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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 20 avril 1847
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétitions relatives au tribunal de première
instance de Charleroy (Dumont), à un projet de concession
ferroviaire (Jonet) et au chemin de fer de Liége à Namur
(Delfosse)
2) Projet
de loi créant une société d’exportation linière (Desmaisières)
3) Interpellation relative à l’exécution du chemin
de fer dans le Luxembourg (Jonet, de
Bavay)
4) Projet de loi portant le budget du département des travaux
publics pour l’exercice 1847. Discussion des articles. Chemin de fer. Administration,
personnel, coût de construction et d’exploitation du chemin de fer de l’Etat,
tarifs, ((+cour des comptes, comptabilité, corps des ponts et chaussées) de Man d’Attenrode, d’Hoffschmidt,
((+cour des comptes, comptabilité, corps des ponts et chaussées) de Bavay, (+retard dans l’exécution des voies concédées,
horaires du convoi de Verviers) (Lys, de
Bavay)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1518)
M. A.
Dubus fait l’appel nominal à une heure et un quart.
M. Van
Cutsem lit le procès-verbal de la séance
précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. A.
Dubus communique à la chambre l’analyse des pièces qui
lui sont adressées.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le tribunal de première
instance de Charleroy demande que le projet de loi qui tend à proroger le terme
fixé pour la réduction de son personnel maintienne définitivement la seconde section
de ce tribunal, crée une troisième section temporaire et élève ce tribunal de
la troisième classe à la deuxième. »
M. Dumont. -
Cette pétition étant relative à un projet de loi présenté à la chambre et soumis
en ce moment à l'examen d'une commission spéciale, je demande qu'elle soit
renvoyée à cette commission.
- Ce renvoi est ordonné.
M. le président. - A cette occasion je ferai connaître que M. Pirmez,
retenu chez lui par une indisposition, a témoigné le désir d'être remplacé
comme membre de cette commission spéciale. Satisfaisant à ce vœu, le bureau a
remplacé M. Pirmez par M. Dumont.
_________________
« Le sieur Charlier, bourgmestre de Tilff prie la chambre de fixer dans
cette commune le chef-lieu du canton de Beaufays. »
- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.
_________________
« Plusieurs officiers supérieurs
en retraite prient la chambre de statuer sur leur demande tendant à obtenir le
remboursement des retenues opérées sur leurs traitements. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres des administrations
communales de Tubise, Quenast, Rebecq-Rognon et Sleenkerque demandent une loi
qui autorise la concession à l'ingénieur Tarte d'un chemin de fer de jonction
directe entre les provinces wallonnes et les Flandres, sauf à supprimer
l'embranchement projeté entre Enghien et Hal et à décréter la construction d'un
embranchement parlant des enviions de Sleenkerque, aboutissant à Tubise. » » -
- i
M. Jonet. -
Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion
du budget des travaux publics, et renvoyée ensuite à la commission des
pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
_________________
« Plusieurs habitants de Lokeren
demandent que le projet de loi sur l'enseignement moyen contienne une
disposition qui rende obligatoire, dans toutes les classes, l'enseignement de
la langue parlée par la majorité des habitants de la province ; et qui
prescrive que dans les provinces flamingantes, l'allemand et l'anglais soient
enseignés au moyen de la langue flamande. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.
PROJET DE LOI CREANT UNE SOCIETE D’EXPORTATION LINIERE
M.
Desmaisières. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la
section centrale sur l'amendement présenté par M. le ministre des affaires étrangères,
au projet de loi relatif à la société d'exportation.
- Ce rapport sera imprimé et distribué, et mis à l'ordre du jour en même
temps que le projet de loi auquel il se rattache.
MOTION D’ORDRE
M. Delfosse. _ Le conseil communal de Flémalle-Haute a adressé
deux pétitions à S. M dans le but d'obtenir qu'il y ait un passage pour les
piéTons, sur le pont que l'on construit au val St-Lambert pour Le chemin de fer
de Liège à Namur. S. M. a fait transmettre ces pétitions à M. le ministre des
travaux publics. Mais M. le ministre n'a pas encore pris de résolution, bien
que les pétitions aient une date ancienne ; du moins, il n'a pas encore donné
de réponse. J'appelle son attention sur cette affaire, et je l'engage à s'en
occuper le plus tôt possible.
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). - J'ai lieu
de croire que le passage pour piétons qui est réclamé pourra être établi. Je
pense pouvoir donner prochainement une solution en ce sens à la question.
INTERPELLATION
M. Jonet. -
Je demande la parole avant qu'on ne reprenne la (page 1519) discussion du budget des travaux publics, parce que ce
que j'ai à dire ne s'y rapporte pas directement.
Je dois faire connaître à M. le ministre des travaux publics que la
commune de Wavre est dans une grande inquiétude à l'occasion du chemin de fer
du Luxembourg. D'après la loi du 8 janvier 1846, le chemin de fer du Luxembourg
devait se réunir avec le chemin de Louvain à la Sambre, à Wavre où une station
principale serait créée. Cette ville craint que cette station ne se fasse pas.
Ce qui donne lieu à cette crainte, c'est qu'on fait des études à une lieue de
Wavre, à Ottignies et Limelette et que les ingénieurs donnent à entendre que ce
sera là que l'on fera la station.
Je pense qu'il n'en est rien. Mais je prierai M. le ministre des travaux
publics de vouloir s'expliquer sur ce point ; car, si l'on établissait la
station à Limelette ou à Ottignies, la ville de Wavre, qui a un commerce assez
considérable avec Bruxelles, Perwez et tous les villages environnants, le
perdrait indubitablement, et ce changement occasionnerait la ruine de cette
ville, de plus de 6,000 habitants, qui payent à l'Etat près de 50,000 fr.
d'impôts.
Je ferai une autre observation.
La commune de Perwez avait, en décembre dernier,
présenté une pétition pour solliciter M. le ministre des travaux publics de
faire construire la route de Wavre à Huy par Perwez. Cette pétition a été
renvoyée à la commission des pétitions avec prière, à ma demande, de faire un
prompt rapport.
La pétition a été renvoyée à M. le ministre des travaux publics. Je
crois que M. le ministre n'a donné aucune suite à cette affaire, bien que la
commune de Perwez eût désiré, comme beaucoup d'autres, pouvoir donner du
travail à ses pauvres.
M. le ministre m'obligerait, s'il voulait me répondre sur ces deux
points.
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Les plans
soumis jusqu'à présent à l'approbation du gouvernement par la société
concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg, ne s'étendent pas au-delà de
Groenendael ; ils s'arrêtent donc en deçà de Wavre. Ce n'est que lorsque les
plans du tracé jusqu'à Wavre et au-delà me seront soumis, que je serai en
position de statuer sur la réclamation de la ville de Wavre.
Quoi qu'il en soit, je puis dire que le cahier des charges sera exécuté.
Je considère comme un devoir de le faire exécuter, et je ne me crois pas le
droit de m'en écarter en quoi que ce soit. Ce cahier des charges, étant une
annexe à la loi, a la même force que la loi même.
En réponse à la seconde interpellation de l'honorable M. Jonet, je dirai
que la route dont il a parlé n'a pas reçu jusqu'ici un commencement
d'exécution, principalement à cause des difficultés financières. Cette route
exigerait une dépense considérable et, notamment de la part du conseil
provincial du Brabant, une intervention plus large que celle qui est offerte.
Cette difficulté a seule empêché jusqu'ici le commencement d'exécution
des travaux.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX
PUBLICS POUR L’EXERCICE 1847
Discussion des articles
Chapitre III.
- Chemin de fer
Discussion générale sur le chapitre III
M. le président. - La parole est à M. de Man d'Attenrode.
(page 1533) M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, après avoir restitué au
gouvernement le mandat de fonctionnaire qu'il avait bien voulu me confier dans
l'administration, je fis usage de mes loisirs pour rechercher la cause des
irrégularités fort graves dont la cour des comptes se plaignait dans ses
cahiers d'observations avec cette persévérance que l'amour du pays seul inspire
; et ces plaintes concernaient surtout l'administration des travaux publics.
Je compris bientôt qu'il fallait, pour y porter remède, prendre les
choses par leur base ; et je consacrai tout mon temps à l'étude de la
comptabilité publique, et aux moyens de régler nos comptes arriérés. Je suis à
peu près parvenu à mon but, grâce à votre bienveillance.
Maintenant je reprends la discussion du budget des travaux publics, je
reprends la position que j'avais abandonnée à la suite de la discussion
intervenue en 1844.
Le coût total de la construction et de l'établissement des chemins de
fer de l'Etat, en y comprenant toutes les sommes payées pour intérêts,
amortissement, et frais de toute espèce des emprunts alloués, s'élevait au 1er
janvier 1846 à 213,486,052 fr. 56 c.
C’est du compte rendu des opérations de l'exercice 1845, publié au
commencement de la session par M. le ministre des travaux publics, que
j'extrais ce renseignement.
D'après le même rapport, le montant des capitaux qui restaient dus au 31
décembre 1845 était de 162,119,095 fr. 88 c.
En calculant les intérêts de cette somme à 5 p. c. le trésor est chargé,
de ce chef, de subvenir à une dépense annuelle d'environ 8,000,000 fr.
Les frais d'exploitation sont portés au budget de 1847 pour 7,554,050
fr.
Les chemins de fer sont donc pour le trésor belge l'objet d'une dépense
annuelle de 15,554,050 fr.
Leur produit présumé étant porté au budget des voies et moyens pour une
somme de 13,900,000 fr., la dépense qu'occasionnent les chemins de fer au
trésor est donc de 1,654,050 fr.
Plusieurs membres. - C'est une erreur ; la recette présumée de
l'exercice 1847 est de 15,646,000 fr.
M. de Man d’Attenrode. - Le chiffre de la recette que je
viens de produire est extrait du budget des voies et moyens de 1847, c'est sur
ce chiffre que je devais baser mes calculs. Le chiffre de 15,646,000 fr. est le
résultat de nouvelles estimations portées au budget de 1848, me dit-on. Je vous
avoue, messieurs, que je n'ai pas encore eu le loisir de le parcourir.
Je suis au reste heureux d'apprendre cette bonne nouvelle ; il en
résulterait, si les dernières appréciations se réalisent, que la recette
dépasserait les dépenses de 61,950 fr. Quoiqu'il en soit, nous ne sommes
cependant pas encore dans les termes de la loi fondatrice des chemins de fer,
de la loi du 1er mai 1834, car l'article 5 exige que les produits de la route
provenant des péages, qui devront être annuellement réglés par la loi, servent
à couvrir les intérêts et l'amortissement de l'emprunt, ainsi que les dépenses
annuelles d'entretien et d'administration.
Je dis donc que les produits des chemins de fer ne sont pas encore ce
que l'article 5 exige qu'ils soient, car ils ne contribuent pas à l'amortissement
des emprunts qu'ils nous ont fait contracter.
Et je rappellerai ici que la chambre en adoptant, le 16 novembre 1841,
le paragraphe suivant de l'adresse en réponse au discours du trône, a donné une
nouvelle sanction à l'article 5 de la loi de 1834. Ce paragraphe fui adopté
après une discussion assez vive ; le voici :
« Tout en applaudissant à cette grande œuvre nationale, la chambre
accueillera avec empressement les mesures qui auront pour résultat d'empêcher
que le chemin de fer ne soit désormais une charge pour le trésor. »
On me répondra, sans doute, que les recettes vont chaque année en
augmentant. Cela est heureusement exact, et je m'avouerais satisfait, s'il ne
s'agissait pas de dépenses autres que celles portées au budget, s'il ne s'agissait
pas d'emprunts qui se renouvellent sans cesse, sous prétexte d'achever nos
chemins de fer.
C’est ainsi que, pour faire construire du matériel, on nous demande à
emprunter ; il est vrai qu'on a inventé un nouveau mot pour légitimer ces
levées d'argent ; on nous dit que c'est pour l’ « extension » du
matériel. Il me semble que les produits des chemins de fer devraient subvenir à
l'avenir à la construction du matériel ; au reste, qu'est-ce qui nous garantit
que ces capitaux ne sont pas employés pour remplacer le matériel ?
Il en est de même du fer et du bois, destinés au doublement des voies et
pour lesquels nous avons voté des bons du trésor. Qu'est-ce qui nous garantit
que ces billes et ces rails ne servent pas au renouvellement des lignes
établies ? Rien ne nous le garantit, et j'ai d'autant plus lieu d'être défiant
à cet égard, que la cour des comptes s’est plainte mainte fois, que les fonds
spéciaux, ceux des emprunts contribuaient à l’entretien ; qu’il y avait
confusion entre les fonds de la construction et ceux de l’exploitation
Au reste, ce que sera la dépense de l'entretien et de l'exploitation,
quand notre chemin de fer sera obligé de se passer de l'appui si commode des
emprunts, de marcher seul, c'est ce que je ne me charge pas d'établir, c'est ce
que le gouvernement lui-même serait embarrassé peut-être de nous dire.
Je. dirai donc, messieurs, que les demandes d'emprunt se renouvellent
sans cesse.
Déjà le chiffre du dernier compte rendu, que je viens de citer, se
trouve augmenté d'un emprunt ou bons du trésor, volés par nous, le 13 août
dernier, s'élevant à 3,712,960 fr. ; et je vous ferai remarquer que chaque fois
que le gouvernement nous propose un emprunt pour les chemins de fer, il nous
dit, par manière d'encouragement, pour ne pas nous effrayer : C'est le dernier.
Il nous a tenu ce langage à propos de l'emprunt du 26 juin 1840 ; à propos de
celui du 29 septembre 1842 ; à propos de celui du 13 avril 1843. Et il est
probable qu'il nous a encore dit : C'est le dernier ! en nous demandant les
bons du trésor, votés en août 1846 !
Maintenant on cherche à nous apprivoiser de nouveau et petit à petit
avec l'idée d'un nouvel emprunt ; les uns l'estiment à 12 millions, d'autres à
15 ; quelques-uns vont jusqu'à nous taxer à 20 millions.
Quoi qu'il en soit, et j'espère, messieurs, que vous serez de mon avis,.
si cet emprunt nous est proposé, comme cela paraît inévitable, tachons de faire
en sorte que ce soit au moins le dernier.
Accordons au gouvernement ce qui est nécessaire pour achever,
parachever, mais, pour le coup, que ce soit la clôture ; fermons, je vous en
prie, la porte aux emprunts.
Ainsi, il ne suffira pas de voter cet emprunt pour qu'il soit le dernier
; il faudra encore exiger les justifications les plus précises pour en avoir l'assurance.
Et je le déclare ici, comme le passé me donne le droit d'être défiant, il
faudra, afin d'éviter les déceptions, il faudra faire contrôler sur les lieux
les justifications produites par l'administration, par des hommes étrangers à
l'administration, par une commission d'enquête.
Je désirerais que cette commission nous fît un rapport sur la situation
du matériel de la locomotion et sur celles de nos lignes de fer, après s'être,
bien entendu, assurée sur les lieux mêmes de leur état.
Je voudrais que vérification fût faite de l'état et du nombre de ce
matériel, que cette vérification se fît simultanément sur les diverses lignes,
afin de s'assurer de son existence.
Il serait utile de vérifier l'état des rails et des billes, d'en faire
lever, afin de connaître si tous les tonneaux de fer, que nous avons payés,
nous ont été réellement fournis.
Je vous avoue que je ne suis pas sans arrière-pensées à cet égard. Je
pense, messieurs, que ce n'est qu'à cette condition que nous éviterons de
nouveaux mécomptes, et je le dis dès à présent, si je n’obtiens pas des
garanties suffisantes, bien certainement je ne voterai pas cet emprunt.
J'oubliais une observation qui aurait dû trouver sa place. Après avoir
parlé de ce que devaient être les produits du chemin de fer, il me semble qu'il
est grand temps que le gouvernement présente un projet de loi destiné à régler
les tarifs. D'après la loi du chemin de fer, d'après la loi de 1834, ce tarif
devait être voté annuellement par la législature. Depuis lors, afin de permettre
au gouvernement de faire des essais, il a été autorisé à l'établir à sa guise.
