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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 12 mars 1847
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre notamment pétitions relatives à un octroi
communal (de Baillet), au recensement des denrées
alimentaires (de Sécus), à une demande d’indemnité d’un
fermier de barrière (Lesoinne) et à une demande de
blâme à l’encontre d’un membre de la chambre (Delfosse)
2)
Projet de loi relatif à la nouvelle répartition des représentants et des
sénateurs. Réforme électorale (notamment prise en compte des capacitaires,
abaissement du cens) (proposition Castiau) (Fleussu, Dechamps, (+congrès libéral) d’Elhoungne,
Dumortier, Castiau, Dumortier, (+congrès libéral et influence du clergé dans
les élections) (de Mérode, Verhaegen),
Lesoinne, d’Elhoungne, Dolez, Delfosse)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1117) M. Huveners procède
à l'appel nominal à 1 heure un quart.
M. de Man d’Attenrode
donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est
approuvée.
M. Huveners communique
l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les notaires du canton de Glons demandent la prompte discussion du
projet de loi sur le notariat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
________________
«Le sieur Van Robays, notaire à Oostroosebeke, demande que les notaires
ne puissent remplir les fonctions de bourgmestre, de secrétaire, ou de receveur
communal, ni toute autre fonction exigeant un séjour régulier dans une commune
qui ne serait pas celle de sa résidence et où se trouverait un autre notaire. »
- Même dépôt.
________________
« Le sieur Charles Leleu, garde
en chef du canal de Bruxelles, à Willebroek, né à Lille (France), demande la
naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs fabricants, marchands
et autres habitants de Philippeville demandent le retrait du nouveau tarif de
l'octroi de cette ville. »
- Sur la proposition de M. de
Baillet-Latour, renvoi à la commission des pétitions,
avec demande d'un prompt rapport.
« Le conseil communal d'Ath
demande une loi qui ordonne le recensement immédiat des denrées alimentaires
existantes dans le pays. »
- Sur la proposition de M. de Sécus, renvoi à la commission des pétitions
avec demande d'un prompt rapport.
________________
« Le sieur Vandercruysse prie la
chambre d'interdire la réexportation des céréales et de limiter la durée de
leur séjour en entrepôt, et demande que le gouvernement achète des grains aux
lieux mêmes de provenance, les transporte en Belgique par les navires de
l'Etat, et les vende au prix coûtant, tous frais compris. »
- Même renvoi.
« Le sieur Libert, fermier de la
barrière n° 1, sur la route de Jemeppe à Hollogne-aux-Pierres, réclame
l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef des pertes
qu'il subit par suite du mauvais état de cette route, et demande que le
gouvernement la fasse réparer. »
- Sur la proposition de M. Lesoinne,
renvoi à la section centrale du budget des travaux publics, avec demande d'un
prompt rapport.
________________
Lettre de M. de Brouckere qui prie M. le président de faire connaître à
la chambre qu'une indisposition le retient chez lui.
- Pris pour information
« Le sieur Orman, attaqué par M.
Verhaegen dans une précédente séance, demande que la chambre blâme les paroles
de cet honorable membre. »
M. Delfosse. - Le pétitionnaire demande que la majorité s'érige en
tribunal pour juger et condamner un membre de l'opposition. Ce serait inouï !
Je propose l'ordre du jour.
- L'ordre du jour est mis aux voix et prononcé.
PROJET DE LOI RELATIF A LA NOUVELLE REPARTITION DES
REPRESENTANTS ET DES SENATEURS
Discussion des articles
Article additionnel
M. Fleussu. -
Messieurs, je viens trop tard me mêler au débat auquel vous avez été rendus
attentifs, à la séance d'hier, pour que vous puissiez me supposer l'ambition
d'apporter à la discussion de nouvelles lumières. Je me trouve même réduit à
vous expliquer, en quelques mots, les motifs de mon vote, qui sera favorable à
la proposition de l'honorable M. Castiau.
L'orateur, qui a terminé la séance d'hier par un discours empreint de ce
talent que nous sommes habitués à louer en lui, s'est occupé, pendant quelque
temps de ces associations qui prennent un caractère de permanence et qui
viennent se placer à côté des corps législatifs. Comme au congrès libéral, j'ai
cru prudent de décliner cet honneur, toute recommandable cependant que fût la
composition de ce congrès.
Mais il m'a paru résulter de la suite des idées développées par
l'honorable orateur qu'il tendait à faire croire que la proposition de
l'honorable M. Castiau avait été produite, en satisfaction de vœux exprimés
ailleurs.
Je pense que l'honorable M. Castiau a trop de fierté, trop
d'indépendance dans le caractère pour puiser ailleurs qu'en lui-même ses
inspirations.
Quoi qu'il en soit, messieurs, comme j'appuie la proposition de
l'honorable M. Castiau, et qu'à ce point de vue j'en accepte la responsabilité
j'éprouve le besoin de vous dire que j'agis ainsi, messieurs, parce que je suis
sous l'empire d'une profonde conviction, et que je suis entièrement, en dehors
de l'influence d'une association dont j'ai refusé de faire partie.
Vous parlerai-je, messieurs, des espèces de fin de non-recevoir que-l'on
a élevées contre la proposition de l'honorable M. Castiau ? Vous parlerai-je de
l'hésitation avec laquelle cette proposition a été émise dans cette enceinte ?
Vous parlerai-je de la disposition des esprits qui ne sont pas, dit-on,
préparés à cette discussion ? Vous parlerai-je, messieurs, des préoccupations
du pays, qui, absorbé par les malheurs qui affligent les classes malheureuses,
est, nous dit-on encore, insensible et sourd à nos débats ?
Messieurs, s'il en était ainsi, il faudrait suspendre tous nos travaux,.
pour ne nous occuper que des intérêts matériels du pays. Mais je crois que l'on
a un peu assombri le tableau. Acceptez la proposition qui vous est faite,
messieurs, et vous verrez que le pays se montrera très reconnaissant de ce que,
en même temps que vous vous occupez de ses intérêts matériels, en même temps
que vous cherchez à adoucir les maux qui pèsent sur lui, vous ne négligez
cependant pas le développement de ses intérêts moraux.
Messieurs, quelques orateurs ont pris la parole avant moi, ont paru
s’étonner que la proposition dont il s’agit, tout innocente qu’elle est, ait rencontré
une vive résistance sur les bancs ministériels. J’avoue, messieurs, que
j'aurais été bien plus étonné du contraire. Car savez-vous ce qui effraye dans
cette affaire ? Ce n'est pas la chose, mais ce sont les mots.
Il y a, messieurs, des mots qui ont une signification tout à fait
malheureuse, des mots que l'on ne peut prononcer sans jeter l'inquiétude dans
certains esprits, sans exciter les défiances, sans éveiller des soupçons, voire
même sans provoquer une espèce de répulsion. Cependant, messieurs, lorsqu'on
examine les choses de près, lorsqu'on en voit la portée, et qu'on en calcule
les conséquences, on doit rester tout étonnés des craintes que l'on en avait
conçues.
Ainsi, messieurs, en est-il des mots réforme électorale. Prononcer les
mots de réforme électorale, mais c'est déjà attenter à nos libertés, c'est déjà
secouer sur leurs bases toutes nos institutions ! Et chose bien remarquable,
messieurs, ce sont précisément ceux qui ont porté sur nos institutions une main
hardie et qui ont donné le premier exemple des modifications à la loi
électorale, en fractionnant les communes (deux mots qui jurent de se trouver
ensemble), ce sont ces mêmes membres qui montrent le plus d'effroi, quand on
parle de la réforme électorale. N'avez-vous pas entendu M. le ministre de
l'intérieur nous dire hier : Mais c'est un premier jalon que l'on pose. Si vous
acceptez cette proposition, vous ne saurez pas où vous vous arrêterez, vous
verrez toutes les industries réclamer le privilège que vous voulez accorder aux
professions libérales !
Eh, messieurs, je concevrais ces craintes si la proposition de
l'honorable M. Castiau était ce qu'on peut appeler une réforme électorale, mais
c'est tout au plus une légère modification à la loi électorale. Oh ! s'il nous
demandait l'abaissement du cens d'une manière générale, eh bien, alors je
concevrais vos soupçons, je concevrais vos défiances et alors peut-être aussi
me verriez-vous à côté de vous pour les partager. Mais l'honorable M. Castiau
ne va pas jusque-là. Il ne demande pas l'abaissement du cens d'une manière
générale. Si telle était la proposition, et moi aussi je ferais mes réserves :
et ici je dois déclarer que je fais amende honorable à des opinions
antérieures. Ainsi, par exemple, dans le congrès j'ai toujours voté et, je dois
le dire, j'ai même lutté contre l'honorable M. Lebeau, j'ai toujours voté pour
le cens le plus bas ; eh bien, messieurs, je reconnais aujourd'hui que quand
l'élection est directe, c'est un faux système que celui que j'ai soutenu jadis,
parce qu'il donne trop beau jeu à l'intrigue et à la corruption.
Vous voyez, messieurs, par l'exemple que je cite, combien il serait
dangereux qu'un membre de cette chambre pût accepter un mandat impératif. Ce
serait d'abord lui ôter sa dignité ; ce serait, en deuxième lieu, en faire une
véritable machine à voter.
Je conçois très bien que quand le système électoral consacre les deux
degrés, on puisse descendre jusqu'au cens le plus bas ; je crois même qu'il le
faut dans ce cas, parce que toutes les garanties se trouvent alors dans le
collège des électeurs choisis eux-mêmes pour faire le choix des représentants.
Mais je le répète, lorsque l'élection est directe, je crois que c'est un très
faux système de descendre trop bas le cens électoral.
Messieurs, on a fait à l'amendement de l'honorable M. Castiau une
quantité de reproches. On lui a reproché d'abord d'être inconstitutionnel. On
lui a reproché de constituer un véritable privilège. On lui a reproché d'être
une disposition injuste. On a dit, enfin, messieurs, que la disposition est
insuffisante et qu'elle a été dictée uniquement par le désir d'affaiblir
l'influence des campagnes au profit de l'influence des villes. Je vais,
messieurs, tâcher de rencontrer ces observations.
On prétend d'abord que l'amendement est inconstitutionnel. J'avoue,
messieurs, que malgré toute l'attention que j'ai prêtée au développement de
cette thèse, il m'a été impossible d'en saisir ni le mérite ni la valeur. Que
veut donc la Constitution ? Une seule chose : que l'on paye un cens entre celui
de 20 florins et celui de 100 florins. Dès que quelqu'un paye le cens (page 1118) de vingt florins, qui est le
cens minimum fixé par la Constitution, vous pouvez lui concéder sans crainte la
qualité d'électeur. Vous êtes parfaitement dans les termes de la Constitution.
Mais, messieurs, il en est de ceci comme de toutes les catégories que vous avez
établies entre les provinces, entre les différents districts d'une même
province, entre le cens des villes et le cens des campagnes.
Le cens, n'est pas le même partout, parce que vous avez cru qu'il
fallait en quelque sorte pondérer l'action des électeurs ; mais par cela même
que vous avez pu faire des distinctions, par cela même vous pouvez faire
d'autres distinctions. Dès que vous êtes dans les limites du cens fixé par la
Constitution, vous pouvez créer des catégories nouvelles sans que votre
disposition puisse être considérée comme le moins du monde contraire à la
Constitution.
Cependant, messieurs, quelque frappant que me paraisse ce raisonnement,
l'honorable ministre de l'intérieur a insisté, et pour sa réplique, il nous a
donné lecture d'observations qui se trouvent dans l'ouvrage de M. Huyttens, et
qui ont été émises lors de la discussion de l'article de la Constitution,
concernant le cens électoral, et lors des débats sur la loi électorale
elle-même.
Le sens de la loi électorale, je crois que je viens de l'expliquer d'une
manière satisfaisante. Maintenant, quant aux inductions que M. le ministre de
l'intérieur a tirées de la discussion sur la loi électorale, il me semble qu'il
y a une explication qu'il sera bon de soumettre à la chambre.
Un amendement avait été présenté, par l'honorable M. de Foere, lors de
la discussion de la Constitution. Cet amendement avait été combattu par
plusieurs membres du congrès, parce ce qu'on l'avait mal compris ; on croyait
que l'honorable M. de Foere voulait l'adjonction des capacités, abstraction
faite du cens. Lorsqu'on est venu à la loi électorale qui s'est discutée
quelque temps après, M. Van Snick et après lui l'honorable M. de Foere ont
reproduit la pensée dont ils avaient fait mention lors de la discussion de la
Constitution.
Alors, messieurs, il y a encore eu une espèce de malentendu, et la
question préalable fut proposée. Mais remarquez, messieurs, que si la
proposition avait été inconstitutionnelle, il est évident que la question
préalable aurait dû être admise ; car vous ne pouvez pas discuter une loi a
laquelle vous reprochez un vice d'inconstitutionnalité ; eh bien, la question
préalable, qui avait été soulevée, n'a pas été admise ; ce qui me fait croire
qu'aux yeux du congrès lui-même la proposition n'était pas entachée du vice
d’inconstitutionnalité.
Messieurs, on vous a beaucoup parlé de l'opinion du congrès ; mais il y
a une distinction essentielle à faire. Le congrès avait un double caractère ;
le congrès était assemblé en corps constituant, quand il faisait la
constitution ; hors de là il exerçait les pouvoirs d'un corps législatif. Eh
bien, la Constitution était faite quand on a discuté la loi électorale, et ce
n'est pas comme corps constituant que le congrès a discuté cette loi. C'est
tellement vrai que je me souviens parfaitement que plusieurs membres du
congrès, attachant une grande importance à la loi électorale, voulaient qu'elle
fît partie de la Constitution. Mais comme c'était un système tout nouveau, dont
le jeu était encore incertain, on leur répondait qu'on ne voulait pas donner ce
caractère à la loi électorale, et qu'on voulait en faire l'épreuve, avant de lui
donner un caractère définitif.
Le. congrès a donc, il est vrai, rejeté l'amendement de M. de Foere ;
mais il l'a rejeté, comme corps législatif, de manière que c'est un antécédent,
si vous voulez, mais ce n'est pas un obstacle à ce que la même proposition soit
reproduite. Si même vous rejetiez cette proposition aujourd'hui, qui
empêcherait une législature qui suivra de la reproduire encore ? Ce sont de ces
propositions qui ont ce sort-là ; ce n'est qu'à force d'être reproduites
qu'enfin elles obtiennent les honneurs du triomphe.
