.
On pourrait sans doute remettre en circulation les titres 4 p. c. dont
l’Etat est en possession. C'est dans ce sens que M. le ministre des finances en
a parlé dans l'exposé de la situation du trésor. Mais alors on devrait faire
disparaître les 530,000 fr. du budget des voies et moyens.
Si, au lieu de remettre ces titres en circulation, on contractait un
nouvel emprunt d'une somme équivalente, nous arriverions absolument au même
résultat.
Le seul avantage que le trésor retirerait de la première mesure serait
d'économiser les frais de création de titres, avantage insignifiant qui serait
plus que compensé par la difficulté qu'il y a de placer un fonds 4 p. c. Il
paraît, messieurs, que les fonds 4 p. c. ne sont pas accueillis à la bourse,
avec autant de faveur que les fonds d'une autre nature.
M.
de Corswarem. - C'est tout le contraire.
M.
Delfosse. - L'honorable membre dit que c'est le contraire
; son opinion est probablement fondée sur ce que le 4 p. c. est actuellement à
un taux assez élevé, comparativement aux autres emprunts ; mais cela provient
de ce que cet emprunt n'est que de 30 millions, de ce que 5 millions à peu près
ont été amortis, et de ce que 13 millions se trouvent dans les caisses de
l'Etat ; il en reste donc fort peu dans le commerce.
Si l'on se décidait à remettre ces 13 millions en circulation, il
faudrait s'attendre à une baisse immédiate et considérable.
Vous voyez messieurs, que les ressources, tant prônées par l'honorable
M. Malou, se réduisent à fort peu de chose ; l'honorable membre a en quelque
sorte fini par en convenir. Vous voyez que M. le ministre des travaux publics a
eu raison de les qualifier de chiffons.
M. Malou.
- Je n'en suis pas convenu.
M.
Delfosse. - Vous savez aussi bien que moi, que ce n'est
qu'une valeur nominale.
M. Malou.
- Elle disparaîtra de la dette flottante.
M.
Delfosse. - Cette valeur équivaut à la possibilité de
contracter un emprunt ; rien de plus.
Messieurs, l'exposé de la situation du trésor au 1er septembre 1847, que
M. le ministre des finances a fait distribuer, a causé une grande joie à
l'honorable M. Malou. L'honorable membre, s'emparant d'un passage isolé de
cette pièce, s'est écrié d'un air triomphant « Habemus confitentem
reum » : M. le ministre des finances est en aveu de l'état
satisfaisant de notre situation financière !
Il résulte de ce passage que la situation des exercices 1830 à 1847
inclus présenterait un solde actif de 643,000 et quelques francs ; et qu'en
tenant compte des crédits extraordinaires auxquels on doit faire face par des
émissions de bons du trésor, le découvert signalé par M le ministre des
finances dans son exposé ne différerait guère de celui qui a été indiqué au
mois de juillet par l'honorable M. Malou.
D'après l'exposé de M. le ministre des finances, le découvert serait
d'environ 23 millions, dont il faudrait déduire les 13 millions de valeurs, si
elles étaient remises en circulation. D'après l'honorable M. Malou, le
découvert serait d'environ 22 millions. Cette différence d'un million n'est pas
très importante, et elle s'explique par la circonstance que M. le ministre des
finances a présenté son exposé quatre mois après que l'honorable M. Malou avait
publié le sien. Des faits nouveaux se sont produits dans l'intervalle.
Mais, messieurs, M. le ministre des finances l'a fait observer tantôt,
cet accord entre lui et l'honorable M. Malou n'est qu'apparent. M. le ministre
des finances avait parlé, dans l'exposé des motifs du budget des voies et
moyens d'une somme de 5,680,000 fr. de crédits supplémentaires qui doivent nous
être demandés pour des dépenses faites sur les exercices en cours d'exécution.
M. le ministre des finances, qu'il me permette de le lui dire, n'aurait pas dû
se borner à faire figurer cette somme dans l'exposé des motifs du budget des
voies et moyens ; il aurait dû la faire figurer également dans l'exposé de la
situation du trésor. Il aurait dû la comprendre dans le passif des exercices
1845, 1846 et 1847, puisqu'il portait à l'actif de ces exercices les économies
probables et l'excédant des recouvrements sur les prévisions.
Si M. le ministre des finances avait suivi cette marche toute naturelle,
l'honorable M. Malou aurait éprouvé un peu moins de satisfaction, il aurait vu
que les exercices 1830 à 1847 inclus présentent, comme M. le ministre des
finances vient de le dire, un solde passif d'environ 5 millions, au lieu d'un
boni de 643,000 francs.
Je dois, messieurs., signaler ici une erreur dans laquelle l'honorable
M. Malou est tombé. L'honorable M. Malou a dit : Mais si l'on doit demander des
crédits supplémentaires, il y aura, d'un autre côté, des allocations qui ne
seront pas dépensées ou qui ne seront dépensées qu'en partie. Il y aura, en un
mot, des économies au moyen desquelles on fera face aux crédits supplémentaires.
L'honorable M. Malou n'a pas remarqué ou il a oublié qu'on a, comme M. le
ministre des finances vient de le dire, qu'on a, dans l'exposé, porté à l'actif
des exercices en cours d'exécution, et les économies probables et les excédants
des recouvrements sur les prévisions.
Le découvert du trésor est donc, en réalité, d'environ 29 millions ; il
doit même être porté à 35 millions, par suite des explications que M. le
ministre des travaux publics a données dans une séance précédente, et à raison
de faits qui sont imputables à l'ancienne politique.
L'honorable M. Malou n'a tenu aucun compte, dans son travail du mois de
juillet, de ces crédits supplémentaires et complémentaires, dont la plupart
devaient cependant lui être connus.
Il est facile, messieurs, d'avoir raison quand on procède ainsi, quand
on omet de mentionner des faits de cette importance.
Ce n'est pas, du reste, la première fois que j'adresse ce reproche à
l'honorable M. Malou. Lorsque l'honorable membre a présenté l'année dernière
l'exposé de la situation du trésor, il a tenu compte des circonstances
favorables qui devaient améliorer les résultats des. exercices en cours
d'exécution ; il a tenu compte et des économies probables et des excédants des
recouvrements sur les prévisions. Mais il n'a pas dit un mot des crédits
supplémentaires qui devaient nécessairement être demandés et qu'il savait
devoir être demandés. Il y en avait beaucoup qui se rapportaient à des dépenses
déjà faites et que l'honorable membre connaissait. Je lui en ai fait
l'observation, et les demandes de crédits supplémentaires que le gouvernement a
dû et devra encore nous adresser ne m'ont que trop donné raison.
Messieurs, c'est à l'aide de ce moyen, c'est en tenant compte des
circonstances qui peuvent améliorer le résultat des exercices en cours
d'exécution et en ne disant rien des circonstances qui peuvent l'aggraver,
c'est-à-dire des crédits supplémentaires, que MM. les ministres sont souvent
parvenus à tromper la chambre et le pays sur la situation financière.
C'est surtout à l'approche des élections, ou lorsque l'on voulait
obtenir de fortes augmentations de dépenses, que l'on a eu recours à ce moyen.
Lorsque la chambre a voté l'augmentation des traitements de la
magistrature, lorsqu'elle a voté la loi d'organisation de l'armée, on disait (page 183) que la situation financière
était bonne. Si la chambre avait su qu'on viendrait quelques années après, peu
d'années après, lui demander de nouveaux impôts, aurait-elle voté cette
dernière loi ? Il est permis d'en douter.
Messieurs, si le découvert n'est que de 35 millions, s'il n'est pas plus
considérable, c'est que nous avons absorbé 32 millions de valeurs provenant du
traité conclu avec la Hollande, valeurs qui ont figuré au budget de 1843 ;
c'est aussi que nous avons contracté, à diverses reprises, des emprunts dont le
chiffre non-amorti s'élève encore à 283 millions. Je ne parle pas des 303
millions que le traité conclu avec la Hollande a mis à notre charge.
Deux cent quatre-vingt-trois millions empruntés, 35 millions de
découvert, 32 millions de valeurs absorbées, cela fait en tout 350 millions ! (Interruption). L'honorable M. Malou m'a
dit, hier, au moment où je l'ai interrompu : « Un peu de patience, chaque chose
aura son tour. » Je lui ferai aujourd'hui la même réponse.
L'ancienne politique nous dit : 350 millions, ce n'est rien, nous avons
en échange d'importantes valeurs, de grands travaux d'utilité publique, des
travaux productifs. Voyons, messieurs, quelles sont ces valeurs.
L'honorable M. Malou porte en compte, dans son exposé du mois de
juillet, 59 millions de domaines que nous aurions, selon lui, acquis depuis
1830. Il y a, messieurs, beaucoup à rabattre de ce chiffre. Je ne puis admettre
en déduction des 350 millions ni les 17 millions de la forêt de Soignes, ni les
7 1/2 millions que le palais du prince d'Orange, le château de Tervueren et
quelques autres propriétés nous ont coûté ; ce sont là des valeurs qui
proviennent du traité conclu avec la Hollande, et qui nous appartenaient avant
1830. Si l'ancienne politique veut s'attribuer ces valeurs, il faudra aussi
qu'elle s'attribue les 303 millions que le même traité a mis à notre charge.
Il y a, en outre, messieurs, à déduire des 59 millions, et M. Malou le
dit lui-même, il y a à en déduire 6 millions de domaines vendus. Il faudrait
encore en retrancher les capitaux prêtés à l'industrie, qui ont été remboursés
depuis 1830 ; mais l'ancienne politique s'est montrée généreuse, elle nous a
dit hier qu'elle n'avait pas porté en compte les actions de Seraing ; je veux me
montrer aussi généreux qu'elle ; je ne dirai donc rien des capitaux de
l'industrie.
Que reste-t-il maintenant des 59 millions si pompeusement annoncés par
l'honorable M. Malou ? Il reste 28 millions. Je pourrais peut-être retrancher
encore quelque chose, je pourrais soutenir que les immeubles acquis de la ville
de Bruxelles n'ont pas une valeur de 6 millions ; mais je veux continuer à être
généreux et je laisse la somme de 28 millions intacte.
Nous avons dépensé, à l'aide des bons du trésor et des emprunts, pour la
construction du chemin de fer, de canaux, de routes, de l'entrepôt d'Anvers et
pour l'achat des actions du chemin de fer rhénan, nous avons dépensé environ
190 millions. 190 millions pour ces valeurs, 28 pour les domaines acquis depuis
1830, cela fait 218 millions. Nous avons donc, en supposant que tous les
travaux dont je viens de parler aient été exécutés avec l'économie convenable
(ce que je pourrais contester), nous avons des valeurs pour 218 millions en
échange d'une dépense de 350 millions. Mais il faut être juste ; il faut
déduire des 350 millions les 13 millions que l'honorable M. Malou a présentés
comme une ressource ; n'ayant pas compris ces valeurs dans l'actif, je ne dois
pas les porter au passif. Nous avons donc dépensé 337 millions et nous avons en
échange des valeurs pour 218 millions, en supposant, je le répète, ce qui est
fort douteux, que les travaux aient été faits avec l'économie convenable. Il y
a, à notre préjudice, une différence d'environ 120 millions.