Il y a quelques années, une commissions dite des tarifs lui avait été
adjointe afin de l'aider de ses lumières. Cette commission a cessé de
fonctionner depuis longtemps, et il me semble que le gouvernement doit avoir
acquis maintenant une expérience suffisante pour pouvoir présenter un projet de
loi qui tende à fixer enfin les tarifs des voyageurs et des marchandises. Je
recommande à M. le ministre des travaux publics cet intérêt, et j'espère qu'il
présentera incessamment le projet de loi.
Je passe à l'objet qui est plus spécialement en discussion, à la demandé
d'un crédit de 7,554,050 francs destiné à l'entretien et au service ordinaire
de l'exploitation des chemins de fer.
Je vous dirai, messieurs, ma pensée bien franche, ma pensée tout
entière. Je me propose de traiter des matières plus ou moins délicates, parce
que, bien que mon intention soit de ne m'occuper que des choses, il est
impossible d'éviter, autant qu'on le désirerait, des applications personnelles.
Cela est pénible et regrettable, mais je déclare dès à présent que je ne
connais pas les administrateurs ; je les tiens tous pour honnêtes, zélés,
dévoués au gouvernement, tant que je n'aurai pas la preuve contraire. J'attaque
seule l'organisation ; je n'ai nullement l'intention d'inculper les personnes.
Pour déterminer un député consciencieux à voter une somme aussi
considérable, pour nous déterminer à confier un crédit aussi important à
quelques hommes, il faut de la confiance et, messieurs, cette confiance exige,
vous en conviendrez, certaines garanties. On a beau estimer le chef d'un
département, il n'en est pas moins vrai, cependant, qu'il faut que le chef de
ce département soit entouré de certains gages de bonne administration pour
remplir convenablement sa mission et pour commander ainsi la confiance qu'il
doit chercher à nous inspirer. Je me suis demandé quelles étaient les garanties
que nous avions le droit d'exiger pour remplir convenablement notre mandat. Ces
garanties, messieurs, sont d'abord la preuve, la certitude, que les fonds que
nous avons alloues précédemment ont reçu un emploi utile, afin de justifier les
votes de confiance que nous avons accordés précédemment.
La deuxième garantie, messieurs, est un état détaillé des services
auxquels le gouvernement se propose de consacrer les fonds qu'il nous demande.
Cet état détaillé, c'est le budget.
(page 1534) Quelle est, en
troisième lieu, la garantie que nous avons encore droit d'exiger ? C'est une
administration, un personnel dont les tendances soient de ménager les intérêts
du trésor public, dont les tendances soient de ne pas prodiguer les deniers des
contribuables.
Ce qu'il faut ensuite, c'est un chef ayant les moyens administratifs
nécessaires pour tenir avec assurance et fermeté les rênes de son
administration.
Voyons maintenant si la concession du crédit qui nous est demandé, est
entourée des garanties qui commandent la confiance, une confiance suffisante,
pour me permettre de voter ce crédit sans inquiétude, sans arrière-pensée.
Je disais, messieurs, que la première garantie était le compte rendu
détaillé de l'emploi des fonds qui ont été votés précédemment. C'est ce qu'on
appelle le compte des ministres. Eh bien, ces comptes n'ont jamais été
produits. La loi de comptabilité a prescrit, il est vrai, au gouvernement, le
dépôt de ces comptes, et je suis certain que, pour l'avenir, ces comptes nous
seront fournis. Mais quant à l'époque à laquelle ces comptes seront présentés,
c'est au ministre des finances qu'il faut le demander. Il dépend de l'honorable
M. Malou de hâter l'époque où nous pourrons obtenir cette garantie, et cela
parce que, par un article de la loi de comptabilité, nous lui avons abandonné
la fixation de l'époque à laquelle les divers articles de cette loi seront
rendus applicables.
Quant à la seconde garantie, c'est-à-dire quant à l'état des dépenses
futures auxquelles le gouvernement se propose d'appliquer le crédit qu'il nous
demande, cet état se composait autrefois d'un seul article global. Je fis des
réclamations, il y a quatre ans, et je conviens que le gouvernement a fait un
pas. Cet article global s'est transformé en quatre articles. Le gouvernement a
fait encore un pas depuis ; maintenant le chapitre des chemins de fer est
partagé en treize articles. Je crois que l'honorable M. d'Huart y est pour
quelque chose ; je me rappelle que dans la session de 1843, si je ne me trompe,
l’honorable membre me prêta son concours pour amener ce fractionnement.
Bien que le budget soit fractionné en treize articles, il offre encore
des articles dont l'application, à cause de leur importance, présente encore
assez peu de garanties. J'aurais désiré une subdivision encore plus grande,
afin d'obtenir un contrôle plus réel. J'ai dans ce but demandé les conseils de
l'honorable rapporteur, dans lequel nous avons une confiance, qu'il mérite à
tant de titres ; et il m'a déclaré que le budget du chemin de fer ne pouvait
être fractionné davantage, en un plus grand nombre d'articles qu'il ne l'était,
parce que l'exploitation du chemin de fer devait être considérée comme une
entreprise commerciale. J'avoue que je n'ai rien eu à redire à cette objection.
En effet, si le chemin de fer est une affaire commerciale, et j'ai lieu
de le croire, il est impossible d'exiger un trop grand fractionnement, qui
lierait par trop la liberté d'action de ceux qui sont chargés de sa direction.
J'ai donc été obligé de renoncer à la garantie d'un fractionnement plus
étendu des articles du budget du chemin de fer.
Quels étaient donc les éléments de confiance qui me restaient à invoquer
? Il ne me restait plus qu'à demander des garanties au personnel qui est chargé
de diriger cette affaire commerciale. Ce personnel exige donc une très grande
confiance, une confiance plus qu'ordinaire.
La question donc qui se présente naturellement est celle-ci : Le
personnel chargé de la direction des chemins de fer offre-t-il toutes les
garanties nécessaires pour remplir la mission délicate dont il est chargé,
d'une manière avantageuse pour le pays ? Offre-t-il les éléments d'une gestion
économique, condition indispensable, personne ne le contestera, pour faire
prospérer cette entreprise commerciale ?
Je pose ensuite cette autre question, comme conséquence de la première :
Le ministre des travaux publics est-il-entouré de conseils capables de
l'éclairer d'une manière impartiale et indépendante, et de lui donner une
force, une autorité suffisante pour rendre sa tâche facile et son action
efficace ?
Messieurs, je le dis sans détour, on est porté à craindre que non, quand
on consulte les longues discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte,
pendant les sessions de 1842,1843 et 1844.
Je me suis imposé la tâche de parcourir ces discussions avec soin, et
voici comment se sont résumés ces débats : On voulait surtout la réduction des
dépenses, l'on croyait en général que l'on ne parviendrait à obtenir des
améliorations nombreuses et indispensables, un système d'administration économe
et avantageux pour le trésor, qu'en associant au ministre des travaux publics
un comité composé d'hommes zélés, dévoués aux intérêts publics et d'une
intégrité à toute épreuve, dont la mission serait de l'éclairer.
De plus, n'est-on pas encore fondé à croire que le personnel ne présente
pas des garanties d'économie, quand on parcourt les cahiers de la cour des
comptes, de ce corps que nous avons chargé de veiller sans cesse, parce que
nous ne siégeons pas toujours ici, à ce que les crédits que nous votons soient
employés d'une manière avantageuse, et d'après les prescriptions légales ?
Enfin, le ministre des travaux publics exerce-t-il sur ce personnel une
influence suffisante ? Lui imprime-t-il l'impulsion qu'il doit avoir puisée
dans nos discussions ? Les documents nécessaires pour éclairer la marche de son
administration sont-ils produits à son département à l'administration centrale
?
Je suis encore fondé à penser que non, et je suis porté à le croire, si
je consulte les actes mêmes du gouvernement.
Le résultat des discussions de 1842, 1843 et 1844, était donc l'expression
du désir qu'un comité composé d'hommes éclairés, indépendants, dévoués aux
intérêts publics, fût adjoint au ministre.
Un an après, le 1er mars 1845, l'honorable M. Dechamps, alors ministre
des travaux publics, rendit sans doute pour satisfaire à cette expression, un
arrêté qui avait pour but de lui assurer un contrôle sérieux, un contrôle
direct sur la direction des chemins de fer. Mais cet arrêté est resté lettre
morte, il est resté enfoui dans les colonnes du Moniteur ; je l'y ai découvert par
hasard, je l'en ai exhumé afin d'aider à lui procurer l'existence que le
gouvernement lui destinait.
Je vais vous lire un des considérants de cet arrêté ; il vous prouvera
que le gouvernement reconnaît lui-même que son action n'était pas suffisante.
Voici ce considérant :
« Considérant, d'un autre côté, qu'il importe de renforcer l'action du
département par une intervention plus large dans les opérations de contrôle et
de surveillance, et par l'institution d'un conseil permanent des chemins de fer
; arrête :
« Art. 1er. Le service des chemins de fer au département des travaux
publics, est réparti en deux divisions, savoir, etc.
« Art. 5. Un conseil permanent des chemins de fer est institué au
département des travaux publics.
« Art. 6. Ce conseil est composé, etc. »
Ainsi, messieurs, comme vous le voyez, un des prédécesseurs de M. le
ministre des travaux publics avançait, en 1845, que son intervention était
insuffisante. Que fait-il pour rendre cette intervention suffisante ? Il prend
un arrêté pour la renforcer, au moyen d'un changement d'organisation dans les
rouages de son administration et par la création d'un conseil permanent du
chemin de fer. Vous dire la cause qui s'est opposée à la mise à exécution de
cet arrêté, c'est ce que je ne pourrai faire, parce que je l'ignore.
Un obstacle inconnu tout-puissant sans doute a empêché l'exécution de
cet arrêté, car, comme je l'ai dit tout à l'heure, il est resté inconnu, sans
exécution.
L'honorable M. de Brouckere n'avait-il pas raison, dans la séance du 13
août dernier, de tenir le langage suivant : « Je vais vous dire toute ma
pensée, disait cet honorable membre. M. le ministre des travaux publics, comme
quelques-uns de ses prédécesseurs, subit l'influence d'une administration qu'il
devrait diriger. J'ajouterai que, selon moi, la chambre rendrait un véritable
service non seulement au pays, mais au ministre des travaux publics lui-même,
en le rendant un peu plus fort contre cette administration, qui devient trop
puissante, et qui se croit omnipotente ».
En 1843, voici le langage que tenait l'honorable M. Rogier : « A tort ou
à raison la direction des chemins de fer passe pour absorber toute
l'administration, l'absorber en dessous, l'absorber même en dessus. »
Et l'extrait suivant, que j'ai fait dans un cahier de la cour des
comptes, vient prêter son appui à l'opinion émise par ces honorables membres :
« Une autre grave irrégularité, dit la cour dans un de ses cahiers
d'observations, c'est que les travaux imprévus ont été exécutés sans devis
préalable, et il faut dire même sans que l'autorité supérieure les ait
autorisés. Les travaux dits imprévus, se font d'après les ordres des
ingénieurs, dans les proportions qu'ils jugent nécessaires. Le devis est dressé
après leur exécution ; un état de réception est formé ensuite ; l'entrepreneur,
de concert avec l'ingénieur, fait sa soumission ; et ce n'est que 2 ou 3 mois
après l'achèvement qu'un arrêté approuve à la fois et le devis et la soumission
et l'état de réception.
« Or, il est impossible, ajoute la cour, que ce mode ne soit pas onéreux
au trésor, car les exigences des entrepreneurs s’accroissent à proportion de
l'importance des travaux : c'est ainsi que des dépenses de toute nature, qui,
d'après les termes des contrats, devraient être à la charge des entrepreneurs,
furent mises à la charge du trésor. »
Ce passage n'exige pas de commentaires ; je me bornerai à dire qu'il est
humiliant pour une administration de se faire donner des mercuriales aussi
sévères par un corps aussi grave et aussi haut placé.
Permettez-moi maintenant, messieurs, de faire quelques citations tirées
des discussions de 1842 et années suivantes ; discussions qui ont donné
naissance à l'arrêté dont je viens de vous lire un considérant, arrêté qui a
décrété une commission permanente de surveillance et qui tendait à donner au
ministre une action qu'il reconnaissait lui-même être insuffisante sur ses
subordonnés.
L'idée qui prévalut dans les discussions de 1842 et années suivantes,
est un désir de ménager les intérêts des contribuables sans nuire aux communications
ferrées.
L'administration paraissait trop dispendieuse, le personnel trop
nombreux. On se plaignit de ce que les recettes se faisaient sans contrôle, de
ce que les dépenses s'exécutaient sans le concours de l'autorité
administrative, sans respect pour les formes consacrées pour écarter le soupçon
de malversation, etc.
Je trouve d'abord à la page 16 du rapport de notre honorable et si
regrettable collègue M. Peeters, sur le budget des travaux publics de 1842, le
passage suivant :
« La section centrale émet le vœu que le gouvernement avise aux moyens
d'établir un contrôle indépendant et vigilant, tant pour la construction que
pour l'exploitation ; ce contrôle, indispensable, ne peut jamais être trop
sévère dans une entreprise aussi vaste. »
L'honorable M. David donna l'appui de sa parole à cette observation dès
le début de la discussion du budget.
(page 1535) Et, dans la
séance du 23 février 1842, l'honorable M. de Theux s'exprima ainsi :
« Ne serait-il pas utile d'établir une commission permanente, qui
surveillerait les conséquences des tarifs..... ?
« Cette commission pourrait ainsi porter ses investigations sur les
économies à introduire dans l'exploitation. Il me semble qu'une commission
permanente aurait l'avantage d'amener un système suivi dans cette partie de
l'administration... Car il est certain qu'avec l'instabilité qui existe dans
l'administration supérieure par suite des changements de cabinet, il est très
difficile à un ministre de suivre les affaires des chemins de fer dans leurs
détails, d'y donner le même soin que pourrait y donner une commission composée
d'hommes spéciaux. »
L'honorable M. Osy s'empressa d'appuyer cette observation, et, dans la
séance du 25 février, l'honorable M. de Theux revint sur l'opinion qu'il avait
émise le 23, et insista en ces termes :
« Nous sommes en droit d'insister fortement sur les réductions dans les
dépenses, et des améliorations dans les recettes.
« Pour moi, je désire vivement que M. le ministre des travaux publics prenne
en sérieuse considération les propositions faites par la commission que le Roi
a instituée sur sa proposition. Il est évident pour moi, qu'il y a de grandes
économies à faire, aux termes du rapport de cette commission.
« Je pense, en outre, qu'il y a également de grandes économies à faire
dans une partie de l'administration sur laquelle la commission n'a pas été
appelée à porter ses investigations.
« J'entends parler des dépenses relatives au personnel de toutes
les entreprises. Ces dépenses sont énormes, et je désire bien vivement que M.
le ministre institue une commission pour examiner les réductions dont ces
dépenses seraient susceptibles. »
Lors de la discussion du budget des travaux publics de l'exercice
suivant celui de 1843, l'honorable M. de Theux renouvela la motion qu'il avait
faite l’année précédente.
« Je reproduirai, disait-il dans la séance du 18 janvier 1843, une
observation que j'ai faite lors de la discussion du budget de l'année dernière
; c'est qu'il me paraît qu'il serait d'une haute importance que M. le ministre
instituât une commission d'enquête relativement à l'exploitation des chemins de
fer. »
Je dis ce qui suit pour soutenir l'honorable préopinant.
« On n'a pas permis en France, au corps des ponts et chaussées, de
prendre un caractère administratif, qui ne lui appartient pas. Le ministre
administre avec l'appui d'un comité d'hommes spéciaux.
« Il faudrait au ministre une fermeté, une intelligence, une prévoyance
surhumaine, pour surmonter les abus si graves que l'intérêt multiplie autour de
lui. »
L'honorable M. Pirmez soutint aussi le système d'un comité.