Je viens, je pense, d'établir que l'amendement n'était
inconstitutionnel.. « Mais, dit-on, il crée des privilèges. »
Des privilèges !... messieurs,... mais en matière électorale tout est
privilège. Le cens le plus bas constitue déjà un privilège. C'est un privilège
qu'on accorde à la propriété. « C'est une garantie, dit-on, qu'on veut obtenir
des propriétaires. » Vraiment, messieurs, si ce n'est qu'il faut qu'il y ait
une limite, on ne sait trop pourquoi celui qui paye 19 fl. est exclu du corps
électoral, tandis que celui qui paye 20 fl. y est admis. Tout donc est
privilège ; il y a même privilège dans la manière dont vous répartissez le
privilège.
C'est ainsi, par exemple, qu'entre les communes, entre les diverses
provinces, le cens électoral n'est pas le même ; c'est ainsi qu'il n'est pas le
même dans les divers districts ruraux ; dans le même district, il varie entre
les campagnes et les villes. La raison en est simple ; je l’ai déjà fait sentir
tantôt, le congrès a voulu pondérer la valeur et le nombre des électeurs.
Messieurs, on a reproché à l'amendement d'être une disposition mauvaise,
insuffisante. Pour établir qu'elle est mauvaise, on s'est prévalu de la loi du
jury, qui appelle aux fonctions de juré les bourgmestres, les échevins, les
secrétaires et les receveurs communaux.
On a dit que la proposition confondait tous les éléments et faisait
entrer l'élément scientifique dans la politique. Si cette observation était
fondée, il en résulterait cette conséquence que parce qu'un savant forme
l'élément scientifique, il faudrait l'exclure de l'exercice des fonctions
politiques, lui interdire la faculté de concourir aux élections.
Quant à la confusion des éléments, je ne vois pas quelle peut en être la
portée ; si tous les fonctionnaires désignés au paragraphe dont je viens de
parler, étaient à la nomination du gouvernement, il pourrait y avoir des
inconvénients à en faire des électeurs, puisqu'ils relèveraient en quelque
sorte du gouvernement. Mais des fonctionnaires repris dans ce paragraphe de la
loi sur le jury, il n'y en a pour ainsi dire pas qui soient à la nomination du
gouvernement. Il y a, je le sais, les bourgmestres, le gouvernement peut les
choisir en dehors du sein du conseil. Mais rappelez-vous la discussion qui a eu
lieu quand le gouvernement a demandé cette faculté exceptionnelle ; le
gouvernement a eu soin de déclarer que la nomination dans le conseil serait la
règle, et que la nomination en dehors du conseil serait l'exception, et quand
les circonstances l'auraient rendu nécessaire.
Quant aux receveurs et aux secrétaires, ils sont indépendants du
gouvernement, ils sont à la nomination du conseil communal, de manière que
l'observation qui m'avait frappé d'abord, pèche par sa base, puisqu'il ne
s'agit pas de fonctionnaires nommés par le gouvernement.
Messieurs, on a dit encore que la disposition est injuste, parce qu'elle
est insuffisante, parce qu'elle ne comprenait pas d'autres professions
libérales qui pourraient avoir droit à l'espèce de privilège qu'on réclame en
ce moment.
Par cela même qu'on trouve la proposition insuffisante, on n'en conteste
plus l'utilité mais seulement l'étendue. Eh bien, que ceux qui veulent
l'étendre au-delà des limites assignées à la proposition par ses auteurs,
fassent des propositions, amendent la disposition pour lui donner une portée
beaucoup plus grande que celle qu'elle a maintenant.
L'honorable M. de Theux disait ensuite que cette mesure avait été
proposée dans l'intérêt des villes, contre l'intérêt des campagnes. J'avoue que
je ne sais pas quelle peut être la portée de la disposition dont il s'agit. Je
ne sais si elle sera utile au parti catholique ou au parti libéral, je ne m'en
occupe pas. J'ignore s'il en résultera un plus grand nombre d'électeurs pour
les villes que pour les campagnes, je crois que personne n'en a fait le relevé.
Mais savez-vous pourquoi on cherche toujours à mettre les campagnes en
opposition avec les villes ? Savez-vous pourquoi le ministère prend toujours
parti contre les villes ? La raison en est toute simple. C'est que la cause du
ministère est perdue dans les villes, et qu'il n'a plus d'espoir que dans les
campagnes. Mais vous aurez beau faire, l'esprit des villes rayonnera, malgré
vous, dans les campagnes. Les campagnes comprendront que dans un pays tous les
intérêts sont solidaires ; que les villes sont intéressées à ce que
l'agriculture prospère ; que les campagnes sont intéressées à voir l'industrie,
le commerce se développer dans les villes.
Je pense que j'ai purgé l'amendement de mon honorable ami des principaux
reproches qui lui ont été adressés.
Il me reste maintenant à vous établir que cette proposition est dans
l'intérêt général.
Que faut-il pour que la représentation nationale soit au niveau des
besoins du pays, pour qu'elle soit véritablement la représentation du sens du
pays ? Il faut qu'elle soit le fruit d'élections opérées par des hommes libres,
indépendants, ayant intérêt à l'ordre, au maintien de nos institutions ; par
des hommes qui suivent le mouvement des affaires, la marche de l'esprit public,
et les progrès de la civilisation.
Voilà quels sont les hommes qui doivent concourir à l'élection.
Eh bien ! je le demande, toutes ces conditions ne se rencontrent-elles
pas dans ceux qui exercent les professions libérales ?
Il n'y a pas que la propriété, qui ait droit à être représentée dans les
chambres législatives.
Il n'y a pas que la propriété qui ait les connaissances nécessaires pour
faire de bons choix. Les professions libérales, les sciences, les beaux-arts,
ont droit aussi à être représentés et protégés ; ceux qui s'y livrent ont donc
le droit de concourir à l'élection.
Est-ce que, par hasard, les diplômes ne seraient pas une propriété ?
Est-ce que les diplômes ne seraient pas aussi un signe représentatif d'un
capital, du capital qui a été dépensé pour acquérir les connaissances
nécessaires pour l'obtenir ? Pourquoi donc accorderiez-vous la préférence à
celui qui, à l'aide d'une certaine somme, a acquis un fonds de boutique, a
élevé un établissement, sur celui qui a dépensé un capital pour former, pour
développer son intelligence ?
Il y aurait là une singulière anomalie ! Et vous m'autoriseriez à
répéter ce que vous disait hier, je crois, l'honorable M. Castiau, que
l'intelligence véritablement vous offusquerait.
Messieurs, je concevrais jusqu'à un certain point vos scrupules, si
c'était le gouvernement ou ses agents qui décernent les diplômes. Vous pourriez
dire alors qu'il ne doit pas dépendre du gouvernement de créer des électeurs,
en délivrant des diplômes. Mais en est-il ainsi ? Non ; les diplômes s'achètent
par de longues années d'étude, par des preuves de science acquise. Est-ce que
le jury que vous nommez à cet effet ne se montre pas extrêmement difficile pour
la délivrance de ces diplômes ?
Que craignez-vous donc. Dès que ces diplômes s'accordent en dehors de
l'influence gouvernementale, dès qu'ils représentent un capital dépensé par de
longues années d'étude pour acquérir des connaissances, je dis que ce capital
doit être représenté comme celui d'un boutiquier.
On fait une objection à ce système, el l'on dit que les personnes qui
exercent des professions libérales, si elles ont quelque mérite, gagnent
bientôt de quoi payer le cens. Mais pour devenir propriétaire, ii faut
commencer par amasser un petit capital. Puis il est des homme qui sont dans une
position telle qu'ils ne peuvent de longtemps payer le cens ordinaire.
Je me citerai pour exemple. J'ai été pendant longtemps au milieu de (page 1119) vous, remplissant les
fonctions de représentant, sans payer un centime au gouvernement.
Il est, dans cette chambre, des hommes dont vous appréciez le talent, et
qui n'ont pas l'honneur d'être électeurs. Je citerai les honorables MM.
d'Elhoungne et Lebeau.
Messieurs, c'est en raison de nos diplômes que la plupart d'entre nous
ont l'avantage de siéger dans cette chambre. Si nous n'avions pas été diplômés,
si nous n'avions pas eu un diplôme qui nous recommandait aux électeurs,
probablement la plupart d'entre nous n'auraient-ils pas été délégués à la
chambre.
Il arrive cette anomalie que nous pouvons prendre part aux grandes
affaires du pays, qu'on peut même devenir ministre (puisque l'honorable M.
Lebeau a été ministre, bien qu'il n'ait pas l'honneur d'être électeur), qu'on
peut diriger les affaires de l'Etat, et qu'on n'est pas capable de choisir un
représentant.
Voilà à quelles conséquences absurdes on arrive.
Il y a encore cette considération qui, selon moi, doit faire accorder
aux hommes exerçant des professions libérales les avantages qu'on sollicite
pour eux en ce moment : c'est la corrélation qui a toujours existé entre les
fonctions de juré et celles d'électeur. Dans tous les pays, les fonctions de
juré et celles d'électeur ont été considérées comme corrélatives.
Où donc prenez-vous les jurés ? C'est tout d'abord dans la liste des
électeurs. Puis vous y avez ajouté, il est vrai, les professions libérales.
Mais, me dit l'honorable ministre de l'intérieur, le congrès a fait
lui-même la loi sur le jury ; et il n'a pas porté les jurés sur la liste des
électeurs.
Il y a une raison toute simple ; elle s'explique par la date des lois :
c'est que la loi électorale porte la date du 3 mars 1831. Or, à cette époque,
la loi du jury n'était pas faite, puisqu'elle a été discutée et votée le 19
juillet même année. Or, comme on ne savait pas comment serait formé le jury, il
était tout simple que, d'avance, on ne fît pas entrer dans la loi électorale
une disposition qui devait se combiner avec les articles d'une loi à faire. Les
deux lois n'ont pas été portées à la même époque ; il y a entre elles quatre
mois d'intervalle. Quand on a fait la loi électorale, on ne savait pas comment
serait faite la loi du jury.
Voilà comment s'explique cette lacune que le congrès a laissée dans nos
institutions.
Remarquez que depuis la loi de juillet 1831, il s'est opéré des
changements. Le congrès avait formé le jury par des électeurs payant un cens
assez élevé. Mais on avait remarqué que la composition du jury, telle qu'elle
résultait de cette loi, était éminemment vicieuse.
Et pour mon compte, messieurs, j'ai vu des acquittements dont la justice
avait sérieusement à se plaindre ; et c'est à ce point qu'ayant eu des
relations assez étroites avec l'honorable M. Ernst, aussitôt que j'ai eu acquis
l'expérience des défauts de la loi de 1831, je lui écrivis pour qu'un remède
fût appliqué à cet état de choses. Je ne prétends pas que c'est par suite de
mes observations que la loi a été réformée ; mais enfin c'est peu de temps
après que cette réforme a en lieu.
On a pris alors, messieurs, le jury dans les électeurs payant un cens
beaucoup plus élevé. Et croyez-vous qu'on ait écarté les hommes exerçant des
professions libérales ? Pas le moins du monde. Et puis, quand j'entends mon
honorable ami me dire qu'il n'y a pas d'assimilation entre la loi sur le jury
et la loi sur les élections, je demande pourquoi, et voici la raison qu'il nous
donne : c'est que, d'après la loi sur le jury, quand la liste a été formée par
les états provinciaux, le tribunal en écarte d'abord la moitié, puis le
président de la cour avec deux présidents de chambre, et écarte une autre
moitié, de manière qu'il n'en reste qu'un quart. C'est par cette raison que mon
honorable ami dit qu'il n'y a pas d'assimilation entre les fonctions de juré et
les fonctions d'électeur.
Mais il n'a pas remarqué une chose ;
c'est que par cette disposition on a singulièrement aggravé le sort des
professions libérales. Car savez-vous ce qui arrive maintenant, messieurs ? Ce
sont les censitaires qu'on écarte de la liste du jury, et on y laisse les
hommes professant les arts libéraux. Voilà quelle est la conséquence de cet
état de choses, et ce qui en résulte pour moi, c'est que c'est une aggravation
de charges pour eux.
Je dis que pour être équitable, que pour être juste, il faut si vous
voulez faire supporter des charges publiques aux capacités, il faut au moins
leur donner les avantages et les droits qui correspondent dans tous les pays à
ces charges dont vous les accablez.
Par ces considérations j'appuie la proposition de l'honorable M.
Castiau.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, si le discours de
l'honorable préopinant ne nécessitait pas une réponse, je me serais abstenu de
prendre part à ces débats, par la crainte d'affaiblir l'impression qu'a
produite hier le discours si remarquable de l'honorable M. Dolez.
Messieurs, si je ne craignais pas que mon témoignage ne fût suspect
auprès des amis de l'honorable M. Dolez, et qu'il ne fût pour lui quelque peu
compromettant, je dirais que ce discours a été un acte de courage, de haute
raison politique.
Du reste, messieurs, l'appréciation que je fais de ce discours est
complètement désintéressée ; car l'honorable M. Dolez a eu soin, à la fin de
son discours, de déclarer qu'il restait l'adversaire du cabinet actuel. Je
dirai plus : si je me plaçais au point de vue d'un étroit intérêt de ministère
ou de parti, nous aurions à regretter les paroles prononcées par l’honorable
député de Mons. Car ce discours, messieurs, est un grand service qu'il a rendu
à l'opinion à laquelle il appartient.
Je le dis sincèrement, messieurs, c'est un grand malheur, un malheur
pour tout le monde quand les hommes que l'opposition présente comme ses
candidats-ministres, prennent dans l'opposition des engagements qu'ils ne
peuvent remplir au pouvoir qu'en compromettant le pouvoir lui-même. (Interruption.)
Que l'opposition me permette de lui dire ce que l'honorable M. Rogier
disait à la majorité, il y a peu de temps. L'honorable membre, parlant du bruit
qui s'était répandu que le ministère avait l'intention d'adjoindre au projet de
loi actuellement soumis à vos discussions une modification de réforme
électorale, tendant à fractionner les collèges électoraux,, l'honorable M.
Rogier disait au ministère et à la majorité : Si nous étions mus par un intérêt
de parti, nous devrions désirer qu'une pareille proposition se produisît. Il y
aurait, à l'instant même, dans le pays une réaction qui servirait les intérêts
de l'opposition et compromettrait les intérêts de la majorité.
M. Rogier. - C'est
vrai.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Eh bien, messieurs, permettez-moi
d'appliquer ces paroles à la proposition de l'honorable M. Castiau. Il ne faut
pas s'y tromper, messieurs, le sentiment du pays repousse avec une égale
énergie, avec un admirable instinct de conservation, les projets de réforme
électorale, qui seraient présentés an profit de la droite, comme ceux qui sont
présentés au profit de la gauche.
Si nous avons applaudi donc au discours de l'honorable député de Mons,
ce n'est pas par un étroit intérêt de parti ou de ministère ; c'est au nom d'un
intérêt plus élevé, au nom d'un intérêt d'ordre, de stabilité et de
conservation.
