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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16 avril 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative au projet de chemin de fer entre Bruxelles
et Gand (de Terbecq, Dedecker,
Desmet)
2) Projet de loi exemptant
du droit d’enregistrement certaines demandes en naturalisation (Henot)
3) Rapports sur des
pétitions relatives à la délimitation de certains circonscriptions de justice
de paix
4) Projet de loi relatif à
la réorganisation de certaines circonscriptions des justices de paix (Maertens, d’Anethan, Maertens, Maertens, Vanden Eynde, d’Anethan)
5) Projet de loi portant le
budget du département des travaux publics pour l’exercice 1847. Discussion des
articles. Infrastructures fluviales. Service de la Meuse à Liége (de Tornaco, Malou, de Mérode, Verhaegen, Fleussu, Malou, Delfosse)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1481) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à l heure et quart.
M. Huveners lit le procès-verbal de la séance
précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. A.
Dubus fait
connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
(page 1482) « Le sieur Meganck, candidat notaire à Gand, présente
des observations relatives au projet de loi sur le notariat. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du projet de loi.
________________
« Le sieur Tarte demande
la concession d'un chemin de fer direct entre les provinces wallonnes et les
Flandres. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du budget des travaux publics.
________________
« Un grand nombre d'habitants de Gand prient
la chambre de décréter, pendant la session actuelle, la construction d'un
chemin de fer direct de Gand à Bruxelles par Alost. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du budget des travaux publics.
« Le conseil communal de Termonde fait hommage
à la chambre de 50 exemplaires de l'analyse sommaire de son mémoire concernant
le projet d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, et demande que la
nouvelle ligne à établir, si elle était décrétée, soit dirigée sur Assche et
Termonde. »
M. de Terbecq. - Messieurs,
le conseil communal de Termonde, par la pétition dont on vient de vous
présenter l'analyse, nous adresse le résumé d'un mémoire de M. l'ingénieur de
Laveleye qui a été chargé d'étudier la question de l'établissement d'un chemin
de fer direct de Bruxelles à Gand. J'appelle l'attention de la chambre sur ce
travail et sur les motifs si bien déduits dans la pétition pour donner la
préférence au tracé de Bruxelles à Gand par Assche et Termonde, sur celui qui
se dirigerait par Denderleeuw et Alost, pour le cas toutefois où la chambre
décréterait la construction d'une nouvelle voie.
Si une décision
antérieure de la chambre ne s'y opposait, je proposerais de faire insérer la
pétition au Moniteur. Mais je demanderai connue on l'a fait pour les autres
pétitions dans un sens opposé, qu'elle soit déposée sur le bureau pendant la
discussion du budget qui est à l'ordre du jour et qu'ensuite elle soit renvoyée
à M. le ministre des travaux publics.
M. Dedecker. - J'appuie les
observations faites par mon honorable collègue M. de Terbecq.
La pétition dont il
s'agit émane de l'administration communale de la ville de Termonde, qui appelle
spécialement l'attention de la chambre sur les mémoires qu'elle a fait rédiger
par un ingénieur distingué, par M. de Laveleye. Je saisirai cette occasion pour
engager ceux de mes collègues qui n'auraient pas encore lu avec attention ces
mémoires, de vouloir bien en prendre connaissance avant que nous soyons appelés
à discuter une proposition qui nous sera probablement soumise au premier jour.
M. Desmet. - Messieurs, comme les deux députés
de Termonde font tant d'instances pour que les membres de la chambre lisent le
mémoire que la ville de Termonde a fait faite par l'ingénieur civil de Laveleye
sur le projet d'un chemin direct de Bruxelles à Gand par Alost, de mon coté je
dois engager les honorables membres à lire les deux remarquables mémoires que
l'ingénieur du gouvernement Desart a faits et que le gouvernement a fait
distribuer aux chambres. J'engagerai aussi à ce que les membres veuillent lire
un écrit que le même M. de Laveleye a publié en 1844, sur l'exploitation des
chemins de fer ; ils y verront que cet ingénieur émet une opinion qui ne
s'éloigne pas beaucoup de celle émise par l'ingénieur de l'Etat dans les deux
mémoires.
- La proposition de M. de
Terbecq est mise aux voix et adoptée.
PROJET DE LOI EXEMPTANT DU DROIT D’ENREGISTREMENT CERTAINES DEMANDES EN
NATURALISATION
M. Henot. - Messieurs, j'ai l'honneur de
déposer le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de loi qui
tend à faire restituer à quelques personnes le droit d'enregistrement qu'elles
ont payé du chef de leur naturalisation. Ce projet a un caractère d'urgence ;
il ne donnera d'ailleurs lieu, je pense, à aucune discussion. Je proposerai à
la chambre de le mettre à l'ordre du jour entre les deux votes du budget des
travaux publics.
- Cette proposition est
adoptée.
Le rapport sera imprimé
et distribué.
RAPPORTS SUR DES PETITIONS
M. Jonet,
rapporteur. - Messieurs, la commission de circonscription cantonale m'a chargé de
vous faire rapport sur les pétitions suivantes :
« Les membres du conseil
communal de Monceau-sur-Sambre demandent que cette commune soit distraite du
canton de Fontaine-l'Eveque et réunie à l'un des deux cantons de Charleroy. »
La commission propose de
renvoyer cette pétition à M. le ministre de la justice :
1° Parce que la chambre
n'est saisie d'aucun projet relatif à cette demande ;
Et 2° parce que c'est une
affaire à instruire, et sur le mérite de laquelle la chambre ne peut pas se
prononcer maintenant.
- Ces conclusions sont
adoptées.
_________________
M. Jonet,
rapporteur. -
« Plusieurs habitants et membres des administrations communales d'Uccle,
Droogenbosch, Forest, Ruysbroeck, Beersel, Linkebeek Alsemberg et Rhodes
protestent contre la « prétention » élevée par les habitants
d'Ixelles, St-Gilles, Boitsfort, Hoeylaert et Isque, tendante à faire
transférer à Ixelles le chef-lieu du canton d’Uccle.
La commission a d'abord
remarqué que les prétentions des habitants d'Ixelles, St-Gilles, Boitsfort,
Hoeylaert et Isque, n'étaient pas parvenues à la chambre.
Il est seulement vrai,
qu’en 1834 le gouvernement a proposé de transférer le chef-lieu de ce canton
d'Uccle, non à Ixelles, mais à Watermael-Boitsfort.
Mais ce projet général de
circonscription cantonale ayant été retiré, la chambre n'a plus à s'en occuper.
C'est une affaire à
étudier, comme la précédente.
En conséquence la
commission propose le renvoi de la pétition au ministre de la justice.
- Adopté.
_________________
M. Jonet,
rapporteur. - «
Plusieurs bourgmestres des communes du canton de Quevaucamps demandent le
maintien du chef-lieu du canton à Quevaucamps. »
La commission a remarqué
que le projet de loi général sur les circonscriptions cantonales de 1834
proposait la suppression du canton de Quevaucamps.
La commission en avait
demandé le maintien et proposé d'établir le chef-lieu à Belœil.
Le conseil provincial,
consulté, a été d'avis qu'il fallait conserver le maintien de ce qui existe,
savoir : la conservation du canton et la continuation du chef-lieu à
Quevaucamps.
Le projet de loi sur la
régularisation de la circonscription cantonale, que nous allons discuter
aujourd'hui, conserve l'état de choses actuel.
La pétition paraît donc
sans objet.
Cependant la commission
vous propose de la déposer sur le bureau pendant la discussion du projet de loi
de régularisation.
- Ces conclusions sont
adoptées.
PROJET DE LOI RELATIF A LA
REORGANISATION DE CERTAINES CIRCONSCRIPTIONS CANTONALE
Discussion générale
M. Maertens. - Messieurs, il est très
regrettable que nous soyons en quelque sorte forcés de voter à la course un
projet de loi qui, pour moi, est de la plus grande importance. Il est également
regrettable que nous n'ayons pas eu le temps de l'examiner, puisque c'est
seulement hier soir qu'on a distribué le projet, en même temps que le rapport
de la commission.
La chose est d'autant
plus regrettable que le projet de loi tend à perpétuer des anomalies
extrêmement choquantes, qui n'avaient été établies que très provisoirement sous
le gouvernement précédent. Vous vous rappellerez, en effet, messieurs, que sous
le gouvernement précédent, pendant plusieurs années, on s'est occupé d'un
projet de loi tendant à réorganiser toutes les justices de paix. Sous le
gouvernement précédent, ou était généralement d'accord pour diminuer le nombre
des justices de paix, et pour augmenter la circonscription de celles qui
existaient. Il en est résulté que pour être à même de donner suite plus tard à
ce projet, chaque fois qu'une vacature se présentait, dans la prévision de la
suppression, ces vacatures n'ont pas été remplies, et que les juges de paix des
cantons avoisinants ont été chargés de remplir ces fonctions dans les cantons
vacants. C'est ainsi que, dans un tableau qui nous a été remis, nous voyons
que, dans plusieurs villes où il y avait autrefois quatre justices de paix, il
n'y a aujourd'hui que deux cantons ; c'est ainsi qu'à Bruxelles il n'y a que
deux cantons de justice de paix ; la même chose existe à Liège, à Gand, à
Anvers.
Le projet de loi tend à
sanctionner ce système. Or, messieurs, vous comprenez que dans des villes si
importantes, les fonctions de juge de paix doivent être fort lucratives ; je
pense même que leur traitement, joint à leurs émoluments, dépasse de beaucoup
le traitement même des conseillers des cours d'appel.
Il aurait donc été
désirable que nous eussions eu le temps d'examiner à fond cette affaire, et de
sanctionner une circonscription plus en harmonie avec la hiérarchie et avec ce
qui doit revenir à chaque fonctionnaire.
Ce qui est plus étonnant
encore, c'est que. tandis que dans ces villes importantes, Bruxelles, Gand,
Anvers, Liège, il n'y a que deux juges de paix, nous voyons, au contraire, qu'à
Bruges, à Courtray, il y a et il y aura, d'après le projet de loi, trois
cantons de justice de paix. Or, messieurs, n'est-ce pas la plus grande anomalie
possible que le mettre dans ces deux villes trois juges de paix, tandis que,
dans les villes importantes que j'ai mentionnées, il n'y aura que deux ?
Ce qui n'est pas moins
étonnant encore, c'est qu'à Louvain, à Mons et à Tournay, il n'y aura qu'un
seul juge de paix, taudis qu'à Courtray il y eu aura trois.
Maintenant quand on
recherche comment ces cantons de Bruges et de Courtray seront définitivement
organisés, on verra qu'à Bruges, deux juges de paix auront chacun deux cantons,
tandis que le troisième n'aura qu'un petit canton. A Courtray, ce sera encore
la même chose. Un juge de paix aura deux cantons, et les deux autres n'en
auront qu'un seul.
J'engage M. le ministre
de la justice à faire de cette affaire l'objet de ses études ultérieures. Je
pense qu’un examen approfondi de la question le convaincra qu'il n y a pas plus
de motifs pour mettre trois justices de paix à Bruges qu'à Bruxelles, Gand,
Liége et Anvers, et que si deux juges de paix suffisent pour ces quatre villes,
il doit en être de même pour Bruges.
La raison principale pour
laquelle j'ai pris la parole, c'est que, par suite de la suppression des
caillons, il y aura deux greffiers de justice de paix qui seront sans place ;
il y en aura un à Gand et un à Bruges. Or, je trouve que le projet de loi fait
injustice à ces deux fonctionnaires : le projet propose de leur allouer leur
traitement seul jusqu'au moment où ils pourront être replacés.
(page 1483) Je crois que cela n'est pas suffisant. Un greffier de
justice de paix n'a pas seulement son traitement, mais encore des émoluments,
et même des bénéfices assez importants, s'il se livre aux ventes mobilières.
Celui qui se trouve à Bruges a trente années de services ; il est très apte à
continuer ses fonction ; il a été même proposé pour être nommé juge de paix ;
il a joui de son traitement et de son casuel pendant les 30 ans ; et voilà tout
d'un coup qu'on lui ôte sa place et son casuel ; on se borne à lui donner le
traitement de 900 fr.
Vous conviendrez tous
avec moi que quand on a 14 à 1,500 fr., il est très pénible qu'après trente ans
de service, on soit tout à coup privé et de sa place et des émoluments qu'elle
produit.
Comme il n'y a que deux
fonctionnaires qui tomberont dans cette malheureuse catégorie, je pense que le
gouvernement et la chambre seront d'accord avec moi qu'il convient de leur
donner, outre le traitement, la moyenne des cinq dernières années de casuel.
Le sacrifice sera minime,
d'autant plus que l'occasion de les replacer pourra peut-être se présenter
prochainement. Mais se borner à leur accorder le traitement seul, c'est les
priver de ce qui leur est légitimement acquis, de ce qui leur est nécessaire
pour suffire honorablement à leurs besoins. Cela est si vrai que si le sort
était tombé sur l'autre greffier attaché au même juge de paix de Bruges, vous
auriez mis à la porte avec la modique somme de 900 fr., un père de famille, qui
trouve ses principales ressources dans les ventes mobilières et le casuel de
ses fonctions.
Si je ne puis, avec
chance de succès, m'opposer à la privation d'emploi en ce qui concerne les deux
fonctionnaires dont je viens de parler, j'espère bien que je réussirai à
soustraire au même sort un autre fonctionnaire de l'arrondissement de Bruges,
que le projet de loi semble également menacer. Je veux parler du greffier des
deux justices de paix de Thourout. Sous le gouvernement précédent, on était
d'avis de réduire à un seul les deux cantons de Thourout ; dans la prévision de
cette réunion, une seule personne a été chargée des fonctions de greffier pour
les deux cantons.
Il y aurait injustice à
enlever à ce fonctionnaire depuis longtemps en possession de sa place l'un ou
l'autre des deux cantons où il exerce ses fonctions. Je ne vois aucun motif
pour ne pas le maintenir dans les deux cantons. Je désire avoir une explication
de M. le ministre de la justice pour connaître ses intentions à cet égard.
Il est un autre article
du projet que je signale à l'attention de la chambre, c'est l'article 4. Les
notaires de canton ne peuvent instrumenter aujourd'hui en dehors de leur canton
respectif.
D'après
le projet de loi, par la réunion de deux justices de paix, vous aurez statué
que plusieurs notaires pourront instrumenter dans deux cantons. C'est là
préjuger une question encore pendante, celle de savoir s'il faut permettre aux
notaires d'instrumenter dans une plus grande étendue ou les circonscrire dans
leurs cantons respectifs. Vous allez trancher en quelque sorte cette question,
vous allez décider que des notaires qui n'avaient le droit d'instrumenter que
dans leur canton pourront instrumenter hors de ce canton. J'appelle l'attention
de la chambre sur cette disposition pour qu'elle ne préjuge pas incidemment une
question qui devra être examinée à fond, quand nous nous occuperons de la loi
sur le notariat.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - La première partie du discours de l'honorable M. Maertens
est en quelque sorte la critique de la décision que la chambre a prise dans une
des séances de l'année dernière.
La chambre a décidé
qu'elle ne s'occuperait pas du projet général des circonscriptions cantonales ;
elle a manifesté l'intention le maintenir le statu quo, et de ne modifier les
circonscriptions qu'au fur et à mesure que des projets spéciaux seraient
présentés.
Le projet de loi qui vous
est présenté n'est que la conséquence de la loi du 26 février dernier.