Cette différence de 120 millions provient en partie, comme l'honorable
M. Cogels l'a dit avec raison, des sacrifices que le pays a dû s'imposer, des
pertes qu'il a dû subir pour asseoir et consolider son indépendance. C'est ce
que M. Cogels a appelé, dans une séance précédente, nos frais de premier
établissement. Cependant je dois faire observer à l'honorable M. Cogels (et
ceci servira en même temps de réponse à l'honorable M. Malou), que le pays
s'est imposé, dans les moments critiques, des charges extraordinaires. Il y a
eu des centimes additionnels imposés extraordinairement dans les premières
années de la révolution.
La différence de 120 millions perdus pour nous, provient en partie des
frais de premier établissement ; mais elle provient aussi (et c'est sur ce
point, messieurs, que je fixe votre attention), elle provient de la
circonstance signalée dans le travail de M. Hubert, que les dépenses ordinaires
ont excédé les recettes ordinaires, depuis 1830 jusqu'en 1847, de 36 millions.
Cette circonstance, signalée par M. Hubert, fait crouler tout l'échafaudage
habilement construit par l'honorable M. Malou. L'honorable M. Malou voudrait
faire croire que le découvert de 35 millions doit être attribué aux crédits
extraordinaires qui ont été votés pour des travaux d'utilité publique. Ce n'est
là, messieurs, qu'une cause apparente ; la vraie cause, pour celui qui examine
les faits, pour celui qui va au fond des choses, est dans l'excédant des
dépenses ordinaires sur les recettes ordinaires, excédant qui s'élève, comme je
viens de le dire, à 36 millions. Il est bien évident que si on n'avait pas
dépensé sur les budgets ordinaires 36 millions de plus qu'on n'a reçu, il est
bien évident, dis-je, que le découvert de 35 millions n'existerait pas ; nous
aurions même une réserve de 1 million.
L'ancienne politique, et c'est là ce qui la condamne, n'a donc pas su
maintenir l'équilibre entre les dépenses et les recettes ordinaires. Ce qui la
condamne aussi, c'est que, malgré les revenus du chemin de fer, malgré les
produits du canal de Charleroy et d'autres travaux publics, le pays paye en
impôts 25 à 26 millions de plus qu'en 1831. L'honorable M. Malou n'avoue que 21
millions, mais il ne tient pas compte des parties cédées que nous possédions en
1831 et que nous ne possédons plus. Je crois qu'en prenant ce fait en
considération, on peut évaluer à 25 ou 26 millions l'accroissement des impôts
que l'honorable M. Malou ne porte qu'à 21 millions.
L'honorable M. Malou nous dit que la révolution de 1830 a dégrevé le
pays de 18 millions d'impôt. Il ne faut pas, messieurs, perdre de vue que si,
après 1830, nous avons payé moins, nous avons, d'un autre côté, perdu les
avantages que nous retirions de la marine et des colonies des Pays-Bas. Il me
sera, d'ailleurs, facile de prouver, mais pour ne pas trop prolonger ce débat,
j'attendrai, pour traiter ce point, la discussion du budget des voies et moyens
; il me sera facile de prouver que les 25 à 26 millions d'impôts que le pays
paye de plus qu'en 1831, ne proviennent pas uniquement, comme l'honorable M.
Malou voudrait le faire croire, du développement des affaires, mais aussi
d'impôts nouveaux établis surtout depuis 1840, époque à laquelle l'honorable M.
Malou a eu tort de se reporter pour établir la comparaison ; l'honorable M.
Malou aurait dû établir la comparaison, non pas entre 1840 et 1831, mais entre
le moment où il écrivait (juillet 1847) et 1831. On eût ainsi mieux connu la
vérité.
Voilà donc où nous en sommes, voilà ce que nous devons à l’ancienne
politique : 25 à 26 millions d'impôts de plus et un découvert de 35 millions !
Il y aura, en outre, à faire face à une foule de dépenses, dont quelques-unes
vous ont été annoncées par M. le ministre des travaux publics et auxquelles il
sera impossible de se soustraire. II y aura enfin à rétablir l'équilibre qui n'existe
plus, qui n'a jamais existé, entre nos dépenses ordinaires et nos recettes
ordinaires.
Cette situation est mauvaise, elle n'est pas cependant désespérée, et
j'ai assez de foi dans mon pays, pour être convaincu qu'il saura en sortir.
Mais comment ?
L'honorable M. Malou nous a dit hier que s'il était resté au ministère,
que s'il pouvait y rentrer, il ne serait pas le moins du monde embarrassé et
qu'il saurait conjurer les périls attachés à la situation !
Messieurs, j'ai vu beaucoup d'hommes qui, arrivés à un certain âge,
disaient : « Si nous pouvions redevenir jeunes, si nous pouvions
recommencer la vie, nous ferions un bien meilleur emploi de notre temps. »
Messieurs, ces hommes se faisaient illusion de la meilleure foi du monde ; ils
raisonnaient ainsi, parce qu'ils étaient vieux, parce qu'ils étaient devenus
froids pour le monde et ses plaisirs ; mais avec la jeunesse seraient revenus
les idées, les goûts et les passions d'autrefois !
N'en serait-il pas un peu de même de l'honorable M. Malou ? L'honorable
membre a été deux ans au pouvoir...(Interruption)
(erratum, p. 204) c’est vrai, il y a une circonstance toute particulière qui
prouve que l'honorable M. Malou a été deux ans au pouvoir ni plus ni moins ;
l'honorable M. Malou a donc été deux ans au pouvoir ; quelles traces de son
passage y a-t-il laissées ? Quelles grandes mesures a-t-il prises ? Qu'a-t-il
fait pour rétablir l'ordre dans les finances ? Rien.
Quelle est la cause de cette impuissance dont a été frappé un homme dont
je me plais à reconnaître la grande activité et la haute capacité ? Il lui a
manqué, messieurs, une chose sans laquelle il n'y a pas de force pour un
ministre ; il lui a manqué l'appui de l'opinion publique ; Quand on s'appuie
sur un parti, on est réduit aux expédients, on vit au jour le jour.
Telle a été la position de l'honorable M. Malou, lorsqu’il était au
pouvoir ; telle aurait été sa position, s'il y était resté ; telle elle serait,
s'il pouvait y rentrer.
Telle n'est pas la position du ministère actuel ; il est fort, je ne
dirai pas des sympathies qu'il inspire (je n'aime pas à flatter mes amis) ;
mais il est fort de l'impopularité de ses prédécesseurs ; il peut beaucoup pour
le bien du pays. Il a déjà eu le courage, et je l'en loue, d'annoncer hautement
la ferme intention de rétablir l'ordre dans nos finances.
Je n'ai qu'un regret, messieurs, c'est que le ministère ne paraisse pas
assez pénétré de la possibilité d'opérer de fortes économies.
Messieurs, de grandes économies sont possibles. Les
unes, je le sais, ne peuvent être que l'œuvre du temps et de la persévérance ;
mais il en est d'autres qui pourraient, dans certaines limites, être
immédiatement réalisées. Je ne veux pas anticiper sur la discussion des budgets
des dépenses. Lorsque cette discussion viendra, j'aurai occasion de prouver que
je suis, pour certaines dépenses, l'un de ces amis dont M. le ministre de
l'intérieur a dit qu'il n'espérait pas les convertir. Je n'espère pas non plus
convertir M. le ministre de l'intérieur ; je connais ses convictions : elles
sont aussi sincères que fortes, et je les respecte, comme il respecte les
miennes.
M. Cogels.
- Messieurs, après le discours si remarquable, si complet qui a été prononcé
dans la séance d'hier par un honorable députe d'Ypres, ma tâche est
singulièrement simplifiée ; l'exposé clair et concis que mon honorable ami vous
a fait de notre situation financière, la lucidité avec laquelle il a développé
des questions de chiffres qui ordinairement sont fort difficiles à saisir dans
leur ensemble, ne laisse rien à désirer. Je n'ai qu'à m'incliner devant
l'admirable talent avec lequel mon honorable ami s'est acquitté de sa tâche.
Il a prouvé que les ministères qui ont dirigé les affaires depuis 1830
n'ont pas laissé au cabinet actuel une succession embarrassée ; il vous a fait
voir que si, comme je l'espère, le cabinet actuel peut diriger longtemps les
affaires au pays avec intelligence, avec sagesse, il ne pourra (page 184) pas s'attribuer le mérite
d'avoir sauvé un malade, qu'il pourra se glorifier tout au plus d'avoir
contribué au développement d'un corps jeune, vigoureux et plein de santé. Aussi
l'honorable ministre des travaux publics n'a-t-il plus adressé de reproches au
passé, aux ministères qui ont précédé le ministère actuel ; il a passé
condamnation sur ces reproches, il ne nous a plus parlé de ce fantôme du
déficit, de l'insuffisance des ressources dont on a tant effrayé le pays ; il a
énuméré, très brièvement, très sommairement, je dirai même très légèrement, nos
besoins réels ou présumés du présent et nos besoins beaucoup plus hypothétiques
de l'avenir.
Il nous a parlé d'abord des besoins du présent et de l'équilibre qu'il
serait nécessaire de rétablir dans le budget des voies et moyens présenté par
le ministère précédent, et auquel on a cru devoir présenter quelques
amendements. Ces amendements se réduisent en fin de compte à une insuffisance
présumée de 15 à 1,600 mille francs. Ces 15 à 1,600 mille francs, on ne trouve
d'autre moyen de les couvrir qu'avec une loi que M. le ministre des travaux
publics a cherché à réhabiliter hier ; il a proclamé juste, morale, cette loi
qui cependant avait été flétrie par son honorable collègue lui-même, comme
éminemment immorale, par l'arrêté du gouvernement provisoire de 1830.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je
demande la parole.
M. Cogels.
- Je vous avouerai que j'ai été surpris de voir qualifier une semblable loi de
juste et de morale ; j'ai été surpris également de voir M. le ministre de
l'intérieur, dans une séance précédente, présenter cette loi comme sa seule
ancre de salut, et déclarer que dans le cas où ses adversaires ne
présenteraient pas d'équivalent, ou ne trouveraient pas d'autre ressource, on
en ferait presque une question de portefeuille. Je n'anticiperai pas sur la
discussion de la loi de successions ; mais j'espère qu'elle aura dans cette
enceinte le sort qu'elle a déjà eu dans les sections, qu'elle ne sera pas
accueillie avec plus de faveur.
Ce n'est pas d'ailleurs à la chambre à indiquer au gouvernement les
ressources par lesquelles il pourrait remplacer un système d'impôt que nous
trouverions mauvais.
La chambre a un pouvoir d'initiative, mais cette initiative est tout à
fait facultative ; le gouvernement, lui, a un devoir d'initiative ; quand un
système d'impôt est condamné par la chambre, c'est au gouvernement lui-même à
chercher d'autres ressources en remplacement du système condamné. Mon honorable
ami, M. Malou, a cependant, sous ce rapport, été fort généreux dans la séance
d'hier ; il nous a parlé de son système d'assurances générales, il a cru
trouver une source féconde de revenus. Je n'entamerai pas de discussion sur ce
système que je suis, quant à présent, disposé à condamner ; mais j'attendrai la
présentation d'un projet de loi pour juger, sous son point de vue pratique, une
question qui, débattue théoriquement, pourrait nous engager dans une discussion
intempestive, oiseuse, qui nous conduirait extrêmement loin.
Parlons, maintenant des besoins éventuels hypothétiques de l'avenir, car
il en est quelques-uns que nous devons considérer comme tels. M. le ministre
des travaux publics vous a déroulé hier fort rapidement un tableau des besoins
devant lesquels nous nous trouvons placés ; cette énumération se trouve dans le
Moniteur. Il nous a dit que d'abord il admettait comme consolidation nécessaire
de la dette flottante une somme de 8 à 10 millions, qu'il fallait des crédits
supplémentaires pour 5,600,000 francs, des crédits complémentaires pour
4,800,000 fr., et 1,500,000 fr. pour le fonds des routes.
