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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 25 mars 1847
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétitions relatives à des indemnités dues en
vertu du traité de paix avec la Hollande (Eloy de Burdinne),
à une remise de droits en faveur d’un bureau de bienfaisance (Eloy
de Burdinne), à la négociation relative à la dette espagnole (Osy), et au projet de chemin de fer entre Bruxelles et Gand (Manilius)
2) Rapports
sur des demandes en naturalisation
3) Projet
de loi relatif à la répression des offenses à la personne royale (+code pénal
et code d’instruction criminelle et délits de presse, jury d’assises) (de Villegas, de Garcia, d’Anethan, Verhaegen, Delehaye, de Garcia, Verhaegen, de Garcia, d’Anethan, Van Cutsem, d’Elhoungne, Le Hon, Dubus (aîné), Le Hon, de Theux, d’Anethan, d’Elhoungne, Malou, Orts), offenses contre les membres de la famille royale (Orts, Delehaye, d’Anethan,
Orts, d’Anethan, Vandensteen, Delehaye, d’Anethan, Dumortier, Rogier, d’Anethan, Verhaegen, Malou, Van Cutsem, Verhaegen, Dumortier, Malou, Delfosse), surveillance de la police et interdiction de résidence
(d’Anethan, Van Cutsem, Orts, d’Elhoungne, d’Anethan, Orts, Dubus
(aîné), procédure devant la cour d’assises (Orts, d’Anethan, Orts, Vanden Eynde, Van Cutsem, Delfosse, d’Anethan, Orts, de Garcia, Delfosse,
Van Cutsem, (+application de peine de mort) (Delehaye, d’Anethan), Delfosse, d’Anethan, Vanden Eynde, Orts, (application de
la peine de mort) (Verhaegen, Lebeau),
Delfosse, (fait personnel) (Delehaye),
Fleussu, d’Anethan)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1302)
M. Huveners. procède
à l'appel nominal à midi et quart.
- La
séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode
donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est
approuvée.
M. Huveners fait
connaître l'analyse des pièces suivantes.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les sieurs de Posson, Bosquet et le baron Triets demandent que
les fonds restés sans emploi et qui font partie de la somme allouée à la
Belgique à titre d'indemnité, pour faire face aux remboursements des
cautionnements, soient répartis au marc le franc entre les titulaires des
réclamations rejetées par la commission de liquidation comme rentrant dans la
classe d'achats de places à fonds perdus. »
- Sur la proposition de M. Eloy de Burdinne., renvoi à la commission des
pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
_________________
« Le sieur Willot prie la chambre de faire améliorer la position
des employés des accises. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
« Le sieur Parmentier demande que
le projet de loi sur la milice contienne une disposition en vertu de laquelle,
chaque année, on serait obligé de désigner la lettre alphabétique par laquelle
devrait commencer le tirage au sort. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion relative au vote définitif
du projet de loi.
« Le président du bureau de
bienfaisance d'Oleye prie la chambre de statuer sur la pétition du bureau de
bienfaisance tendant à obtenir remise des droits d'enregistrement et
d'hypothèque sur les ventes de quelques parcelles de terre. »
M. Eloy de Burdinne. demande le renvoi de cette requête à la commission
des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs Cogels, Vanden Nest
et autres membres du comité des détenteurs de fonds d'Espagne, établi à Anvers,
réclament l'intervention de la chambre pour qu'il soit mis des entraves à la
négociation, en Belgique, de toute dette espagnole créée postérieurement à la
suspension des payements des intérêts de la dette étrangère d'Espagne et qui ne
serait pas le résultat de la liquidation des coupons arriérés, jusqu'à ce qu'il
ait été fait droit à leurs réclamations. »
M. Osy. -
Messieurs, le comité institué à Anvers au nom des détenteurs de fonds
espagnols, s'adresse à la chambre pour demander que le gouvernement fasse des
démarches à Madrid pour que finalement on paye les créanciers nombreux de l'Espagne.
Maintenant surtout que le gouvernement espagnol vient de proposer un nouvel
emprunt de 200 millions de réaux, on désire que le gouvernement belge fasse des
démarches le plus têt possible.
Je demande donc un très prompt rapport sur cette pétition, pour que nous
puissions la renvoyer le plus tôt possible à M. le ministre des affaires
étrangères.
- Cette proposition est adoptée.
_________________
« Les notaires du canton de
Tamise demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
_________________
« Le sieur Poupart, notaire
à Zonnebeke demande que le projet de loi sur le notariat établisse une
incompatibilité entre les fonctions de notaire et celles de secrétaire ou de
receveur communal dans le lieu de la résidence, et modifie quelques
dispositions de la loi du 22 frimaire an VII. »
- Même dépôt.
« Les exploitants de mines de
houille du couchant de Mons demandent que la réduction des péages sur le canal
de Charleroy ne soit que de 25 p. c. et qu'en compensation, tous droits de
navigation soient supprimés sur les canaux de Mons à Condé et de Pommeroeul à
Antoing. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui réduit
certains péages sur la Sambre canalisée.
« Un grand nombre d'habitants de la ville de Gand prient la chambre de
décréter la construction d'un chemin de fer direct de Gand à Bruxelles par
Alost.
M.
Manilius. - Messieurs, je demanderai que l'on veuille
renvoyer cette pétition à la section centrale qui a été chargée d'examiner le
budget des travaux publics, avec prière de faire un très prompt rapport avant
que nous arrivions à la discussion de ce budget.
Cette pétition est extrêmement importante. Elle est signée par un grand
nombre de personnes notables de Gand et des environs ; plus de 500 électeurs
l'ont signée. Il me semble qu'elle mérite toute l'attention de la chambre, et
c'est ce qui m'engage à faire cette proposition.
- La proposition de M. Manilius est mise aux voix et adoptée.
_________________
Par message en date du 10 mars, M. le ministre de la guerre
(M. Prisse) adresse à la chambre les renseignements qui ont
été demandés sur la pétition du major pensionné Van Uje.
- Dépôt au bureau des renseignements.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M. Delehaye présente des
rapports sur différentes demandes en naturalisation.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
PROJET DE LOI RELATIF A LA REPRESSION DES OFFENSES A
LA PERSONNE ROYALE
M. de Villegas. - Messieurs,
à la fin de la séance d'hier, l'honorable M. de Garcia a proposé la disjonction
et l’ajournement de l’article 11 du projet de loi. La chambre n'a pris aucune
décision sur cette proposition. (page
1303) Je demande, par motion d'ordre, qu'elle s'en occupe avant de voter
l’article premier.
Je déclare franchement que si l'ajournement est rejeté, il me serait
extrêmement difficile de donner un vote approbatif à l'article premier, malgré
mon désir sincère de ne pas repousser une disposition qui a pour but de
réprimer les offenses à la personne du Roi.
M. de Garcia. - Messieurs, à la fin de la
séance d'hier j'ai fait la proposition de renvoyer l'article 11 aux sections,
pour l'examiner et en faire un projet spécial de loi sur la procédure à suivre
en matière de délits de presse ordinaires.
Je regrette que le Moniteur n'ait pas reproduit encore la séance d'hier
; je le regrette d'autant plus, que ma proposition a été reproduite de la
manière la plus inexacte par beaucoup de journaux. La voici : j'ai demandé que
l'article 11 qui tend à appliquer la procédure spéciale établie dans le projet,
aux délits commis contre les fonctionnaires et les citoyens, soit renvoyée à
l'examen des sections pour le convertir en projet de loi particulier.
M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan). -
Messieurs, j'adhère à la proposition faite par l'honorable M. de Villegas. La
proposition de l'honorable M. de Garcia, telle qu'il vient de la formuler, ne
diffère guère de celle qui avait été annoncée par mon honorable collègue le
ministre de l'intérieur, dans une séance précédente. M. le ministre de
l'intérieur et moi nous avons demandé qu'on s'occupât de la discussion des
articles du projet de loi en se réservant, d'examiner, à la fin de cette
discussion, la question de savoir s'il fallait voter l'article 11 ou bien le
renvoyer aux sections.
Maintenant, d'après la discussion qui a eu lieu dans la séance d'hier,
je pense qu'il serait désirable de décider d'abord cette question, et je ne
m'oppose pas au renvoi de l'article 11 aux sections, pour qu'elles l'examinent
comme projet de loi spécial.
M. Verhaegen. - Messieurs, l'observation que vient de faire
l'honorable M. de Garcia a pour but de constater qu'il est d'accord avec M. le ministre
de la justice, et je tiens, à mon tour, à constater cette cordiale entente. Si
j'ai bien compris l'honorable membre, il demande le renvoi aux sections de
l'article 11, et c'est à ce renvoi que M. le ministre de la justice consent.
M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan). -
Avec la disjonction.
M. Verhaegen. - M. de Garcia demande aussi la disjonction.
M. de Garcia. - Oui.
M. Verhaegen. - Vous êtes donc d'accord avec M. le ministre de la
justice. Il n'y a aucune différence entre vous et lui, et j'avais raison hier
de vous dire que vous lui ménagiez une retraite.
M. Delehaye. - Messieurs, mon honorable ami M.
d'Elhoungne prévoyant les difficultés que rencontrerait la discussion du projet
de loi avait demandé le renvoi des amendements aux sections ; le gouvernement
ne s'est pas rallié à cette proposition ; il aurait été battu s'il y avait eu
une voix de plus pour la proposition de M. d'Elhoungne.
Revenant à de meilleurs sentiments, il consent aujourd'hui au renvoi de
l'article 11.
Je rappellerai à cette occasion la proposition que j'ai eu l'honneur de
faire et qui est en quelque sorte un corollaire de l'article 11. Si cet article
est renvoyé aux sections, je demanderai que ma proposition soit renvoyée aux
mêmes sections, qui examineront les deux dispositions à la fois.
De cette manière, il sera plus facile à la chambre d'émettre une opinion
éclairée.
M. de Garcia. - J'appuie cette proposition,
d'autant plus qu'un des motifs qui m'ont engagé à faire celle que vient
d'adopter la chambre, a été d'éviter la perte d'un temps précieux et indispensable
pour l’examen de plusieurs projets de loi d'un intérêt matériel très important
et que chacun connaît aussi bien que moi, au grand détriment des intérêts du
pays. Cela ne sera pas possible pourtant, si cette discussion se prolongeait
outre mesure.
M. Verhaegen. - Maintenant que par suite de l'interpellation que
j'ai eu l'honneur d'adresser à M. de Garcia et de la réponse qu'il m'a faite,
il est bien, entendu que ce que propose l'honorable député de Namur est tout à
fait conforme à ce que veut en ce moment M. le ministre de la justice, je dois,
faire remarquer que le but que l'honorable membre, d'accord avec le
gouvernement, veut atteindre, ne sera pas atteint en prononçant le simple
renvoi de l'article 11 et même de l'amendement de l'honorable M. Delehaye.
En effet, que voulez-vous ? Vous voulez ne vous occuper pour le moment
que d'une loi tout à fait spéciale pour les offenses contre la royauté, et vous
vous réservez de faire plus tard une loi contre les offenses en général. C'est
bien là votre but. Si tel est votre but, vous auriez dû demander aussi le
renvoi de l'article 3 nouveau.
Cet article est ainsi conçu :
«« Art. 3. Ajouter à l'article présenté par le gouvernement le
paragraphe suivant :
« Ces peines et une amende de 300 à 3,000 francs pourront également être
prononcées contre les coupables d'un de délits prévus par la partie non abrogée
de l'article 3 du décret du 20 juillet 1831, sans préjudice de la peine déjà
comminée par ledit article. »
Eh bien, est-ce que dans le décret de 1831 (art. 3), il n'y a pas
d'autre délit prévu que celui d'offense contre la royauté ? Certainement, il y
en d'autres.
Plusieurs membres. - Pas dans l'article 3.
M. Verhaegen. - L'article 3 du décret du 20 juillet 1831 porte : «
Art. 3. Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué soit l'autorité
constitutionnelle du Roi, soit l'inviolabilité de sa personne, soit les droits
constitutionnels de sa dynastie, soit les droits ou l’autorité des chambres, ou
bien, aura de la même manière injurié ou calomnié la personne du Roi, sera puni
d'un emprisonnement de six mois à trois ans. »
Il y a donc d'autres délits dans la partie non abrogée de l'article 3,
que ceux consistant dans les offenses contre le Roi, et ainsi la loi n'est plus
spéciale.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Et les chambres ?
M. Verhaegen. - Précisément, c'est aux chambres que
je faisais allusion et dont il ne s'agissait pas dans le projet primitif.
Quel est, après tout, le but de mon observation ? C'est de démontrer que
votre projet primitif ne pouvait pas tenir, et que vous avez été obligé de le
modifier et d'y ajouter des dispositions nouvelles pour le généraliser.
Le système de l'opposition était de combattre le projet au point de vue
de son caractère de spécialité. J'ai dit dès le principe qu'il était
inopportun, inutile, dangereux même de mettre en évidence la royauté, et un de
mes honorables amis a ajouté qu'il était extraordinaire de ne pas s'occuper des
chambres quand on s'occupait du Roi. C'est à la suite de ces observations que
vous avez changé de système, et ce changement vous n'avez pas osé le maintenir
et vous en êtes revenu à votre système primitif ; mais pour être d'accord avec
vous-même, vous devriez retirer l'article 3 aussi bien que l'article 11.
M. de Garcia.- Ma
proposition est claire ; je demande que la partie de la loi relative à la
procédure soit restreinte aux offenses envers la personne du Roi et de la
famille royale. Je ne veux pas que cette procédure soit étendue, quant à
présent, tous les délits de cette espèce. Pour, appuyer cette manière devoir,
je m’appuie des observations de l'honorable M. d'Elhoungne. Qu'a dit cet
honorable membre ? Il vous a déclaré, d'une manière bien nette, qu'il concevait
que pour les offenses à la personne du Roi, à la famille royale, on établît une
procédure nouvelle et toute spéciale parce que ces cas seront fort rares et
qu'ils ne pouvaient guère porter d'atteinte à nos libertés, mais qu'il n'en
était pas de même pour les injures ou calomnies envers des fonctionnaires ou
des particuliers qui pourraient donner lieu à de nombreuses poursuites. A ce
point de vue, il faut en convenir, si la procédure nouvelle qu'on propose
n'était pas bonne, elle pourrait présenter de graves inconvénients. Ces
considérations, déduites par M. d'Elhoungne, démontrent, je pense, que les
objections présentées par l'honorable M. Verhaegen contre la disposition de la
loi restreinte que nous discutons est sans fondements.
- La discussion est close.
La chambre, consultée, prononce la disjonction de l'article 11 nouveau,
présenté par le gouvernement, et de l'amendement proposé par M. Delehaye, et
leur renvoi aux sections.
Discussion des articles
M. le président. - Nous arrivons au vote de l'article premier.
Nous avons l'article proposé par le gouvernement et amendé par lui, et
l'amendement de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je pense que la section centrale,
par l'organe de son rapporteur, a déclaré qu'il s'était rallié à la rédaction
proposée par moi pour l'article premier.
M. Van Cutsem, rapporteur. - J'ai
déclaré que l’amendement de M. le ministre de la justice ne changeant pas la
pensée émise par la section centrale sur l'article premier, je croyais pouvoir
m'y rallier ; cet amendement n'est qu'un changement de rédaction, rien de plus.
M. d’Elhoungne (sur la
position de la question. - Messieurs, je ferai remarquer à la chambre que nous
n'avons pas discuté-la rédaction de l'article premier, par suite de la
précipitation avec laquelle la chambre a fermé la discussion sur cet article...
M. le président. - La clôture est prononcée ; elle ne peut être
rouverte que par une nouvelle décision de la chambre.
M. d’Elhoungne. - Quelques paroles ont été échangées entre M. le
ministre de la justice et M. le rapporteur qui vient de se rallier à la
rédaction nouvelle...
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai demandé à M. le rapporteur
s'il s'y était rallié.
M. d’Elhoungne. - La rédaction de M. le ministre
tend à appliquer avec plus de rigueur la pénalité comminée par la loi, aux
simples gestes.
M.
Vanden Eynde. - Cela a
été discuté.
M. d’Elhoungne. - Je vous demande pardon, il n'y a pas eu de
discussion sur ce point.
M. Le Hon (sur
la position de la question). - Messieurs, je ne comprends pas que l'amendement
qui s'écarte le plus de la rédaction primitive du projet, ne soit pas celui
qu'on fasse voter le premier. Or, l'amendement de la section centrale donne,
surtout quant à la publicité des faits offensants, un caractère beaucoup plus
précis à la rédaction de l'article, que celui de M. le ministre de la justice ;
il m'est facile de le démontrer.
Un membre. - L'amendement de la section centrale est retiré.
(page 1304) M. Le Hon. -
Pardon, M. le rapporteur n'a pas pu se rallier à la rédaction de M le ministre.
Il a épuisé sa mission par son rapport, et à moins qu'il n'ait été autorisé par
une délibération nouvelle de la section centrale, M. le rapporteur n'a pas
qualité pour parler et acquiescer en son nom. (Interruption.)
Je maintiens ici le droit et les usages de la chambre. La rédaction
première était plus générale que celle de la commission. Celle-ci s'éloignant
du texte de l'article plus que la dernière proposition du ministre doit être
mise aux voix avant celle-ci. Je veux la répression des offenses à la royauté ;
aussi je voterai pour la rédaction de la section centrale, comme plus conforme
à la précision de la législation pénale : mais je serais forcé, par ce motif de
préférence, de rejeter celle de M. le ministre.