En vertu de cette loi,
nous devions pourvoir à toutes les places vacantes d'après le statu quo. Mais
quand il s'est agi de l'exécution de celle loi, nous avons reconnu qu'il y
avait des cantons qui n'étaient pas réunis d'une manière légale. Dès lors il
devenait évident qu'il fallait légaliser l'état actuel des choses, sans rien
préjuger, comme l'a dit l'honorable M. Maertens, sur les projets spéciaux qui
pourraient être ultérieurement présentés.
Je ferai de la
circonscription une nouvelle étude d'après les diverses réclamations qui me
sont parvenues. Je verrai quels projets spéciaux doivent être présentés ; car
il est possible qu'il y ait des anomalies à faire disparaître. Mais l'honorable
membre reconnaîtra avec moi qu'il était impossible d'exécuter la loi du 26
février dernier, sans régulariser ce qui n'était légalement maintenu que
provisoirement.
L'honorable M. Maertens a
appelé l'attention de la chambre sur trois points ;
1° Sur les greffiers qui
seraient privés de leur place par suite de la nouvelle loi ;
2° Sur ce qu'à Thourout
il y aurait un seul greffier pour deux cantons ;
3° Sur la juridiction des
notaires.
Je pense que le
gouvernement et les chambres ne peuvent faire plus que ce que le gouvernement
demande pour les greffiers qui perdraient leur place, par suite de la nouvelle
loi. II existe des précédents. Lorsque des juridictions ont été supprimées, on
s'est contenté de donner aux fonctionnaires l'intégrité de leur traitement.
Le gouvernement ne peut
pas aller plus loin ; il ne peut pas donner aux fonctionnaires comme traitement
ce qu'ils recevaient comme casuel.
Tout ce que le
gouvernement peut faire, c'est de payer aux fonctionnaires ce qu'il leur payait
jadis ; mais il ne peut leur allouer ce que leur payaient les particuliers.
Mais on pourra
satisfaire, en partie, aux observations de l'honorable M. Maertens, en donnant,
par exemple, à ces greffiers le titre de greffier honoraire. Cette
qualification permettra à celui dont parle M. Maertens, si la chambre le décide
ainsi, de faire des ventes mobilières.
M. Maertens. - Il n'en fait pas.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Il n'a qu'à en faire.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il est évidemment impossible de donner des émoluments pour
des opérations qu'on ne fait plus ; car les émoluments ne sont que le prix des
services rendus aux particuliers ; ils doivent donc cesser avec ces services,
et, dans tous les cas, le gouvernement ne peut pas prendre les émoluments à sa
charge.
Une autre considération
qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que ces fonctionnaires pourront être
très prochainement replacés ; je puis du moins l'espérer d'après ce que je sais
des places vacantes. Ainsi, l'observation de l'honorable M. Maertens me donne
l'occasion de déclarer qu'on pourra nommer un greffier à Thourout ; car je ne
puis pas laisser un seul greffier remplir ses fonctions dans deux cantons
différents. Le but de la loi est de régulariser ce qui existe maintenant. Mais
du moment qu'il y a deux cantons, il faut deux juges de paix et deux greffiers.
Je me crois donc non pas seulement dans la possibilité, mais encore dans
l'obligation de nommer un greffier à Thourout.
Je crois que c'est
l'exécution de la loi...
Quant
aux notaires, la question est extrêmement simple.
Deux cantons n'en feront
plus qu'un seul. Il est donc évident que les notaires pourront instrumenter
dans les deux cantons ainsi réunis par la loi.
Du reste, il n'y aura de
changement que pour les notaires habitant la campagne, et la ville où il n'y a
pas de tribunal de première instance ; ceux-ci pourront exercer leurs fonctions
dans toute l'étendue des villes qui font partie de leur canton. Mais les
notaires des villes où il y a un tribunal instrumentant déjà dans
l'arrondissement tout entier, la réunion des cantons ne fait donc absolument
rien pour cette classe de notaires.
M. Maertens. - Messieurs, je ne puis laisser
sans réponse les observations que vient de faire M. le ministre de la justice,
et quelle que soit la légalité qui sera son guide, il n'en sera pas moins vrai
que si ce qu'il annonce s'exécute, ou aura commis deux grandes injustices.
En ce qui concerne le
greffier de Thourout, je le répète, il a toujours été entendu que tôt ou tard
on réunirait les deux cantons de Thourout. J'ai la persuasion que le
gouvernement opérera cette réunion, aussitôt que l'occasion s'en présentera.
Or, pourquoi, à cet ancien fonctionnaire qui dessert les deux cantons depuis
longtemps, lui enlever ce dont il jouit maintenant.
Il me semble que M. le
ministre de la justice, en attendant que l'occasion se présente de réunir les
deux cantons, pourrait laisser ce fonctionnaire dans la position où il se
trouve. (Interruption.)
Je ne vois rien dans la
loi qui doive l'en empêcher ; d'ailleurs, la chambre pourrait fort bien
autoriser cet état de choses. On doit penser combien il est pénible de se voir,
dans sa vieillesse, privé de ressources qu'on a eues pendant un grand nombre
d'années.
Quant au greffier de la
justice de paix de Bruges qui va perdre sa place, M. le ministre nous dit qu'il
pourra être envoyé à Thourout. Messieurs, je dois vous déclarer que ce serait
là une très mauvaise récompense pour un fonctionnaire qui a rempli pendant
trente ans ses fonctions avec zèle et aptitude, qui a tous ses intérêts à
Bruges, qui y occupe sa maison, que de l'envoyer à Thourout. J'ai tout lieu de
croire qu'il vous remercierait de ce cadeau.
Je me résume donc en
répétant que, puisqu'il n'y a que deux greffiers qui seront privés brusquement
de leur emploi, il est nécessaire, pour être tant soit peu juste à leur égard,
de leur accorder le traitement et le casuel jusqu'à ce qu'ils puissent être
replacés. J'en ferai la proposition lorsque nous en serons venus à l'article 3.
J'engagerai ensuite M. le ministre de la justice à examiner mûrement la
position du greffier de Thourout, et j'espère qu'il trouvera bien le moyen de
le conserver dans la position qu'il occupe aujourd'hui.
- La discussion générale
est close.
Discussion des articles
Article premier
« Art. 1er. A dater du 15
mai 1847, seront supprimés :
« Les cantons sud et
est de la ville de Gand ;
« Les cantons sud et
est de la ville de Liège ;
« Les 2ème et 4ème
cantons de la ville de Bruges ;
« Le 1er canton de
la ville de Courtray ;
« Le canton nord de
la ville de Mons ;
« Le 2ème canton de
la ville de Charleroy ;
« Le 1er canton de
la ville de Tournay ;
« Le 1er canton de
la ville de Louvain ;
« Et le canton nord
de la ville d'Alost. »
- Adopté.
Article 2
« Art. 2. A partir de la
même date, les cantons désignés dans l'article précédent seront réunis, savoir
:
« Le canton sud de
la ville de Gand au canton ouest de cette ville ;
« Le canton est de
la ville de Gand au canton nord de la même ville ;
« Le canton sud de
la ville de Liège au canton ouest de cette ville ;
« Le canton est de
la ville de Liège au canton nord de la même ville ;
« Le 2ème canton de
la ville de Bruges au 1er canton de cette ville ;
« Le 4ème canton de
la ville de Bruges au 3ème canton de la même ville ;
(page 1484) « Le 1er canton de la ville de Courtray au 4ème
canton de cette ville ;
« Le canton nord de
la ville de Mons au canton sud de la même ville ;
« Le 2ème canton de
la ville de Charleroy au 1er canton de cette ville.
« Le 1er canton de
la ville de Tournay au 2e canton de cette ville ;
« Le 1er canton de
la ville de Louvain au 2ème canton de cette ville ;
« Et le canton nord
de la ville d'Alost au canton sud de cette ville. »
- Adopté.
Article 3
« Art. 3. Les greffiers
actuels, que l'exécution des dispositions qui précèdent privera de leur emploi,
conserveront leur traitement fixe jusqu'à ce qu'ils soient replacés, à moins
qu'il y ait lieu de les mettre à la retraite.»
M. Maertens. - C'est ici que viendrait mon
amendement tendant à faire jouir aussi les deux greffiers démissionnes de la
moyenne des cinq dernières années de leurs émoluments.
M. Vanden Eynde. - Messieurs, je crois, en effet,
qu'il y a quelque chose à faire pour ces anciens fonctionnaires ; mais je crois
qu'on ferait bien de suivre ce qui se pratique encore aujourd'hui, je pense,
lorsque deux cantons sont réunis et qu'il existe deux greffiers ; dans ce cas
les deux greffiers sont maintenus en fonctions, et chacun d'eux demeure chargé
des affaires concernant le canton près duquel il était établi. Je demanderai à
M. le ministre de la justice qu'il veuille bien examiner s'il n'y aurait pas
possibilité de laisser exister les greffiers des deux cantons réunis jusqu'à ce
qu'on eût pu replacer l'un d'eux. Je pense qu'il n'y aurait à cela aucun
inconvénient, et je ne connais aucune disposition de la loi qui puisse s'y
opposer. De cette manière il serait fait droit à ce que l'équité exige pour ces
anciens fonctionnaires.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne pense pas, messieurs, que ni l'amendement de M.
Maertens, ni l'observation de M. Vanden Eynde puisse être pris en considération
par la chambre. J'ai dit tout à l'heure les motifs pour lesquels je pensais que
le gouvernement ne pouvait pas accorder un traitement d'attente basé sur un
traitement fixe et sur des émoluments. Je ne pense pas non plus qu'il soit
possible d'adopter le système de l'honorable M. Vanden Eynde. Ce système ne
pouvait être toléré que lorsqu'il existait deux cantons distincts ; mais,
messieurs, d'après la loi que vous allez voter, les cantons dont il s'agit
seront complétement réunis, la limite qui existait entre eux aura disparu, et
alors le système de l'honorable M. Vanden Eynde devient inapplicable.
L'honorable M. Vanden
Eynde dit qu'aucune loi n'est contraire à son système, c'est une erreur ; car
la loi dit qu'il y aura pour chaque canton un greffier et non pas deux
greffiers.
- L'amendement de M.
Maertens est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 3 est ensuite
adopté.
Article 4
« Art. 4. Le nombre
des notaires qui, par suite de la réunion de deux cantons, excédera le maximum
fixé par la loi du 25 ventôse an XI est maintenu, et il pourra être pourvu aux
places qui deviendront vacantes.»
- Adopté.
Article 5
« Art. 5. La circonscription
cantonale du royaume est arrêtée conformément au tableau joint à la présente
loi.
«Ce tableau servira de
base à la nomination des juges de paix, qui aura lieu avant le 15 mai prochain,
en exécution de la loi du 26 lévrier 1847. (Moniteur du 28 février, n°59.) »
- Adopté.
Tableau annexé
M. le président. - La section centrale propose
d'ajouter au tableau, pour le premier canton de Nivelles et pour le 2ème canton
d'Audenarde, la note marginale suivante :
« Il ne sera pas nommé de
juge de paix dans ce canton jusqu'à ce que la législature ait prononcé sur sa
suppression. »
M. le ministre s'est
rallié à cette addition.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je l'avais proposée
moi-même.
L'addition proposée par
la section centrale est mise aux voix et adoptée.
En conséquence, le
tableau est conçu de la manière suivante : Tableau des cantons.
(Ce tableau, reprenant l’ensemble des cantons du royaume, par
arrondissements, n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
Vote sur l’ensemble du projet
Il est procédé au vote
par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 61
membres qui prennent part au vote. Un membre (M. Maertens) s'est abstenu.
Ont voté l'adoption : MM.
Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse,
d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo,
Desmet, de Terbecq, de Tornaco, de T’Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dubus
(Albéric), Dubus (Bernard), Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot,
Huveners, Jonet, lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Malou,
Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier,
Scheyven. Sigart, Simons, Thienpont, Vanden Eynde, Verhaegen, Veydt, Vilain
XIIII, Zoude, Biebuyck, Brabant, Cans, Clep, d'Anethan, de Baillet, de Bonne,
Dechamps.
M. Maertens. - Messieurs, je n'ai point voté
contre la loi parce que son adoption me semblait indispensable. Je ne l'ai
point adoptée cependant, parce qu'elle contient des dispositions auxquelles je
ne pouvais donner mon assentiment.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS POUR
L’EXERCICE 1847
Discussion des articles
Chapitre II. - Ponts
et chaussées, canaux et rivières, polders, ports et côtes, bâtiments civils,
personnel des ponts et chaussées
Section II. Service
des canaux et rivières, des bacs et bateaux de passage et des polders
Article 14
« Art. 14. Service
de la Meuse dans les provinces de Liège et de Namur. »
M. le président. - La discussion continue sur
l'article 14 du chapitre II, qui est relatif à la Meuse.
M. de Tornaco. - Messieurs, je
croyais pouvoir me dispenser de prendre la parole aujourd'hui, après les
discours qu'ont prononcés, dans la séance d'hier, mes honorables amis de Liège.
Après l'historique clair et précis que nous a présenté M. Delfosse, de tous les
engagements, de toutes les promesses qui ont été faites par le gouvernement, je
croyais messieurs, que le gouvernement jugerait convenable de faire un pas en
avant, de poser quelque acte en faveur de la dérivation de la Meuse. Je me suis
trompé, je dois le dire ; c'est encore là une déception que j'ajouterai à
toutes celles que nous avons éprouvées quant à la question de la dérivation de
la Meuse.
Nous avons affaire, ce me
semble, à des pécheurs endurcis. La responsabilité immense qui pèse sur eux ne
les effraye pas. Les accusations qui sont dirigées contre eux ne les touchent
pas. L'honneur même du gouvernement les trouve insensibles. La parole de M. le
ministre devient de plus en plus ambulatoire. On ne craint pas même de mettre
dans une position délicate et compromettante un fonctionnaire élevé dans la
hiérarchie administrative.
Puisqu'il en est ainsi,
je répondrai brièvement à la justification que M. le ministre des travaux
publics a entreprise dans la séance d'hier.
M. le ministre des
travaux publics s'est posé trois questions. Il a demandé d'abord, si le
gouvernement était indifférent aux intérêts de la dérivation de la Meuse ; s'il
ne comprenait pas les intérêts de la province de Liège ; s'il était hostile à
ces intérêts.
Quant à la seconde
question, celle qui regarde l'intelligence des (page 1486) intérêts, je crois que M. le ministre aurait pu se
dispenser de la poser. Personne n'a accusé le gouvernement de ne pas comprendre
les intérêts de la province de Liège ; cette accusation eût été par trop
grossière.
Quand le gouvernement est
entouré de documents aussi nombreux, quand le gouvernement a été pressé de
sollicitations, de pétitions de tout genre, émanées de toutes les localités ;
quand il a été pressé par les députations de tout genre, on ne peut raisonnablement
supposer que le gouvernement ne comprenne pas les intérêts de la dérivation de
la Meuse. M. le ministre des travaux publics aurait pu se borner à examiner la
question de savoir si le gouvernement était indifférent ou hostile aux intérêts
de la dérivation. Ces deux questions n'en font qu'une.
Pour répondre à cette
question, M. le ministre des travaux publics a suivi la méthode qu'il avait
déjà adoptée dans une séance précédente : c'est la méthode apologétique. Au
lieu de répondre d'une manière directe à la question posée, il s'est mis à
faire l'éloge de l'un de ses collègues ; dans une séance précédente, M. le
ministre des travaux publics avait fait lui-même son panégyrique ; il s'était
exposé lui-même à l'admiration publique.