Du reste, messieurs, l’honorable M. Castiau a bien compris, dès le
principe,, l'embarras dans lequel il allait placer l'opposition ou du moins
quelques-uns de ses amis. Aussi, dans cette prévision, a-t-il fait sa
proposition si petite, si modeste en apparence, il s'est (que M. Castiau me
permet cette expression qu'il affectionne), il s'est tellement enfariné, que
beaucoup de ses amis s'y sont laissé prendre, s'y sont laissé tromper, ils
n'ont pas vu que derrière ces paroles débonnaires, l'honorable M. Castiau
cachait des conclusions importantes. Ils n'ont pas vu que l'honorable M.
Castiau remportait un beau succès, qu'il obtenait trois grands résultats.
D'abord il faisait écrire sur le futur programme ministériel de la
gauche, le principe de la réforme électorale, principe que l'opposition
parlementaire s'était refusé d'y inscrire jusqu'à présent. Elle s'était refusée
de le faire en 1840, lorsque le chef du cabinet, répondant à une de mes
interpellations, déclarait que si l'on présentait un projet de réforme
électorale, le cabinet libéral le combattrait. Elle n'avait pas non plus voulu
l'écrire dans le programme de M. Rogier de 1845.
On y avait introduit la réforme parlementaire que le ministère vous
présente aujourd'hui ; mais on ne promettait rien relativement à la réforme
électorale.
Il est vrai que l'honorable M. Delfosse nous a fait entendre depuis que
peut-être il y avait derrière le rideau quelque projet de réforme électorale.
Mais enfin, messieurs, ce rideau on ne l'avait pas tiré, et qu'on me permette
d'ajouter, n'en déplaise à l'honorable M. Castiau, que si le cabinet s'était
formé, on ne l'aurait pas tiré.
L'honorable M. Castiau est donc parvenu, comme premier résultat, à faire
écrire sur le futur programme ministériel de l'opposition le principe de la
réforme électorale qu'on avait répudié jusqu'aujourd'hui.
Mais, messieurs, il a fait plus, le principe qu’il veut y faire
prévaloir, c'est un principe diamétralement opposé à celui qui est à la base de
notre système électoral de 1831, qui lui-même repose sur l'article 47 de notre
Constitution. Ce principe tend à substituer au principe de notre législation
électorale, l'impôt combiné avec la population, le principe de la capacité, et
je le démontrerai tout à l'heure. C'est le renversement du système de 1831.
Le troisième résultat que l'honorable membre obtient, si la proposition
était admise, ce serait d'ôter à la loi électorale son immutabilité que le
congrès avait voulu lui donner ; c'est d'ouvrir une brèche, avec la prétention
de l'élargir, comme l'ont ouvertement déclaré et l'honorable M. Delfosse et
l'honorable M. Verhaegen, pour y faire passer toutes les conséquences qui
logiquement en découlent.
Et, messieurs, c'est ce principe, c’est une telle proposition que l'on
vous présente comme insignifiante, comme inoffensive, comme susceptible d'être
accueillie par la majorité !
Messieurs, en France, on ne s'y est pas laissé tromper. Chacun sait que
l'adjonction des capacités est une très vieille question ; cette question,
traîne dans les bureaux des chambres françaises depuis 1831.
M. d’Elhoungne. - Et vous la trouvez déjà résolue dans la loi
électorale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - C'est une erreur, ou du moins
l'exception qui a été introduite dans la loi de 1831 est tellement insignifiante
que l'opposition en France ne la considère nullement comme ayant résolu cette
question.
Je dis donc, messieurs, que la proposition de l'adjonction des listes du
jury, pour m'exprimer d'une manière plus exacte, est une vieille question qui
traîne dans les bureaux des chambres françaises depuis 1831. Elle a pris
successivement les noms de proposition Bemilly, de proposition Ganneron, de
proposition Ducos, Crémieux.
Aujourd'hui, c'est la proposition de M. Duvergier de Hauranne. De
manière que le projet de réforme de l'honorable M. Castiau n'est, au fond, que
la contrefaçon de toutes celles-là.
Et, messieurs, je dirai, en passant, que l'opposition n'est pas heureuse
(page 1120) dans le
choix qu'elle fait de ses projets de réforme électorale ; jusqu'à présent elle
n'a trouvé que deux principes : le principe de l'uniformité du cens et celui de
l'adjonction des capacités. Eh bien, messieurs, le principe de l'uniformité du
cens, l'opposition a été le mendier à la charte de la restauration, et ce
principe consacre les inégalités les plus choquantes. C'est ce principe que
Royer-Collard a condamné par un de ces mots sans appel lorsqu'il disait : « Si
l'uniformité avait été moins observée, l'égalité l'aurait été plus. »
Ainsi, messieurs, après avoir, comme je le disais, mendié le principe de
l'uniformité du cens à la charte de la restauration, c'est à la gauche
française que l'on vient demander humblement l'adjonction de la liste du jury.
On nous présente ici cette réforme comme insignifiante, mais elle a été
combattue en France par tous les ministères depuis 1831, par le ministère de
Casimir Périer comme par celui du comte Mole ; par le ministère de M. Thiers en
1840, comme par le ministère de M. Guizot ; elle a été combattue non seulement
par la majorité, mais même par une partie du centre gauche.
Messieurs, la proposition de M. Castiau, comme résultat matériel, est
d'un effet nul. et je comprends que si on ne l'envisageait qu'à ce point de vue
restreint, on pourrait lui donner l'épithète d'insignifiante. En effet, je suis
porté à croire que la plupart des personnes auxquelles le projet de M. Castiau
veut conférer l'électorat, le possèdent déjà. Or, si cela est, pourquoi
l'honorable M. Castiau attache-t-il tant d'importance à une proposition
destinée à produire d'aussi minces effets ?
Ce pourquoi, messieurs, je vais vous le dire, c'est que si le résultat
matériel de ce projet doit être nul, les conséquences du principe posé seraient
immenses.
Mais, messieurs, dans cette imitation un peu servile des réformateurs
français, on a oublié une seule chose : c'est la différence profonde qui existe
entre notre régime électoral et celui qui régit la France. Je puis comprendre
jusqu'à un certain point qu'en France on cherche à étendre les droits
électoraux, qu'on songe à adjoindre les listes du jury aux listes électorales ;
mais cette prétention est-elle justifiable en Belgique, où notre législation
repose sur une base plus large, plus démocratique que celle qui sert de
fondement à la loi française ?
Messieurs, ignore-t-on que notre loi électorale de 1831 est, sans
comparaison, la plus démocratique de toutes celles en vigueur dans les
monarchies constitutionnelles ? Au-delà de notre législation électorale, il n'y
a que le suffrage universel des Etats-Unis et de la Suisse.
Il est vrai, messieurs, que dans un des pays que je viens de citer,
l'opposition a trouvé le moyen de réformer même le suffrage universel, et dans
ce pays ceux qui ont la modeste prétention de ne pas vouloir aller au-delà du
suffrage universel sont appelés rétrogrades, comme nous sommes ici, selon
l'expression peu polie de M. Castiau, des vieillards touchant à la décrépitude.
(Interruption.)
Messieurs, comparons un instant la législation française, dans son
ensemble, au régime électoral belge. D'abord la chambre des pairs est à la
nomination du roi, et vous savez que le système des fournées delà restauration
y est encore admis.
M.
Castiau. - Avec des restrictions.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Soit ; voulez-vous ce système
défendu par M. Devaux en 1831 ?
Un membre. - Ce n'est pas la question.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je dis donc que la chambre des
pairs en France est à la nomination du roi, avec le système des fournées de la
restauration, à un certain degré au moins.
Je comprends que lorsque la première chambre est à la nomination royale,
on risque peu à étendre le principe électif pour la chambre des représentants
ou des députés.
Ici le sénat est électif, et il est choisi par le même corps électoral
qui nomme les membres de la chambre des représentants.
Malgré cette grande inégalité entre le système représentatif en France
et chez nous, par rapport à la première chambre, les conditions d'élection pour
les membres de la chambre des députés sont beaucoup plus restreintes qu'en
Belgique.
D'abord, et on a passé ce fait important sous silence, en France, les
députés sont soumis à un cens d'éligibilité très élevé.
Là où il y a un cens d'éligibilité pour l'élu, je pourrais comprendre
qu'on abaissât le cens pour l'électeur. Or, quel est le cens électoral en
France ? Il est de 200 francs, taudis qu'en Belgique vous savez à quel taux on
l'a réduit.
Ainsi, au lieu d'une pairie nommée par le roi, nous avons en Belgique un
sénat électif ; au lieu d'une chambre de députés avec cens d'éligibilité et
nommée par des électeurs à 200 francs, notre chambre des représentants est
choisie, sans conditions d'éligibilité, par des électeurs de 20 à 80 florins.
Les élections par la chambre sont biennales, le renouvellement intégral a lieu
tous les quatre ans.
A côté des chambres ainsi nommées, nous avons les élections les plus
démocratiques pour les conseils provinciaux et communaux, de manière que le
corps électoral en Belgique est presque dans une agitation permanente. Et c'est
en présence de ces faits qu'on proclame la nécessité, l'urgence d'une réforme !
Messieurs, voici les résultats comparés du système électoral français et
du système électoral belge. En France, sur 35 à 38 millions d'habitants, il n'y
a que 220 à 230,000 électeurs, soit 1 électeur sur 100 à 170 habitants ; en
Belgique, au contraire, sur un peu plus de 4 millions d'habitants, il y a 45,000
électeurs, soit 1 électeur sur 95 habitants ; c'est-à-dire que la base de notre
régime électoral est presque une fois plus démocratique que celle du régime
français.
Vous le voyez, messieurs, en supposant que les chambres en France
eussent admis le système de l'adjonction des capacités qu'elles ont, au
contraire, repoussé avec persistance, l'argument qu'on en tirerait n'aurait
aucune espèce de valeur dans son application chez nous.
Messieurs, je le dis hardiment, si, en France, un membre de la chambre
des députés présentait comme projet de réforme électorale notre loi de 1831, il
ne trouverait pas 10 voix dans l'extrême gauche qui adopteraient cette réforme,
tellement on la trouverait téméraire ; et c'est cette législation toute
démocratique qu'il faut se hâter de réviser, comme convaincue d'aristocratie et
d'oppression, précisément comme s'il s'agissait de la loi du double vote.
Messieurs, je me permettrai de vous redire après l'honorable M. Dolez :
« Nos institutions électorales nous suffisent ; elles suffisent au pays et
notre plus grand soin doit être de leur donner un caractère de grande
stabilité.»
J'ai dit tout à l'heure que le principe que l'honorable M. Castiau veut
faire prévaloir, renverse complètement le principe qui est la base de la loi de
1831, loi qui repose elle-même sur l'article 47 de la Constitution.
M. le ministre de l'intérieur a déjà traité cette matière ; il a rappelé
à la chambre les discussions qui avaient eu lieu au congrès relativement à
l'article 47 de la Constitution, et lors de la discussion sur la loi électorale
en 1831. M. le ministre de l'intérieur, par ces citations, a démontré deux
choses incontestables ; d'abord, c'est qu'il était entré dans l'intention de M.
Defacqz, auteur de l'amendement qui est devenu l'article 47 de la Constitution
; qu'il était entré dans l'intention de ceux qui ont appuyé cet amendement, de
consacrer deux principes :
Le premier, c'était d'écrire dans la Constitution même le cens, la base
de notre système électoral, afin de mettre cette loi fondamentale à l'abri de
la mobilité des lois que les législatures futures pourraient prendre.
Le second principe, c'était que notre loi électorale devait être assise
sur le seul principe de l'impôt combiné avec la population, en excluant les
privilèges invoqués au nom des capacités. Voilà ce qui ressort à l'évidence de
toute la discussion du congrès.
M. le comte Le Hon s'est mépris quand il a supposé que M. le ministre d«
l'intérieur avait eu l'intention d'opposer l'opinion qu'il aurait pu professer
au congrès à l'opinion qu'il peut avoir admise depuis ; M. le ministre de
l'intérieur n'a nulle envie de se donner le plaisir de placer ses adversaires
en contradiction avec eux-mêmes. Cependant ce plaisir nous serait excessivement
facile ; car vous n'avez pas oublié que l'opposition libérale au congrès et
depuis a soutenu avec une grande persistance le principe de l'élévation du cens
électoral ; elle ne voulait pas étendre le principe électif, elle voulait le
restreindre. Ces prétentions se sont produites lors des discussions au congrès
sur le sénat, qu'on ne voulait pas électif, sur l'article 47 de la
Constitution, sur la loi électorale, sur les lois provinciale, communale et du
jury.
Mais mon collègue M. le ministre de l'intérieur n'a pas eu pour but
d'embarrasser ses adversaires ; il a voulu mettre en lumière les intentions
qu'avait eues le congrès dans l'adoption de l'article 47 de la Constitution et
de la loi électorale.
L'honorable M. Fleussu vous a dit tout à l'heure qu'il y avait eu
méprise dans la discussion du congrès à laquelle on a fait allusion ; que cette
assemblée avait cru que M. l'abbé de Foere avait prétendu admettre les
professions libérales à l'électorat sans aucun cens, et que c'était sous
l'impression de cette méprise que le congrès avait voté.
Or, messieurs, c'est là une erreur complète. L'honorable M. de Foere,
après avoir été combattu par MM. Forgeur, Destouvelles el Le Hon, demanda la
parole, et voici comment il s'est exprimé :
« M. Forgeur et M. Le Hon n'ont pas compris le but de mon amendement.
(On rit.) »
Mon honorable collègue vous a déjà dit pourquoi on a ri ; l'opposition
avait proposé d'exclure les professions libérales, afin d'éliminer les membres
du clergé, du sein des prochaines législatures ; l'honorable, M. de Foere avait
proposé son amendement, pour rendre, au contraire, cette admission possible.
Voilà pourquoi le congrès a ri, lorsque M. de Foere prétendait que MM. Forgeur
et Le Hon n'avaient pas compris le but de son amendement ; on l'avait
parfaitement compris.
M. l'abbé de Foere continue :
« Je n'ai pas prétendu que l'on dût n'exiger aucun cens de ceux qui
exercent des professions scientifiques, mais seulement qu'on pourrait fixer un
cens moindre pour eux que pour les autres. »
Cette proposition est textuellement la même que celle que vous soumet
aujourd'hui M. Castiau ; il n'y a pas eu méprise de la part du congrès, puisque
cette assemblée n'a voté qu'après les explications très claires de M. de Foere
que je viens de rappeler.
Or, le congrès a rejeté la proposition de M. de Foere ; comment peut-il
être permis à M. Castiau de la reproduire ? Voilà ce que l'opposition
n'expliquera pas ; elle passera légèrement sur cette question de
constitutionnalité, comme si c'était une question accessoire et sans portée.
M. Fleussu. -
Lisez page 75, vous verrez comment M. de Foere explique sa pensée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je vais y arriver.