Je n'ai pris aucune part à la discussion de l'article premier, je n'ai
pas besoin devons dire les motifs de cette réserve ; ils vous seront facilement
expliqués par vos souvenirs. Mais au moment du vote....
Des membres. - La discussion est close.
M. Le Hon.
- Au moment du vote, dis-je, je tiens à expliquer le motif qui le détermine. Je
reprends et je fais mien l'amendement de la section centrale, si cela est
nécessaire.
Des membres. - Personne ne s'y oppose.
M. Le Hon.
- Il faut donc laisser discuter alors.
M. le président. - Pardon ; la clôture est prononcée.
M. Dubus (aîné). -
Messieurs, je crois qu'on ne peut pas mettre aux voix la proposition de la
section centrale comme amendement, parce que la proposition primitive a été abandonnée
par le gouvernement, dès l'origine du débat ; dès le début de la discussion, le
gouvernement s'est rallié à l'article de la section centrale, en le
sous-amendant. Si M. le rapporteur de la section centrale n'a pas pu, au nom de
la section centrale, adhérer à ce sous-amendement, il n'en résulte pas moins
que nous ne sommes plus en présence de l'article premier primitif du projet ;
l'article de la section centrale devient la proposition principale, et celui du
ministre devient un amendement ; donc l'amendement doit être mis aux voix en
premier lieu ; et s'il n'est pas adopté, on mettra aux voix la proposition de
la section centrale.
M. Le Hon. - La chambre est saisie d'un
projet de loi. Ce projet est amendé par la section centrale. Le ministère s'est
rallié à l'amendement, mais en présentant une modification nouvelle et plus
générale de l'article. Il prétend que cette modification est un
sous-amendement, et qu'à ce titre elle doit avoir la priorité du vote ; cela
est impossible.
Remarquez en effet, messieurs, que la rédaction de la section centrale
détermine avec plus de précision le caractère de publicité que doivent offrir
les discours et les menaces pour être punissables ; que, par conséquent, elle
modifie l'article de la loi plus que la proposition nouvelle du ministre, et
doit être votée avant celle-ci, conformément aux règles les plus générales des
assemblées délibérantes. Le système de la prétention que je combats ne serait
pas un système d'amendement ni de sous-amendement ; on pourrait l'appeler d'un
autre nom, car enfin il ne suppose pas une adhésion parfaitement sincère à la
rédaction de la section centrale, et il révèle de la part du ministre le
dessein de conserver la priorité du vote pour la disposition la plus rapprochée
de son article primitif, ce qui est contraire à tous les usages comme à toutes
les règles.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Les observations de l'honorable membre me prouvent qu'il n'est pas encore
familiarisé avec nos habitudes parlementaires. Quand le gouvernement se rallie
à un projet de commission ou de section centrale, c'est ce projet qui est en
discussion ; maintenant, qu'est-il arrivé ? Le ministre a proposé un
sous-amendement ; le sous-amendement doit toujours être voté avant
l’amendement.
Il y a deux motifs pour procéder ainsi ; alors même que le projet du
gouvernement aurait été maintenu, il faudrait commencer par le vote du
sous-amendement qui doit toujours être mis aux voix avant la proposition
principale. Je ne comprends pas qu'on ne reconnaisse pas la force logique de
cette manière de procéder ; toute autre serait contraire à la logique.
M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan). -
L'honorable M. Le Hon dit que le gouvernement s'étant rallie à la proposition
de la section centrale, ne peut plus présenter d'amendement pour sous-amender
une rédaction à laquelle il s'est rallié.
L'honorable membre a ajouté, ce qui aurait mérité une explication de sa
part, que les amendements que j'avais présentés méritaient peut-être une autre
qualification. L'honorable membre est dans l'erreur quand il avance que je me
suis entièrement rallié à la proposition de la section centrale ; je ne m'y
suis rallié qu'en présentant en même temps l'amendement soumis maintenant à la
chambre, de manière que l'opinion que j'ai émise sur la proposition de la
section centrale était subordonnée aux sous-amendements présentés en même temps
que ma déclaration était faite.
M. d’Elhoungne. - Je demande à faire une observation
sur la marche illogique qu'on vous propose de suivre. Je suppose que des
membres préfèrent la rédaction de la section centrale, qui est moins étendue, à
la nouvelle proposition du ministre de la justice, et qu'ils prêtèrent
cependant l'amendement de M. le ministre au statu quo. Si vous faites voter
d'abord sur la proposition de M. le ministre de la justice, ils voteront contre
elle ; si vous mettez ensuite aux voix la proposition de la section centrale,
ceux qui voulaient qu'on adoptât la proposition du ministre la rejetteront et
vous n'aurez pas de résolution. Il faut voter d'abord sur la proposition la
moins étendue.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Dans les questions de chiffres, on
commence toujours par le chiffre le plus élevé ; dans les questions de
principe, on commence par le principe le plus large ; c'est ce qu'on doit faire
ici. Si on commençait par le principe restreint, et si je voulais le principe le
plus étendu, comment pourrais-je voter ? Vous voyez que l'argument se retourne
contre son auteur.
M. Orts. -
Moi je pense qu'il faut commencer par le sous-amendement de M. le ministre. Je raisonne
dans l'hypothèse que la section centrale maintienne les mots : Menaces
proférées, et je dis que les mots menaces proférées laissent une lacune que le
bon sens ordonne de combler. Il y a des gestes menaçants souvent plus injurieux
qu'un simple cri ; je défie qu'on atteigne le geste menaçant, à moins qu'on
n'ajoute un mot à la rédaction de la section centrale. Je demande qu'on vote
d'abord sur le projet du gouvernement, parce qu'il est plus rationnel, qu'il
atteint les nuancés par gestes, comme les menaces par paroles, la proposition
de la section centrale n'atteint que ces dernières.
- La chambre, consultée sur la question de priorité, décide qu'on votera
d'abord sur le sous-amendement de M. le ministre de la justice.
Ce sous-amendement est ainsi conçu : Quiconque, soit dans des lieux ou
réunions, publics, par discours, cris ou menaces, soit par des écrits (le reste
comme ou projet de la section centrale). »
- Ce sous-amendement est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Je mets aux voix l'article tel qu'il est amendé ;
il est ainsi conçu :
« Quiconque, soit dans des lieux ou réunions publics, par discours,
cris ou menaces, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes
quelconques qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou
exposés aux regards du public, se sera rendu coupable d'offense envers la
personne du Roi, sera puni d'emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende
de 300 à 3,000 francs. »
L'appel nominal étant demandé par plus de 5 membres, il est procédé à
cette opération.
En voici le résultat :
81 membres ont répondu à l'appel.
60 membres ont répondu oui.
19 membres ont répondu non.
2 membres se sont abstenus.
En conséquence, l'article premier est adopté.
Ont répondu oui : MM. de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de
Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de
Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de
Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (ainé),
Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet,
Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lejeune, Maertens, Malou, Mast de Vries,
Mercier, Nothomb, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons,
Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Veydt, Zoude,
Biebuyck. Brabant, Clep, d'Anethan, de Breyne, Dechamps, de Corswarem, Dedecker
et Vilain XIIII.
Ont répondu non : MM. Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Tornaco, Fleussu,
Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Orts, Sigart, Verhaegen,
Anspach, Cans, Castiau et de Bonne.
M. le président invite les
membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.
M. Osy. -
Tout en déplorant que le gouvernement se soit vu obligé de présenter le projet
de loi, et quoique j'aie été d'opinion que le moment était très mal choisi,
j'étais décidé à donner un vote approbatif à la loi amendée par la section
centrale ; car je veux que la royauté soit respectée et que les outrages contre
la personne du Roi et de la famille royale soient réprimés. Mais les
amendements présentés par M. le ministre de la justice, et les discussions qui
ont eu lieu, me prouvent à l'évidence que le moyen proposé pour couvrir
efficacement la Couronne, n'était que le prétexte pour la révision générale de
la loi sur la presse, qui est remise en question, et les discours prononcés
hier par M. le ministre des finances et par l'honorable M. de Mérode, doivent
dissiper toutes les illusions.
Certainement, avant 1830, nous ne pouvions pas nous plaindre de la
position du pays, sous le rapport des intérêts matériels, et cependant les
réclamations les plus fortes se faisaient jour pour la liberté de la presse et pour
l'institution du jury... (Interruption.)
M. Dumortier. - Sera-t-il permis de répondre à l'honorable membre ?
M. Delehaye. - C’est parfaitement vrai.
M. Rodenbach. - Ce n'est pas sous la préoccupation des intérêts
matériels qu’on a fait la révolution.
M. Delehaye. - Ce n'est pas non plus pour mourir de faim.
M. Osy. -
Je crois avoir le droit de m'expliquer. Je répète qu'avant 1830 nous ne
pouvions pas nous plaindre de la position du pays sous le rapport des intérêts
matériels, et que cependant les réclamations les plus fortes se faisaient jour
pour la liberté de la presse, pour l'institution du jury et contre l'administration
d'un autre ministre de la justice. (Interruption.)
Pour moi, je n'ai dans le temps signé aucune pétition, et dans les corps
constitués dont je faisais partie, je n'ai fait entendre aucune (page 1305) réclamation, voulant la tranquillité
et me contentant de la prospérité du pays.
Aujourd'hui que vous avez obtenu ce que l'on avait réclamé avec tant
d'instance, je ne puis donner la main à détruire de nouveau ce qui existe et à
soulever de nouvelles passions et mettre de nouveau en question la tranquillité
du pays.
J'aurais voté la loi primitive, si M. le ministre de la justice n'était
pas venu étendre la loi, dans un autre intérêt que celui de la royauté que je
voulais couvrir ; mon vote négatif à la loi entière, provient donc de nouvelles
prétentions du gouvernement, et les fautes commises par le ministre me privent
de la satisfaction de pouvoir donner une nouvelle preuve de considération pour
le Roi et la famille royale. La faute doit donc retomber entièrement sur les
nouvelles prétentions de M. le ministre de la justice et je lui en laisse la
responsabilité. (Interruption.)
M. Rogier. - J'ai fait
connaître, dans la séance d'hier, les motifs qui auraient pu me déterminer à
adopter le principe déposé dans l'article premier de la loi, loi dont j'ai
d'ailleurs vu la présentation avec un profond regret. Mais telle a été
l'étrangeté de la conduite du ministère dans cette discussion, telle a été la
portée de certains discours partis des bancs ministériels, que je n'ai pas
voulu, au point où en est la discussion, m'engager sur cet article même. Voilà
pourquoi je me suis abstenu.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il semblerait résulter de ces deux
abstentions que, dans mon discours d'hier, j'aurais attaqué la liberté de la
presse. J'en appelle au Moniteur, aussi bien qu'à vos souvenirs : tout mon
discours n'a-t-il pas été faveur de la liberté de la presse ?
M. Rogier. - Je demande
s'il est d'usage de discuter les motifs d'une abstention.
M. le président. - M. le ministre des finances n'a pas discuté les
motifs d'une abstention ; il a relevé un fait personnel.
M. Rogier. - Je demande
s'il est conforme aux usages de la chambre qu'un ministre discute les motifs
d'une abstention.
Si l'on veut considérer comme non avenue la réponse du ministre, je veux
bien ne pas y répliquer. Mais c'est à la condition que sa réponse ne figurera
pas dans le Moniteur.
Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Rogier. - Alors je
demande à répondre.
M. le président. - M. le ministre des finances s'est, je le répète, borné
à répondre à un fait personnel. Il n'a pas attaqué l'honorable membre, qui n'a
par conséquent pas à répondre à un fait personnel.
M. Rogier. - Je réponds
en deux mots : M. le ministre des finances conteste que son discours ait la
portée qu'on lui attribue. Je dis que l'impression générale, sur nos bancs,
c'est que son discours était empreint d'un esprit d'hostilité contre la liberté
de la presse. Dans l'intérêt des travaux de la chambre, je ne veux pas
insister. Mais je persiste à penser que ce serait un antécédent fâcheux que
celui qui, autorisant à discuter les motifs d'une abstention, pourrait
réveiller toute une discussion.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai demandé la parole pour un fait
personnel. Je crois qu'il n'y a là aucun précédent fâcheux. S'il y a un fait
personnel dans une abstention, le membre de la chambre que ce fait concerne a
le droit de le relever. Ce droit, j'en ai usé ; si l'occasion s'en présentait,
j'en userais encore.
Article 2
« Art. 2. L'offense commise par un des mêmes moyens envers les membres
de la famille royale sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et
d'une amende de 100 à 2,000 francs. »
M. Orts. -
Si je demande la parole, ce n'est pas pour combattre la disposition en
elle-même, mais c'est pour en fixer le sens et la portée, afin que le jury ne
puisse se tromper.
Je propose de rédiger l'article de la manière suivante :
« Art. 2. Quiconque par un des mêmes moyens se rendra coupable d'offense
envers la Reine, les princes et princesses (fils et filles du Roi) ou la reine
mère, sera puni (le reste comme au projet). »
Voici les motifs pour lesquels je propose cet amendement.
Lorsque la question a été discutée à la section centrale, on a demandé à
M. le ministre de la justice ce qu'il entendait par les membres de la famille
royale ? II a répondu qu'il entendait : « La Reine, les princes et princesses,
fils et filles du Roi, ou la reine mère. » C'est précisément ce que je propose
d'insérer dans l'article.
Si vous n'insérez pas dans la loi ce texte qui ne se trouve que dans le
rapport de la section centrale, il n'aura pas force obligatoire, puisqu'il ne
fera point partie intégrante de la loi.
Pour faire apprécier la nécessité d'écrire dans le texte même les
dispositions d'une loi, qu'il suffise de vous rappeler un fait judiciaire.
Dans une circonstance assez mémorable, la cour de cassation n'a pas tenu
compte des observations de la section centrale en termes d'interprétation d'une
loi.
Il s'agissait de la loi qui a accordé quatre années aux habitants des
parties cédées du royaume pour opter en faveur de la qualité de belge. La
section centrale, lors de la discussion de la loi, avait formellement exprimé
l'opinion que nos concitoyens appartenant aux parties cédées conserveraient,
pendant les quatre ans qu'ils avaient pour faire leur déclaration, la qualité
de Belge..
II arriva qu'un citoyen, appartenant au Luxembourg cédé, fut appelé,
avant que les quatre ans n'étaient écoulés, à faire partie du jury dans une
affaire criminelle. On demanda l'annulation de l'arrêt de condamnation, parce
qu'on prétendit que ce Luxembourgeois n'avait pas encore opté. Ce moyen fut
combattu ; mais il fut accueilli par la cour, qui cassa l'arrêt. Cet arrêt est
du 20 juillet 1840 ; et dans le recueil où il est rapporté, on trouve indiqué
en note : « Il résulte des discussions qui ont précédé l'adoption de la loi du
4 juin 1839, que la volonté expresse de la section centrale, en insérant à l'article
premier le mot « conserver » au lieu de « recouvrer » la
qualité de Belge, avait été que ceux qui se trouvaient atteints par la loi
fussent considérés comme Belges pendant tout le temps qui leur était donné pour
faire leur déclaration.
C'était dans l'affaire d'un nommé Donneux, et le juré était un sieur
Britz.
Je dis donc que, faisant application
de cette jurisprudence et convaincu que non seulement les tribunaux inférieurs,
mais même la cour de cassation ne considèrent comme obligatoire que ce qui se
trouve textuellement écrit dans la loi, il faut, si vous voulez bien expliquer
la pensée du ministre, qu'elle se trouve écrite dans loi. C'est dans ce sens
que j'ai l'honneur de proposer mon amendement.
D'un autre côté, comme la section centrale a cru devoir ajouter dans
l'article premier au mot d’offense le mot coupable, je ne vois pas pourquoi on
ne rédigerait pas l'article 2 dans le même sens ; il y a identité de motifs.
M. Delehaye. - Messieurs, quelques-uns de mes honorables amis ont
déjà eu occasion de dire que cette loi a été soumise à la chambre avec
précipitation, précipitation telle que le gouvernement n'a pas même eu le temps
de bien examiner ce qu'il proposait.
C'est ainsi que la section centrale a été obligée de demander à M. le
ministre de la justice ce qu'il entendait par la famille royale. M. le ministre
a déclaré qu'il entendait Reine, princes et princesses, fils et filles du Roi
et la Reine mère.
Je sais qu'aux termes des lois romaines la désignation de fils comprend
aussi les petits-fils, et le ministre, je pense, entend également de cette
manière cette désignation. Sans cela, il y aurait une singulière anomalie de la
loi. Il en résulterait en effet que l'héritier présomptif pourrait ne pas être
compris, dans la loi. Ainsi, le comte de Paris, en France ne' serait pas au
nombre des membres de la famille royale dont parle le projet.
Mais je demanderai à M. le ministre quelques autres explications. Que
les princes et les princesses du sang soient compris dans l'article 2, il n'y a
rien d'étonnant à cela. Mais y resteront-ils compris s'ils viennent à quitter
le pays et à s'établir dans un autre royaume ?
Ainsi, je suppose que le comte de
Flandre épouse une princesse étrangère, qu'il quitte le pays, qu'il aille à l'étranger,
qu'il devienne le chef d'un autre Etat, ne sera-t-il pas permis de blâmer ou de
critiquer un acte émanant de cet Etat ? Ce blâme ou cette critique serait-il de
nature à entraîner une poursuite et une condamnation quelconque en Belgique ?
D'un autre côté la princesse pourrait épouser un prince étranger, elle
perd la qualité de Belge. Eh bien, je suppose qu'un écrivain ait assez peu de
générosité pour attaquer la princesse, tombera-t-il encore sous la disposition
de la loi actuelle ?