Hier, l'honorable
ministre a été plus heureux, ce me semble ; il a mieux choisi son sujet, en
faisant l'éloge d'un de ses collègues. Personne n'a contesté les efforts que
l'honorable M. Dechamps a faits dans l'affaire du canal de la Meuse ; tout le
inonde a reconnu ses efforts, tout le monde reconnaît le service qu'il a rendu
à la province de Liège ; Liège se souvient de ce service et s'en souviendra, je
crois, longtemps. Dans cette occasion, l'honorable ministre a montré qu'il
comprenait la position de ministre, il s'est mis au-dessus de toutes les
considérations de parti, d'opinion politique ; il a montré que le gouvernement
ne se laissait pas influencer dans les questions d'intérêt matériel par les
idées politiques, qu'il était guidé, dans ces questions d'intérêt matériel, par
la justice distributive qui doit demeurer étrangère à toute opinion politique.
Mais, messieurs, la
conduite que l'honorable M. Dechamps a tenue dans la question du canal de la
Meuse, ne justifie pas le gouvernement, elle ne justifie pas M. de Bavay. Un
bel exemple avait été donné par l'honorable M. Dechamps ; cet exemple, M. le
ministre des travaux publics actuel aurait bien fait de le suivre ; il ne l'a
pas suivi.
L'honorable ministre des
travaux publics s'est appuyé principalement sur une idée qu'il a reproduite
plusieurs fois, en y insistant : c'est que le canal latéral à la Meuse était la
base de la dérivation.
A entendre M. le ministre
des travaux publics, on croirait vraiment, messieurs, que le canal latéral à la
Meuse est une invention récente, une invention qu'on doive attribuer à M. le
ministre des travaux publics, prédécesseur de l'honorable M. de Bavay.
Il n'en est pas ainsi. Il
faut rendre à chacun ce qui lui appartient. Le projet du canal latéral à la
Meuse est daté de 1822 ou de 1823, si je ne me trompe.
M. le ministre des travaux publics (M.
de Bavay). - De
1829.
M. de Tornaco. - Peu importe ;
mon raisonnement est toujours le même ; il y a donc environ 20 ans qu'on avait
conçu la pensée de doter Liège de ce canal.
Ainsi cette base sur
laquelle M. le ministre des travaux publics s'appuyait si fortement, cette base
de la dérivation, c'est-à-dire le canal latéral à la Meuse, existait en
principe depuis une vingtaine d'années. Lors donc que M. le ministre des
travaux publics prétend en quelque sorte qu'on ne pouvait s'occuper de la
dérivation que postérieurement au canal, il raisonne à faux.
Messieurs, dans une
séance précédente, j'ai fait une large concession au gouvernement ; j'ai dit,
probablement en d'autres termes, que si l’on pouvait justifier la conduite du
gouvernement, jusqu'à la proposition qui a été faite par M. l'ingénieur en chef
Kummer, depuis que le plan de cet ingénieur a été mis sous les yeux du
gouvernement, le gouvernement ne pouvait plus être justifié, ni même excusé. Je
maintiens la concession que j'ai faite.
Il y a 8 mois que le
projet de M. l'ingénieur en chef est connu de M. le ministre des travaux
publics. Je vous le demande, messieurs, fallait-il 8 mois au conseil des ponts
et chaussées pour étudier ce projet ? Fallait-il 8 mois pour que le
gouvernement proposât un projet de loi, en conséquence de l'opinion qu'il
devait se former sur le travail de M. Kummer ? Personne ne prétendra qu'il
fallût 8 mois pour une semblable étude, après les travaux préparatoires qui
avaient été faits pendant une vingtaine d'années.
Messieurs, rappelez-vous
dans quelles circonstances le projet de l'ingénieur en chef a été proposé. La
ville de Liège venait d'essuyer trois inondations consécutives pendant un seul
hiver ; tous les esprits étaient préoccupés des événements déplorables qui
venaient de se passer dans un pays voisin ; tout le monde était encore sous
l'empire de cette frayeur universelle qu'avaient répandue les catastrophes
arrivées en France ; l'industrie et le commerce de Liège étaient, alors déjà
menacés de la perte d'un débouché en Hollande, à cause des difficultés de la
navigation de la Meuse.
La province de Liège
était menacée, pas autant qu'aujourd'hui, à la vérité, mais elle était menacée
de perdre un débouche vers le midi, par suite de la construction du chemin de
fer d'Entre-Sambre-et-Meuse.
Ainsi aux dangers de
l'inondation venaient se joindre les dangers d'un chômage industriel.
Remarquez, en outre, que
c'était au milieu de la crise des subsistances que ce projet de M. Kummer était
présenté. La crise des subsistances se faisait déjà sentir dans toute sa force.
Comprenez bien tout ce qu'il y a dans la coïncidence, dans l'ensemble de ces
faits : inondations, chômage industriel et crise des subsistances ; et vous
reconnaîtrez que le gouvernement n'a pas seulement été indifférent, mais qu'il
a été imprudent, qu'il a été inhumain.
Comme vous le voyez,
messieurs, il est de toute impossibilité que le gouvernement se justifie des
accusations qui ont été dirigées contre lui, quant à son indifférence, quant à
son inaction dans des circonstances comme celles que je viens de rappeler.
Depuis, qu'a fait le
gouvernement ? On dirait que, guidé par ce mauvais génie qui plane sur lui et
auquel a fait allusion mon honorable ami M. Delfosse, le gouvernement ait voulu
joindre à ses torts précédents des torts nouveaux.
Que voyons-nous dans la
pièce qui a été jointe au rapport de la section centrale sur le budget des
travaux publics ? Nous voyons que M. le ministre des travaux publics, sans
doute pour donner une preuve de sa sollicitude en faveur des travaux de la
dérivation de la Meuse, insiste sur le chiffre de la dépense.
Il répète jusqu'à deux
fois complaisamment que la dépense s'élèvera dans son ensemble jusqu'à neuf
millions. Il ne s'est pas donné la peine de déclarer à la chambre, comme
c'était son devoir, que cette dépense devait être réduite d'environ deux
millions, que la province devait intervenir, que la commune devait intervenir.
Il devait savoir à quoi s'en tenir à cet égard, car il a été personnellement
chargé des négociations relative à cette affaire quand il n'était pas encore
ministre.
Le gouvernement, dans
cette circonstance, a manqué de franchise ; il valait mieux dire ouvertement
que vous ne vouliez pas de la dérivation de la Meuse. Votre conduite en cette
occasion prouve combien était fondée l'accusation de faiblesse et de mollesse
que je dirigeais naguère contre vous.
M. le ministre, pour
prouver qu'il n'est pas indifférent à la dérivation de la Meuse, a compliqué la
question au lieu de la simplifier ; il l'a compliquée d'une question de
négociation avec la Hollande, d'une question de péage ; il a ajouté qu'il
fallait s'entendre avec la province, qu'il fallait s'entendre avec la commune
de Liège. Mais il y a huit mois que le plan est fait ; vous ne savez pas que la
commune et la province auraient concouru à la dépense ! A quoi donc avez-vous
employé ces huit mois ?
Puisqu'enfin, messieurs,
l'honorable ministre des travaux publics tient à repousser le reproche
d'indifférence que vous lui avez adressé, pourquoi, oubliant son passé, quant à
la dérivation de la Meuse, ne nous donne-t-il pas aujourd'hui une preuve de
sympathie ? Pourquoi ne vient-il pas appuyer notre amendement ? Puisqu'il veut
prouver qu'il n'est pas indiffèrent aux travaux à l'aire à la Meuse, qu'il
vienne aujourd'hui nous donner son appui !
Je crois avoir prouvé
clairement que les reproches d'indifférence adressés au gouvernement sont
malheureusement trop fondés, et que le gouvernement ne parviendra jamais à s'en
laver.
En vous proposant notre
amendement, nous avons compté sur votre impartialité, nous avons compté sur
cette justice distributive dont je parlais tout à l'heure, qui doit être
étrangère à toute préoccupation politique. Nous faisons un appel à cette
justice.
Chaque
fois que des demandes de crédit ont été faites pour des travaux publics
intéressant les autres provinces, chaque fois qu'on est venu demander notre
concours en faveur de travaux qui devaient préserver d’autres localités du
fléau des inondations, ou leur procurer des secours, nous l'avons accordé de
grand cœur ; et en cela nous étions les interprètes fidèles des sentiments, des
intentions de nos commettants.
Liège n'a pas le cœur froid
pour les dangers qui menacent ou les maux qui affligent les autres parties du
pays. Liège ne refuse jamais de tendre une main secourable aux autres
provinces, quand elles sont dans le malheur, dans le danger. Nous venons vous
demander aujourd'hui, messieurs, une juste réciprocité.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Dans l'exécution des travaux publics, le gouvernement a seulement les
moyens qui lui sont accordés par les chambres. Mais, je le reconnais, le
gouvernement a une grande responsabilité dans la demande des moyens nécessaires
pour exécuter des travaux publics, parce que s'il y a un danger réel, sérieux
pour l'avenir du pays, c'est de compromettre, par l'exécution trop rapide de
ces travaux, dont l’utilité est d’ailleurs reconnue, notre avenir financier,
qui doit être placé au premier rang des éléments de notre nationalité, car
c'est pour notre nationalité le principal élément de force et de durée dans
l'avenir.
Qu'a-t-on fait depuis
1830, dans l'ordre des intérêts matériels, en travaux publics ? Dans aucun
pays, à aucune époque, dans les circonstances les plus favorables, on n'a fait
autant, à beaucoup près, que depuis 180». Dans le tableau de notre de dette
publique, créée pour travaux publics, nous voyons figurer deux cents el
quelques millions pour chemins de fer, travaux de toute nature, rachats de
canaux et constructions de voies de communication. Ces faits démontrent assez
que, depuis 1830, la Belgique, le gouvernement et les chambres ont fait dans
l’ordre des travaux publics des choses immenses. Je ne crois pas exagérer en
disant qu’année moyenne depuis 1830 on a consacré en travaux publics, répartis
avec justice dans toutes les provinces, sur toutes les parties du territoire,
près de 20 millions par an.
On dit derrière moi : On
a bien fait. Je rappelle ces faits pour démontrer qu’on a bien fait et qu’on a
beaucoup fait. La conclusion que j’en tire encore, c’est que si l’on a bien
fait, on a aussi agi avec prudence, on (page
1487) a eu égard aux difficultés financières ; on n'a pas prétendu décréter
immédiatement une masse de travaux publics.
Pourquoi a-t-on bien fait
? Parce qu'on a donné la préférence à des travaux directement productifs. Ce
n'est qu'en persévérant dans cette voie qu'on pourra réaliser plus encore que
dans le passé.
Les travaux publics sont
de deux genres : les uns sont directement productifs ; leur exécution se résout
en voies et moyens, indépendamment de leur utilité indirecte ; les autres ne
sont que d'une utilité indirecte ; il peut parfois suffire de cette
circonstance ; mais si l'on veut augmenter la puissance du gouvernement pour
les travaux publics, il faut donner la préférence aux travaux publics qui
donnent un produit direct en même temps qu'ils sont d'un intérêt indirect.
Les premiers se soldent
par eux-mêmes, les autres se soldent nécessairement par une augmentation de
contributions.
Sans doute, lorsque le
gouvernement a repris successivement toutes les grandes voies de communication
fluviale et de navigation artificielle, il a contracté l'obligation morale de
les améliorer. Déjà, dans cet ordre d'intérêts, le gouvernement a rempli en
partie son devoir. Il reste à faire beaucoup de travaux ; mais il faut, dans
l'exécution de ces travaux, non seulement s'attacher à les rendre directement
productifs, mais encore garantir tous les intérêts qui peuvent être en cause.
Je résume en quatre
points les difficultés qui peuvent se rattacher à la dérivation de la Meuse.
A-t-ou la certitude
absolue que ces travaux satisferont aux intérêts divers qui sont engagés dans
cette question ?
Les circonstances
sont-elles de nature à nous permettre de décréter immédiatement tous ces
travaux ?
Ne faut-il pas
préalablement régler le concours au moyen duquel se ferait cette dépense ?
Ne faut-il pas que les
péages soient réglés de telle manière que nous ayons un certain revenu, une
certaine utilité directe des travaux qu'on exécuterait ?
Je me demande d'abord
s'il existe une certitude complète que les travaux projetés par l'ingénieur Kummer
satisferont aux deux intérêts principaux : à celui de la navigation, à celui de
la sécurité de Liège.
Pour une rivière comme la
Meuse, l'expérience même que nous avons faite doit nous rendre extrêmement
prudents.
Vous avez déjà eu la
double construction du pont de la Boverie ; car le premier pont est tombé ; on
en a reconstruit un second, et aujourd'hui il est reconnu que c'est une faute,
un danger pour la navigation, une aggravation dans les conditions du batelage à
Liège. On regrette cette faute ; on l'a reconnue quand il était trop tard.
On a commis une seconde
faute, plus grave, plus irréparable encore.
Depuis dix ans, on porte
au budget 200,000 fr. pour l'amélioration de la Meuse. On a donc dépensé ainsi
deux millions. Cependant n'est-il pas reconnu que ce système d'amélioration est
insuffisant, ne satisfait pas aux intérêts qu'on a voulu protéger ? Si nous
avions les deux millions qu'on y a consacrés, nous n'aurions pas autant de
difficultés pour entrer dans un système plus vrai, plus complet.
Il me suffit de rappeler
ces faits pour démontrer à la chambre (surtout quand il s'agit d'une dépense
considérable), qu'on ne peut adopter un système qu'avec la certitude complète
qu'il sera entièrement satisfaisant pour tous les intérêts.
Il y aurait bien plus de
regrets à former, si un jour, après avoir consacré 9 millions à améliorer trois
lieues de voies navigables, on en venait à dire : Le système de M. l'ingénieur
Kummer est insuffisant ; vous devez faire pour la Meuse supérieure ce que vous
avez fait pour la Meuse inférieure, et créer un canal latéral.
Voilà une éventualité.
Lorsque les chambres
seront pleinement rassurées, auront une certitude complète, et que le pays
puisse partager, on pourra entrer dans la voie de dépenses aussi considérables.
J'ai lu le résumé de
l'avis du conseil des ponts et chaussées. Je vous demande à tous si l'on peut
dire, en invoquant cet avis, qu'il y a, je ne dirai pas certitude, mais
probabilité, que le système de M. Kummer puisse satisfaire à ces deux intérêts.
On vous dit que, malgré
l'exécution de ce système, les inondations, aujourd'hui existantes, pourront
avoir lieu.
Voilà pour le premier
intérêt.
On vous dit encore que,
pour les systèmes de barrage, il faudrait encore faire un essai.
Il y a donc doute sur
l'efficacité du nouveau moyen et sur le danger des inondations, et l'on vous
propose cependant de décréter le principe de ce système. Ce serait une
imprudence éminemment regrettable. Que demande-t-on encore ? De décréter un
système intermédiaire, de commencer l'exécution d'une partie de ce système,
sans que la seconde partie soit décrétée.
Ainsi, l'honorable M.
Delfosse l'a dit hier, la somme de 400,000 fr. qu'il propose de porter au
budget serait affectée à l'élargissement de la Meuse.
Je suppose que cet
ouvrage soit exécuté, et je me demande quel en serait le résultat ; le résultat
serait très bon pour l'écoulement des eaux ; mais si cet ouvrage était exécuté
seul, il serait très préjudiciable à l'intérêt de la navigation. Cela n'est pas
difficile à démontrer.
De quoi se plaint-on au
point de vue de ce dernier intérêt ? On se ;plaint, messieurs, de ce que la
Meuse, et, il suffit de l'avoir vue dans la bonne saison, n'est navigable que
pendant quelques mois de l'année, et de ce que le tirant d'eau y manque
notamment pendant les mois d'été. Eh bien, si en aval de Liège, vous favorisez
l'écoulement des eaux de la Meuse, le tirant d'eau, qui est insuffisant
maintenant dans la traverse de Liège, diminuera encore. (Interruption.)