(page 1121) En 1831, que
s'est-il passé, quand on a discuté la loi électorale ? M. l'abbé de Foere crut
pouvoir reproduire sa proposition ; il a soutenu, comme vient de le rappeler M.
Fleussu, qu'elle n'était pas inconstitutionnelle.
Mais le congrès ne partagea pas la manière de voir de M. de Foere.
MM. Delehaye, Lebeau et les autres membres qui ont combattu la
proposition, l'ont repoussée au nom de la question préalable.
La question préalable n'a pas été explicitement votée, parce que la
discussion était trop avancée et que l'on voulait en finir. Mais le rejet de la
proposition n'a eu lieu qu'après qu'elle eut été combattue comme
inconstitutionnelle.
Après avoir prouvé que le congrès a rejeté une première fois la
proposition de M. de Foere, identique à celle de M. Castiau, lors de la
discussion de la Constitution, et une seconde fois, lors de la discussion de la
loi électorale, je pourrais soutenir que le projet de réforme de M. Castiau est
textuellement inconstitutionnel ; mais je ne vais pas aussi loin, et il me
suffit d'avoir démontré qu'il viole l'esprit de la Charte, qu'il est opposé à
l'intention que le congrès a eue en adoptant l'article 47 de la Constitution et
la loi électorale de 1831 ; cela me suffit, dis-je, pour donner à la chambre un
motif grave et puissant pour repousser la motion qui nous est faite.
Messieurs, dans le rapport que j'ai présenté il y a dix ans sur la
réforme électorale, je crois avoir prouvé que ce système de l'impôt combiné
avec la population et que l'honorable M. Verhaegen regarde comme absurde, est
le seul rationnel et juste. C'est, du reste, le système des législations de
l'Angleterre et de la France, c'est celui qu'ont défendu les grands
réformateurs de l'Angleterre, les Burke, les Grey, les Russel, c'est celui
soutenu en France par les Royer-Collard, les Benjamin Constant, organes du libéralisme
français ; je pourrais ajouter que ce système a été admis par M. Thiers comme
par M. Guizot qui se sont opposés l'un et l'autre à diverses époques à
l'introduction des réformes électorales.
Je dirai à l'honorable M. Verhaegen qui a trouvé absurde ce système
adopté par ces grandes nations et défendu par ces notabilités parlementaires,
je dirai que je consens à être absurde en si bonne compagnie.
Je ne crois pas devoir entrer dans l'examen de tous les inconvénients
pratiques que présente la proposition de l'honorable M. Castiau.
L'honorable M. Dolez a indiqué les vices pratiques de ce système.
En effet, cette proposition, il faut le dire, a été faite un peu au
hasard, en quelque sorte par improvisation ; elle est mal combinée, elle ne
prévoit rien, elle ne résout rien ; elle ne résout qu'un principe très
dangereux.
En effet, l'honorable M. Dolez en a fait hier l'observation à la chambre
; on n'a pas tenu compte, en proposant d'adjoindre les listes du jury aux
listes électorales, que pour le jury on avait admis le système d'une double
épuration des listes ; on n'a pas réfléchi que ce ne sont pas les membres du
jury que l'on veut admettre à l'électorat, ceux qui sont appelé à exercer les
fonctions de juré, mais les candidats portés sur des listes destinées à être
épurées deux fois.
L'honorable M. Dolez a dit encore, reproduisant l'opinion de MM.
Defacqz, Forgeur, Lebeau et Le Hon au congrès, que ce système était un système
de privilèges, qu'il créait des classes électorales.
En effet, l'honorable M. Castiau en appelant à l'électorat certaines
professions libérales en exclut beaucoup d'autres ; c'est-à-dire qu'en voulant
réparer ce qu'il appelle une injustice il en commet une plus grande. Ainsi il
admet les docteurs et les licenciés en droit, en médecine, en chirurgie, en
sciences et en lettres, les officiers de santé, chirurgiens de campagne et
artistes vétérinaires.
Mais alors pourquoi exclure les diplômés de la diplomatie, les membres
des académies des lettres et des sciences, les artistes, les élèves diplômés
des écoles du génie civil et des mines ? On répond à cela qu'on ne peut pas
prétendre faire tout à la fois.
C'est là une mauvaise réponse, car d'après la loi qui nous régit, il n'y
a pas d'inégalité, et M. Fleussu s'est trompé lorsqu'il a cru que le cens
différentiel d'après les localités créait l'inégalité et le privilège. Le
principe de la loi est l'impôt combiné avec la population ; or la valeur de
l'impôt étant relative d'après les localités, le cens représentatif de l'impôt
a dû être variable pour être juste.
La loi repose donc sur un principe d'égalité complète, tandis que par la
proposition de M. Castiau on créerait des classes électorales, on établirait un
privilège électoral, non au profit des professions libérales, mais seulement de
quelques-unes de ces professions.
Quand on a voté la loi du jury, cette loi a été faite en dehors de toute
idée politique. Si on avait songé en 1838 que plus tard on aurait fait la
proposition d'adjoindre la liste du jury à la liste électorale, on n'aurait pas
adopté dans cette loi les principes qu'on y a introduits. En effet, je vois
d'un côté qu'on a admis comme membres du jury : « Les membres de la chambre des
représentants les membres des conseils provinciaux ; les bourgmestres,
échevins, conseillers communaux, secrétaires et receveurs des communes de 4,000
âmes et au-dessus ;
« Les docteurs et licenciés en droit, en médecine, en chirurgie, en
sciences et en lettres ; les officiers de santé, chirurgiens de campagne et
artistes vétérinaires ;
« Les notaires, avoués, agents de change ou courtiers ;
« Les pensionnaires de l'Etat jouissant d'une pension de retraite
de 1,000 fr. au moins. »
Mais je vois à l'article suivant qu'on exclut formellement de
l'admission sur les listes du jury certaines autres professions libérales non
moins importantes.
Aux termes de cet article, ne doivent pas être portés sur la liste des
jurés...
« 2" Les ministres, les gouverneurs des provinces, les membres des
députations permanentes des conseils provinciaux, les commissaires d'arrondissement,
les juges, procureurs généraux, procureurs du roi et leurs substituts ;
« 3° Les ministres des cultes ;
« 4° Les membres de la cour des comptes ;
« 5° Les secrétaires généraux et les directeurs d'administration près
d'un département ministériel ;
« 6° Les militaires en service actif, les auditeurs militaires et les
membres des tribunaux militaires. »
Ces exclusions très rationnelles relativement au jury n'ont plus aucun
sens par rapport à la proposition qui nous est faite.
Il est évident que lorsque la chambre a voté la loi du jury, elle était
sous l'empire de préoccupations tout autres que celles sous lesquelles on est
aujourd'hui. On n'a pas voulu se réserver alors d'adjoindre la liste du jury à
la liste des électeurs. Il y a plus : la réserve contraire a été prise. Dans la
discussion de la loi du jury, il a été entendu dans la chambre que cette loi
était faite en dehors de toute idée politique, et qu'on ne pourrait pas
conclure de la loi du jury à la loi électorale.
L'honorable M. Lebeau avait présenté un amendement, destiné à élever le
cens électoral pour le jury ; il abandonna son amendement, lorsque la chambre
eut admis le système de l'épuration des listes.
Voici comment il s'exprimait :
« Lorsque j'ai abandonné mon amendement, je l'ai fait sans aucune
préoccupation politique. Je n'en avais de même aucune, lorsque je l'ai présenté
; je crois qu'il n'y a rien à conclure de la loi du jury à la loi électorale.
« Je dis que si vous concluez de la loi du jury à la loi électorale,
vous confondez deux choses toutes différentes, surtout après l'adoption d'un
système d'épuration du jury et que vous arrivez à des conséquences que beaucoup
de membres repoussent. »
Ces conséquences dont on ne voulait pas en 1838, il paraît qu'on les
veut en 1847. Eh bien, messieurs, cela n'est pas juste ; il y aurait eu
surprise eu 1838 ; cela prouve du reste qu'il n'y a aucune assimilation
possible entre la loi du jury et la loi d'élection.
Je terminerai par une observation : L'honorable M. Dolez vous rappelait
hier qu'il s'était opposé à la modification apportée en 1842, à la loi
communale, parce qu'il croyait qu'il ne faut pas toucher légèrement et sans
nécessité aux lois organiques dont la stabilité doit être le principal
caractère.
Vous vous souvenez qu'alors beaucoup de membres de l'opposition, qui au
fond étaient partisans du principe de la nomination des bourgmestres
directement par le Roi, se sont opposés à l'adoption de ce principe, par la
seule raison qu'il ne faut pas altérer les lois organiques.
Je vous le demande, en faisant appel à votre conscience, quelle
différence n'y a-t-il pas, sous le rapport de l'importance, entre la question
de savoir si le bourgmestre sera nommé par le Roi, sur l'avis ou sans l'avis de
la députation permanente, entre ce principe d'utilité administrative et le
principe politique de réforme électorale par l'adjonction des capacités ?
Je vous disais tout à l'heure que le congrès avait voulu rendre la loi
électorale immuable. Il n'a pas eu cette prétention relativement aux autres
lois organiques. Permettez-moi de vous citer quelques mots.
Voici comment s'expliquait M. Defacqz :
« Je pense aussi qu'à raison de l'importance de cette condition il
ne faut pas la laisser à l'arbitraire d'une loi mobile et changeante ; il ne
faut pas que les législatures qui nous succéderont puissent en disposer à leur
gré, et peut-être selon les caprices du pouvoir. »
(M. Defacqz s'est trompé ; c'était d'après les caprices de
l'opposition.)
« C'est pour cela que je veux que le cens soit fixé dans la
Constitution. J'ai établi par mon amendement un maximum et un minimum pour que
la loi électorale ait la latitude nécessaire, afin de fixer le cens d'après les
localités. Voilà, messieurs, quels sont et l'objet de mon amendement et les
motifs qui me l'ont fait proposer. »
M. Defacqz voulait que le cens pût varier d'après les localités, afin de
représenter tous les intérêts, mais il ne voulait évidemment pas différencier
le cens des catégories d'électeurs.
Voici comment s'exprimait M. Forgeur :
« Ce point est grave, messieurs ; car si vous n'avez pas dans la
Constitution une disposition qui fixe le cens électoral, comme c'est là-dessus
que repose tout l'édifice constitutionnel, il se pourrait que les législatures
à venir, en le modifiant, renversassent tout votre ouvrage. »
M. Destouvelles s'expliquait de la même manière :
« Je conviens avec M. Forgeur que tout repose sur le cens électoral ;
c'est pour cela précisément qu'il importe que cette base soit posée dans la
Constitution, pour que les législatures à venir courbent la tête devant cette
disposition et ne se permettent pas d'y porter la main. »
M. le comte Le Hon s'exprimait ainsi :
« Est-il nécessaire que les limites dans lesquelles devra être fixé le
cens électoral soient invariables ? Messieurs, il me semble que, sauf (page 1122) l'exception proposée par un
des préopinants, tout le monde est d'accord qu'il faudrait établir le cens
d'une manière invariable ; mais les uns veulent que ce soit par une disposition
de la loi électorale, et les autres par une disposition contenue dans le pacte
constitutionnel. Je suis de ces derniers, et il y a, pour me déterminer, un
motif puissant à mes yeux : c'est que si le cens n'est pas fixé par la
Constitution, on pourrait, dans les législatures suivantes, non modifier nos
institutions, mais en changer l'esprit dans, leur application. Ainsi vous
laisseriez à la loi future le droit de changer des institutions que tous vos
efforts tendent aujourd'hui à asseoir sur des bases durables. C'est pour cela
,messieurs, que je suis d'avis d'adopter l'amendement de M. Defacqz. »
Ne résulte-l-il pas clairement de cette discussion que le congrès a
voulu faire reposer la loi électorale sur une base immuable, a voulu fixer le
cens dans la Constitution, de manière à ne pas permettre aux chambres futures
d'en changer le système ?
Je le demande à vos consciences, messieurs, comment est-il possible de
prétendre qu'en présence de cette déclaration solennelle du congrès qui a voulu
l'immutabilité des principes et du cens de la loi électorale, on puisse apportera
cette loi toutes les réformes dont l'opposition nous parle ?
Ainsi, selon M. Castiau et ses amis, il est permis non seulement
d'introduire dans notre législation l'adjonction des capacités ; mais vous
seriez autorisés à établir le cens uniforme ou cens relatif, et cela en
abaissant même le cens au minimum de 20 florins pour tous les électeurs du pays
; de manière que le congrès n'aurait rien décidé et aurait laissé à la loi
mobile et changeante la faculté de bouleverser notre régime d'élection, de substituer
aux principes de 1831 des principes tout opposés, de consacrer même ces
réformes dont M. Royer-Collard a dit qu'elles étaient des révolutions dans
l'Etat. Messieurs, cela n'est pas possible, et l'œuvre du congrès proteste
contre une telle prétention.
L'honorable M. Lebeau, en 1831, lorsque l'honorable M. de Foere
proposait d'abaisser le cens électoral à 20 fl. pour tout le monde, disait : «
M. de Foere veut nous mener au suffrage universel : son système ferait reculer
Hunt et Cobbett... Nous sommes, dans notre système, au-dessous de ce que le
libéralisme français demande aujourd'hui. »
En effet, le cens uniforme de 20 fl., c'est presque le suffrage
universel. Or, le congrès, je viens de le démontrer, a voulu que les
législatures à l'avenir ne pussent modifier le cens électoral. D'après
l'honorable M. Castiau, nous pourrons adopter presque le suffrage universel
sans nous écarter du texte de la Constitution.
Messieurs, prenons garde ! la loi
d'élection, dans tous les pays, est fondamentale, elle est liée au sort de la
Constitution même. En Belgique, cela est plus vrai que partout ailleurs,
puisque la Constitution renferme les bases de notre régime électoral. C'est la
loi organique la plus importante, celle à laquelle il faut toucher la dernière
; et ceux qui ont reculé devant une réforme administrative, introduite en
1842dans la loi communale, ne peuvent, sans donner un démenti à leurs
convictions, prêter imprudemment la main à une réforme politique à laquelle
serait soumise notre loi électorale sur laquelle reposent nos institutions
parlementaires.
M. d’Elhoungne. - J'ose, messieurs, réclamer l'indulgence de la
chambre à un double titre : d'abord parce que j'ai à répondre aux remarquables
discours prononcés hier et aujourd'hui ; ensuite, parce que j'ignore moi-même
si physiquement je suis en état de parler.
Heureusement, messieurs, l'adjonction des capacités, comme l'honorable
M, Dechamps vient de le faire remarquer avec raison, est une vieille question
que chacun de nous a examinée déjà, que chacun de nous a résolue. Les arguments
pour admettre ou pour repousser cette adjonction, sont si près de tomber dans
le domaine du lieu commun, qu'à la similitude des idées comme à la magnificence
du langage, nous aurions pu croire, dans la séance d'hier et même
d'aujourd'hui, que nous assistions à un des nombreux débats que cette
proposition a soulevés au sein des chambres françaises.
