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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 1 décembre 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
relative à la poste aux chevaux (de Garcia, Malou)
2) Projet de loi portant le budget du département des
finances pour l’exercice 1848 (Zoude, de
Garcia, Rodenbach)
3) Rapports sur des demandes en naturalisation
4) Projet de loi portant le budget de la dette
publique pour l’exercice 1848.
Discussion générale. Recours excessif à la dette flottante, mode d’émission des
bons du trésor, équilibre général entre recettes et dépenses (de Foere, Mercier, Malou, Veydt, de
Foere, (+chiffre global du budget de la guerre) (Osy, Rogier), Cogels, Malou,
(+encaisse de la Société générale, chemin de fer de l’Etat) Frère-Orban)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 159) M. Troye
fait l'appel nominal à 2 heures un quart.
M. T’Kint de Naeyer
lit le procès-verbal delà séance précédente, dont la rédaction est approuvée.
M. Troye
présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Plusieurs marchands de liqueurs fortes et cabaretiers du canton
de Tamise demandent l'abrogation de.la loi du 18 mars 1838, qui établit un
impôt de consommation sur les boissons distillées.»
- Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens.
______________
« La dame Briston, veuve du général Lecharlier, demande une
pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Dangonau et Canonne,
vice-président et secrétaire de la commission des délégués des maîtres de poste
prient la chambre d'allouer au budget des travaux publics un subside de 150,000
fr. en, faveur des relais de poste, et demandent la suppression de la
contribution sur les chevaux de poste. »
M. de Garcia. - Je
demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale du budget des
travaux publics. Une proposition sur la matière dont il s'agit a déjà été faite
l'an dernier ; elle était même signée par l'un des ministres. J'espère, dès
lors, que cette année cette proposition a plus de chances de succès que l'année
dernière.
M. le
président. - On sait probablement qu'il existe un projet
de loi signé par quelques membres de la chambre ; les, sections chargées de
l’examiner nommeront des rapporteurs, et une section centrale sera constituée.
Ne serait-il pas plus naturel de renvoyer la pétition à cette section centrale
?
M. Malou.
- Messieurs, l'année dernière cette proposition n'a pas (page 160) été rejetée ; elle a été disjointe du budget pour faire
l'objet d'un projet de loi spécial. Maintenant, si vous renvoyez la pétition à
la section centrale du budget des travaux publics, c'est détruire le vote de
l'année dernière. Il vaut mieux la renvoyer à la commission ou aux sections qui
examineront la proposition spéciale dont il s'agit et auxquelles on pourra
renvoyer toutes les pétitions relatives au même objet.
.- Je me rallie, messieurs, à la proposition de l'honorable M. Malou ; mais
je demande que la commission fasse son rapport le plus tôt possible.
- La chambre décide que la pétition est renvoyée à la section centrale
qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif aux maîtres de poste.
______________
Par dépêche en date du 24
novembre M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier) adresse à la chambre 110
exemplaires du catalogue de la bibliothèque de l'observatoire.
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Zoude
dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des finances.
M. le
président. - Ce rapport sera imprimé et distribué A quel
jour veut-on en fixer la discussion ? L'impression demandera deux jours.
Plusieurs
membres. - A lundi.
M. le président. - On
propose lundi. Je pense que le rapport pourra être distribué demain soir.
M. de Garcia. - Si le
rapport pouvait être distribué demain soir, on pourrait, sans inconvénient,
fixer la discussion à lundi, car nous aurions deux jours pour examiner le
rapport ; mais si l'impression doit exiger deux jours, la distribution ne
pourra guère avoir lieu que samedi et alors je pense qu'il faudrait reculer le
jour de la discussion.
M. Zoude. -
Sauf les annexes, qui demanderont un peu de temps, le rapport pourra être
distribué demain soir.
M.
Rodenbach. - D'après les observations faites par
l'honorable député de Namur, je pense qu'on ferait peut-être bien de remettre
la discussion à mardi.
- La chambre décide que la discussion aura lieu lundi.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M.
Sigart. dépose divers rapports sur des demandes en
naturalisation.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
_________________
M. le
président. - Le bureau a complété quatre commissions. Dans
la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'érection
des communes de Pussemange et de Bagimont, M. Thyrion a été remplacé par M.
Dautrebande. Dans la commission à laquelle a été renvoyé le projet de loi sur
les vices rédhibitoires, MM. Thyrion et de Saegher ont été remplacés par MM.
Dautrebande et d'Elhoungne.
Dans la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à la
délimitation de la commune de Grapfontaine, M. d'Hoffschmidt a été remplacé par
M. d'Huart.
Dans la commission qui examine le projet de loi sur le dépôt des étalons
prototypes des poids et mesures, M. Dumortier a été remplacé par M. Gilson ; M.
Duvivier, par M. Desaive ; M. Coghen, par M. Eenens.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE LA DETTE PUBLIQUE POUR 1848
Discussion générale
(page 169) M. de Foere. - Messieurs,
en prenant la parole dans la discussion du budget de la dette publique, mon
intention n'est nullement d'entamer un débat publique. Je n'ai aucune sympathie
pour ces sortes de débats.
Depuis 17 ans, je siège dans cette chambre ; jamais je n'ai pu apprécier
les avantages qu'ont produits de semblables discussions pour le bien-être réel
du pays.
Pour moi, les noms des ministres qui ont été et qui sont aujourd'hui au
pouvoir m'intéressent fort peu ; je ne vois, moi, que le pays. Si les actes des
ministres sont conformes aux véritables intérêts du pays, je donne mon
assentiment à leurs propositions ; si, au contraire, ils font des propositions
nuisibles au pays, je ne leur accorde pas l'appui de mon vote. C'est la raison
pour laquelle je n'ai pris aucune part à la discussion de l'adresse. Ce
document renfermait cependant, sous le rapport financier, un paragraphe qui
méritait bien l'attention sérieuse de la chambre. J'ai ajourné cette discussion
à une occasion plus favorable et plus calme. C'est cette occasion que je saisis
en ce moment.
Le besoin de recourir à des ressources extraordinaires a été manifesté
dans le discours du Trône. Si telle est la situation financière du pays qu'il
faille recourir à des ressources extraordinaires pour couvrir les besoins
ordinaires du pays, constatés et prévus, n'aurait-il pas été plus sensé de
demander ces ressources à l'économie ? Déjà deux fois, nous avons éteint une
partie de la dette flottante au moyen de l'emprunt. C'est là, messieurs, une
énorme anomalie en fait de bonne administration financière.
C'est détruire le véritable caractère de la dette flottante, d'ailleurs
si avantageuse sous tant de rapports ; c'est aller en sens inverse du but qu’on
s’est proposé en la créant, et c'est encourager le gouvernement à multiplier
les dépenses et à négliger les économies. En convertissant ainsi la dette
flottante en dette consolidée, elle permet au gouvernement ainsi qu'aux
chambres, de puiser, avec beaucoup de facilité, dans les fonds du trésor pour
se livrer à des dépenses dont le besoin absolu n'est pas constaté.
La chambre comprendra que je n'entends pas parler de cette partie de la
dette flottante qui est affectée à des travaux publics ; je parle uniquement de
cette partie de la dette flottante qui est destinée à faciliter le service du
trésor. C'est sous ce dernier rapport seulement que l'honneur de présenter mes
observations à la chambre relativement à la manière de couvrir ou d'éteindre
les émissions de la dette flottante.
En bonne administration financière, il est de règle que cette dernière
partie de la dette flottante affectée au service ordinaire du trésor soit
couverte par un excédant de revenus et non par l'emprunt. Or comment
pourra-t-on atteindre ce moyeu d'amortissement, si on augmente constamment les
dépenses, si on néglige les économies et si d'ailleurs il est extrêmement dur
pour le pays et difficile pour tout e administration d'augmenter les impôts ou
d'en créer de nouveaux.
Suis doute il faut à tout prix maintenir l'équilibre entre les dépenses
et les revenus de l'Etat. J'ai toujours soutenu dans cette assemblée que cet
équilibre n'est pas maintenu, qu'il est ouvertement rompu chaque fois que l'on
doit recourir à l'emprunt pour amortir cette partie de la dette flottante qui a
été émise pour faciliter le service ordinaire du trésor, ou chaque fois qu'on
s'est trouvé obligé d'éteindre la dette flottante, en tout ou en partie, en la
convertissant, au moyen de l'emprunt, en dette consolidée.
Alors bien certainement l'équilibre entre les dépenses et les revenus
est loin d'avoir été maintenu.
Eu égard au degré d'importance qu'a atteint la dette flottante en 1847,
et à l'accroissement progressif de nos dépenses, je crains qu'il ne faille
recourir, une troisième fois, à l'emprunt pour éteindre cette dette en tout ou
en partie. Dans cet état de choses, je prie la chambre d'apprécier sérieusement
le résultat désastreux auquel une semblable direction, imprimée à nos affaires
financières, doit nécessairement aboutir.
A quoi sert l'amortissement annuel de la dette consolidée, si la partie
amortie vient à être remplacée par la consolidation de la dette flottante ?
Sans doute la situation serait plus désastreuse si l'amortissement progressif
de la dette publique n'avait pis lieu ; mais enfin il n'y a pas de résultat
avantageux, lorsque la consolidation de cette partie de la dette flottante, qui
n'est point affectée aux dépenses des travaux publics, remplace la partie de la
dette consolidée qui a été éteinte par l'amortissement.
Que ceux qui sont constamment disposés à jeter l'esprit de parti dans
nos discussions ne viennent pas nous objecter que c'est à tels ministères
précédents, ou à tels autres, que cette situation financière est due. Je leur
dirai d'avance que la faute en est aussi bien aux chambres auxquelles incombe
la mission de contrôler les dépenses proposées et de les équilibrer avec les
revenus. Afin de prévenir toute animosité sous ce rapport, je leur ferai
observer qu'ils n'ont qu'à aller aux sources d’où sont émanées les dépenses les
plus considérables dans lesquelles le pays a été entraîné et à consulter les
votes qui les ont accordées.
En effet, qu'ils fassent le dénombrement des votes qui ont sanctionné la
folle création de la navigation transatlantique, l'augmentation du traitement
de l'ordre judiciaire et plusieurs autres, et, en fait de votes de partis, il
se présentera à leurs yeux un véritable tableau de marqueterie. Il prouvera
qu'un débat politique serait, sous ce rapport, complètement oiseux.
Dans l'état actuel de nos finances, alors que le ministère nous a
manifesté le besoin de recourir à des ressources extraordinaires, j'ai été
douloureusement affecté dans la séance d'hier, lorsque le budget des affaires
étrangères a été voté à la presque unanimité.
Il m'a toujours paru que notre ménage diplomatique est monté sur un ton
beaucoup trop dispendieux, soit que nous considérions le budget des affaires
étrangères sous le rapport de nos ressources, soit sous celui du rang politique
qu'occupe le pays, soit sous celui de ses besoins diplomatiques, soit enfin
sous le rapport de l'influence que notre diplomatie peut exercer sur les
destinées du pays ; j'en ai conclu que ce budget était susceptible d'économies
considérables.
Malgré ce vote, je ne pense pas que la question d'économie dans nos
dépenses, considérée dans tous ces rapports, soit perdue. Elle est trop belle,
trop vitale pour les intérêts du pays pour qu'elle ne soit pas couronnée même
d'un succès qui ne se fera pas attendre longtemps. Je suis d'autant fondé à
l'espérer que, dans la discussion du budget des affaires étrangères, un
honorable membre en a fait un sujet de gloriole pour son parti, gloriole que,
pour ma part, je lui accorderai volontiers, s'il parvient, par ses efforts, à
seconder et à faire réussir les nôtres.
Tout en restant dans la question de la dette publique, je dois des
remerciements à la commission d'adresse. Elle a agi prudemment en ne répétait
pus le paragraphe du discours du Trône par lequel le ministère nous a annoncé
le besoin de ressources extraordinaires et en passant sous silence cette partie
du même paragraphe où il était dit que « la Belgique pouvait d'autant plus
facilement faire face à cette situation (c'est-à-dire à la création de
ressources extraordinaires) qu'elle avait traversé la crise financière plus
heureusement que ne l'avaient fait d'autres pays. »
J'ai beaucoup regretté cette déclaration inopportune du besoin que le
pays éprouverait de recourir à des ressources extraordinaires. Dans l'acception
usuelle de ces mots en matière de haute finance, ils désignent un emprunt. Or,
s'il était même positivement constaté qu'un emprunt était nécessaire, quelle
urgence y avait-il de venir manifester, par anticipation, ce besoin dans un
discours du Trône ? Cette déclaration intempestive nuira beaucoup à notre
crédit public.
En Angleterre, où on apprécie mieux les affaires relatives au crédit
public, on a discuté, voté et contracté le dernier emprunt en huit ou dix jours
de temps, et chacun sait combien la manifestation longtemps anticipée d'un emprunt a pesé lourdement sur
le crédit publie de la France.
Il est possible que, par ressources extraordinaires, le ministère n’ait
entendu qu'une augmentation d'impôts existants, ou la création de nouveaux ;
mais encore, dans ce cas, est-il regrettable que ces mots aient été employés.
Les discours du Trône sont publiés dans tous les journaux de l'Europe et même
dans quelques feuilles des autres parties du monde, et il est difficile
d'effacer, par des rectifications, les premières fausses impressions que les
lecteurs auront reçues.