Messieurs, cela est
évident, il faudrait méconnaître le principe même de la gravité terrestre pour
dire qu'on facilitant l'écoulement en aval, vous ne diminuerez pas le tirant
d'eau.
Il suffit d'ailleurs de
jeter les yeux sur le projet de M. Kummer, pour que l'évidence de ce fait soit
démontrée. En effet, sur ce plan que j'ai eu encore sous les yeux ce matin se
trouve un barrage à la fonderie de canons. L'ouvrage préconisé par l'honorable
M. Delfosse....
M. Delfosse. - Par le corps des ponts et
chaussées, pas par moi.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Je sais fort bien que cet ouvrage est approuvé par le corps des ponts
et chaussées, mais vous l'avez indiqué comme devant avoir la priorité. Ne
jouons pas sur les mois.
Je dis que si l'ouvrage
préconisé par l'honorable M. Delfosse, d'accord avec le corps des ponts et
chaussées, était exécuté sans que le principe de l'établissement de barrages
fût décrété en même temps, on aurait pu satisfaire un intérêt, mais on l'aurait
satisfait au préjudice de l'autre intérêt.
M. Lesoinne. - Cela n'est pas.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Or, à mes yeux, l'intérêt de la navigation est l'intérêt principal,
essentiel. Je passe, messieurs, au deuxième point.
Pour s'engager dans des
travaux de cette nature, il faut non seulement la certitude que les travaux
répondront au but qu'on se propose, mais les circonstances doivent être telles
que l'on puisse réaliser les moyens d'exécution. Or, sans vouloir rembrunir
notre situation, sans vouloir surtout rembrunir la situation européenne dont
nous sommes solidaires jusqu'à un certain point, nous devons tenir compte de ce
fait que par le résultat des travaux décrétés pendant ces dernières années,
nous avons aujourd'hui une dette flottante considérable, que nous devons non
seulement chercher à diminuer, mais que du moins, si nous ne pouvons pas
parvenir à réduire, nous ne devons pas aggraver.
Depuis que j'ai l'honneur
de siéger dans cette enceinte, j'ai été l'adversaire constant des bons du
trésor, non pas, messieurs, en haine des bons du trésor, ce qui serait une
chose très puérile ; j'ai combattu constamment les dépenses inutiles,
prématurées, trop considérables qui avaient pour conséquence naturelle et
nécessaire la création de bons du trésor. On ne peut pas s'attaquer à l'effet.
Il faut s'attaquer à la cause.
Je ne veux pas dire,
messieurs, qu'il faille s'abstenir à tout jamais de créer des dépenses
extraordinaires. Je ne veux pas dire que l’émission de bons du trésor dans une
certaine limite, lorsque les circonstances sont favorables, lorsque les
ouvrages à décréter sont d'une utilité évidente et ont eux-mêmes une
compensation directe, il faille toujours s'abstenir de créer des bons du
trésor. Mais le danger que j'ai constamment signalé dans cette chambre, qui
préoccupe à juste titre tous ceux qui prennent à cœur notre avenir financier,
c'est la création de bons du trésor pour des sommes illimitées, c'est la
facilité d'entraînement qu'il y a au fond de nos institutions pour augmenter
indéfiniment notre dette flottante. Il ne faut pas que les bons du trésor
soient considérés comme une chose détestable pour les autres, et qu'on les trouve
bons lorsqu'il s'agit de soi.
Messieurs, le concours,
le principe posé nettement dans la loi de 1807, était très sage, très utile. Il
est regrettable que dès le commencement des travaux publics en Belgique, on
n'ait pas appliqué rigoureusement et partout ce principe dont les conséquences
eussent été si fécondes.
En associant ainsi à
l'Etat, aux provinces, aux communes les intérêts qui se rattachent aux travaux
dont l'exécution est proposée, on eût augmenté, dans une très forte proportion,
la puissance de l'Etat, des provinces et des communes pour satisfaire à ces
intérêts eux-mêmes.
Depuis 1830, pendant
longtemps on a mis à l'écart ce principe du concours des propriétaires, des
provinces intéressées. Mais on y est revenu dans des circonstances que je rappellerai
brièvement à la chambre.
On y est revenu quand il
s'est agi de donner à une partie des Flandres une voie d’écoulement
artificielle' à la place de celle que les siècles avaient formée ; lorsqu'il
s'agissait de soustraire aux ravages d'inondations périodiques qui la
frappaient de stérilité, une partie de notre territoire, on n'est entre dans la
voie de l'exécution par l'Etat qu'à la condition d'imposer aux propriétaires un
assez large concours. Ce principe a prévalu pour le canal de Zelzaete.
On y est revenu quand il
s'est agi d'arracher à la stérilité une province tout entière par les canaux de
la Campine. Bien que les propriétés qu'il s'agissait de faire contribuer
eussent une valeur très faible ; bien que le résultat même de la colonisation
pour beaucoup de propriétaires dût paraître un sacrifice fait en pure perte, ou
d'un résultat douteux, on a imposé aux propriétés riveraines des canaux de la
Campine le concours dans la dépense d'exécution de ces canaux.
Pour la province de Liège
elle-même, si mes souvenirs sont fidèles, lorsqu'il s'est agi de créer le canal
de Maestricht à Bois-le-Duc, on a imposé, ainsi qu'à la province de Limbourg,
le concours dans la dépense.
(page 1488) Nous ne l'avons pas fait pour la création du canal
latéral à la Meuse, Mais ce n'est pas une raison pour ne pas le faire, s'il
s'agit de continuer ce canal à travers Liège ou d'améliorer tout le cours de la
Meuse ; c'est au contraire, j'ose le dire, une raison pour exiger ce concours.
M. Lesoinne. - On n'a pas refusé ce concours.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - On me dit que l'on n'a pas refusé ce concours. Mais je demande aux
honorables membres, je demande à l'honorable M. Delfosse et à l'honorable M. de
Tornaco s'ils peuvent dire, qu'à l'égard du projet de M. Kummer, le concours
voté par la ville de Liège à l'égard du projet de M. de Sermoîse, avec les
conditions y attachées, existe pour l'exécution du projet de M. Kummer. (Interruption.)
Je m'explique très franchement
sur toutes les questions, et je demande qu'on réponde à la franchise par de la
franchise.
M. Delfosse. - Nous en aurons.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Voici, messieurs, ce qui s'est passé. J'ai eu occasion de recevoir, en
qualité de ministre des finances, plusieurs députations de Liège. J'ai demandé
si ce concours subsistait toujours, et on n'a pu me donner une réponse
catégorique. On a même fait entendre que ce concours, dans les limites où il
avait été donné au projet de M. de Sermoise, ne pouvait plus être donné. Je
désire être éclairé sur ce point. S'il n'était pas parfaitement éclairci, si
nous n'avions pas une certitude complète à cet égard, il est évident qu'avant
de décréter le principe de ces travaux il faudrait avoir le concours assuré de
la part de la ville et de la province.
Je dirai plus. Le projet
actuel est beaucoup plus large ; il satisferait peut-être mieux aux deux
intérêts, et je ne crois pas que la province de Liège puisse prétendre avoir
acquitté sa contribution dans des travaux aussi onéreux au moyen d'une somme de
200,000 fr.
En supposant donc ce vote
maintenu, si l'on donne une plus grande étendue aux travaux, si on leur donne
un caractère plus complet d'utilité, il est légitime, il est nécessaire de
demander à la province de Liège un concours plus étendu que celui qu'elle avait
promis pour un projet reconnu aujourd'hui incomplet et insuffisant.
Le péage de la Meuse est
aujourd'hui, pour ainsi dire, illusoire. Supposez sur la Meuse un accroissement
double, triple, décuple du mouvement actuel, et vous n'arrivez pas à une
recette que l'on puisse considérer comme une véritable rémunération partielle
des travaux que l'on exécuterait. Or, messieurs, ainsi que je crois l'avoir
démontré tout à l'heure, nous devons nous attacher à exécuter de préférence les
travaux publics qui donnent, indépendamment de l'utilité indirecte, des
produits directs quelconques, lorsqu'il y a possibilité de donner ce caractère
aux travaux publics. Lorsque la possibilité existe, nous ne devons pas la
négliger.
L'honorable M. Delfosse a
invoqué hier l'opinion émise dans une précédente discussion par mon honorable
collègue M. le ministre de l'intérieur. Eh bien, messieurs, cette opinion, elle
est encore la nôtre aujourd'hui, mais il faut la prendre dans son entier. La
voici :
« En améliorant nos
rivières navigables, disait l'honorable M. de Theux dans la séance du 20
février 1841, il importe de veiller, qu'il résulte des dépenses considérables
dans lesquelles nous allons être entraînés d'année en année, une amélioration
de recettes au moyen d'une augmentation de droits de péage, augmentation qui
sera sans doute supportée avec plaisir par le commerce, en considération des
avantages bien plus considérables qu'il retirera d'une plus grande facilite de
navigation.
« Je désirerais donc que
toutes les dépenses faites pour l'amélioration de l'Escaut, de la Lys, de la
Meuse, des voies navigables du second ordre, soient couvertes par une augmentation
de recette proportionnée à la dépense et aux améliorations à obtenir pour la
navigation ; non seulement les intéressés payeront avec plaisir l'exécution des
travaux qui, comme je l'ai dit, procureront des avantages bien supérieurs aux
péages à établir mais ces travaux seront vus aussi avec plaisir par le pays
tout entier qui, sans cela, verrait avec peine le gouvernement et les chambres
s'engager dans une voie de dépenses qui amènerait aussi, d'année en année, une
augmentation de contributions.
Mon opinion a toujours
été qu'en faisant des travaux publics, il fallait les rendre productifs,
c'est-à-dire qu'il fallait établir des péages qui couvrissent autant que
possible les dépenses d'établissement. »
En effet, messieurs,
toute l'alternative est là. Exécutez des travaux qui, comme le chemin de fer et
les canaux donnent, indépendamment e l'utilité indirecte, un certain revenu
direct et alors, en donnant même un grand développement à ces travaux, vous ne
devrez pas augmenter les contributions. Exécutez, au contraire, dans des
conditions différentes, des travaux considérables et vous êtes amenés, par la
force des choses, à augmenter les contributions.
Est-il possible,
messieurs, d'assurer à l'exécution des travaux sur la Meuse ces deux conditions
de succès : le concours, un péage rémunératoire ? On conçoit fort bien que,
d'après les principes du droit public et d'après l'état actuel de la Meuse, le
péage puisse, doive même nécessairement être maintenu au taux illusoire où il
se trouve ; mais, messieurs, si au lieu d'avoir la Meuse imparfaite on avait,
en réalité, la Meuse canalisée, il serait évidemment nécessaire de changer
complétement les bases du péage, et le commerce pourrait payer un péage dix
fois plus fort et y trouver encore une économie considérable, non seulement
économie quant à la permanence de la navigation, mais économie quant à la
quotité, quant à l'importance des transports. j
Cette question est donc,
dans l'opinion du gouvernement, préjudicielle à l'exécution des travaux, et
cette question est internationale, elle doit être résolue par une convention
diplomatique puisque le péage est réglé par le traité de 1842. Ce serait,
messieurs, une erreur de croire que l'on puisse rencontrer dans le règlement
international de cette question, de très grandes difficultés. L'intérêt des
deux pays est commun ; l'intérêt est le même : la Meuse améliorée servirait aux
relations de la Belgique avec la Hollande comme aux relations de la Hollande
avec la Belgique et le gouvernement des Pays-Bas a montré, par la manière même
dont il a accepté les négociations pour le canal latéral à la Meuse, qu'il
comprenait, qu'il appréciait pleinement l'intérêt de sa nation pour cette voie
de communication entre les deux pays.
Ce n'est donc pas une fin
de non-recevoir, c'est un moyen de donner à ce projet des chances d'avenir, des
chances sérieuses d'exécution, que nous proposons lorsque nous disons que le
péage doit être réglé préalablement et par une convention internationale.
Je n'ajouterai qu'un seul
mot sur ce point. Je suppose que par l'adoption d'un amendement, par un vote de
la chambre belge, le principe de l'amélioration de la navigation de la Meuse
soit préjugé directement ou indirectement, et je demande si cette négociation
sera encore possible. Je demande, messieurs, si en préjugeant le principe vous
ne rendez pas nécessairement impossible toute négociation ? En effet, l'intérêt
hollandais, l'intérêt étranger, qui concourt avec le vôtre, sera satisfait par
le vote que vous aurez émis...
M. de Tornaco. - On a fait la
même chose pour le canal.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - On n'a pas fait le même chose pour le canal. La situation n'était pas
la même. On était déjà d'accord sur certains points lorsque la discussion s'est
produite. J'ai relu hier la discussion sur le canal latéral, et je dis que
lorsque la discussion a commencé, le principe était admis, on était d'accord
sur les points les plus importants.
Ensuite, messieurs, il
est une observation que je dois présenter encore. Il faut que la sollicitude du
gouvernement porte sur la Meuse tout entière. Lorsqu'il s'est agi du canal
latéral à la Meuse je me suis trouvé dans l'opposition. J'avais combattu là une
cause assez forte (et l'avenir me donne bien raison) une cause assez forte de
création de bons du trésor. Je disais alors : Vous préjugez directement ou
indirectement le principe de la canalisation de la Meuse jusqu'à Chokier ; on
me répondit : Il n'en est rien ; vous ne vous engagez à rien ; la Meuse inférieure
est la Meuse hollandaise, elle doit avoir un tirant d'eau de plus de 2 mètres ;
la Meuse supérieure, au-dessus de Liège ne doit avoir que le tirant d'eau de la
Meuse française et le crédit ordinaire que nous portons au budget, 8 à 900,000
francs, nous permettra de faire face à tous les besoins sous ce rapport.
Voilà, messieurs, ce que
l'on disait dans la discussion du canal latéral, et je crains bien qu'après
avoir dépensé 3,500,000 fr. au canal latéral, qu'après avoir dépensé 9 millions
pour l'exécution du projet de M. Kummer, nous ne soyons amenés peut-être à
canaliser, au moyen de bons du trésor, la Meuse jusqu'à Givet. Evidemment, je
le répète, toutes les parties de la Meuse ont droit, de la part des chambres et
du gouvernement, à la même sollicitude.
Ce qu'il faut, messieurs,
dans cette question, pour la résoudre d'une manière sérieuse, d'une manière
réellement utile c'est que l'instruction soit complète sur les quatre points
que je viens de signaler à la chambre. Il faut d'une part qu'on ait la
certitude complète que le projet de M. Kummer satisfait aux deux intérêts.
Cette certitude, on ne l'a pas, et il ne faut pas s'étonner qu'on ne l'ait pas
encore aujourd'hui. Le projet, dit M.de Tornaco, date de neuf mois. Mais quand
il daterait d'une année, serait-ce trop que de soumettre un semblable projet
aux délibérations les plus approfondies du conseil des ponts et chaussées,
serait-ce trop d'une espèce d'enquête dans laquelle toutes les opinions pussent
se produire avant que nous ne nous engagions dans cette dépense et pour que
nous n'ayons pas de regret de l'avoir faite ?
Il faut que l'instruction
soit complète sur la question du concours, il faut que le péage soit réglé
avant que l'on puisse préjuger l'exécution de ces travaux. Il faut enfin la quatrième
condition : que nous soyons dans des circonstances telles que nous puissions
donner, à côté du principe, des moyens sérieux d'exécution.