Le fond de la question se trouve ainsi épuisé. Son côté poétique
disparaît, s'efface devant la question d'opportunité, d'utilité, de nécessité.
C'est cette question qui aborde la proposition par son côté positif et
poétique, que je vais examiner devant la chambre, et sur laquelle je demanderai
à fixer quelques instants sou attention.
Je crois, messieurs, et c'est chez moi une conviction déjà vieille, je
crois que c'est une chose désirable et heureuse que l'extension des droits
politiques à un plus grand nombre d'électeurs, quand cette extension est la
consécration et la conséquence d'un progrès intellectuel et moral bien
constaté. Je crois, messieurs, qu'à ces brusques et profonds remaniements que
l'on voit quelquefois s'opérer dans les Etats constitutionnels et qui sont de
véritables révolutions légales, il est préférable de substituer des réformes
prudentes, des réformes partielles, successives, et sagement amenées. De la
sorte, en effet, on ouvre aux non-électeurs la perspective de l'avenir ; de la
sorte on le convie à la conquête pacifique des droits politiques ; on leur
prouve qu'au fur et à mesure que par leur instruction, par leur moralité, par
leur travail, par leur économie, ils se rapprochent des limites de la loi, la
loi, elle aussi, abaisse les barrières et vient au-devant d'eux.
C'est là selon moi, messieurs, le progrès sage, le progrès prudent, le
progrès accompli avec maturité, accompli avec des garanties de stabilité et de
durée, le progrès tel que le définissait hier l'honorable M. Dolez, tel que mes
honorables amis et moi nous le voulons tous. Il y a toutefois cette différence
que mes honorables amis, au moins plusieurs de mes honorables amis et moi, nous
ne voulons pas ce progrès aussi lent, aussi méticuleux que l'honorable M.
Dolez.
Mais si vous voulez un progrès successif, sagement ménagé, et plus vous
voulez un progrès lent et sagement ménagé, plus vous devez vous hâter, je le
dirai tout d'abord, d'adopter la proposition. Car la première condition d'un
progrès lent et sagement mûri, mais c'est la résignation des classes qui sont
exclues du système électoral, c'est que ces classes aient le sentiment de leur
infériorité ; qu'elles aient le sentiment de la supériorité du corps des
censitaires. Et comment voulez-vous leur donner cette conviction, ce sentiment,
cette résignation, alors que vous excluez avec elles, en même temps qu'elles,
les professions libérales, dont l'instruction, dont l'intelligence, dont la
capacité, dont la supériorité brillent éclatantes et incontestables aux yeux de
tous ?
L'honorable M. Dolez s'étonne que la question de la réforme électorale,
si mesurée qu'elle soit, si humble et si modeste qu'elle se fasse, se soit
produite dans cette enceinte, alors qu'il y a peu d'années, qu'il y a peu de
mois peut-être, l'honorable M. Dolez pouvait dire que trois députés seulement
demandaient la réforme électorale ; alors que le parti libéral n'a pas cessé de
déclarer qu'à l'aide de la loi électorale actuelle, il saurait conquérir la
majorité et le pouvoir. L'honorable M. Dolez s'en étonne ; en a-t-il le droit
?.Mais si les prétentions se formulent, mais si le temps a marché, mais si les
exigences vont grossissant, qu'est-ce donc, sinon la réalisation des
prédictions que personne n'a faites dans cette enceinte avec plus d'éloquence,
avec plus d'autorité, et j'ajouterai avec une frayeur mieux exprimée et plus
communicative que l'honorable M. Dolez lui-même ?
La réforme électorale, messieurs, n'est pas nécessaire au parti libéral
pour accomplir la conquête et de la majorité et du pouvoir ! Qui en doute ?
Mais la réforme que l'on propose, à laquelle le parti libéral se rallie, est la
preuve la plus évidente que ses sentiments, que ses convictions sur ce point
n'ont pas changé. En effet, la réforme que l'on propose, de l'aveu de ceux qui
la défendent, comme de l'aveu de ceux qui le combattent, comme de l'aveu de M.
le ministre des affaires étrangères lui-même, cette réforme partielle, petite,
modeste, si prudemment, si sagement faite, ne changera rien ni à la position de
la majorité, ni à la position de la minorité dans les collèges électoraux. Ce
n'est pas une conquête que le part libéral veut faire ; ce n'est pas un calcul
du parti libéral ; c'est un acte de justice, un acte de réparation.
D'ailleurs, croit-on que si le parti libéral était arrivé aux affaires,
c'eût été dans le but de s'endormir dans cette torpeur, dans cette inertie que
nous reprochons au cabinet actuel ? que c'eût été pour se traîner misérablement
dans l'ornière des ministères précédents ? Je ne le crois pas, moi ; et je
dirai à l'honorable M. Dechamps qu'il y aura bien d'autres articles qui
s'ajouteront au programme du parti libéral ; qu'il y aura bien d'autres
questions que le parti libéral fera résoudre, en dehors des questions contenues
dans le programme des honorables MM. Rogier et Delfosse. programme qui n'est
point, qui ne pouvait être le dernier mot du libéralisme, programme fait en vue
des circonstances, mais qui changera avec les circonstances, avec les exigences
de la situation, et qui ne sera pas un obstacle à la réalisation des progrès
que le temps doit nécessairement amener avec lui.
Mon honorable ami M. Dolez, d'ailleurs, n'a-t-il pas argumenté avec trop
d'insistance, n'a-t-il pas attaché une portée exagérée au silence, à la
bienveillance si légitime que le parti libéral, comme toute la chambre, apporte
à écouter ses discours ? Le parti libéral a-t-il nécessairement adhéré à toutes
les opinions de mon honorable ami, lorsqu'il ne les a pas contredites ? Le
parti libéral partageait-il les opinions de l'honorable M. Dolez, lorsqu'il
venait déclarer qu'il accordait au dernier cabinet de l'honorable M. Nothomb
les cinq sixièmes de sa confiance ? Le parti libéral partageait-il les
illusions de l'honorable M. Dolez, lorsqu'il disait à M. Van de Weyer :
« J'attends et j'espère ? »
M. Dolez.
- J'ai eu raison. La conduite de l'honorable M. Van de Weyer a vérifié que je
ne m'étais pas trompé, et que l'opposition se trompait.
M. d’Elhoungne. - L'opposition a blâmé l'honorable M. Van de Weyer
d'avoir accepté un rôle qui lui imprimerait une sorte de ridicule. L'opposition
a annoncé à l'honorable M. Van de Weyer qu'il resterait impuissant au banc
ministériel. L'opposition a prédit à l'honorable M. Van de Weyer qu'au lieu de
servir son parti et de préparer son avènement, il préparait l'avènement du parti
contraire ! Qui a eu raison de l'opposition ou de mon honorable ami M. Dolez ?
M. Dolez.
- J'avais foi en M. Van de Weyer, et les événements ont vérifié ce que je
disais.
M. d’Elhoungne. - Le besoin de la réforme que l'on propose n'est pas
constaté. C'est un besoin factice, un besoin artificiel, un besoin qui n'a ni
organe ni écho dans le pays. Telle est, messieurs, la seconde objection que mon
honorable ami M. Dolez, auquel je réponds particulièrement, a faite à la
proposition M. Castiau.
Mais me sera-t-il permis de faire remarquer que cette objection est une
objection stéréotypée qui a été faite à toute réforme passée, qui est faite à
toute réforme présente, et qui le sera à toute réforme future ? N'a-t-on pas
toujours déclaré que le besoin n'était point constaté, que le temps des
réformes réclamées n'était pas venu, et ne le soutenait-on pas quelquefois
encore, quand déjà une révolution était là prête à accomplir ces réformes trop
marchandées ?
Les hommes politiques, les assemblées politiques, en présence d'une (page 1123) réforme, doivent examiner
les faits, doivent interroger sincèrement les faits qui se passent sous leurs
yeux. Et c'est d'après ces faits qu'ils doivent résoudre la question
d'opportunité, de nécessité qui domine, qui domine surtout ces matières.
Eh bien, messieurs, interrogeons les faits ; interrogeons ce qui se
passe sous nos yeux, ce que chacun de nous peut voir, ce que chacun de nous a
déjà observé.
Les hommes dont la loi méconnaît la capacité et qu'elle exclut de
l'exercice des droits électoraux, quelle est leur action dans la société ? Ne
prennent-ils aucune part au mouvement des esprits ? Ne jouent-ils aucun rôle
politique dans le pays ? Au contraire, vous les voyez exercer leur influence
toujours ; vous les voyez exercer une sorte de prépondérance souvent ; vous les
voyez plus souvent encore prendre l'initiative dans le mouvement électoral,
dans l'agitation électorale, dans le mouvement politique du pays. Voyez-les à
l'œuvre ; ils sont au premier rang toujours. Ils se font écouter, ils se font
suivre. Et pourquoi les suit-on ? Pourquoi les autres prétentions, les
convictions plus avancées viennent-elles se grouper autour d'eux ? Mais c'est
parce qu'il y a là un droit évident à la fois et méconnu, et qu'on sait
d'expérience qu'il n'y a pas de meilleur drapeau, qu'il n'y a pas de meilleur
programme qu'un droit méconnu malgré son évidence.
Ne vous y trompez pas ; ces droits méconnus, ces intérêts froissés, qu'on
refoule ainsi, ulcérés et frémissants, hors du corps électoral, hors du pays
légal, doivent nécessairement réagir contre lui, et agiter la société tout
entière. Eh bien, interrogez vos consciences ; demandez-vous ce qui se passe
sous vos yeux ; demandez-vous si ce ne sont pas là des faits graves, qui ont
une haute signification, qui appellent un prompt remède !
Qu'y a-t-il donc à faire ? Il y a, messieurs, à donner satisfaction à ce
qui est légitime. Il y a des intérêts à sauvegarder, des droits qu'il faut
reconnaître, qu'il faut sanctionner.
En allant ainsi au-devant d'une réforme mesurée, mûre, prudente ; mais
vous coupez, en quelque sorte, à sa racine une des causes les plus actives
d'agitation ; vous écartez, vous isolez les prétentions qui sont prématurées,
exagérées, extrêmes : vous empêchez ce qui est légitime, ce qui est évident
pour tous de se coaliser, de se réunir avec ce qui n'a pas le même caractère de
justice, d'évidence, et surtout pas le même degré de maturité. En faisant cela
vous atteignez un autre résultat encore : vous donnez à ces hommes injustement
repoussés du corps électoral leur part d'influence ; vous les rattachez aux
institutions ; vous les enfermez dans le cercle légal avec toutes les autres
influences que notre système électoral reconnaît déjà ; et en leur donnant
ainsi une action légale, ne prévenez-vous pas efficacement les abus possibles,
si pas probables, de leur agitation, de leur action extra-légale ?
Je suis convaincu, messieurs, que si on se plaçait au point de vue conservateur
il n'y aurait pas un homme intelligent et sérieux, n'en déplaise à l'honorable
M. Dolez, qui ne dût voter une pareille réforme afin précisément d'empêcher les
secousses, les tiraillements, afin de calmer l'agitation, ou du moins de
retrancher l'une des causes de l'agitation du présent et de l'avenir.
La mesure qu'on vous propose, serait-elle donc une mesure si hardie, un
acte de témérité dont il fût impossible de prévoir ni les conséquences, ni la
réaction et sur notre organisation politique et sur nos institutions et sur la
marche des affaires ?
J'ai dit, messieurs : C'est une vieille question ; sans rappeler
l'élection du congrès, je puis ajouter encore : C'est une question que
l'expérience a depuis longtemps résolue. En effet, messieurs, que s'est-il
passé en France, dans ce pays dont l'honorable M. Dechamps a parlé avec tant de
complaisance ? En France, dès 18&1, c'est le gouvernement, c'est le
ministère, par l'organe du conte de Montalivet, qui a proposé à la chambre des
députés l'adjonction de la deuxième liste du jury.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - La chambre l’a rejetée.
M. d’Elhoungne. - J'y arrive. C'est M. le comte de Montalivet qui est
venu proposerait nom du gouvernement, l'adjonction de la deuxième liste du
jury.
La chambre des députés a renvoyé la proposition ministérielle à l'examen
d'une commission dans laquelle figuraient Royer Collard, l'idole de M. Dechamps
; dans laquelle figuraient aussi M. Pelet de la Lozère et le comte de Berenger.
Eh bien, dans le rapport de M. le comte de Berenger le système de l'adjonction
des capacités était préconisé dans les termes les plus pompeux, dans des termes
beaucoup plus vifs qu'elle ne l'a été ici par M. Castiau lui-même. Mais la
chambre des députés, dit-on, l'a rejeté. Non, messieurs ; la chambre des
députés ne l'a pas rejeté, je suis fâché de devoir donner cette espèce de
démenti à M. le ministre des affaires étrangères. La chambre des députés a
admis le principe ; elle a admis que les membres et les correspondants de
l'Institut et je pense que cela sera agréable à l'honorable M. Dumortier....
M.
Dumortier. - Pas le moins du monde.
M. d’Elhoungne. - Je disais, messieurs, que la chambre des députés de
France a admis le principe : elle a admis que les membres et les correspondants
de l'Institut seraient inscrits sur les listes électorales en payant la moitié
du cens ; elle a également admis que les officiers jouissant d'une pension de
retraite de 1,200 fr. seraient inscrits sur les listes électorales en payant la
moitié du cens. C'est bien là le principe. Mais la chambre des députés n'a pas
admis les autres catégories, et savez-vous pourquoi ? Je ne pense pas qu'on
puisse le contester, un très vif débat s'est élevé sur l'admission de la
magistrature ; on voulait faire précéder l'épuration de la magistrature, et
c'est ce qui a fait rejeter la proposition quant aux autres catégories par une
sorte de coalition qui ne prévoyait pas elle-même ce résultat.
Mais, messieurs, bien loin que l'opposition en France n'attache aucune
importance à cette admission du principe d'un cens différentiel pour certaines
capacités, c'est au contraire son grand cheval de bataille ; à chaque instant
l'opposition française répète au gouvernement : « Remplissez les promesses de
juillet ; vous avez proposé l'adjonction des capacités, reproduisez donc cette
proposition ; et faites ainsi une application plus complète du principe que vous
avez déjà inscrit vous-même dans la loi électorale. » C'est là en résumé le
langage de l'opposition en France.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Depuis seize ans.
M. d’Elhoungne. - Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve que quand
on s'assied sur les bancs du pouvoir, l'entêtement, la résistance aveugle à
tous progrès, même à ceux qu'on a soi-même préconisés précédemment, semble être
un mal contagieux. Cela ne prouve pas autre chose.