« Nous aurons beau, dit-il, demander des économies, aussi longtemps que
nous n'aurons pas trouvé une institution quelconque pour arrêter les dépenses,
les efforts que nous ferons dans ce but, seront tout aussi inutiles que ceux
que nous tenterions pour arrêter le cours d'un fleuve.
« L'honorable M.de Theux a proposé la nomination d'une commission ; ce
serait peut-être là le moyen d'obtenir le résultat désiré, mais j'aurais voulu
que l'honorable membre eût développé son idée d'une manière plus complète. »
L'honorable M. Desmet ajouta : « Pour finir avec toutes ces discussions
il faut obtempérer à la proposition de M. de Theux, créer non une commission
d'enquête, mais une commission de direction, une commission permanente ; si
depuis longtemps on avait institué cette commission, on y aurait beaucoup
gagné. »
L'honorable M. Desmaisières, alors ministre, ne repoussa pas la
proposition ; il parut même l'accueillir.
« L'honorable M. de Theux a émis une idée, disait-il, que pour ma part,
je crois fort juste ; c'est celle de la formation permanente d'une commission
d'enquête sur les opérations de l'administration des chemins de fer en
exploitation, et sur les améliorations à y introduire ; c'est là une idée qui
mérite un examen sérieux, et pour ma part je suis loin de la repousser. »
Quant à moi, j'insistai, afin de pousser l'honorable M. Desmaisières à
se prononcer encore plus clairement et à prendre un engagement.
Dans la séance du lendemain, l'honorable membre alors ministre, après
avoir cherché d'éviter une réponse à mon interpellation, fit la déclaration
suivante :
« Quant à la commission d'enquête, c'est une question beaucoup plus
grave, sur laquelle je dois garder une certaine réserve. Mais, comme je l'ai
dit hier, on doit bien croire que je ne suis pas éloigné de cette mesure.
Cette réponse, plus évasive que la première, fait comprendre que le
ministre avait eu le temps de se concerter avec son entourage. Comme elle
n'était rien moins que satisfaisante, j'insistai davantage ; la chambre
paraissait favorablement impressionnée. Je parlais de ce banc. L'honorable M.
Nothomb, assis à côté de M. Desmaisières, s'empressa de venir à son secours ;
il me dit : « N'insistez pas, c'est inutile, la commission sera instituée ;
c'est chose convenue ; il est inutile que vous insistiez davantage. »
J'avais alors moins d'expérience et d'aplomb qu'aujourd'hui. J'eus la
bonhomie de me rasseoir, sans avoir provoqué une déclaration faite de manière à
ce qu'elle fût insérée au Moniteur. Je me contentai d'une déclaration faite
assez haut seulement pour que je l'entendisse.
Vous voyez ce qui en est avenu.
L'honorable M. Devaux prit aussi part à cette discussion, comme il avait
l'habitude de le faire pour toutes celles qui offraient quelque importance. La
pensée qui le préoccupait était la crainte que la commission n'eût un caractère
politique. Il insista pour qu'elle n'eût pas ce caractère.
Je suis tout à fait de son avis. Je ne désire pas qu'une commission pareille
ait un caractère politique ; car la politique neutralise en général toutes les
mesures qui sont de nature à perfectionner l'administration.
Voici ce que dit cet honorable membre :
« Je désirerais que les membres de cette commission ne fussent pas tous
pris dans le corps des ponts et chaussées ; je ne veux rien dire de
désobligeant pour ce corps, mais je suis dispose à le croire peu propre au
contrôle des dépenses du chemin de fer. messieurs, les ingénieurs se trouvent
tous nécessairement dans la même position ; chacun à son tour est appelé à être
contrôlé dans ses calculs ; ils sont donc peu prêts à se contrôler
mutuellement. »
Je partage entièrement cette opinion.
Les ingénieurs forment un corps ; une grande union existe entre eux ; ils
cherchent à ne pas se nuire les uns aux autres. Mais cet accord ne fait pas
notre affaire. C'est pour ce motif que j'insiste pour qu'il y ait un contrôle
autre que celui des ingénieurs.
Le ministre des travaux publics était alors l'honorable M. Dechamps ;
car malheureusement les ministres des travaux publics ne restent pas longtemps
à leur poste. Quand ils commencent à avoir acquis quelque expérience et les
lumières nécessaires pour diriger utilement leur département, une
administration fort compliquée, un événement politique imprévu les renverse, et
ils ont un successeur dont les premiers mois d'administration ne peuvent être
employés qu'à observer et à s'instruire, et tout cela aux dépens de nos
intérêts. Voici comment s'expliqua cet honorable ministre dans le courant de la
discussion :
« Je conviens, disait-il, des avantages d'une administration permanente.
Les fluctuations ministérielles sont un inconvénient pour une administration de
cette importance.
« Il y aurait avantage à avoir un espèce de conseil d'Etat des chemins
de fer, qui conserverait les traditions d'administration, qui les ferait
prévaloir. Mais il faut le dire, cette combinaison annulerait complétement
l'action ministérielle.
« Ce serait une source de conflits ; la responsabilité ministérielle
serait amoindrie. »
L'honorable M. de Theux revint encore, malgré cette déclaration, sur sa
proposition, mais il se borna alors à réclamer la nomination d'une commission
sans caractère permanent.
Quant à moi, après une critique du système suivi pour les dépenses de
construction et d'entretien des chemins de fer, j'exprimai l'opinion suivante :
« On se demandera : Pourquoi ce système onéreux sous le rapport
financier, absurde au point de vue administratif, s'est-il perpétué
jusqu'aujourd'hui ? Eh bien, je répondrai : C'est que les gens de l'art, gâtés
par notre tolérance, par notre confiance, se sont habitués à disposer de nos
ressources, et de les appliquer sans règles à l'exécution de leurs conceptions
; ils se sont habitués à administrer, ce qui est peu leur affaire, sans avoir
même à respecter les formes administratives, etc. »
« C'est pour balancer cette influence en fait de dépenses, surtout, que
j'ai demandé, l'année dernière, la création d'un comité permanent.
« M. le ministre nous a dit que cette combinaison annulerait peut-être
la responsabilité ministérielle ; je ne puis être de son avis ; car un comité,
qui ne délibérerait que sur les questions qui lui seraient soumises, qui
n'aurait aucune action directe sur l'administration, ne pourrait avoir cette
portée ; un comité semblable serait un appui contre les exigences des
ingénieurs, et ne nuirait en rien à la liberté d'action du ministre. »
Ce fut un an après, messieurs, que parut l'arrêté du 1er mars 1845. Ce
sont donc ces discussions qui ont fait éclore cet arrêté. Voici, messieurs, ce
que cet arrêté établissait.
Il donnait au chef du département un contrôle suffisant concernant la
comptabilité des recettes. Car, le croirait-on ? dans ce moment le ministre n'a
pas un contrôle suffisant sur cette comptabilité. Tous les renseignements qu'il
nous donne et qui font l'objet du rapport annuel sont l'œuvre de la direction ;
aucune pièce justificative ne les accompagne pour garantir leur exactitude.
Cet arrêté donnait encore au ministre un contrôle sur la composition des
transports, service si important.
Il lui donnait une action sur l'organisation des convois, sur
l'application des tarifs. Car, messieurs, comme la commission des finances vous
le dit dans son rapport sur l'exercice 1839, ce n'est ni le ministre ni la cour
des comptes qui exercent un contrôle sur l'application des tarifs. L'arrêté de
1845 permettrait donc au ministre de dresser des statistiques, travail
indispensable pour juger le service des chemins de fer ; car c'est par les
renseignements qui en sont la base, par les feuilles de route entre autres,
qu'on peut juger du bon emploi du matériel, qu'on peut vérifier si l'on en fait
un usage convenable.
Quant à la composition de la commission permanente que M. le ministre
des travaux publics organisait par son arrêté, je vous avoue que je la trouve
très défectueuse, et je ne regrette nullement qu'elle n'ait pas fonctionné. A
part un honorable général dont les connaissances étendues, le talent
remarquable d'organisation et la grande expérience puisée à l'école du grand
homme...
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il ne s'agissait pas alors de
chemins de fer.
(page 1536) M. de Man d’Attenrode. - Il ne s'agissait pas des chemins
de fer ; mais il s'agissait alors d'organisations bien plus importantes que
celle des chemins de fer. Il s'agissait, après la déroute de Russie,
d'organiser, d'improviser plutôt l'immense matériel qui permit à Napoléon de
continuer la lutte pendant les campagnes d'Allemagne et de France.
Quant aux autres membres de la commission instituée par l'arrêté du 1er
mars, je ne comprends guère quelles lumières nouvelles ils pouvaient apporter à
M. le ministre des travaux publics. Car ces membres étaient des fonctionnaires
du département des travaux publics et des ingénieurs, dont les services étaient
déjà à ses ordres.
Il est donc évident, messieurs, que la législature a insisté pendant
trois ans pour l’établissement d'éléments propres à nous éclairer sur ce qui se
passe dans l'administration du chemin de fer. J'ai établi que le gouvernement a
lui-même reconnu, par l'arrêté du 1er mars 1845, qu'il y avait quelque chose à
faire. La commission qui avait été instituée ne me donnant pas les apaisements
suffisants, et le gouvernement ne paraissant d'ailleurs pas avoir l'intention
d'exécuter cet arrêté, j'ai cru devoir vous faire la proposition dont je vous
ai donné lecture samedi dernier.
D'ailleurs, messieurs, un grand pays nous a donné l'exemple d'une
institution de ce genre. Dès 1842, le gouvernement français prit deux arrêtés
instituant deux commissions administratives, afin de l'éclairer sur les tracés
et d'émettre des avis sur les questions administratives que soulevait la
construction des routes de fer ; et ce que je trouve de remarquable, c'est le
soin que met le gouvernement français à maintenir les divers rouages qui
concourent à le faire marcher dans les limites que leurs attributions leur
assignent ; c'est le soin qu'il met à empêcher que les questions qui sont du
domaine de l'administration proprement dite, de cette administration qui est
chargée de gérer la chose publique par une délégation du pouvoir exécutif, ne
soient envahies par des corps, dont la mission n'est que de procéder par voie
d'avis et d'expertise, et telle est la mission du corps des ponts et chaussées.
C'est ainsi, messieurs, je le répète, que lorsqu'il fut décidé qu'un
vaste système de railways serait exécuté, le gouvernement s'empressa de créer
deux commissions par ordonnance royale du 22 juin 1842. La première de ces
commissions était intitulée la commission des tracés. Elle fut composée de
personnes très marquantes, de plusieurs pairs de France, de députés, de
conseillers d'Etat, de généraux, et de deux inspecteurs des ponts et chaussées.
Vous voyez que les ponts et chaussées n'y étaient qu'en minorité.
Ici, pour ce qui est des tracés, sur quoi le gouvernement se fonde-t-il
pour déterminer son choix ? Quels sont les éléments destinés à nous éclairer ?
Nous nous fondons uniquement sur des statistiques dressées par des ingénieurs.
En France, les ingénieurs font des rapports à cet égard. Mais une commission
composée d'administrateurs éminents éclaire leur travail.
La seconde commission s'intitulait commission administrative. Le
gouvernement la consultait sur toutes les questions qui étaient du ressort de
l'administration. Voici l'article premier :
« Il sera formé auprès du ministre des travaux publics une commission
administrative pour la révision et le contrôle des documents statistiques
propres à établir l'utilité et l'importance relative des différentes directions
des grandes lignes de chemins de fer classées par la loi du 11 juin 1842.
« Art. 2. Cette commission sera, en outre, consultée sur les questions
concernant les acquisitions de terrains et bâtiments, etc., et en général sur
les questions réglementaires relatives à l'établissement et à l'exploitation du
chemin de fer, et qui n'appartiennent pas, soit au conseil des ponts et
chaussées, soit à la section des chemins de fer. »
Voici les questions dont cette commission a eu à s'occuper. Je dois
cette note à l'honorable intervention d'un membre de cette commission, mon ami
le baron de Condé, commissaire royal du chemin de fer du Nord :
« La commission, en 1842 et 1843, s'est réunie deux et trois fois par
semaine, sous la présidence du ministre.
« Elle s'est occupée de régler les questions prévues par l'ordonnance. -
Statistique, etc.
« Elle a été consultée sur l'interprétation de divers articles de la loi
de 1842.
« Sur la confection de divers projets de lois à porter aux
chambres, notamment sur les baux d'exploitation des grandes lignes par les
compagnies.
« Sur les attributions des préfets concernant l'application de la loi de
4842.
« Sur la marche à suivre pour les expropriations et les
acquisitions de terrains, le taux des indemnités suivant les diverses
circonstances, les moyens de contrôle des évaluations faites par les agents des
ponts et chaussées.
« Sur l'organisation du service sur les grandes lignes de chemins de
fer, classement de voitures, ouvertes ou non couvertes, tarifs des voyageurs et
des marchandises, etc. »
Les difficultés qui résultent des achats de terrains, des emprises,
soulèvent des questions de la plus haute gravité et extrêmement délicates ; eh
bien, ici, le gouvernement les a laissé vider par un ingénieur, par un expert
offrant peu de garanties, et par un notaire qui était presque toujours l'homme
du propriétaire.
Enfin toutes les questions administratives ont été abandonnées en
Belgique soi-disant au ministre, mais en réalité aux ingénieurs qui sont les
hommes de l'art et du métier.
Voyons maintenant ce qui s'est passé en France, quand il s'est agi
d'exploitation, et notez, messieurs, que le gouvernement français a un intérêt
bien moins direct que le nôtre dans l'exploitation des chemins de fer. Le
gouvernement français n'exploite pas, il n'a qu'à surveiller, puisque toutes
les lignes sont concédées aux compagnies ; ici nous exploitons nous-mêmes. Eh
bien, malgré cela qu'a fait le gouvernement ? Une nouvelle ordonnance est
venue, en quelque sorte, donner sa sanction à ma proposition. C'est
l'ordonnance du 6 avril que le Moniteur nous a fait connaître précisément le
lendemain du jour où j'ai déposé ma proposition.
Voici, messieurs, le rapport au roi, qui précède cette ordonnance ; il
est réellement des plus remarquables, et il répond aux objections que
quelques-uns de mes honorables collègues ont bien voulu me communiquer. En
voici des extraits :
« Rapport au roi.
« Sire,
« Lorsque la loi du 11 juin 1842 vint donner une vive impulsion aux
entreprises de chemin de fer, mon prédécesseur comprit la nécessité de
s'entourer de conseils spéciaux pour l'assister dans la tâche immense qui lui
était imposée. Il proposa à Votre Majesté, et Votre Majesté autorisa, par deux
ordonnances du 22 juin 1842, la création de deux commissions nouvelles, l'une
dite commission supérieure des tracés, etc., l'autre désignée de commission
administrative, etc.
« Ces deux conseils, Sire, ont rempli la mission qui leur était
donnée avec un zèle et un dévouement dont j'ai été personnellement plus d'une
fois le témoin, et je suis heureux de pouvoir consigner ici l'expression de la
reconnaissance due aux services qu'ils ont rendus à l'administration et au
pays, etc.
« Il m'a donc paru, Sire, que le moment était venu de refondre les
deux commissions qui existent actuellement, et de leur donner les
développements nouveaux que commande le nouvel état de choses.
« Je viens en conséquence proposer à Votre Majesté de créer une
commission générale des chemins de fer et de comprendre, etc.
« Lorsqu'il s'agira de questions graves, qui pourraient engager à un
haut degré la responsabilité de l'administration, et sur lesquelles dès lors
cette dernière ne saurait s'entourer de trop de lumières, le ministre aura la
faculté de convoquer toutes les sections en assemblée générale.