Pour les besoins du chemin de fer, il a dit : Prenez 8, 15 on 20
millions, prenez le chiffre qui conviendra le mieux à vos calculs. Ensuite pour
divers projets de loi soumis aux chambres, il a évaluée les dépenses
nécessaires à leur exécution, à 5 ou 6 millions ; enfin pour le chemin de fer
d'Alost, la dérivation de la Meuse, le canal d'Herenthals, il a porté une somme
de 20 millions, et en additionnant tous ces millions que je viens de faire
rouler devant vous, je me sers de son expression, il trouve un total de 70
millions, en prenant même les évaluations les plus modérées. Je me suis livré
au même calcul ; je n'ai pas dû le faire plusieurs fois, c'était une simple
addition ; j'ai trouvé qu'en admettant même les 5,600,000 fr. de crédits
supplémentaires, qu'en bonne comptabilité on ne devrait pas demander à
l'emprunt, mais à d'autres ressources, en admettant le maximum des évaluations,
je trouve 67 millions, et si je liens compte des concessions que nous a faites
M. le ministre des travaux publics, je trouve 52 à 53 millions.
Or dans ces 52 millions, il y en a 20 tout à fait hypothétiques,
destinés à des travaux dont deux ont déjà été refusés une fois par la chambre,
et le seront encore, je l'espère, ou du moins seront ajournés. Il n'est pas
question de discuter ces projets, mais quand le moment sera venu, je ferai voir
qu'il est dans l'intérêt du pays de les ajourner.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Le canal d'Herenthals aussi !
M. Cogels.
- Je crois qu'il sera peut-être nécessaire de l'ajourner également. C'est une
question à examiner. Mais, messieurs, admettons 70 millions, car lorsqu'on veut
vivre plus ou moins en dissipateur et qu'on doit s'adresser aux banquiers (ce
sont les seuls auxquels vous puissiez demander des ressources en ce moment), il
vaut mieux demander trop que trop peu pour ne pas être obligé de renouveler ces
visites qui ordinairement coûtent fort cher.
70 millions ! Ainsi le voilà donc connu ce chiffre de l'emprunt qui,
dans le discours du Trône, nous était apparu comme un léger nuage et qui,
grossissant toujours dans nos discussions, a enfin fait explosion à la séance
d'hier !
Je vous le demande, messieurs, est-ce ainsi qu'on introduit une
semblable question devant une législature ? Est-ce ainsi qu'on jette au pays
l'éventualité d'un emprunt considérable, basé sur des probabilités dont la
moitié ne se réalisera sans doute pas d'ici à un temps assez éloigné ? Est-ce
ainsi qu'on pèse sur le crédit, et qu'on se prive soi-même des moyens de
contracter favorablement ?
Je sais que M. le ministre des travaux publics nous a parlé dans une
séance précédente, avec quelque dédain, des financiers et des connaissances
financières. Il nous a dit : « Je n'ai pas la prétention d'être financier, » et
moi je n'ai pas la prétention de le contredire sur ce point. Il nous a dit
qu'il n'avait pas fait de grandes études de chiffres, et je conçois que pour un
homme placé à la tête d'un département dont les dépenses s'élèvent à plus de 17
millions, pour un homme chargé de surveiller une vaste entreprise qui n'a
peut-être pas dans son ensemble de pareille dans toute l'Europe ; que pour
calculer les frais de traction, d'exploitation, les tarifs d'un chemin de fer,
les questions déchiffres soient assez insignifiantes, que l'étude des chiffres
soit tout à fait inutile !
Il a dit également qu'il ne s'était pas livré à l'examen approfondi de
la situation financière des divers Etats de l'Europe. Je comprends encore que
pour un ministre chargé des travaux publics, qui constituent la partie la plus
notable de nos dettes nouvelles, il ne soit pas parfaitement utile de connaître
ce qui s'est passé dans les pays voisins, surtout à une époque où c'est à la
fausse direction donnée aux travaux publics qu'est due en grande partie la
crise qui affecte la France, l'Angleterre et l'Allemagne, et qui par contrecoup
est venue frapper la Belgique, bien qu'elle ait été assez sage, grâce à son
gouvernement et à sa législature, pour se préserver des excès qui ont désolé
quelques autres parties de l'Europe.
Oui, messieurs, la crise américaine d'abord, de 1837 à 1840, n'a été due
qu'aux développements exagérés donnés aux travaux publics, à la direction fausse
donnée aux capitaux qui se sont éloignés du commerce et de l'industrie pour
s'engouffrer dans des dépenses momentanément improductives.
La crise d'Allemagne, de Prusse, d'il y a deux ans, doit être attribuée
à la même cause.
La crise qui a affecté la France, et qui a obligé, pour la première fois
depuis de longues années, la banque de France à élever son escompte jusqu'à
cinq pour cent, est due à cet excès de développement donné aux travaux de
chemins de fer, à ces actions qui, venant fondre sur la place de Paris, ont
paralysé les ressources des banquiers et les ont empêchés de prêter au commerce
et à l'industrie le secours qu'ils leur prêtaient naguère.
La grande crise de l'Angleterre a pour cause accessoire la cherté des
denrées alimentaires ; mais elle a pour première cause ce grand développement
donné aux chemins de fer, ces versements de plus de cent millions par mois,
auxquels ces entreprises ont donné lieu.
En Belgique, nous n'avons fait que ressentir le contrecoup. Grâce à une
clause introduite dans les cahiers des charges, par le gouvernement, à la
demande de la chambre, nous avons su préserver le pays de cette lèpre de
l'agiotage qui a fait tant de victimes en Angleterre et en France. Nous avons
su éloigner de nous ces chiffons de papier, réduits en quelque sorte à des
non-valeurs et qui ont ruiné tant de gens, séduits par des appâts trompeurs de
bénéfices énormes.
Nous en avons cependant ressenti le contrecoup, parce qu'une grande
partie de notre dette placée en France, en Angleterre, en Prusse et en
Allemagne est venue refluer sur notre marché. Mais, malgré la crise
alimentaire, nos forces productives, nos économies nous ont permis d'absorber
ces valeurs, sans que note crédit ait été affecté autant que l'a été celui de
quelques Etats voisins.
Est-ce dans de semblables circonstances, qu'il fallait venir faire peser
sur le crédit la menace d'un emprunt, qui probablement ne devra pas se réaliser
bientôt, et qu'il serait impossible de réaliser en ce moment ! Car pour les
emprunts le point important est de les émettre au moment favorable. C'est
surtout une question d'opportunité. Si vous vous laissez dominer par la
nécessité, si vous vous laissez dominer par les banquiers, eux qui
effectivement ne sont pas des ignorants, qui connaissent fort bien leurs
intérêts, ils s'abattront sur vous, quand la proie sera la meilleur à saisir.
A l'appui de ce que je viens de dire, je citerai ce qui s'est passé dans
deux pays voisins. Je suis fâché de rappeler à M. le ministre des travaux
publics les études que j'ai faites sous ce rapport, que j'ai cru dans ma
modeste position de député qu'il était utile de faire.
Lorsqu'en France on s'est engagé trop loin dans la création d'une dette
flottante, qu'on a vu qu'elle était devenue un danger, par suite de la crise où
l'on était, les chambres ont pour ainsi dire forcé le ministère à proposer un
emprunt qu'il pouvait ajourner, et qu'effectivement il a ajourné.
C’est au commencement de juillet que le ministre des finances de France
a été pour ainsi dire forcé de présenter son emprunt, de demander
l'autorisation de lever une somme de 350 millions. Quelle en a été la
conséquence ? Une baisse immédiate sur les fonds, qui s'est prolongée malgré
une reprise momentanée du crédit en Angleterre, et qui a affecté le cours des
rentes, jusqu'à l'époque où l'emprunt a été définitivement annoncé au chiffre
de 250 millions, au lieu de 350 dont on avait parlé.
Malgré cela la négociation de l'emprunt a eu lieu à un taux tel qu'en
calculant les bénéfices sur les versements, les jouissances d'intérêts (page 185) n’est revenu qu'à 75 fr. 50
c. à peu près, taux le plus bas que l'on ait vu depuis la grande crise
politique de 1840.
Voyons maintenant ce qui s'est passé dans un pays où l'on comprend les
affaires de crédit, dans ce pays qui a été le plus fortement frappé cependant
par la crise commerciale et financière, en Angleterre.
Le parlement a été ouvert le 19 janvier.
Il n'a été fait aucune mention d'emprunt dans le discours de la
couronne.
Le 22 février, le chancelier de l'échiquier est venu faire son exposé.
Il a exposé les besoins ordinaires et les ressources ordinaires ; il a annoncé
à la chambre que, pour satisfaire aux besoins exceptionnels de l'Irlande, il
devrait recourir à l'emprunt, et que cet emprunt serait de 8,000,000 de liv.
st., c'est-à-dire, de 200,000,000 de fr. Deux jours plus tard, il est venu dire
qu'il s'était entendu avec les puissances financières sur le meilleur mode de
contracter l'emprunt, et l'adjudication a été annoncée pour le 1er mars. Le 1er
mars, l'adjudication a été faite ; le lendemain, le premier versement a eu lieu
; et l'emprunt a été conclu au cours de 89 1/2, cours le plus élevé que nous
ayons vu depuis cette époque. Pourquoi ? Parce que l’on a bien eu le soin de ne
pas faire peser cet emprunt pendant trois ou quatre mois sur le crédit, qu'on a
saisi le moment favorable, qu'on l'a saisi immédiatement et que, de cette
manière, on a opéré comme un véritable financier doit le faire.
Messieurs, j'ai dit que, pour la Belgique, il fallait, autant que
possible, ajourner la négociation d'un emprunt, et je vais le prouver.
Pour faire un emprunt, nous avons usé jusqu'ici de deux modes :
Le premier est celui auquel on a eu recours pendant longtemps : c'est de
s'adresser aux grandes puissances financières, c'est de s'adresser aux marchés
étrangers.
Le second, c'est de faire un appel au capital national, c'est la
souscription ouverte au public.
Chaque fois que la Belgique a fait un appel au capital national, elle a
parfaitement réussi. Jamais on n'est resté sourd à cet appel, et toujours
l'emprunt a été conclu à un taux extrêmement favorable. C'est ainsi que
l'emprunt de 1836, époque où le crédit n'avait pas reçu le développement qu'il
a reçu depuis lors, a été conclu à 92 en 4 p. c. ; c'est ainsi qu'en 1844, un
emprunt beaucoup plus considérable en 4 1/2 a été conclu à un taux qui, en
tenant compte de toutes les faveurs, de toutes les jouissances, s'élève encore
au-delà du pair.
Lorsque nous avons été forcés de contracter le premier emprunt pour la
consolidation de notre nationalité, nous nous sommes adressés à un banquier
étranger et nous avons bien fait ; parce que, à cette époque, ce banquier était
une espèce de sixième puissance dont nous invoquions l'appui.
Depuis lors, je ne pense pas que nous ayons bien fait de nous adresser à
la même puissance, et je crois que si, dès le principe, nous avions eu plus de
confiance dans les ressources de la nation, nous aurions également réussi et
notre dette se trouverait, depuis plusieurs années déjà, dans la position où
elle se trouve maintenant ; c'est-à-dire que non seulement elle est connue dans
les villes comme Bruxelles, Anvers et d'autres grands marchés financiers, mais
qu'elle se popularise dans toutes les provinces et jusque dans les moindres
villages.