L'honorable M. Delfosse
nous propose, messieurs, de porter au budget une somme de 400,000 fr. Il faudra
évidemment augmenter cette somme dès l'année prochaine. Si les travaux dont il
s'agit devaient être exécutés au moyen d'une rente de 400,000 fr., il faudrait
à peu près 22 ans pour être arrive à Chockier. Ainsi ce n'est pas un crédit
annuel de 400,000 fr. qu'on demande, mais réellement plusieurs millions,
probablement l'année prochaine.
Lorsque le principe sera
admis, s'il est reconnu utile, si les questions que j'ai indiquées à
l'attention de la chambre sont résolues, il faudra savoir exécuter ce principe
d'une manière plus large, plus sérieuse ; il est tels travaux qui seraient
complétement perdus, si on y affectait une année 400,000 fr., au lieu de
600,000 fr. ; cela est vrai surtout lorsqu'il s'agit de travaux à faire à une
rivière aussi capricieuse que la Meuse.
J'ai vainement cherché
dans les actes de la chambre un précédent analogue à celui qu'on propose
d'établir aujourd'hui. L'on admet que le budget des voies et moyens est une loi
d'application des impôts existants. L'on a constamment admis, depuis 1830, que
les budgets des dépenses étaient aussi, dans certaines limites, des lois
d'application ; et jamais, je pense, don n'a rattaché à la discussion du budget
des dépenses des principes dont, les conséquences étaient aussi incalculables
que le sont celles du projet proposé par l'honorable M. Delfosse.
Si l'on a procédé ainsi,
c'est parce qu'il existe, dans le maintien de ce (page 1489) système,
un très grand intérêt pour l'intérêt financier, pour l'existence même du pays.
Si les honorables députés
de Liège peuvent, à l'occasion du budget des travaux publics, faire préjuger,
admettre même le principe d'une dépense de 12 millions ou de 9 millions, tous
les membres de cette chambre peuvent venir lui faire des propositions, selon
les intérêts qui se sont fait jour dans les localités qui les ont nommés.
Et où arriveriez-vous ?
Vous arriveriez d'abord à l'impossibilité de terminer jamais le budget des
travaux publics. Vous arriveriez en second lieu, vous arriveriez peut-être, à
raison de notre situation, à une coalition d'intérêts de localité, qui aurait
pour résultat de porter à un chiffre fabuleux le budget des travaux publics.
Si l'on ne veut pas
seulement se préoccuper du moment actuel, mais si l'on veut voir dans sa
véritable origine le système que les chambres ont invariablement appliqué
depuis 1830, il faut maintenir le principe que les dépenses d'une nature
spéciale, doivent être renvoyées à d'autres lois que les lois des budgets.
Messieurs, que
diriez-vous, si le gouvernement, à propos du budget des travaux publics, venait
proposer l'émission de quelques millions de bons du trésor, 12 à 20 millions
par exemple, pour divers travaux ? Vous diriez que la question d'utilité, la
question des voies et moyens pour chacun de ces travaux, doit faire l'objet
d'un examen spécial, et d'autant plus spécial que l'examen de la part de chacun
de nous doit être indépendant. Ce que vous n'admettriez pas, si le gouvernement
prenait l'initiative d'une semblable proposition, vous ne pouvez, par la même
raison, l'admettre lorsque la proposition est due à l'initiative de membres de
cette chambre. Car enfin le principe qu'on a toujours cherché à faire
prévaloir, le principe dont l'honorable M. Delfosse conteste la réalisation
aujourd'hui, c'est le maintien de l'équilibre entre nos recettes ordinaires et
nos dépenses ordinaires. S'il s'agit ici de l'augmentation de la dotation de la
Meuse, en faisant rentrer la dotation dans les dépenses ordinaires, on ne doit
pas décréter une émission de bons du trésor ; chose insolite, nouvelle, qu'on ne
trouvera pas dans les lois de budget depuis 1830. Si au contraire, il s'agit
d'une dépense et d'une dotation extraordinaires, il faut alors faire une loi
spéciale, et affecter à l'exécution de cet ouvrage des voies et moyens
spéciaux. (Interruption.)
On me dit : Des fins de
non-recevoir ! J'en appelle aux souvenirs de la chambre ; les considérations
que je viens de faire valoir, les principes mêmes qui m'ont servi de point de
départ, ne témoignent-ils pas du désir qu'a le gouvernement de remplir d'une manière
complète, satisfaisante, les devoirs qu'il a assumés, que le pays a assumés,
lorsque ses organes légaux ont décrété successivement la reprise de toutes nos
grandes voies de communication fluviales ? Ce ne sont pas des fins de
non-recevoir ; ce sont des moyens d'exécuter sérieusement le projet qui ne
serait que très imparfaitement préjugé par le vote que la chambre émettrait
aujourd'hui.
Et ici l'interruption de
l'honorable M. Fleussu m'amène sur un autre terrain. Je suppose que
l'amendement de l'honorable M. Delfosse ait été admis ; vous pourrez dire, dans
les législatures à venir, que le projet de M. Kummer est préjugé ; mais on
pourra très bien, après une expérience plus complète, rejeter le projet de M.
Kummer ; vous avez donc plus de garanties dans un vote direct, franc, qui porte
sur l'ensemble du système, que vous n'en avez dans le préjugé, puisé dans le
vote de quelques cent mille francs.
La conséquence de ces
observations me paraît être que l'amendement de l'honorable M. Delfosse ne peut
pas être voté dans le budget, des travaux publics ; que cet amendement, qui a
une portée si grave pour tous les intérêts, doit, conformément à plusieurs
précédents posés par la chambre, être renvoyé aux sections, pour faire l'objet
d'un projet de loi spécial. Je dis, messieurs, que cela est conforme aux
précédents de la chambre, et je crois pouvoir invoquer avec confiance
l'autorité de l'honorable M. d'Elhoungne qui a proposé plusieurs fois, pour des
questions de moindre importance, des renvois aux sections centrales.
M.
d’Elhoungne. - Je suis heureux d'avoir converti le ministère.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'espère, d'après les
motifs que j'ai fait valoir, pour engager la chambre à prononcer ce renvoi, que
personne, ni à Liège, ni ailleurs, ne se méprendra sur les intentions
bienveillantes du gouvernement à l'égard de l'amélioration de la Meuse.
M. le président. - La parole est à M. de Garcia.
M. de Garcia. - Messieurs,
comme mon intention n'est pas de parler spécialement sur la dérivation de la Meuse
dans la ville de Liège, je céderai volontiers, pour le moment, mon tour de
parole aux députés de cette localité.
M. de
Mérode. - Messieurs, en
mon absence, un honorable député de Liège a cité des paroles que j'ai prononcées,
il y a plus de cinq ans, sur la nécessité de préserver cette ville du danger
des inondations, danger qui la menace non par la faute du gouvernement, mais
d'une mesure inconsidérée de l'administration locale par laquelle on a fermé le
canal dit, je crois, de la Sauvenière pour en faire une promenade.
Mais lorsque j'ai parlé
en ce sens, j'ai toujours supposé qu'en votant la dépense on voterait la
recette et je n'appelle pas recette les bons du trésor, les emprunts, contre
lesquels je me suis, au contraire, élevé sans cesse, parce que leur
accroissement est bien plus dangereux pour le pays entier que les grandes eaux
pour la ville de Liège.
Tous les jours, en effet,
j'entends attaquer les impôts existants, l'impôt du sel, les péages même sur
les canaux dès qu'ils commencent à fournir à l'Etat une ressource tant soit peu
considérable. Et les orateurs qui adressent au gouvernement et à la chambre des
demandes qui ont la sympathie populaire locale, parce qu'il est toujours
agréable de recevoir, doivent être mis à l'épreuve sur le côté moins gracieux
de ces propositions, à savoir le côté d'une recette réelle, non rejetée sur
l'avenir qu'on suppose inépuisable et qui plus rapproché que nous ne le
croyons, aura ses embarras infaillibles comme nous avons les nôtres.
Messieurs, l'année
dernière et cette année ont exigé des dépenses imprévues pour le soulagement
d'une misère extrême dans les Flandres et quelques autres lieux. On a voté pour
cet objet près de quatre millions en bons du trésor, et remarquez-le bien, les
substances alimentaires acquises au dehors par ces sommes ont été chèrement
obtenues pour le pays, d'où il a fallu exporter le numéraire sans pouvoir payer
avec des produits comme échange, puisque les toiles ne trouvent pas de
débouchés. J'engage donc le gouvernement à ne pas adopter le système de travaux
très coûteux commencés par fractions de quelques centaines de mille francs
payés avec la fâcheuse ressource des bons du trésor ; mais à présenter
franchement la dépense totale appréciée dans toute son étendue et payable à
l'aide de recettes par des contributions équivalentes aux frais d'exécution.
De cette manière les
populations seront informées des charges et des avantages qu'elles ont à
recueillir soit de la dérivation de la Meuse, soit de tout autre travail, et
les représentants qui voteront les impôts nécessaires à ces fins ne seront pas
exposés à l'animadversion publique comme peu soucieux des contribuables, tandis
que, d'autre part, ceux qui refuseraient les voies et moyens n'auront plus en
perspective la popularité qui s'attache au rejet des taxes nouvelles.
Ainsi, par exemple,
l'honorable M. Pirson qui veut maintenir l'armée sur pied telle qu'elle est, et
je pense comme lui sur ce point, ainsi que la majorité composée des deux
fractions de la chambre, qui a senti la nécessité d'une bonne organisation
militaire, l'honorable M. Pirson donnera son assentiment aux contributions
proposées par le gouvernement pour l'amélioration du régime de la Meuse, si le
gouvernement a l'énergie et la prudence de ne point séparer les moyens
pécuniaires à recueillir des frais à subir pour l'accomplissement des vœux
exprimés par l'honorable député de Dinant.
J'ajoute encore qu'il
faut ici distinguer les intérêts des propriétaires et ceux des négociants et
fabricants ; car les premiers doivent beaucoup plus craindre les emprunts que
les seconds ; en effet ceux-ci courent en général après une fortune aussi
promptement acquise que possible sans se soucier beaucoup de l'avenir financier
de l'Etat ; les seconds, au contraire, qui n'ont que la simple ambition de
conserver leur avoir ont tout à craindre de l'accumulation des dettes
publiques, dont le fardeau retombera eu définitive lourdement sur eux, et par
suite sur le peuple qui ne saurait vivre du tribut payé par le pays aux banquiers
prêteurs ou à leurs ayants droit ; mais bien à l'aide des dépenses diverses que
peuvent se permettre ceux qui jouissent de revenus disponibles, lesquels
cessent de l'être quand on doit en grande partie les appliquer à la solde
d'énormes intérêts qui chargent les finances de l'Etat. A la suite des
observations qui précèdent ma conclusion propre est donc que je suis prêt à
donner mon concours aux travaux nécessaires pour la sécurité de la ville de
Liège, mais à condition que le gouvernement proposera et obtiendra, autrement
que par emprunt, les frais qu'exige ce travail.
Quant à la navigation
qu'on voudrait voir excellente sur tout le cours du fleuve, je dis que faire
cette dépense, tandis qu'une foule de communes n'ont point encore de routes
pavées ou empierrées (et je citerai entre autres les communes situées entre
Wavre, Perwez et Hannut, et tant d'autres dans la Hesbaye), c'est préférer à
l'indispensable le perfectionnement, et comme il est impossible de créer tout à
la fois, je dis que les intérêts de l'agriculture dans les plus fertiles
plaines du pays doivent passer avant un intérêt commercial, qui déjà trouve une
facilité incomplète, je le sais, mais enfin une facilité plus grande même que
celle qu'offre un chemin de fer ; puisque le chemin de fer de Liège à Namur est
en construction, et qu'on paraît considérer le transport par la Meuse, telle
qu'elle est, comme plus économique encore.
La commission des
finances du budget de 1844, pour la France, présentait dans son rapport les
réflexions et conseils suivants :
«
Pourquoi ne dirions-nous pas que les capitaux qui alimentent la dette flottante
et la rendent si légère aux jours prospères peuvent, avec leur mobilité, à un
jour donné, créer d'extrêmes embarras au trésor ? Nous conjurons donc le gouvernement,
et M. le ministre des finances en particulier, de résister à cet entraînement
qui porte fatalement vers les dépenses ; nous le conjurons de ramener
l'équilibre dans les budgets, de n'entreprendre de nouveaux travaux qu'avec une
extrême réserve, de résister à toutes les demandes qui ne se recommandent pas
par un puissant et pressant intérêt général. Nous avons dit que nous avons foi
dans la richesse de la France, mais c'est à condition de ne pas la soumettre à
de trop rudes épreuves, et quant à l'exécution des travaux entrepris, nous
l'invitons à ne pas se laisser dominer par la pensée absolue de les terminer
rapidement ; il y a une situation générale à consulter, des éventualités dont
il faut tenir compte, et enfin une limite à poser au crédit sur lequel cette
situation repose. »
Messieurs, rien n'est
plus applicable à la Belgique aujourd'hui que ces observations.
M. Verhaegen. - Messieurs, je voterai pour la
proposition de (page 1490) mes
honorables amis de Liège parce qu'elle est juste ; et je vais, en peu de mots,
vous faire connaître les motifs de ce vote.
D'abord, un point
incontestable, c'est que les travaux de dérivation de la Meuse sont des travaux
nécessaires, des travaux indispensables, des travaux urgents. Depuis huit ans,
cette nécessité, cette urgence ont été reconnues par toutes les autorités, et
le gouvernement a pris des engagements formels envers la province de Liège.
Quelle est donc la cause de ce revirement ? Car évidemment le ministère recule
; les moyens qu'il met aujourd'hui en avant pour combattre la proposition de
mes honorables amis ne sont, en définitive, que des moyens dilatoires.
D'un côté, d'après M. le
ministre des finances, nos ressources financières ne nous permettent pas de
faire les dépenses qu'occasionneront ces travaux ; il ne faut pas pour des
travaux, d'utilité même incontestable, recourir à des emprunts, créer des bons
du trésor. D'un autre côté, la question n'est pas mûrie : il faut régler le
concours de la province, des communes et des propriétaires ; il faut fixer
préalablement et d'une manière équitable la hauteur des péages ; il faut même
une négociation avec un pays voisin. Jusque-là l'on ne peut pas arrêter de
mesures définitives.
Mais, messieurs, on
savait tout cela en 1842, on savait tout cela lors qu'on s'est engagé de la
manière la plus formelle envers les députés de Liège, à exécuter les travaux
dont ses députés avaient démontré la nécessité et l'urgence, et je ne vois pas
que des circonstances nouvelles aient apporté un changement à cet état de
choses.
M. le ministre des
finances divise les travaux publics en deux catégories. Il y a, dit-il, des
travaux publics d'utilité directe, et des travaux publics d'utilité indirecte.
Les premiers sont ceux qui se résument en une augmentation de voies et moyens,
et qui se soldent par eux-mêmes, tandis que les seconds ne produisent rien et
ne se couvrent que par des impôts nouveaux. Ce n'est là, messieurs, qu'une
subdivision qui trouve sa place dans une division principale : je divise, moi,
les travaux publics en trois catégories, savoir : les travaux de nécessité que
j'appellerai aussi des travaux d'humanité, les travaux d'utilité et enfin les
travaux de luxe.
Il en est pour l'Etat
comme pour les particuliers, l'Etat comme les particuliers doit envisager les
dépenses qu'il a à faire sous trois points de vue différents : il y a des
dépenses nécessaires, des dépenses utiles et des dépenses voluptuaires.
J'admets avec M. le ministre des finances que pour des dépenses de simple
utilité, il ne convient pas de recourir à des emprunts, à des émissions de bons
du trésor ; qu'il faut attendre le moment où les ressources du budget puissent
y faire face. Mais il n'en est plus ainsi, lorsqu'il s'agit de dépenses
nécessaires, indispensables, urgentes ; de dépenses que réclame l'humanité ;
alors les principes invoqués par M. le ministre des finances ne peuvent plus
recevoir d'application. Car la sûreté des personnes et des propriétés est la
base fondamentale de toute société politique.