Je désire que M. le ministre veuille bien nous donner quelques
renseignements, afin de connaître la portée du vote que nous allons émettre.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, la précipitation avec
laquelle, d'après l'honorable M. Delehaye, aurait été conçu et rédigé le projet
qui vous est maintenant soumis, ne m'aurait pas permis d'en apprécier la
portée. Mais, messieurs, les expressions dont je me suis servi dans le projet
sont les mêmes qui se trouvaient déjà dans le décret du 20 juillet 1831.
L'article 10 de ce décret porte : « Toutefois les délits d'injures, de
calomnies envers le Roi, les membres de la famille royale, les corps ou
individus seront punis, etc. »
Ainsi, j'ai pris les expressions dont je me suis servi dans l'article 10
du décret du 20 juillet 1831.
Ce n'est d'ailleurs pas la seule source dans laquelle j'aurais pu puiser
ces expressions. Elles se rencontrent encore dans l'article 87 du Code pénal
relatif à l'attentat contre le Roi et la famille royale. Cet article porte :
» L'attentat contre la vie ou contre la personne du Roi est puni de la
peine du parricide.
« L'attentat contre la vie ou contre la personne des membres de la
famille royale est puni de la peine de mort. »
Non seulement, messieurs, ces expressions se trouvent dans les lois que
je viens de citer, mais elles se trouvent aussi dans les lois françaises et
dans les lois du royaume des Pays-Bas.
Les législateurs qui, avant moi, ont consacré ces expressions, ont-ils
donc aussi agi avec cette précipitation que l'on ne cesse de me reprocher ? Et
ce reproche ne tombe-t-il pas complètement devant ces faits législatifs que
j'invoque ?
L'honorable M. Orts propose une rédaction nouvelle. Il demande
d'employer dans l'article 2 l'expression admise dans l'article premier, et au
lieu de dire : « L'offense commise par un des mêmes moyens, envers les membres
de la famille royale, sera punie, etc., etc. », de dire :
« quiconque, par un des mêmes moyens, se sera rendu coupable d'offense,
etc., etc. » Je ne fais aucune difficulté à admettre cette première partie de
l'amendement de l'honorable M. Orts. En effet, la section centrale ayant changé
la rédaction du gouvernement, quant à l'article premier, il paraît conséquent
de se servir des mêmes expressions dans l'article 2.
Mais, messieurs, il n'en est pas de même de la seconde partie de
l'amendement. L'honorable membre voudrait indiquer en quelque sorte
nominativement quelles sont toutes les personnes de la famille royale
auxquelles l'article s'applique.
(page 1306) L'honorable M.
Delehaye m'a fait à cet égard différentes questions et a demandé si une
princesse qui aurait épousé un prince étranger et aurait quitté le pays, serait
encore protégée par la législation qui nous occupe.
Je crois, messieurs, qu'il n'est pas nécessaire de trancher dans la loi
toutes les questions de cette nature qui peuvent se présenter. Une princesse
belge ayant épousé un prince étranger, peut ou quitter ou continuera habiter le
pays ; elle peut avoir rompu, en quelque sorte, les liens qui l'attachaient à
la Belgique, elle peut les avoir conservés, après avoir quitté le pays, elle
peut y revenir. Sa position est susceptible d’être modifiée. Comment veut-on
prévoir toutes ces hypothèses et tant d'autres semblables ?
Je pense qu'il faut, à cet égard, s'en rapporter à la sage appréciation
des juges.
Ces dispositions, messieurs, n'ont rencontré, que je sache, aucune
difficulté sérieuse en France ; elles n'en rencontreront pas davantage chez
nous, pas plus que n'en rencontrerait l'application de l'article cité du Code
pénal.
L’honorable M. Orts veut néanmoins définir ces expressions. Il veut
qu'on mentionne uniquement la Reine, les fils et les tilles du Roi et la Reine
mère ; je pense qu'on ne peut pas admettre cette limitation ; il faudrait tout
au moins parler de la descendance. Il faudrait aussi comprendre dans la
disposition les alliés. Ainsi, dans le cas où une princesse étrangère
épouserait un prince de notre famille royale, il est évident qu'on ne pourrait
pas se dispenser d'appliquer la disposition à cette princesse.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Mais elle n'est pas fille du Roi.
En France, messieurs, on s'est demandé aussi : Que faut-il entendre par
membres de la famille royale, et voici comment a été traitée cette question :
(Le ministre lit une page du rapport fait en France sur la loi de 1832).
Voilà, messieurs, la manière, dont la disposition a été entendue en
France, et, je le répète, je ne pense pas qu'il y ait nécessité de modifier ce
qui jusqu'à présent n'a suscité, dans aucun pays, la moindre difficulté.
M. Orts. -
Messieurs, le remède serait aussi prompt que l'a été l'indication de la lacune
; il n'y aurait qu'à ajouter les mots : alliés et descendants. En matière de
lois pénales, si vous laissez au juge l'interprétation delà loi, vous vous
exposez à l'arbitraire, et c'est ce que je désire éviter.
Dans l'exemple que j'ai cité, la section centrale avait énoncé formellement
que la loi relative aux habitants de la partie cédée devait être entendue dans
tel sens, et cependant la cour de cassation, partant du texte de la loi, a
rendu un arrêt tout opposé à cette opinion de la section centrale. Une loi
pénale, surtout, n'est applicable que d'après son texte, et si vous voulez
qu'on recherche l'intention du législateur dans la discussion, il n'y a plus
rien de certain.
En matière de duel, par exemple, lorsque s'est présentée la grande
question de savoir si le duel rentrait dans la qualification de l'homicide
volontaire,, M. de Monseignat, qui était alors l'organe du corps législatif, a
développé l'opinion que le duel rentrait dans l'homicide volontaire, sauf qu'il
pouvait être accompagné de motifs d'excuse. Eh bien, messieurs, il a été rendu
une foule d'arrêts portant que le duel ne rentrait pas dans la disposition du
Code pénal.
Ce que je demande, messieurs, c'est
que la disposition de l'article 2 ne soit pas étendue au-delà de nos
institutions. Je ne veux pas que la portée de l'article 2 soit restreinte, mais
je ne veux pas non plus qu'elle soit étendue. Or, si vous dites : les
membres de la famille royale, ces expressions prêtent à une extension beaucoup
trop grande ; on peut soutenir que les neveux, les nièces, les oncles, les
tantes sont des membres de la famille royale et qu'ils sont compris dans
l'article. Eh bien, ce n'est pas ainsi que la disposition a été expliquée par
M. le ministre lui-même au sein de la section centrale.
Je pense, messieurs, qu'on fera disparaître tonte espèce de difficulté
et de doute en employant des expressions qui désignent les descendants en ligne
directe et les alliés au même degré.
M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan). -
Messieurs, la discussion à laquelle vient de se livrer l'honorable M. Orts me
suggère une nouvelle objection contre sa rédaction. Je suppose la mort du
souverain ; le fils aîné du Roi monte sur le trône, et les autres fils, qui
deviennent les frères du Roi, ne seraient plus protégés par l'article 2, tel
que M. Orts propose de le rédiger.
Je crois, messieurs, qu'il faut s’en rapporter à la sagesse des
tribunaux pour la définition de ce qu'on doit entendre par membres de la
famille royale ; les tribunaux puiseront leur opinion dans le texte de la loi
et dans la discussion à laquelle elle a donné lieu.
Je le répète, messieurs, lorsqu'une expression se trouve dans les lois
depuis 30 ans et qu'elle n'a jamais donné lieu à aucune difficulté, je pense
qu'il' est convenable de maintenir cette expression.
M.
Vandensteen. - Messieurs, lorsque la section centrale a
examiné l'article 2 du projet de loi, elle s'est demandé si le décret du 20
juillet 1831 laissait sans punition les offenses envers la Reine et les membres
de la famille royale, et quand elle a acquis la conviction que des offenses de
cette gravité demeuraient sans répression, elle a admis à l'unanimité qu'une
pareille lacune devait être comblée au plus tôt. Toutefois elle s'est adressée
à M. le ministre de la justice pour lui demander à qui devait être appliquée
l'expression de famille royale et M. le ministre de la justice ayant répondu
qu'on devait entendre par ces mots, membres de la famille royale, la Reine, les
Princes, les Princesses, fils et filles du Roi et la Reine mère, elle n'a pas
fait d'observation et s'est déclarée satisfaite des explications données par M.
le ministre de la justice.
L'honorable M. Orts accepte l'interprétation donnée par M. le ministre
de la justice au mot famille royale, mais il voudrait qu'elle fît partie de
l'article 2, en ce sens que l'article 2 devrait mentionner les différents
membres de la famille royale auxquels les dispositions de l'article 2 seraient
applicables ; il croit aussi qu'on devrait faire figurer parmi ces membres les
petits-fils du Roi.
D'accord en cela avec la section
centrale, je pense, messieurs, qu’il serait dangereux d'indiquer d'une manière
spéciale dans l'article 2 du projet de loi les différents membres de la famille
royale auxquels cet article serait applicable, parce qu'il serait fort
difficile de ne pas commettre quelque omission dans cette nomenclature ; il me
paraît qu'il serait prudent d'abandonner à l'appréciation du juge
l'interprétation du mot famille royale, comme l’ont fait la loi des Pays-Bas en
1830, les lois françaises du 17 mai 1819, du 9 septembre 1833 et enfin notre
Code pénal de 1810, qui, lorsqu'il était même question de l'application de la
peine de mort prononcée pour les attentats prévus par son article 87, s'est
servi sans autre désignation des mots famille royale, pour indiquer les membres
de la famille royale, envers lesquels on ne pouvait commettre d'attentats sans
encourir la peine de mort. Par suite de ce que je viens d'avoir l'honneur de
vous dire, je ne puis me rallier à l'amendement de l'honorable M. Orts.
M. Delehaye. - Messieurs, l'opinion que vient d'émettre
l'honorable rapporteur de la section centrale rend nécessaires de nouvelles
explications de la part du gouvernement. M. le ministre de la justice a dit à
la section centrale que les expressions employées dans l'article 2 désignaient
la Reine, les Princes et Princesses, fils et filles du Roi et la Reine mère....
M. Dumortier. - Et les frères du Roi.
M. Delehaye. - Pas du tout ; dans les explications données par le
gouvernement il n'était pas question des frères du Roi.
D'après ce que vient de dire l'honorable rapporteur de la section
centrale et d'après l'opinion de l'honorable M. Orts, ce sont les explications
données par le gouvernement qui devront guider le jury ou les juges appelés à
appliquer la loi. Eh bien, il en résultera que les offenses dirigées par
exemple contre une princesse étrangère qui aurait épousé l'héritier présomptif
de la couronne ne pourront pas être poursuivies puisque cette princesse n'a pas
été mentionnée dans les explications données par le gouvernement.
D'un autre côté, messieurs, le gouvernement n'a pas répondu le moins du
monde aux observations que j'ai faites. J'ai demandé, par exemple, ce qu'il
ferait si le comte de Flandre venant à épouser l'héritière d'un trône étranger,
et venant se placer à côté d'une princesse étrangère, le comte de Flandres dans
ce cas ferait-il encore partie de la famille royale ? La loi que nous faisons
serait-elle applicable aux attaques qui seraient dirigées contre lui ? (Interruption.)
On me dit : C'est clair. Mais, ce
n'est pas clair du tout ; ce serait une anomalie. Comment ! un prince belge se
serait placé sur un trône étranger ; en y montant il aura peut-être posé un
acte nuisible aux intérêts de la Belgique ; vous, Belge, vous attaqueriez cet
acte, et vous seriez poursuivi !
Je crois que nous serions tous d'accord, si nous mettions « offenses envers
les membres belges de la maison royale. » Par là, nous exclurons tous les
membres de la famille royale qui auront perdu la qualité de Belge.
D'un autre côté, la princesse étrangère qui viendrait épouser le duc de
Brabant ou le comte de Flandre, aussi longtemps que son épouse serait Belge,
acquerrait et conserverait la qualité de Belge ; et dès lors les attaques
dirigées contre elle seraient passibles de la loi que nous discutons.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan).
- Messieurs, ce que vient de dire l'honorable M. Delehaye prouve qu'il est
impossible de modifier la rédaction de l'article 2. D'abord, l'honorable membre
a supposé des cas qu'on ne peut pas prévoir dans la loi ; on ne peut pas
prévoir dans un article de loi qu'un des princes, pour le cas où il occuperait
un trône étranger, ne serait plus protégé par la loi. (Interruption.)
L'honorable membre me dit : On ne peut supposer qu'il perd sa Qualité de
Belge, et il faut déclarer que la loi ne sera appliquée qu'aux membres de la
famille royale restés belges. J'ai exprimé l'opinion tout à l'heure que si une
princesse belge épousait un prince étranger et si cette princesse restait en
Belgique, elle devrait, bien que, d'après la loi civile, elle eût perdu la
qualité de Belge, continuer à être protégée par la loi, puisqu'elle n'en
resterait pas moins la fille du Roi, puisqu'elle n'en demeurerait pas moins
membre de la famille royale. Je pense donc que la limite que veut poser
l'honorable M. Delehaye ne peut pas être admise.
M. Dumortier. - Messieurs, il me semble que la disposition qui a
été présentée par le gouvernement, est tellement claire qu'elle ne peut donner
lieu à aucune contestation ; dans tous les pays du monde, (page 1307) lorsqu'il s'agit d'une loi destinée à protéger la
couronne et tout ce qui s'y rattache, cette loi porte toujours cette
expression-ci : « La famille royale » ; c'est l'expression la plus
restreinte. Car dans les pays où on s'est servi des mots : « les princes du
sang », cette expression s'étendait à toutes les branches collatérales. Le
système proposé par le gouvernement est le système le plus restreint.
L'honorable M. Orts a soulevé une question ; il s'est demandé :
Qu'est-ce que la famille royale ? Eh bien, je répondrai que ce sont tous les
proches parents de celui qui règne.
Ainsi, messieurs, je ne crois pas que ces mots « famille royale » se
bornent à représenter les ascendants de la personne qui est sur le trône ; je
maintiens que les frères du Roi sont aussi compris dans la famille royale. Je
suppose que demain, par un événement qui pourra arriver, le duc de Brabant
monte sur le troue ; est-ce que par hasard le comte de Flandre qui, dans le cas
où le nouveau Roi n'aurait pas d’enfants, devient l'héritier présomptif du
trône, ne se trouvera pas repris dans l'article 2 ? Personne ne peut contester
que l'article ne lui soit applicable.
C'est dans ce sens que je disais que l'expression famille royale était
tellement claire que personne ne pouvait s'y tromper ; vous voyez par là
combien il serait dangereux d'admettre des rédactions qui spécifient les
personnes ; dans un pareil état de choses, vous iriez, jusqu'à omettre
l'héritier présomptif dû trône !
Messieurs, il faut donc vous borner à adopter la disposition du gouvernement,
qui n'est pas une disposition étendue, puisqu'elle exclut les, lignes
collatérales. (Interruption.)
On me demande à quel degré ; je ne veux pas ici
poser de degré ; je ne veux pas être plus malin que toutes les assemblées
délibérantes qui nous environnent ; il y a quelque chose qui a plus d'esprit
qu'aucun de nous, ce quelque chose c’est tout le monde ; je m'en rapporte plus
volontiers à tout le monde qu’à moi-même. Les tribunaux décideront où la ligne
collatérale commence, ou la ligne de la famille cesse d’exister. Mais je le
répète, introduire dans la loi des spécifications c'est s'exposer à ne pas voir
l’héritier du trône protégé par la loi.
Messieurs, nous faisons une loi qui doit être durable ; je demanderai à
M. le ministre si la loi qui nous occupe ne présente pas de lacune pour le vas
de régence. Il ne faut pas s'exposer, si cette éventualité se réalise, à devoir
renouveler une loi semblable : s'il y a une lacune, il faut la combler.
M. Rogier. - Nous avons
encore ici, messieurs, une nouvelle preuve de la légèreté qui a présidé à la
conception de la loi, du peu de maturité avec laquelle les dispositions en ont
été étudiées.
Dans la section dont je faisais partie, l'on avait demandé l'explication
de l'expression famille royale. Cette explication a été fournie en termes
formels par M. le ministre de la justice. : La section centrale n’a pas fait
entrer la définition dans la loi ; mais elle a cru devoir s’y rallier dans les
termes suivants :
(L'honorable membre donne lecture de ce passage :)
Voilà donc quelle était, il y a quelques jours à peine, l’opinion de M.
le ministre de la justice sur la portée des mots « famille royale » ;
aujourd'hui, M. le ministre vient donner une toute autre définition.
Je demande maintenant à laquelle des deux définitions les juges devront
s'arrêter pour faire une équitable application de la loi ? Est-ce celle qui
figure au rapport de la section centrale, ou bien celle qui se trouvera dans le
Moniteur de demain ? De pareils revirements d'opinion ne prouvent qu'une chose,
c'est qu’on prend goût aux lois d'exception. Il ne s'agit plus seulement
aujourd'hui de protéger, par des mesures exceptionnelles, la personne
inviolable du Roi, la seule que la Constitution déclare inviolable, de protéger
la reine, et je le veux bien, de protéger leurs enfants, et je le veux bien
encore. Mais allant plus loin, on veut, dans les élans d'un zèle
ultra-monarchique, étendre l'exception à tous les parents plus ou moins
éloignés du Roi.