Il y a à cela, messieurs, un double avantage : le premier, c'est
d'intéresser autant que possible toutes les parties de la nation, tous les
individus au crédit public ; le second, c'est d'empêcher que nous ne
ressentions non seulement les crises qui ont leur source dans le pays même, mais
que nous ne ressentions le contrecoup des crises qui frappent l'étranger, par
la masse de fonds qu'il vient alors jeter sur notre marché, et dont nous ne
pouvons jamais calculer l'importance.
Mais, messieurs, je suis le premier à en convenir : à l'époque actuelle,
un appel au capital national serait infructueux ; mais un appel aux capitaux
étrangers serait également infructueux, ou il faudrait passer par des
conditions tout à fait usuraires. Ce n'est ni l'Angleterre, ni la France, ni
l'Allemagne, ni la Hollande qui, dans ce moment, se trouvent dans une position
à pouvoir prêter à l'étranger. Elles éprouvent elles-mêmes assez d'embarras.
Elles ont assez fait usage de toutes leurs ressources disponibles pour qu'elles
n'aillent pas détourner leurs capitaux des besoins beaucoup plus impérieux chez
elles encore qu'ils ne le sont chez nous.
Vous voyez donc, messieurs, qu'il y a là un véritable motif
d'ajournement, et que, par conséquent, il était au moins inutile de venir nous
jeter ainsi la menace d'un emprunt considérable, dont le chiffre, on peut le
dire, est exagéré.
Nous avons encore beaucoup à faire, messieurs, pour relever notre
crédit. Dans une session précédente, je vous ai déjà parlé des leviers que nous
avions à notre disposition, et dont nous n'avons pas jusqu'ici su faire un
usage convenable ; je vous ai cité les caisses d'épargne, plusieurs autres
caisses publiques et les caisses des communes. Je reconnais que, depuis lors,
on y a eu recours ; mais toutes ces caisses plaçaient leurs fonds soit à des
établissements particuliers, soit même dans des fonds étrangers. !
Une autre mesure que l'on aurait dû prendre, et que l'on a prise en
partie lors de l'emprunt de 1844, c'était de populariser, c'était, pour me
servir d'une expression de M. le ministre de l'intérieur dans une autre
session, c'était de démocratiser notre grand-livre. Car, messieurs, les
placements en dette publique ne sont maintenant accessibles qu'aux capitaux
plus ou moins considérables ; ils ne sont accessibles qu'aux sommes rondes ; ils
ne sont pas accessibles aux personnes qui n'ont pas les moyens suffisants pour
conserver des fonds au porteur dont la soustraction ou la destruction pourrait
les ruiner. Les inscriptions au grand-livre n'ont pas le même inconvénient,
parce qu'elles sont nominatives. Elles ne sont transmissibles que par transfert
; et lorsqu'elles sont détruites, on peut en obtenir un duplicata.
C'est ainsi, messieurs, qu'en Angleterre on voit figurer sur le
grand-livre plus de 200,000 inscriptions dont la rente ne s'élève pas à 5 l. s.
; c'est ainsi qu'en France on voit figurer sur le grand-livre plus de 100,000
inscriptions dont la rente ne s'élève pas à 100 fr.
Si, messieurs, on était parvenu à populariser le grand-livre de la
Belgique, d'une part on aurait trouvé là un levier puissant pour notre crédit,
et d'autre part on y aurait trouvé des garanties d'ordre et de stabilité.
Je répondrai maintenant quelques mots à l'honorable M. Delfosse.
L'honorable M. Delfosse, en nous parlant de l'encaisse, l'a présenté
comme une valeur à peu près nulle, en ce sens que, d'une part, la charge en
était portée au budget de la dette publique et que, d'autre part, la ressource
figurait au budget des voies et moyens. Il vous a dit que, soit qu'on négociât
cet encaisse, soit qu'on l'annulât, notre situation financière ne serait pas le
moins du monde changée. Ceci est exact sous un certain rapport. Il nous a dit
même qu'en ce cas le budget des voies et moyens éprouverait un certain déficit,
ce qui est exact ; mais ce dont il faut tenir compte, c'est que, dans le cas où
l'on négocierait cet encaisse (hypothèse que je n'admets pas ; je crois aussi
qu'il faudra annuler l'encaisse et le remplacer par un autre emprunt), vous
faites disparaître, il est vrai, du budget des voies et moyens, une ressource
de 537,000 francs ; mais d'autre part, vous faites disparaître aussi du budget
de la dette publique une charge équivalente en ce qui concerne les intérêts de
la dette flottante, qui se trouve réduite d'autant, et vous avez cet avantage
que vous avez une consolidation sans devoir recourir complètement à un nouvel
emprunt.
Lorsque l'honorable M. Delfosse a fait le bilan de la politique ancienne
(je ne me suis pas encore servi des expressions de politique ancienne et de
politique nouvelle, parce que je veux dégager mon discours de toute espèce de
caractère politique), mais enfin, lorsque l'honorable M. Delfosse a fait le
bilan des anciens ministères, il n'a pas fait mention d'une somme de 8
millions, portée à la dette publique de 1841, qui a créé un découvert apparent
et qui résulte d'une simple régularisation, parce que jusque-là on avait suivi
un faux système de comptabilité : on portait comme charge de 1841, par exemple,
le semestre de la dette publique échéant le 1er janvier 1841, et qui est bien
une charge de 1840 ; Eh bien, pour remettre la comptabilité en ordre, on a
adopté le seul système qui fût raisonnable, on a porté ci semestre au budget de
l'exercice auquel il appartient. On a ainsi créé un excédant de dépenses de 8
millions.
L'honorable M. Delfosse nous a dit
encore (et je n'ai pas maintenant les chiffres sous la main) que vis-à-vis de
337 millions de charges créées en apparence pour nos différents travaux publics
et l'acquisition de différents immeubles, on ne trouvait que 218 millions de
valeurs, après avoir retranché des 59 millions de valeurs énumérées par M.
Malou, certaines sommes pour l'acquisition de la forêt de Soignes, etc. Je
crois, messieurs, que l'honorable M. Delfosse a commis ici une double erreur ;
la première c'est qu'il aura porté comme charge le montant nominal de nos
emprunts, au lieu de porter le produit réel de la négociation.
M. Delfosse. -
Permettez-moi une explication ; j'ai dit que la différence qui existe entre la
dépense et les valeurs que nous en ayons retirées provient, en partie, des
pertes que nous avons dû subir pour la consolidation de notre indépendance ;
j'ai entendu comprendre dans ces pertes celles que nous avons faites sur le taux
des emprunts...
M. Malou.
- Et l'emprunt de 1840 ?
M.
Delfosse. - La perte que nous avons faite sur cet emprunt
peut se compenser par les avantages provenant de la conversion d’autres
emprunts.
M. Cogels.
- Je remercie l'honorable M. Delfosse de son explication. Sur l’emprunt qui a
été contracté pour la consolidation de notre nationalité, il y a eu
effectivement une perte très forte. Cet emprunt, qui était nominalement de 100
millions, n'a produit que 74 millions, il a servi au remboursement des emprunts
de 12 millions et de 10 millions de florins créés pour les premiers besoins que
nous avons éprouvés en constituant notre nationalité, et le surplus a servi à
couvrir les dépenses extraordinaires de notre force armée.
Mais là, messieurs, ne se sont pas arrêtées les pertes de la négociation
de nos emprunts : d'abord celui de 1836 nous a constitués en perte d'au-delà de
3 millions, puisqu'il n'a produit que 27 millions et qu'il était de 30
millions, valeur nominale. Sur l'emprunt de 1838, constitué à l'intérêt de 3 p.
c.. nous avons éprouvé une perte beaucoup plus considérable puisque, négocié au
taux de 68 et une fraction, il n'a produit guère que 35 millions tandis qu'il
était nominalement de 50,800,000 fr. Sur l'emprunt de 1840 nous avons éprouvé
encore une perte très forte puisque cet emprunt, d'un import nominal de
86,400,000 fr, n'a produit que 82 millions. Sur l'emprunt de 1842 nous avons
fait un léger bénéfice puisque, constitué à 5 p. c, il a été émis au-dessus du
pair. Mais en retranchant ce bénéfice des pertes résultant des emprunts de
1836,1838 et 1840, on trouverait encore une somme assez notable à déduire du
chiffre posé par l'honorable M. Delfosse. Voilà pour le passif. Mais pour
l'actif il y a encore erreur. C'est que, indépendamment des (page 186) valeurs portées par M.
Delfosse et indiquées dans le travail publié par le ministère des finances, il
y a encore une foule d'autres dépenses qui ont été couvertes par les ressources
ordinaires. C'est ainsi que l'acquisition du canal de Charleroy a été couverte
en grande partie par les ressources ordinaires ; car les frais de cette
acquisition ont figuré pendant six années consécutives au budget de la dette
publique. Il en a été de même de la Sambre canalisée ; et si je voulais pousser
mes recherches plus loin, je pense que je trouverais encore différentes
dépenses de même nature qui ont été couvertes de la même manière.
Ainsi, messieurs, vous le voyez, ce bilan n'est pas parfaitement exact.
Le rectifier en ce moment d'une manière complète ne me serait pas possible ;
mais la chambre elle-même est entourée de tous les documents nécessaires pour
s'éclairer à cet égard.
Il ne me restera maintenant, messieurs, que peu de mots à dire de notre
dette flottante. Sur ce point, plusieurs honorables membres, le plus versés
dans les questions financières, ne sont pas entièrement d'accord. Ainsi,
l'honorable M. Mercier continue à blâmer plus ou moins le ministère qui vient
de se retirer, de son arrêté du 20 juin, arrêté que j'ai approuvé, moi, de
toutes mes forces et que j'ai approuvé surtout, parce que le mode suivi nous
promet, dans un avenir peu éloigné, de donner à notre dette flottante le
véritable caractère qu'elle doit avoir, c'est-à-dire de la disséminer en
différentes mains par petites quantités, de faire en sorte que ce ne soit pas
toujours la même main qui vienne recevoir les bons du trésor et qui vienne en
demander le remboursement, de ne pas être forcé enfin (car je m'expliquerai
avec franchise) de mettre la dette flottante entre les mains de ceux-là même
qui ont le plus intérêt à connaître nos besoins et à en profiter.
Si maintenant on admet le principe qui paraissait sourire d'abord à M.
le ministre des finances actuel, si on réduisait encore le chiffre des
coupures, on obtiendrait un très léger avantage, mais on créerait d'un autre
côté un grand danger. Les bons du trésor sont admis, il est vrai, maintenant,
en payement des contributions ; mais, comme le minimum des sommes est, je crois
de 500 fr., ces bons ne peuvent servir qu'à acquitter des droits assez
considérables ; ils ne peuvent donc guère servir qu'à l'industriel, au
négociant, au grand contribuable, et ce sont ceux-là seuls qui ont des fonds
momentanément oisifs, qu'ils ont intérêt à faire valoir et à faire valoir le
plus longtemps possible, c'est-à-dire jusqu'à l'époque de rigueur pour
acquitter leurs contributions.