Maintenant, de quels travaux
s'agit-il dans l'espèce ? Si j'ai bien compris mes honorables amis, il y a,
d'après le rapport de l'ingénieur Kummer, et des travaux de nécessité et des
travaux d'utilité à exécuter à la Meuse, et ces travaux de catégories
différentes, il ne faut pas les confondre.
Il y a d'abord les
travaux que nécessite la dérivation de la Meuse, il y a ensuite les travaux que
réclame l'amélioration de la navigation.
Quant à ces derniers, je
les considère comme des travaux de pure utilité, et je veux bien appliquer à
ces travaux les principes invoqués par M. le ministre des finances ; mais
quant aux premiers, je les considère comme des travaux d'une nécessité absolue,
comme des travaux indispensables.
Messieurs, on nous a
toujours parlé de neuf à dix millions pour les travaux dont il s'agit dans le
présent débat : c'est une erreur, résultat d'une confusion de deux choses
essentiellement distinctes : tous les travaux en général peuvent monter, il est
vrai, à neuf ou dix millions, mais les seuls travaux que nécessitera la
dérivation, les seuls dont il soit question dans la présente discussion, ne
doivent occasionner en tout et pour tout qu'une dépense de quatre millions y
compris même le barrage mobile et accessoires.
Il ne faut donc pas qu'on
vienne effrayer la chambre avec une dépense de 9 à 10 millions ; il ne s'agit
en réalité que de 4 millions, et encore la ville de Liège entre dans cette
somme pour un million, la province pour 200 mille fr., et si l'on tient compte
du produit des terrains qui pourront être vendus au profit de l'Etat, on aura
sans exagération à défalquer au moins deux millions, de manière que la dépense
à supporter par l'Etat se réduirait à 2 millions.
Eh bien, pour un acte de
justice (car il faut être juste envers toutes les provinces), deux millions ne
m'effrayent pas. Je ne puis pas reculer devant un vote de deux millions,
lorsqu'il s'agit d'éviter des désastres tels que ceux qui nous ont été
signalés, lorsqu'il s'agit de travaux dont l'urgence est constatée ; de travaux
que tous les ministres ont reconnus être nécessaires, indispensables, et ont
formellement promis d'exécuter ; de travaux, en un mot, que commandent la
sûreté des habitants et la conservation de leurs propriétés.
Messieurs, je m'étonne
que l'honorable comte de Mérode soit aujourd'hui d'un avis tout à fait opposé à
celui qu'il avait énoncé en 1842. L'honorable comte faisait à cette époque la
distinction que j'ai faite moi-même ; lui aussi envisageait les travaux publics
au point de vue et de la nécessité et de l’utilité. Les travaux de la
dérivation de la Meuse, il les rangeait parmi les travaux de nécessité. Il
parlait bien de l'insuffisance des ressources ; car il faut lui rendre cette
justice que toujours, quand il s'est agi de décréter des dépenses nouvelles, il
voulait, avant de les voter, créer des voies et moyens nouveaux pour y faire
face, mais il n'appliquait réellement son observation qu'aux travaux de pure
utilité.
Ainsi, il voulait bien
qu'on exécutât le canal de la Campine, qu'on améliorât la navigation de la
Meuse et qu'on fît d'autres travaux encore ; mais comme c'étaient des travaux
d'utilité et non de nécessité, il voulait qu'on les remît à des temps plus
favorables ; mais il s'expliquait tout autrement quand il parlait de la
dérivation de la Meuse. L'honorable comte disait :
« Je pense, avec
l'honorable M. Dumonceau, qu'il importe de travailler à la dérivation de la
Meuse, parce que c'est un objet qui intéresse la sécurité de beaucoup
d'habitants d'une localité ; mais la difficulté, pour moi, c'est toujours de
trouver des voies et moyens pour créer tous ces travaux.
« J'entends parler de la
canalisation de la Campine ; j'entends parler de travaux à faire à la Meuse
pour la rendre parfaitement navigable. Tout cela est, sans doute, infiniment à
souhaiter ; mais je ne sais comment M. le ministre, avec tout le talent
imaginable, pourra trouver les ressources nécessaires pour faire face à ces
dépenses.
« Mais, en attendant, ce
qui est urgent, ce sont les travaux relatifs à la dérivation de la Meuse dans
la ville de Liège, à cause des dangers qui résultent de la situation actuelle
des choses. »
C'était en 1842 que
l'honorable comte de Mérode reconnaissait cette urgence ; il la reconnaissait
d'accord avec le gouvernement ; et depuis tous les ministères qui se sont
succédé l'ont proclamée unanimement.
Vous voyez donc,
messieurs, que l'honorable comte de Mérode admettait comme moi la division des
travaux publics en travaux d'utilité et en travaux de nécessité.
Il est assez singulier
que, lorsqu'il s'agit de la dérivation de la Meuse, que tout le monde considère
comme des travaux de nécessité absolue, on veuille faire prévaloir des
principes tout autres que ceux qu'on proclame quant aux travaux de pure
utilité, je pourrais même dire quant aux travaux de luxe.
Ainsi je vois, d'après un
projet de loi que nous discuterons bientôt, que nous avons acheté deux hôtels
dans la rue Royale, pour y loger des membres du cabinet, déjà logés ailleurs.
Le prix d'acquisition est d'un demi-million, et en y ajoutant les frais
d'appropriation, la dépense se montera au moins à un million. Cette dépense
peut être très utile, bien entendu, quand on a de l'argent ; mais, à coup sûr,
ce n'est pas une dépense de nécessité.
Je vois ensuite, dans le
budget, d'autres allocations pour des objets de moindre importance ; mais cette
fois ce ne sont même plus des dépenses utiles, ce sont des dépenses
voluptuaires ; je trouve, en effet, des allocations pour un pavillon au
ministère des finances, plus pour un pavillon au ministère de la justice, et
ces pavillons, si mes renseignements sont exacts, ne sont que des serres
destinées à la culture de plantes exotiques.
Depuis l'achat des deux
hôtels rue Royale, on a, paraît-il, renoncé à ces demandes d'allocations ; mais
l'intention primitive de grever le budget de dépenses purement voluptuaires
n'en existait pas moins de la part de ceux qui refusent aujourd'hui à Liège des
dépenses d'absolue nécessité.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Ce sont des pavillons pour les bureaux.
M. Verhaegen. - Je suis charmé de l'apprendre ;
mais j'en doute encore.
Est-ce encore pour les
bureaux qu'on orne nos stations du chemin de fer de meubles d'un luxe insolent
et qu'on dépense à cette fin plusieurs centaines de mille francs ?
On trouve dans certaines
de nos stations des meubles en mahoni du plus grand prix, des bronzes, des
tapis partout ; et on vient nous parler de la pénurie de nos finances quand il
s'agit de dépenses urgentes, indispensables ! Pour moi, messieurs, je ne veux
pas de la responsabilité d'un refus qui pourrait amener des désastres que nous
aurions à regretter toujours.
M. le ministre des
finances a cru trouver un bon moyen d'embrouiller la question en nous disant
que l'on ne peut rien faire pour la dérivation de la Meuse, sans s'occuper en
même temps des intérêts de la navigation, et il a même jeté en avant une
considération qui probablement sera rencontrée par nos honorables amis, à
savoir qu'il faudrait achever les travaux réclamés pour l'amélioration de la
navigation avant de pouvoir commencer les travaux de la dérivation.
Il n'y a, messieurs, à ce
système qu'une petite difficulté : c'est que M. le ministre des finances
considère l'intérêt de la navigation comme l'intérêt principal, tandis que moi,
je ne le considère que comme l'intérêt accessoire. Je l'ai déjà dit, la dépense
qui doit résulter des travaux que réclame l'amélioration de la navigation n'est
qu'une dépense d'utilité, tandis que la dépense que doit occasionner la
dérivation est une dépense nécessaire, indispensable, une dépense que réclame
impérieusement l'humanité.
Messieurs, la chose
réduite à ses véritables éléments, il est évident que la dépense n'est pas
aussi forte qu'on veut bien nous le faire croire ; en effet elle doit se
réduire, d'après ce que nous en savons aujourd'hui, à environ 2 millions. Or,
si ces deux millions sont nécessaires pour donner à nos concitoyens la garantie
qu'ils ont le droit de réclamer, nous n'avons pas à reculer.
(page 1491) On veut, messieurs, régler préalablement le concours (et
c'est encore un prétexte dont M. le ministre des finances s'est servi pour
retarder l'adoption de la mesure proposée par nos honorables amis). On vient
nous dire que chaque fois qu'il s'est agi de travaux de cette nature, on avait
commencé par s'occuper du concours. On a cité pour exemple le canal de
Zelzaete, le canal de la Campine.et autres travaux de ce genre.
Je comprends fort bien
que, pour de semblables travaux, il ait pu y avoir matière à demander le
concours des propriétaires. Car les propriétaires fonciers avaient beaucoup à
gagner par l'exécution de ces travaux. Ainsi, les propriétaires fonciers de la
Campine gagneront considérablement par la canalisation de cette contrée, et il
était naturel dès lors qu'ils vinssent concourir dans la dépense.
Mais je ne sais vraiment
pas quels propriétaires, dans le cas qui nous occupe, on voudrait atteindre,
Seraient-ce les habitants de Liège ou des environs qui souffrent des
inondations ? Mais l'Etat est obligé de les garantir contre les inondations du
fleuve qui est sa propriété, c'est là une des conditions de l'association. Les
avantages qui pourront résulter de la navigation ! Mais ce n'est pas
encore de cela qu'il s'agit pour le moment ; et alors même qu'il s'en agirait,
qui donc en profiterait ? Ce ne seraient pas quelques propriétaires, ce serait
le commerce, l'industrie belges eu général. Il n'y a donc pas matière à parler
du concours des propriétaires pour les seuls travaux dont il s'agit en ce
moment.
Veut-on équivoquer sur le
concours de la ville de Liège et de la province ? Veut-on venir dire que ce
concours avait été promis en vue du projet de Sermoise, et que rien n'est
déterminé quant au nouveau projet de l'ingénieur Kummer ? Mais il y a un moyen
bien simple de faire disparaître cette équivoque ou plutôt ce prétexte.
Si je me rappelle bien,
dans une autre circonstance, pour le canal de Schipdonck, on a ajouté à la loi
: « Sauf à régler ultérieurement le concours des propriétaires, des
provinces et des communes ». Eh bien, on pourrait ajouter aussi, si la
chose n'est pas suffisamment arrêtée et réglée : « Sauf à déterminer par
la loi le concours de la ville et de la province ».
Car,
je ne pense pas, je le répète, qu'il puisse être question dans l'occurrence du
concours des propriétaires. C'est un moyen sur lequel je fixe l'attention de
mes honorables amis de Liège, et qui est de nature à faire justice de
l'exception dilatoire opposée par M. le ministre des finances.
Voilà, messieurs, les
motifs pour lesquels je voterai en faveur de la proposition de mes honorables
amis de Liège. Je ne vois dans cette question rien qui soit relatif à la
navigation, je n'y vois qu'une question concernant la dérivation de la Meuse,
et cette question est jugée depuis longtemps.
M. Fleussu. - J'aurais été bien étonné,
messieurs, si dans cette discussion nous n'avions pas rencontré pour
contradicteur l'honorable ministre des finances. Nous nous souvenons tous que
dans une autre question, lorsqu'il s'agissait du canal latéral à la Meuse, nous
n'avons pas eu d'adversaire plus chaud ni plus opiniâtre. L'honorable M. Malou,
qui tient à passer pour un homme conséquent, ne pouvait pas manquer dans cette
circonstance de marcher dans la voie où il s'était engagé d'abord.
Mais alors, messieurs, il
ne pesait dans la discussion que de sa valeur personnelle ; aujourd'hui il pèse
à double titre : et par sa valeur personnelle, et par la position qu'il a
acquise depuis cette discussion.
Toutefois, messieurs,
nous espérons que les raisons qu'il a données ne resteront pas sans réplique,
et que la chambre voudra bien peser celles que nous allons lui présenter en
réponse aux observations de M. le ministre des finances.
Messieurs, je crois que
personne ne peut contester l'importance des riches et nombreux établissements
qui ont leur siège sur les rives de la Meuse. C'est là, messieurs, qu'est le
bassin houiller, dont les travaux donnent du pain à des milliers d'ouvriers.
C'est là, messieurs, que l'industrie métallurgique s'est développée d'une
manière merveilleuse, et c'est grâce à ce développement qu'aujourd'hui les
houillères ne sont pas dans un état de stagnation et que nous n'avons point
pour nos ouvriers les malheurs du paupérisme qui désole les Flandres. C'est sur
les rives de la Meuse que vous pouvez voir allumés 25 hauts fourneaux ; c'est
là que vous voyez des fabriques de zinc, des alunières, des fours à chaux, des
carrières de pierres à bâtir et beaucoup d'autres industries encore.
Mais, ce qui est encore
incontestable, c’est que la Meuse, qui passe au milieu de tous ces
établissements, ne leur rend que de faibles services, tandis qu'elle pourrait
leur rendre des services signalés.
Ai-je besoin de vous
dire, messieurs, combien est défectueuse et dangereuse même la navigation de la
Meuse ? Ai-je besoin de vous dire que, dans les sécheresses, les eaux sont
tellement basses que la navigation est entièrement interrompue ? C'est ainsi,
messieurs que, dans les étés secs, et je citerai celui de 1846, les bateaux ont
été amarrés pendant 7 mois. Lors des inondations, messieurs, et elles sont
périodiques, elles arrivent ordinairement deux fois par an, une fois en automne
et une fois au printemps, la violence des eaux est telle que la navigation est encore
interrompue. L'hiver, les glaçons forment encore très souvent obstacle à la
navigation de la Meuse.
Il en résulte que ce
fleuve, qui devrait servir de moyen d'exportation à tous les établissements
dont je vous ai parlé, ne peut leur servir que pendant trois mois par an ; et
en disant trois mois, je crois me montrer très large.
Savez-vous, par une
conséquence ultérieure ce qui arrive ? C'est que les industriels ne peuvent
conclure aucun marché, par la raison toute simple qu'ils ne sont pas sûrs de
pouvoir faire parvenir, à l'époque convenue, les marchandises pour lesquelles
ils auraient traité.
Lorsque, messieurs, nous
étions réunis à la Hollande, nous avions exclusivement le marché de ce pays, et
alors les inconvénients de l'état de choses que je signale étaient beaucoup
moindres, parce que les industriels des autres pays ne pouvaient pas apporter
leurs produits sur le marché hollandais en concurrence avec les nôtres. C'est
ainsi, par exemple, que pour la houille, on pouvait choisir le moment le plus favorable
à l'expédition, sans s'exposer à trouver le marché de la Hollande encombré,
tandis que maintenant on y trouve des houilles de la Ruhr, des houilles
d'Angleterre, et même des houilles du Hainaut. Il en résulte très souvent que
les exploitants du bassin de Liège doivent rester avec leurs marchandises
vis-à-vis de leurs établissements
Je viens, messieurs, de
vous parler de l'état général de la Meuse, mais que sera-ce donc quand je vous
parlerai de la Meuse dans la traverse de Liège ? Vous savez, messieurs, que
c'est là que se présentent les plus grands dangers, je ne parle pas des
inondations, et l'année dernière nous avons été au point de voir de grands
malheurs se réaliser ; je parle seulement de la navigation. Lorsqu'on arrive en
vue de Liège, à un endroit dit : Chapelle du Paradis, il faut découper les
bateaux et les diriger l'un après l'autre à travers les arches des ponts.