Je demande si une pareille loi est digne d'un parlement belge, si de
pareilles doctrines sont dignes de membres qui se déclarent défenseurs des
principes de l'égalité constitutionnelle ? Qu'arrivera-t-il donc, s'écrie-t-on,
si la loi se tait à l'égard de ces membres de la famille royale ? A quels
graves dangers ne vont-ils pas être exposés ! Ils seront protégés, répondrai-je
à ces esprits alarmés, ils seront protégés par le droit commun ; ils seront
dans la situation où se trouve, sans inconvénient, le Roi lui-même depuis 17 ans.
Voilà le sort réservé aux frères, oncles, cousins du Roi.
Vous ne faites, pas une loi pour l'année 1847, votre loi régira
l'avenir. Quoi donc, dans 15, 20 ans, ne pourra-t-on, sous peine de tomber sous
le régime d'une loi exceptionnelle, se livrer à la critique de la conduite de
tel prince étranger par cela seul qu'il tiendra par quelque lien de parenté au
Roi des Belges !
Ce système n'est pas soutenable ;
qu'on étende la loi à la Reine que tout le monde entoure d'hommages et de
respect, aux princes et à la princesse auxquels la nation s'intéresse si
vivement ; qu'une exception soit faite pour ces personnages qui ont droit à
notre sympathie ; rien de mieux ; mais qu'on n'aille pas au delà et qu'on
laisse les autres dans le droit commun, c'est-à-dire dans la situation où se
trouve le Roi lui-même depuis 17 ans.
Après les explications si diverses données dans cette enceinte, il
importe d'être fixé sur la définition des mots : la famille royale, il importe de
savoir à quelle interprétation il faudra s'arrêter. . Si c'est à
l'interprétation primitivement donnée par M. le ministre de la justice, je
pourrais l'accepter ; mais si on veut l'étendre à tous les membres appartenant
de loin ou de près à la royauté, je dis qu'une pareille extension de a loi ne
ferait qu'ajouter à son vice originel.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Rogier semble
s'étonner qu'il y ait quelque différence entre les paroles que j’ai prononcées
aujourd'hui et celles qui se trouvent dans le rapport de la section centrale.
Je vais donner à cet égard une explication fort simple.
M. le président m'a demandé à la séance de vouloir bien donner des
explications sur différents points de la loi ; je me suis empressé de déférer
au désir de M. le président, et, séance tenante, j’ai fait une note que je lui
ai soumise avec la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous envoyer la note sommaire et rapide que je viens
de faire en réponse aux observations des sections. Je n'ai pas eu le temps de
la faire plus complète. Je vous prie donc de ne la considérer que comme
l’expression d'idées qu'un examen plus approfondi et la discussion pourront
modifier. »
Les énonciations contenues dans la note qui accompagnait cette lettre
étaient, je le reconnais sans peine, incomplètes. En donnant ces explications,
j'avais eu uniquement en vue l'état de choses actuel, et j'avais uniquement
voulu indiquer à qui maintenant s'appliquait la loi, pour faire apprécier dans
quel sens elle devait être entendue. J'ai omis notamment de parler du frère du
Roi ; il n'est pas étonnant que, répondant à la hâte, j'aie pu commettre cette
omission. L’honorable M. Orts ne vient-il pas de reconnaître lui-même que son
amendement était entaché de la même erreur ?
J’ajoute aux autorités que j'ai citées pour justifier ma proposition,
l'autorité de la Constitution, qui dit : Article 87. Aucun membre de la famille
royale ne peut être ministre.
Je ne pense pas qu'on ait songé à
demander de placer dans la Constitution et les lois antérieures une définition
de ce qu'on entendait par les membres de la famille royale, ces expressions se
comprennent suffisamment et de plus il serait impossible d'établir toutes les
distinctions dont on a parlé aujourd'hui. Rien que la diversité d'opinion qui
s'est manifestée, les cas nombreux auxquels on a fait allusion, prouvent qu'il
est impossible de donner une définition détaillée, plus satisfaisante que celle
admise depuis plus de 30 ans.
M. Verhaegen. - Je ne prends la parole, après le vote que j'ai émis
tout à l'heure sur l'article premier, que dans, l'intérêt des principes
seulement. Je dis, tout d'abord, qu'il est impossible de procéder comme on veut
le faire, sans violer tous les principes en matière de législation pénale.
N'oublions pas, messieurs, qu'il s'agit de commuer des peines et de faire une
loi d'exception ; n'oublions pas que dans les lois de cette nature, il faut
enlever tout arbitraire et que tout doit être défini d'une manière précise.
Il est curieux d'entendre dire qu'il faut rester dans le vague pour ne
pas donner lieu aux inconvénients qui seraient attachés à des dispositions
claires et précises ; car, a dit l'honorable M. Dumortier, « on ne peut
pas tout prévoir, et j'aime mieux m'en rapporter à tout le monde qu'à moi-même.
» C'est très modeste, j'en conviens ; mais c'est en même temps très dangereux ;
en matière pénale, je ne m'en rapporte à personne, je ne m'en rapporte qu'à la
loi.
Que ceux qui ont des principes ultra-monarchiques (je n'y vois aucun
inconvénient ; car je respecte toutes les opinions) les fassent traduire dans
le projet de lot d'une manière non équivoque, mais qu’ils ne laissent rien à
l'arbitraire du jury. S'ils veulent rendre la loi applicable aux offenses
contre les frères du Roi, contre ses neveux et nièces, ses cousins et
arrière-cousins, qu'ils le disent ; la famille royale n'est pas tellement
nombreuse qu'on soit dans l'impossibilité de désigner les membres qui la composent.
Pourquoi, M. Dumortier, voulez-vous vous en rapporter à tout le monde, plutôt
qu'à vous-même ? Vous en savez cependant assez pour pouvoir nous dire quelles
sont les personnes que vous voulez comprendre dans cette loi d'exception.
Il y a encore une autre observation de M. Dumortier, qui ne peut pas
rester sans réponse. Cet honorable membre nous a dit que le mot famille exclut
la ligne collatérale, tout en prétendant qu'elle comprend les frères ; mais si
je ne me trompe, les frères font partie de la ligne collatérale. Et alors qu'on
veut les comprendre dans la disposition de la loi, qu'on ne dise pas qu'on
exclut la ligne collatérale.
On veut laisser aux tribunaux le soin de déterminer où finit la famille
et où commence la ligne collatérale ! J'avoue que je ne comprends rien à un
pareil système ; je ne connais, en droit, que la ligne directe et la ligne
collatérale. Ceux qui appartiennent à la ligne directe n'appartiennent pas à la
ligne collatérale ; ceux qui appartiennent à la ligne collatérale n'appartiennent
pas à la ligne directe.
Je demanderai à l'honorable M. Dumortier, qui
veut s'en rapporter à tout le monde, s'il consent, par exemple, à comprendre
dans la disposition exceptionnelle le mari de dona Maria, le mari de la reine
Victoria ? Ce sont certes des personnages très haut placés et qui méritent tous
nos égards ; mais quoique appartenant à la famille royale, dans la ligne
collatérale, la loi que nous faisons en ce moment ne doit certes pas les
protéger.
Tout vague doit disparaître. Encore une fois, je respecte toutes les
opinions et quoi que j'en aie dit, que ceux qui veulent comprendre dans la
déposition même des parents en ligne collatérale, en fassent la proposition ;
mais que les tribunaux et le jury sachent clairement pour quel cas la loi est
faite.
Il serait inouï, il serait indigne du parlement belge de faire une loi
pénale où régnerait ce vague, qu'on veut y maintenir. Ce serait une
monstruosité législative.
(page 1308) M. le président., à la demande de M. le ministre des finances, donne
lecture de l'amendement de M. Orts. (Voir plus haut.)
M. le ministre des finances (M. Malou). - S'il y a quelque chose d'inouï, ce
serait d'insérer cette disposition dans la loi. Qu'on cite un pays quelconque
où la législation ait défini ce qu'on doit entendre par la famille royale. On
vous propose, dans le projet de loi, ce qui s'est fait partout. On l'a fait à
deux reprises en Belgique, notamment dans la Constitution et dans le décret
même du 20 juillet 1831. On l'a fait également dans notre ancienne législation,
dans le Code pénal.
Je me demande pourquoi l'on a agi de cette manière. Pour l'expliquer, je
n'ai qu'à me prévaloir de la discussion qui a lieu en ce moment même. Est-il
aucun de vous qui puisse faire une énumération complète, qui puisse dire
quelles sont dans l'avenir les éventualités de la famille royale ?
Je suppose que le Roi arrive à un âge avancé sans avoir d'enfants. Son
frère qui, dans ce cas, serait l'héritier présomptif de la couronne, n'est pas
compris dans l'amendement de l'honorable M. Orts.
Vous ne pouvez pas prévoir toutes les hypothèses. Je ne verrais qu'un
moyen de les prévoir toutes : ce serait de demander au collège héraldique de
dresser un arbre généalogique, avec indication des degrés de parenté et
d'alliance qu'il convient de comprendre dans la loi, de ceux qu'il convient
d'en exclure.
M. Van Cutsem, rapporteur. - Je vous
l'ai déjà dit, messieurs, la section centrale n'a pas voulu désigner d'une
manière spéciale, dans l’article 2 du projet de loi, les différentes personnes
de la famille royale que les dispositions de cet article devraient mettre à
l'abri des offenses d'ignobles pamphlétaires ; elle a cru qu'elle ne devait pas
se montrer plus difficile et plus minutieuse à cet égard que les législateurs
qui s'étaient occupés avant elle de la même matière, et je persiste à soutenir,
avec la section centrale, qu'il serait imprudent d'insérer dans la loi la
nomenclature des différentes personnes de la famille royale auxquelles
l'article 2 serait applicable.
Une fois qu'il est bien établi que
les membres de la famille royale doivent être à l'abri des offenses qu'on
pourrait leur adresser, le magistrat qui sera appelé à juger les offenses de
l'espèce, se pénétrant du but de la loi qui protège les membres de la famille
royale contre les offenses qu'on pourrait leur adresser, comprendra facilement
que les personnes qui peuvent être considérées, sous le rapport de
l'application de l'article 2 du projet de loi, comme membres de la famille
royale, sont celles qui ne peuvent être offensées sans que la majesté royale,
la majesté du souverain, en souffre.
Ne cherchons donc pas, messieurs, à faire mieux que nos devanciers, et
n'oublions pas qu'il n'y a rien de plus dangereux, en matière criminelle, que
de vouloir tout comprendre dans une loi pénale.
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne comprends réellement pas plus la
conduite de MM. les ministres dans cette discussion ; leur persistance
ressemble beaucoup à de l'opiniâtreté.
M.
Vanden Eynde. - Ils ont raison.
M. Verhaegen. - L'honorable M. Vanden Eynde dit qu'ils ont raison, je
voudrais bien qu'il voulût me dire pourquoi.
M.
Vanden Eynde. - Je n'ai pas à vous en rendre compte.
M. Verhaegen. - Soit, vous n'avez pas à m'en rendre compte, mais
vous auriez pu prêter au ministère l'appui de votre parole.
Je dis, messieurs, que je ne comprends pas cette insistance, car si l'on
veut laisser tout dans le vague, on subira les conséquences de ce vague devant
le jury. Si la loi n'est pas claire, le jury, usant de son omnipotence,
répondra non, et le gouvernement viendra dire ensuite que c'est un acquittement
scandaleux. En matière pénale, rien ne peut être abandonné à l'arbitraire, et
M. le ministre de la justice a très mauvaise grâce de venir soutenir qu'il faut
maintenir le vague du projet, parce qu'il est impossible de donner une bonne
définition de la famille ; car cette définition, il l'a donnée à la demande de
la section centrale. Si M. le ministre n'a pas parlé sérieusement au sein de la
section centrale, il faut qu'il se rétracte ; ce sera une nouvelle palinodie.
Messieurs, la famille, nous la définissions tantôt : elle se compose de
la ligne directe et de la ligne collatérale ; et il n'y a aucune restriction à
cet égard dans l'article que nous discutons. Et cependant on nous accorde que
la ligne collatérale est exclue.
Remarquez bien, messieurs, et c'est une objection qu'on ne m'a pas
faite, mais je veux la prévoir ; remarquez qu'il ne s'agit pas ici de ce que
nous entendons ordinairement dans le sens vulgaire par les mots famille royale,
mais qu'il s'agit du langage légal, qui doit être clair et précis.
Messieurs, l'honorable M. Malou faisait tantôt une supposition pour
démontrer la nécessité de conserver à la disposition le vague que je lui
reproche. Il vous disait qu'il est impossible de tout prévoir, et qu'il
faudrait, pour faire une nomenclature exacte, conférer d'abord avec le conseil
héraldique. Je ne suis nullement de cet avis ; je n'ai pas besoin d'établir une
généalogie quelconque pour désigner clairement ce qui constitue la famille, et
je ne conçois vraiment pas comment M. le ministre des finances a pu nous
présenter la supposition qu'il a faite. Il nous a dit : Je suppose que le Roi,
parvenu à un certain âge, n'ait as d'enfants. Mais il a un frère et ce frère a des
enfants. Ce frère sera héritier présomptif de la couronne ?
Plusieurs membres. - Oui.
M. Verhaegen. - J'aime assez l'interruption, alors
qu'il s'agit du texte précis de la Constitution.
Le frère sera l'héritier présomptif de la couronne ? C'est une erreur
capitale. Voici ce que porte la Constitution :
« Les pouvoirs constitutionnels du Roi sont héréditaires dans la
descendance directe, naturelle et légitime de Sa Majesté, de mâle en mâle, par
ordre de primogéniture et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur
descendance. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Lisez l'article suivant.
M. Verhaegen. - L'article suivant permet au Roi, à défaut de descendance
mâle, de désigner son successeur, mais avec l'assentiment des chambres.
Plusieurs membres. - Il s'agit du roi futur.
M. Dumortier. - J'ai l'honneur de faire remarquer à l'honorable
membre que lorsque le duc de Brabant sera appelé au trône, le comte de Flandre
sera le frère du roi, et sera, si celui-ci n'a pas d'enfants, l'héritier
présomptif.
M. Verhaegen. - Ce n'est pas l'hypothèse que faisait M. le ministre
des finances.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est identiquement la même.
Plusieurs membres. - Il s'agit du roi futur.
M. Verhaegen. - On dit maintenant qu'il s'agit du roi futur.
Mais ce n'est pas là une manière de discuter. (Interruption.) Messieurs, vous voulez tirer d'embarras votre ami M.
le ministre des finances ; soit. Mais tout le monde a compris, comme moi, que
M. le ministre posait l'hypothèse où le Roi actuel n'aurait pas d'enfants.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Non ! non !
M. Verhaegen. - M. le ministre doit comprendre
maintenant qu'il a dit une hérésie ; s'il se rétracte, je n'ai plus rien à
dire.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, on ne peut pas
dénaturer ainsi mes paroles. Je ne pouvais évidemment parler au présent. Le
seul honneur que je demande à l'honorable membre, c'est qu'il veuille bien me
supposer un petit grain de sens commun.
Je n'ai évidemment parlé que des éventualités de l'avenir. J'ai dit que
si, dans l'avenir, le roi, se trouvant dans un âge avancé, n'avait pas
d'enfants, son frère serait l'héritier présomptif de la couronne et devrait
être protégé par la loi. Ce que j'ai dit, je le maintiens.
- La clôture est demandée.
M. Delfosse (contre la
clôture). - Je n'ai que deux mots à dire. Je demande que la chambre veuille
bien m'entendre.
- La clôture est mise aux voix.
L'épreuve étant douteuse, la discussion continue.
M. Delfosse. - Je crois rêver, lorsque j'assiste à cette
discussion ; à entendre MM. les ministres et leurs adhérents, les membres de la
famille royale, neveux ou nièces, cousins ou cousines, seraient perdus s'ils
n'avaient pour se défendre que la loi commune, la loi qui protège les citoyens
les plus faibles et les plus humbles ; on ne se doutait guère, en 1830, que
nous descendrions en 1847 à ce degré de flatterie et d'adulation. Si la chambre
n'était pressée d'en finir, je serais tenté de proposer le renvoi de cette
disposition et des amendements à la commission qui sera chargée d'examiner si
la tête de Sa Majesté doit être placée à droite ou à gauche, sur les pièces
d'or.
- L'amendement de M. Orts est mis aux voix par division.
La chambre adopte la première partie, ainsi conçue : « Quiconque, par un
des mêmes moyens, se sera rendu coupable d'offense envers... »
Elle n'adopte pas les mots : «... envers la Reine, les princes et princesses,
fils et filles du Roi, ou la Reine mère... »
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article tel qu'il est
proposé par le gouvernement, avec la première partie de l'amendement de M.
Orts.
81 membres sont présents ;
57 adoptent.
23 rejettent.
1 (M. Osy) s'abstient.
En conséquence, l'article est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Biebuyck, Brabant, Clep, d'Anethan, de
Baillet, de Breyne, Dechamps, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de la Coste,
de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer,
de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de
Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d Hoffschmidt, d'Huart, Donny, Dubus (aîné),
Dubus (Albéric), Dubus (Bernard),Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet,
Henot, Huveners, Kervyn, Le Hon, Lejeune, Maertens, Malou, Mast de Vries,
Mercier, Nothomb, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons,
Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vilain XIIII.
Ont voté le rejet : MM. Anspach, Cans, Castiau, David, de Bonne,
Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Tornaco, Dolez, Fleussu, Jonet, Lange,
Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Orts, Rogier, Sigart, Verhaegen, Veydt.