Le ministère s'est livré à une fausse appréciation de la situation
financière du pays, lorsqu'il a fait proclamer du haut du Trône que la Belgique
pouvait d'autant plus facilement faire face à des ressources extraordinaires,
qu'elle avait traversé la crise financière plus heureusement que ne l'ont fait
d'autres pays. Mais la Belgique n'a pas posé les faits qui ont produit cette
crise dans d'autres pays. Elle n'avait pas spéculé d'une manière extravagante,
sur les actions des chemins de fer, ni sur les subsistances alimentaires. Si la
Belgique avait eu le malheur de s'engager dans ces folles spéculations, bien
certainement elle aurait traversé la crise moins heureusement que ne l'ont fait
d'autres pays. On était donc peu fondé à nous engager, par cette fausse
comparaison, à recourir à des ressources extraordinaires, pour couvrir des
dépenses extraordinaires.
Mais, si je remercie la commission d'adresse d'avoir tourné prudemment
une partie de ce paragraphe di discours du Trône, et d'avoir étouffé une autre
au moyen d'une prétérition adroite ; je regrette qu'elle n'ait point indiqué la
ressource des économies pour couvrir les besoins constatés et prévus. Elle a
répondu à ce paragraphe tout entier par des lieux communs.
Je dois aussi des remerciements au gouvernement pour avoir substitué un
nouveau mode d'émission de la dette flottante à l'ancien. Vainement j'avais
insisté, pendant douze à treize ans, sur cette mesure salutaire. On a enfin
compris tous les avantages qui doivent résulter de ce nouveau mode d'émission
des bons du trésor, avantages qui seront recueillis par le trésor public, par
le capitaliste, par le commerce et par l'industrie.
Nos bons du trésor de l'ancienne émission prenaient le caractère de
fonds publics. Ils n'entraient pas, ou peu, comme payements, dans les
transactions journalières, et il a fallu les maintenir à un taux d'intérêt
assez élevé pour leur trouver des preneurs. Les nouveaux auront aussi
l'avantage de ne pas exposer, au même degré, le trésor public au danger de leur
remboursement à des échéances fixes.
Afin d'activer la circulation des bons de la
nouvelle émission, je conseille à l'honorable ministre des finances d’en
émettre progressivement, (page 170)
et dans une sage proportion, d'une importance inférieure à celle de 500 fr. Je
pense que, sans aucun danger, il peut en créer d’une valeur de 250 fr. Le pays
en recueillera de nombreux avantages.
(page 160) M. Mercier. - Messieurs, je ne puis partager
complètement l'opinion que vient d'exprimer l'honorable M. de Foere, quant au
changement apporté au mode d'émission des bons du trésor. La dette flottante
peut se diviser en deux parties : la première partie doit faire face aux
dépenses qui ont lieu avant que les recettes ne soient effectuées ; tel a été
le but principal, sinon unique, de l'institution de notre dette flottante ; on
espérait qu'on ne devrait pas y recourir pour couvrir des déficits. Si la dette
flottante se réduisait à ce qui est nécessaire pour remplir cette première
destination, celle de couvrir les dépenses qui se font avant le recouvrement
des recettes prévues au budget, cette dette serait tout à fait insignifiante ;
je crois qu'elle n'atteindrait guère que 3 à 4 millions dans les premiers mois
de l'année seulement ; dans cette même hypothèse, on ne pourrait l'émettre qu'à
très courts termes, puisqu'après le troisième mois les recettes sur les
contributions directes, les seules qui restent en souffrance dans le
commencement de l'année, viennent alimenter le trésor et le mettent à même de
faire face à tous les besoins. Il est d'ailleurs à observer que s'il est des
dépenses qui doivent être liquidées avant le recouvrement des impôts destinés à
les couvrir, il en est d'autres qui se font assez longtemps après la rentrée de
ces ressources. Je citerai pour exemple les dépenses qui sont relatives aux
travaux publics, aux pensions, même à une grande partie des traitements, et
enfin aux semestres de la dette publique. Il est très possible que si la dette
flottante était restreinte à cette seule destination, il y aurait des années où
le gouvernement n'userait aucunement de la faculté d'émettre des bons du
trésor.
La deuxième partie de la dette flottante est celle qui doit couvrir une
insuffisance réelle des ressources du trésor ; elle est essentiellement
temporaire, et la chambre a toujours entendu qu'on saisirait la première
occasion favorable pour la faire disparaître, soit par des économies si la
chose était possible, soit en la consolidant. En général cette partie de la
dette flottante n'a été émise que dans la prévision de la consolider plus tard.
En effet, messieurs, chaque fois que l'on a décrété des travaux publics qui
n'étaient pas d'une grande importance, mais dont la dépense ne pouvait
néanmoins être couverte par les voies et moyens ordinaires, on n'a pu émettre
en même temps des titres de la dette constituée ; on a donc eu recours à la
dette flottante, et ce n'est que lorsque cette dette se fut accrue par
différentes opérations semblables qu'on l'a consolidée.
Ainsi, messieurs, je le répète, la chambre a toujours entendu que la
deuxième partie de la dette flottante, celle dont je viens de parler, ne serait
que temporaire, et qu'on la ferait changer de nature aussitôt que les
circonstances le permettraient ; toujours elle l'a envisagée comme un véritable
danger. Il ne s'est jamais passé une discussion du budget de la dette publique
ou du budget des voies et moyens sans que cette opinion fût émise sans
contestation. Maintes fois on a représenté que, dans des circonstances
extraordinaires, elle pouvait amener les plus grandes catastrophes. On a été
plus loin ; beaucoup d'orateurs ont prétendu qu'il serait sage, non seulement
d'éteindre entièrement cette dette flottante, mais même de créer une réserve.
C'est un conseil qui n'a cessé d'être donné au gouvernement dans cette
enceinte.
Messieurs, une disposition spéciale de la loi qui a établi la dette
flottante porte expressément que les bons seront émis à échéance fixe. Certes
on a eu un but, et un but très sérieux, en insérant cette disposition dans la
loi ; alors déjà l'honorable M. de Foere avait exposé le système anglais, et M.
le ministre des finances, l'honorable M. Duvivier lui-même était venu présenter
à la chambre un long exposé dans lequel il avait fréquemment fait mention de ce
système, qui permet de verser les bons du trésor en payement des contributions,
après leur échéance. Eh bien, messieurs, à cette époque on n'a pas voulu de ce
système, et depuis lors, en 1840, je me rappelle fort bien l'avoir examiné de
nouveau, et après y avoir mûrement réfléchi, je n'ai pas cru non plus qu'il fût
prudent de l'introduire chez nous.
La dette flottante n'est pas dangereuse dans les circonstances
ordinaires, et si elle n'était pas à craindre dans des moments de crise que
nous ne pouvons pas prévoir, elle serait la moins onéreuse, parce qu'on ne
l'émet que jusqu'à concurrence des besoins du moment et que, le plus souvent,
la place a un intérêt bien inférieur à celui de la dette consolidée. C'est donc
seulement dans les temps difficiles, que la dette flottante présente de graves
inconvénients ; et c'est pour ne pas être pris au dépourvu, qu'on a pensé qu'il
était plus sage d'établir des échéances fixes dont on prolonge ou restreint les
termes en raison des circonstances.
Maintenant, messieurs, il me semble que si la dette flottante était
maintenue à un chiffre considérable, il y aurait un danger réel dans la faculté
donnée aux porteurs de verser les obligations de la dette flottante en payement
des contributions. On peut les verser pour les droits d'enregistrement, de
succession, pour les droits de douanes et d'accises, pour les contributions
directes et notamment pour la contribution foncière, qui présente des cotes
très élevées.
Je ne puis donc, messieurs, approuver cette disposition sans réserve,
comme l'a fait l'honorable M. de Foere, qui paraît avoir envisagé cette
deuxième partie de la dette flottante comme une institution permanente, tandis
que je la regarde, moi, comme essentiellement temporaire, comme une dette qu'on
doit s'empresser de faire disparaître, aussitôt qu'on en trouve la possibilité.
Ainsi, messieurs, si la mesure a été prise pour faire face à des besoins
actuels, dans un moment où il était peut-être difficile, à moins de conditions
trop onéreuses, d'émettre des bons du trésor selon le mode usité, je ne la
désapprouve pas ainsi limitée ; mais, comme mesure permanente, destinée à
faciliter en tout temps l'émission de la dette flottante et pouvant amener
peut-être la détermination de la maintenir à un chiffre élevé, sous ce point de
vue, je ne saurais lui donner mon assentiment.
Je doute même que la disposition soit tout à fait
légale, car nous avons une loi organique de la dette flottante, la loi du 16
février 1833, et l’article premier de cette loi porte que les bons sont à
échéance fixe. Je sais bien que dans la forme les bons du trésor sont encore à
échéance fixe selon le nouveau mode ; mais, au fond, il est évident qu'un bon
qui peut être versé à toute époque en payement des contributions, alors qu'il a
encore plusieurs mois à courir, n'est plus à échéance fixe que de nom. J'ai
donc des doutes sérieux sur la parfaite légalité de cette disposition.
J'ai pensé qu'il était de mon devoir de soumettre ces observations à la
chambre ; je ne les aurais probablement pas produites, si je n'avais entendu
l'honorable M. de Foere approuver sans réserve les nouvelles dispositions qui
ont été introduites dans l'émission des bons du trésor.
M. Malou.
- Messieurs, la mesure qui a été prise pour le nouveau mode d'émission des bons
du trésor a été adoptée après mûr examen de la loi que l'honorable M. Mercier
vient de citer.
Je crois que la question de légalité ne peut pas faire doute un seul
instant. La loi ne défend pas au gouvernement d'émettre des bons du trésor dont
l'échéance fixe (d'après les termes du contrat qui intervient lorsqu'on prend
un bon du trésor) peut être abrégée, si l'on juge convenable de verser,
antérieurement à cette époque, les bons du trésor en payement des impôts.
Le gouvernement ne devait donc rencontrer aucun obstacle de légalité
pour introduire ce nouveau mode d'émission de la dette flottante. La question
d'utilité me paraît facile à apprécier. La dette flottante, dans un pays comme
le nôtre, est, dans une certaine mesure, utile et même très utile en toute
circonstance, et ce serait une grande erreur financière que de la consolider
tout entière, si on le pouvait dès demain.
(page 161) Remarquez bien,
messieurs, que dans notre organisation financière, il y a un vice que les
efforts du gouvernement et des chambres doivent tendre à faire disparaître de
plus en plus ; c'est que les fortunes nationales, les existences privées, comme
les capitaux des établissements publics, ne sont pas assez étroitement liés à
la fortune du pays ; et de là surtout vient la faiblesse relative de notre
crédit. Or, la création, l'existence, le maintien permanent d'une certaine
quotité de dette flottante est un des moyens les plus efficaces d'entretenir
des relations entre le trésor et toutes les espèces de capitaux. C'est par ces
relations, c'est en les rendant réciproquement avantageuses, c'est en ne les
laissant jamais s'interrompre par la suppression d'une catégorie de rapports,
de négociations, que vous pouvez fortifier le crédit public, pour traverser les
temps difficiles. A ce point de vue, lors même qu'on pourrait aujourd'hui
supprimer la dette flottante, il faudrait s'abstenir de le faire ; je crois
même que si les circonstances devenaient telles qu'une réduction très
considérable de l'intérêt de la dette flottante pût avoir lieu, il faudrait
savoir se résigner, dans les temps prospères, à supporter une légère dépense
pour les intérêts de la dette flottante, afin de ne pas éloigner, comme cela
est arrivé malheureusement, cette clientèle dont on a besoin dans les temps
moins favorables. Je diffère donc complètement d'opinion avec l'honorable
préopinant et quant à la suppression de la dette flottante et quant au taux de
l'intérêt.
La dette flottante peut sans doute être exagérée ; il peut être
difficile au pays, dans un moment de crise, de la supporter. Mais c'est parce
que la quotité de dette flottante que le pays peut supporter aisément, peut
être notablement augmentée, que j'ai proposé d'introduire ce nouveau mode
d'émission des bons du trésor. Voyons, pour nous éclairer, ce qui s'est passé
récemment encore dans un pays voisin :
La France, avant l'emprunt qu'elle vient de contracter, avait une dette
flottante d'au-delà de 600 millions ; le budget des voies et moyens de la
France est de 12 à 13 cents millions ; vous voyez donc que la dette flottante
était à peu près la moitié du budget des voies et moyens.
Cette dette se plaçait facilement ; et ici.je reviens à une des idées
que je touchais tout à l'heure ; elle se plaçait facilement, parce qu'en France
les départements, les communes, les établissements publics de tout ordre ont
leur fortune étroitement, légalement, forcément, liée à celle de l'Etat. Elle
se plaçait facilement encore, parce que, dans ce pays, la masse des capitaux
flottants, momentanément sans emploi, venait combler la lacune que pouvait
laisser dans la dette flottante la part que prenaient les établissements
publics et les communes. Chez nous, au contraire, il faut bien le dire, à cause
des grandes difficultés que présentait la participation aux bons du trésor,
très peu de personnes en prenaient avant l'arrêté du 20 juin.
Aussi, qu'arrivait-il ? Lorsqu'une émission assez forte devait avoir
lieu, le gouvernement était obligé de traiter directement soit avec les
établissements de crédit dans le pays, soit plus souvent encore forcément avec
les établissements situés à l'étranger.