« J'ai la confiance, Sire, que cette institution nouvelle portera
des fruits heureux : l'administration trouvera des lumières profondes dans l'assistance
des personnes que je désigne au choix de Votre Majesté ; elle puisera surtout
dans leurs conseils une force, une autorité, qui rendront sa tâche plus facile,
et son action plus efficace. »
Ce conseil, messieurs, est composé d'au-delà de 40 membres, tous hommes
marquants par leur position administrative, militaire, scientifique. Le corps
des ponts et chaussées y est représenté ; mais il n'intervient que pour un
quart environ.
Or, messieurs, je le dis encore, le gouvernement français prend toutes ces
mesures, bien qu'il n'exerce qu'un rôle de surveillance, car ce sont les
compagnies qui exploitent ; mais comment en agissent les compagnies ?
Pensez-vous que les actionnaires du chemin de fer de Paris à Bruxelles en aient
abandonné l'administration à des ingénieurs ? Pas le moins du monde ; un
conseil d'administration, composé de 7 personnes, qui ont le plus d'intérêt
dans l'entreprise, administre, et les ingénieurs attendent les ordres que ce
conseil d'administration croit devoir leur donner.
En Belgique, messieurs, comment les choses se passent-elles ? Les
ingénieurs font la recette...
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). - En aucune
façon.
M. de Man d’Attenrode. - Les ingénieurs exploitent et
administrent ; ils dressent les cahiers des charges, ils approuvent les
adjudications...
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Pas du
tout.
M. de Man d’Attenrode. - C'est sur leur rapport que vous
approuvez.... (Interruption.) Ils
font les réceptions.... (Interruption.)
Le ministre approuve ce que les ingénieurs soumettent à sa sanction.
M. le ministre
des travaux publics (M. de Bavay). - Lorsque
je crois qu'il y a lieu d'approuver.
M. de Man d’Attenrode. - Les ingénieurs commandent les
fournitures ; ils reçoivent les fournitures ; ils se contrôlent entre eux ; ils
dirigent même la police ; car, je le répète, le ministre n'agit que par leur
bras et ne voit que par leurs yeux.
Et comment voulez-vous qu'il en soit autrement ? Le ministre peut-il
voir agir par lui-même ? Il faut bien qu'il voie, qu'il agisse par
l'intermédiaire de son personnel.
Je vous ai dit tout à l'heure, messieurs, comment les compagnies
administrent leurs chemins de fer. Eh bien, nous qui représentons ici le pays,
le grand actionnaire des chemins de fer belges, l'actionnaire unique, qui a payé
chèrement ce beau domaine, n'exigerons-nous pas au nom des actionnaires, au nom
des contribuables, les garanties qu'exigent les compagnies ? Il me semble,
messieurs, impossible que vous n'exigiez cette garantie.
(page 1537) Comme je l'ai
dit, il est impossible à un ministre seul et qui presque toujours ne le devient
que par un accident politique, il lui est impossible de remplir cette tâche
immense, comme le dit le rapport que je viens de lire, sans s'entourer de
conseils spéciaux. C'est ce que le ministre des travaux publics français a
reconnu sans craindre que ces conseils ne le missent en tutelle ; il a reculé
devant la responsabilité de cette tâche, et il a voulu s'entourer de lumières
suffisantes.
Je sais fort bien, messieurs, que le ministre doit s'éclairer aussi par
les conseils et les travaux des ingénieurs, mais il doit consulter encore un
autre élément de contrôle, et cet élément doit être un élément purement
administratif. Car, ainsi que l'a fort bien dit l'honorable M. Devaux, il y a
quelques années, les ingénieurs ne peuvent pas se contrôler les uns les autres.
Si nous laissons les choses telles qu'elles sont, nos dépenses iront, je
le crains, encore en augmentant ; nous aurons du mal à voir la fin de nos
emprunts, et je ne sais pas où cela nous mènera. Voici sur quoi je fonde cette
opinion. Je la base sur ce que les ingénieurs sont hors d'état de gérer avec
économie, et pourquoi cela ? parce que leur état se base sur la dépense. Ils ne
peuvent jamais faire trop de dépenses d'après leur intérêt. Voyez tous les
architectes, ils vous conseilleront toujours de faire des dépenses, et de faire
beaucoup de dépenses. Leur amour-propre, ! leur honneur l'exige ; je trouve
cela très naturel, très simple.
Je dis donc, messieurs, et tout le monde reconnaîtra que
l'administration du chemin de fer est une entreprise commerciale, que faire
administrer une entreprise par des ingénieurs, c'est une chose absurde.
Ingénieurs et intérêt commercial sont des mots qui s'excluent. On peut, avec le
concours des ingénieurs ou des architectes, construire de très beaux monuments,
des travaux très utiles, des choses qui font beaucoup d'honneur au pays ; mais
de bonnes affaires commerciales, ce ne serait réellement pas agir sérieusement
que de vouloir en faire avec le concours des ingénieurs.
Votre devoir est donc, messieurs, de forcer le gouvernement à
administrer, c'est-à-dire à gérer la chose publique en bon père de famille, à
la gérer avec économie.
On vous dira, messieurs, et je l'ai déjà entendu dire : C'est mettre le
ministre des travaux publics en tutelle ; c'est là le mot dont on se sert :
c'est mettre le ministre des travaux publics en tutelle..
Je ne vois pas comment M. le ministre des travaux publics serait mis en
tutelle par l'adoption de ma proposition. Du moment où l'on ne touche pas à sa
liberté d'action, celle critique ne peut se soutenir sérieusement. Je pense
d'ailleurs avoir été assez gouvernemental. La commission serait nommée par le
Roi, sur la proposition du ministre qui la convoquerait et la présiderait en
personne ou par un délégué. Est-ce que M. le ministre des travaux publics de
Fiance s'imagine par hasard qu'il est mis en tutelle par la commission dont
l'ordonnance du 6 avril veut la formation ? Il voit, au contraire, dans
l'institution de cette commission, une garantie de bonne administration, des
lumières nécessaires à sa responsabilité, une force et une action qui rendront
sa tâche plus facile et son action plus efficace. i
Je désire maintenant effleurer la question politique.
Je suis persuadé que quelques honorables collègues m'adressent
intérieurement l'interpellation suivante :
« Votre conduite est étrange, vous venez embarrasser une administration
amie, un cabinet dont vous êtes l'un des soutiens ; votre proposition est une
critique amère de cette administration ; il faut donc qu'elle laisse bien à
désirer, qu'elle soit très insuffisante, qu'un membre ami de ce côté prenne la
responsabilité d'une semblable proposition. »
Je dirai que mes critiques ne s'adressent pas particulièrement à
l'administration qui siège actuellement sur le banc ministériel ; elles
s'adressent à toutes les administrations passées, elles s'adressent à toutes
les administrations futures qui ne voudront pas me donner les garanties que je
réclame. Et ce qui prouve que je n'obéis pas à une vaine opposition politique,
c'est mon désir bien arrêté d'arriver à un pareil résultat, et j'espère y
parvenir, grâce à ma persévérance ; eh bien, faudra-t-il par hasard que
j'attende que les honorables membres qui siègent sur les bancs opposés, soient
arrivés au pouvoir dans un temps très rapproché, il est vrai, car on nous
prédit sans cesse cette arrivée prochaine ; faudra-t-il que j'attende jusque-là
pour faire ma proposition ? Mais quelle chance aurais-je de la faire passer ?
Alors on me dirait avec raison : « C'est un acte d'opposition politique ; vous
voulez embarrasser le cabinet. » Et je n'obtiendrais rien ; car alors nous
serions réduits à l'état de minorité. Comme je désir - réussir, j'ai cru devoir
faire ma proposition quand mes amis politiques étaient au pouvoir. D'ailleurs.,
tous les hommes consciencieux devront reconnaître, j'aime à l'espérer, que je
n'ai, dans cette circonstance, d'autre mobile que mon dévouement au pays.
Ainsi, le cabinet peut accepter une pareille proposition d'une main
amie, et il peut l'accepter sans méfiance.
Je pourrais renforcer ce que je viens
de dire, je pourrais appuyer ma proposition, en citant des faits. Car les faits
ne me manquent pas : je le dis avec peine. Mais je désire pouvoir vous éviter,
messieurs, des communications pénibles.
J'espère donc que le gouvernement me dispensera d'en venir là, en se
ralliant, au moins en principe, à ma proposition ; car de semblables
révélations ont toujours un retentissement fâcheux. Nos débats ne sont pas
circonscrits dans nos frontières, ils vont au-delà ; eh bien, de pareils débats
auraient quelque chose d'humiliant pour le pays ; et, pour me servir d'un adage
vulgaire que la chambre voudra bien me pardonner, je tiens à ne pas laver notre
linge sale en public.
(page 1519) M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je ne suivrai pas
l'honorable préopinant dans les observations qu'il vient de présenter. M. le
ministre des travaux publics jugera sans doute convenable de répondre, en ce qui
concerne son administration, et à ce qui regarde la proposition que
l'honorable. M. de Man a déposée sur le bureau. Je répondrai seulement quelques
mots à l'honorable membre. Il a dit que l'arrêté du 1er mars, porté par
l'honorable M. Dechamps pour la formation d'une commission près du département
des travaux publics, n'avait pas été mis à exécution.
C'est là une erreur : la commission dont il s'agit a été réunie
plusieurs fois, pendant que j'étais au département des travaux publics, et je
l'avais spécialement chargée d'examiner le projet de loi qui doit être soumis à
la chambre, sur les péages du chemin de fer pour le transport des marchandises.
Depuis lors, je ne sais si cette commission a continué cette mission, ou si
elle a cessé de se réunir.
A propos de ce projet de loi, je demanderai à M. le ministre des travaux
publics s'il n'est pas en mesure de le présenter avant la fin de la session. Je
sais bien qu'il serait difficile de voter, avant notre séparation, cette loi
dont l'examen doit être nécessairement fort long ; mais il y aurait cet
avantage, c'est que, dans l'intervalle des deux sessions, chacun de nous
pourrait se livrer à l'étude des dispositions du projet ; et certes pour une
question aussi difficile, il n'y aurait pas de mal qu'un examen préalable et
même assez long pût être fait par la chambre, avant qu'elle abordât la
discussion dans celle enceinte.
Messieurs, l'honorable M. de Man nous a entretenus de la dépense encore
nécessaire à l'achèvement du chemin de fer ; il a dit que les uns évaluaient
cette dépense à douze millions, d'autres à quinze, d'autres à vingt. Je pense
qu'il n'est pas inutile de jeter un coup d'œil sur le chiffre probable de ces
dépenses. Cela me donnera en même temps l'occasion d'examiner plusieurs
dépenses ordinaires pour l'exploitation, car les dépenses pour la construction
et celles pour l'exploitation se lient intimement.
En effet, si vous tardez à mettre en bon état et les stations, et le
matériel, et la route elle-même, vous serez obligés chaque année de voter des
crédits d'autant plus considérables pour les dépenses ordinaires, pour le
renouvellement des rails, des billes et du matériel.
D'un autre côté, la circulation augmente extrêmement sur le chemin de
fer ; et le mouvement des marchandises prend partout un accroissement énorme ;
eh bien, il faut que le chemin de fer soit à même de répondre à tous les
besoins. C'est là un très grand intérêt, tant pour le trésor que pour le
commerce et l'industrie.
Je ne pense pas non plus qu'on gagne quelque chose à fermer, pour ainsi
dire, les yeux aux dépenses qu'il est nécessaire de faire ; je crois, au
contraire, qu'il est plus utile de les prévoir ; la prévoyance est une bonne
qualité, en matière de finances ; car lorsqu'on a prévu les dépenses il devient
beaucoup plus facile d'y faire face ; si on ne les prévoyait pas, le moment
arriverait où elles deviendraient impérieuses. Cela pourrait entraîner les
embarras les plus graves.
Du reste, messieurs, si les dépenses que nous avons encore à faire sont
assez considérables, d'un autre côté ce qu'il y a de rassurant pour l'avenir,
c'est l'accroissement énorme des recettes. Vous avez dû voir, dans le budget
des voies et moyens présenté pour 1848, que les recettes du chemin de fer sont
évaluées pour 1847 à 15,600,000 fr. et que les prévisions pour 1848 s'élèvent à
16,500,000 fr. Certes, c'est là un résultat des plus satisfaisants.
Messieurs, je commencerai par m'occuper des doubles voies. Notre chemin
de fer a 559 kilomètres de développement, dont 362 à double voie et 197 à une seule
voie. Les sections qui n'ont qu'une seule voie sont celles de Gand à
Plasschendaele, 60 kilomètres, de Gand à Courtray, 44 kilomètres, de Mouscron à
Tournay, 19 kilomètres, de Landen à St-Trond, 10 kilomètres, de Godarville à
Gosselies, 21 kilomètres, de Charleroy à Namur, 37 kilomètres et divers
raccordements, 6 kilomètres.
Je crois, messieurs, que nous finirons par établir la double voie sur
toute l'étendue de notre chemin de fer ; je crois que la circulation y sera
assez active pour que cela devienne une nécessité. Mais maintenant je pense
qu'on peut encore se passer de double voie sur plusieurs sections. Il en est
une cependant sur laquelle il y a nécessité de l'établir promptement, c'est
celle de Godarville à Gosselies ; c'est véritablement une des lignes les plus
importantes de notre exploitation. De Bruxelles à Charleroy la circulation est
extrêmement active ; il est donc de l'intérêt le mieux entendu de faire
disparaître cette lacune, et qu'on établisse le plus promptement possible la
double voie sur cette ligne, si pas jusqu'à Namur, du moins jusqu'à Châtelineau
; l'étendue à exécuter serait de 32 kilomètres, qui, à raison de 44 mille fr.
par kilomètre, feraient une dépense de 1,400,000 fr.
Il est une partie de cette ligne qui est aussi à simple voie ; c'est le
tunnel de Braine-le-Comte. Fera-t-on un deuxième tunnel ou substituera-t-on une
tranchée à double voie au tunnel actuel ? C'est là une question importante à
résoudre par le département des travaux publics. Je n'ai aucun motif de
supposer que ce tunnel n'aurais pas toute la solidité désirable. La commission
instituée pour l'examiner périodiquement a fait plusieurs rapports
satisfaisants que je crois avoir communiqués à la chambre ; mais il règne
certaines inquiétudes dans le public, depuis l'éboulement de Cumptich.
Ces inquiétudes se sont même manifestées dans cette enceinte et au
sénat. Or, il est important, pour l'industrie des transports comme pour toute
autre, de satisfaire le public. Si par hasard il arrivait quelque léger
accident. Si des bruits fâcheux se répandaient, les inquiétudes grandiraient
immanquablement au point de nuire véritablement à la circulation. Je ne veux
pas me prononcer sur cette question, mais je suis porté à croire qu'on arrivera
à l'établissement d'une tranchée et qu'on supprimera le tunnel. Si on fait
cette tranchée à double voie, il en résultera une dépense au moins d'un million
de francs.
Il est, messieurs, une partie de notre railway qui est loin d'être
terminée ; ce sont les stations et les abris pour le matériel. Par la loi du 13
avril 1845, vous avez voté un crédit de 2,898,960 fr. pour la construction des
stations. Mais vous venez d'en distraire un million pour le matériel ; et le
surplus est déjà dépensé ou engagé. Or, l'honorable M. de Man, dans un rapport très
clair et très méthodique, qu'il a présenté à la chambre, a calculé que pour
compléter les stations et les abris pour le matériel, il y avait une
insuffisance de 3 millions 300 mille francs.
La section centrale a engagé vivement le gouvernement à activer le plus
promptement possible les stations ; en cela elle s'est rendue l'organe de
l'intérêt public. Le matériel privé d'abri subit une prompte détérioration. Par
le retard apporté à l'achèvement des stations et des abris, vous augmenterez
donc la dépense que vous devrez faire dans l'avenir. D'un autre côté, les
stations qui restent à faire ou à terminer sont très importantes ; ce sont à
Bruxelles les stations du Midi et du Nord, celles d'Anvers, de Gand et de
Charleroy ; je crois donc qu'il y a intérêt à ce qu'on ne tarde pas longtemps à
nous demander les fonds nécessaires pour l'achèvement des stations et des abris
du matériel.