M. Osy. -
Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de le dire lors du vote pour l'article
premier, si la loi primitive était restée dans son entier, j'aurais voté la loi
et toutes ses dispositions ; mais à cause des amendements introduits par le
gouvernement, je vois que d'une loi spéciale on veut venir (page 1309) à une révision de la loi sur
la presse, et par là je me vois obligé de voter contre l'ensemble de la loi, et
je me suis abstenu de voter l'article 2, quoique j'eusse désiré voir également
entourer la famille royale de toute considération, et la prémunir contre les
écarts de la presse.
Article 3
« Art. 3. Le coupable d'un des faits prévus aux articles 1 et 2
pourra, de plus, être interdit de l'exercice, de tout ou partie des droits
mentionnés à l'article 42 du code pénal, pendant un intervalle de deux à cinq
ans. Il pourra, pendant le même temps, être placé sous la surveillance spéciale
de la police. »
La section centrale a proposé la suppression des mots : « Il pourra
pendant le même temps, etc. »
M. le ministre de la justice a proposé d'ajouter à cet article le
paragraphe suivant :
« Ces peines et une amende de 300 à 3,000 fr. pourront également être
prononcées contre les coupables d'un des délits prévus par la partie non
abrogée de l'article 3 du décret du 20 juillet 1831, sans préjudice de la peine
déjà comminée par ledit article. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je dois déclarer, messieurs, que
je ne puis me rallier à la suppression, proposée par la section centrale, de la
disposition relative à la surveillance de la police. J'ai de plus proposé une
disposition additionnelle qui permet de prononcer cette surveillance ainsi
qu'une amende et l'interdiction des droits mentionnés à l'article 42, contre
les personnes coupables d'un des délits prévus par l'article 3 du décret du 20
juillet 1831, au moins par la partie non abrogée de cet article. Je pense,
messieurs, pouvoir, en peu de mots, justifier cette addition que je propose à
l'article en discussion.
Il a été dit à la section centrale qu'il était extraordinaire de
comminer des peines plus sévères contre les offenses envers la personne royale
que contre les attaques à l'autorité constitutionnelle du Roi ou à celle des
chambres. Des membres de la section centrale ont répondu qu'il pouvait résulter
de cette observation la nécessité de mettre sur la même ligne les peines pour
ces deux espèces de délits ; c'est ce que j'ai fait par mon amendement.
Je pense que ces dispositions se justifient facilement par la nature des
faits que ces dispositions sont destinées à réprimer et à punir.
La surveillance de la police, telle qu'elle est organisée par la loi de
1830, donne un seul droit, celui d'interdire le séjour de telle localité à
l'individu placé sous cette surveillance. Ainsi, on ne peut pas assigner à cet
individu telle ou telle localité comme habitation, mais on peut lui interdire
d'habiter un lieu déterminé, le lieu, par exemple, où se trouve la personne
qu'il aura offensée.
Si des individus se permettent des offenses
graves soit envers le Roi, soit envers les chambres, il est naturel que la loi
donne aux tribunaux le droit d'interdire à ces individus le séjour de la
localité où se trouve le Roi, et où s'exerce l'autorité des chambres ; alors
que la loi de 1831 accorde la faculté de prononcer la surveillance de la police
pour les délits d'une moindre importance, il serait extraordinaire de ne pas
l'accorder pour des délits aussi graves que ceux qu'il s'agit de punir..
D'ailleurs, cette surveillance, à appliquer comme elle s'applique maintenant,
trouve sa justification dans le Code pénal lui-même.
Lorsqu'un individu a insulté un magistrat, un fonctionnaire public, il
peut, aux termes de l'art. 229 du code pénal, être condamné à s'éloigner du
lieu où siège ce magistral ; trouverait-on extraordinaire d'appliquer cette
disposition au délit d'offense envers la personne du Roi, envers les chambres ?
Ces courtes observations me paraissent justifier suffisamment la
proposition primitive du gouvernement, que je crois devoir maintenir.
M. Van Cutsem. - Messieurs, quatre de nos six sections ont examiné
l'article 3, et l'ont adopté à une grande majorité ; la troisième section l'a
même adopté par sept voix contre une. A la section centrale, il n'en a pas été
de même pour tout l'article 3 ; sa première partie, celle relative à la faculté
donnée aux juges d'interdire au coupable l'exercice de tout ou partie des
droits civiques, civils et de famille, a été adoptée sans observation ; mais il
n'en a pas été de même de celle qui veut soumettre à la surveillance de la
police les condamnés pour offenses envers le Roi ou la famille royale.
Les membres qui n'ont point voulu que les condamnés pour offenses envers
le Roi et la famille royale fussent soumis à la surveillance de la police, ont
dit qu'ils repoussaient cette peine accessoire parce qu'il y aurait anomalie à
soumettre, à la surveillance de la police, des individus condamnés pour
offenses envers le Roi et la famille royale, et lorsque cette peine accessoire
n'est pas prononcée contre les auteurs d'attentats plus graves prévus par le
décret du 20 juillet 1831 ; ils ont encore repoussé la peine de la surveillance
spéciale de la police, parce qu'ils l'ont jugée trop sévère pour réprimer une
offense qui pourrait parfois n'être que légère, et parce que son application
dans des cas donnés, en éloignant le rédacteur de son journal, supprimerait
d'une manière indirecte le journal même.
Les membres qui ont pensé que la faculté de soumettre à la surveillance
spéciale de la police les condamnés pour l'un des délits énoncés aux articles 1
et 2 du projet de loi, doit être maintenue dans la loi, disent qu'ils ne voient
pas pourquoi il ne serait pas loisible aux tribunaux de prononcer cette peine
accessoire, lorsqu'il s'agirait d'offenses envers le Roi et la famille royale ;
d'offenses telles qu'elles compromettraient l'inviolabilité du souverain,
quand, aux termes de la loi du 31 décembre 1836, le magistrat pouvait soumettre
à cette surveillance les condamnés pour coups portés à une personne privée ou
pour la destruction de quelques arbres sur une propriété particulière, puisque
ces premiers délits peuvent compromettre la sûreté générale de la société,
alors que ceux prévus par les articles 311 et 445 du Code pénal ne nuisent qu'à
un seul individu.
Ils ajoutent encore que le juge ayant, aux termes du projet de loi, la
faculté de prononcer ou de ne pas prononcer la condamnation à la surveillance
spéciale de la police contre les individus condamnés pour les délits énoncés aux
articles 1 et 2, il n'y a pas lieu de craindre que la peine de la surveillance
soit prononcée pour une offense légère envers le Roi ou la famille royale, et
ils soutiennent qu'elle ne le sera que lorsque le séjour du condamné pour
offenses envers la royauté pourrait devenir dangereux pour la sûreté publique.
L'objection
contre la mise sous la surveillance de la police, déduite de ce qu'il y avait
anomalie à soumettre à la surveillance de la police les individus condamnés
pour offenses envers le Roi ou la famille royale, de même que celle qu'il n'est
pas logique de punir d'une peine plus forte les offenses envers le Roi que les
attentats envers le Roi viennent aussi à tomber depuis que l'honorable ministre
de la justice a proposé un paragraphe additionnel à l'article 3 de son projet,
pour rendre l'application de l'amende et de la surveillance de la police
commune aux attentats commis contre le Roi et les chambres.
M. Orts. -
Messieurs, aux motifs exposés par la majorité de la section centrale, je n'en
ajouterai qu'un seul ; j'ai jeté les yeux sur les lois qui ont été votées en
France à la suite de l'horrible attentat de Fieschi ; j'entends parler des lois
de septembre ; vous le savez, messieurs, il y a dans ces lois un luxe de pénalités
; eh bien, pour aucun des délits prévus par ces lois, la surveillance de la
police n'est comminée. Je n'en dirai pas davantage.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, la mise sous la
surveillance de la police consiste maintenant à pouvoir interdire à celui qui
est placé sous une surveillance, de résider dans tel ou tel lieu déterminé. Par
conséquent, si l'on admettait la mise sous la surveillance de la police, pour
un individu condamné du chef d'un des délits prévus par la loi, le juge
pourrait, il devrait même éloigner de son journal l'écrivain condamne ; on
tuerait ainsi le journal dans plusieurs cas. C'est ce que la section centrale
n'a point voulu admettre ; c'est ce que la chambre, je l'espère, n'admettra pas
non plus.
D'un autre côté, c'est une très grande aggravation de peine que de
pouvoir intimer l'ordre au condamné de quitter le lieu où sont ses intérêts,
ses affaires, où il a toujours eu sa résidence.
Je demanderai donc qu'on veuille bien opérer la division et mettre aux voix
séparément la proposition de M. le ministre de la justice relative à la
surveillance.
M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan). -
Je serai aussi court que les deux orateurs que vous venez d'entendre. L'honorable
M. Orts a dit que les lois de septembre n'étaient pas aussi sévères que celle
dont nous nous occupons ; il est vrai que les lois de septembre ne prononcent
pas la surveillance de la police pour |es délits de presse déférés aux cours
d'assises ; mais l'honorable membre aurait dû lire la loi dans son entier, il
se serait aperçu alors que les offenses prévues par les lois de septembre se
divisent en deux catégories : les offenses légères, celles-là ne sont pas
punies de la surveillance ; mais les offenses graves qui sont qualifiées
attentats et qui sont justiciables de la cour des pairs, peuvent être punies de
dix années de détention.
M. Orts. -
C'est le Code pénal.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je répète que les lois de
septembre n'ont pas prononcé la surveillance pour les cas passibles seulement
de peines correctionnelles prononcées par la cour d'assises, mais que les
offenses graves sont qualifiées attentats et peuvent entraîner la peine de 10
années de détention.
Ainsi, c’est une évidente erreur de prétendre que les lois de septembre,
quant aux délits d'offenses, commineraient des peines moins sévères que celles
que je propose.
M. Orts. - Je comprends que la loi de
septembre renvoie, quand il s'agit de faits qualifiés crimes, aux lois
ordinaires, tels sont les faits punis de détention pendant dix ans ; mais dix
années de détention, est-ce une peine correctionnelle ? Je maintiens que pour
des délits analogues à ceux que vous voulez punir, la loi de septembre ne
prononce pas la surveillance.
- La discussion est close.
M. Dubus (aîné). - Je demande la parole sur la
position de la question.
La section centrale propose la suppression de la seconde partie du
projet primitif ; il en résulte qu'on devra voter par division. La première
partie de l'article n'a donné lieu à aucune contestation ; quand on l'aura
votée, on en viendra à la deuxième, dont la section centrale a proposé le retranchement,
et ensuite à la troisième, qui est l'amendement proposé par M. le ministre.
M. le président. - Je mets aux voix la première partie de l'article 3
qui est ainsi conçue :
« Le coupable d'un des faits prévus aux articles 1 et 2, pourra, de
plus, être interdit de l'exercice de tout ou partie des droits mentionnés à
l'article 42 du Code pénal, pendant un intervalle de deux à cinq ans. »
- Adopté.
« § 2. Il pourra, pendant le même temps, être placé sous la surveillance
spéciale de la police. »
- L'appel nominal étant demandé par plus de cinq membres, il est procédé
à cette opération.
(page 1310) En voici le
résultat.
75 membres ont répondu à l'appel nominal.
29 ont répondu oui.
46 ont répondu non.
En conséquence, le second paragraphe n'est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. de Garcia, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de
Muelenaere, de Roo, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes,
d'Huart, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumortier, Fallon, Henot, Huveners,
Lejeune, Malou, Scheyven, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Brabant,
Clep, d'Anethan, Dechamps et de Corswarem.
Ont répondu non : MM. Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Meester, de
Mérode, de Renesse, de Saegher, Desmaisières, de Tornaco, de Villegas,
d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Eloy de Burdinne, Fleussu, Goblet, Jonet, Kervyn,
Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Mast de Vries, Mercier,
Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sigart, Verhaegen,
Veydt, Anspach, Biebuyck, Cans, Castiau, de Baillet, de Bonne, de Breyne,
Vilain XHII.
« § 3. Cette peine et une amende de 300 à 3,000 francs pourront
également être prononcées contre les coupables d'un des délits prévus par la
partie non abrogée de l'article 3 du décret du 20 juillet 1831, sans préjudice
de la peine déjà comminée, par ledit article. »
- Ce paragraphe est adopté.
L'ensemble de l'article, tel qu'il vient d'être amendé, est également
adopté.
Article 4
« Art. 4. Par modification à l'article 261 du Code d'instruction
criminelle, les individus renvoyés devant la cour d'assises du chef d'un des
délits prévus par la présente loi, seront jugés, si les délais le permettent,
dans la session des assises ouverte au moment de la prononciation de l'arrêt de
renvoi. »
M. Orts. -
Encore une fois, je trouve dans le rapport de la section centrale (page 8), à
propos de cet article, l'énoncé d'un principe bien juste.
J'y lis ce qui suit :
« Tout en adoptant cet article, elle (la section centrale) veut qu'il
soit bien entendu qu'il ne sera jamais permis au ministère public de faire
comparaître l'accusé devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au
moment où l’accusé du délit de presse sera renvoyé devant une cour d'assises. »
Le motif est palpable, c'est qu'il
faut qu'il soit impossible de faire juger l'accusé par un jury déjà connu du
ministère public.
Je propose d'insérer dans la loi le principe énoncé, par la section
centrale en ajoutant à la disposition de l'article 4 un paragraphe ainsi conçu
:
« Toutefois le ministère public ne pourra faire comparaître l'accusé, à
moins que celui n'y consente, devant un jury dont le tirage serait antérieur à
l’arrêt de renvoi. »
J’ajoute : « à moins que celui-ci n'y consente » ; c'est
conforme à la disposition du Code d'instruction criminelle qui autorise la
comparution immédiate devant la cour d'assises, si l'accusé le demande, si le
ministère public y consent et si le président l'ordonne.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Ce que propose l'honorable M. Orts
me paraît inadmissible. Il vaudrait infiniment mieux maintenir l'article du
Code d'instruction criminelle tel qu'il est, que d'adopter cet amendement.
L'honorable membre, en le proposant, ne s'est pas bien rendu compte, je
pense, de la manière dont on procède en matière criminelle. Le tirage du jury
se fait au moins quinze jours avant l'ouverture des assises ; ordinairement
même, il se fait trois semaines avant. Pendant le temps qui s'écoule entre le
tirage du jury et l'ouverture des assises, il arrive un grand nombre
d'affaires. C'est même en général pendant ce temps qu’arrive le plus grand
nombre des affaires au parquet de la cour d'appel.
Aux termes du Code d'instruction criminelle, les accusés qui arrivent à
la maison de justice la veille même de l'ouverture des assises, doivent être
jugés pendant la session qui va s'ouvrir. Il ne s'agit pas de leur demander
dans ce cas leur consentement. Il n'y a un consentement à demander que quand
ils arrivent après l'ouverture des assises.
D'après l'amendement, il faudrait que l'arrêt eût été rendu
antérieurement aux tirages du jury ; de manière que les individus qui, aux
termes du code d'instruction criminelle, doivent nécessairement être jugés dans
la session qui va s’ouvrir, devraient, d'après l'amendement de l'honorable M.
Orts, être renvoyés à la session suivante. Voilà la conséquence directe et
inévitable de l'amendement de l'honorable M. Orts.
Je ne sais si l'honorable membre a parlé de séries ; mais je lui
demanderai ce qu'il fera lorsqu'il s'agira de la dernière série.
Que voulons-nous ? Activer autant que possible la procédure, et nous ne
croyons pas nécessaire de donner plus de garanties à des individus prévenus
d'un délit de presse qu'aux individus accusés de crimes qui peuvent entraîner
les peines les plus graves.
Il n'y a donc aucun motif pour modifier ce qui a toujours existé, pour
adopter l'amendement de l'honorable M. Orts.
La disposition que je propose est importante au point de vue de la procédure
; c'est même une des dispositions les plus réclamées par M. le procureur
général de Bruxelles.
En effet, que se passe-t-il maintenant ? A Bruxelles ordinairement les
séries sont nombreuses ; il y en a trois, quelquefois quatre. Dernièrement des
individus avaient été renvoyés devant la cour d'assises, pendant la première
série d'une session. Aux termes du Code d'instruction criminelle, ils avaient
le droit de refuser de se laisser juger pendant aucune des séries de la
session. Ils en ont usé, et il en est résulté que le jugement a dû être renvoyé
à la session suivante, c'est-à-dire à une époque où le souvenir de leur délit
était en quelque sorte effacé.
Voilà ce qui est arrivé à différentes reprises ; voilà l'inconvénient
qui m'a été signalé par les procureurs généraux.
Mais, je le demande, surtout depuis qu'il y a plusieurs séries dans la
même session, quel inconvénient y a-t-il à adopter la disposition que je
propose ? Peut-on permettre aux prévenus de choisir en quelque sorte leur jury
? Peut-on donner aux prévenus le droit de dire après le tirage du jury : Il y a
dans le jury tels et tels individus dont je redoute l’impartiale justice ;
je ne veux pas être jugé par ce jury, bien que mon affaire soit en état, que
l'arrêt de renvoi ait été rendu et qu'il m’ait été notifié.
Est-ce là le moyen d'avoir bonne et prompte
justice ? Il ne faut pas permettre au prévenu de choisir son jury ; et qu'on ne
dise pas que d'après la disposition que je propose, le ministre public pourrait
lui choisir le jury ; puisqu'aux termes du Code d'instruction criminelle dès
qu'une affaire est en état, il faut de toute nécessité, que cette affaire, soit
jugée pendant la session qui s'ouvre, ; et quant à la fixation des affaires
dans les différentes séries qui se succèdent, il est à remarquer qu'elle ne se
fait pas, par les procureurs généraux, mais par des magistrats inamovibles, par
les présidents des assises.