Il fallait donc changer ce mode d'émission ; il fallait populariser la
dette flottante en lui donnant la plus grande utilité ; il fallait appeler tous
les capitaux momentanément sans emploi qui, à cause des difficultés de
participer à cette portion de notre dette, prenaient une autre direction. C'est
là le but que le gouvernement s'est proposé en prenant l'arrêté du 20 juin
dernier, et ce but a été complètement atteint.
L'émission moyenne de la dette flottante, dans le cours de l'année
dernière, était de 7 à 8 millions, et le renouvellement en était excessivement
difficile ; la dette flottante, en émission aujourd'hui, doit être, je pense,
d'environ 20 millions ; je crois que le renouvellement, depuis l'arrêté du 20
juin, se fait avec beaucoup plus de facilité qu'il ne se faisait l'année
dernière, lorsque l'émission était seulement le tiers de ce qu'elle est
aujourd'hui.
Maintenant, la dette est-elle disproportionnée aux ressources du pays ?
Je vous indiquais tout à l'heure, messieurs, le chiffre de la France ; mais
nous sommes encore bien loin de l'atteindre proportionnellement. Pour
l'atteindre, il faudrait que notre dette flottante fût de 50 à 60 millions. Or,
je crois, comme je viens de le dire, qu'il ne peut y avoir en ce moment que 20
millions d'émission réelle.
La question de légalité, d'après le texte de la loi de 1833, ne pouvait
pas faire doute ; il en est de même, je pense, de la question d'utilité ;
d'après les explications sommaires que je viens de soumettre à la chambre.
II reste cependant une objection. On dit : Il y a un danger, lorsque la
dette flottante est très considérable, à ce qu'on puisse verser immédiatement
les bons du trésor en payement des impôts.
Messieurs, si la dette flottante avait une seule échéance, si le
renouvellement en venait en jour fixe, l'objection serait très forte ; mais il
faut bien se rendre compte de la manière dont les faits se passent. La dette
flottante se renouvelle partiellement pour ainsi dire chaque jour, de sorte que
le danger ne naîtrait qu'autant que le renouvellement viendrait à
s'interrompre.
Or, en améliorant le mode d'émission, en
acceptant la clientèle dont je parlais tout à l'heure, vous n'avez pas à
craindre, si dans un moment de crise on verse au trésor quelques millions en
payement des impôts, l'impossibilité ou de très grandes difficultés de
renouvellement ; il vous suffira le plus souvent, si le renouvellement régulier
ne fonctionne pas, d'élever quelque peu le taux de l'intérêt, ou d'accorder
d'autres avantages aux preneurs, de sorte que, même dans les temps de crise, ce
danger qu’on paraît redouter peut être facilement évité par un acte de
gouvernement.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - En
prenant la parole, messieurs, mon intention est de rencontrer quelques-unes des
observations qui ont été présentées par les trois honorables préopinants.
L'honorable M. de Foere et moi, nous sommes d'accord sur trois points.
Il a dit d'abord qu'il était partisan, en principe, d'une dette flottante ; il
a été d'avis qu'elle devrait toujours exister pour faciliter les opérations du
service ordinaire du trésor. En effet, la facilité qu'elle procure a été jugée
indispensable, à certaines époques de l'année, même dans les temps les plus
prospères, en attendant la rentrée des impôts.
L'honorable M. Mercier a limité à trois ou quatre millions la somme
nécessaire dans ce but ; suivant moi, autant que je puis l'apprécier, il
faudrait dans tous les cas une somme double.
L'honorable M. de Foere disait, en second lieu, qu'il faut s'attacher à
maintenir l'équilibre entre les dépenses et les revenus, c'est-à-dire
l'équilibre des budgets. Déjà le ministère s'en est expliqué ; cette règle de
conduite, il l'adopte ; tous ses efforts tendront à en assurer l'entier
accomplissement.
Une troisième observation de l'honorable membre a porté sur la quotité
du chiffre des bons du trésor ; il voudrait qu'on en émîit d'une somme moindre
que 500 fr. D'après lui, l'on pourrait descendre jusqu'à 250 fr. Je pense qu'il
n'y aurait aucun inconvénient à mettre dans la circulation des coupures de cent
francs, qui attireraient les petits capitaux sans emploi.
La question m'a paru assez importante pour en faire l'objet d'un examen
approfondi ; car en pareille matière, il est prudent de ne pas adopter avec
trop d'empressement les choses même en apparence les plus utiles.
Il est un autre point, traité par l'honorable membre, sur lequel je ne
suis plus d'accord avec lui. il nous reproche d'avoir annoncé dans le discours
du Trône qu'il y aura lieu de recourir à des ressources extraordinaires. Quand
nous serons plus avancés dans la discussion relative à la situation financière
présente et future du pays, je pense que vous reconnaîtrez, messieurs, la nécessité
de recourir à ces ressources extraordinaires, en d'autres mots, à un emprunt
afin de rendre possible l'exécution des travaux commencés ou déjà prévus dans
un avenir prochain, et à une augmentation d'impôt, comme conséquence
nécessaire, pour couvrir les charges annuelles que tout nouvel emprunt ne peut
manquer d'entraîner.
L'honorable M. Mercier ne s'est pas montré partisan de la dette
flottante appliquée à autre chose qu'à faciliter le service ordinaire du
trésor. Il a été principalement frappé des dangers auxquels le gouvernement est
exposé dans des circonstances difficiles lorsque la dette flottante a pris trop
d'extension. Ces embarras, ces dangers disparaîtraient, en partie, si l'opinion
de l'honorable M. de Foere prévalait, c'est-à-dire si on créait des coupures de
bons du trésor qui pénétreraient dans la population, ils finiraient
probablement par se trouver dans les mains de tout le monde.
Ce seraient des billets de circulation portant intérêt, ce qui leur
assurerait une grande faveur. Voilà un moyen de faire disparaître, ou du moins
d'atténuer le danger des bons employés autrement que comme un moyen de
trésorerie.
L'honorable M. Malou a été plus loin que les deux orateurs qui ont parlé
avant lui ; il a défendu la dette flottante mise en pratique sur une large
échelle ; il a cité l'exemple de la France, où cette dette a pris des
proportions très considérables ; il a dit pourquoi elle n'y offrait pas
d'inconvénients sérieux. En France, la fortune des établissements publics et
des communes est liée à celle de l'Etat ; les caisses d'épargne ont tous leurs
fonds placés en rentes ou en bons royaux.
Ces observations sont parfaitement justes ; l'honorable membre a cité un
exemple qui mérite une sérieuse attention. Cependant je ne pense pas que nous
puissions aller aussi loin que l'on a été en France, dans ces derniers temps
surtout ; car il pourrait arriver des circonstances où l'on se trouverait
embarrassé ; le remède indiqué par l'honorable M. Malou d'élever l'intérêt ne
serait pas toujours efficace. Quoi qu'il en soit, je ne serais pas non plus
bien effrayé d'une dette flottante, fût-elle, année commune, de 15 à 16
millions, surtout quand nous serons parvenus à la classer plus convenablement.
A l'occasion de la dette flottante, il m'a paru utile de présenter
quelques considérations sur le chiffre des émissions de bons du trésor, qui a
éprouvé successivement de si notables variations durant ces 10 années ; une
année, il a été de sept millions ; d'autres années, il s'est élevé à 24 ou 25
millions. C'est encore ce chiffre d'émission qu'il faudra pour assurer en 1848,
la marche du service.
J'ai cherché à m'expliquer les causes de ces variations. La chambre
voudra bien me permettre de lui en faire part.
Messieurs, en prenant la direction du département des finances, je me
suis trouvé en présence d'une dette flottante de 25,000,000 de francs. C’est le
chiffre minimum des bons du trésor qui est demandé pour faire face au service
de l'arriéré et îles travaux votés, en dehors des budgets, à la date du 1er
janvier 1848. Les dépenses correspondant à ce chiffre sont antérieures à
l'avènement du ministère actuel.
Arrêtons-nous un instant, messieurs, à ce service spécial de la dette
flottante.
Ce chiffre de 25,000,000 de francs ne dépasse pas celui qui a été
atteint à d'autres époques. Je parle des chiffres décrétés et non pas des
chiffres d’émission qui sont ordinairement inférieurs. Je dois cependant
ajouter que, d'après toutes les apparences, en 1848, l'émission moyenne (page 162) et presque constante ne
pourra pas rester notablement au-dessous du chiffre demandé comme limite pour
cet exercice.
Je dis que la dette flottante n'est pas plus forte aujourd'hui qu'elle
ne l'était à d'autres époques ; pendant la période des dix dernières années,
elle a subi de grandes variations. Ce sont ces variations et leurs causes qui
jettent le plus de lumières sur la situation du trésor, sur les ressources
qu'il a eues dans le. passé, sur les besoins qu'il aura dans l'avenir.
Voici le relevé du montant des bons du trésor dont l'émission a été
autorisée pendant chacune de ces dix années :
En 1838, fr. 25,000,000
En 1839, fr. 12,000,000
En 1840, fr. 18,000,000
En 1841, fr. 24,400,000
En 1842, fr. 22,500,000
En 1843, fr. 21,500,000
En 1844, fr. 21,500,000
En 1845, fr. 7,000,000
En 1846, fr. 14,500,000
En 1847, fr. 19,000,000
En 1848, fr. 25,000,000
Il est à remarquer que les faibles émissions correspondent assez
exactement, ce qui est naturel, avec les dates de l'émission de nos emprunts.
Mais d'autres causes ont encore amené ces variations, et c'est là ce qui
mérite de fixer particulièrement l'attention de la chambre.
Un arrangement a été conclu avec les Pays-Bas en 1842. Nous avons fait
le partage des charges et bénéfices à répartir entre les deux pays.
Indépendamment-de cette liquidation internationale, il en a été fait une
autre entre la société générale et les deux Etats représentant l'ancien
royaume-uni.
Cette société devait, aux termes de ses statuts, une somme de 20,000,000
de fl. pour remboursement d'un capital, il une autre somme de 12,000,000 de fl.
pour payement de 12 années de redevances, ensemble 32,000,000 de fl. Près de la
moitié de cette somme était exigible seulement à la fin de 1849 ; mais on s'est
entendu pour que la société se libérât par anticipation.
Il s'est fait entre les trois parties intervenues dans la convention un
échange de valeurs. La Belgique a reçu des immeubles, des titres de rente qui
ne sont pas immédiatement disponibles, mais elle a reçu également des sommes
assez considérables en numéraire. Le total en dépasse le chiffre de 16,000,000
de fr.
La totalité de cette recette a été se mêler aux dépenses ordinaires et
courantes des années 1843 et 1844.
Ainsi, outre que ces exercices ont profité des avantages résultant d'une
circonstance des plus exceptionnelles (la liquidation, avec la Hollande], ils
ont encore eu le bénéfice d'une liquidation spéciale qui était réservée à
l'année 1849 (la liquidation avec la société générale).
Il suffit d'indiquer ce chiffre considérable de 16,000,000 de fr. pour
faire saisir à l'instant même l'influence qu'il a dû exercer pendant quelque
temps sur la situation du trésor.
Une autre recette accidentelle de 10.000,000 de fr. a été effectuée,
deux années plus tard, en 1844, au moyen et à l'occasion de la conversion, qui
a substitué un fonds de 4 1/2 p c. à un fonds de 5 p, c.
Au lieu de faire profiter du bénéfice de la conversion les exercices
futurs, on en a fait profiter les exercices passés, en émettant pour 10
millions d'obligations au-delà de la quantité strictement nécessaire pour
effectuer la conversion. Le produit de ces 10 millions d'obligations a été
versé dans la caisse de l'Etat. Il a servi à réduire la dette flottante jusqu'à
due concurrence.
Depuis 1840 une autre ressource extraordinaire assez considérable est
venue affluer successivement au trésor. Quatre millions de francs prélevés,
d'abord sur le produit des bons du trésor, ensuite sur un emprunt régulier, ont
été prêtés à la banque de Belgique. Les remboursements sont tous effectués et
tous ont été absorbés par les dépenses courantes.
Ainsi, pendant cette période des dix dernières années, le trésor a reçu
pour plus de 30 millions de valeurs dont la source est à jamais tarie ! Ce
n'est pas tout, messieurs.
L'Etat a pu disposer d'une partie des fonds destinés à l'amortissement
de nos emprunts qui étaient momentanément sans emploi. Cette ressource va
disparaître par l'effet des stipulations continues dans nos contrais
d'emprunts. L'amortissement travaillera pour tous nos emprunts sans distinction.
Cette réserve des fonds de l'amortissement s'élève à 5,700,000 fr. C'est
une recette extraordinaire qui a été dépensée par la raison qu'elle n'avait pas
de destination immédiate, à titre de partie intégrante du service de la dette
consolidée.
Tout réuni, nous trouvons un ensemble de recettes accidentelles,
s'élevant à près de 35 millions, qui ont servi à alimenter la caisse de l'Etat
pendant ces dix dernières années si qui ne reparaîtront plus.
Je suis loin de prétendre que cet argent n'ait pas été dépensé d'une
manière utile par le pays. Une grande partie en a servi à faire des travaux qui
augmentent la richesse nationale pour le présent et pour l'avenir.
Mais nous traitons ici une question de chiffres. Ces 35 millions de
recettes extraordinaires, en les répartissant sur toute la période décennale
(on remarquera que la plus ancienne des recettes indiquées ne remonte pas à
plus de 7 ans) représentent pour chaque année une moyenne de 3,500,000 fr. Ces
3,500,000 fr. font complètement défaut pour tous les exercices futurs.
El cependant c'est grâce à ces 35,000,000 de fr. de recettes
extraordinaires que la dette flottante ne s'élève pas à un chiffre plus
considérable que 25,000,000 de fr.