Lorsqu'il s'agit de remonter le fleuve, (c'est une chose incroyable) savez-vous
le temps qu'il faut pour traverser la ville ? Il faut 8 heures pour faire un
trajet d'une demi-lieue. Il faut que les bateliers traversent deux fois la
Meuse avec leurs chevaux. Eh bien, comme, c'est principalement en hiver que la
navigation a lieu, il se trouve qu'il faut toute une journée pour remonter la
Meuse dans la traverse de Liège, car 8 heures, en hiver, forment bien une
journée.
Maintenant, parlerai-je
des sinistres qui n'arrivent que trop souvent dans cette traverse ? Mais il
arrive des moments où la violence des eaux est telle que rien ne peut y
résister. Ainsi deux fois, dans le cours des temps, un pont a été emporté par
les eaux, et pour éviter au troisième le même sort, on a bâti une espèce de
montagne, une espèce de citadelle, le pont des Arches.
A chaque instant nous
voyons s'écrouler les murs des usines qui sont baignées par les eaux de la
Meuse. Il n'y a pas longtemps que l'usine de M. Vanderstraeten a été ainsi
emportée. Il est une autre usine encore qui court maintenant des dangers
sérieux, et si elle ne résiste pas, il en résultera de grands désastres ; c'est
un moulin à vapeur qui appartient, je pense, à un M. Paulus. Si cette usine
vient à être emportée, vous verrez les eaux faire irruption dans le quartier
d'Outre-Meuse et les ravages seront épouvantables. Il faudra, pour réparer les
ravages de cette irruption, plus de millions qu'on n'en demande pour remédier à
l'étal actuel des choses ; et lorsque vous aurez dépensé 7 ou 8 millions pour
cette réparation, le mal subsistera encore.
M. de
Mérode. - Il en est de
même de toutes les rivières.
M. Fleussu. - Je sais bien que toutes les
rivières présentent des inconvénients. Nous avons vu les terribles désastres
causés par les débordements de la Loire ; mais voyez-vous le gouvernement
français se croiser les bras ? Il vient encore de consacrer 7 ou 8 millions à
cet objet.
Je vous dirai, messieurs,
que, depuis ce malheur, une véritable épouvante s'est emparée de la ville de
Liège ; on craint que cette ville ne soit un jour ou l'autre frappée également
d'un pareil désastre.
Messieurs, je ne sais si
je dois parler des morts violentes qui ont lieu chaque mois dans la traverse de
Liège. Si je vous rappelais tous les sinistres qu'à chaque instant nous avons à
enregistrer, il y aurait en vérité, de quoi effrayer votre imagination.
Je me souviens très bien
qu'en 1842, lorsque l'honorable M. Raikem appuyait une pétition où l'on
signalait tous les sinistres qui se reproduisent journellement, la sensibilité
de l'honorable comte de Mérode était tellement excitée qu'au moment même il dit
: Mais il faut exécuter la dérivation de la Meuse ; il y a trop de victimes !
Maintenant on veut ajourner le projet, maintenant on est indifférent aux
malheurs qui arrivent, on recule devant la dépense.
Une chose extrêmement
remarquable, c'est que les inconvénients que je viens de signaler ont été
reconnus par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 50 ans, que tons
ont reconnu qu'il fallait y porter remède, mais qu'aucun deux n'a mis la main à
l'œuvre. Il a été fait des études, des projets, des plans, dont le nombre est
vraiment fabuleux, : mais rien n'a été exécuté. En 1814, ou avait, comme je
viens de le dire, reconnu que la Meuse ne pouvait pas rester dans l'état où
elle était. Un ingénieur français qui, je crois, se nommait Lejeune, avait
préparé des études, et on allait mettre la main à l'œuvre, lorsque les
événements de 1814 sont venus y mettre obstacle. Après, l'administration de la
Meuse a été placée dans les attributions de l'autorité provinciale. L'autorité
provinciale, vous le sentez, n'avait point les ressources financières
nécessaires pour faire les grandes améliorations que l’on sollicite en ce
moment ; et cependant, messieurs, les malheurs étaient si fréquents, les
inconvénients de la navigation étaient tels, qu'alors même l'autorité
provinciale, d'accord avec l'autorité de la ville, avait concerté un plan, pour
tâcher d'y porter un remède quelconque. Déjà l'on commençait à le réaliser ;
mais on fit remarquer que c'était une amélioration tout à fait incomplète et
qui pourrait faire ajourner d'autres améliorations plus importantes ; les
réclamations ont été si vives que les travaux ont été (page 1492) suspendus et que les pierres sont encore sur les bords
de la Meuse comme des pierres d'attente.
Le gouvernement belge a
repris l'administration du fleuve ; et on doit le dire à sa louange : après
avoir repris cette administration il s'est hâté de faire faire des études non
seulement à Liège, mais sur tout le cours du fleuve. Puisque tous les ingénieurs
des ponts et chaussées ont été occupés à chercher un remède aux inondations de
la Meuse, et à tâcher de rendre la navigation plus facile et plus régulière.
C'est ainsi qu'à Liège nous avons vu successivement M. Willmar, Vifquain, de
Sermoise, Guillery et Kummer. Tous ces ingénieurs ont fait des études, des
travaux. Le projet de M. de Sermoise a longtemps occupé les esprits : il y a eu
entre la ville de Liège et le gouvernement, de longues négociations pour amener
l'exécution du projet ; mais elles sont restées sans résultat.
Le projet de M. Kummer
est arrivé dans l'intervalle. Oh ! celui-là paraît satisfaire à toutes les
exigences, c'est un projet complet, ce sont des études approfondies ; c'est,
nous a-t-on dit, un ensemble d'ouvrages depuis Maestricht jusqu'à Givet. Eh
bien, après des études de 25 années, quand tous les ingénieurs ont été
consultés, quand on a enfin un système complet qui paraît satisfaire à tous les
besoins, à quoi arrivons-nous ? A l'inaction ; c'est-à-dire que vous aurez
dépensé beaucoup d'argent pendant 25 ans pour faire faire des études, des plans
; c'est-à-dire que vous aurez bercé la ville de Liège et tous les riverains de
la Meuse de beaucoup d'espérances, et quand vous n'avez plus qu'à mettre la
main à l'œuvre, vous déclarez que vous ne ferez rien ! Mais mieux eût valu
alors ne pas entreprendre tous ces travaux préparatoires.
Et que nous dit-on pour
justifier cette inaction ? Il faut bien qu'on s'explique, et l'on ne peut
convenablement se contenter de dire : « Nous ne voulons pas travailler ! »
C'est inadmissible ; pour se tirer d'embarras, on procède par des exceptions
dilatoires, et, si j'en crois le ton qu'a pris aujourd'hui M. le ministre des
finances, il ne faudra pas qu’il s'écoule beaucoup de temps, pour qu'il convertisse
ces exceptions en exceptions péremptoires. Je demande pardon à la chambre
d'employer ces expressions en usage au barreau, mais elles sont bien connus de
l'adversaire auquel je les adresse.
Voyons sur quoi reposent
les exceptions.
On nous dit d'abord que
les dépenses sont si considérables qu'elles exigent le concours de la ville et
de la province.
Je répondrai d'abord que
vous ne faites que remplir un devoir envers la ville, en la mettant à l'abri
des inondations ; le fleuve appartient à l'Etat ; l'Etat doit le diriger de
manière à ce que personne n'en souffre. Voilà le principe général.
Toutefois, je veux bien
admettre que la ville doive concourir : elle vous a offert un million pour
l'exécution du plan de M. de Sermoise ; eh bien, je pense que, pour échapper
une bonne fois aux inondations, elle offrira encore un million ; c'est mon
opinion ; mais je ne le garantis pas ; seulement je puis vous dire que rien
n'empêche d'accepter les 400,000 fr., et si le concours de la ville vous
manque, vous aurez alors raison de déclarer : « Nous n'avons pas pu employer
les 400,000 fr. »
Messieurs, si nous
séparons les travaux relatifs à la navigation, et qui se prolongent jusqu'à
Chokier, d'avec ceux qui concernent la dérivation de la Meuse, on trouve que
ces derniers travaux emportent une somme d'environ 4 millions. Eh bien, la
ville de Liège offre un million et la province 200,000 fr. ; on ne vous a pas
tout dit : dans la convention qui se rattache au projet de M. de Sermoise, la
ville de Liège faisait, si je ne me trompe, l'abandon au gouvernement d'une
quantité considérable d'hectares de terrains, dont la vente pourra produire une
somme assez ronde.
Voilà donc environ
2,000,000 de francs que la ville et la province mettent à la disposition du
gouvernement, de manière que cette grande dépense dont on vous effraye, se
réduira pour l'Etat à 2 millions. Eh bien, pour une somme je dirai aussi minime
quand il s'agit d'un Etat, faut-il laisser une ville aussi importante que celle
de Liège dans une position critique pendant un temps indéfini ?
Messieurs, on vous parle
du traité avec la Hollande. Mais en vérité ne semble-t-il pas que nous soyons
encore sous la dépendance de la Hollande, que nous devions implorer le bon
vouloir de la Hollande pour les travaux que nous avons à exécuter chez nous ?
Mais quand vous avez conclu le traité de 1842, vous faisiez déjà faire des
études sur la Meuse ; vous saviez que des travaux seraient exécutés sur la
Meuse, que les études, ordonnées par vous, devaient être suivies d'exécution ;
quand vous avez fixé vos péages de concert avec la Hollande, c'était en vue des
travaux qui étaient en perspective
Pensez-vous que la
Hollande méconnaîtra ses intérêts au point de consentir à une augmentation de
péages ! La Hollande connaît votre position ; elle sait que vous êtes forcés de
faire ces travaux ; elle ne vous fera aucune des concessions que vous demandez.
Je viens de répondre aux
objections, que nous avons trouvées dans le rapport de l'honorable M. Brabant ;
c'étaient trois fins de non-recevoir sur lesquelles d'honorables collègues se
sont déjà expliqués. Je m'attendait, lorsque M. le ministre des travaux publics
a pris la parole dans la séance d'hier, à lui voir une réserve de quelques
moyens un peu plus solides ; je l'ai écouté avec curiosité, et ma foi, je dois
en faire l'aveu, je n'ai pas compris grand-chose dans ses explications orales.
En effet, voyez comme M. le ministre a raisonné. Il s'agit de travaux à
exécuter en amont ou en face de Liège ; eh bien, de quoi vous a entretenus M.
le ministre des travaux publics ? D'études qui, en 1843, ont été faites en
aval, d'études qui sont devenues tout à fait inutiles, depuis que vous avez
décrété le canal latéral. Il s'agit de travaux à exécuter en amont, et M. le
ministre vous parle du canal latéral ! Il s'agit de travaux à exécuter en amont
de Liège, et M. le ministre vous parle de la gloire que s'est acquise son
collègue, en défendant devant vous le canal latéral, et en faisant triompher
devant vous cette intéressante conception !
Voilà à peu de chose près
tout le discours de M. le ministre des travaux publics. Je ne vois pas quel
rapport existe entre le canal latéral et les questions qui s'agitent en ce
moment. (Interruption.)
C'est la grande affaire,
me dit M. le ministre. Vous regardez donc comme un commencement d'exécution le
canal latéral...
M. le ministre des travaux publics (M.
de Bavay). -
Oui.
M. Fleussu. - Dès lors, pourquoi n’exécutez-vous
pas davantage ? Pourquoi n'acceptez-vous pas les 400,000 fr. ? Comment ! vous
déclarez que vous regardez le canal latéral comme le commencement d'un grand
ensemble de travaux ; nous vous demandons comme une faveur d'accepter les
400,000 fr., pour pousser un peu plus en avant les travaux de cet ensemble, et
vous refusez les 400,000 fr. ! Mais tâchez donc de vous entendre, d'être
conséquent avec vous-même.
Messieurs, il s'agit d'un
projet de l'ingénieur Kummer, et de quoi vous a entretenus M. le ministre des
travaux publics ? Du projet de M. de Sermoise, de ce malencontreux projet qui,
s'il avait été exécuté, eût été un grand malheur pour la ville de Liège, de ce
projet Sermoise que la ville de Liège avait accueilli avec un grand
enthousiasme, dit M. le ministre. Oui, la ville de Liège l'avait accueilli avec
enthousiasme, parce que la ville de Liège, comme un homme qui se noie saisit
avec empressement la première branche qui se présente pour tâcher de surnager.
Voilà pourquoi à Liège on avait accueilli ce projet ; on faisait espérer que
par ce moyen les inondations seraient diminuées ; comme un ingénieur a plus de
connaissance que le commun des habitants, le projet a été accueilli avec
faveur.
Mais ce M. de Sermoise
que M. le ministre a assez maltraité dans la dernière séance, qui était un
homme infaillible quand il s'agissait des eaux des Flandres et qu'on voulait
lui opposer l'avis d'autres ingénieurs, ce M. de Sermoise, d'après ce qu'on
vous a dit hier, avait présenté pour la Meuse un projet dont l'exécution eût
été fatale aux intérêts liégeois.
M. le ministre des travaux publics (M.
de Bavay). -
Vous l'avez abandonné.
M. Fleussu. - Avons-nous assez d'influence sur
le gouvernement pour lui imposer un projet quelconque ? Nous lui disons :
Sauvez nous des inondations, n'importe avec quel projet.
J'arrive maintenant aux
objections présentées par M. le ministre des finances. Je pense que si on
voulait être franc, on vous dirait la véritable cause du refus du gouvernement
d'agir.
Si vous voulez que je
dise toute ma pensée, je vous dirai que ces travaux se feront tôt ou tard,
parce que c'est un acte de justice, parce que vous y serez obligés par la seule
force des choses, par la force de la volonté des habitants des bords de la
Meuse. Vous ne voulez pas dire pourquoi vous ne voulez pas commencer dès à
présent ! Eh bien, je le dirai, moi, au risque de commettre une indiscrétion.
C'est parce que vous manquez de ressources ; nous l'avons comprise, cette
raison, car venons-nous demander de consacrer dès maintenant 8 millions aux
travaux de la Meuse, ou même trois ? Non ; nous demandons seulement une marque
de sympathie, et, comme marque de sympathie, nous demandons qu'on emploie 400
mille francs.
Vous serez engagés !
dit-on ; oui ; vous devez vous déclarer engagés ; vous l'êtes, d'ailleurs ; la
déclaration du ministère suffit ; il a dit que le canal latéral était un
commencement d'exécution et constituait un engagement. Nous offrons, pour
commencer les travaux dont il s'agit, 400 mille francs.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Vous ne les offrez pas, vous les prenez !
M. Fleussu. - Je les prends au ministre des
finances pour les donner au ministre des travaux publics, toujours avec les
conditions premières d'un million à donner par la ville, de la somme provenant
de la vente des terrains et de 200 mille francs à fournir par la province. Il
est donc entendu que ce n'est point pour l'emploi des 400,000 fr. que ces
sacrifices seront consentis, mais pour l'achèvement de la dérivation de la
Meuse.
M. Delfosse. - Oui, ces conditions s'appliquent à
toute l'allocation à fournir par l'Etat.