Je pense, donc, messieurs, que l'amendement de l'honorable- M. Orts ne
doit pas être admis, que cet amendement irait précisément contre le but que
nous voulons atteindre par le projet de loi, et qu'il modifierait d'une manière
désavantageuse pour la promptitude des décisions judiciaires, les dispositions,
actuelles du Code d'instruction criminelle.
M. Orts. -
Messieurs, je n'aurais certes pas pu prévoir que lorsque la section centrale
paraissait déclarer, à l'unanimité, comme une chose bien entendue, qu'on ne
pourrait pas faire comparaître l'accusé devant un jury dont le tirage aurait
déjà été fait au moment où cet accusé était renvoyé devant une cour d'assises,
on viendrait s'élever contre ce que la section centrale regardait comme une
vérité de premier ordre.
Les motifs que M. le ministre de la justice a allégués pour combattre la
proposition que j'ai faite, ne me paraissent pas concluants du tout ; et voici
pourquoi :
Toute session d'assises est divisée, non pas en une, deux ou trois
séries, mais en autant de séries que les besoins du service l'exigent. Je
conviens qu'en matière de presse, il faut autant que possible accélérer la
marche de la procédure. Mais si un accusé était renvoyé devant les assises
après le tirage des jurés de la troisième série, rien n'empêcherait le
ministère public de faire ce qu'il a fait vingt fois, c'est-à-dire de provoquer
une nouvelle série.
Voici, messieurs, quel est l'inconvénient de la proposition de M. le
ministre. C'est qu'une fois que le jury sera tiré, l'on pourra faire
comparaître l'accusé devant la première, ou la seconde, ou la troisième série,
et le moyen pour atteindre ce but est bien simple., Il y a souvent vingt,
trente affaires qui se présentent, et dès l'abord il y a de quoi remplir deux,
même quelquefois trois séries, de telle sorte que le ministère public peut
demander la fixation de l'affaire dans la série qui lui convient.
Il faut, messieurs, que toutes choses soient égales entre le ministère
public et l'accusé. Or, voici le cas que je suppose. Quinze jours avant la
première série, on tire le jury. La composition du jury est connue ; le
ministère public peut traduire l'individu accusé devant ce jury. : Mais le
règlement du rôle de la cour d'assises n'appartient pas au prévenir ; il ne
pourra donc exiger d'être jugé par ce jury, je dis donc que la position n'est
plus égale ; ce n'est pas l'accusé qui forme les séries ; c'est le ministère
public, d'accord avec le président ; et c'est ce qui explique pourquoi la
section centrale a voulu avec raison qu'il fût bien entendu qu'il ne sera
jamais permis au ministère public de faire comparaître l'accusé devant un jury,
dont le tirage aurait déjà été fait au moment où l'accusé du délit de presse
sera renvoyé devant une cour d'assises. Ce sont les termes mêmes du rapport de
la section centrale.
Quels ont été ses motifs ? Elle ne
nous les a pas fait connaître ; mats ils ne peuvent être que ceux dont je viens
de parler. La section centrale n'a pas voulu qu'on pût forcer l'accusé à
comparaître devant un jury dont la composition serait connue ; elle a voulu
tenir la balance égale entre l'accusé d'une part et le ministère public et la
cour d'assises de l'autre, et je pense que son opinion est parfaitement juste.
La seule différence entre la section centrale et moi, c'est que je demande que
cette opinion soit formulée en loi, et que la section centrale ne fait pas
cette proposition.
Il ne s'agit d'ailleurs pas ici de majorité ni de minorité. Il paraît
que la section centrale a été unanime pour émettre l'opinion que Je défends.
M.
Vanden Eynde. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour
relever une erreur que vient de commettre l'honorable M. Orts.
Cet honorable membre vous a dit que le ministère public fixe les séries
dans lesquelles doivent être portées les causes.
M. Orts. -
Avec le président.
M.
Vanden Eynde. - Vous aviez d'abord dit que c'était le
ministère public qui fixait les causes pour la série qui lui convenait. Ensuite
l’honorable M. Orts a dit que le ministère public fixait ces causes d’accord
avec le président.
Je suis étonné de cette observation de la part de l'honorable M. Orts, (page 1311) qui a présidé lui-même les
assises. Il est vrai que c'était à une époque où il n'y avait pas de séries.
Cependant l'honorable membre qui a plaidé plusieurs fois devant la cour
n'assises, et qui a examiné le Code d'instruction criminelle et les lois du
jury portées en 1831, 1832 et 1838, doit savoir qu'il appartient au président
de la cour d'assises seul, d'abord en vertu du Code d'instruction criminelle,
ensuite des lois qui ont succédé et notamment de celle de 1838, de régler le
rôle des affaires pour chaque sérié. Le ministère public n'intervient nullement
dans cette opération. C'est le président qui donne ordre d'extraire l'accusé de
la prison, s'il y est détenu, et de le faire comparaître devant la cour
d'assises. Tout ce que le ministère public a à faire, c'est de venir soutenir
devant le jury son acte d'accusation.
Je dirai maintenant un mot de l'amendement de l'honorable M. Orts.
Si j'ai bien compris cet amendement, je pense avec M. le ministre de la
justice, qu'il déroge au Code d'instruction criminelle et à la loi de 1838 sur
le jury. Car, d'après cet amendement, l'accusé pour délit de presse renvoyé par
la chambre des mises en accusation devant la cour d'assises huit jours avant l'ouverture
d'une session, ne pourrait plus être traduit dans la première série, si le jury
était tiré. Or, d'après la loi de 1838, le jury doit être tiré au moins quinze
jours avant l'ouverture de cette série.
Je crois, messieurs, qu'il n'y a aucun motif pour déroger au code
d'instruction criminelle et à la loi de 1838, et qu'il serait dangereux
d'adopter l'amendement.
Messieurs, si le renvoi du prévenu a
eu lieu postérieurement à l'ouverture des assises, il est évident que le
président qui fixe son vote chaque fois qu'une série doit être tirée, ne va pas
changer son rôle, et pour y intercaler cette affaire de presse, en extraire une
autre qui aurait déjà été fixée, pour laquelle, d'après les ordres donnés au
ministère public, les assignations auraient déjà été faites, pour que les
témoins pussent se rendre à temps à la cour d'assises, et y donner leur
déposition.
Je crois donc, messieurs, que tel que le propose le gouvernement,
l'article 4 ne peut présenter aucune espèce d'inconvénient, parce que, je le
répète, le ministère public, ne peut rien changer à ce qui est dans les
attributions exclusives du président et que le président ne peut avoir aucun
motif pour extraire de son rôle une affaire qu'il aurait déjà fixée pour une
série, et la remplacer par une affaire de presse, qui serait venue
postérieurement, et même après l'ouverture des assises.
J'estime donc qu'il y a lieu d'adopter l'article tel que le propose le
gouvernement..
M. Van Cutsem. - Messieurs, l'article 4, comme l'article 3, a été
adopté à une grande majorité dans quatre de vos six sections, les deux autres
ne l’ont pas examiné.
Cet article a pour but d'accélérer la poursuite des délits de presse, en
ordonnant, par modification à l'article 261 du Code d'instruction criminelle,
que les individus renvoyés devant la cour d'assises du chef d'un des délits
prévus par la loi sur la presse, soient jugés, si les délais le permettent,
dans le courant de la session ouverte, au moment de la prononciation de l'arrêt
de renvoi.
Aujourd'hui, messieurs, que l'article 261 est en vigueur, l'accusé de
délit de presse renvoyé devant la cour d'assises, ne doit pas comparaître, s’il
ne le veut pas, devant cette cour d'assises ; seulement il peut y être appelé,
s'il le demande, avec l'assentiment du procureur général et du président de la
cour d'assises.
Que résulte-t-il de cette faculté donnée à l'accusé de délit de presse ?
! C'est que lorsqu'il croyait que le jury lui serait favorable, il venait
devant la justice, et que lorsqu'il croyait le contraire, il attendait la
session suivante de la cour d'assises ; et comme pendant chaque session de la
cour d'assises, il y a deux et trois séries de jurés, il pouvait choisir entre
deux et trois séries de jurés celle qui lui convenait le mieux pour pouvoir en
espérer un verdict d'acquittement, d'où la conséquence qu'il avait
véritablement le choix de son jury.
Si les dispositions de l'article 261 du Code d'instruction, criminelle
permettent aux accusés de délits de presse de choisir entre trois séries de
jurés celle qui leur convient le mieux, elle leur donnait aussi le bénéfice du
temps, qui n'est pas peu de chose en matière d'outrages commis par la voie de
la presse ; en effet, le temps rend l'outrage moins sensible, surtout lorsqu'il
est dénué de tout fondement, pour celui qui l'a reçu, et le mal que l'injure a fait s'oublie quand
plusieurs mois s'écoulent entre la punition de l'injure, et le jour où l'on
s'en est rendu coupable.
La section centrale a adopté l'article 4 par cinq voix contre deux, qui
n'ont pas voulu de procédure spéciale pour punir les offenses commises envers
le Roi et la famille royale.
Un des cinq membres qui ont voté l'article 4 a déclaré qu'il le votait,
quoiqu'il désapprouvât différentes autres dispositions du projet de loi, parce
qu'il lui paraissait que c'était celui qui produirait le résultat le plus
efficace.
La section n'a pas voulu que l'accusé du délit de presse put être appelé
par le ministère public devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au
moment où l'accusé du délit de presse serait renvoyé devant une cour d’assises,
parce que si l'accusé ne devait pas pouvoir choisir le jury devant lequel il
aurait à comparaître, le ministère public ne devait pas plus que lui pouvoir
faire le choix du jury devant lequel il assignerait l'accusé.
La section centrale, en empêchant la comparution d'un prévenu de délit
de presse devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment de la
prononciation de l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises, n'a eu en vue que
le jury en fonction après l'ouverture de la cour d'assises ; elle n'a pas voulu
étendre cette défense au jury dont le tirage se fait ordinairement une quinzaine
de jours avant l'ouverture de la cour d’assises, jury devant lequel
comparaissent tous les accusés renvoyés devant la cour d'assises avant son
ouverture. Sans cela, elle aurait créé encore une position exceptionnelle pour
les accusés en matière de presse.
Lorsque l'article 3 de la loi du 1er
mars 1832 était en vigueur, les causes devaient être fixées pour chaque série
de la cour d'assises avant le tirage du jury. Depuis l'abrogation de cet
article 3 par la nouvelle loi sur le jury, du 15 mai 1838, les accusés
comparaissent devant les jurés de chaque série après le tirage, pourvu qu'ils
soient à la maison de justice avant l'ouverture de la cour d'assises.
L'observation de la section centrale sur l'article 4 du projet doit donc
être comprise de cette manière, que la cour d'assises ouverte, l’accusé ne
pourra être appelé devant la série des jurés en fonction, qu'il ne pourra avoir
à comparaître que devant la série suivante, alors même qu'on devrait faire un
tirage de jurés pour une seule cause.
M. Delfosse. - M. le ministre de la justice vient de dire, en
repoussant l'amendement de l'honorable M. Orts, qu'il ne faut pas accorder plus
de garanties à ceux qui sont accusés des délits de presse qu'à ceux qui sont
accusés des crimes les plus graves.
On pourrait contester cette doctrine, on pourrait soutenir avec
fondement que c'est surtout en matière de presse que les mauvais gouvernements
ont une tendance à intervenir contre les accusés et qu’il faut, pour cette
raison, des garanties plus fortes en matière de presse qu'en toute autre
matière.
Mais ceux-là même qui admettent la doctrine de M. le ministre de la
justice reconnaîtront que si ceux qui sont accusés de délits de presse ne
doivent pas avoir plus de garanties que les autres accusés, ils doivent.au
moins en avoir autant ; pourquoi donc veut-on déroger, pour eux, à l'article
261 du Code d'instruction criminelle ?'
Je ne sais si je comprends bien le sens de cette disposition, mais il me
semble qu'elle donne aux accusés la double garantie qu'ils ne seront pas
traduits, malgré eux, devant un jury dont la composition serait déjà connue et
qu'ils auront, dans tous les cas, un délai suffisant pour préparer leurs moyens
de défense.
Je ne puis consentir à enlever ces garanties à ceux qui sont accusés
d'un délit de presse. Le droit de se défendre est un droit sacré que tous les
peuples civilisés respectent, il serait odieux de l'entraver.
M. le ministre de la justice n'a donné qu'une raison pour expliquer la
dérogation qu'il propose à l'article 261 du Gode d'instruction criminelle. Il
est bon, a-t-il dit, que l'accusé soit juge, lorsque l'offense qu'il a commise
est récente, lorsque l'impression qu'elle a produite n'est pas encore effacée.
Je crois, au contraire qu'il serait préférable de mettre moins de
précipitation dans le jugement. Le juré appelé à prononcer sur le sort d’un
accusé doit, avant tout, être calme, et l'agitation causée pan une offense
récente à la personne royale pourrait être de nature à jeter le trouble dans sa
conscience.
M. le ministre de la justice est venu
nous présenter cette loi sous l'impression d'un sentiment de colère ;
voudrait-il par hasard qu'un jury, composé d'hommes dévoués au Roi prononçât
son verdict sous la même impression ?
M. le ministre de la justice s'est plaint hier de l'amertume de
quelques-unes de mes paroles. Eh bien, je dis qu'il n'y a pas d'expressions
assez fortes pour flétrir la conduite et les projets de M. le ministre de la
justice ; et si j'éprouve un regret, c'est de n'avoir pas assez d'énergie.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Delfosse
m'a dit que je m'étais plaint de l'amertume de son langage ; il est dans
l'erreur ; je ne me plains pas plus de l'amertume de :son langage d'hier que de
l'amertume de son langage d'aujourd'hui ; je laisse à l'honorable membre le
regret de ne point trouver d'expressions assez énergiques pour flétrir le
projet de loi, et je lui donne l'assurance que ses expressions, quelque
énergiques qu'elles soient, ne parviendront pas à me faire dévier de la ligne
de conduite que je me suis tracée, et qui m'a valu l'approbation de la majorité
de la chambre.
Il me semble que l'on se rend un compte fort inexact de ce qui existe
maintenant. Les honorables membres auxquels j'ai à répondre, ont perdu de vue
les dispositions du Code d'instruction criminelle qui régissent maintenant la
poursuite des délits de presse.
Je pose des dates pour me faire mieux comprendre. Le jury, est tiré, par
exemple, le 1er octobre. Le 8 octobre, une ordonnance de la chambre des mises
en accusation renvoie devant la cour d'assises un individu du chef d'un délit
de presse. Les assises s'ouvrent le 15 octobre. D'après la loi qui nous régit,
l'individu renvoyé le 8 octobre, doit être jugé par la cour d'assises qui
s'ouvre le 15. Voilà ce qui existe maintenant ; eh bien, ce qui existe,
l'amendement de M. Orts le détruit ; il accorde aux prévenus en matière de
presse un véritable privilège, en leur permettant de se faire juger pendant la
première session qui s'ouvre après leur renvoi à la cour d'assises. Je dis
qu'un semblable privilège ne peut pas se justifier.
L'honorable M. Delfosse prétend que les prévenus en matière de presse
devraient avoir au moins autant et peut-être plus de garanties que les autres
accusés.
Mais, messieurs, l'honorable membre perd de vue la procédure qu'il faut
suivre en matière de presse. S'il y réfléchissait, il verrait que tous ses vœux
sont comblés. Car les individus prévenus d'un délit de presse ont beaucoup plus
de garanties que tous les autres prévenus : c'est ainsi (page 1312) qu'en matière correctionnelle ordinaire, vous avez
l'arrestation préventive, la citation directe à l'audience, et vous n'avez pas
la garantie du, jury ; mais en matière de presse, vous ne pouvez citer un
individu devant la cour d'assises qu'après que la chambre de conseil et la
chambre des mises en accusation ont statué.
L'on peut donc dire qu'en matière de délits de presse, les prévenus ont
un véritable privilège dont ne jouissent pas les autres prévenus en matière
ordinaire. Eh bien, on veut ajouter à ce privilège, en s'en remettant
complètement aux prévenus du soin de choisir leur jury pendant trois ou quatre
séries consécutives. Cela est-il admissible ? Est-ce le moyen de faire cesser les
inconvénients existants ?
Il faudrait donc pour qu'un individu, d'après l'amendement de
l'honorable M. Orts, pût être traduit devant la cour d'assises, que le tirage
du jury eût eu lieu postérieurement au renvoi de cet individu devant la cour
d'assises. Mais si l'amendement de l'honorable M. Orts était admis, ce serait
nous reporter à la loi du 1er mars 1832, loi qui prescrivait d'afficher, 24
heures avant le tirage du jury, l'indication des affaires qui devaient être
portées dans la session qui allait s'ouvrir. Les inconvénients très graves qui
résultaient de cet état de choses, ont fait adopter la disposition de la loi du
15 mai 1838, qui a supprimé cette affiche préalable. Et savez-vous quels sont
les orateurs qui ont le plus insisté pour cette suppression ? Ce sont les
honorables MM. Maertens et de Muelenaere.
Je pense donc que la chambre ne reviendra pas à un système qu'elle a
condamné avec raison en 1838.
On dit : Mais il faudra, et on le pourra toujours, provoquer une nouvelle
série, si l'affaire ne pouvait pas être portée à la dernière série, ou si la
session se composait d'une seule série. Cela serait possible, mais
occasionnerait des frais inutiles et qu'on éviterait en adoptant l'article que
je propose. Toutefois, cette difficulté ne remédierait pas aux inconvénients de
l'amendement de M. Orts, qui exige la mise en état avant le tirage, tandis
qu'elle n'est exigée maintenant qu'avant l'ouverture des assises ; mieux
vaudrait cent fois maintenir les dispositions de l'article. 261 du code
d'instruction criminelle, que d'adopter l'amendement de M. Orts.