Mais si vous voulez, messieurs, que je puisse maintenir la dette flottante
dans les limites qu'elle a respectées depuis dix ans, il y a nécessité de créer
des ressources remplaçant ces recettes accidentelles qui nous échappent. C'est
de toute évidence.
On nous a dit et on nous dira encore : « Réalisez des économies. »
Nous poursuivrons avec ténacité toutes les économies qui sont
réalisables. Nous espérons, je n'ose pas me servir d'une expression plus
positive, en effectuer plusieurs. Mais si on compte sur ce moyen pour empêcher
une augmentation de la dette flottante, pour maintenir la situation présente,
je demanderai si c'est uniquement là le but qu'on veut atteindre. On ne doit
pas seulement chercher à maintenir la dette flottante au chiffre actuel, il
faut encore en poursuivre la réduction, surtout tant qu'elle ne sera pas
convenablement classée. En matière de finance il faut des choses positives et
non des, illusions. Ne demandez pas quelles économies fassent un double
service, d'abord celui d'empêcher l'accroissement de la dette flottante, puis
celui d'en opérer la réduction. Je m'estimerai heureux si je puis leur faire
remplir la moitié de la tâche.
Je désire que la chambre ne se méprenne pas sur la portée de mes paroles
; Je cherche à rendre un compte exact de l'état des choses, en me dégageant de
toute préoccupation favorable ou défavorable aux personnes et à leurs œuvres.
Si le trésor ne présente pas un découvert plus considérable, il le doit
aux recettes accidentelles que je viens d'énumérer ; Grâce aux ressources de
l'emprunt temporaire représenté par des bons du trésor, il n'y a aucun vide
dans la caisse de l'Etat, mais il y a un vide dans le budget des voies et
moyens qui doit continuer à alimenter cette caisse. Je vous en ai fait
connaître la cause principale ; c'est l'absence de ressources permanentes
remplaçant les ressources tout à fait exceptionnelles qui ne se reproduiront
plus.
Cette cause d'infériorité dans nos voies et moyens pour l'avenir, il
faut la faire disparaître. Nous croyons accomplir un devoir en acceptant la
mission imposée par la force des choses de demander une augmentation de revenus
pour le trésor.
Nous n'avons pas créé cette nécessité, mais nous ne pouvons pas nous y
soustraire.
Pour l'année 1848, nous nous sommes bornés à demander le strict
nécessaire ; si les budgets des dépenses, qu'il importe, plus que jamais de
régler en premier lieu, sont votés avec des chiffres proposés ; mais nous ne
voulons pas laisser ignorer que dans le courant du même exercice nous serons
forcés de faire un nouvel appel à voire concours pour créer encore d'autres revenus
au trésor.
Lorsque la situation de 1848 sera assurée, il faudra porter ses regards
plus loin.
Sans doute, la situation que nous vous exposons s'améliorera par
l'augmentation de certains produits permanents, parmi lesquels figurent en
première ligne les recettes du chemin de fer ; mais il faut tenir compte des
besoins que le passé nous a légués et de ceux prévus dans un avenir prochain.
J'en ai indiqué un assez grand nombre dans l'exposé de motifs du budget
des voies et moyens. Il est d'ailleurs une autre circonstance sur laquelle
j'appelle en finissant votre attention. C'est que les ressources actuelles du
budget ne seront pas toutes constamment maintenues ; il en est qui
disparaîtront au fur et à mesure. Les capitaux du fonds de l'industrie et le
produit de l'aliénation des domaines sont de ce nombre.
Je termine en disant que, quelle que soit l'opinion que l'on se forme
sur la situation présente du trésor, on doit être d'accord sur ce point qu'elle
n'est pas normale. Pour qu'elle le devienne, messieurs, il y a nécessité de
mettre plus d'ordre dans nos finances ; cela nous est
commandé, à la fois, par l'absorption des capitaux qui nous sont rentrés à la
suite des traités et des ressources accidentelles que j'ai indiquées, par
l'épuisement prochain de certains produits temporaires, par l'obligation de
faire prochainement emploi des fonds de la dotation de l'amortissement des
emprunts à 5 p. c. Cela nous est commandé, comme je le disais à l'instant, par
les besoins que le passé nous a légués, et par ceux qui sont prévus dans
l'avenir. Ce sont autant de sources de dépenses que des économies, même très
larges, en supposant qu'il soit possible d'en faire de pareilles, ne pourront
en aucun cas couvrir.
L'énumération de ces besoins trouvera mieux sa place dans une autre
discussion.
(page 170) M. de Foere. -
Contrairement à l'opinion de M. Malou, je ne crois pas à la nécessité ou aux
grands avantages d'une dette flottante. Il serait préférable qu'il n'en existât
pas, et que les dépenses du pays pussent être couvertes par ses revenus. Les
avantages que l'honorable membre a signalés comme se rattachant à une dette
flottante, peuvent être également acquis au moyen d'obligations de la dette
consolidée. Les familles et les capitalistes du pays trouveront dans ces
valeurs un moyen également important de s'intéresser à leur nationalité et à la
stabilité de nos institutions.
Je partage donc, sous ce rapport, (erratum,
p. 225) l'opinion de M. Mercier. Mais cet honorable membre ne m'a pas
compris lorsqu'il a pensé que je soutenais la nécessité d'une dette flottante
permanente. Seulement j'ai raisonné dans l'hypothèse qu'une dette flottante fût
inévitable. Or, dans la situation actuelle de nos finances, de leur
administration et des besoins du pays, je suis porté à croire que nous ne
pouvons nous soustraire à cette charge pour assurer le service régulier du
trésor public. D'autres pays éprouvent le même besoin. En effet, la dette
flottante est établie en Prusse, en Hollande, en France, en Angleterre et
probablement dans d'autres pays.
En ce qui concerne notre dette flottante, j'ai émis seulement deux
opinions. J'ai soutenu, en premier lieu, qu'il était contraire aux règles d'une
bonne administration financière d'éteindre, en tout ou en partie, la dette
flottante, affectée au service ordinaire du trésor public, au moyen d'emprunts,
et que les intérêts du pays exigeaient que la dette flottante fût amortie au
moyen d'excédants de revenus qu'il fallait demander à l'impôt, mais
préférablement à l'économie.
En second lieu, j'ai été d'avis que le nouveau
mode d'émission de nos bons du trésor était plus avantageux que celui qui a été
pratiqué antérieurement.
Le même honorable membre croit que la loi de 1835, qui a institué la
dette flottante, n'autorisait qu'une émission temporaire de bons du trésor. Je
pense qu'il est dans l'erreur.
J'ai pris une grande part à la discussion de cette loi et je ne me
souviens pas que ni dans les considérants de cette loi, ni dans les termes dans
lesquels elle a été votée, il ait été fait la moindre allusion à ce caractère
temporaire que l'honorable membre lui suppose.
(page 162) M. Osy. - Je
commencerai par remercier M. le ministre des finances, au nom du pays, de nous
avoir franchement exotique la situation de nos finances. Car il ne faut pas
nous faire illusion ; comme nous l'avons dit plusieurs fois, depuis la paix
avec les Pays-Bas, depuis 1842, nous avons dépensé presque toutes les
ressources que nous avons obtenues par ce traité.
Nous avons reçu en argent comptant, par les diverses transactions que
nous avons faites avec la Hollande, une somme de 29 millions qui a (page 163) été absorbée par nos besoins
annuels. En outre comme les fonds publics ont été longtemps fort élevés, nous
avons également absorbé des fonds d'amortissement qui auraient dû servir à
diminuer la dette publique, et qui se montent à une somme de près de 6
millions. Comme l'a très bien dit M. le ministre des finances, ces 35 millions
ont servi à couvrir le déficit de nos dépenses courantes. Si nous n'avions pas
eu ces trente-cinq millions, nous serions aujourd'hui avec un déficit de
soixante millions.
Messieurs, c'est une situation dont il faut absolument sortir. Sinon,
nous sommes menacés de périr par nos finances.
L'honorable ministre des finances nous dit que, pour le courant de
l'année prochaine, il nous faudra 25 millions de bons du trésor. Messieurs, ces
25 millions ne suffiront pas. Le gouvernement nous a annoncé, il y a quelques
jours, qu'il aurait besoin de 5 millions pour payer les dettes des différents
départements pendant les années antérieures, de 5 millions de crédits
supplémentaires. Cette somme de 5 millions, il faudra la combler par la dette
flottante. Au lieu de 25 millions, il nous faudra donc créer pour 30 millions de
bons du trésor.
M. Malou.
- C'est compris dans les 25 millions.
M. Osy.
- C'est une erreur, ils n'y sont pas compris. En outre, messieurs, le budget
qu'on nous a présenté pour 1848 solde avec un déficit d'un million et demi.
M. le ministre des finances nous a, il est vrai, présenté un projet de
loi pour combler ce déficit ; mais d'après les discussions dans les différentes
sections, il paraît qu'il y a assez de répugnance à accepter la totalité de ce
projet. Nous ne pouvons donc entièrement compter sur cette ressource.
Pour moi, messieurs, je suis persuadé que nous ne sortirons de la
position où nous nous trouvons qu'avec des économies. Tous les ans nous parlons
d'économies, quand nous nous occupons des budgets ; mais nous n'en réalisons
aucune. Je sais qu'il est plusieurs budgets sur lesquels on ne pourrait
réaliser que peu d'économies ; mais il en est un sur lequel nous en trouverons
de très considérables si nous le voulons fermement.
En Hollande, depuis 1853 on a fait de très grandes économies ; les états
généraux les ont exigées ; ils les ont obtenues. Soyons fermes aussi, et nous
trouverons sur le budget de la guerre une économie annuelle de près de 8
millions.
La loi d'organisation de l'armée n'est pas une constitution ; c'est une
loi que nous pouvons défaire. Cette loi d'organisation n'a véritablement été
qu'une loi d'application de ce qui existait. Il n'en est pas résulté la moindre
économie. Je n'ai pas, messieurs, voté cette loi d'organisation parce que
j’étais persuadé qu'un Etat comme la Belgique ne pouvait conserver une armée
qui devait lui coûter 28 à 29 millions par année. J'ai aussi voté contre les
budgets de la guerre par le même principe, parce qu'à mes yeux ils
présenteraient un chiffre beaucoup trop élevé.
Je veux, messieurs, une bonne organisation d'une armée de 60,000 hommes.
Je voudrais des régiments plus forts et moins d'épaulettes ; je voudrais que le
nombre des officiers fût réduit. Je suis persuadé que plusieurs de nos
officiers ne seraient pas mécontents si vous les mettiez à deux tiers de solde
; j'ai à cet égard des renseignements certains.
Si nous le voulions, nous pourrions réduire la dépense pour notre armée
à 22 millions, et quant à moi je ne voterai pas un budget de la guerre supérieur
à ce chiffre. Mes sympathies sont acquises au ministère ; mais je dois avoir
plus de sympathie encore pour le pays et je veux faire tout ce qui dépendra de
moi pour empêcher qu'on ne le mène à sa ruine. Je veux donc des économies et
des économies réelles ; et je crois qu'en réduisant notre armée de plusieurs
régiments d'infanterie, de deux régiments de cavalerie et surtout de deux
régiments d'artillerie, nous trouverons une forte économie sans que le pays ait
rien à craindre pour sa tranquillité.
Nous parlerons plus amplement de cet objet lorsque nous nous occuperons
du budget de la guerre ; mais j'ai voulu indiquer ce moyen de rétablir les
finances du pays.
Quant à faire des économies sur les autres budgets, je crois que nous ne
pouvons guère y compter. Vous avez vu hier que lorsque nous avons parlé de
faire une économie d'une centaine de mille francs en réduisant de cinq à dix
mille francs le traitement de nos agents diplomatiques, lors même que j'ai
demandé qu'au fur et à mesure des vacatures, on remplaçât des ministres
plénipotentiaires par des chargés d'affaires, et qu'on fît de ce chef une
économie d'une cinquantaine de mille francs, le ministère s'y est opposé. Ce
n'est donc pas sur les autres budgets que nous ferons de grandes économies ; le
budget seul de la guerre peut nous en offrir une de quelque importance.
Je dirai aussi, messieurs, quelques mots des bons du trésor.
J'approuve entièrement le nouveau mode adopté par l'honorable M. Malou
pour l'émission de bons du trésor. Je ne partage nullement l'opinion de
l'honorable M. Mercier, que la mesure qui a été prise serait illégale. Il y a
un temps fixé pour le remboursement des bons du trésor émis en vertu de
l'arrêté du 20 juin ; seulement au bout d'un certain temps on peut les donner
en payement des contributions.
M. Malou.
- On peut toujours les donner, mais avant six mois on ne bénéficie pas de la
bonification.
M. Osy.
- Oui, l'émission se fait à l'intérêt de 4 1/2 et avec bonification de l/4p. c.
; et cette bonification se perd, si le payement avec le bon du trésor se fait
avant une certaine époque.
Mais en quoi je ne suis plus d'accord avec l'honorable M. Malou, c'est
que je ne puis consentir à une émission de bons du trésor aussi forte que celle
qu'il a indiquée. Je crois qu'une émission de 25 millions est trop forte pour
la Belgique, surtout dans ce moment, et que nous devons chercher les moyens
d'en amortir une partie. Mais, dans les temps ordinaires, une dette flottante
de 10 à 15 millions ne m'effrayerait nullement ; j'y verrais, au contraire, un
moyen d'intéresser les citoyens au soutien du gouvernement. Si vous amortissiez
toute votre dette flottante, l'argent prendrait une autre direction, et, quand
des besoins se révéleraient, vous n'en trouveriez plus. Il faut donc toujours
conserver une certaine somme dans la circulation, et ne pas même réduire trop
fortement l'intérêt, car ce serait un autre moyen de faire appliquer à d'autres
destinations les capitaux qu'on place aujourd'hui en bons du trésor.