Le matériel lui-même demande aussi à être complété ; c'est la partie la
plus essentielle des chemins de fer ; s'il est insuffisant, vous éloignez les
transports, il y a perte pour le trésor. Or beaucoup de nos voitures ont
vieilli ; elles sont dans un certain état de détérioration, car (page 1520) beaucoup ont déjà servi
sept, huit, neuf ou dix ans. On conçoit que ces voitures ne peuvent plus être
dans un très bon état. Les diligences particulièrement donnent lieu à des
plaintes, à cause d'un mouvement désagréable qu'éprouvent les voyageurs.
Messieurs, je pense qu'il faut que ce matériel soit mis en bon état, et
surtout qu'il faut compléter celui des marchandises.
Des plaintes nombreuses se sont élevées naguère et elles provenaient
surtout de nos grands centres d'industrie ou de commerce, contre l'insuffisance
du matériel ; il en est évidemment résulté perte pour le trésor et perte pour
l'industrie et le commerce.
Le meilleur moyen de faire produire le chemin de fer, est donc
d'augmenter la circulation, d'amener un mouvement tel que la circulation des
convois chargés se succède le plus possible. Si nous pouvions, comme sur
plusieurs railways de l'Angleterre, avoir des départs tous les quarts d'heure
de convois chargés, le chemin de fer donnerait des produits immenses.
Déjà sur la ligne de Bruxelles à Malines nous avons, si.je ne me trompe,
14 convois par jour, 14 départs et 14 arrivées. Aussi cette section. est très
productive. Sur les autres sections, le mouvement n'est malheureusement pas
aussi actif. Sur la ligne de Charleroy et de Namur, par exemple, il n’y a que
quatre convois par jour. On peut se demander si ce sont les marchandises qui
manquent au chemin de fer ou si c'est le matériel qui manque aux marchandises.
II ne m'est pas démontré qu'on ne pourrait pas avoir un plus grand nombre de
transports. Si l'on considère l'accroissement que prend le mouvement des
marchandises, qui depuis quelques années s'est élevé de 333 mille tonnes à 800
mille, on peut se demander si, en augmentant le nombre des convois, on ne
pourrait pas obtenir encore des résultats plus utiles pour le trésor et pour
l'industrie. Dans tous les cas, le meilleur moyen de rendre le chemin de fer
utile et productif, c'est d'avoir toujours un matériel suffisant.
C'est ainsi qu'on obtiendrait dans le service cette promptitude, cette
sûreté et cette régularité qu'il est si désirable d'obtenir. J'ai donc applaudi
à l'idée de M .le ministre des travaux publics, lorsqu'il a présenté un projet
de loi dont le but était de consacrer un million au matériel.
Je l'engage à ne jamais rester en arrière sous ce rapport, à veiller à
ce que la pénurie de matériel dont on a souffert dans le courant de cet hiver
ne se renouvelle plus. Je ne saurais lui recommander trop de prévoyance à cet
égard, puisqu'il résulte de l'insuffisance du matériel deux inconvénients :
diminution de recettes et risque d'éloigner les transports ; car, comme l'a dit
dernièrement l'honorable M. Osy, il serait à craindre, si le matériel manquait
souvent, que les marchandises ne quittassent le chemin de fer belge pour
prendre la voie de la Hollande.
D'après les renseignements qui m'ont été donnés, lorsque j'étais au département
des travaux publics, et M, le directeur des chemins de fer a souvent appelé mon
attention sur ce point en me démontrant la nécessité d'améliorer la situation
du railway confié à ses soins, il faudrait, pour compléter le matériel,
dépenser deux millions au moins.
Il ne faut pas oublier non plus que nous allons avoir un accroissement
important de notre exploitation. Le chemin de fer de Saint-Trond à Hasselt sera
très probablement mis en exploitation d'ici à peu de temps. Le chemin de fer de
Jurbise à Tournay sera mis également en exploitation, soit dans le courant de
cette année, soit au commencement de l'année prochaine.
Vous savez qu'aux termes de la convention avec la compagnie
concessionnaire, l'Etat s'est réservé l'exploitation de ces deux chemins de fer
; ils ont ensemble un développement de 62 kilomètres, équivalent au neuvième
des lignes actuellement exploitées. Il faudra donc, de ce chef, une
augmentation du matériel déjà insuffisant.
D'après les calculs des ingénieurs qui ont fait le projet, le matériel
nécessaire pour l'exploitation de ces 62 kilomètres doit coûter environ un
million de francs. C'est encore une dépense qu'il ne faut point oublier.
Je passe maintenant à l'examen de ce qui concerne la route proprement
dite.
Vous aurez remarqué qu'on vous demande, par suite des dernières
propositions faites à la section centrale :
Pour renouvellement des fers :
300,000 fr.
Pour renouvellement des billes : 524,000 fr.
Total : 824,000 fr.
La somme de 300,000 fr. est-elle suffisante pour le renouvellement
normal des fers de la voie ? Je crois qu'on peut tout au moins en douter ; car
la dépense totale pour les rails et coussinets de notre chemin de fer s'élève à
environ 24 millions.
Quelle sera la dépense annuelle nécessaire pour le renouvellement et
l'entretien ? Il est fort difficile de la préciser ; car l'expérience n'a pas
encore prononcé sur la durée moyenne des rails et des coussinets ; cela dépend
d'ailleurs de différentes circonstances : de la qualité des fers, de l'état de
la voie, etc. Mais la plupart des ingénieurs n'évaluent pas à plus de 20 ans la
durée d'un rail. Il faudrait donc annuellement bien plus de 300,000 fr., pour
l’entretien de cette partie de notre chemin de fer.
Mais ce n'est pas seulement du renouvellement ordinaire que j'ai à
entretenir la chambre. C'est aussi du renouvellement qu'il serait urgent de
faire pour mettre la voie ferrée dans un bon état d'exploitation.
Vous le savez, dans tes commencements de la construction du chemin de
fer, le pays était pressé (ce qui était tout naturel) de jouir de cette grande
voie de communication. On ne pouvait assez en hâter la construction. Des
réclamations surgissaient jusque dans cette enceinte. De là est résulté qu'on a
employé beaucoup de rails très faibles ; on a même employé (ce que je considère
comme une grande faute), pour la voie définitive, des rails qui avaient servi à
la construction de la voie et des billes de diverses essences. Il est résulté
de là une prompte détérioration et la nécessité d'un renouvellement sur une très
large échelle.
Je crois donc qu'il serait très important de faire renouveler le plus
tôt possible une grande partie des rails.
Je suis persuadé que l'adjudication de 2,200 tonneaux, qui vient d'être faite,
ne suffira pas à beaucoup près pour mettre la voie en bon état d'exploitation,
et que, si l'on voulait atteindre ce but, il faudrait faire de ce chef une
dépense d'environ 4 millions.
Je suis persuadé que M. le ministre des travaux publics ne démentira pas
cette évaluation.
Quant aux billes, on demande au budget de cette année un chiffre très
élevé (524,000 fr.). Vous savez, comme je l'ai dit toute l'heure, que nous
avons : double voie, 362 kilomètres ; simple voie 197 kilomètres.
Ce qui équivaut à 184 1/2 lieues à simple voie. Les billes se placent à
une distance de 90 centimètres. Cela fait donc 5,500 billes par lieue et
1,014,700 billes pour tout notre chemin de fer.
Or, on a évalué en moyenne la durée d'une bille en chêne à 10 ou 12 ans.
L'inspecteur général des mines, qui a examiné cette question avec le
talent qui le distingue, estime la durée moyenne à 10 ans ; d'autres l'évaluent
à 12 ans. En admettant ce dernier chiffre, nous trouvons que le renouvellement
du douzième des billes du chemin de fer (le prix de la bille étant, terme
moyen, de 6 fr.) coûterait 507,548 fr., dépense qui devrait être annuelle.
Vous voyez donc que le crédit demandé de 524,000 fr. sera suffisant et
normal pour l'entretien ordinaire du chemin de fer exploité.
Mais il faudrait, dans l'intérêt de l'exploitation, dans l'intérêt du
chemin de fer, du trésor et de la sécurité des voyageurs (qui sans doute n'est
pas menacée dans l'état actuel, mais qui pourrait l'être par la suite), que le
chemin de fer fût mis en bon état, sous ce rapport.
Il faudrait pour cela une dépense d'environ 2 millions. Si on y comprend
quelques autres travaux indispensables, tels que ceux à effectuer à des talus
ou à des rochers trop peu inclinés,, ou pour l'établissement de clôtures,
maisons de gardes, etc., en résumé, cela ferait bien près d'une somme ronde de
15 millions pour mettre notre chemin de fer dans un état complet et
satisfaisant d'exploitation.
Je conçois, messieurs, que ce chiffre doit paraître fort élevé après les
sacrifices que nous avons déjà faits pour notre chemin de fer ; mais lorsque
l'on pense qu'au moyen de quelques efforts financiers encore, la Belgique aura
complété son système de communication, aura un admirable réseau de routes, un
ensemble remarquable de voies navigables, aura mis de nombreuses populations,
des plaines fertiles, d'importantes cités à l'abri des inondations, qu'elle
présentera un magnifique réseau de chemins de fer, qu'elle sera le premier pays
du monde, en un mot, pour les communications ; je crois qu'on doit se féliciter
de ce que nous sommes si près d'atteindre une situation qui ne nous laissera
rien à envier aux autres nations et dont elles sont, à l'exception d'une seule,
si éloignées.
Du reste, vous le savez, messieurs, les dépenses qu'il s'agit de faire
ne sont pas des dépenses improductives. Les dépenses que nous venons de
signaler sont de la nature de celles qu'a indiquées dernièrement M. le ministre
des finances lui-même comme très utiles, comme très productives.
Aussi, messieurs, voyez quelle augmentation nous avons eue dans les
recettes dépendant des services du département des travaux publics. En 1835, le
revenu des services dépendant de ce département n'était que de 5,144,000 fr.,
et en 1847, il s'élèvera à plus de (erratum,
p. 1546) 24,500,000 fr. ; et le chemin de fer lui-même est loin d'être
arrivé au terme de la progression croissante de ses recettes.
Le meilleur moyen de le faire produire, n'est-ce pas d'ailleurs de le
mettre dans une bonne situation ? Quand même il n'y aurait pas cet intérêt, cet
honneur qu'on doit attacher à ce que notre exploitation dirigée par le
gouvernement puisse rivaliser avec avantage avec les autres exploitations
dirigées par les compagnies, je croîs que le meilleur moyen de faire produire
le chemin de fer, c'est de tenir ce grand instrument national dans un état tel
que l'exploitation ne puisse rien laisser à désirer, qu'elle puisse marcher
avec promptitude, régularité, et à la satisfaction générale.
Il n'y a pas lieu de douter, messieurs, que quand les chemins de fer
concédés seront exécutés, lorsque le réseau général de l'Europe sera achevé, le
chemin de fer belge ne produise encore plus qu'à présent et n'atteigne d'ici à
un petit nombre d'années le chiffre d'au moins 20 millions de francs de recettes.
Voyons, messieurs, par quelques chiffres si cette supposition est
exagérée.
Par lieue exploitée.
En 1844, le chemin de fer a produit 11,230,49 fr ; par lieue
exploitée : 100,450 fr.
En 1845, 12,403,204 fr ; par lieue exploitée : 110,940 fr.
En 1846, 13,655,908 fr ; par lieue exploitée : 122,145 fr.
En 1847, d'après les évaluations, 15,600,000 fr ; par lieue
exploitée : 139,430 fr.
En 1848, d’après les évaluations, 16,500,000 fr ; par lieue
exploitée : 147,321 fr.
(page 1521) Cela fait une
augmentation de près de 47,000 fr. par lieue moyenne en 4 ans, ou de 11,750 par
an.
En supposant que d'ici à 6 ans la progression ne soit plus que de moitié
ou de 5,875 fr. par an, on obtiendrait d'ici à 7 années, par lieue moyenne
exploitée, 182,571 fr., et pour 112 lieues une recette brute de 20 1/2 millions
de francs.
Ce ne sont là sans doute que des hypothèses ; mais on doit convenir,
d'après les précédents, qu'elles sont loin d'être exagérées. Je me rappelle
parfaitement qu'il a été un temps où, dans cette enceinte, on ne croyait
aucunement que le chemin de fer rapporterait jamais plus de cent mille francs
par lieue exploitée. En Angleterre, messieurs, le chiffre des recettes des
chemins de fer par lieue exploitée est bien puis élevé qu'ici ; et si nous
examinons ce qui se passe pour plusieurs chemins de fer en France, nous
trouvons des résultats beaucoup plus avantageux encore.
En effet, messieurs, pour le chemin de fer de Paris à Rouen la recette a
été en 1846 de 8,322,453 fr., ce qui fait, pour un parcours de 157 kilomètres
ou 27 lieues 1/2, 302,634 fr. par lieue exploitée.
De Paris à Orléans, la recette a été, en 1846, de 9,256,247 fr. pour un
parcours de 133 kilomètres, ou 26 3/5 lieues.
Ce qui donne 70,430 par kilomètre exploité, ou 352,150 fr. par lieue de 5,000
mètres.
Le chemin de fer du Nord a donné une recette brute, du 1er juillet au 31
décembre 1846, c'est-à-dire pour six mois, de 5,670,000 fr., ce qui équivaut à
11,340,000 fr. pour un an ; et cela dans l'état d'imperfection et de mauvaise
organisation où il se trouvait à cette époque. Le parcours exploité étant de
338 kilomètres. Cela fait 35,550 fr. par kilomètre exploité ou 167,750 par
lieue.
Pour le chemin de fer du Nord, il n'est pas douteux que les recettes ne
s'élève beaucoup encore. Déjà pour les trois premiers mois de l'année, les
recettes ont atteint 5 millions de francs.
Quand on voit, messieurs, de semblables résultats, quand on voit
également l'accroissement permanent des recettes de nos chemins de fer, quand
on sait tous les perfectionnements qu'on peut encore apporter à son
exploitation, on peut compter certes, d'ici à peu d'années, sur une recette de
182,000 fr. par lieue, ce qui amènera un revenu, comme je l'a dit tout à
l'heure, de 20 millions et demi par année.
M. le ministre des travaux publics. - Messieurs, les développements
étendus dans lesquels est entré l'honorable M. de Man, avaient pour but de
prouver la nécessité de la mesure administrative, ou plutôt législative, qu'il
vous propose.
L'honorable membre a invoqué ce qui s'était fait
en France : la commission nommée en 1842, réorganisée en 1847. La position de
l'administration française, messieurs, a assez peu d'analogie avec la nôtre. En
France, le gouvernement n'exploite pas les chemins de fer ; sa mission est
toute de surveillance et de police. On conçoit que cette surveillance, cette
police ont un besoin absolu d'être fortement organisées. Mais, pour le dire en
passant, le gouvernement français s'est placé à un point de vue assez différent
de celui de l'honorable M. de Man. L'honorable M. de Man est mû surtout par un
sentiment de défiance extrême à l'égard du corps des ponts et chaussées. Je
crois pouvoir dire que ce sentiment n'existe nullement dans l'administration
supérieure française.
M. de Man d’Attenrode. - C'est ce qui vous trompe.
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je crois
pouvoir dire que sur toutes les questions importantes, non seulement de
construction, mais de tracé, mais même d'exploitation, les ingénieurs sont
entendus en France, comme ils l'ont été chez nous et que l'on a fait la part
très large à leur avis.
La seule exploitation de chemins de fer qui ait eu lieu au compte du
gouvernement français, est celle des deux tronçons construits dans le
département du Nord ; or, l'homme qui avait la haute main sur cette
exploitation, était un ingénieur en chef, d'un mérite hors ligne, je le
reconnais, aujourd'hui secrétaire du conseil général des ponts et chaussées.