On semble craindre que les prévenus n'auront pas assez de temps pour
préparer leur défense. Mais il y a des délais fixés, et ces délais ont toujours
une durée suffisante. Il y aura toujours un temps assez long qui s'écoulera
avant le moment où l'individu paraîtra devant la cour d'assises et celui de la
notification de l'arrêt de renvoi. En matière de presse, il s'agit d'apprécier
la valeur, le sens d'un article ; dans les cas prévus par la loi en discussion,
il ne s'agira que d'apprécier si un article est offensant pour le Roi ou pour
les membres de la famille royale.
Pour préparer la défense d'un article semblable, il ne faut pas faire un
long travail, il ne faut pas faire de bien grandes recherches. En France, où
l'on a admis la citation directe, on n'a jamais pensé que la défense fût par là
entravée. D'ailleurs, si le prévenu a quelque motif sérieux pour demander une
remise, l’article 306 du Code d'instruction criminelle lui en laisse le moyen ;
il demandera à la cour que l'affaire soit remise, et le président de la cour,
si les motifs allégués sont fondés, s'ils n'ont pas pour but de se soustraire à
un jury que l'on redoute, n'hésitera pas à accorder la remise.
Un membre. - Le peut-il ? La disposition est impérative.
M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan). -
L'article 306 est général. Le Code d'instruction criminelle disait aussi que
les individus arrivés dans la maison de justice seront jugés, et, malgré cette
prescription, l'article 306 permet au président de la cour de renvoyer
l'affaire à une autre session. Il est évident que les dispositions non abrogées
du décret de 1831 et du Code d'instruction criminelle, relatives aux délits
dont nous nous occupons, subsistent. Avec les seules dispositions de la loi qui
vous est présentée, comment serait-il possible de mettre une affaire sur pied ?
Les dispositions que j'ai proposées viendront s'encadrer dans les dispositions
du Code d'instruction criminelle. En matière de presse, on procédera comme en
matière criminelle. On doit donc suivre les dispositions du Code d'instruction
criminelle. J'ai modifié quelques-unes de ces dispositions, mais il est évident
que toutes les autres subsistent.
M. Orts. -
M. le ministre de la justice a fait grand étalage de ce qu'il appelle un
privilège qu'on donnerait aux écrivains. On commence par leur enlever un
bénéfice inscrit dans l'article 261. Quel a été le but ? On se trouvait en
présence de l'article 261 qui disait qu'un accusé, non constitué avant
l'ouverture des assises, pouvait demander son renvoi à une autre session.
Comment la section centrale a-t-elle motivé le changement apporté à l'article
261 ? Elle dit :
« Jusqu'aujourd'hui, cet article a été appliqué aux accusés de
délits de presse, de telle manière que, lorsqu'ils étaient renvoyés devant la
cour d'assises après l'ouverture de celles-ci, il leur était loisible (c'est un
loisir qu'on leur enlève), avec l'assentiment du procureur général et du
président de la cour, de comparaître devant elle ou de faire remettre la cause
à la session prochaine. Cette faculté leur permettait en quelque sorte de
choisir leurs juges et leur donnait à coup sûr, en faisant remettre leur
affaire à la session suivante, le bénéfice du temps, qui diminue, en général,
la gravité de l'offense et qui amène souvent des acquittements. »
Cet article leur permettait de faire remettre la cause, non à une série
subséquente de la session commencée, mais à une session prochaine, c'est-à-dire
à trois mois. Cette faculté leur permettait, en quelque sorte, de choisir leurs
juges, voilà le motif qui a déterminé la section centrale, et leur donnait à
coup sûr en faisant remettre l'affaire à la session prochaine, souvent à trois
mois et plus, le bénéfice du temps qui diminue la gravité de l'offense et qui
amène souvent des acquittements. Maintenant on dit : Nous vous enlevons un
bénéfice, nous ne voulons pas qu'on puisse renvoyer l'affaire à une autre
session.
En approuvant cette disposition, la section centrale veut qu'il soit
bien entendu qu'il ne sera jamais permis au ministère public, de faire
comparaître l'accusé devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au
moment où l'accusé du délit de presse sera renvoyé devant une cour d'assises.
Ainsi, si par exemple le 1er octobre, le tirage du jury amène certains noms et
que le 8 vous soyez décrété d'accusation, il est entendu qu'on ne pourra pas
vous forcer de vous présenter le 15 devant le jury qui était composé dès le 1er.
Vous trouvez juste, aux termes de la loi actuelle, qu'un accusé ne puisse pas
demander son renvoi à une autre session ; mais en adoptant ce système qui
enlève au prévenu un bénéfice dont il aurait joui en vertu de l'article 261,
vous dites qu'il ne sera jamais permis de le faire comparaître devant un jury
dont le tirage aurait déjà été fait.
Décrété d'accusation le 8, on ne pourra pas le faire comparaître devant
le jury dont le tirage aurait été fait le 1er pour siéger le 15 ; il devra
comparaître devant la seconde série, pourvu que les jurés de la seconde série
ne soient pas tirés ; de manière que vous lui donnez cette garantie en quelque
sorte comme une compensation de la perte du privilège
résultant de l'article 261 qui était la remise à trois mois. Vous lui enlevez
un privilège dont jouissent tous les accusés, et vous lui donnez comme fiche de
consolation un autre privilège. Qu'ai-je fait ? J'ai trouvé dans le rapport
même de la section centrale le texte de l'amendement que je propose en ce
moment, comme j'avais cru pouvoir prendre le texte de mon amendement à
l'article 2 dans la définition que M. le ministre de la justice avait donnée,
des mots famille royale sur les demandes d'explications de la section centrale
; j'ai demandé qu'elle fût insérée dans la loi. M. le ministre paraît avoir
changé d'avis. Aujourd'hui, ce n'est plus ce qu'il avait dit à la section
centrale. Toutes ces variations, toutes ces fluctuations d'opinion ne
prouvent-elles pas qu'il convient d'écrire dans la loi même ce que la section
centrale a consigné dans son rapport ? Je suis les mots du rapport et je
propose d'ajouter : » Toutefois il ne sera jamais permis à un ministère public
de faire comparaître l'accusé devant un jury dont le tirage aurait déjà été
fait au moment où l'accusé serait renvoyé devant la cour d'assises. »
M. de Garcia. - Je n'ai
que peu de mots à ajouter aux observations faites par M. le ministre de la justice
contre l'amendement de M. Orts. L'honorable membre ne disconvient pas que c'est
un privilège qu'il établit en faveur des prévenus de délits de presse. Je veux,
dit-il, leur donner ce privilège, parce que vous leur enlevez une partie des
garanties dont jouissent les accusés ordinaires. Pour moi, je ne pense pas
qu'on puisse accorder ce privilège dans les circonstances dont il s'agit. Il
faut reconnaître qu'il y a une différence immense entre les prévenu» de délit
de presse et les autres accusés.
L'accusé est toujours sous les verrous, dans la prison, tandis que
l'individu prévenu d'un délit de presse reste en liberté. A ce point de vue, la
différence est grande. Aussi il tarde toujours à l'accusé de paraître devant le
jury. Je siège depuis bien longtemps aux assises. J'ai vu souvent des accusés
qui avaient le droit de demander le renvoi de leur affaire aux assises
suivantes ; jamais je n'en ai vu qui aient fait usage de ce droit. Tout
individu qui est prévenu demande prompte justice, demande à être jugé le plus
tôt possible, pour être mis en liberté, s'il est déclaré innocent.
Quant à l'individu prévenu d'un délit de presse, jamais il ne demandera
à paraître devant le jury ; il est libre.
C'est du reste une erreur de croire que le ministère public pourra
choisir le jury. Le jury n'est choisi par personne. C'est le sort qui le
désigne.
Il y a trente-six jurés ; douze sont appelés à former le jury de
jugement ; c'est là que le ministère public et la défense exercent leur droit
de récusation.
On ne peut comparer à la position d'un accusé ordinaire celle d’un
individu prévenu d'un délit de presse et qui demande à être renvoyé à la
session prochaine pour choisir, lui, son jury, ce qu'il pourrait faire
puisqu'il est libre.
Cette différence de position doit
amener une différence dans le mode de procédure.
Ce n'est pas que je veuille que les jurés soient animés d'indignation,
de colère pour juger. On ne doit jamais supposer les jurés animés de ces
sentiments. On ne fait point cette supposition dans des affaires ordinaires, je
ne la fais point pour des délits de presse. Si l'on croyait qu'un jury pût être
hostile à un accusé, je ne sais pas pourquoi l'on ne demanderait pas le renvoi
devant les assises d'un autre province.
M. Delfosse. - Remarquez bien, messieurs, que j'ai pris la parole,
moins pour défendre l'amendement de M. Orts, que pour combattre la proposition
du gouvernement.
Cette proposition est d'autant plus dangereuse, qu'un délit de presse
peut, d'après la jurisprudence établie, être poursuivi non seulement au lieu de
la publication, mais même au lieu de la distribution, et vous savez qu'il n'est
pas difficile de faire circuler un écrit à l'insu de l'auteur.
Il pourrait donc dépendre du
gouvernement de choisir, en quelque sorte, le jury devant lequel l'accusé
devrait comparaître ; mon honorable ami, M. Delehaye, a présenté un amendement
pour parer à ce danger ; (page 1313)
mais il n'est pas sûr que cet amendement obtiendra l'assentiment de la chambre.
M. le ministre de la justice a laissé debout la partie de mon discours
qui concerne le droit de défense. Le Code d'instruction criminelle, voulant que
l'accusé eût un délai suffisant pour préparer sa défense, lui a laissé le droit
de retarder sa comparution devant la cour d'assises. C'est là une disposition
importante qu'il est de notre devoir de maintenir ; la chambre s'exposerait à
de graves reproches, si elle dérogeait à cette disposition pour les délits de
presse.
M. Van Cutsem, rapporteur. - Aux termes
de l’article 261 du Code d'instruction criminelle, les accusés qui ne sont
arrivés dans la maison de justice qu'après l'ouverture des assises ne peuvent y
être jugés que lorsque le procureur général l'a requis, qu'ils y ont consenti,
et que le président l'a ordonné.
Pour les accusés en matière de presse, il ne peut être question de
l'arrivée à la maison de justice, puisqu'il n'y a pas pour eux de détention
préventive.
On met la date de l'arrêt de renvoi sur la même ligne que l'arrivée, à
la maison de justice, on dit que si l'arrêt de renvoi est prononcé
postérieurement à l'ouverture de la session, l'accusé aura le droit de faire
renvoyer son affaire à la session suivante, si le procureur général le requiert
et si le président l'ordonne.
C'est cette disposition applicable au délit de presse que la section
centrale, par cinq voix contre deux, a voulu enlever aux accusés en matière de
délit de presse.
Mais en leur enlevant cette faculté, elle a voulu aussi que quand l'arrêt
de renvoi serait prononcé après la session et lorsque le jury serait en
fonctions, on ne pût faire comparaître l'accusé devant un jury qui aurait jugé
d'autres affaires. Elle a voulu qu'on le fît comparaître devant le jury de la
même session, mais d'une autre série.
L'honorable M. Orts n'a pas compris la proposition de la section
centrale comme je viens de l'expliquer. D'après cet honorable membre la
prononciation de l'arrêt de renvoi après le tirage du jury qui aurait eu lieu
avant l'ouverture de la Cour d'assises, devrait faire renvoyer l'affaire de
l'accusé de délit de presse, devant une autre série de jurés que celle connue
avant l'ouverture de la cour d'assises, par cela seul que les noms de ces jurés
seraient sortis de l'urne avant la prononciation de l'arrêt de renvoi ; or,
telle n'a pas été la pensée de la section centrale, elle n'a pas voulu mettre,
sous ce rapport, les accusés de délits de presse, dans une position plus
favorable que les accusés de crimes en matière ordinaire, qui ont à comparaître
devant un jury connu lorsqu'ils arrivent à la maison de justice avant
l'ouverture de la cour d'assises ; elle n'a voulu qu'une chose, c'est que
l'accusé de délit de presse ne pût se voir juger par un jury déjà en fonction à
une cour d'assises à la date de l'arrêt de renvoi.
J'ose croire qu'avec ces explications
l'honorable M. Orts comprendra à présent de quelle manière doivent être
interprétés les mots, il est bien entendu qu'il ne sera jamais permis au
ministère public de faire comparaître l'accusé en matière de délit de presse
devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment où celui-ci sera
renvoyé devant une cour d'assises, et qu'il renoncera à l'amendement qu'il
avait cru devoir proposer à l'article 4.
M. Orts. -
Ce n'est pas formulé dans l'article.
M. Delehaye. - Qu'il me soit permis de citer à la chambre un
exemple qui prouvera le danger de la singulière doctrine de M. le ministre de
la justice. Il y a quelque temps, un journal critiquait une exécution vraiment
scandaleuse, surtout lorsqu'on la comparaît avec certaines commutations de
peine. Cette exécution avait soulevé à Gand une indignation générale qui fut
partagée par la magistrature tout entière. Un journal avait exprimé l'opinion
que tout le monde avait eue à Gand. Le ministère a été sur le point de
poursuivre l'auteur de cet article, tellement que je sais pertinemment que des
personnes avaient été consultées à ce sujet. Le gouvernement prétend que la loi
lui permet de poursuivre un écrivain dans une province autre que celle où son
article a été publié.
Je suppose un instant que la doctrine de M. le ministre de la justice
soit adoptée. Qu'arrivera-t-il ? On fixe le jury dans une province, à Namur, à
Luxembourg, dans le Brabant ou ailleurs. Le ministre trouve que dans une de ces
provinces lé sort a été favorable à sa manière de voir. Il achète quelques
numéros du journal qu'il veut incriminer ; il les fait distribuer dans cette
province ; et immédiatement il donne ordre de poursuivre. Ainsi non seulement
le gouvernement pourrait renvoyer, devant un jury connu, un homme mis en
accusation, mais il pourrait même n'ordonner la poursuite que lorsque le jury
serait connu.
En effet, il ne faut pas toujours quinze jours pour entamer et finir une
instruction et pour obtenir un arrêt de renvoi. II en résulterait que, par ce
moyen, le gouvernement pourrait faire comparaître l'auteur d'un article devant
le jury qu'il croirait partager sa manière de voir, et cela dans une province
autre que celle où l'article a été publié, et où le gouvernement souvent
n'aurait pas osé poursuivre.
Voilà un danger que je signale, et il n'est pas imaginaire. Car comme
j'ai eu l'honneur de vous le dire tout à l'heure, il a été question
dernièrement encore de poursuivre l'auteur d'un article publié à Gand. On n'a
reculé devant cette poursuite, que parce qu'on a su que la magistrature tout
entière partageait l'indignation générale. Partout on a été indigné de voir
qu'un homme qui à l'âge de 27 ans, avait, dans un moment d'exaltation, dans un
moment de colère, commis un assassinat, était impitoyablement exécuté, alors
qu’un homme qui avait empoisonné sa femme et cherché à empoisonner tous ses
domestiques, avait obtenu line commutation de peine, alors qu'un homme condamné
pour avoir assassiné sa mère par cupidité, pour être libéré d'une rente
alimentaire qu'il lui faisait, avait eu une commutation de peine.
Ces faits, messieurs, avaient soulevé
une telle indignation qu'un journal avait cru devoir les signaler. L'auteur de
l'article a été sur le point d'être poursuivi. Eh bien, d'après la doctrine que
vient d'exposer M. le ministre, il aurait pu être poursuivi dans une province
où il eût été impossible d'apprécier la portée de l'article incriminé, les
circonstances qui l'avaient fait publier.
Voilà le danger que je vous signale. Non seulement vous pouvez profiter
d'un jury connu depuis les poursuites, mais encore, tout en arrachant un
écrivain à ses juges ordinaires, vous pouvez le poursuivre devant un jury connu
au moment de la poursuite.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Delehaye
s'est livré à des considérations tout à fait étrangères au projet de loi en discussion.
Il m'a reproché d'avoir laissé faire à Gand line exécution qui aurait excité
l'indignation générale. Cette indignation générale aurait été excitée, parce
que d'autres individus, plus coupables et moins dignes de grâce, auraient
antérieurement obtenu des commutations de peine. Je doute que M. Delehaye
connaisse tous les détails de ces affaires et toutes les circonstances qui ont
pu postérieurement se révéler.
Messieurs, je l'ai déjà déclaré dans une autre enceinte, je ne crois pas
pouvoir accepter de discussion, lorsqu'il s'agit d'expliquer les motifs pour
lesquels des exécutions capitales n'ont pas eu lieu. Si l'on critiquait des
exécutions capitales qui auraient eu lieu, en s'occupant exclusivement de ces
exécutions mêmes, alors je pourrais, dans certaines circonstances, ne pas faire
difficulté de justifier la mesure prise, et d'expliquer pourquoi certains
individus ont dû payer de leur tète les crimes qu'ils avaient commis. Mais
jamais je n'accepterai, et pas plus que moi, je crois, aucun de mes
prédécesseurs n'aurait accepté, et aucun de mes successeurs n'acceptera une
discussion de la nature de celle dans laquelle l'honorable M. Delehaye voudrait
m'engager.
M. Delehaye. - J'ai cité des exemples.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Est-ce que l'honorable M. Delehaye
voudrait me convier à venir dire les motifs pour lesquels nuitamment une des
deux personnes dont il parle n'a pas été exécutée ?