J'approuve donc, messieurs, le nouveau mode d'émission de la dette
flottante. Cependant, il y a dans l'application quelque chose que je ne trouve
pas régulier. Auparavant, lorsqu'on prenait des bons du trésor, c'était chez le caissier de l'Etat qu'on faisait les versements, et avec la
quittance du caissier de l'Etat on obtenait les bons du trésor. Aujourd'hui,
les agents du trésor, qui ne sont pas comptables, qui n'ont pas fourni de
cautionnement, reçoivent les fonds et doivent ensuite les verser chez le
caissier de l'Etat. C'est courir un risque que de laisser verser des fonds chez
des personnes qui n'ont pas donné de cautionnement. Pour Bruxelles, il y a
exception. On porte la somme à placer chez le caissier de l'Etat, et on reçoit
le bon du trésor chez l'agent du trésor. Je crois qu'il vaudrait mieux
appliquer la même mesure à toutes les provinces ; on éviterait d'ailleurs ainsi
un déplacement de fonds inutile. J'attire sur ce point l'attention de M. le
ministre des finances.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, déjà plusieurs fois depuis l'ouverture de cette session, il a été
question d'économies à effectuer dans l'ensemble de nos budgets. Un honorable préopinant
vient de formuler un vœu qui consisterait à faire porter les économies que l'on
désire, que tout le monde désire, que le gouvernement tout le premier désire, à
faire porter les économies sur notre établissement militaire. Perdant de vue
qu'après de bien longues discussions, les chambres, il y a quelques années à
peine, ont fini par se mettre d'accord avec le gouvernement sur le budget
normal qui devait être en quelque sorte attribué à cette institution nationale
; perdant de vue ce fait important, l'honorable préopinant met aujourd'hui en
avant l'idée de frapper d'une sorte de mutilation l'armée tout entière, sans
tenir compte des antécédents, sans tenir compte de la loi organique.
Nous le savons, messieurs, l'armée coûte au pays beaucoup d'argent ;
l'armée enlève au budget une somme de 29 millions ; dès lors elle se présente
tout naturellement à l'esprit de ceux qui veulent introduire des réductions
dans les dépenses.
Eh bien, messieurs, nous devons vous le déclarer tout de suite, nous
sommes sans doute très grands partisans des réductions utiles dans les dépenses
; nous ferons tous nos efforts pour introduire dans l'administration de la
fortune publique toutes les économies et toutes les améliorations qui pourront
nous être indiquées par l'expérience. Mais, messieurs, plutôt que de laisser
croire par notre silence que nous voudrions faire porter les économies dont on
parle sur notre établissement militaire, nous tenons à nous en expliquer dès
aujourd'hui. Nous ne voudrions pas que la chambre abordât la discussion des
budgets sous cette préoccupation que des ressources nouvelles ne sont pas
nécessaires, qu'on peut se dispenser d'en créer, parce qu'on peut trouver sur
le budget de la guerre des réductions telles que ces ressources nouvelles ne
seraient pas nécessaires. Non, il ne faut pas que la chambre, que la majorité
de cette chambre examine les différents budgets qui vont être soumis à sa
discussion sous l'empire de cette préoccupation. Car nous le disons tout de
suite : les fores économies dont on parle, quant à nous, nous ne les
accepterons pas.
Ce n'est pas, messieurs, de cette façon que nous voudrions inaugurer
l'entrée de notre opinion dans le gouvernement. Ce n'est pas, messieurs, au
bout de trois mois d'administration que nous songerions à venir porter une main
imprudente sur la plus solide, sur la plus nationale de nos institutions.
Je sais que mon honorable ami M. Osy a toujours, à cet égard, professé
une autre opinion que la mienne ; je sais que sur les bancs de la gauche
d'autres membres, d'autres amis ont également professé une opinion contraire à
celle que j'ai toujours professée et que je maintiens au banc ministériel. Je
ne veux pas forcer ces honorables amis à changer d'opinion. Je sais que leur
opinion est consciencieuse ; qu'ils croient consciencieusement qu'on peut sans
danger pour le pays, pour nos institutions, pour l’ordre public, diminuer
fortement l'armée. Je ne veux pas les convertir à mon opinion ; mais je dois
aussi leur faire entendre que je ne me convertirai pas à la leur.
Le temps, messieurs, peut amener de fortes réductions dans notre armée.
Mais ce moment, ce n'est pas dès demain qu'il doit se présenter. La paix peut
se consolider ; les circonstances peuvent amener d'autres pays à réduire
successivement leur état militaire. J'admets que la Belgique ne doit pas être
une des dernières à diminuer son état militaire ; mais il faut pour cela que
l'exemple nous soit donné ailleurs, il faut que la paix publique, que la paix
européenne soit mieux garantie. A mesure que la possibilité des conflagrations,
des crises européennes, des crises intérieures s'éloignera, je conçois qu'on
puisse sagement, progressivement apporter des diminutions dans le personnel de
l'armée. Mais le (page 164) faire dès maintenant, le faire dans les
circonstances où nous sommes, il y aurait là une grande imprudence ; et je
doute qu'il y ait aucun ministère capable d'accepter la responsabilité de
pareilles mesures.
Je le répète, messieurs, nous ne repoussons pas du tout l'idée que plus
tard il y aurait sur les 29 millions de l'armée des réductions à faite ; mais
quant à apporter dès aujourd'hui, sur une échelle un peu large, des réductions
au budget de l'armée, je déclare de nouveau que nous ne sommes nullement
disposés à accepter cette proposition.
Un honorable préopinant a reproché au cabinet la franchise avec laquelle
il était venu exposer la situation financière du pays. Il a reproché au cabinet
d'avoir, dans le discours du Trône, annoncé que des ressources extraordinaires
seraient nécessaires pour faire face à des besoins extraordinaires.
On a cru que les capitalistes de l'Europe allaient s'alarmer de cette
déclaration et que, dès lors, les négociations auxquelles cette situation
financière devait donner lieu deviendraient plus difficiles.
Je crois, messieurs, qu'un pays, alors surtout que sa situation n'offre
rien de désastreux, ne risque rien à faire connaître cette situation. Je crois
ensuite que dans nos temps de publicité et dans un pays de publicité, on
chercherait en vain à cacher cette situation. Elle peut, en effet, être
facilement connue par tout le monde ; il ne faut pas être grand financier pour
cela : il suffit de savoir lire nos budgets pour connaître, à quelques
centaines de mille francs près, notre situation financière. Je pense, moi,
qu'il y a du danger à chercher à dissimuler une situation financière ; ce sont
ceux dont la situation financière ne vaut rien du tout qui cherchent à la
dissimuler. Mais après tout, comme notre situation n'a rien de désespéré,
comme, après tout, avec un peu d'énergie et de bonne volonté on peut parvenir à
la mettre sur un bon pied, je crois que le gouvernement a eu raison de faire
connaître la situation telle qu'il l'a trouvée.
Je dis, messieurs, que notre situation n'a rien de désastreux, mais je
suis loin aussi de dire qu'elle soit excellente ; je suis loin de croire que
nous puissions y faire face sans augmenter en aucune façon nos ressources ; je
suis loin de croire que l'on puisse, au moyen de toutes les économies qu'il
serait possible d'introduire dans les budgets de dépenses, arriver à
l'équilibre que nous devons désirer.
Messieurs, nous demandons pour couvrir l'insuffisance de nos ressources,
quant aux dépenses du passé, une somme de 25 millions représentée par des bons
du trésor. Mais ces 25 millions, qu'on y fasse attention, sont loin de couvrir
tous les besoins du passé. Avec les dépenses arriérées, telles qu'elles se
trouvent exposées dans le rapport à l'appui du budget des voies et moyens,
l'insuffisance s'élève à près de 30 millions, et cependant tous les besoins du
passé ne sont pas encore officiellement constatés ; ils ne l'ont point été par
ceux qui nous ont fourni successivement des situations.
Dans les besoins du passé qui ne sont pas encore indiqués, je trouve une
somme d'au moins 20 millions à couvrir ; je veux parler des dépenses afférentes
au chemin de fer. Déjà dans la session dernière, M. le ministre des travaux
publics avait déclaré au sénat que, pour couvrir les dépenses restant à faire pour
le chemin de fer, il faudrait un emprunt. Il a prononcé le mot d'emprunt et
personne dans le sénat, où se trouvent des hommes pratiques et des
capitalistes, personne n'a été effrayé de ce mot, prononcé par un membre du
gouvernement. Eh bien, messieurs, pour le chemin de fer seul, il y a une
insuffisance d'environ 20 millions.
D'autres travaux que le chemin de fer exigeront de nouvelles dépenses.
Des lois ont décrété notamment des travaux hydrauliques ; il faudra de
nouvelles dépenses pour exécuter ces travaux. Remarquez que je reste
entièrement dans les besoins du passé, ceux que le passé nous a légués.
Indépendamment, messieurs, de ces besoins du passé, des lois nouvelles,
présentées par les administrations précédentes, et dont la chambre est saisie,
ces lois donneront nécessairement ouverture à des dépenses nouvelles. Vous êtes
saisis d'une loi relative à la formation d'une société d'exportation, d'une loi
sur l'instruction moyenne, d'une loi sur l'instruction agricole, de lois sur
les dépôts de mendicité, sur la réforme du système pénitentiaire, sur les
aliénés.
Voilà, messieurs, toutes lois dont la plupart sont excellentes en
elles-mêmes, mais dont l'exécution donnera nécessairement lieu à des dépenses
nouvelles. Que vous rangiez ces besoins dans ceux du passé, dans ceux du
présent ou dans ceux de l'avenir, toujours est-il que ce sont des dépenses que
vous ne pouvez pas couvrir par les ressources existantes, des dépenses pour
lesquelles il faudra nécessairement des ressources extraordinaires.
Pour ces dépenses extraordinaires il faudra des ressources
extraordinaires. Que vous les demandiez à l'emprunt, que vous les demandiez à
l'impôt, il est de fait que la chambre aura à voter des ressources nouvelles.
Cette situation, messieurs, n'a rien d'imprévu pour nous, et, je dois le dire,
elle n'a rien d'imprévu pour tout membre de la chambre qui a examiné de bonne
foi, depuis plusieurs années, la situation. Chacun de nous sentait venir le
moment suprême où il faudrait bien que le pays en vînt à l'emprunt.
Voilà, messieurs, le compte bien sommaire, bien général, des dépenses
extraordinaires. Notre devoir est de demander à la chambre de pourvoir à ces
dépenses.
Maintenant nous avons devant nous les dépenses courantes, les dépenses
de l'année 1848, les dépenses annuelles, en quelque sorte, de notre ménage. Eh
bien, le nouveau budget présenté à cet effet par nos honorables prédécesseurs
offre une insuffisance que nous avons à cœur de couvrir par un impôt nouveau.
Cet impôt, messieurs, nous n'avons pas encore à nous en expliquer, le jour de
la discussion viendra, mais nous déclarons maintenant à la chambre que nous
considérons comme indispensable la création de cette ressource nouvelle. Si les
lumières de cette chambre nous offrent quelque moyen équivalent, nous sommes
prêts, sans doute, à examiner ce moyen et à l'accepter. Mais si l'équivalent ne
nous est pas offert, nous déclarons dès maintenant que nous considérons comme
indispensable à la bonne marche de l'administration que le budget des voies et
moyens pour l'année 1848 soit augmenté d'environ 1,500,000 fr.
Messieurs, lorsque nous avons annoncé, lors de l'ouverture de la
session, que nous voulions assurer l'équilibre entre les dépenses et les
recettes de l'Etat, nous avons proféré une parole sérieuse dont nous entendions
poursuivre sérieusement la réalisation ; ce n'est qu'à cette condition aussi
qu'on peut s'appeler un gouvernement sérieux.
Nous ne nous dissimulons pas sous ce rapport les
embarras de la situation ; négligée aujourd'hui, elle pourrait peser longtemps
encore sur les administrations qui se succéderont sur ce banc. Cette situation,
nous l'aborderons avec énergie, et nous tâcherons d'en poursuivre
l'amélioration avec persévérance. Si nous n'étions pas suivis dans cette voie,
si nous trouvions dans cette chambra des dispositions contraires, si la
majorité de cette assemblée n'était pas de notre opinion, qu'il faut faire un
effort énergique pour améliorer la situation financière, alors, messieurs, nous
vous le disons, nous laisserions à d'autres le soin de continuer une situation
dont, pour notre part, nous ne pourrions pas accepter la responsabilité.
M. Cogels.
- Messieurs, la situation financière du pays a été présentée de différentes
manières. Il est vraiment étonnant que dans une question de chiffres, dans une
question positive, on ait tant de peine à se mettre d'accord.
Ceci résulte d'une certaine confusion qu'on a mise dans le système de
notre comptabilité, en ne distinguant pas suffisamment les ressources
ordinaires d'avec les ressources extraordinaires ; ressources qui souvent même
dans nos budgets annuels ont été confondues.