Si vous réduisez les bons du trésor à de faibles sommes, vous aurez
d'abord des remboursements à faire dans une foule de localités où cela
établirait un certain désordre dans la comptabilité et, d'autre part dans les
moments de crise il pourrait y avoir une foule de gens qui viendraient soit au
trésor, soit chez les percepteurs, et dont le nombre et l'impatience pourraient
créer de l'inquiétude, tandis que les bons dont ils seraient porteurs ne
représenteraient peut-être pas deux ou trois cent mille francs.
Voilà pourquoi, messieurs, il ne faut mettre les bons du trésor qu'à la
portée de capitaux un peu considérables, qui seraient momentanément inactifs.
Lorsque nos bons du trésor, et j'espère que cela arrivera un jour,
seront véritablement nationalisés, lorsque les bons du trésor auront éprouvé le
sort de notre dette constituée, ils ne présenteront plus aucun inconvénient. Et
ce qui le prouve, c'est que malgré la crise épouvantable qui a affligé
l'Angleterre, malgré la gêne dont la France s'est trouvée également affligée,
la dette flottante n'a pas présenté le moindre inconvénient.
Qu'a-t-on fait en Angleterre ?
Lorsqu'on y a vu que les cours des bons de l'échiquier étaient à une perte très
forte, on a augmenté l'intérêt, et par là on a accru le profit qu'on avait à
garder ces bons. Si cela n'avait pas suffi, on aurait encore augmenté l'intérêt
; et cependant on n'a jamais été obligé de l'élever au taux que la banque avait
fixé pour les escomptes. Donc, sous tous ces rapports, nous pourrons peut-être
un jour réduire fortement les charges de notre dette flottante qui à présent
nous effraye avec raison et qui nous est quelquefois très onéreuse.
M. Delfosse. - Il me
semble que l'honorable M. Cogels vient de fournir des armes contre l'ancienne
politique. Son observation tendrait à prouver que la différence entre la
dépense et les valeurs obtenues devrait être portée à 145 millions au lieu de
120.
M. Cogels.
- Messieurs, je crois que l'honorable M. Delfosse m'a mal compris ; je ne lui
ai pas fourni de nouvelles armes ; j'ai dit, au contraire, qu'il fallait porter
également, en regard des charges de nos emprunts, les dépenses du canal de
Charleroy et de la Sambre canalisée, qui avaient été couvertes par nos
ressources ordinaires ; qu'elles devaient nécessairement être portées aux
dépenses extraordinaires et que par conséquent elles étaient venues en quelque
sorte tenir lieu et place d'autres dépenses que l'honorable M. Delfosse prétend
avoir été couvertes par les emprunts.
Enfin, pour en revenir au petit compte tout à fait simple que j'ai
présenté à la première séance où j'ai pris la parole, toute la question
consiste en ceci : c'est de distraire de notre dette publique la charge reprise
à la Hollande d'une part, et d'autre part la charge qui nous a été léguée pour
la consolidation de notre nationalité ou par les frais de premier établissement
(pour me servir de l'expression que j'ai déjà employée) ; et de mettre ensuite
en regard du surplus les différents travaux d'utilité publique que nous avions
entrepris et les différentes acquisitions utiles que nous avions faites. Eh
bien, en additionnant, d'une part, le montant de ces acquisitions, et d'autre
part le montant réel du produit des emprunts qui y ont fait face, vous
trouverez qu'effectivement une grande partie de l'amortissement de nos emprunts
de 1831 et 1832, pour les frais de la consolidation de notre nationalité, a été
éteinte non seulement au moyen des ressources extraordinaires, mais encore au
moyen des ressources ordinaires.
M. Delfosse. -
L'honorable M. Cogels oublie que les 25 millions de la Sambre canalisée et du
canal de Charleroy sort compris dans les 59 millions indiqués par l'honorable
M. Malou. et que j'en ai tenu compte.
Une partie de ces 25 millions a d'ailleurs été payée à l'aide de
l'emprunt.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, il y a deux manières de comprendre et de traiter les questions
financières ; l'une consiste à dissimuler, ou du moins à tâcher de dissimuler
au pays la véritable situation de ses finances ; on esquive les difficultés du
présent avec beaucoup d'habileté ; on montre, aux yeux du pays, une grande
confiance dans l'avenir ; on s'exalte dans les souvenirs du passé. L'autre
système est moins brillant, moins poétique ; il doit nécessairement éveiller moins
de sympathies, moins d'enthousiasme. Il consiste à venir, avec les simples
lumières du bon sens et de l'expérience, exposer, devant cette chambre, la
situation financière du pays, telle qu'elle est. Les hommes habiles pensent
qu'il y a des dangers graves pour un pays à lui faire connaître sa situation ;
les autres croient que le premier devoir pour un gouvernement est de dire de
bonne foi au pays toute la vérité.
Voilà les deux manières. Nous avons adopté la dernière ; et il est très
remarquable que, tout en se donnant de grandes peines, en faisant de grands
efforts pour combattre nos assertions et nos affirmations, quant à la question
financière, nos honorables adversaires finissent cependant, entraînés par la
force des choses, par arriver aux mêmes conclusions que nous.
Nous avons, messieurs, constaté dans la situation du trésor un déficit ;
ce mot a mal sonné aux oreilles, retirons-le ; nous avons constaté une
insuffisance, un découvert ; nie-t-on qu'il y ait un découvert, une
insuffisance dans le trésor ? Non, mais cette insuffisance, ce découvert,
l'honorable M. Malou a occupé hier pendant deux heures l'attention de la
chambre d'une manière fort agréable, je le reconnais, à prouver que cette
insuffisance, ce découvert ne devaient pas être attribués à des dilapidations,
que les ministères passés n'avaient pas mis en poche les fonds du trésor, que
ces fonds n'avaient pas été jetés par la fenêtre, qu'ils avaient été en un mot
utilement employés.
Qui a soutenu la thèse que les ressources du pays avaient été mal
employées ? Nous ne nous sommes pas occupés de l'emploi de nos finances dans le
passé ; nous reconnaissons, et nous y sommes pour une forte part, que des
dépenses productives ont été faites ; tout le monde est d'accord, du moins une
grande majorité de cette chambre est d'accord sur ce point. Mais que nous ayons
fait ces dépenses productives, cela prouve-t-il que nous n'ayons pas
aujourd'hui une dette exigible, que nous ayons couvert ces dépenses en partie
avec nos revenus ordinaires, en partie par des emprunts ? cela prouve-t-il que
nous ne sommes pas en présence d'un découvert de 20 à 25 millions ?
Le découvert n'est pas nié par personne, il ne peut l'être. Maintenant,
continuant cet examen de la situation financière, nous avons dit
qu'indépendamment du découvert, il y avait des crédits supplémentaires pour 5 à
6 millions. Nie-t-on la nécessité de couvrir par des voies et moyens nouveaux
ces crédits supplémentaires ? Ensuite nous avons annoncé que des crédits
complémentaires devaient être demandés. Pourquoi ? Pour achever des travaux en
voie d'exécution.
Ces travaux ont été commencés par les administrations précédentes ; nous
les attribuons aux administrations précédentes, non pour les accuser, mais pour
constater que nous avons besoin de créer des ressources pour continuer des
travaux commencés. Nie-t-on la nécessité de ces ressources nouvelles ? Je
provoque ici volontiers les interruptions ; qu'on m'arrête chaque fois qu'on
croira pouvoir contester une de mes allégations.
M. Malou.
- Je répondrai en une fois : cela me paraît dans l'intérêt de la discussion,
que je comprends autrement que vous.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Vous
répondrez, soit ! mais vous ne contesterez pas la réalité des faits
matériellement établis, sur lesquels il n'est pas possible que la chambre ferme
les yeux.
Maintenant avons-nous des projets de loi présentés par l'ancienne
administration qui doivent donner lieu à des dépenses nouvelles ? Ces dépenses,
l'ancienne administration avait-elle l'intention de les couvrir par de nouveaux
bons du trésor, ou se proposait-elle de demander d'autres ressources à la
nation ? On a dit qu'on répondrait en une fois. Nous verrons.
Avons-nous par suite du cours naturel du temps, avons-nous des besoins
nouveaux ? Ces besoins ne sont-ils pas constatés ? De ce que les
administrations précédentes ont fait beaucoup de travaux publics, ne reste-t-il
plus rien à faire ? L'administration nouvelle doit-elle rester dans un état
complet d'inertie ? Non, nous avons des besoins nouveaux qui doivent être
couverts par des dépenses nouvelles. N'avons-nous pas enfin la question des
Flandres ? Je n'ai pas voulu jusqu'ici mettre en avant cette grande question ;
mais si, en effet, vous voulez aider le gouvernement à venir efficacement au
secours des Flandres, le ferez-vous sans dépenses et sans ressources nouvelles
?
Enfin, avez-vous pourvu aux éventualités de l'avenir ? Je m'étonne que
des hommes, qui ont la prétention de lire aussi bien dans l'histoire (page 187) de l'avenir que dans
l'histoire du passé, je m'étonne, dis-je, que ces hommes considèrent la
situation comme tellement à l'abri de tout danger, comme tellement entourée de
sécurité, que nous puissions nous permettre de vivre au jour le jour, sans
songer à ce que le lendemain peut nous apporter de graves périls et de graves
obligations ! A-t-on songé à la position que la moindre crise européenne ferait
à la Belgique, dégarnie de ressources financières ? Ne faudrait-il pas être
dépourvu de la prévoyance la plus vulgaire pour ne pas songer sincèrement à
améliorer la situation financière du pays, de manière à parer aux événements
que l'avenir peut faire peser sur lui ?
Encore une fois, ces besoins du passé, ces besoins du présent et ces
éventualités de l'avenir, par quelles ressources aviez-vous songé à y pourvoir
?
Ce n'est pas la première fois que dans cette chambre nous avertissons le
pays qu'il faudra nécessairement en venir à un emprunt et à une augmentation
d'impôt ; déjà depuis plusieurs années, nous avons prévenu le gouvernement que
fatalement il serait forcé de proposer des impôts nouveaux et un emprunt ;
personne alors n'a nié cette nécessité où se trouverait un jour le
gouvernement. Je le sais, messieurs, je dirai toute ma pensée, l'administration
précédente ne sentait pas l'opinion publique assez fortement prononcée en sa
faveur, elle n'avait pas assez de confiance dans le pays, elle craignait trop
les réactions de l'opinion publique, pour oser lui dire toute la vérité, pour
oser surtout proclamer la nécessité d'impôts nouveaux. Si à cette époque on
avait été plus sûr de l'opinion publique, si on s'était senti plus fort dans le
pays, je crois qu'on lui aurait parlé avec plus de franchise ; on aurait dit la
vérité avec plus décourage aux contribuables.
Nous savons, messieurs, qu'une administration ne se rend pas populaire
en venant demander des impôts. Nous aurions pu aussi continuer ce système
d'ajournement, de retardement, et compliquer de plus en plus une situation
financière qui, je le répète, n'est pas désespérée, mais qui n'est pas bonne.
Nous aurions pu, sous ce rapport, suivre des errements que nous avions toujours
condamnés, même étant de l'opposition. Mais nous n'avons pas voulu imiter, sous
ce rapport, nos devanciers. Nous avons cru plus digne de nous, plus digne du
pays, devenir lui dire la vérité et de faire un appel aux contribuables.