Mais il y a plus. Non seulement le système a été présenté en France et
par le gouvernement, et par Royer-Collard, et par une commission de la chambre
des députés ; non seulement la chambre elle-même a admis le principe déjà pour
deux catégories de capacités ; mais le système tout entier existe en France
pour les élections provinciales ; les élections des conseils généraux se font
par toutes les notabilités inscrites sur la deuxième liste du jury ; et ce
système fonctionne parfaitement, sans inconvénients, sans abus.
Ensuite, qu'on regarde quels sont les hommes qui, en France, appuient la
mesure. L'honorable M. Dechamps a dit que la mesure était repoussée par les
ministères, ainsi que par le centre gauche. C'est un erreur. Le centre gauche,
il appuie la mesure. Savez-vous comment l'opposition a procédé en France ?
L'extrême gauche, qui veut plus que le suffrage universel, d'après M. Dechamps
; la gauche, qui veut une large extension du droit électoral ; le centre
gauche, qui veut seulement l'adjonction des capacités, se sont réunies sur
cette question. Elles se sont dit : Nous avons le même point de départ, une
base commune sur laquelle nous sommes d'accord, l'adjonction des capacités ; eh
bien, réunissons nos efforts pour obtenir sans retard cette adjonction des
capacités de la deuxième liste du jury.
Voilà ce qui s'est passé et ce qui se passe encore en France. Or,
remarquez que si le centre gauche de France veut la mesure, il doit à plus
forte raison en être ainsi du centre gauche de Belgique... (Interruption.) de l'ancien centre gauche
de Belgique (lorsqu'en Belgique il y avait un centre gauche) et auquel
l'honorable M. Dolez appartenait au moins pour cinq sixièmes, et auquel, quand
notre centre gauche sera reconstitué, il appartiendra tout entier ; dans lequel
il plantera sa bannière ; à qui il apportera toutes ses sympathies, son
autorité, et la séduction et la magie de sa parole.
En effet, messieurs, le passé nous prouve qu'en Belgique le centre
gauche est plus progressif que le centre gauche français.
Cependant, messieurs, comment un des chefs du centre gauche français
qualifiait-il l'adjonction des capacités ? M. Dufaure a dit mot à mot que
c'était une chose opportune, sage, prudente, utile et nécessaire, de convertir
la proposition en loi.
Dira-t-on que, pour accomplir une réforme, il faut nécessairement qu'on
sente au fond de la société bouillonner les passions exaspérées ? Faudra-t-il
que, comme dans la Grande-Bretagne de 1831, la législature sente sous ses pieds
se soulever un volcan ? Exigera-t-on enfin qu'il y ait là une effroyable
révolution à la fois sociale et politique, prête à éclater, et dont l'explosion
devenue imminente fasse taire les considérations égoïstes, fasse pâlir les
obstinations aveugles, et vienne briser toutes les résistances ?
Eh bien, je n'hésite pas à le dire, ce système qui est déjà
insoutenable, lorsqu'il s'agit d'une réforme large, embrassant tout le système
électoral, dénaturant complètement les bases de ce système, opérant une
véritable révolution légale ; ce système, dis-je, qui est déjà insoutenable en
présence d'une pareille réforme, devient véritablement absurde, lorsqu'on veut
l'appliquer à une réforme partielle, sagement progressive, lentement préparée
et que tout le monde doit être prêt à accepter, non seulement parce qu'elle
laisse intacte la situation des partis, mais parce qu'elle est un acte de
réparation et de justice à la fois.
En vérité, je serais tenté de répéter aux honorables membres qui
combattent une pareille réforme, ce qu'un éloquent orateur disait en France :
c'est qu'il y a dans les assemblés politiques des hommes bien honorables sans
doute, bien intentionnés, personne ne le conteste ; mais si timides, si
aveugles, si tremblants, qu'ils repoussent toute innovation, par cela seul que
c'est une innovation ; qu'ils ne voient qu'un seul mal au monde : le mouvement
; qu'ils ne voient qu'un seul péril pour les institutions : le mouvement.
En effet, il faut pousser jusque-là la timidité, la pusillanimité
politique, pour repousser la proposition qui est soumise à cette chambre,
proposition toute de réparation, tout inoffensive, et pour s'en effrayer, comme
si c'était une issue ouverte à la tempête des révolutions.
On a fait à la proposition une seconde objection. On a soutenu, hier, que
le vœu du pays ne s'était pas suffisamment manifesté. Mais, messieurs, les
faits que j'ai indiqués, l'aperçu que j'ai tracé tout à l'heure de (page 1124) la situation des partis et
du mouvement politique du pays, n'ont-ils pas réfuté cette deuxième objection
tout aussi générale et j'ajouterai tout aussi banale que la précédente ?
Mais, n'y a-t-il pas eu de manifestation ? Comme les honorables orateurs
qui m'ont précédé, je m'expliquerai ici avec une entière franchise.
Je crois avec l'honorable M. Dolez, qu'une grande association centrale,
permanente, délibérant sur toutes les questions, peut offrir des dangers ; et
comme les honorables MM. Delfosse et Dolez, j'ai refusé de prendre part à une
association de ce caractère.
Je n'admets pas davantage le mandat impératif ; je n'ai pas voulu en
accepter, en entrant dans cette enceinte ; pas plus que personne, je n'y
resterai, en en acceptant un.
Je m'abstiendrai même de m'expliquer sur le programme, de crainte
d'émettre une adhésion indirecte. Mais je prendrai un autre engagement ; c'est
que les propositions que je désapprouverai, qui me paraîtront contraires à
l'intérêt du pays, je les combattrai, qu'elles viennent de mes amis ou de mes
adversaires, qu'elles émanent de ceux qui m'envoient dans cette enceinte ou de
ceux qui m'en repoussent, peu importe.
Mais est-ce à dire que parce que des citoyens, recommandables
d'ailleurs, se seront réunis pour émettre un vœu, ce vœu doive être pour cela
même repoussé ? Non, messieurs ; si une assemblée considérable émet un vœu, c'est
qu'elle a apparemment trouvé ce vœu dans le pays ; or, notre tâche, c'est de
vérifier, c'est de nous assurer si ce vœu a assez de consistance d'abord, et
s'il est équitable et juste ensuite.
Eh bien, pour ce qui est de l'adjonction des capacités, pensez-vous
qu'il ne soit pas dans le vœu du pays, que l'intelligence vienne prendre part,
si je puis m'exprimer ainsi, au banquet électoral ? Pensez-vous que le vœu du
pays se soulève, comme l'a dit M. le ministre des affaires étrangères, contre
la proposition de mon honorable ami M. Castiau et que l'acceptation de cette
proposition soit le signal d'une véritable révolte ! Non, messieurs, le
sentiment du pays est plus éclairé, plus conciliant, plus juste.
Mais, ajoute-t-on, le vœu n'est pas suffisamment manifesté, et l'on nous
produit à ce propos la théorie des manifestations éclatantes, des
manifestations irrécusables.
Savez-vous, messieurs, ce qu'elle produit cette théorie des
manifestations éclatantes ? Elle produit le congrès libéral ! oui. C'est parce
qu'on a nié l'existence du parti libéral, son unité, sa cohésion, jusqu'à ses
principes, que vous avez vu surgir de ces manifestations éclatantes. C'est
parce que l'on a contesté que le parti libéral fût un grand parti, ayant jeté
de profondes et vigoureuses racines dans le pays, parce que l'on a nié que le
parti libéral fût assez fort et assez compacte pour saisir le pouvoir et
s'imposer aux affaires, c'est pour cela que le congrès libéral s'est réuni, et
qu'une manifestation aussi grande a surgi au sein de la capitale.
Et ici je répondrai à l'honorable M. Dolez qui a contesté ce vœu si
clairement écrit dans tous les faits qui se passent sous nos yeux en faveur de
l'adjonction des capacités ; et qui a allégué que le congrès libéral a pu se
tromper sur ce point. Je lui répondrai : que précisément par là on rend
nécessaire, infaillible, la nouvelle réunion d'un congrès libéral, qui, après
une année de réflexion, vienne déclarer qu'il ne s'est pas trompé ; que c'est
bien là le vœu du pays ; un vœu intelligent, réfléchi et sérieux.
Après avoir nié que le vœu du pays se fût suffisamment prononcé pour la
réforme que l'honorable M. Castiau a proposée, on s'est étendus sur ce que les
circonstances actuelles avaient de défavorable à la discussion de cette
proposition.
Je demanderai à l'auteur de cette objection quelle est la loi urgente
que la discussion d'hier et d’aujourd'hui retarde ? Je demanderai quel est
l'objet à l'ordre du jour assez urgent, assez grave, assez impérieux pour nous
déterminer à mettre une fin violente, en quelque sorte, au débat qui nous
occupe.
Quand l'adresse a été discutée, le ministère venait de présenter un
grand nombre de mesures véritablement urgentes. L'honorable auteur de
l'objection que je viens de rappeler, trouvait-il alors qu'une discussion
politique fût déplacée ? Je dois croire que non, car il a jugé à propos d'y
prendre part.
Maintenant, au contraire, qu'aucune grande mesure n'est présentée, ce
que je regrette, ce que je déplore plus que personne, en présence des graves
circonstances dans lesquelles se débat le pays, en présence de la famine qui le
désole et le décime ; maintenant que malheureusement le ministère reste dans
une inertie qu'on ne saurait qualifier avec assez d'énergie, peut-on dire,
messieurs, que cette discussion qui nous occupe soit intempestive, déplacée ?
qu'elle donne le droit au pays de soupçonner que nous dépensions en vains
débats politiques un temps que nous pourrions employer à soulager ses misères ?
Cette accusation, nous ne la mériterions pas ; elle serait injuste. Ah ! si de
grandes mesures, de grands remèdes étaient présentés aux chambres, pour
soulager la misère du peuple, sur aucun banc on n'en serait plus sincèrement
réjoui que sur les bancs de l'opposition ; personne ne serait plus empressé à
les discuter, à les voter, que les membres de l'opposition.
Et me sera-t-il permis d'engager l'honorable M. Dolez, dont hier encore
la voix persuasive semblait si agréable, si influente, si légitimement
influente auprès du ministère et de la majorité, me sera-t-il permis, dis-je,
de l'engager à ne plus se restreindre aux débats politiques et à traiter dans
cette enceinte ces questions qui tiennent en suspens le sort des populations,
ces questions d'intérêt matériel qu'il nous recommande, et pourrais-je le
supplier de se joindre à nous pour revendiquer un soulagement sérieux et prompt
aux maux, aux ravages de la famine, et quelque chose d'efficace enfin pour
adoucir les longues souffrances des Flandres ?
« On surprendrait le pays, a dit encore l'honorable M. Dolez, si l'on
touchait à la loi électorale. » Mais quel est donc l'objet à l'ordre du
jour ? C'est précisément la loi électorale ; la loi électorale qui doit être
modifiée quant au nombre des représentants et des sénateurs ! Le pays ne peut
prétexter ni surprise, ni ignorante. Et l'honorable membre est un peu coupable
avec nous, car il a approuvé le programme de l'honorable M. Rogier dans lequel
cette réforme électorale figurait ; il a également approuvé le programme, en ce
qui concerne le retrait des lois réactionnaires. Et je ne sais, en vérité,
comment concilier cette adhésion au programme de M. Rogier qui contenait la
réforme électorale et le retrait de lois qui touchent à l'organisation
communale avec le système de la stabilité des lois organiques dont l'honorable membre
nous a entretenus hier avec un respect au moins exagéré.
Je crois, messieurs, qu'après les considérations que je viens de
soumettre à la chambre, il doit être démontré que la proposition de mon
honorable ami M. Castiau, n'est ni inopportune, ni inutile. Je crois avoir
établi, que ce serait un acte de sage conservation, de conservation
intelligente et prudente, que de consacrer le principe de la proposition que
mon honorable ami vous a soumise.
Restent les objections de détail qu'on fait à la proposition. On lui
reproche des vices, on lui reproche des lacunes. Mais ceci laisse le principe
intact, et je dis à ceux qui trouvent des défauts à l'amendement : Proposez-y
des modifications ! Je réponds à ceux qui lui trouvent des lacunes : Comblez
ces lacunes, complétez la proposition ! Ne perdez pas de vue, messieurs, que
vous aurez nécessairement à voter, ou sur un principe, ou sur chacune des
catégories successivement que comprend la loi sur le jury, ce qui écarte à
l'instant les objections de détails. Et à cet égard, il me semble préférable et
plus franc que la chambre se prononce sur le principe, qu'on pose la question
de savoir, si l'on adjoindra à la liste électorale les capacités avec le
minimum du cens ; cela vaudrait mieux que si, opérant par division, on votait
le principe même sur la première des catégories, et qui heureusement ne soulève
non plus aucune objection de détail.
Mais de l'une et l'autre façon, la question sera parfaitement claire,
parfaitement nette et dégagée, purgée des objections de détail qui auraient pu
entraîner des votes négatifs, indépendamment du principe. J'insiste sur cette
observation ; les objections de détail disparaissent, quand la proposition est
prise comme elle doit l'être, comme principe, el qu'on laisse de côté, et son
étendue et l'indication des catégories auxquelles il s'applique ou ne
s'applique pas.
Dans son discours, l'honorable M. Fleussu a, du reste, démontré déjà que
beaucoup de ces observations de détail ne méritaient pas de faire autant
d'impression qu'elles en ont produit. Pour mon compte, je dois déclarer que
dans ces critiques de détail j'en ai trouvé plus d'une qui me paraît fondée et
que j admets ; mais évidemment ce serait là une discussion prématurée ; je ne
m'y arrêterai pas davantage.
Après cela, messieurs, vous comprendrez que loin de m'effrayer de la
proposition de réforme électorale en ce moment soumise à la chambre, j'éprouve
au contraire une sorte de surprise à voir le ministère se renfermer obstinément
dans la question de constitutionnalité et se contenter de combattre la
proposition à grand renfort de chicanes. On dirait vraiment, à voir cette
conduite du cabinet, que son programme, c'est l'indication de la conduite qu'il
entend ne pas tenir, et la profession des principes qu'il entend ne pas appliquer.
Le cabinet n'a-t-il pas proclamé qu'il nous gouvernerait par des mesures
libérales ? Eh bien, je me demande, le pays se demande où est le premier
échantillon de son libéralisme (Interruption.)
Un membre. - La loi sur l'enseignement moyen !
M. d’Elhoungne. - Ah ! il y a la loi sur l'enseignement moyen qu'on
voudrait faire voter un peu libéralement, pour la faire exécuter beaucoup
catholiquement ! (Interruption.)