Je suis loin de prétendre qu'il faille, en toutes choses, se laisser
guider exclusivement par les avis des ingénieurs ; mais je pense que c'est se
placer à côté de la vérité, que de mettre en quelque sorte les ingénieurs à
l'index, comme l'honorable M. de Man semble vouloir le faire.
Quoi qu'il en soit, messieurs, une chose doit être reconnue, et cette
chose, je crois avoir eu l'occasion de l'indiquer plusieurs fois déjà dans
cette enceinte ainsi qu'au sénat : c'est que notre service d'exploitation a
besoin d'être organisé par une loi. Cette nécessité, messieurs, est évidente.
Je pense qu'une loi d'exploitation est nécessaire, autant pour le
public, pour le commerce, que pour l'administration elle-même. Les idées du
pays, nos institutions nous conduisent généralement à ne voir de marche
régulière que là où les jalons sont posés par la loi même. On admet en général
comme bon ce qui procède de l'exécution de la loi, et une marche
administrative, même bonne en elle-même, mais qui ne s'appuie pas sur la loi,
sera toujours, quoi qu'on fasse, considérée comme plus ou moins irrégulière.
Une loi d'exploitation est, de plus, indispensable pour donner à
l'exploitation du chemin de fer une certaine fixité. L'honorable baron de Man a
fait observer que les changements ministériels avaient empêché le département
des travaux publics d'arriver, aussitôt que la chose eût été possible, à un
système parfaitement régulier, parfaitement complété. Je pense, messieurs,
qu'il y a quelque chose de vrai dans cette idée.
Je crois aussi que cette succession dans les personnes peut avoir nui à
certains services publics. Une loi d'exploitation obvierait, messieurs, à la
plupart de ces difficultés. Mais cette loi d'exploitation doit être faite à un
point de vue d'ensemble : ; elle doit être faite en partant surtout des
nécessités du service, et je ne pense pas que la loi d'exploitation, ou. un
fragment de cette loi doive être dicté par un sentiment de défiance extrême, je
dirai même par un sentiment hostile. Je sais très bien que l'honorable M. de
Man n'a pas d'hostilité pour le ministère même, mais il y a de sa part
hostilité à l'égard d'une fraction de l'administration. A ses yeux,
l'administration des travaux publics est une administration qui n'a pas droit
aux mêmes ménagements, par exemple, que l'administration des finances.
Je pense, messieurs, qu'à ce point de vue l'honorable M. de Man est, en
quelque sorte, sous l'impression d'une idée fixe, et je pense que ses
propositions ne doivent être accueillies qu'avec une certaine défiance.
Messieurs, je suis extrêmement loin de repousser les idées de contrôle,
les idées de surveillance. Le contrôle et la surveillance sont deux choses
nécessaires en toute administration, nécessaires dans l'intérêt du service et
fort utiles pour les convenances personnelles du ministre. S'il y avait sur
tous les services du département des travaux publics un contrôle, parfaitement
organisé, pondéré, ma position serait aujourd'hui beaucoup moins difficile
qu'elle ne l'est. Mais ce contrôle, ainsi que je l'ai dit, viendra par les
idées d'ensemble, et je pense qu'il doit trouver sa place dans la loi
d'organisation. Toutefois, il est un chapitre, si je puis le dire, de la loi
d'exploitation que je me suis empressé de vous soumettre d'accord avec mon
collègue des finances ; c'est celui qui concerne le contrôle et la surveillance
des recettes du chemin de fer ; c'est là déjà, messieurs, une partie importante
de cette organisation. Une proposition vous est faite sur cette partie du
service, et je fais des vœux pour qu’elle soit prochainement admise.
L'honorable M. de Man n'a pas tenu compte, à un degré suffisant, non
plus ce me semble d'un contrôle déjà existant et fort bien organisé, celui de
la cour des comptes.
Pour ses dépenses, messieurs, le département des travaux publics n'est
pas en dehors de la loi commune ; il est soumis à la surveillance de la cour
des comptes, comme les autres services publics. L'honorable M. de Man, en
remontant jusqu'à 1842, a cité différents faits d'irrégularités dans les
dépenses du chemin de fer. Messieurs, je suis très loin de vouloir nier la
gravité d'irrégularités de ce genre. Je tiens à la régularité, je pense, autant
que l'honorable M. de Man peut y tenir lui-même. Mais, messieurs, il y a une
chose dont il faut tenir compte, c'est que ces irrégularités ont eu lieu à une
époque où il n'y avait pas de loi de comptabilité, où nous étions pour la
comptabilité sous une espèce de régime de bon plaisir, que j'ai été très
enchanté de voir cesser par la publication de la loi de comptabilité ; cette
loi est un des actes les plus utiles posés par la législature dans ces
dernières années, et je suis persuadé qu'elle contribuera à faciliter
considérablement la marche du département des travaux publics, et à rendre
infiniment plus faciles ses relations avec la cour des comptes.
Nous avons donc, messieurs, dès aujourd'hui, un contrôle organisé quant
aux dépenses ; on propose de plus un contrôle pour le service des recettes du
chemin de fer. En outre, messieurs, pour tout ce qui est travaux, nous avons un
contrôle et une surveillance parfaitement établis dans l'administration même.
L'honorable M. de Man semble regretter que les projets des ingénieurs
des ponts et chaussées soient discutés par d'autres ingénieurs du même corps.
Mais, messieurs, il en est ainsi dans toutes les administrations ; au
département de la guerre, on n'a jamais fait surveiller le génie militaire par
l'artillerie, par exemple ; au département des finances, je ne sache pas que
l'administration des contributions exerce un contrôle sur l'administration de
l'enregistrement ; chaque administration a en elle-même sa hiérarchie et son
contrôle organisé.
Me résumant, messieurs, je crois pouvoir dire que les services du
département des travaux publics sont fort loin d'être en dehors de tout
contrôle, de toute surveillance ; je crois, au contraire, que beaucoup de
choses sont déjà faites. Une proposition est déposée pour les recettes du
chemin de fer ; il reste à proposer la loi d'exploitation, mais cette loi
d'exploitation, messieurs, si on veut qu'elle soit bonne, il faut que le
gouvernement en ait l'initiative ; il ne faut pas la composer de pièces dues à
l'initiative de membres de cette chambre, initiative commandée par des idées
trop exclusives.
Je pense donc, messieurs, que l'admission de la proposition de
l'honorable M.de Man n'est pas nécessaire, et qu'elle n'est pas ce qui
conduirait, le mieux ni le plus directement au but que l'honorable membre a en
vue, but qui est fort utile, but que j'appelle de tous mes vœux tout aussi bien
que l'honorable membre.
L'honorable M. d'Hoffschmidt a entretenu la chambre de divers objets
concernant le chemin de fer. L'honorable membre s'est occupé des tarifs ; il a
émis le vœu que la chambre fût prochainement saisie d'une proposition du
gouvernement pour les tarifs. Je pense, messieurs, que cette proposition est
indispensable ; mais je pense, ainsi que j'ai eu différentes fois l'occasion de
le dire, qu'il faut non seulement fixer les tarifs, mais qu'il faut définir le
système d'exploitation, qu'il faut poser les principes d'après lesquels
l'administration aura à se guider à tous égards ; qu'il faut, en un mot, ainsi
que je l'ai dit, faire une loi d'exploitation.
Messieurs, je me suis occupé de cette loi dont la nécessité est à mes
yeux évidente. Mais je dois reconnaître que mon travail est moins avancé (page 1522) que je ne l'aurais désiré,
et que jusqu'à présent je n'ai pas pu donner à ce travail tous les soins qu'il
exige, vu la position où je me trouvais, à défaut du vote des chambres sur le
budget des travaux publics. On comprend qu'aussi longtemps que le budget de mon
département n'est pas voté, je suis en quelque sorte tenu en échec par cette
situation, toute provisoire et qu'il m'est impossible de reporter toute mon
attention sur une matière aussi difficile et aussi compliquée qu'une loi
d'exploitation. S'il m'est possible de présenter la loi avant la fin de la
session, la chambre peut être convaincue que je serai très heureux de le faire,
mais il est possible que le temps me manque.
Si telle est la situation, je m'occuperai de la loi d'exploitation dans
l'intervalle des deux sessions, et je m'engage volontiers à la déposer, à
l’ouverture même de la prochaine session. Toutes les questions indiquées par
l'honorable préopinant trouveront leur solution dans cette loi. Il serait
prématuré de vouloir trancher ces questions aujourd'hui ; on les résoudrait à
un point de vue restreint, sans avoir le coup d'oeil de l'ensemble.
L'honorable M, d'Hoffschmidt vous a donné un aperçu des sommes qu'il juge
nécessaires pour le parachèvement des chemins de fer et qui peuvent varier de
10 à 15 millions, suivant le point de vue où l'on se place.
Je pense comme l'honorable membre qu'il sera nécessaire de compléter à
une époque prochaine nos doubles voies. Il sera également nécessaire de
compléter nos stations ; la plupart des travaux indiqués par l'honorable membre
devront s'exécuter, et s'exécuter dans un délai assez court.
Mais, messieurs, il est un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec
l'honorable membre. L'honorable membre voudrait qu'on prît un certain nombre de
millions à prélever sur le produit d'un emprunt, pour les consacrer à des
renouvellements extraordinaires de billes et de rails. Je pense, messieurs,
que, dans un temps assez court, nous pourrons arriver à tous ces
renouvellements par les ressources mêmes du budget, et je pense que la
progression remarquable des recettes nous donnera le moyen d'arriver assez
promptement à ce résultat.
L'honorable membre a fait observer que le crédit primitif de 700,000
francs pour le renouvellement des billes et des rails, se trouve aujourd'hui
porté à 825,000 francs ; l'honorable M. d'Hoffschmidt pense que cette somme est
inférieure aux besoins, et qu'elle devrait être portée à un chiffre supérieur,
par le motif surtout qu'elle ne comprend que 300,000 fr. pour le renouvellement
des rails.
Mais, messieurs, la somme de 825,000 fr. supposait un renouvellement
assez considérable, dès 1847, au moyen de marchés de rails, dont le payement
aurait été échelonné sur trois années ; j'ai tenté une adjudication de rails
sur cette base, mais elle a eu un résultat que je n'ai pas cru devoir
sanctionner.
Aujourd'hui, messieurs, je crois pouvoir proposer à la chambre de porter
au budget de 1847 la somme entière, nécessaire pour solder les rails jugés
indispensables. Le crédit pour le renouvellement des billes et des rails serait
dès lors porté à 1,425,000 fr. cette somme, le budget peut la supporter, et si
le budget peut la supporter, il est essentiel qu'il la supporte.
A l'époque où j'ai eu à m'expliquer avec la section centrale sur
l'emploi présumé des fonds demandés pour le renouvellement de billes et rails,
il était impossible d'établir aussi bien qu'on peut le faire aujourd'hui, quel
serait le produit du chemin de fer en 1847 ; force m'était donc de me
restreindre dans des limites en rapport avec les produits alors probables.
Aujourd'hui je puis aller beaucoup plus loin ; la recette du chemin de fer pour
1847 peut être évaluée, dès à présent, sans aucune témérité, à 15 millions 1/2,
au lieu de 13,900,000 fr., somme portée au budget des voies et moyens. Je
trouve dans cette augmentation la possibilité de porter l'allocation, pour
renouvellement de billes et rails, à 1,425,000 francs, et cela sans qu'il en
résulte un défaut d'équilibre entre les dépenses et les prévisions de recette,
telles qu'on peut les établir aujourd'hui.
Cette somme de 1,425,000 fr. est déjà considérable ; elle permet de
faire quelque chose d'efficace, de réel ; et en présence de la progression des
recettes déjà connue, progression dont nous n'avons pas le dernier mot ; il
sera possible indubitablement de proposer au budget de 1848, pour le
renouvellement de billes et rails, une somme supérieure à 1,425,000 fr.
Je suis donc porté à croire que les renouvellements, reconnus
nécessaires, pourront se faire, au moyen des ressources du budget ; je pense
qu'il est essentiel de le faire, puisque la chose est possible ; ce sera
maintenir le principe, que le chemin de fer doit se suffire à lui-même, que
l'emprunt ne doit pas venir au secours des besoins courants de l'exercice.
L'honorable M. d'Hoffschmidt a également appelé
l'attention de la chambre sur la nécessité de pourvoir à un remplacement assez
large de voitures usées et détériorées du chemin de fer. Je crois devoir
rappeler que déjà une somme de 200,000 fr. a été votée au budget de 1846 pour
cet objet ; qu'une somme de 300,000 fr. est prévue au budget de 1847 pour
recevoir la même destination, et que vraisemblablement cette somme de 300,000
fr. pourra être portée à un chiffre supérieur au budget de 1848.
Au moyen de ces différentes allocations réunies, on pourra remplacer un
nombre de voitures assez considérable. J'ai la certitude que, pour les voitures
comme pour les rails et les billes, le budget pourra faire face à tous les
besoins. Je pense qu'il est essentiel de maintenir toujours la distinction
entre le renouvellement et le premier établissement, et je crois qu'il y a là
une borne salutaire à des dépenses exagérées.
M. Lys. -
Les travaux exécutés par l'Etat en Belgique ont imprimé à notre jeune
nationalité un cachet de grandeur et un signe de durée, qui lui auraient manqué
pendant de nombreuses années. Le département chargé de cette branche importante
de l'administration publique préside donc en réalité à tout ce qui fait la
force morale et l'importance européenne de notre patrie. S'il en est ainsi (et
personne ne contestera la vérité de mon assertion), nous devons nous montrer
sévères et difficiles à l'égard de tout ce qui peut agir sur le développement
et la direction de nos grands travaux nationaux.
Le budget du département des travaux publics répond-il cette année à
l'attente légitime de la chambre et du pays ? Non, messieurs ; la chambre ne
doit être et ne peut pas être satisfaite de l'administration des travaux
publics. Et d'abord avons-nous été en état de nous livrer sérieusement à
l'examen d'un budget qui, à part le nombre et l'importance de ses articles,
s'élève à une somme de plus de 15 millions ? Importance que M. le ministre vient
encore d'augmenter il n'y a qu'un instant.
Les développements à l'appui du budget n'ont été fournis qu'après que
les sections ont eu terminé leur examen, et ce qui n'est pas moins déplorable,
c'est que la chambre n'est définitivement saisie de la discussion du budget que
près de quatre mois après le commencement de l'exercice auquel le budget
s’applique.
Cet état de choses est contraire à tous les principes d'une bonne
organisation financière. Un budget ne doit pas, en règle générale, être
appliqué rétroactivement pour le règlement des dépenses d'un exercice ; il y a,
dans le système contre lequel nous nous élevons, une irrégularité d'autant plus
grande, que cette marche a pour résultat de livrer les premiers mois de l'année
à un état d'incertitude et de précarité essentiellement déplorable pour
l'avenir de l'administration et pour sa stabilité ; et vous avez déjà eu une
preuve de l'irrégularité que cet état de choses amène.
Le maintien de l'allocation pour le service des inspecteurs des
plantations, au chapitre II, première section, n'aurait pas eu lieu si l'année
n'avait pas été aussi avancée, si la moitié de la somme demandée n'eût été déjà
engagée.
Nous n'avons pas ce seul reproche à adresser au département des travaux
publics, nous avons malheureusement d'autres griefs bien plus graves. La
législature a voté des sommes considérables pour les travaux publics, et elle a
presque toujours été engagée à faire cette dépense, dans la vue de procurer de
l'ouvrage à la classe nécessiteuse ; c'est là le principal motif que le
gouvernement faisait valoir pour obtenir le crédit ; elle a voté, dans le même
but, des concessions pour la construction de certaines lignes de chemin de fer.
Le gouvernement a-t-il poussé et a-t-il surveillé ces travaux comme il aurait dû
le faire ? Si nous nous demandons quelle a été l'activité imprimée aux travaux,
nous devons reconnaître qu'il y a eu apathie de la part de l'administration ;
et cependant, messieurs, de nombreux ouvriers ont manqué d'occupation pendant
le long et rigoureux hiver que nous venons de traverser. Les malheureux ont dû
vivre de charité : ils auraient pu trouver des ressources honorables dans le
travail.