C'est ainsi que parfois on a vu figurer dans le budget des voies et
moyens, comme ressources ordinaires, des ventes de domaines, et d'un autre
côté, dans les budgets des dépenses, des acquisitions d'immeubles productifs,
ventes et acquisitions qui auraient dû être portées sous la rubrique des
ressources et dépenses extraordinaires.
Heureusement, notre existence politique n'est pas encore assez longue
pour qu'on ne puisse pas remonter facilement à l'origine, et faire voir que
tous ces déficits, dont on nous a tant effrayés, n'existent pas réellement.
Non, messieurs, il n'y a pas de déficit depuis notre existence
politique. Cela est très aisé à prouver. Il n'y a pour cela qu'un compte bien
simple à faire.
Il faut prendre la somme totale du notre dette publique ; de cette dette
retrancher la part que nous pouvons considérer comme nos frais de premier
établissement (pardonnez-moi de me servir ici d'une expression qui est usitée
dans le commerce et l'industrie). Nous avons donc repris comme charges de
premier établissement notre part dans la dette de l'ancien royaume des Pays-Bas
; nous avons ensuite notre emprunt de cent millions dont une partie a été
amortie.
Défalquez ces deux articles de votre dette, et vous verrez que tout le
surplus se trouve représenté par des travaux productifs, par vos chemins de
fer, par des acquisitions de canaux, par des routes, par des acquisitions
d'hôtels ministériels et autres immeubles ; vous verrez que les ressources
ordinaires ont même servi en partie à l'amortissement d'une portion de vos
dépenses de premier établissement ; vous trouverez qu'en réduisant votre
emprunt de 100 millions à la somme à laquelle il s'élevait lors de la
conversion, c'est-à-dire à 85 millions,
dans ce cas encore le surplus de la dette se trouve réellement représenté par
des travaux publics ou des acquisitions.
D'où provient cette confusion ? C'est que notre dette flottante n'a
jamais eu le caractère qu'elle a dans d'autres pays ; elle a été généralement
employée comme pierre d'attente, d'emprunts qu'on se propose de contracter
seulement plus tard, soit parce que le chiffre de l'emprunt n'aurait pas été
assez important, soit parce que les circonstances n'étaient pas assez
favorables pour contracter.
C'est ainsi qu'une partie de notre dette flottante a été consolidée en
1836, une autre partie en 1838, une partie en 1840, et finalement une partie en
1844. Or, messieurs, une consolidation de dette publique n'est pas une dépense,
son produit ne constitue pas une recette, c'est une simple conversion de
titres. C'est ce qui se fait partout, lorsque le chiffre de la dette flottante
est trop élevé, ce qui doit se faire plus encore chez nous que partout
ailleurs, à cause même de l'origine de la dette flottante.
M. le ministre des finances vous a lu tout à l'heure un exposé sur la
situation financière ; on doit savoir gré à M. le ministre de sa franchise ;
car il est inutile d'induire le public en erreur, de faire naître des
illusions.
(page 165) Mais je suis
étonné que M. le ministre ne se soit pas attaché à faire voir que non seulement
notre situation financière est meilleure que celle d'autres pays ; mais qu'elle
est essentiellement aussi bonne qu'on peut le désirer dans les circonstances
actuelles.
Nous nous trouvons en face d'une dette flottante d'environ 29 millions.
C'est le chiffre total des émissions autorisées successivement par divers
projets de loi. Vingt-cinq millions seulement sont demandés par la loi de
budget. Ce chiffre n'aurait rien d'effrayant si notre dette flottante était
mieux classée ; si le pays avait de prime abord fait usage, pour son crédit, de
tous les leviers qui sont à sa disposition et qui malheureusement ont été
abandonnés à des établissements particuliers. Ainsi, en France, en Angleterre,
dans tous les autres pays, les fonds des caisses d'épargnes, ceux de la caisse
des dépôts et consignations, ceux des communes et des hospices, doivent être
placés dans la dette publique. Pour les caisses d'épargne, il n'y a pas de
meilleur placement que les bons du trésor, parce que ces bons du trésor ont une
échéance fixe et que leur cours n'est pas exposé aux variations qu'éprouvent
les renies sur l'Etat ; ils sont tout au plus exposés à une légère perte dans
des circonstances exceptionnelles.
C'est ainsi qu'on voit en Angleterre, malgré !a crise qui la frappe plus
cruellement que toute autre contrée de l'Europe, l'énorme dette flottante de ce
pays exposée à des variations de quelques schellings de perte ou de prime,
tandis que la dette consolidée a éprouvé une baisse de 10 à 15 p. c
Il faudrait donc, dans l'intérêt de la dette flottante, que les caisses
d'épargne fussent régies par la loi. Il y a à cela un double intérêt ; d'abord
l'intérêt de notre crédit ; ensuite, un intérêt plus grave, un intérêt de
sécurité. Car, généralement toutes les personnes qui placent leur argent à la
caisse d'épargne ne sont pas à même d'apprécier la solidité de ces
établissements. Ici, le gouvernement doit exercer les fonctions de tuteur, et
c'est pourquoi les caisses d'épargne et la banque de l'Etat sont régies par la
loi en Angleterre, dans ce pays où règne cependant la plus grande liberté pour
toutes les associations particulières, où tous les travaux publics sont livrés
à des associations particulières, où même des banques sont confiées à des
sociétés de ce genre.
Maintenant, messieurs, que M. le ministre des finances ait fait cet
exposé ; qu'il ait cru devoir donner à la chambre la situation de nos finances,
telle qu'il la conçoit, car je ne suis pas d'accord avec lui ; qu'il ait parlé
de la nécessité d'un emprunt, je ne lui en ferai pas un reproche ; cependant je
pense que le moment n'était pas bien choisi ou qu'il aurait fallu le faire d'une
manière plus complète. Quand la situation est bien appréciée, il faut connaître
les besoins et les ressources qu'on se propose d'y affecter ; il aurait fallu
simultanément annoncer le moyen qu'on se proposait d'employer, je dirai même la
quotité de l'emprunt quand il n'aurait pas dû se faire à une époque rapprochée.
Je crois qu'il aurait été plus prudent de faire comme en Angleterre où,
quand on veut faite un emprunt, le projet est présenté, discuté, voté et
l'emprunt négocié dans une quinzaine de jours.
Comme nous ne sommes pas maîtres des événements, il est inutile de faire
d'un projet d'emprunt une espèce d'épée de Damoclès suspendue sur le crédit, de
faire connaître les besoins de la situation à ceux qui prennent votre dette
flottante et de les engager par là à vous faire passer par les conditions les
plus dures. J'y vois un certain danger, et je vous avoue que je n'y vois pas la
moindre utilité.
L'honorable M. Osy vous a dit que nous avions
mangé toutes les ressources extraordinaires qui nous étaient venues par suite
du traité. C'est là une erreur ; ces ressources ont été employées, mais elles
sont venues remplacer la dette flottante. Si nous n'avions pas eu ces
ressources, notre dette flottante, au lieu de six à sept millions, chiffre
moyen de 1846, se serait élevée à 30 ou 40 millions, et nous aurions eu une
consolidation plus forte à faire. Il ne faut pas perdre de vue l'origine de
notre dette flottante ; ce n'est pas le résultat d'un déficit entre les
recettes et les dépense, mais de l'exécution de travaux publics, successivement
autorisés, pour le payement desquels vous avez décrété des émissions de bons du
trésor.
Je bornerai là mes observations, parce que je pense que quand nous en
serons au chapitre de la dette flottante, on reviendra encore sur ce sujet.
M. Malou.
- Depuis les observations que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre, la
discussion s'est singulièrement élargie. Il ne s'agit plus du budget de la
dette publique, moins encore de la question spéciale de la dette flottante ;
nous discutons la situation financière dans son ensemble ; j'ai cru un instant
que nous allions discuter toutes les lois d'impôt proposées ou à proposer par
le cabinet.
Je dirai peu de chose de l'arrêté du 20 juin, relatif à l'émission des
bons du trésor, le seul motif qui ait fait obstacle à ce qu'on diminuât la
somme que représente chaque bon du trésor, a été la crainte de nuire aux
établissements de crédit qui ont en circulation des billets de 100, de 50 et
même de 40 fr., car si l'Etat émettait des billets d'ainsi minime importance,
portant intérêt, il serait à craindre que la circulation, déjà trop restreinte
ou trop difficile des billets de commerce, ne fût entravée. Telle est la seule
objection qui m'ait empêché de réduire les coupures des bons du trésor
au-dessous de 500 fr.
Je viens à la question générale. D'abord, ce n'est pas d'aujourd'hui
qu'on publie la situation du trésor, ce n'est pas d'aujourd'hui que la lumière
se fait dans cet antre des ténèbres ; chaque année les explications les plus
complètes ont été fournies sur les éléments de la situation financière et, sous
ce rapport, la politique nouvelle ne nous a rien appris de nouveau.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Non,
excepté un fort déficit.
M. Malou.
- La situation financière qu'on nous a distribuée ressemble à s'y méprendre à
toutes celles qui ont précédé. Je vais le démontrer.
Ici, j'éprouve néanmoins, je l'avoue, un singulier embarras pour
répondre à M. le ministre des finances qui vient de donner des explications sur
l'état de nos finances.
Dans la situation financière qu'il a remise à la chambre et qui nous a
été distribuée, je trouve comme conclusion de la gestion des 17 dernières
années, le passage suivant :
« Ainsi, malgré les crédits extraordinaires de 2,300,000 francs votés
par les lois des 24 septembre 1845 et 6 mai 1847, pour mesures relatives aux
subsistances, et qui ont été imputés sur les ressources ordinaires de
l'exercice 1845, et les 2,790,000 francs de dépenses votées respectivement à
charge des budgets de 1846 et 1847, par les lois des 20 décembre 1846, 25 mars
et 8 mai 1847, et lesquelles doivent être couvertes par le produit de bons du
trésor, ce qui fait ensemble 5,090,000 francs, l'équilibre entre les recettes
et les dépenses ordinaires des gestions antérieures à 1848 a été non seulement
maintenu, mais il y a encore un boni de fr. 643,694 81 c. »
En vérité je pourrai m'en remettre à M. le ministre des finances
lui-même du soin de réfuter l'exposé qu'il vient de nous présenter. Cependant,
autant que me le permettront les notes que j'ai prises, je vais essayer de le
faire.
Ainsi un premier fait est reconnu par le gouvernement, les exercices
antérieurs à 1848 se soldent par un boni quant à la gestion de nos finances, en
ce qui concerne les recettes et les dépenses ordinaires. Voilà un point acquis
au débat.
On nous dit : Vous avez absorbé 35 millions de valeurs qui ne doivent
plus se reproduire. Dans ces 35 millions j'aperçois d'abord 10 millions de
dette flottante qu'on a consolidés ; c'est-à-dire qu'on a fait passer dix
millions de la dette flottante à la dette consolidée ; et l'on nous calcule
bravement, j'allais dire sérieusement ces dix millions parmi les recettes qui
ont été absorbées ! En vérité, j'ai peine à prendre une pareille observation au
sérieux.
Nous avons absorbé les 16 millions provenant de la liquidation ! Mais
ces 16 millions se trouvent dans votre trésor. Il s'en trouve même plus de 16.
Nous avons, par suite des arrangements intervenus avec la Hollande, conservé
l'encaisse de 1830 ; c'est là une valeur qui appartient au trésor, qu'on ne
peut pas compter comme ayant été absorbée par la gestion des dernières années,
car vous avez, en émettant cette partie de notre dette, ces 12 millions qui
rentrent au trésor. Nous avons ensuite le boni du fonds de liquidation des
anciennes créances. Je ne crois pas devoir en dire le chiffre que je connais,
parce que M. le ministre, par des raisons que j'apprécie, ne nous le fait pas
connaître ; mais je puis assurer qu'en l'ajoutant au chiffre de l'encaisse, la
somme totale dépasse 16 millions.
Vous voyez donc que les millions dévorés se portent assez bien.
Mais, messieurs, d'honorables membres, l'honorable ministre de
l'intérieur notamment, me paraissent céder à une singulière préoccupation, en
considérant le chiffre de la dette flottante comme une espèce de thermomètre de
notre situation financière. C'est là une erreur fondamentale. Que faisons-nous
lorsque nous consacrons la dette flottante à la création de travaux d'utilité
publique ? Nous créons un emprunt temporaire que nous nous réservons plus tard
de consolider. Mais si cet emprunt a pour origine des travaux publics
productifs, ce n'est qu'un capital que nous engageons ; ce n'est pas une dette
que nous créons.
Or, la dette flottante qui a existé depuis 1833, temps de sa création ;
la dette flottante qui existe aujourd'hui n'a jamais eu, sinon pour des sommes
insignifiantes, d'autre origine que des travaux d'utilité publique productifs,
dont le produit vient aujourd'hui se renseigner dans votre budget des voies et
moyens.
Je vous demande donc, si, au point de vue de la situation financière, il
n'est pas parfaitement indifférent de voir si nous avons aujourd'hui 7 millions
ou si nous avons 25 millions de dette flottante. Si nous avions 7 millions de
dette flottante, c'est que nous aurions converti en dette consolidée les
capitaux que nous aurions empruntés pour des travaux publics productifs. Si
nous avons 25 ou même 35 millions de dette flottante, c'est que nous n'avons
pas encore consolidé ces capitaux que nous avons dépensés pour un emploi
productif.