Messieurs, je reprends la pensée dont ces interruptions ont scindé
l'expression. Je disais qu'on pouvait s'étonner de voir le cabinet répudier
toutes les occasions de faire du libéralisme. Ainsi quand cette question de
l'adjonction des capacités s'est produite, comprend-on que le ministère ne s'en
soit pas saisi, qu'il n'ait pas osé prendre une position un peu avancée en
adoptant une mesure qui avait l'immense mérite, à son point de vue, de fermer
la porte à des réformes plus larges, sans altérer la position électorale des
partis ? Ainsi encore, comprend-on que le ministère n'ait point osé regarder en
face la dissolution qui s'offre d'elle-même cette année, comme l'a si
éloquemment dit mon honorable ami M. Castiau, car les vieilles excuses on ne
peut plus les exhumer. On ne peut pas objecter la crainte d'agiter le pays par
des élections générales ; on ne peut pas prétexter qu'il serait dangereux de
convoquer tous les collèges électoraux au milieu d'une crise, au flagrant d'une
famine ; car les élections générales, la réunion des collèges électoraux, tout
cela aura lieu malgré le ministère.
Ah ! s'il est vrai comme vous le dites, MM. les ministres, que le
sentiment du pays nous repousse ; s'il est vrai qu'il se soulève contre les
propositions que nous apportons à cette tribune : mais ayez donc le courage de
dissoudre les chambres, ayez le courage d'en appeler au pays, et de lui
demander qu'il prononce entre vous et nous. Ce courage, vous ne l'aurez pas ;
je n'ai pas besoin de le dire, il vous conduirait au suicide.
(page 1125) A propos de
la réforme électorale qui se discute en ce moment, l’honorable M. Dechamps nous
accuse d'être arriérés dans nos idées ; il nous reproche d'admirer médiocrement
un système qui, par un cens différentiel, favorise les campagnes. Il se
proclame chaud partisan de ce système, avec lord Grey, lord John Russell, M.
Royer-Collard ; en un mot, avec les hommes les plus éminents de la France et de
l'Angleterre.
Mais M. le ministre a-t-il bien examiné, a-t-il bien compris la pensée
des hommes illustres à côté desquels il se place si hardiment ? Il me permettra
d'en douter. Car, s'il est quelque chose que les hommes d'Etat, de l'Angleterre
surtout, s'accordent à proclamer, c'est que l'opinion des villes, l'opinion des
grandes villes particulièrement, doit s'imposer à la direction politique du
pays.
Quand sir Robert Peel, changeant tout à coup sa ligne de conduite,
proposa, en 1828, l'émancipation des catholiques d'Irlande, sur quel motif
s'est-il appuyé ? Il a invoqué, messieurs, devant une majorité de députés des
campagnes, majorité hostile à l'émancipation, il a invoqué le sentiment des
grandes villes de l'Angleterre et de l'Ecosse ! C'était là son motif
déterminant, c'était là, pour lui, la preuve suffisante des vœux du pays !
Lorsque lord John Russel, au nom du cabinet de lord Grey, vint
développer à la chambre des communes le vaste projet de réforme qui sauva
l'Angleterre d'une révolution, savez-vous, messieurs, comment il justifia la
prépondérance numérique accordée aux districts ruraux ? Il la justifia par
cette raison qu'on ne peut pas gouverner un pays contre le sentiment unanime
des grandes villes ; il la justifia en disant que l'opinion unanime des grandes
villes doit forcément prévaloir dans la direction politique du pays, et
s'imposer de toute nécessité au gouvernement.
En voulez-vous encore un récent et illustre exemple ? Voyez le retrait
des lois céréales. Qu'est-ce autre chose que cette réforme, sinon une immense
victoire du sentiment des villes sur les résistances des campagnes ?
Et ici, messieurs, pas de malentendu. Personne ne se rallie plus
vivement, plus sincèrement que moi aux sentiments si noblement exprimés hier
par mon honorable ami M. Castiau sur la solidarité étroite d'intérêts qui
existe entre les villes et les campagnes.
En demandant que le sentiment des grandes villes prévale dans la
direction politique du pays, n'est-ce pas dans l'intérêt commun des campagnes
et des villes, n'est-ce pas dans l'intérêt général le plus étendu, le plus
intelligemment compris, le plus incontestable ?... (Interruption.)
Oh ! quoi qu'en puisse murmurer M. le
comte de Mérode, et au risque de le faire s'agiter plus encore, et même
d'encourir sa colère...(interruption)
je suis bien obligé de proclamer que c'est du soleil que vient la lumière, et
que c'est des grandes villes, ces foyers de civilisation, que la civilisation
doit rayonner sur toute la surface du pays ! (Interruption.)
Messieurs, quelle que soit l'issue de cette discussion, pour mon compte,
je m'applaudis de l’avoir vue surgir. Quoi qu'il en arrive, elle aura porté ses
fruits. Si vous rejetez la proposition, la question sera posée devant les
électeurs ; elle sera résolue par les élections. Et si elle vous revient, la
session prochaine, élargie, agrandie, complétée, ce n'est pas moi qui m'en
plaindrai ! ce n'est pas moi qui m'en effrayerai !
M. Dumortier, rapporteur. -
Messieurs, en me levant pour prendre la parole dans cette discussion, j'ai
besoin de réclamer toute votre indulgence : mon état de souffrance, en ce
moment, ne me permettrait pas de prononcer un discours qui réfute en tous
points celui que vous venez d'entendre. Je ferai en sorte d'être bref. Je prie
la chambre de m'accorder un moment d'attention.
La question soulevée en ce moment a pour but l'extension des droits
politiques, en Belgique. S'il s'agissait d'une extension de droits politiques
dans les limites tracées par la Constitution, je le déclare sans hésiter, je la
voterais immédiatement.
Je regrette de ne pouvoir voter en ce sens, parce que plus il y a de
personnes, proportionnellement à la population, appelées à l'élection, plus
l'élection représente réellement le pays.
Mais, messieurs, s'agit-il ici de donner une extension aux bases si
larges sur lesquelles le congrès a établi notre édifice social ? Nullement ; il
s'agit de tout autre chose : il s'agit uniquement d'accorder un privilège à
certaines classes de la société. Ce privilège, je viens le repousser, parce que
la Constitution repose sur deux bases : la liberté et l'égalité. L'égalité est
enfreinte, lésée par le système qu'on vous propose.
L'honorable préopinant a parlé d'hommes injustement repoussés du corps
électoral, et dont les droits seraient méconnus. Messieurs, il n'y a pas en
Belgique de parias ; personne n'est repoussé par la loi du corps électoral ; il
n'est personne surtout dont les droits soient méconnus ou puissent être
méconnus.
Les droits politiques ! Mais où peut-on les puiser si ce n'est dans la
Constitution ? La Constitution est le code de notre droit public. Si elle n'a
pas accordé des droits politiques à ceux qu'on appelle aujourd'hui les
capacités, ils ne peuvent prétendre que leur droit serait méconnu, parce qu'il
n'y a pas de droit contre le droit. Ils peuvent donc invoquer des désirs, des
prétentions ; mais ils ne peuvent revendiquer un droit. Qu'ils prouvent que ce
droit existe, et aussitôt nous leur en assurerons l'exercice.
De quoi s'agit-il ? Encore une fois, d'un privilège accordé à une classe
de citoyens, privilège que je repousse, parce que je n'en veux pour personne,
pas plus pour ceux qu'on appelle des capacités que pour tout autre. Etrange
prétention vraiment de la part de ceux qui ont les parchemins modernes, que
cette prétention au monopole de l'intelligence ! Parce que vous êtes avocat,
parce que vous êtes médecin vous prétendez avoir seul le monopole de
l'intelligence ! Mais un honnête industriel, un bon fabricant, un financier ont
aussi quelques droits à l'intelligence. Un bon cultivateur, un homme qui fait
mouvoir un grand nombre de bras, qui rend des services aux populations, qui
donne du pain à des milliers d'ouvriers peuvent aussi prétendre à
l'intelligence ! Et vous ne sauriez en exercer le monopole. II y a quelque
chose d'odieux dans cette prétention dictée par l'orgueil et qui tend à diviser
la Belgique en deux classes dont l'une dominerait el dédaignerait l'autre.
Je dis que rien n'est plus impondérable que l’intelligence, qu'il ne
vous appartient pas de la régler par la loi, et qu'il y aurait privilège
exorbitant à dire aux uns : Vous avez de l'intelligence, et aux autres : Vous
n'en avez pas. Quand on dit aux uns : « Vous êtes des capacités », on dit
implicitement aux autres : « Vous êtes des incapacités ». II y a quelque
chose de flétrissant dans cette classification du peuple ; c'est violer la
Constitution dans ce qu'elle a de plus sacré : l'égalité de tous les Belges
devant la loi.
Et ce sont des hommes professant des opinions libérales, des hommes qui
se qualifient du nom de libéraux et prétendent au monopole du libéralisme, ce
sont ces hommes qui viennent prétendre qu'une partie de la société a seule le
monopole de la capacité, regardant les autres citoyens comme des incapacités !
Je ne conçois rien à un pareil libéralisme : un libéralisme qui repose
sur le privilège, sur la distinction des castes, la flétrissure du peuple, est
odieux. La Belgique l'a repoussé dans sa Constitution ; elle n'en voudra
jamais.
Vous avez beau faire, vous ne parviendrez pas à faire prévaloir, au
profit d'hommes nouveaux, la supériorité d'une classe sur les autres ; vous
aurez beau faire, il n'y aura jamais d'ilotes dans le pays.
Le cens, vous a-t-on dit, est une présomption de capacité. Cela est
complètement inexact. Le cens n'est nullement une présomption de capacité ;
c'est une garantie ; le cens n'est autre chose qu'une garantie d'ordre pour
l'avenir du pays, une mesure en faveur de la paix publique. Voilà ce que c'est
que le cens ; ce n'est pas autre chose !
Il y avait deux systèmes en présence, pour former le corps électoral :.
c'était d'y appeler les hommes par catégorie, ceux que dans un pays voisin, on
a appelés des capacités, ou de prendre pour base le cens électoral. Eh. bien
qu'a fait le congrès ? Il a pris pour base le cens électoral. Pourquoi ? Parce
qu'après avoir constitué le pays en l'absence de tout pouvoir, après avoir décrété
une Constitution qui représente exactement le vœu du pays, sans être influencé
par aucune autorité, quelle qu'elle fût, il a pensé qu'il fallait donner des
garanties de stabilité à cette institution. Voilà dans quelle idée le cens a
été établi. Ce n'est pas une présomption de capacité ; c'est exclusivement une
garantie de conservation, une garantie d'ordre public, une garantie de paix
publique.
Mais, vous dit-on, en France on veut adjoindre les capacités. En France
de grandes discussions ont eu lieu dans le sein de la chambre des députés ; ce
sont les ministres eux-mêmes qui sont venus présentée un projet de loi pour
l'adjonction des capacités. Vous avez entendu tous les arguments qu'a tirés de
ce point de vue l'honorable membre qui vient de parler avant moi.
Messieurs, la réponse est bien simple et je la crois bien victorieuse :
c'est que la Charte française a voulu sur ce point tout autre chose et
diamétralement l'opposé de ce qu'a voulu la Constitution belge.
Que portait, messieurs, la Charte octroyée par S. M. Louis XVIII ?
L'article 40 de cette Charte portait : « Les électeurs qui concourent à la
nomination des députés ne peuvent avoir droit de suffrage, s'ils ne payent une
contribution directe de 300 francs et s'ils ont moins de trente ans. »
Voilà quelle était la disposition constitutionnelle en France avant la
révolution de juillet. Il fallait payer le cens de 300 francs et être âgé d'au
moins 30 ans.
Que fit la révolution de juillet ? Maintint-elle ce principe ? Crut-elle
devoir maintenir dans la Charte renouvelée la fixation d'un cens électoral ?
Nullement, messieurs ; elle laissa cette disposition à la loi, et à l'article
que je viens de lire, elle substitua la disposition suivante : « Nul n'est
électeur, s'il a moins de 25 ans et s'il ne réunit les autres conditions
déterminées par la loi. »
Ainsi, la chambre française avait supprimé les conditions du cens dans
la charte elle-même ; elle n'avait pas voulu que le cens fût fixé, et pourquoi
? Parce que par là elle voulait introduire chez elle le système de ce qu'on
appelle les capacités.
C'est en présence de cette disposition, messieurs, qui venait d'être
prise peu de mois auparavant par la chambre des députés de France, que le
congrès belge fit l'article de la Constitution qui règle les droits des
électeurs. Eh bien ! messieurs, je le demande, le congrès suivit-il le système
dans lequel la France était entrée ? Le congrès voulut-il laissera la loi le
soin d'adjoindre les capacités ? L'évidence résulte de toute la discussion,
résulte des textes mêmes. Le congrès adopta le système opposé,, un système basé
sur le cens, et l'honorable M. Defacqz, auteur de la disposition qui forme
aujourd'hui l'article de la Constitution, après avoir combattu vivement le cens
universel, réclama avec force la fixation du cens dans la Constitution,
fixation qui fut adoptée sur sa proposition. J'ai eu déjà l'honneur de vous
citer ses paroles dans une séance précédente : « J'ai établi, dit-il, par mon amendement,
un maximum et un minimum, pour que la loi électorale ait la latitude
nécessaire, afin de fixer le cens d'après les localités. » L'honorable M.
Defacqz ne voulait, vous le voyez, de modification de cens que d'après les
localités et non d'après les capacités.
(page 1126) Ainsi, messieurs,
tous les arguments que l'on a tirés de ce qui s'est passé en France au sujet de
l'adjonction des capacités sur les listes électorales, n'ont aucune espèce de
valeur pour la Belgique, parce qu'elle était la conséquence du système de la
charte française, tandis que le système de la Constitution belge est
diamétralement opposé et a été adopté précisément pour repousser, à l'avenir,
la proposition dont il est ici question. La charte française a été faite pour
favoriser l'adjonction des capacités, la Constitution belge dans le but de leur
refuser un privilège.
On a dit, messieurs, qu'il y avait une assimilation entre les fonctions
de juré et les fonctions électorales. Je ne reviendrai pas, messieurs, sur cet
argument ; on n'a que trop démontré qu'il n'existait aucune espèce
d'assimilation entre les fonctions de juré et les fonctions d'électeur. Il
serait inutile de répéter les nombreuses démonstrations qui en ont été faites.
Je me bornerai à une simple observation.
L'honorable auteur de la proposition veut une chambre jeune, et c'est
pour rajeunir la chambre qu'il introduit dans la loi électorale une disposition
tendant à donner la qualité d'électeurs à toutes les personnes qui sont membres
du jury. Mais l'honorable membre y a-t-il fait attention ? Mais presque toutes
les catégories qui sont appelées à faire partie du jury, se composent de
personnes excessivement âgées.
M.
Castiau. - On ne peut plus être juré à 70 ans.