Il est à coup sûr éminemment regrettable, que l'apathie de cette
administration ait eu pour résultat d'empêcher que les travaux décrétés ou
convenus n'aient pas donné aux populations ouvrières toutes les ressources que
l'on devait légitimement en attendre. Inutilement viendra-ton répondre que des
questions de tracé n'ont pas été décidées avant cette époque, et que par suite
l'avancement des travaux s'en est ressenti. Il fallait les vider de suite, et
cela était au pouvoir de l'administration. Inutilement encore voudrait-on
excuser le retard des travaux, parce que tel chemin de fer est l'objet d'un
procès ; ce sont là des causes urgentes dont rien ne peut retarder la décision,
lorsque l'administration veut les pousser activement.
Je ne citerai qu'un exemple pour démontrer l'apathie du gouvernement
jusque dans les petites concessions, concessions pour lesquelles l'Etat n'avait
pas un centime à débourser, où il ne s'agissait que de faire examiner une
demande.
Au mois de juin dernier, on a demandé la concession d'un chemin de fer
de Pepinster à Spa. Là ou ne demandait aucun subside de l'Etat, ce chemin de
fer ne peut être susceptible d'opposition par qui que ce soit ; il serait
avantageux à la ligne du chemin de fer de l'Etat, ce serait là un affluent très
productif ; il serait d'un avantage général sans que personne puisse en
souffrir ; avantageux surtout pour la petite ville de Spa, car il ferait plus
que doubler le nombre des personnes qui viennent visiter cette belle localité.
On ne va pas à Spa, parce que les moyens de transport manquent ou sont peu
agréables en quittant un chemin de fer. On nous a souvent parlé de moyens de
procurer du travail aux malheureux. C'était là une bien belle occasion : on
était au centre d'une masse d'ouvriers qui ne demandaient que du travail.
Je demanderai à M. le ministre ce que l'administration a fait sur cette
demande ? Ce n'est pas faute de sollicitations de ma part si elle n'a rien
fait. Eh bien, je le dis sans crainte d'un démenti, l'administration n'a rien
fait ; aucune suite n'a été donnée par elle à cette demande ; elle est dans
l'état où elle se trouvait au mois de juin dernier.
Je sais, messieurs, que les reproches qui sont adressés au ministère des
travaux publics proviennent de ce que les grandes administrations qui dépendent
de ce département n'ont pas déployé l'activité nécessaire ; mais le ministre
devait leur imprimer cette activité si nécessaire, l'exiger. Il est vrai de
dire que l'on a aussi négligé les mesures les plus urgentes en ce qui concerne
les subsistances ; ce qu'on a fait, on l'a fait tardivement, et le résultat a
été pour ainsi dire tout à fait nul, parce qu'on ne l'avait pas fait en temps
opportun.
(page 1523) 11 y a très peu
de temps, messieurs, que le gouvernement vous a engagés à distraire du crédit
de 2,898,960 fr. destiné à des constructions et dépendances de station, une
somme d'un million de francs qui seront employés à la construction de waggons
servant au transport de marchandises. D'après le gouvernement, il resterait
encore, déduction faite de la somme engagée, 338,886 fr. 37 c. affectés à leur
première destination.
C'est là une mesure qui n'amènera aucun résultat avantageux, non que
j'entende critiquer l'emploi d'une somme d'un million de francs pour le
matériel de transport. Mais il est reconnu dès à présent que la somme allouée
pour constructions et dépendances de stations est insuffisante. Pourquoi donc
réduire cette somme dès qu'on en reconnaît même l'insuffisance ?
C'est qu'en fait de chemin de fer, on ne vous dit jamais toute la
vérité. Il y a dans cette administration tant d'abus, qu'on n'ose vous les
signaler franchement ; on recule le moment où force sera de tout vous dévoiler.
Il arrivera pour le chemin de fer le même résultat que pour le matériel de la
guerre. Vous verrez qu'un jour on viendra vous dire : Ce n'est pas quelques
centaines de mille francs que nous avons à vous demander ; ce sont de nombreux
millions dont nous avons besoin pour mettre les choses en bon état.
Rappelez-vous que l'honorable général Goblet vous a fait connaître
qu'une somme de 18 millions et plus serait nécessaire pour compléter le matériel
de la guerre ; et l'honorable M. d'Hoffschmidt ne vient-il pas de vous
démontrer que le chemin de fer exigeait une dépense de plus de quinze millions,
si on voulait le mettre en bon état. Nous pouvons avoir confiance en ce que
nous dit notre honorable collègue, car lui aussi a dirigé le ministère des
travaux publics ; aussi le ministre n'a nullement contredit ses avancés, il
s'est borné à dire qu'une partie de cette dépense pourrait être couverte sur
les revenus ordinaires.
On est venu vous dire : Sur le crédit de 2,898,960 francs, 1,560,075
francs 65 centimes seulement sont engagés ; de sorte qu'il reste disponible
1,338,886 francs 37 centimes, mais cette somme est insuffisante, on le
reconnaît. L'achèvement complet des stations demanderait une somme de 3,300,000
francs ; encore le gouvernement est-il sans données positives à ce sujet ; il
est donc permis de supposer, comme toujours, qu'une somme double, une somme de
six millions sera nécessaire. Et c'est dans un pareil état de choses que l'on
vous a fait distraire, d'une somme déjà insuffisante, un million. Mais.la
position saute aux yeux : loin qu'il vous reste des sommes disponibles, je suis
intimement convaincu, je ne puis en fournir la preuve, j'en conviens (et en
lisant le rapport de l'honorable M. Brabant, je vois qu'il a été dans le même
cas) ; loin qu'il vous reste des sommes disponibles pour les stations, je dis
que le tout est absorbé et qu'on se bornera à vous demander une allocation de
fonds beaucoup plus considérable, au moyen de laquelle on couvrira le passé et
le futur.
L'administration du chemin de fer restera un dédale inextricable, c'est
ce que cherche l'administration.
Puisque nous avons reconnu l'insuffisance du matériel, nous demanderons
à M. le ministre s'il ne devrait pas y avoir près de l'administration centrale
un bureau chargé spécialement et uniquement de surveiller la répartition des
waggons entre toutes les stations du pays. Une bonne distribution d'un
matériel, même peu considérable, permet de faire face à une plus grande somme
de besoins, qu'on ne pourrait le faire avec un matériel très considérable, mais
mal distribué. Or, nous ne remarquons pas que, dans l'organisation actuelle de
l'administration, il y ait un bureau chargé spécialement de ce service
important ; cependant il y a un bureau de régie, chargé spécialement des
payements des salaires, et qui, d'après le rapport, est passablement
insignifiant ; pourquoi ne pas avoir institué une section spécialement chargée
de la répartition du matériel et de la surveillance journalière de ce service ?
C'est, messieurs, ce qui ne se conçoit pas. N'est-il pas, en effet, évident que
l'action des chefs de station, des ingénieurs même est insuffisante pour ce
service spécial ? N'est-il pas manifeste qu'il faut pour cet objet une surveillance
de tous les jours ? N'est-il pas incontestable que, pour que cette surveillance
soit efficace, utile, elle doit s'exercer sur toute l'exploitation, sur tout le
matériel répandu sur toutes les lignes du réseau de nos chemins de fer. Un
bureau chargé exclusivement et privativement de ce service est donc
indispensable, et l'administration de ce bureau aura peut-être pour résultat de
rendre possible le service de l'exploitation, avec un matériel beaucoup moins
considérable que celui dont on prétend que le besoin se fait impérieusement
sentir.
Après la construction des nouveaux waggons, s'il n'y a pas plus d'ordre
dans leur distribution, de nouveaux besoins seront bientôt reconnus.
L'administration ne fait rien pour l'amélioration de nos relations avec le
chemin de fer rhénan ; pour nous engager à prendre part aux frais de son
établissement, on faisait valoir l'avantage que nous pourrions retirer du droit
que nos actions nous donneraient dans les délibérations de cette société. Je ne
parlerai plus des pertes volontaires que l'Etat belge a faites ; je les ai
prouvées mathématiquement, je ne veux plus y revenir ; M. le ministre des
finances voulait couvrir les fautes de ses prédécesseurs. C'est là un service
réciproque que se rendent nos hauts fonctionnaires. La Belgique devait remplir
leurs promesses au détriment des finances de l'Etat. Mais aujourd'hui comment
usons-nous des voix que nos 4,000 actions nous donnent dans l'administration du
chemin de fer rhénan ? La double voie de ce chemin de fer est loin de son
achèvement ;nos waggons restent beaucoup trop longtemps à séjourner sur ce
chemin de fer ; nous avions besoin d'un consul, d'une direction quelconque à
Cologne, et si cela ne se pouvait à Deutz ou à Bonn pour la surveillance de nos
intérêts dans cette voie ferrée, pour l'intérêt du commerce ; on a été le
placer dans une ville de l'Allemagne, où il se trouve de la plus grande
inutilité.
Il est dès lors établi en fait que le gouvernement n'use nullement de la
prépondérance que le quart des voix qui lui appartient lui donnerait
nécessairement dans l'administration du chemin de fer rhénan, et que le but de
l'achat de ces mille actions est tout à fait manqué.
Nous partageons, messieurs, l'opinion de la section centrale, qu'il y a
désordre dans le budget en ce qui concerne le traitement du corps des ponts et
chaussées. Que si nous vous disons qu'il y a impossibilité de reconnaître le
chiffre vrai du traitement des membres de ce corps, parce que, comme le dit le
rapport, l'imputation des traitements a lieu sur différents articles, vous
penserez avec moi qu'il ,a abus dans cet
état de choses, qu'il y a dans cette organisation impuissance pour la chambre
d'exercer son droit de contrôle, et que, par suite, il y aurait lieu de
contraindre le gouvernement à rentrer dans les voies de la légalité ; et le
seul moyen d'arriver efficacement à ce résultat, ce serait de rejeter
l'allocation demandée pour faire face à cette partie du service.
Il y a encore, messieurs, une autre sorte d'abus que la chambre doit
proscrire, ce sont les frais de voyage et de déplacement qui sont accordés à
certains employés de l'administration.
Pourquoi les employés supérieurs sont-ils institués ?
Ils sont investis de leurs fonctions pour surveiller et diriger
l'exploita-lion du chemin de fer. Cela étant, pourquoi attribuer à ces
fonctionnaires des frais de déplacement ? Ne sont-ils pas payés pour remplir
leurs fonctions ? Pourquoi des inspecteurs, des vérificateurs ? Sans doute pour
inspecter, pour vérifier. Ils sont donc rétribués pour se déplacer.
L'administration des finances n'accorde pas des frais de voyage à ses
inspecteurs d'enregistrement, pourquoi en est-il autrement en matière de chemin
de fer ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il n'y a pas de différence ;
consultez le budget des finances, vous vous en assurerez.
M. Lys. -
Avec les gros traitements qu'on donne aux employés, je ne comprends pas qu'on
leur donne encore des frais de voyage.
Dans une précédente séance, quand l'honorable rapporteur faisait
remarquer que ces frais pouvaient s'élever à 63 fr. par jour, M. le ministre
répondait : « Ne soyez pas étonnés de cela, c'est une compensation de la
modicité des frais de séjour qu'on leur alloue. «
Mais, pour les frais de séjour, n'ont-ils pas leur traitement ?
Et puis, messieurs, ne perdez pas de vue que les employés du chemin de
fer sont transportés gratis, partout où l'exercice de leurs fonctions les
appelle. Il n'en est pas de même des inspecteurs et vérificateurs de
l'enregistrement. Il y a injustice, messieurs, à accorder des frais de
déplacement à des employés grassement rétribués, lorsque pareille faveur n'est
pas accordée à des employés inférieurs, tels que les gardes-convois, qui,
quoique leur salaire ne soit pas élevé, sont cependant forcés de prendre hors
d'un traitement peu considérable, de quoi paver leurs dépenses de délogement.
Or, il doit y avoir égalité entre tous les employés d'une même administration,
il faut que tous soient traités avec justice et réciprocité. Pourquoi si un
employé supérieur, qui jouit d'un gros traitement, doit toucher un supplément,
faut-il qu'un employé inférieur, très souvent père de famille, prenne hors d'un
modeste traitement, le montant des dépenses qu'entraîne son délogement ? Cela
n'est ni juste, ni équitable. Les dépenses, qui ne sont qu'une occasion pour
l'administration de répartir des faveurs, doivent disparaître ; rien ne
justifie ces dépenses, elles reposent sur une fausse base, et elles constituent
un véritable double emploi, car ces indemnités de déplacement ont pour objet de
rémunérer les services pour lesquels le traitement est accordé.
Maintenant, messieurs, les règles d'admission aux emplois sont-elles
observées ? N'y a-t-il pas, dans la répartition des places, des actes qui sont
injustifiables au point de vue des règlements ? C'est là, messieurs, ce que
nous ne voulons pas examiner maintenant, parce que nous pensons qu'en matière
de nomination à des emplois, le gouvernement jouit nécessairement d'un pouvoir
arbitraire, car sans cela la responsabilité ministérielle ne serait qu'un mot
vide de sens ; mais cela n'empêche pas, que nous ne signalions à
l'administration qu'elle s'engage dans une voie fausse, quand elle ne respecte
pas toujours sévèrement les prescriptions des règlements sur cette matière.
Il est encore un objet sur lequel nous croyons devoir attirer
l'attention de la chambre. Nous ne voyous nulle part ce que coûtent les
procédures soutenues par l'administration des travaux publics. Les frais de ces
procédures doivent être assez considérables, et il serait convenable que la
chambre connût exactement le chiffre de la dépense qui est supportée par l'Etat
en frais de procédure et en honoraires d'avocats.
Nous voudrions que les avocats de l'administration du chemin de fer eussent
un traitement fixe, tout comme les avocats de l'administration, des
contributions ; ce serait pour l'Etat une économie notable. Nous ne concevons
pas pourquoi ce principe n'a pas déjà été adopté.
L'année dernière, je demandais un acte de justice pour la ville de
Verviers, Je m'exprimais ainsi :
« Je viens maintenant, messieurs, demander qu'il soit fait droit aux
réclamations que la ville de Verviers a adressées depuis longtemps au
gouvernement. Verviers est peut-être la seule ville en Belgique en possession
du chemin de fer et dont les habitants ne puissent pas se rendre (page 1524) soit à Bruxelles, soit à
Anvers, et rentrer le même jour chez eux. On maintient cet état de choses sans
aucun profit pour le gouvernement ; au contraire, je sais qu'il en résulte une
perte. Pendant la période d'été, le dernier convoi de Liège à Verviers part, si
je ne me trompe, à 7 heures du soir, c'est-à-dire, une heure avant l'arrivée du
convoi de Bruxelles à Liège. Or, ne serait-il pas bien plus naturel (et je
crois que M. le ministre actuel des travaux publics partagera mon opinion), ne
serait-il pas bien plus naturel de retarder le dernier départ du convoi de
Liège à Verviers, d'une heure, afin qu'il puisse reprendre les personnes de
Verviers qui se trouvent sur le convoi de Bruxelles ? C'est une chose qui ne
coûterait rien au gouvernement et qui serait très avantageuse pour le
fabricant. Je dis même plus, je dis que cela multiplierait les voyages des
fabricants et augmenterait par conséquent les revenus du chemin de fer, sans
aucune augmentation de dépense.
« Mais, dira-t-on peut-être (et c'est ce qu'on a déjà dit dans le
temps), le chemin de fer de Liège à Verviers est d'un trajet difficile et
dangereux, et il serait imprudent de faire le voyage pendant la nuit. cette allégation
ne peut pas se soutenir, car pendant tout l'hiver le convoi part de nuit,
voyage de nuit, arrive de nuit, et il n'y a pas de doute que la saison d'hiver
ne soit bien plus dangereuse que la saison d'été.