Assurément, si l'on démontrait qu'une partie notable de cette dette
flottante a pour origine le maintien de l'équilibre entre nos recettes et nos
dépenses ordinaires, oh ! alors la question aurait une grande importance. Mais
ici, je le répète, nous avons M. le ministre des finances en aveu, qui nous
déclare que la gestion antérieure à 1848 se solde par un boni de 643,000 fr.
Mais, dit-on, si le trésor ne présente pas de vide, (car j'ai noté cette
expression très rassurante : le trésor ne présente pas de vide), le budget des
voies et moyens présente un vide.
D'abord, messieurs, le budget des voies et moyens n'est pas encore
discuté. Nous ne savons pas encore si ce vide y subsistera. Pour moi, j'ai été
frappé de l'annonce d'un vide dans le budget des voies et moyens. Comment !
nous avons traversé deux années de crise, deux années pendant lesquelles plusieurs
recettes sur le produit desquelles (page
166) réagit notablement le prix des denrées alimentaires, ont été
considérablement affectées. Et cependant, nous avons, de l'aveu de M. le
ministre des finances, maintenu, pendant ces deux années de crise, l'équilibre
entre les recettes et les dépenses. Maintenant nous entrons dans une année
normale. Ces recettes, comprimées par les circonstances, vont non seulement
reprendre leur état normal, mais vont le dépasser. Ainsi, je citerai les
accises : les travaux ont été ralentis, les approvisionnements se sont épuisés,
et, déjà aujourd'hui vous avez une activité non pas normale, mais
extraordinaire, qui se résumera en 1848 dans des recettes qui seront aussi
extraordinaires.
Au mois d’avril et de mai, nous avons présenté tous les budgets, à
l’exception d’un seul. Le solde entre les recettes et les dépenses était de 15
à 16 cent mille fr. Pouvais-je croire, y a-t-il quelqu'un qui pouvait croire
que le budget de travaux publics, lorsqu'on n'y comprend pas, comme on l’a fait,
je le reconnais, les recettes extraordinaires, pourrait venir rompre cet
équilibre ? Comprend-on qu'on porte en travaux publics, 13 à 14 cent mille
francs de plus, pour l'exploitation du chemin de fer, tandis qu'en recette,
dans le budget des voies et moyens d'après l'amendement de M. le ministre des
finances, on ne porte que l'augmentation normale qu'on obtient dans une année
ordinaire. Qui peut s'expliquer de pareils faits ? et peut-on dès
aujourd'hui, comme si le budget des voies et moyens était discuté, dire qu'il y
a vide dans le budget ?
Je ne m'arrête pas à la question d'économie. Je reconnais que l'économie
qui a été dans les vœux de tous les ministères pour les services ordinaires,
est très difficile à réaliser, et à moins d'adopter ces mesures radicales,
auxquelles je.ne consentirais pas, et je place en première ligne celle que
l'honorable M. Osy a indiquée, il serait bien difficile, nos anciennes
discussions ne l’ont que trop prouvé, de réduire de quelques, cent mille francs
la somme de 117 millions à laquelle s'élèvent nos dépenses ordinaires. Je
m’arrête donc simplement aux besoins du budget mis en regard de nos recettes
ordinaires, et je dis qu'on n'est pas dès aujourd’hui recevable à déclarer
qu'il y a vide dans le budget des voies et-moyens.
Mais, ajoute-t-on encore, il y a des crédits supplémentaires ; il y
a l'arriéré.
Sans doute, messieurs ; mais dans l'arriéré il y a aussi des dépenses
décrétées qui ne se feront pas. Je crois d'ailleurs, puisque M. le ministre des
finances nous en a incidemment donné l'occasion, qu'on ferait bien de dire, une
bonne fois pour toutes, quelle est la nature de cet arriéré ; Je suis convaincu
par exemple que les 1,500 et autant de mille francs qui sont portés pour le
département des finances, doivent être, en très grande partie, des
régularisations sans un centime de dépense. J'articulé ce fait, parce que j'ai
la conscience de n'avoir laissé aucun déficit, aucun arriéré dans
l'administration des finances. Vous voyez donc que pour un article qui m'est
connu, je déduis déjà quelque chose de cet arriéré de 5 millions. Je demanderai
à M. le ministre des finances de nous faire connaître, par une explication
d'ensemble, quelle est la nature de cet arriéré, quelle en est l'origine.
On nous dit encore que les besoins du passé ne sont pas tous constatés,
qu'il reste des dépenses à faire dans l'avenir.
Sans doute, messieurs, il reste des dépenses à faire dans, l'avenir, les
unes, dont le principe est déjà soumis aux chambres, les autres dont le
principe pourra nous être soumis ultérieurement. Je ne conteste pas que, dans
un gouvernement comme le nôtre, il n'y ait nécessité de pouvoir de temps en
temps faire quelques travaux. Mais, messieurs, de là à prétendre qu'il faille
créer immédiatement, et par des impôts, un revenu extraordinaire de 5 à 6
millions, il y a très loin, et c'est ce que notre situation financière ne
justifie en aucune façon.
Je me borne à indiquer ces idées, parce que le moment n'est pas venu de
discuter, la nécessité d’impôts nouveaux, et la nature de ces impôts. Car là il
y a un choix important à faire. Il ne suffit pas de dire : Il me faut 1,500,000
fr. pour niveler le budget, et je vous propose telles ou telles mesures,
auxquelles, pour, le moment, je ne veux donner aucune espèce de qualification.
Messieurs, je ne veux pas abuser de l'attention de la chambre ; il me
suffit d’établir deux faits. : le premier que la dette flottante, quelles
qu'aient été ses variations, a eu constamment pour origine des travaux
d'utilité publique, dont les produits directs ou indirects ont tourné au profit
de la prospérité générale. Il me suffit de prouver que la dette flottante n'a
pas été appelée à solder le déficit des dépenses ordinaires, et pour le
prouver, je m'en réfère complètement à la situation du trésor que M. le
ministre des finances nous a fait distribuer et dont je n'ai fait que vous lire
le résumé.
Le second fait que je tiens à
constater, c'est qu'il n'est pas démontré dès aujourd'hui que l'on devrait
créer des ressources nouvelles ; il n'est pas démontré dès aujourd'hui qu'il y
aura vide dans le budget des voies et moyens.
Je me borne à ces simples
réserves, parce que j'espère que nous discuterons bientôt le budget des voies
et moyens.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Messieurs, l'honorable préopinant m'oblige à prendre la parole dans ce débat,
qui, sous certain rapport, m'est étranger. Je profiterai pourtant des
explications que j'ai à donner en ce qui touche le chemin de fer, pour dire
quelques mots de la question qui vous occupe en ce moment.
Nous avons fait, il y a peu de jours, le bilan de l'administration
ancienne au point de vue politique ; nous avons, en quelque sorte incidemment,
à faire aujourd'hui le bilan de cette même administration au point de vue
financier.
Selon les uns, la situation financière est excellente ; selon nous, elle
n'est pas bonne, parce que nous ne pouvons appeler bonne une situation
financière qui exige impérieusement la création de ressources extraordinaires.
Quelques
membres. - C'est la question !
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
– Permettez, j'expliquerai mon opinion. Je pose ma thèse ; je la discuterai
tout à l'heure et je fournirai tous les éléments de conviction à la chambre,
Selon les uns donc, la situation est bonne ; selon nous, elle est
mauvaise, parce qu'on nous a légué une grande somme de dettes, de dettes
actuellement exigibles, de dettes qui viendront à échéance dans un avenir plus
ou moins prochain ; et parce que, pour notre compte, pour le compte de
l'administration nouvelle, il y a aussi des dépenses auxquelles il est
indispensable de pourvoir.
Messieurs, je ne veux pas entrer dans tous les détails des chiffres, où
généralement on a coutume de se perdre. On fait avec les chiffres beaucoup plus
de subtilités encore qu'avec le raisonnement. Je veux m'en tenir, pour éviter
toute discussion inutile, aux sommes rondes et aux. chiffres présentés par
l'honorable M. Malou.
Que vous a dit l'honorable M. Malou dans son testament du 15 juillet
1847 ? Et je pourrais bien, à certains égards, récuser ces chiffres ; car, si
j'en crois une publication récente, il y aurait à l'actif comme au passif des
erreurs pour plus de 20 millions, ce qui fait que nous avons une situation à peu
près exacte par hasard.
L'honorable M. Malou vous a dit : La dette actuelle, la dette flottante,
le déficit est de 8 millions. Comment arrive-t-on à ce chiffre de 8 millions ?
C'est ce qu'il faut d'abord principalement préciser. On arrive à ce chiffre de
8 millions en faisant figurer à l'actif de l'Etat : 1° l'encaisse de la Société
Générale ; 2° la valeur des actions que l'Etat possède dans le chemin de fer
rhénan...
M. Malou.
- Je n'ai pas compté cette valeur.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Et troisièmement le fonds d’amortissement.
M. Malou.
- C'est une erreur.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). -
J'écarte encore, puisqu'on en fait l'objet de réclamations, la valeur de nos
actions dans le chemin de fer rhénan. Mais vous avouerez bien que vous déduisez
l'encaisse ?
Messieurs, qu'est-ce que c'est que cet encaisse de la Société Générale ?
Qu'est-ce que c'est que ce joujou financier dont on s'amuse depuis longtemps ?
L'encaisse de la Société Générale ? Mais il est composé de chiffons de
papier ! C'est un emprunt que vous propose l'honorable M. Malou dans son
mode d'opérer. Vous allez en être convaincu.
En 1830, au moment de la révolution, la Société Générale détenait des
valeurs importantes appartenant à l'Etat, au gouvernement des Pays-Bas, La
Société Générale ne voulait pas remettre ces valeurs au nouveau gouvernement, A
l'occasion de l'emprunt de 30 millions 4 p. c,, si je ne me trompe, on a
proposé à la Société Générale de recevoir 13,500,000 francs en papier, afin de
nous restituer les 13,500,000 fr. en écus qu'elle détenait dans ses caisses.
M. Malou.
- Vous êtes dans l'erreur.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Si vous voulez que j'entre dans tous les détails de l'opération et que je la
reprenne à son origine, je le ferai. Mais cela est inutile. Il suffit de
savoir, pour la discussion actuelle, que l'on a détaché 13 ou 14 millions de
l'emprunt de 30,000,000 de fr. 4 p. c. pour représenter la valeur de l'encaisse
de la Société Générale. C'est là ce que je tiens à indiquer et à préciser.
Dans la loi qui décrète cet emprunt, si ma mémoire est fidèle, on a
stipulé que l'on ne pourrait pas émettre ces 13 ou 14,000,000 sans une nouvelle
disposition législative. Or, lorsque de la dette de l'Etat on déduit ces
13,500,000 fr. quelle est l'opération à laquelle on se livre ? On suppose
l'autorisation donnée par la législature d'émettre le complément de l'emprunt
de 30 millions, et partant l'autorisation d'emprunter. Que l'on emprunte sous
ce mode ou en décrétant un nouvel emprunt, cela revient absolument et
identiquement au même ; l'opération pour réduire la dette consiste donc à faire
un emprunt.
J'appelle cela, messieurs, une subtilité financière.
La dette doit donc être reportée, pour être vrai et en tenant compte de
l'encaisse imaginaire à 2 millions. C'est bien là, je pense, le premier article
de notre passif ; et je l'établis, messieurs, à l'aide des chiffres de
l'honorable préopinant, à l'aide de la situation financière publiée par
l’honorable M. Malou, dont je n'admets pas intégralement l’exactitude, mais que
je prends pour base de la discussion, afin d'éviter toute réclamation.
Maintenant messieurs, nous avons bien encore quelque chose à faire, nous
avons à pourvoir à des crédits supplémentaires qui ne s'élèvent. pas à moins de
5,600,000 fr. pour ce qui est connu à peu près aujourd'hui, et ce n'est pas
tout.
Nous aurons à ajouter à ces crédits supplémentaires des crédits
complémentaires, car, en fait de crédits, il y en a eu de toutes espèces. Il y
en a d'extraordinaires, de supplémentaires, de complémentaires.
Vous aurez à pourvoir à des dépenses résultant de lois spéciales pour
l'exécution desquelles les fonds alloués sont insuffisants. Ainsi il (page 167) faudra de nouveaux fonds pour
l’achèvement du canal latéral à la Meuse, pour le canal de Schipdonck et pour
le canal de Zelzaete. Vous aurez de ce chef 4,800,000 fr. Je n’ai pas créé ce
passif ; c’est bien le passif de l’ancienne politique.
Il faudra encore ajouter à ces 10,400,000 fr. que je viens de citer
1,300,000 fr. provenant des dépenses faites pour les routes. A ce sujet,
messieurs, je vais vous expliquer comment l'ancienne politique a opéré, et vous
direz ensuite, en âme et conscience, si c'est là de la bonne administration
financière !
En 1845 et en 1846 le pays était dans une situation extrêmement fâcheuse
; il a été nécessaire d'organiser des travaux publics et extraordinaires. On a
spécialement décrété un grand nombre de routes. Le ministère précédent a
disposé, à cet effet, en 1845 et en 1846, d’une somme de 2,100,000 fr. Comment,
messieurs, a-t-on fait face à ces 2,100,000 francs ? On a pourvu à cette
dépense en absorbant le crédit ordinaire des routes jusqu'en 1850 et en portant
au budget une allocation extraordinaire de 400,000 fr., c'est-à-dire, que l'on a
escompté l'avenir, et que si l’administration nouvelle se permettait un pareil
acte, elle pourrait engager les fonds de l'Etat pour dix ou vingt ans. J'ai
dégagé le fonds des routes, j'ai demandé que la dette ainsi contractée fut
soldée par un crédit extraordinaire qui fît rentrer le budget dans son état
normal ; sans cela, il eût été impossible à l'administration de faire pour
50,000 fr. de dépenses, en ce qui concerne les routes.