L'honorable député d'Anvers croit que l'on a commis une grande
imprudence en révélant la nécessité où est le pays de faire un emprunt. Selon
lui, il fallait attendre un moment plus favorable. Je n'ai pas étudié comme
lui, aussi profondément que lui, toutes les questions de bourses, toutes les
questions qui se rattachent aux emprunts ; mais je voudrais bien que lui, qui a
traité M. le ministre des travaux publics du haut de sa grandeur financière,
voulût bien dans sa sagesse nous préciser l'époque où, selon son opinion, la
Belgique pourra faire un emprunt. Je voudrais bien que l'honorable membre mît
ses opinions pratiques, son expérience au service de l'administration dont il
ne veut pas le renversement.
M. Cogels.
- M. le ministre me permet-il de l'interrompre un instant.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je désire continuer. J'avais tout à l'heure
présenté une série de questions. L'honorable membre a gardé le silence le plus
impassible. C'était sur chacune de ces questions que j'avais demandé une
réponse. L'honorable membre n'a pas voulu le faire.
Pour le moment, je ne demande pas une réponse immédiate ; je fais
simplement un appel à son expérience, et je demande qu'il nous fasse connaître
le moment favorable où la Belgique devrait faire un emprunt.
La situation n'est pas bonne. Mais qui nous dit qu'elle sera meilleure
dans quelques mois ? Elle peut sans doute s'améliorer ; mais ne peut-elle pas
aussi empirer ?
L'honorable préopinant ne veut pas d'emprunt pour le moment ; il ne veut
pas de la ressource mise en avant à la fin de la séance d'hier par son
honorable ami l'ex-ministre des finances. Il ne veut pas de la ressource des
assurances. Il ne veut pas (et c'est ici que sa moralité se révolte) de l'impôt
proposé par le gouvernement, et qui tend à frapper d'un pour cent les
successions en ligne directe.
M. Cogels.
- C'est du serment que j'ai parlé.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'y
viendrai. Il ne veut donc d'aucune de ces ressources. Il ne peut nier cependant
qu'il n'y ait des besoins réels et pressants. Je ferai encore appel à son
expérience pour savoir comment l’on pourrait couvrir ces besoins sans
ressources nouvelles.
Il ne veut pas de l'impôt qui frapperait les successions en ligne
directe, de l'énorme impôt de 1 p. c, soit 100 francs pour 10,000 francs ;
1,000 francs pour 100,000 francs.
Il ne le veut pas, parce que c'est un impôt immoral, que j'aurais
moi-même qualifié d'immoral dans un arrêté du gouvernement provisoire, revêtu
de ma signature. Je suis très fier, je l'avoue, de tous les actes que j'ai
signés, que j'ai posés comme membre du gouvernement provisoire. Il en est bien
peu que j'aie le regret d'avoir contresigné ; et ce regret s'applique peut-être
à l'une ou à l'autre personne que les circonstances ont dû frapper beaucoup
plus que nos rancunes politiques.
Hors de là, en fait de mesures générales, je ne pense pas avoir rien à
retirer, rien à regretter des actes que j'ai posés comme membre du gouvernement
provisoire. Mais de ce que dans les considérants d'un arrêté, improvisés, comme
ils l’étaient tous à cette époque, et lus à peine par chacun de nous, on aurait
déclaré qu'il y a immoralité à placer un homme entre sa conscience et son
intérêt ; de ce que j'aurais signé une pareille formule, qui dans sa généralité
même manque de sens, s'ensuit-il que lorsqu'à dix-sept ans de là, à un moment
donné, reconnaissant le serment nécessaire à la perception d'un impôt, je doive
repousser l'impôt même que je considère comme juste et bon en soi ?
Le considérant de l'arrêté du gouvernement provisoire s'applique à tous
les serments du monde. Je défie de citer un seul cas où, lorsque vous imposez
le serment, vous ne placez pas l'individu entre son intérêt moral ou matériel
et sa conscience.
Ce n'est pas le moment de discuter la valeur du serment. Si, des deux
côtés de cette chambre, nous rencontrons d'invincibles répugnances, si l’on
nous oppose des raisons de conscience contre le rétablissement du serment en
matière de succession, le ministère avisera. Mais il faudra que l'on donne des
raisons tout à fait concluantes.
Il nous est impossible de considérer, quant à nous, le serment comme
immoral. Nous serions désolés d'avoir introduit un élément d'immoralité dans
une loi quelconque. Mais quant au fond même de la loi, et c'est à cet égard que
mon honorable ami s'est servi avec raison des expressions de juste et de
morale, quant à l'impôt en lui-même, nous le maintenons et nous le
maintiendrons.
J'ai dit, messieurs, que l'honorable M. Malou, après de bien longs
détours, après avoir contesté beaucoup de choses, arrivait cependant à peu près
aux mêmes conclusions que nous. Car, en définitive, lorsque nous avons demandé
avec quelles ressources il entendait faire face aux besoins qui se révèlent,
l'honorable M. Malou n'a pas répondu, comme l'honorable M. Cogels, qu'il ne
fallait ni emprunt, ni impôt sur les successions ou les assurances ;
l'honorable M. Malou a tiré de son arsenal une arme qui n'apparaissait pas dans
cette enceinte pour la première fois ; l'honorable M. Malou nous a parlé des
assurances. Il pense que dans les assurances aux mains de l'Etat, il y a là une
ressource qu'il porte, je crois, de concert avec l'honorable M. Orban, à 6
millions par an.
Messieurs, ce système des. assurances, que l'on nous conseille, ne m'a
pas, quant à moi, surpris. Il y a déjà cinq à six ans, il m'est arrivé, dans
cette enceinte, d'indiquer cette ressource au gouvernement, car il y a
longtemps déjà que j'ai engagé le gouvernement à améliorer la situation
financière.
Cette ressource éventuelle, messieurs, nous ne la repoussons pas, et
l'honorable M. Malou a été prié par nous de continuer, dans la commission
nommée pour examiner la question des assurances, le rôle qu'il y avait commencé
comme ministre. Mais nous sommes en présence de besoins réels, en présence de
besoins auxquels il faut pourvoir avec des ressources réelles, et non pas avec
des éventualités, avec des évaluations plus ou moins exagérées. Avant qu'on
n'en vienne à faire adopter dans cette chambre une loi qui remette aux mains de
l'Etat les assurances, il se passera du temps. Avant qu'on en vienne à
appliquer une pareille loi, il se passera du temps. Avant qu'une pareille loi
rapporte, il se passera du temps ; et il nous faut dès maintenant des
ressources dans une certaine mesure.
Et puis, messieurs, avec le système des assurances tel qu'on l'entend,
est-on bien venu à combattre la nécessité de nouveaux impôts ? Mais de deux
choses l'une : le système des assurances sera un système d'impôts ou il ne
produira rien. Vous attendez 6 millions de recette du système d'assurances par
l'Etat. Où trouverez-vous ces six millions de recette ?
Voulez-vous que l'assuré vous rembourse uniquement de vos dépenses
administratives ? Voulez-vous seulement trouver dans la prime la compensation
de ces services ? Mais alors il ne faut pas compter sur des ressources de ce
chef. Vous rendrez des services qui vous coûteront certaines sommes ; l'assuré
vous restituera le montant de ces sommes, mais vous n'avez rien à porter en
recette.
Si, au contraire, en même temps que vous rendrez à l'assuré un service,
vous profilez de l'occasion (occasion très légitime, je le reconnais) pour
augmenter vos ressources par l'impôt, alors ne venez pas dire qu'il n'est pas
nécessaire de demander au pays de nouveaux impôts. Dites que vous aurez une manière
autre de l'imposer, que vous l'imposerez d'une autre façon ; mais ne venez pas
dire qu'il n'est pas nécessaire de demander au pays de nouveaux sacrifices. Ces
sacrifices, vous êtes forcé de les lui demander d'une manière ou d'une autre.
Messieurs, le système des assurances, je le répète, nous ne le
repoussons pas. Mais vous trouverez vous-mêmes que cette question n'est pas
entièrement mûre ; que de pareilles questions, qui sont de nature à produire
dans le pays certaines perturbations dans certains intérêts, ne peuvent être
lancées légèrement dans cette chambre, si surtout on veut les y produire avec
quelques chances de succès. Cette question, nous l'examinons de bonne foi. Nous
n'avons pas de parti pris contre elle. Au contraire, nous l'avons préconisée.
Mais je dis que dès aujourd'hui, il n'est pas possible de penser à porter dans
cette chambre un système complet sur la législation des assurances.
L'honorable M. Malou a été plus loin ; et ici je suis encore heureux de
me rencontrer avec lui, et je me demande si, en effet, il n'y aurait pas eu,
sous ce rapport, quelque malentendu entre nous. L'honorable M. Malou veut que
le gouvernement joue dans le crédit public un rôle plus direct, plus
prépondérant que celui qui lui est réservé aujourd'hui. Nous sommes parfaitement
d'accord sur ce point ; mais cependant je dois me rappeler qu'il a été un temps
où l'honorable M. Malou voulait bien traiter, je pense, d'utopie irréalisable
certaines idées que je me permettais d’émettre et qui supposaient au
gouvernement ce rôle prépondérant que l'honorable membre veut lui faire jouer
aujourd'hui en matière de (page 188)
crédit public. Je suis heureux du reste d'apprendre quel est aujourd'hui le
sentiment de l'honorable M. Malou dans cette grave affaire.
Quant au rôle que l'honorable M. Malou assigne au gouvernement, comme
tuteur né des intérêts populaires, messieurs, je ne sais si je m'abuse, mais il
me semble que nous aurions quelque droit de revendiquer pour nous l'honneur de
pareilles intentions. Depuis longues années, nous avons soutenu qu'à nos yeux
le but d'un gouvernement n’était pas seulement de faire sentir au pays le côté
fâcheux de l'administration ; nous avons dit qu'il ne fallait pas qu'un
gouvernement se montrât sans cesse au peuple sous la forme d'un gendarme ou
d'un receveur de contributions ; nous avons dit que l'administration publique
devait souvent descendre dans les populations pour leur apporter le bien-être
moral ou matériel. Voilà les principes que nous avons toujours professés, et
ces principes, nous les apportons au pouvoir comme nous les avions dans
l'opposition. Si donc, pour toutes ces questions, l'honorable M. Malou veut
nous donner la main, nous serons très heureux de son concours ; mais nous ne
pensons pas avoir besoin d'être poussés par lui dans cette voie, attendu que
cette voie a toujours été la nôtre.
Messieurs, cette première discussion sur notre situation financière
aura, je l'espère, porté quelque fruit. Tôt ou tard nous devions l'aborder. Le
premier budget des dépenses, le budget des voies et moyens aurait sans doute
donné ouverture à ces débats. Aujourd'hui, et sans vouloir empêcher ces débats
de renaître à l'avenir, aujourd'hui que les lumières ont été jetées sur la
situation et sur les besoins réels du trésor, je crois, messieurs, que nous
serons mieux en mesure d'aborder l'examen des budgets, et je dois insister
aujourd'hui, comme je l'ai fait à l'ouverture de cette session, je dois
insister pour que les budgets des dépenses et le budget des voies et moyens
soient discutés et votés avant le 1er janvier 1848.
Si, messieurs, les discussions doivent renaître,
oh ! mon Dieu les occasions ne manqueront pas. Je le répète, je ne veux pas
étouffer les discussions ; le pays n'a qu'à gagner à connaître parfaitement sa
situation financière ; mais ce que je demande c'est que nous obtenions au moins
cette année la régularisation administrative qui consiste à obtenir le vote des
budgets d'un exercice avant l'ouverture de cet exercice. Ce n'est pas trop, je
pense, de demander cela à tous les bancs de cette chambre. Tout le monde a
intérêt à ce que les budgets soient votés en temps opportun. Et de plus, la loi
de comptabilité l'exige impérieusement.