M. Delehaye. - Je connais les motifs.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si vous connaissez les motifs, il
y a d'autres membres de cette chambre qui les connaissent aussi, et je suis
persuadé que ces membres auront la loyauté de les déclarer.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Mais, je le répète, je ne veux pas
accepter de discussion sur ce point. S'il s'agissait de soutenir la théorie que
j'ai soutenue au sénat, je serais prêt à la défendre encore, et je suis fâché
de devoir le dire à l'honorable M. Lebeau, il a bien involontairement sans
doute, mais il a complètement dénaturé ce qui s'est passé au sénat.
L'honorable membre a dit : « Au sénat, on a été tellement indigné de la
déclaration qui avait été faite dans le Moniteur par M. le ministre de la
justice, que cette assemblée a cru devoir protester. »
C'est, messieurs, précisément le contraire qui a eu lieu. Au sénat, un
honorable membre avait pensé qu'en matière de grâce, il ne devait pas y avoir
de responsabilité ministérielle, et c'est moi qui ai alors pris la parole et
qui, d'accord avec un ami de l'honorable M. Lebeau, avec l'honorable M. de
Haussy, ai combattu la doctrine de cet honorable sénateur. Ainsi, loin d'avoir
dû rétracter les paroles qui se trouvaient dans le Moniteur, je les ai
expliquées au sénat, alors qu'on voulait donner à ces paroles une extension
qu'elles ne comportaient pas.
Revenant, messieurs, à l'examen de la loi, l'honorable M. Delehaye me
prête un machiavélisme du reste impossible à réaliser ; ainsi, l'honorable
membre suppose qu'un jury serait tiré à Namur, par exemple, que par une
connaissance tout extraordinaire des individus, j'aurais pu à l'instant
apprécier les opinions de ce jury, que j'aurais dit :« Voilà un jury qui me
convient, » et que j'aurais alors à l'instant fait répandre dans la province de
Namur quelques-uns des écrits qui auraient déjà été publics ailleurs pour faire
intenter une poursuite ; mais avant de paraître aux assises, il faut y être
renvoyé par une ordonnance de la chambre du conseil et un arrêt de la chambre
des mises en accusation, et tout cela serait terminé assez à temps pour que ce
jury, qui me conviendrait si bien, puisse connaître de l'affaire.
Messieurs, je demande si, en présence
des délais nécessaires et que l'honorable M. Delehaye connaît sans doute, il
est possible de supposer qu'une pareille manœuvre soit tentée et surtout soit
réalisable.
L'honorable M. Delfosse pense, lui, que l'on pourrait choisir un, deux,
trois jurys.
M. Delfosse. - Pas à la fois. Vous choisiriez celui qui vous
conviendrait le mieux.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Bien. C'est ainsi que j'avais
compris ce que vous avez dit.
Ainsi je choisirais dans un, deux ou trois jurys, celui qui me
conviendrait le mieux.
L'honorable membre ignore probablement que les chambres des mises en accusation
elles-mêmes ont des règles tracées, et qu'il ne dépend pas d'elles, encore
moins de moi, lorsqu'un individu est renvoyé devant elles, (page 1314) de choisir le jury et de
dire arbitrairement : Vous comparaîtrez devant la cour d'assises de Liège,
devant la cour d'assises de Namur, ou devant la cour d'assises du Luxembourg.
M. Delfosse. - Il est évident que le gouvernement
peut exercer de l'influence (interruption)
sur les poursuites. Il peut exercer de l'influence sur certains magistrats de
l'ordre judiciaire ; il peut dire : Poursuivez. (Interruption.) Il ne peut pas dire : Condamnez, mais il peut dire :
Poursuivez. (Interruption). Je parle
des magistrats sur lesquels le gouvernement exerce de l'influence. Je sais bien
que les conseillers des cours d'appel sont inamovibles et indépendants. On ne
doit pas dénaturer ma pensée.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne dénature pas la pensée de
l'honorable M. Delfosse, niais qu'il me permette de le dire, je tachais de la
rendre quelque peu raisonnable. Ce que dit l'honorable M. Delfosse revient
absolument à ce que disait l'honorable M. Delehaye : l'influence que nous
exerçons, nous ne l'exercerons que sur les membres du parquet ; nous pourrons
donc donner l'ordre de poursuivre après que le tirage a été fait. Eh bien, j'ai
prouvé tout à l'heure que l'ordre donné après le tirage rendait impossible le
renvoi devant la cour d'assises, assez à temps pour que le prévenu pût être
jugé par le jury déjà tiré.
J'ai donc le droit de dire, que loin de dénaturer la pensée de
l'honorable M. Delfosse, j'avais cherché à trouver à cette pensée une
explication raisonnable.
L'honorable membre se plaint toujours de ce que la défense pourrait être
entravée. J'ai déjà cité un article qui serait appliqué par la magistrature,
dans laquelle l'honorable membre a avec raison grande confiance, qui
empêcherait certainement que la défense fût le moins du monde entravée, qui
donnerait au prévenu le temps nécessaire pour préparer sa défense.
Quand il s'agit de délits ordinaires, combien de temps donne-t-on au
prévenu pour préparer sa défense ? Combien de temps y a-t-il entre le jour de
la citation et celui de la comparution ? Trois jours. Mais quand il s'agit de
la presse, quand il s'agit d'un individu qui se sera permis de publier un
libelle offensant contre le Roi ; oh ! alors il faudra sans doute lui donner
bien d'autres garanties, il faudra lui accorder plus de temps qu'on n'en donne
même à un accusé qui peut être exposé à porter sa tête sur l'échafaud !
J'ai encore un mot à dire sur l'article 261pour appuyer les observations
faites par mes honorables amis, MM. de Garcia et Van Cutsem.
L'article 261 dit, que l'individu renvoyé devant une cour d'assises ne
pourra être jugé pendant la session qui était ouverte au moment de son arrivée
à la maison de justice, à moins qu'il n'y consente et que le procureur général
ne le requière : mais en matière ordinaire, cet article, comme l'a dit
l'honorable M. de Garcia, je pense, ne présente aucune espèce d'inconvénient.
Vous ne pouvez pas supposer, et le législateur n'a pas supposé que bénévolement
un individu demande à rester en prison, à retarder le jour où il sera jugé. S'il
ne consent pas à être jugé pendant la session, c'est qu'il a des motifs
puissants, pour n'y pas consentir. Mais si vous accordez le même droit au
prévenu d'un délit de presse, cet individu, qui est en liberté, qui n'est pas
retenu par la crainte de devoir rester en prison, cet individu refusera
toujours, et c'est ce qui est, en effet, arrivé, il refusera toujours d'être
juge pendant la session, il espérera peut-être mieux d'un jury suivant, il
espérera que le souvenir du fait qu'il a posé se sera effacé. Il aura
évidemment le plus grand intérêt à retarder le jour où il devra comparaître
devant la justice.
C'est, messieurs, je le répète, ce qui existe en fait ; il n'est pas, je
pense, un seul prévenu en matière de presse qui ait consenti à être jugé
pendant la session ouverte au moment où il a été renvoyé devant la cour
d'assises. En matière de crimes ordinaires, le contraire a toujours heu.
Ainsi, messieurs, des inconvénients
existent dans l'état actuel des choses, ces inconvénients sont signalés par
l'expérience, et il est important de les faire cesser. Je le répète, le
procureur général près la cour de Bruxelles, qui a eu plusieurs fois à
poursuivre des délits de presse, insiste fortement sur ce qu'il considère comme
une des modifications les plus importantes à apporter à la législation.
M. le président. - M. Vanden Eynde propose de finir ainsi l'article 4
:
« Toutefois devant un jury autre que celui qui fonctionne au moment
du renvoi. »
M.
Vanden Eynde. - Messieurs, j'ai cru devoir proposer un
amendement qui, je pense, rentre tout à fait dans les vues de la section
centrale. Veuillez bien remarquer que l'article 4 parle du cas où l'affaire est
renvoyée devant une cour d'assises déjà en fonctions, et le gouvernement veut
que l'accusé ainsi renvoyé puisse encore être juge devant cette cour,
contrairement à l'article 261 du Code d’instruction criminelle. Eh bien,
messieurs, quel est l'esprit de l'article 261 du Code d'instruction criminelle
? Vous savez tous que sous le régime du Code d'instruction criminelle on ne
tirait qu'une seule série, de 30 jurés, qui devait siéger pendant toute la
session.
L'accusé qui arrivait ainsi à la maison de justice, alors que le jury
était déjà connu, ne pouvait être traduit devant ce jury que pour autant qu'il
y consentait. Par la loi de 1832 et ensuite par celle de 1838, on a permis, à
raison du nombre des affaires et pour soulager les personnes appelées à remplir
les fonctions de jurés, de diviser les affaires portées devant la cour
d'assises en plusieurs séries, et que pour chaque série on tirât une liste de
30 jurés devant lesquels seraient portées les affaires que le président
fixerait pour chaque série. Eh bien, par mon amendement je rentre entièrement
dans le but de l'article 261, qui ne veut pas qu'on puisse traduire, sans son
consentement, devant le jury déjà en fonction, un accusé qui arrive à la maison
de justice, quand les assises sont ouvertes.
D'après mon
amendement, le prévenu d'un délit de presse, renvoyé devant la cour d'assises,
après l'ouverture des assises, ne pourra plus être jugé par le jury qui
fonctionne au moment de son renvoi. Ce système est parfaitement conforme à
celui de l'article 261 du Code d'instruction criminelle. Je pense donc que mon
amendement peut très bien remplacer celui de l'honorable M. Orts.
M. Orts. -
Je me rallie à l'amendement de M. Vanden Eynde.
M.
Verhaegen. - J'ai demandé la parole, messieurs, parce que
M. le ministre de la justice a fait un appel à ma loyauté, et cet appel ne
m'aura pas été fait en vain.
Messieurs, je suis trop souvent obligé d'attaquer M. le ministre de la
justice, pour ne pas me mettre d'accord avec lui, lorsqu'il a raison.
Je n’ai pas à examiner si les grâces qui ont été accordées à Gand l’ont
été convenablement ; je n’entre pas dans cette question ; il ‘y a
qu’un seul point sur lequel je doive donner des renseignements, parce qu’il
m'est en quelque sorte personnel.
On a reproché à M. le ministre de la justice la grâce d'un homme
condamné à mort comme convaincu d'avoir empoisonné sa femme. Eh bien,
messieurs, je dois dire que si je m'étais trouvé à la place de M. le ministre
de la justice, je n'aurais pas une heure de repos, si j'avais refusé cette
grâce.
Voici d'ailleurs les faits :
L'homme auquel on a fait allusion, avait été condamné par la cour
d'assises de Gand, non seulement pour avoir empoisonné sa femme, mais encore
pour avoir tenté d'empoisonner tous ses domestiques.
L'affaire fut portée devant la cour de cassation ; elle me fut
recommandée par un de mes amis de Gand, M. Rolin, qui y attachait la plus haute
importance, parce qu'il avait la conviction que son client n'était pas coupable
; sa conviction, puisée dans les débats, se fortifiait par le fait que
c’étaient les parents de la femme qui l’avaient engagé à se charger de la
défense.
Je suis parvenu à obtenir la cassation de l'arrêt et l'affaire fut
renvoyée devant la cour d'assises de Bruges. A Bruges, le jury répondit
négativement sur la question relative à la tentative d'empoisonnement contre
les domestiques, et, de ce chef, l'accusé fut acquitté ; quant à
l'empoisonnement sur la femme, le jury répondit affirmativement à la simple
majorité de 7 voix contre 5, et la cour se joignit à la majorité du jury. On
apprit plus tard qu'un des jurés de la majorité avait perdu la raison !
Eh bien, la main sur la conscience, je vous le
demande, messieurs, auriez-vous osé faire exécuter cet homme ? Aucun de vous
n'aurait pris sur lui cette responsabilité. Chez moi il y avait plus que du
doute, et pour la première fois depuis que M. d'Anethan est au ministère, je
m'adressai a lui et je lui démontrai tous les dangers d'une exécution capitale,
en lui exposant les phases des deux épreuves criminelles que le condamné avait,
subies. M. le ministre a appuyé la demande en grâce, et il a bien fait.
Des membres. - Très bien.
M. Lebeau. -
Messieurs, je ne voudrais pas prolonger l'incident qui a été soulevé par M. le ministre
de la justice, lorsqu'il a prononcé tout à l'heure mon nom. J'ai dit, et je
crois avoir été narrateur fidèle des faits ; j'ai dit que M. le ministre de la
justice avait tenu, dans le sein du sénat, un langage tout différent de celui
qu'il avait tenu dans le Moniteur.
Je déclarerai tout d'abord que je comprends parfaitement que dans
l'exercice du droit de grâce, la discussion, si elle n'est pas toujours
impossible, et vous venez d'en avoir la preuve ; si elle n'est pas toujours
impossible, est du moins parfois bien difficile, bien dangereuse. Mais ce
contre quoi je m'étais élevé, c'est contre cette doctrine, consignée au
Moniteur, résultant, sinon de la volonté du rédacteur, au moins du texte même :
qu'il y avait telle prérogative qui était inhérente à la personne du Roi et qui
dès lors n'engageait pas, après son exercice, la responsabilité ministérielle.
J'aurais compris qu'on dît qu'il y
avait certain exercice de la prérogative qui ne pouvait pas convenablement
tomber dans la discussion, à l'égard duquel un ministre pouvait, sous sa
responsabilité personnelle, à ses risques et périls, décliner tout débat
parlementaire. Mais dire, comme on l'a imprimé, et je commence à croire,
d'après ce qu'on a énoncé au banc ministériel, qu'on n'a pas rendu la véritable
pensée du cabinet ; mais dire qu'il y a des prérogatives inhérentes à la
personne royale, en opposition avec les prérogatives de la Constitution,
c'était là une doctrine contre laquelle je croyais devoir protester, à
l'instar, quoi qu'on en dise, de ce qui a été fait au sénat. Voilà toute la
question.
M. Delfosse. - Je n'ai qu'un mot à répondre à M.
le ministre de la justice.
La confiance que la magistrature doit inspirer n'est pas suffisante en
matière de presse ; le congrès a pensé qu'il fallait en cette matière d'autres
garanties que l'inamovibilité et l'indépendance des magistrats ; la
Constitution a voulu l'intervention du jury. Je me tiens donc dans l'esprit de
la Constitution lorsque je réclame, pour ceux qui sont accusés d'un délit de
presse, des garanties qui ne dépendent ni des officiers du parquet, ni des
cours d'appel, et je crois n'offenser en cela ni la raison, ni la magistrature.
- La clôture est demandée.
M. Delehaye
(contre la clôture). - Je suis, en quelque sorte, dans (page 1315) le cas de pouvoir demander la parole pour un fait
personnel. (Interruption.)
Messieurs, celui qui croit avoir à répondre à un fait personnel en est
seul juge. Il n'appartient pas au président d'apprécier la question, s'il a été
donné lieu oui ou non à un fait personnel. Je dirai donc que je n'ai point
blâmé le droit de grâce dont il a été fait usage en faveur d'un individu
condamné pour empoisonnement exercé sur sa femme. Je n'ai ni blâmé ni approuvé
ce fait. Mon honorable ami Verhaegen n'avait donc nul besoin de se justifier de
ce chef. J'ai dit et je persiste à dire que l'exécution d'un homme condamné
pour assassinat commis dans un moment d'emportement, était, en présence de la
grâce accordée, un véritable scandale.
M. Fleussu (contre la clôture). -
Messieurs, j'ai une observation toute nouvelle à présenter ; je veux établir un
rapprochement entre la disposition nouvelle et l'article 7 du décret sur le
jury. Je voudrais appeler l'attention du gouvernement sur ce point, pour ne pas
compromettre le sort d'une disposition existante.
Messieurs, d'après l'article 11 du
projet, qui n'est pas retiré par M. le ministre de l'intérieur, mais qui est
seulement disjoint de la loi ; il est probable que M. le ministre de la justice
reviendra à son opinion, quand on discutera ce projet dans les sections. Alors,
si son opinion triomphe, il en résultera que la procédure que vous établissez
maintenant, s'appliquera à tous les délits de presse en général. Quand un
fonctionnaire se plaindra d'un délit de presse, par exemple, d'après le décret
du congrès, le prévenu a le droit de faire entendre des témoins pour établir la
preuve des faits qu'il a avancés ; la liste des témoins doit être modifiée, si
je ne me trompe, dans le délai de 15 jours à partir du jour de la mise en
accusation. D'un autre coté le ministère public et la partie intéressée ont le
même délai pour faire une contre-enquête s'ils le jugent à propos. Je demande
si avec la disposition du gouvernement on pourra encore observer les délais que
je viens de rappeler.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'article porte : Si les délais le
permettent.
Un membre. - M. le ministre se rallie-t-il à l'amendement de M.
Vanden Eynde ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je m'y suis rallié.
- La clôture est prononcée.
L'amendement de M. Vanden Eynde est mis aux voix et adopté.
M. le président. - L'article 4 se trouverait conçu comme suit :
« Art. 4. Par modification à l'article 261 du Code d'instruction
criminelle, les individus renvoyés devant la cour d'assises du chef d'un des
délits prévus par la présente loi, seront jugés, si les délais le permettent,
dans la session des assises ouverte au moment de la prononciation de l'arrêt de
renvoi, toutefois devant un jury autre que celui qui fonctionne au moment du
renvoi. »
- L'ensemble de l'article 4 ainsi amendé est également adopté.
La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.