Il reste encore à payer sur les 2,100,000 fr., une somme de 1,300,000
fr. La chambre appréciera l’acte que je viens de signaler au point de vue d'une
bonne gestion financière.
Pour le moment ; je pose en ligne de compte ; 1,300,000.fr. ; or
5,600,000, 4,800,000 et 1,300,000 fr., fait une douzaine de millions ; : c'est
la dette du passé.
Mais le passé avait encore contracté d'autres dettes. L'administration
précédente avait soumis à la chambre des projets de lois que M. le ministre de
l'intérieur a indiqués tout à l'heure ; c'est le projet de loi créant une
société d'exportation, le projet de loi d'enseignement moyen, la loi sur
l'enseignement vétérinaire et agricole, les lois sur les dépôts de mendicité,
sur le système pénitentiaire, et enfin sur le régime des aliénés. Je ne sais
si, sur ces lois, la politique ancienne avait l'intention de s'abstenir, ou si
elle se proposait de les laisser dormir dans les cartons de la chambre ; mais
si elle avait l'intention de les faire discuter et de les faire adopter, il
fallait probablement un moyen de faire face aux dépenses qui devaient en résulter.
Eh bien, c'était encore une dépense pour laquelle il n'y avait pas de
ressources, et si j'estime les dépenses de toutes ces lois à 3 ou 4 millions,
je suis évidemment et de beaucoup au-dessous de l'évaluation réelle. Je porte 3
millions.
Mais hélas ! le compte est bien loin d'être réglé. L'administration
précédente n'a pas fait pour le chemin de fer tout ce qui était nécessaire ;
elle a laissé cette voie nationale dans un état qui est loin d'être
satisfaisant. On a reconnu à diverses époques, la chambre a reconnu, M. le
ministre des travaux publics auquel j'ai succédé a reconnu en maintes
circonstances la nécessité de faire de grandes dépenses au chemin de fer, pour
le mettre dans un état convenable, pour l'achever, pour faire les stations, qui
manquent presque partout ou qui sont inachevées ; pour compléter le matériel du
chemin de fer ; pour exécuter les doubles voies qui manquent encore sur
quelques lignes ; peur fournir au chemin de fer des locomotives en nombre
suffisant. J'estime à 20 millions la dépense qui sera nécessaire de ce chef et
qui, certes, était tout autant une obligation pour l'ancienne politique qu'elle
est un devoir impérieux pour la politique nouvelle. Ainsi, messieurs, ces 20
millions sont encore une charge du passé.
Nous avons donc 5,600,000 fr., 4,800,000 fr., 1,500,000 fr., 3 millions,
20 millions ? Par quelles ressources entendait-on faire face à ces dépenses ?
J'admets votre équilibre. Je ne veux pas examiner comment depuis 17 ans vous
avez maintenu en apparence l'équilibre entre les recettes et les dépenses ; si
vous avez, oui ou non, absorbé une masse de capitaux qui sont entrés dans la
caisse de l'Etat et qui ont servi à couvrir soit des dépenses ordinaires, soit
des dépenses extraordinaires. J'admets tout ce que vous dites à cet égard ; je
vous demande une seule chose : Comment entendiez-vous faire face aux besoins
que je viens de signaler ? C'est là la question. Il ne faut pas que cette
question soit changée, soit modifiée ; je suis sur le véritable terrain de la
discussion ; il faut qu'on dise par quelles ressources on entendait faire face
à toutes les obligations que je viens d'énumérer.
Ce n'est pas tout, messieurs ; je puis dire, sans crainte de blesser la
politique ancienne, qu'il y avait bien quelque engagement à l'endroit du chemin
de fer d'Alost, de la dérivation de la Meuse, du canal d'Herenthals à Anvers,
et certes je ne mentionne pas tous les travaux promis ! On conviendra qu'en
général la discussion renouvelée l'an dernier pour le chemin d'Alost et pour la
Meuse ne portait que sur ce point qu'il fallait décréter ces travaux par un
projet spécial, et non pas incidemment, à l'occasion du budget. Mais des
promesses étaient faites, et depuis longtemps, aux localités intéressées. Eh
bien, il faut encore que nous ayons les ressources nécessaires pour exécuter
ces travaux. Je suppose neuf millions pour le chemin de fer d'Alost, huit
millions pour la Meuse, trois millions pour le canal d'Herenthals ; avec quoi,
messieurs, faire face à ces dépenses ?
M.
de Mérode. - Ce sont des bêtises !
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Ce sont des « bêtises » ! dit l'honorable comte de Mérode. Je
ne sais pas si c'est la dérivation de la Meuse, qui est une bêtise ; mais l'an
dernier, l'honorable comté appuyait cette bêtise-là.
M.
Delfosse. – En 1841, il l’appuyait chaleureusement.
C'était, de son aveu, une question d'humanité.
M.
de Mérode. - J'ai appuyé les travaux a. faire dans la
ville de Liége, mais non pas la canalisation de toute la Meuse.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Je ne m'occupe, messieurs, que du point sérieux qui doit fixer notre attention.
Je dis que ce sont là des dépenses qui, actuellement, dans, un mois, dans six
mois, dans un an, si vous le voulez, seront indispensables. Ces dépenses seront
faites, et seront faites dans un temps très rapproché. Quel est le moyen d'y
faire face ? Je ne connais que deux moyens, et ces deux moyens se résument en
un seul ; c'est l'emprunt et l'impôt, et l'emprunt c'est toujours l'impôt, car
il faut bien des ressources durables pour couvrir les intérêts et
l'amortissement des sommes empruntées.
Il est impossible, messieurs, de faire face à de semblables obligations,
aux dettes du passé, aux dettes du présent, aux dettes qu'il faudra contracter
demain, sans recourir à l'emprunt et à l'impôt, à moins qu'on ne veuille faire
des économies radicales, de ces grandes économies qui permettraient de trouver
les sommes nécessaires pour couvrir l'intérêt et l'amortissement de l'emprunt ;
; mars toujours l'emprunt serait nécessaire, pour remplir les obligations
immenses que je viens d'indiquer.
Un de mes honorables collègues s'est expliqué tout à l'heure en ce qui
touche ces économies radicales, qui ne peuvent être prises que sur l'armée. Je
dirai, messieurs, que les sommes nécessaires pour l'armée forment aussi une
dette du pays.
Après de longues discussions, les chambres ont donné au pays
l'organisation de l'armée telle qu'elle est aujourd'hui..
Vous avez, messieurs, créé par là des carrières et des positions pour un
grand nombre de personnes ; beaucoup d'existences sont aujourd'hui attachées à
l'armée ; réduire notablement, tout d'un coup, sans examen, sans savoir qui
l'on va frapper, cesser de payer une partie de la dette contractée, par cela
seul que l'armée a été organisée, ce serait, permettez-moi de le dire, ce
serait une sorte de banqueroute !
Ah ! si vous disiez que vous entendez opérer des réductions successives,
je le comprendrais ; j'admettrais qu'on pût discuter sur ce terrain ; mais
lorsqu'une fois l'organisation de l'armée est faite, lorsque cette loi
importante est introduite dans le pays, lorsqu'un grand nombre d'existences
dépendent de l'exécution de cette loi, je ne comprends pas que, sans égard pour
les positions acquises, on veuille, dès à présent, détruire, bouleverser de
fond en comble ce qui a été fait.
L'honorable M. Cogels a dit tout à l'heure, en face de cette situation
que j'ai peut-être comprise autrement que lui, que le cabinet avait commis une
haute imprudence en annonçant l'emprunt. (Interruption.)
J'ai parfaitement entendu les paroles de l'honorable M. Cogels. Il a dit
qu'il y avait imprudence à annoncer ainsi la nécessité de créer de nouvelles
ressources et de faire un emprunt.
M. Cogels.
- Sans préciser.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Je ne sais si à l'extérieur ou dans cette chambre, messieurs, les financiers
(je n'ai pas la prétention de compter parmi eux) sont des gens fort sots,
ignorants de leur nature, incapables d'apprécier la situation financière d'un
pays. Je ne me suis pas livré à de grandes éludes en fait de chiffres ; je n'ai
pas, pour ma part, approfondi la situation financière des différents Etats de
l'Europe ; mais avec un peu de bon sens, en examinant toutes les pièces qui ont
été publiées, j'ai vu quelles étaient en réalité les dettes et les ressources
du pays.
Il me semble que les grands faiseurs d'emprunts doivent connaître au
moins aussi bien que moi quelle est au juste notre position ; ils savent bien à
quelle époque un pays doit contracter un emprunt ; et ce n'est pas parce qu'on
annonce un emprunt quelques mois avant de le contracter, que tout d'un coup on
éclaire ces messieurs sur la véritable situation du pays.
Oh ! cela va nous faire un tort immense, personne dans le pays ne savait
qu'il fallait un emprunt, mon prédécesseur immédiat au département des travaux
publics ne l'avait pas dit au sénat, c'est le ministère actuel qui vient ici
imprudemment, à la légère, compromettre le salut de l'empire et faire baisser
de quelques pour cent les fonds publics ! En vérité, messieurs, cela n'est pas
sérieux.
Messieurs, je m'occuperai maintenant très succinctement de la question
qui me touche plus directement, je veux parler du chemin de fer.
L'honorable M. Malou, et je m'étonne que cette observation soit émanée
de lui ; l'honorable M. Malou empruntant des arguments à certains journaux qui
harcèlent le ministère depuis sa constitution ; l'honorable M. Malou répétant
ce qui se trouve dans certains journaux depuis la publication du budget du
département des travaux publics ; l'honorable M. Malou vous a dit : «
L'équilibre se trouve rompu entre le budget des dépenses et le budget des voies
et moyens, mais voici pourquoi : c'est que le ministère actuel n'a pas opéré
comme nous l'avons fait ; c'est qu'il a augmenté les dépenses et diminué les
recettes ; et j'ai été scandalise de voir le budget des travaux publics accru
tout à coup pour le seul article du chemin de fer, d'une dépense de 1,500,000
fr. et les recettes réduites de 500,000 fr. !..... »
M. Malou.
- Ce n'est pas cela que j'ai dit ; voulez-vous me permettre de m'expliquer ?
(page 168) M. le ministre
des travaux publics (M. Frère-Orban). - J'en appelle à la chambre ;
c'est là exactement, pour le fond, ce qui a été exprimé par l'honorable membre,
d'accord en cela avec les accusations produites par certains journaux.....
M. Malou.
- Je n'ai rien de commun avec les journaux.
M.
le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban).
- Je ne prétends pas que vous ayez quelque chose de commun avec les journaux,
mais je me plais à croire que vous les lisez ; or je puis dire que dans les
journaux qui attaquent très particulièrement le ministère, on trouve tous les
jours imprimé que le budget des travaux publics se trouve augmenté de 1,300,000
francs, et que la recette est réduite de 500,000 francs, et c'est également ce
que l'honorable membre a avancé.
Commençons par la recette.
Il est vrai qu'au budget des voies et moyens on a réduit de 500,000 fr.,
les évaluations faites par l'honorable M. Malou, du chef du chemin de fer. Mais
je suis convaincu que l'honorable membre sera dans l'impossibilité de fournir à
la chambre aucun élément propre à constater qu'il y avait probabilité
d'atteindre la recette de 10 millions 500,000 francs ; je m'engage à démontrer
lors de la discussion de mon budget, que le chiffre, évalué par nous à 16
millions, était tout ce qu'on pouvait raisonnablement faire figurer de ce chef
au budget des voies et moyens.
Quant à la dépense, l'honorable M. Malou, ex-ministre des finances, n'a
pas compté sur une petite bagatelle qu'on nomme crédit supplémentaire. II se
trouve par malheur qu'il y a quelque chose comme un million de crédit
supplémentaire pour le service du chemin de fer en 1847, et comme le budget de
l'exercice 1847 avait été réglé à 16,100,000 fr., il faut bien y ajouter le
million de crédit supplémentaire nécessaire pour connaître la dépense effective
de 1847 ; ce qui porte cette dépense à plus de 17,000,000 de fr.
Quel est le chiffre demandé au budget des travaux publics pour
l'exercice 1848 ? Il est de 17 millions et quelques centaines de mille francs.
Pourquoi y a-t-il quelques centaines de mille francs en plus ? Uniquement parce
que j'ai fait figurer à mon budget la somme nécessaire pour créer un service de
nuit, et parce qu’il y aura une extension d’exploitation d’un cinquième.
Environ, et qu’il faudra bien que de ce chef la dépense s’augmente dans le
proportion d’un cinquième. Il résulte de là que si je réussis à exploiter le
chemin de fer dans les conditions proposées par moi, il n'aura été, à aucune
époque, administré aussi économiquement.
Ainsi, il n'est pas exact de dire, il est complètement faux d'énoncer
que la dépense en plus sollicitée au budget du département des travaux publics
serait de 1,300,000 francs ; cela serait vrai si l'on ne tenait pas compte du
crédit supplémentaire d'un million, mais en bonne règle de comptabilité et en
bonne justice envers le cabinet actuel, vous me permettrez de compter ce
million et de réduire à néant la prétendue augmentation dont vous parlez.
Telles sont les observations que j'ai cru devoir soumettre à la chambre
sur la question qui l'occupe en ce moment.
- La séance est levée à 5 heures.