M. Malou.
- Je commence, messieurs, par m'associer au vœu exprimé par l'honorable ministre
de l'intérieur, et pour m'y associer en fait, je m'efforcerai d'abréger le
petit nombre d'observations que j'ai encore à soumettre à la chambre, sur
l'importante question qui s'agite devant elle.
M. le ministre de l'intérieur, comme d'autres honorables préopinants, a
bien voulu reconnaître que le discours que j'ai prononcé hier était habile.
Messieurs, cela ne me suffit pas, lors même que l'expression d'habile serait
prise en très bonne part. J'ai la prétention d'avoir parlé sincèrement, de
bonne foi, d'avoir fait un exposé, non pas habile, mais un exposé vrai.
L'honorable ministre de l'intérieur vous disait que je m'étais
longuement attaché à prouver que les prédécesseurs du ministère actuel
n'avaient pas mis dans leur poche l'argent des contribuables. Messieurs, j'en
appelle à vos souvenirs : ai-je rien dit qui ail rapport à cette question ? Et
messieurs, j'aurais cru avilir mon pays, j'aurais cru faire outrage à la morale
publique si j'étais descendu jusqu'à justifier devant vous ou ma probité privée
ou celle de mes prédécesseurs.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Vous avez
bien compris que c'était une figure.
M. Malou.
- Si c'est une figure, je devais protester contre cette figure.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'ai fait
partie deux fois des ministères précédents.
M. Malou.
- Singulier résultat, messieurs ! L'honorable ministre de l'intérieur partage
en deux classes les orateurs qui ont pris part à cette discussion : ceux qui
dissimulent la véritable situation, et ceux qui l'exposent dans toute sa vérité
; et, peu d'instants après, l'honorable ministre ajoute : « Vous êtes tous
amenés, par la force des choses, au même résultat que nous. » Je ne sais,
messieurs, comment concilier entre elles ces deux assertions qui me paraissent
se rejeter l'une l'autre.
Quant au discours prononcé par l'honorable M. Delfosse, je fais
abstraction complète de toute la partie politique de ce discours, qu'elle me
soit personnelle, qu'elle soit générale ; nous sommes dans la question de
finances, de chiffres et, pour ma part, quelles que puissent être les
expressions employées à mon égard, je n'en sortirai pas un instant.
Pour répondre par des faits au discours de l'honorable M. Delfosse,
j'insiste de nouveau pour que M. le ministre des finances prenne l'engagement
devant la chambre (car enfin nous avons tous intérêt à obtenir des lumières
complètes sur la situation), pour qu'il prenne l'engagement de faire publier
une bonne statistique financière depuis 1830 jusqu'en 1847. Il faudrait
peut-être 50,000 fr. pour cette publication ; mais, je le répète, il n'y a pas,
dans l'état actuel de nos affaires, pour toutes les opinions, de dépense plus
facile à justifier, plus utile que celle-là.
Alors,
messieurs, nous pourrions voir si, en effet, la fortune publique a été mal
gérée, malhabilement gérée ; nous pourrons voir si, en effet, comme le prétend
l'honorable M. Delfosse, nous avons dépensé sans compensation une somme de 120
ou de 145 millions.
L'honorable membre, pour m'arrêter à un seul point, n'a tenu aucun
compte de ce fait que je rappelais hier, que si nous avions dépensé quelques
sommes au-delà des recettes ordinaires, on le comprendrait facilement lorsque
le seul budget de. la guerre, comme je le rappelais hier, a emporté en charges
extraordinaires, supportées par les contribuables, plus de 130 millions. Par un
seul article, en supposant que l'édifice élevé par l'honorable M. Delfosse fut
irréprochable, par un seul article la différence serait comblée.
J'en viens, messieurs, aux questions précises posées par M. le ministre
de l'intérieur. Faut-il des crédits supplémentaires ? Je reconnais qu'il faut
des crédits supplémentaires. J'ignore jusqu'à concurrence de quelle somme la
chambre les accordera.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Avons-nous un découvert ?
M. Malou.
- L'honorable ministre me rappelle sa première question : Avons-nous un
découvert ? Je ne revenais pas sur ce point parce que j'ai reconnu hier que
nous avons anticipé sur l'emprunt futur, que nous avons créé, si vous le
voulez, un découvert pour les travaux publics, à concurrence d'une somme de 20
à 25 millions. Je ne revenais pas sur ce point, parce que c'est une vérité
première signalée dans tous les documents que j'ai fait moi-même distribuer aux
chambres.
Y a-t-il nécessité de crédits supplémentaires ? Il peut y avoir, dans
une certaine mesure, nécessité de crédits supplémentaires.
Je m'empare un instant des chiffres produits au commencement de la
séance par M. le ministre des finances, et je démontrerai facilement à la
chambre, si M. le ministre me permet de citer le chiffre du fonds de
liquidation, qu'en admettant à charge du passé tous les crédits supplémentaires
qui peuvent être demandés, en admettant que le passé a pu supporter sur les
ressources ordinaires les charges qui sont nées de la crise des subsistances,
nous avons encore un excédant.
Voici ce qui s'est passé : le trésor public a reçu à forfait une somme
de 7 millions de florins, capital nominal, à 2 1/2 p. c. pour achever la
liquidation ; l'excédant de ce fonds est acquis au trésor, sans qu'il faille
pour cela aucune disposition nouvelle.
On dit avec raison que la liquidation n'est pas terminée ; mais les
délais pour réclamer sont périmés, et l'on sait aujourd'hui qu'en réalité le
fonds ne sera pas au-dessous d'un capital nominal de 12 à 13 millions (interruption), de 11 ou de 10 millions,
si vous voulez.
Or, 10 millions de capital nominal de notre dette à 50 p. c. font 5
millions. Le cours, très longtemps avant la crise que toute l'Europe
occidentale subit, s'est élevé de 54 à 61 p. c. Nous aurions cette valeur qui
représenterait donc 6 millions. Or, de l'aveu de l'honorable ministre des
finances, en tenant compte de tous les crédits supplémentaires, le passif,
antérieur au 1er janvier 1838, serait de 5,278,000 fr. Il résultera de là qu'en
mettant en toute rigueur la liquidation à jour, nous aurions encore sur
l'ensemble de cette liquidation un excédant de plusieurs centaines de mille
francs.
Faut-il des crédits complémentaires ? Je l'avoue ; oui, il faut des
crédits complémentaires ; mais ce qu'on appelle crédits complémentaires, c'est
l'achèvement des travaux commencés et dont la législature a cru prudent
d'échelonner l'exécution sur plusieurs exercices. Ainsi, je reconnais, et
j'avais déjà reconnu hier, qu'il fallait achever le canal de Zelzaete ; j'avais
reconnu qu'il pouvait y avoir un crédit, non complémentaire, mais
supplémentaire, à demander pour le canal latéral à la Meuse. Car c'est la
première fois qu'on annonce que la somme de 3,500,000 fr. ne sera pas
suffisante. (Interruption.) Pour moi,
j'avoue que jusqu'à présent, je n'en avais pas entendu parler. (Nouvelle interruption.) Enfin soit ; ne
discutons pas sur ce point.
II faudra un crédit supplémentaire ou complémentaire pour l'achèvement
du canal latéral à la Meuse. Mais, messieurs, ce sont là des dépenses de
l'extraordinaire, et j'ai reconnu que dans un avenir quelconque, dans une
situation régulière, il sera nécessaire de consolider une partie de notre dette
flottante. J'ai dit « dans une situation régulière » ; et soyons
ici avec une entière bonne foi ; je le demande à la loyauté de M. le ministre
de l'intérieur : Depuis que la crise des subsistances a pesé sur le pays, sur
le crédit de la France, de l'Angleterre, de toutes les nations qui nous
entourent, depuis que nous avons eu cette cruelle incertitude de savoir si nous
n'aurions pas la famine ; depuis qu'à la crise alimentaire est venue se joindre
une crise financière, provoquée, on l'a dit tout à l'heure avec raison, par
d'imprudentes spéculations, nous sommes-nous trouvés un seul jour dans la
position ou de pouvoir proposer de nouveaux impôts, ou de pouvoir faire
utilement, honorablement un appel au crédit public ?
Non, messieurs, il n'est aucun de vous qui puisse le dire ; cette
opportunité n'a jamais existé pour nous. Ainsi, lorsqu'on vient qualifier de
faiblesse, de défiance de l'opinion publique cette prudente abstention que le
gouvernement a pratiquée pendant les deux années douloureuses que nous avons
traversées, l'on est injuste envers le passé ; si nos adversaires avaient été
assis alors sur le banc ministériel, ils n'auraient pas eu le courage, car ce
n'eût pas été du courage, alors que le blé était à 42 fr., de venir proposer à
la chambre de nouveaux impôts.
Encore une fois, quand on veut juger des actes, il faut voir quels ont
été les faits, dans quelles circonstances ils ont été posés. C'est une justice
que je demande et que j'obtiendrai, j'en suis certain, de la loyauté de
l'honorable ministre de l'intérieur.
Mais ces circonstances que je viens de définir en peu de mots, nous (page 189) savions qu'elles
n'existeraient pas toujours ; nous savions qu'un jour viendrait où le
gouvernement aurait à remplir, devant les chambres st le pays, ce grave devoir
d'augmenter les charges publiques. Nous nous étions préparés à cette éventualité.
Je ne veux pas examiner qui a l’initiative de l’idée. L’idée est beaucoup plus
vieille que mon entrée aux affaires. M. le ministre de l'intérieur peut avoir
l'initiative. Je ne réclame qu'un mérite ; c'est de l'avoir adoptée, c'est de
lui avoir donné en quelque sorte un corps pendant mon existence ministérielle,
de l'avoir préparée, pour que le gouvernement, s'il le voulait, pût la traduire
en une loi, pour que mes successeurs, car Dieu me préserve d'apporter jamais de
l’amour-propre dans la gestion des affaires publiques ! pour que mes
successeurs pussent se faire honneur de la faire adopter, pour que je pusse les
seconder pour la faire adopter.
J'ai cherché à donner un corps à cette idée ; si les événements ne m'en
avaient empêché, quoi qu'on en puisse dire, l'idée était tellement étudiée,
tellement prête que la chambre en eût déjà été saisie au moment où je parle.
Messieurs, dans l'appréciation du passé, il faut tenir compte d'un autre
fait ; il faut tenir compte, non seulement des dépenses que le gouvernement a
faites, mais encore de celles qu'il a empêchées. Il y a, je l'ai dit bien des
fois, dans nos institutions, dans la nature de notre Constitution politique, un
très grand entraînement vers les dépenses publiques. Là est le véritable danger
qui, dans le passé, a menacé et même quelquefois compromis nos finances.
Comment avons-nous rempli notre devoir ? Nous l'avons rempli, en
méprisant toute considération politique étrangère à ce grand intérêt. La
chambre se rappellera la discussion du dernier budget des travaux publics.
C’était à la veille des élections : quelle position le gouvernement a-t-il
prise ? A-t-il fait de la caisse de l'Etat une sorte de moyen de réclame
électorale ? N'a-t-il pas accepté ici une lutte longue, ardente, pour empêcher
que le trésor public n'eût à subir une lésion beaucoup plus forte que tant,
d'autres dont on se plaint ? Je dis une lésion, non pas que je condamne en
principe les dépenses qui ont été ajournées, mais lésion, parce que, selon
l'opinion du gouvernement, ces questions n'étaient pas étudiées, n'étaient pas
mûres ; qu'elles devaient, au point de vue des véritables intérêts du pays,
recevoir un complément d'instruction, être résolues dans des circonstances plus
favorables.