« Je dis que le fabricant, homme essentiellement nécessaire chez lui
pour la surveillance de ses ateliers, je dis que s'il pouvait rentrer le même
jour chez lui, il multiplierait ses voyages, ce qui serait un avantage pour le
chemin de fer. »
M. le ministre a fait droit pendant l'été dernier à cette réclamation,
mais de la manière qu'on lui a fait porter remède à un vice existant, l'on
avait la certitude que le remède serait chose coûteuse pour l'Etat et serait
par suite supprimé ; c'est ce qui est arrivé, et en effet, pour la saison
d'hiver, on a dû partir de Bruxelles à onze heures pour arriver le même soir à
Verviers.
Nous demandions, comme je viens de vous le démontrer, messieurs, que le
convoi partant de Liège pour Verviers à sept heures du soir, fût retardé
jusqu'à l'arrivée du dernier convoi de Bruxelles à Liège. Si la chose s'était
faite ainsi, il n'y avait à craindre aucun surcroît de dépense pour le
gouvernement, car les personnes destinées pour le convoi de sept heures
attendaient celui de huit heures, et ce convoi prenait en outre les personnes
qui arrivaient avec ce convoi de Bruxelles dont la destination était pour
Verviers.
Donc aucuns frais quelconques à charge de, l'Etat.
Mais ce n'est pas là ce que l'administration voulait ; au lieu d'un convoi
elle a maintenu celui de 7 heures pour Verviers, et elle en a fait partir un
second après l'arrivée du dernier convoi de Bruxelles. Il y avait là tous les
frais d'un convoi ; on a aussi eu soin de ne pas annoncer ce dernier convoi aux
voyageurs et, bien plus, de ne le faire figurer sur aucun tableau du chemin de
fer.
D'ailleurs, le voyageur étranger n'avait aucun intérêt de venir, le même
soir à Verviers puisqu'il ne pouvait être rendu à Cologne que le lendemain à 5
heures du soir.
Vous voyez, messieurs, qu'on a fait de son mieux pour que la chose
concédée ne fût pas maintenue, et le résultat était immanquable.
Je demanderai à M. le ministre comment il a pu admettre un pareil mode,
lorsque celui que je lui présentais n'occasionnait aucune dépense quelconque
pour l'Etat.
Mais Verviers n'était pas seul intéressé dans ce dernier convoi du
chemin de fer ; si les choses avaient été réglées comme elles devaient l'être,
comme une administration qui entend ses intérêts aurait fait, comme je l'ai
indiqué à plusieurs reprises, dans l'état actuel du dernier départ du chemin de
fer de Bruxelles pour Liège, un voyageur en destination pour Cologne n'y arrive
que 25 heures après. La distance est de 25 lieues ; il fait donc heure par
heure.
Vous voyez qu'il irait beaucoup plus vite par le service des anciennes
diligences que par le chemin de fer.
On pouvait porter remède à un tel état des choses, en faisant partir le
convoi de 7 heures de Liège à Verviers, seulement après l'arrivée du dernier
convoi de Bruxelles à Liége, et en s'entendant avec le premier convoi
d'Aix-la-Chapelle à Cologne ; faisant partir le premier convoi de Verviers à
Aix-la-Chapelle une heure plus tôt, faisant retarder aussi d'une heure le
convoi du premier départ d'Aix-la-Chapelle à Cologne ; par-là les personnes en
destination de Bruxelles à Cologne, qui partaient de Bruxelles par le dernier
convoi, arrivaient le lendemain à Cologne, avant midi, et les voyageurs étaient
en avancé d'un jour, pouvant prendre à midi les voitures publiques qui partent à
cette heure de Cologne en destination de Berlin.
Voilà, messieurs, comment l'administration fait marcher notre chemin de
fer plus lentement, que les anciennes diligences, et fait perdre une journée
tout entière aux voyageurs. Comment se fait-il que le gouvernement n'ait pas
admis une pareille marche, que je lui ai indiquée ? Je serais curieux
d'entendre à cet égard M. le ministre des travaux publics, et j'espère qu'il
voudra bien me répondre.
J'avais aussi appelé l'attention du gouvernement sur un autre abus
existant. Je disais :
« Il est remarquable que, pour le chemin de fer d'Ans à Verviers, on
fait payer, non le parcours réel du chemin de fer qui est en ligne droite, mais
le parcours qu'avait une ancienne route, tortueuse et plus longue.
« On a remédié en partie à cet abus. C'était une application
erronée d'un principe.
« En effet, messieurs, on a accordé une indemnité en sens contraire aux
habitants de Louvain, de Bruxelles et de Gand. Sur ces lignes, les routes
anciennes allaient en ligne directe. Le chemin de fer n'a pas suivi cette ligne
directe. On a accordé aux habitants une moyenne ; c'est-à-dire qu'on ne leur
fait pas payer tout le parcours du chemin de fer. Cette moyenne est établie eu
faveur de ce parcours du chemin de fer ; on a indemnisé parce que le railway
n'avait pas suivi la ligne la plus droite
« Pour nous, on avait argumenté en sens contraire ; on avait dit :
Vous aviez une route tortueuse ; vous payerez le parcours non pas du chemin de
fer, mais de l'ancienne route. C'était là forcer le principe ; on ne disait pas
comme à Louvain et à Gand : Nous voulons vous faire plus que le chemin de fer
ne vous donne, mais on nous faisait payer au-delà du parcours réel.
« C'était là une misérable chicane, un tel raisonnement n'était
qu'un argument captieux ; car si l'on voulait prendre une route comme base du
tarif, on pouvait en prendre une plus courte que celle de la vallée de la
Vesdre, par exemple, la route de Verviers par Hervé et la Clef sur Liège qui
présente moins de longueur.
« Par un arrêté du 14 janvier, le gouvernement a fait droit à nos
réclamations sur ce point, en ce qui concerne les marchandises, mais pas en ce
qui concerne les personnes. Si l'on admet le principe d'un côté, on doit
l'admettre de l'autre. Justice entière doit être rendue. J'appelle l'attention
de M. le ministre des travaux publics sur la convenance d'étendre la mesure
prise par cet arrêté. »
Nous payons encore aujourd'hui pour le transport des personnes de Liège
à Verviers, pour une distance de 30,000, tandis que la distance n'est que de
24,290 mètres, et ainsi pour les distances intermédiaire.
« Un autre objet important pour la ville de Verviers serait un bureau en
ville, où l’on pût déposer les marchandises dites de diligence. Ainsi que cela
se pratique dans les autres villes, il pourrait être établi chez l'entrepreneur
du camionnage. Cs serait dans l'intérêt du chemin de fer ; car les marchandises
de diligence payent quatre fois plus que les grosses marchandises.
« Faute d'un bureau en ville ; on dépose les marchandises au bureau des
messageries. Je m'explique, en citant l'exemple suivant.
« Un négociant a un colis de 50 kilog. ; il consent à payer comme au
tarif n°4, afin d'activer le transport ; ne trouvant point de bureau du chemin
de fer en ville, il est réduit le plus souvent à avoir recours aux messageries
qui le font prendre chez lui ; de là une perte réelle pour le railway et un
désagrément pour ce négociant. »
Un dernier objet fort important consiste dans le retard que met le
chemin de fer au transport des marchandises. Pour jouir du bénéfice de certain
tarif, il faut fournir la charge complète d'un waggon ; c'est là, messieurs,
une fort mauvaise prescription ; c'est là ce qui empêche le gouvernement de
faire des bénéfices par le transport de certaines marchandises ; c'est là ce
qui donne lieu à priver le chemin de fer de certains transports, qui restent
confiés à des entrepreneurs.
Remarquez, messieurs, que le transport de ces marchandises pourrait se
faire sans la plus petite dépense extraordinaire pour l'Etat. Chaque jour nous
voyons partir de Verviers vers Liège une quantité considérable de waggons
vides, tandis qu'on laisse dans les magasins, à Verviers, une quantité de
marchandises ; et par là les marchandises pour Anvers, Gand et Bruxelles
restent plusieurs jours à la station, tandis qu'elles pourraient arriver le
même jour, sans une plus grande dépense pour l'administration du chemin de fer.
Une dépense que je crois devenue inutile, qui a pu être nécessaire, j'en
conviens, mais qui ne doit plus l'être, c'est la prime accordée aux machinistes
pour le coke.
L'administration doit nécessairement connaître aujourd'hui fort,
exactement la quantité moyenne du coke, nécessaire pour un parcours quelconque
; l'expérience a dû le lui démontrer, sans cela il faudrait désespérer du
service de la locomotion. S'il en est ainsi, à quoi bon accorder des primes et
des indemnités aux machinistes ? C'est évidemment faire une dépense inutile ;
et par conséquent la somme de 18,000 fr. portée pour cette dépense, devrait, à
mon avis, disparaître du budget.
Depuis le temps que le chemin de fer est établi, il ne devrait pas
exister le plus léger doute sur la quantité de coke nécessaire pour tel
parcours. J'espère que M. le ministre voudra bien s'expliquer à cet égard.
Je crois vous avoir démontré que le chemin de fer
n'est pas exploité comme il devrait l'être ; qu'il ne répond pas aux besoins du
commerce et du public, autant qu'il pourrait et qu'il devrait le faire ; qu'il
y a beaucoup d'économies à faire, et beaucoup de produits négligés. Espérons,
messieurs, que l'année 1847 ne se passera point, sans que la révision des
tarifs ait enfin lieu, car il est plus que temps que ces tarifs soient
maintenant combinés avec la position normale qui est faite à l'administration
et au pays.
Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay) - Je désire
répondre quelques mots.
L'honorable M. Lys paraît croire que la proposition récemment faite, relativement
au matériel du chemin de fer, n'était pas basée sur l'idée sérieuse d'augmenter
le matériel, que c'était un moyen auquel on avait recours pour masquer un
prétendu déficit, en confondant le crédit accordé avec un autre crédit à
accorder. Je crois avoir clairement fait connaître, dans l'exposé de motifs,
que le but de la proposition n'était autre que de pourvoir aux exigences du
service des transports, sans (page 1525)
recourir à de nouvelles émissions de bons du trésor. Je crois avoir dit qu’en présence
de vingt millions de bons du trésor en émission, il était impossible de
recourir à de nouvelles émissions de bons du trésor pour se procurer le
matériel dont on avait besoin. Il n'y avait qu'une mesure à prendre, c'était de
pourvoir au plus pressé. J'ai demandé à pouvoir distraire provisoirement un
million du fonds destiné aux stations. Cette proposition, je l'ai faite avec
une entière bonne foi, sans autre but que celui indiqué dans l'exposé des
motifs.
Maintenant est-il vrai que le crédit voté pour les stations ait été au
moins en partie détourné de sa destination ? Mais cela ne se peut pas ; on ne
dispose d'un crédit qu'avec le concours du ministre des finances et sous le
contrôle de la cour des comptes. Que l'honorable membre se rende à la cour des
comptes, il verra quelle est la partie de ce crédit dont on n'a pas disposé, il
verra que les chiffres qu'on lui présentera correspondent avec ceux que j'ai
indiqués à la chambre.
L'honorable membre trouve que je n'ai pas donné une impulsion convenable
aux travaux des chemins de fer concédés. J'ai déjà dit que le gouvernement n'a
pas la direction des travaux des chemins de fer concédés ; cette direction
appartient aux compagnies concessionnaires.
Le gouvernement examine et approuve les plans et provoque des mesures de
rigueur quand les délais pour l'exécution sont écoulés. Mais le gouvernement ne
peut pas se substituer aux compagnies et agir en leur nom là où elles restent
dans l'inaction.
L'honorable membre s'est plaint de ce qu'on n'avait pas accordé la
concession d'un chemin de fer de Pepinster à Spa. Je reconnais que cette
communication peut être utile, et que l'honorable membre m'en a parlé ; mais je
ferai observer que les demandeurs n'ont fait aucune espèce de démarche pour que
cette affaire reçût une solution. Il en est de cette demande comme de beaucoup
d'autres, qui dorment dans les cartons, parce qu'il est inutile de se livrer à
une instruction au sujet de demandes qui ne sont pas sérieuses, ou pour
lesquelles les moyens d'exécution manquent.
Si les demandeurs m'avaient manifesté l'intention de mettre ce projet à
exécution et m'avaient donné quelque indication sur leurs moyens financiers, je
me serais empressé de m'occuper de cette affaire. Mais accorder des concessions
sur le papier, c'est ne rien faire et même c'est discréditer des concessions
déjà accordées qui auraient des chances de succès.
L'honorable M. Lys dit que le crédit pour les stations est insuffisant,
et il s'étonne qu'on ne demande pas la somme nécessaire pour terminer les
stations.
Mais, messieurs, pouvons-nous toujours décréter des augmentations de
dépenses qu'on doit couvrir au moyen d'émissions de bons du trésor ? N'est-il
pas démontré que le gouvernement est désormais dans l'impossibilité de faire
face à de nouveaux besoins extraordinaires sans recourir à un emprunt ?
Serait-il possible de faire cet emprunt maintenant ? Si cela n'est pas
possible, le gouvernement ne pouvait faire que ce qu'il a fait.
Il y a deux jours, l'honorable M. Osy, signalant l'utilité de
l'ouverture du canal d'Herenthals à Anvers, a reconnu qu'il était impossible de
s'en occuper dans le moment actuel ; qu'il fallait attendre l'époque où des
ressources pourraient être créées pour faire face à la dépense ; il a reconnu
qu'on ne pouvait plus, dans les circonstances présentes, demander de crédits
extraordinaires à côté des crédits extraordinaires déjà accordés.
L'honorable M. Lys vous a entretenus de l'organisation de convois qu'il
aurait désiré voir établir, dans l'intérêt de la ville de Verviers. Il
s'agissait de faire continuer sur Verviers la marche du convoi arrivant à Liège
vers huit heures. L'honorable membre semble croire qu'on a intercalé un convoi
de plus, afin de faire sentir, par la dépense qui en résulterait,
l'impossibilité de satisfaire à sa demande. L'honorable membre fait là une
supposition qui n'est pas conforme aux faits. On m'a assuré que, sans
intercaler ce convoi en plus, on eût desservi d'une manière incomplète
plusieurs stations entre Liège et Verviers, stations sur lesquelles se dirigent
des voyageurs qui ont encore à faire un chemin d'une ou de deux lieues et qui,
par ce motif, doivent être déposés aux dites stations, à une heure qui ne soit
pas trop avancée dans la soirée.
On m'a exposé que c'était sacrifier les localités intermédiaires que
d'admettre la combinaison proposée par l'honorable M. Lys. Pour satisfaire aux
besoins de Verviers et des localités intermédiaires, il fallait intercaler un
convoi.
M. Lys. -
M. le ministre a été trompé par son administration, comme à l'ordinaire.
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). -
L'honorable membre dit que j'ai été trompé par mon administration, comme à
l'ordinaire. Je n'admets pas une telle supposition : je pense que mon
administration désire comme moi une exploitation peu coûteuse et qu'elle ne
veut pas établir un système dispendieux pour le plaisir de dépenser de
l'argent.
L'honorable membre s'est plaint du défaut d'organisation pour le
mouvement dit matériel ; il a demandé qu'on établît un bureau spécial pour cet
objet. Je crois pouvoir dire que, sans qu'il y ait un bureau spécial, ce
travail est très centralisé. C'est un des inspecteurs de l'administration qui
s'en occupe, et on doit reconnaître que les résultats obtenus ont quelque chose
de remarquable.
Le matériel n'est guère plus nombreux que l'année dernière, et
nonobstant les recettes ont présenté, pour le mois de mars écoulé, une
augmentation de 159 mille francs, sur le mois correspondant de 1846, et cela en
présence de transports gratuits considérables ; en mars 1846, on avait mis en
mouvement 12 mille waggons, chaque waggon employé une fois, étant compte pour
un waggon, et en mars 1847, le nombre des waggons employés s'est trouvé porté à
19 mille. Des faits semblables démontrent les efforts constants de
l'administration ; il est de toute justice de tenir compte d'efforts
semblables.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.