M. Fleussu. - Bien entendu !
On nous dit, messieurs,
qu'il est dangereux pour l'avenir de nos finances de se jeter dans l'exécution
trop rapide des travaux publics. A propos de cela, M. le ministre faisait
retentir le chiffre énorme des sommes dépensées chaque année en travaux publics
; un honorable collègue l'a interrompu en disant : C'est bien fait. Ce mot a
trouvé de l'écho sur nos bancs, le ministre lui-même a dit aussi : C'est bien
fait ; mais il a voulu s'arrêter dans la carrière des bienfaits. La
conséquence, à ce qu'il me semblait, était, que si on avait bien fait de
dépenser vingt millions par an jusqu'ici, on pourrait, sans mal faire, dépenser
quelques millions en 1847. Remarquez que vous n'aurez plus à faire des
constructions exigeant des sommes considérables, comme les chemins de fer ; il
ne vous reste à faire que des dépenses minimes, en comparaison de celles-là,
pour l'amélioration des canaux et des rivières.
Du reste, je suis étonné
que la réflexion présentée par M. le ministre des finances ne lui soit pas
venue plus tôt. Quand on a parlé des moyens de remédier aux inondations qui
affligent divers points du pays, M. le ministre 1 es travaux publics a dit : On
vous présentera un système (page 1493)
complet, qui aura pour objet de remédier aux inondations dans tout le pays.
Qu'est-il arrivé ? Vous
avez voté des millions pour les Flandres, pour remédier aux inondations de la
Lys et de l'Escaut. Est-ce parce que M. le ministre des finances connaît mieux
le pays que parcourent l'Escaut et la Lys, qu'il a consenti aux dépenses pour
remédier aux inondations de ces fleuves ?
Un membre. - Il a voté contre.
M. Fleussu. - Soit ! l'opposition du ministre
n'a pas arrêté la chambre, des millions ont été votés pour remédier aux
désastres des inondations des Flandres ;on a voté trois millions, plus 300
mille francs pour je ne sais quelles eaux du côté de Bruges, auxquelles on
n'avait pas pensé jusque-là. De sorte qu'on a alloué près de quatre millions
pour les Flandres, et on refuse de donner à la province de Liège un
demi-million !
Je comprends très bien
que des dépenses comme celles dont je viens de parler pour les Flandres et la
province de Liège ne peuvent pas se couvrir au moyen des ressources ordinaires
; il faut avoir recours à des ressources extraordinaires, parce qu'il s'agit de
créer des péages qui augmenteront les ressources du trésor.
Si vous vouliez faire des
travaux semblables avec les ressources ordinaires, vous ne les feriez jamais.
Moi, qui aime à me faire illusion sur l'avenir du pays, je ne prévois pas que
vous puissiez jamais exécuter de semblables travaux avec les ressources
ordinaires.
II faut que nos
arrière-neveux qui profiteront des travaux que nous allons faire supportent une
partie des charges. C'est vous dire assez que dans mon opinion de pareilles
dépenses devront être prélevées sur l'emprunt. Je ne veux pas qu'on fasse
l'emprunt cette année ou l'année prochaine, ni l'année suivante, si les
circonstances ne sont pas favorables, mais je demande que chaque année on porte
un million au budget, jusqu'à l'achèvement de la dérivation de la Meuse, sauf à
rembourser par l'emprunt les bons du tréso' qui auront été émis à cette fin.
Parce que vous ajouteriez
pendant quelque temps un million au chiffre des bons du trésor, serez-vous
exposés à faire banqueroute ? Voilà ce qu'on demande, peut-on dire que c'est
exagéré ?
M. le ministre des
finances est riche en expédients, il est adroit dans la découverte de fins de
non-recevoir. Il se souvient, dirait-on, de son ancien état. Quand il s'est agi
du canal latéral de la Meuse, il me dit : Vous ne pouvez espérer le succès de
vos prétentions ; je vais, ajoutait-il, vous tirer d'embarras ; et ce moyen,
quel était-il ? C'était l'ajournement. Il est vrai que de cette manière nous
échappions à un refus ; mais le canal était enfoncé... dans les archives du
greffe. Force nous fut, vous le comprenez, de repousser les bienfaits que nous
présentait l'honorable M. Malou.
Aujourd'hui que fait-il ?
Il dit : Vous ne présentez pas votre amendement régulièrement ; ce n'est pas
ainsi qu'on procède ; il faut un projet de loi spécial. Eh bien, l'honorable M.
Malou se trompe : on a introduit des amendements semblables dans les budgets. A
une époque où il ne faisait pas partie de la chambre, en 1839 ou 1840 ; c'est
dans le cours de la discussion du budget de l'intérieur qu'on est venu
proposer, pour le grand séminaire de Saint-Trond, une dépense extraordinaire de
100,000 francs, que les chambres ont voté trois années de suite.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Cet article a été disjoint du budget.
M. Fleussu. - Il a été renvoyé à la section centrale pour avoir son avis
; mais il n'a pas été disjoint du budget.
Je citerai un autre
exemple : 200,000 fr. ont été alloués au budget, pendant plusieurs années, pour
essais dans le régime de la Meuse. Que faisons-nous aujourd'hui ? Nous
demandons que 400,000 fr. figurent au même titre au budget. Si vous prétendez
que vous ne pouvez les employer, si la ville et la province refusent leur
concours, s'il y a d'autres embarras, vous ne les emploierez pas, et il vous
suffira de nous faire connaître les motifs qui vous auront déterminé. Mais
refuser d'avance cette allocation, c'est ne montrer aucune sollicitude pour la
ville de Liège ni pour les intérêts des habitants des rives de la Meuse.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - L'exemple que l'honorable M. Fleussu vient de citer vient à l'appui de
la proposition que je fais à la chambre. Le gouvernement avait proposé de
porter au budget une allocation pour le séminaire de Saint-Trond ; la chambre
l'a disjointe ; cette allocation n'a été portée aux budgets suivants qu'après
que le principe avait été admis. C'est ce qu'on pourrait faire pour la Meuse si
le principe était admis.
La
deuxième objection est qu'on a porté au budget 200,000 fr. pour amélioration de
la Meuse ; mais, ainsi, l'on ne préjugeait pas un principe ; on se bornait à
faire des essais. Ici on propose une allocation de 400,000 fr., non pour faire
des essais, mais pour décréter implicitement l'exécution d'un système ; or
c'est ce qu'on ne peut faire dans une loi de budget.
Je persiste dans ma
demande de renvoi de la proposition de l'honorable M. Delfosse aux sections
pour en faire l'objet d'une loi spéciale.
Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Delfosse. - J'aurais bien des choses à
répondre à M. le ministre des finances et à l'honorable comte de Mérode ; mais
l'impatience de la chambre me commande d'être court ; je ne demande donc qu'un
moment d'attention.
M. le ministre des
finances trouve notre proposition insolite, il nous défie, en quelque sorte, de
l'appuyer sur un précédent. Messieurs, ce qui est insolite, ce qui est sans précédent,
c'est que le ministère ne tienne aucun compte de promesses solennelles faites
depuis huit ans, c'est qu'il s'obstine, malgré ces promesses, à nous laisser
exposés aux dangers d'une situation dont personne ne conteste la gravité.
Alors même que notre
proposition serait sans précédent, il appartiendrait donc moins à M. le
ministre des finances qu'à tout autre d'en faire la remarque, nous ne ferions
que suivre son exemple. Mais M. le ministre des finances se trompe lorsqu'il
affirme que nous n'avons pas de précédent à invoquer en faveur de notre
proposition ; nous pourrions, messieurs, en invoquer plusieurs ; je me
bornerai, pour ne pas abuser de vos moments, à en rappeler un qui est très
significatif.
Vous vous souvenez tous,
messieurs, qu'un honorable député de Louvain est venu, dans une session
antérieure, nous proposer de porter au budget des travaux publics une très
forte allocation destinée à l'amélioration du Demer.
Cet honorable collègue
n'avait pour lui ni des promesses solennelles faites depuis huit ans, ni un
plan approuvé par le conseil des ponts et chaussées ; et cependant sa
proposition a été adoptée par la chambre, et l'honorable M. Malou n'a pas dit
un mot pour la combattre.
Comment se fait-il donc
que M. le ministre des finances repousse notre proposition comme insolite ?
Comment se fait-il qu'il se retranche derrière ce vain prétexte, pour violer
ses promesses ? MM. les ministres ne savent-ils pas que le premier devoir d'un
gouvernement est de tenir sa parole, que c'est par là seulement qu'il peut être
fort et respecté ?
M. le ministre des
finances nous oppose encore d'autres fins de non-recevoir qui n'ont pas plus de
valeur, qui ne résistent pas au moindre examen.
On n'a pas, nous dit M.
le ministre des finances, la certitude complète que le plan de M. Kummer
atteindra le but désiré ; on se félicite aujourd'hui de ne pas avoir mis le
projet de M. de Sermoise à exécution, qui nous répond que l'on ne se félicitera
pas un jour d'avoir aussi ajourné celui de M. Kummer ?
Je crois, messieurs, que
l'on se montre injuste envers M. de Sermoise. Le projet de cet ingénieur
présentait des avantages incontestables ; seulement il était moins complet que
celui de M. Kummer.
La certitude que M. le
ministre des finances exige, jamais on ne l'obtiendra. Avec la manière de
raisonner de M. le ministre des finances, on ne mettrait jamais la main à
l’œuvre. Nous n'aurions pas la dérivation dans cent ans, nous ne l'aurions pas
dans mille ans. Il n'y a pas de projet, quelque bien conçu qu'il soit, qui ne
trouve des contradicteurs.
M. Kummer est un
ingénieur habile, il a fait ses preuves. La partie du projet dont nous
demandons l'exécution immédiate, a reçu l'approbation du conseil des ponts et
chaussées, cela doit nous suffire.
Mon honorable collègue,
M. Verhaegen, a fait ressortir tout ce qu'il y a de déraisonnable dans la
prétention de. M. le ministre des finances de vouloir ouvrir une négociation
avec la Hollande pour défaire le traité de 1842.
Il est bien évident que
le gouvernement hollandais ne serait nullement disposé à entrer dans les vues
de M. le ministre des finances ; le gouvernement hollandais répondrait, avec
raison, que le projet d'améliorer la Meuse existait à l'époque où le traité de
1842 a été conclu, et qu'il n'y a pas un seul fait nouveau, une seule raison
nouvelle pour toucher à ce traité.
Cette fin de
non-recevoir, si elle avait même quelque valeur, ne pourrait, dans tous les
cas, être opposée qu'à l'exécution de la deuxième partie du projet de M.
Kummer, de celle qui n'a pas encore reçu l'approbation définitive du conseil
des ponts et chaussées.
Il ne s'agit en ce moment
que de la première partie de ce projet ; il ne s'agit que des travaux qui
doivent nous mettre à l'abri des inondations.
L'honorable M. Verhaegen
vous l'a dit avec raison, le vote des 400,000 francs n'implique que
l'approbation des travaux dont le conseil des ponts et chaussées propose
l'exécution immédiate, et dont la dépense est évaluée à quatre millions, y
compris un barrage mobile.
M. le ministre des
finances a tort de révoquer en doute le concours de la ville ; il serait
surprenant que la ville refusât pour le projet de M. Kummer le million qu'elle
avait promis pour celui de M. de Sermoise. J'ai écrit à M. le bourgmestre de
Liège pour avoir son avis sur ce point, et voici la réponse qu'il m'a fait
l'honneur de m'adresser :
« Mon cher représentant,
« Je n'ai aucun
motif de croire que le conseil changerait d'intention au sujet de
l'intervention qu'il a offerte dans le temps pour la Meuse.
» Ce million dont vous
parlez a été présenté en vœu de l'utilité de certains travaux faisant partie du
plan d'alors, et qui avaient un caractère municipal. par exemple, les quais,
les bassins, abordages, entrepôts, etc.
« Si le gouvernement
adopte le plan nouveau, c'est une affaire à soumettre au conseil pour
régulariser son intervention ; mais, je le répète, je n'ai pas lieu de douter
de son concours.
« En ce qui me concerne,
je crois que c'est le cas, ou jamais, d'engager l'avenir par un emprunt pour la
ville. Les moyens de le couvrir se trouvent, en grande partie, dans le maintien
de la contribution dite des pillages, que nous continuons à percevoir et qui a
reçu, entre autres affectations, celle des dépenses relatives à la Meuse.
a Si le gouvernement y
met de la bonne volonté, je soutiendrai donc le système du concours de la
ville, et je pense que la majorité du conseil fera comme moi.
Votre tout dévoué,
Piercot. »
(page 1494) M. le ministre des finances nous a demandé des
explications franches. Il voit que je réponds à son appel. Je voudrais que le
gouvernement répondît aussi au nôtre, en se décidant à tenir ses promesses.
D'après M. le ministre
des finances, l'adoption de notre amendement n'aurait pas de grands résultats,
parce que la chambre future pourrait refuser les fonds qui seraient plus tard
demandés pour la continuation des travaux.
Messieurs, cette crainte
ne me préoccupe nullement. J'ai la conviction que, si vous nous accordez la
marque de sympathie que nous attendons de votre justice, il ne se trouvera pas
plus tard une chambre belge pour laisser les travaux inachevés, comme nous ne
trouverons plus un seul ministère pour en proposer l'ajournement !
- La discussion est
close.
M. le président. - On demande la disjonction et le
renvoi aux sections de la proposition de MM. Delfosse, Lesoinne, de Tornaco et
Fleussu. Cette proposition doit avoir la priorité.
- Cette proposition de
disjonction est mise aux voix par appel nominal.
67 membres prennent part
au vote ;
33 votent pour l'adoption
;
34 votent pour le rejet.
En conséquence, la proposition de disjonction n'est pas adoptée.
Ont voté l'adoption : MM.
Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de
Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Theux, de T'Serclaes,
d'Huart, Dubus (Bernard), Fallon, Henot, Huveners, Malou, Mast de Vries, Orban,
Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vilain
XIIII, Biebuyck, Brabant, Clep, d'Anethan et Dechamps.
Ont voté le rejet : MM.
de La Coste, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Naeyer, Desmaisières, Desmet,
de Terbecq, de Tornaco, d'Hoffschmidt, Dolez, Dumortier, Fleussu, Goblet,
Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Manilius, Orts,
Osy, Pirson, Rogier, Sigart, Verhaegen, Veydt, Anspach, Cans, de Baillet et de
Bonne.
- L'amendement de MM.
Delfosse, Lesoinne, de Tornaco et Fleussu, est mis aux voix par appel nominal.
67 membres répondent à
l'appel nominal ;
33 votent pour ;
32 contre ;
2 (MM. de Mérode et de
Roo) s'abstiennent.
En conséquence,
l'amendement est adopté.
Ont voté pour : MM. de
Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, (erratum,
p. 1497) Desmaisières, d'Elhoungne, de Naeyer, Desmet, de Terbecq, de
Tornaco, d'Hoffschmidt, Dolez, Fleussu, Goblet, Lange, Lebeau, Le Hon,
Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Manilius, Orts, Osy, Pirson, Rogier, Sigart,
Verhaegen, Veydt, Anspach, Gans, de Baillet et de Bonne.
Ont voté contre : MM.
Dedecker, de Garcia de la Vega, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de
Muelenaere, de Renesse, de Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Dubus (Bernard),
Dumortier, Fallon, Henot, Huveners, Liedts, Malou, Mast de Vries, Orban,
Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vilain
XIIII, Biebuyck, Brabant, Clep, d'Anethan et Dechamps.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus,
sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. de
Mérode. - Je me suis
abstenu, parce qu'on n'a présenté aucun moyen sérieux de couvrir la dépense.
Les bons du trésor ne sont pas, à mon avis, un moyen de payement.
M. de Roo. - Messieurs, j'aurais volontiers
voté pour l'allocation, parce que je désire voir exécuter les améliorations
réclamées par la Meuse. Mais je n'ai pas voulu, par mon vote, me lier quant à
ce projet qui ne paraît pas suffisamment mûri, sur lequel le gouvernement
paraît encore avoir des doutes.
- La séance est levée à 4
heures et demie.