Je demande donc, lorsqu'on apprécie le passé, je demande surtout à
l’honorable M. Delfosse qu'il tienne compte des dépenses que le gouvernement a
empêchées, en les ajournant à des temps meilleurs.
La situation, nous dit-on, sera-t-elle meilleure plus tard ?
Pourrez-vous, mieux qu'aujourd'hui, contracter un emprunt ? Je m'étonne, en
présence des faits qui se passent dans le pays sous le rapport financier, qu'on
me demande si la situation sera meilleure plus tard. Ce que je sais, c'est
qu'elle n'est pas opportune aujourd'hui. Pour le surplus je pourrais répondre
par un mot que j'ai entendu prononcer autour de moi et qui me paraît
parfaitement juste : je sais qu'il pleut aujourd'hui, mais je ne puis vous dire
quel jour il fera beau.
Ainsi que l'a dit M. le ministre de l'intérieur, nous sommes d'accord
sur plusieurs points, d'abord sur la nécessité de l'amélioration de notre
situation financière, en créant des ressources nouvelles. Nous ne sommes qu'à
une faible distance, en ce qui concerne les moyens d'améliorer cette situation
financière ; le système le seul utile, le seul national, ce système avait paru
en partie considéré par le ministre des travaux publics comme une utopie.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- J'ai parlé de l'idée de faire du gouvernement un sauveur général.
M. Malou. - Je me félicite d'avoir provoqué
l'explication. Le cabinet continue donc l'étude de cette question ; il n'a pas
de parti pris contre le système. Je veux agir envers le gouvernement avec une
pleine et entière franchise ; je désire que dans un délai très rapproché il
puisse prendre à cet égard un parti définitif ; s'il ne propose pas de
convertir ce système en loi, je croirai en loyal député devoir rejeter tous,
les autres impôts présentés à la chambre. Je déclare de même que si ce système
est proposé, il ne rencontrera aucun défenseur, sinon plus énergique, du moins
plus dévoué que moi.
M.
de Corswarem. - Messieurs, mon intention n'est pas de suivre
les précédents orateurs dans la discussion de la situation financière ; je me
propose uniquement de présenter quelques observations relativement à la dette
publique proprement dite. Je ne suis nullement d'accord avec plusieurs des
préopinants qui ont prétendu qu’on pourrait éteindre la dette flottante de deux
manières : simultanément par la consolidation, et progressivement au moyen
d'économies. Je soutiens qu'il n'y a qu'un seul moyen d'éteindre la dette
flottante, et que ce n'est que par la voie des économies. La consolidation,
loin d'éteindre la dette flottante, provoque constamment à en créer une
nouvelle. Pareille chose est arrivée déjà quatre fois : en 1836, en 1838, en
1840 et en 1844. Aujourd'hui, pour la cinquième fois, nous nous trouvons
vis-à-vis d'une position à peu près pareille.
Chaque fois que la dette flottante a été consolidée, le gouvernement
s’est dit : Nous n'avons pas de dette flottante ; cependant c'est une chose
utile ; il en existe une en France, en Angleterre, partout il y en a, nous
devons en créer une aussi ! Et chaque fois qu'on a consolidé la dette
flottante, on en a créé une autre, d'abord de 2 à 3 millions, puis de 5 à 6,
ensuite de 10 à 15, après de 20 à 30, et enfin jusqu'à ce qu'on eût une somme
assez forte pour la consolider de nouveau au moyen d'un emprunt. Je crois que
nous devons tâcher d'éviter ce danger et que nous ne devons consolider de la
dette flottante, que la partie qui a été employée à la construction de travaux
publics, mais non celle qui a servi à couvrir les dépenses ordinaires de
l’Etat, et qui ne doit être éteinte qu’au moyen d'économies.
Le nouveau mode d'émission des bons du trésor a complètement réussi ; je
crois même au-delà des espérances du ministre des finances. Cependant je ne
crois pas que pour le moment il serait prudent de laisser la dette flottante
dépasser 20 ou 25 millions, En France, à une certaine époque, la dette
flottante atteignait la moitié du budget : chez nous, pour être dans la même
proportion, elle devrait atteindre 50 millions. Mais le public n'est pas encore
assez habitué à recevoir des bons du trésor, pour qu'en ce moment on puisse
songer à en élever l'émission au-delà de 20 millions, sans s'exposer à un
danger réel. Quand cette valeur sera plus populaire, je crois que, dans des
circonstances données, nous pourrions l'élever jusqu'à la moitié de notre
budget, pour autant que nous aurions quelques prévisions de pouvoir la diminuer
aussi dans un temps donné.
Quoique le nouveau mode d'émission ait réussi, je crois que désormais il
y aurait encore des améliorations à apporter. On ne peut plus les mettre en
pratique aujourd'hui, on ne pourrait le faire que dans le cas d'une émission
ultérieure.
Ainsi le gouvernement, pour pouvoir émettre des bons du trésor à
concurrence de la somme dont il a eu besoin, a dû recourir à un grand
capitaliste étranger, ce qui l'a entraîné à une dépense assez considérable.
Pour compenser cette dépense on a dit que celui qui consentirait à ne pas
recevoir à Paris aurait une bonification de 1/4 p. c. Je crois que quand la dette
flottante sera plus populaire, on pourra se dispenser de faire cette
bonification parce qu'on trouvera assez de preneurs en Belgique.
On trouvera donc là une économie réelle.
Une deuxième amélioration consisterait à ne pas accorder la bonification
entière à ceux qui ne conserveraient les bons du trésor que pendant six mois,
et à ne l'accorder entièrement qu'à ceux qui auraient assez de confiance dans
la Belgique pour lier leur fortune à la sienne pendant un an. A ceux qui
voudraient le remboursement au bout de six mois, on ne devrait donner que la
moitié de la bonification, soit 1/8 p. c.
Une troisième amélioration serait de réduire l'intérêt tant de la dette
flottante que de la dette consolidée à 4 p. c. au lieu de 4 1/2, quoique
l'honorable M. Delfosse air dit que cette valeur ne se plaçait pas aussi bien
que le 4 4/2.
M.
Delfosse. - Je n'ai pas parlé du 4 1/2 ; j'ai dit que le
4 ne se plaçait pas aussi facilement que les autres fonds.
M.
de Corswarem. - J'ai interrompu l'honorable membre pour dire
que le contraire était vrai. J'ai consulté le Moniteur du 30 novembre ; il
contient le prix courant officiel, dressé à la bourse de Bruxelles, le 20
novembre. Dans ce prix courant, je vois trois puissances ayant des fonds à 4 et
4 1/2 : la Belgique, l'Autriche et la France.
Je trouve encore dans ce prix courant les fonds belges 4 p. c. coter à
88 1/2. Ces fonds étant à 88 1/2, le 4 1/2, dans la même proportion, devrait
être à 99 1/2 ; mais il n'est qu'à 92. Différentes circonstances, dont
l'honorable M. Delfosse a énuméré quelques-unes, exercent de l'influence sur le
taux élevé du 4 p. c. j'en conviens. Ce n'est donc pas à ces seuls fonds que
nous devons nous tenir. Eh bien, les 4 p.
c. français ont été cotés à 99 fr., tandis que les 4 1/2 du même pays,
qui dans la même proportion auraient dû être cotés à 111, ne le sont qu'à 103.
Ce qui prouve, contrairement à ce que vient de nous dire l'honorable M.
Delfosse, que le 4 p. c. se place mieux que le 4 1/2.
Lors de la conversion d'intérêts d'une partie de notre dette, en 1844,
j'ai dit qu'il y avait de l'inconvénient à interdire l'amortissement, lorsque
la cote dépasserait le pair ; puisqu'il s'agit de contracter un nouvel emprunt,
je recommande fortement à M. le ministre des finances de vouloir étudier cette
question.
Quand les fonds publics sont-ils au-dessus du pair ? Lorsque le pays se
trouve dans un état de prospérité. Or d'après la loi, quand le pays se trouve
dans un état de prospérité, il ne peut amortir parce que ses fonds sont alors
au-dessus du pair.
Les fonds ne sont au-dessous du pair, que quand le pays est dans la
gêne, et ce n'est d'après la loi qu'alors qu'on peut amortir. Ainsi, lorsque
l'on est dans l'aisance, on ne peut amortir ; et lorsqu'on est dans la gêne on
doit amortir.
Il n'est personne, j'en suis certain, qui ne sente la bizarrerie de
cette position.
Tout ceci prouve que le fonds d'amortissement n'a été créé que dans
l'intérêt des détenteurs de fonds publics et nullement dans le but de libérer
l'Etat des dettes qu'il a contractées. Je voudrais cependant (et je crois que
plusieurs de mes honorables collègues seront de mon avis) que le fonds
d'amortissement servit à libérer l'Etat plutôt qu'à améliorer la position des
porteurs des titres de la dette.
Puisqu'on a parlé de l'organisation de l’armée, j'en dirai aussi un mot.
J'ai voté contre cette organisation, parce que j'ai trouvé qu'on proposait une
armée coûtant plus que les ressources du pays ne le comportent. C'est du côté
gauche de |a chambre qu'est surtout venu l'appui qu'a trouvé alors la
proposition ministérielle. En demandant une armée très forte, la gauche
acquérait de la popularité dans l'armée. C'était le but qu'elle voulait
atteindre alors. L'année dernière, lorsqu'il s'est agi de voter le budget de la
guerre, les mêmes membres qui avaient voté pour une organisation forte, ont
voté pour des dépenses faibles, en vue alors d'acquérir de la popularité parmi
les contribuables,
(page 190) Je conçois le
motif de cette double manœuvre à la veille des élections. Pour moi, j'y suis
resté étranger. J'ai d'abord voté pour une armée faible, et n'ai pas acquis
ainsi de la popularité dans l'armée. J'ai ensuite voté les dépenses nécessaires
pour solder l'armée telle qu'elle était organisée par la loi, et je n'ai pas
ainsi acquis de la popularité parmi les contribuables. Je n'ai acquis que la
consolation d'avoir agi selon ma conscience, dans l'un comme dans l'autre cas.
Quant aux droits de succession, puisque M. le ministre de l'intérieur en
a dit un mot, j'en dirai également un. Ce droit de 1 p. c. sur les successions
en ligne directe lui paraît une bagatelle, puisqu'il a parlé ironiquement de
l’énormité d'un droit de 1 p. c. Eh bien, à mes yeux, ce droit est sérieusement
énorme et plus fort que le droit de 10 p. c. sur les successions collatérales
ou testamentaires ; car il est certain qu'on hérite en ligne directe dix fois
plus de ses parents qu'en ligne collatérale de cousins ou de personnes
étrangères.
Il est moins pénible de payer 10 p. c. en ligne collatérale, sur une
succession à laquelle on ne s'attend souvent pas, que 1/4 p. c. en ligne
directe sur la succession de son père ou de sa mère.
Lorsque nous en serons à cette loi, je m'expliquerai davantage. Je dois
dire dès à présent que, d'après la déclaration de M. le ministre de
l'intérieur, je considère le serment comme retiré à moitié, ou aux trois
quarts, pour ne pas dire tout à fait, et que je combattrai de mon mieux le
droit de succession en principe.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.