M. Dumortier. - On est vieillard avant 70 ans ; l'honorable membre
vous l'a dit : nous sommes tous des vieillards, et il est lui-même dans la
décrépitude.
M.
Castiau. - Admettez-vous l'exclusion des membres de la
chambre ?
M. Dumortier. - Je n'admets de privilège pour personne. Quelles
sont les catégories appelées à faire partie du jury ? Mais je ne veux pour
exemple que la dernière catégorie qui est appelée à faire partie du jury : «
Les pensionnaires de l'Etat, jouissant d'une pension de retraite. » Ainsi ce
seront les hommes mis à la retraite qui viendront représenter la jeunesse dans
le corps électoral !
Mais si vous voulez introduire dans l'élément politique quelque chose de
jeune, quelque chose d'actif, pourquoi donc n'y avez-vous pas mis les officiers
de l'armée ? Je le déclare, messieurs, si une pareille proposition devait être
adoptée, je demanderais que les officiers de l'armée fussent aussi admis au
droit de vote.
Et pourquoi, messieurs ? Parce qu'il est injuste que l'élément du
patriotisme, élément qui est représenté avant tout par l'armée, ne soit pas
admis comme une capacité, lorsqu'on donne un brevet de capacité à tant
d'autres.
M.
Castiau. - Et les officiers de la garde civique ?
M. Dumortier. - Les officiers de la garde civique ! Est-ce qu'on
voudrait contester par hasard les services qu'ils ont rendus ? Mais vous
oubliez le décret qu'a rendu le congrès dans cette enceinte, et dans lequel il
remercie la garde civique de la capitale et de tout le pays pour les services
qu'elle a rendus à la révolution.
Vous le voyez, messieurs, si nous devions entrer dans le système de la
proposition qui vous occupe, où nous arrêterions-nous ? Déjà nous avons tous
les ecclésiastiques, tous les officiers de l'armée, tous les officiers de la
garde civique, mais alors je demanderai que tout le monde soit électeur ; alors
il n'y aurait de privilège pour personne.
Veuillez remarquer, messieurs, l'anomalie du système qui vous est
présenté.
D'après le système proposé par l'honorable M. Castiau et ses collègues,
il suffira que l'on paye 20 fl. d'impôts et que l'on exerce une profession dite
libérale, pour être électeur pour les chambres.
Or, veuillez remarquer, messieurs, que, d'après
la loi communale, il faut payer 100 francs pour prendre part à l'élection des
membres du conseil communal, de manière que telle personne, qui ne payera que
20 fl., sera électeur pour les chambres et n'aura pas le droit de voter pour la
commune. Voilà une singulière aberration, une singulière anomalie, et je
voudrais bien que l'honorable membre me mît à même de la comprendre. Je ne sais
vraiment comment on peut entendre un pareil système, à moins qu'on ne vienne prétendre
qu'il faut réduire aussi à 20 fl. le cens électoral dans toutes les communes de
la Belgique.
Je ne sais véritablement pas où l'on veut aller avec un système pareil.
M.
Castiau. - Pour éviter à la chambre la perte d'un temps
précieux et la prolongation de débats inutiles, je prierai l'honorable membre
de me céder quelques instants la parole. Ce que j'ai à dire va faire tomber à
l'instant les reproches d'inconséquence qu'il m'adresse.
Il n'est que trop vrai, il y aurait une grave inconséquence à exiger des
professions libérales un cens plus élevé pour les élections provinciales et
communales que pour les élections générales. C'est ce qui arriverait, si l'on
ne rétablissait pas l'harmonie entre ces diverses dispositions et si l'on
n'étendait pas aux élections provinciales et communales le bénéfice de
l'exception que je viens réclamer aujourd'hui en faveur des capacités.
La précipitation qui, je le
reconnais, a présidé à la présentation de ma proposition, ne m'avait pas, permis
de comparer toutes nos institutions électorales, pour les mettre en rapport
avec les conséquences qu'elle devait entraîner. Cependant, je dois le dire,
avant que l'honorable membre n'eût signalé la contradiction qu'il me reproche,
elle m'avait frappé. Il me suffira de deux lignes pour la faire disparaître et
pour appliquer aux élections provinciales et communales le bénéfice du droit
exceptionnel dont je veux doter les professions libérales.
Ces deux lignes, les voici :
« Ils seront également admis à prendre part aux élections provinciales
et communales, sans qu'ils soient tenus de justifier du payement du cens
électoral. »
M. Dumortier. - Vous voyez, messieurs, que j'avais raison de vous
présenter l'observation que je viens de faire. Cette observation nous a valu
une troisième édition de la proposition. Nous arrivons maintenant à l'absence
complète de cens pour les personnes qui se qualifient de capacités, car encore
une fois je ne reconnais pas du tout ce monopole des capacités et je maintiens
qu'un honnête industriel, un bon négociant, a autant de capacité que beaucoup
de personnes qui ont obtenu un diplôme et qui se trouvent sur les listes du
jury.
Voilà, messieurs, permettez-moi de le dire, où l'on arrive quand on est
sur la voie des réformes. On veut des réformes et on arrive à admettre des
anomalies choquantes ; puis on arrive à admettre l'absence de tout cens
électoral pour certains individus ; peut-on pousser plus loin le privilège !
M.
Castiau. - Pour les élections communales et
provinciales.
M. Dumortier. - Je le sais bien.
Comment, messieurs, voilà seize ans à peine que la Belgique est
constituée. Nous avons fait une Constitution, en l'absence de tout pouvoir ;
nous nous sommes donné, toutes les libertés. En France beaucoup d'hommes
avancés demandent une constitution comme en Belgique, des libertés comme en
Belgique. En Allemagne beaucoup d'hommes avancés demandent une constitution
comme en Belgique, des libertés comme en Belgique. Dans beaucoup de pays on
cite notre Constitution comme un modèle. Notre Constitution est admirée partout
à l'étranger.
Et voilà que nous commençons à dire que nous n'en voulons plus, après 16
années ! Et c'est pour cela qu'on veut introduire ce qu'on appelle l'élément de
la jeunesse ! Loin de moi de repousser tout ce qu'il y a de grand et de noble
dans les jeunes intelligences ; mais ce qui se passe maintenant ne vient-il pas
prouver jusqu'à la dernière évidence la nécessité d'un élément conservateur,
qui empêche de démolir ce que l'Europe entière admire, et ce qu'on démolirait,
si nous nous laissions entraîner dans la voie où l'on veut nous conduire ? Je
suppose que l'assemblée soit composée de 108 personnes comme notre honorable
collègue, que deviendrait la Constitution ?
M.
Castiau. - Et dans l'hypothèse inverse ?
M. Dumortier. - On conserverait ce qu'on a fait avec tant de peine,
ce qu'on a élevé au milieu de tant de périls, ce qui a coûté tant de sang versé
pour la patrie. Nous ne livrerions point la Belgique aux expériences
incessantes des hommes à idées généreuses sans doute, mais qui ont trop peu de
pratique.
Que s'est-il passé avec ces idées de réforme en Suisse et dans plusieurs
républiques américaines ? En Suisse, c'est aussi au moyen de ces grands mots
d'intelligence qu'on a réformé successivement un grand nombre de constitutions
et qu'on est arrivé, d'une part à la guerre civile, à la fusillade, et d'autre
part, à un système qui a commencé par l'intelligence et qui a fini par
introduire au grand conseil de Berne, qui ? Le bourreau ! Voilà, messieurs,
quand on entre dans le système des réformes, où l'on peut être amené sans le
vouloir. Il importe donc de mettre un terme à de pareilles choses, et sous ce
rapport je suis fortement d'avis que le premier devoir que nous avons ici à
remplir, c'est de maintenir dans son intégrité l'ouvrage du congrès.
Voyez, messieurs, ce qui s'est passé dans les républiques américaines.
Cet esprit si malheureux qui n'est jamais satisfait de l'état de choses
existant a amené là ce singulier résultat que dans une de ces républiques il y
a eu 49 révolutions en 4 ans.
Lorsqu'on ne veut point, messieurs,
se contenter de ce qui a été fait par ses prédécesseurs, voilà où l'on arrive.
Voilà les dangers auxquels nous pourrions exposer le pays, si nous ne nous
renfermions point dans la Constitution que le congrès a faite après de mûres et
sages délibérations. Pour mon compte, je désire que l'on marche vers la
prospérité, vers le bonheur public et non vers les expériences de tous les
jours. Ce qu'il faut avant tout ; c'est de nous occuper des classes ouvrières
et des classes pauvres, et je ne pense pas que toutes les réformes électorales
possibles puissent jamais donner du pain aux ouvriers.
M. de Mérode. - Messieurs, lorsqu'il s'agit du gouvernement de
l'Etat on exige un cens et rien qu'un cens, parce que sans cette limite on ne
s'arrêterait pas dans l'extension du droit, il serait impossible de ne point se
laisser entraîner indéfiniment. Pour le jury, ce danger n'est aucunement à
craindre, parce que les fonctions de jurés sont d'une toute autre nature ; car
loin d'être ambitionnées de personne elles sont redoutées et nul n'en réclame
jamais l'exercice, ni en Belgique ni en France. Il n'y a donc là, messieurs,
aucun entraînement qu'il faille prudemment écarter. Ensuite tout homme, qu'il
paye un cens ou qu'il n'en paye pas, sent combien il importe que le crime ne
puisse pas compromettre sa sécurité personnelle, comme aussi qu'une accusation
non fondée ne l'expose point à une peine non méritée.
Aussi, vous verrez toujours la foule irritée lorsque les coupables de
forfaits atroces échappent à la punition qu'ils méritent ; elle serait
profondément émue si elle voyait un innocent sur l'échafaud.
Et cependant, cette multitude qui a des instincts si vrais quand il
s'agit de la répression équitable des actes criminels, est-elle également
judicieuse à l'égard des questions politiques ? Personne n'oserait l'affirmer.
Il y a donc dans l'objet qui concerne la répression des malfaiteurs (page 1127) quelque chose de fort
différent de l'objet qui regarde le gouvernement du pays.
Pour ce dernier, il faut prendre en défiance les désirs de changements
de ce qu'on appelle les capacités qui, n'ayant pas obtenu la place convenable à
leur ambition, sont moins portées, par un intérêt de propriété suffisant, à
craindre les commotions sociales, commotions où de nouveaux venus trouvent
souvent l'occasion prompte de supplanter ceux qui ont acquis une position par
un long travail ou plus de bonheur fortuit.
Ainsi, le même homme peut être à la fois plus capable d'apprécier les
circonstances d'une affaire criminelle et moins intéressé à la paix, à la stabilité
sous le point de vue politique.
Du reste, je ne crains pas de dire que, parmi les personnes que les
magistrats compétents présentent au tirage au sort pour remplir la charge de
juré, il y en a bien peu qui ne soient électeurs. Et combien déjà d'électeurs
tranquilles refusent de se rendre aux élections, combien ne s'y rendent que sur
de vives instances !
Prenez garde, vous qui êtes aujourd'hui dans l'opposition, de vous voir
un jour débordés par les moyens qui momentanément vous séduisent, afin d'arriver
au pouvoir. Prenez garde de vous voir noyés par ce flot dont vous menacez cette
majorité qui, depuis 1830, a su respecter tous les droits, maintenir l'ordre le
plus juste, le plus libre existant sous le soleil, et sur lequel plus tard,
s'il tombe, vous verserez des larmes de regret !
Dans cette circonstance, messieurs, l'honorable M. Dolez s'est montré
plus perspicace, plus prévoyant que ses amis de l'opposition actuelle. Il s'est
dit avec raison que celui qui prétendait à la direction du vaisseau de l'Etat
ne devait certainement pas, pour nuire au pilote dont il ambitionnait le poste,
déranger les agrès et les manœuvres, créer des obstacles à l'action du
gouvernail. Honneur à lui sous ce rapport ! Car moi, messieurs, je vous le
déclare, quels que soient les hommes éventuellement destinés à tenir la barre
de ce navire sur lequel je reste nécessairement passager, je veux qu'ils aient
les moyens de le diriger, et de résister aux caprices des vagues tumultueuses,
qui nous jetteraient tous sur des écueils quand le vaisseau ne serait plus
gouvernable.
L'honorable M. Dolez s'est donc élevé avec sage prévision contre les
essais qui tendent à séparer le droit électoral du droit de propriété moyenne,
en général accessible aux capacités ; car c'est d'un point de vue d'ensemble
que ces questions demandent à être examinées. De plus il a joint à ses
observations la critique des associations formées en clubs permanents ; mais ce
qui est le plus à regretter, selon moi, dans les clubs, c'est la présence des
magistrats appelés à exercer les plus hautes fonctions d'impartialité envers
tous les citoyens et favorisés d'un privilège tout spécial, du privilège de
l'inamovibilité, précisément pour garantir aux justiciables les jugements
impartiaux.
Ce privilège, sans cela, serait incompréhensible ; or n'est-ce point, de
la part d'un juge, agir directement contre ce but si important que de
s'affilier à des sociétés ardentes, actives, inévitablement dominées par
l'animosité des factions ? et comment peut-on être certain qu'un magistrat
protecteur de ces foyers d'agitation où s'excite à un haut degré l'esprit de
parti, tiendra fidèlement la balance entre les citoyens qui s'éloignent de ces
lieux et ceux qui s'y réunissent avec lui fréquemment et constamment ? On
interdit au magistrat la participation aux sociétés anonymes, et le pays ne
devrait-il pas être préservé de la crainte que peut inspirer une compérage bien
autrement inquiétant pour les justiciables ?
Je me hâte d'en venir à l'interpellation qui m'a été adressée par M.
Castiau sur le décret du gouvernement provisoire qui a convoqué les électeurs
au congrès.
Messieurs, le gouvernement provisoire n'a jamais prétendu décider, entre
quatre ou cinq hommes, la question peut-être la plus importante d'une
constitution, c'est-à-dire, la formation du corps électoral. Le gouvernement
provisoire était dans des circonstances exceptionnelles s'il en fût, il se
trouvait investi par la nécessité de l'obligation d'appeler les Belges à
disposer de leur avenir. Il était en face d'un gouvernement maître encore de la
moitié du royaume des Pays-Bas, et soutenu par un certain nombre de partisans
dans nos provinces mêmes. Ceux-ci ne se présentaient pas en nombre. Toutefois
ils étaient puissants dans certains grands centres commerciaux ou
manufacturiers. Il fallait donc mettre en action tous les hommes disposés à
concourir à l'affranchissement de la nation belge, malgré ceux que des intérêts
privés attachaient à la Hollande. Or, les professions dites libérales,
ecclésiastiques, médicales, ou se rapportant à l'ordre judiciaire, n'avaient
point, sauf exception rare, de ces liaisons avec la Hollande, et je n'ai pas
besoin, je pense, de justifier dans cette enceinte le gouvernement provisoire
d'avoir voulu l'indépendance de la Belgique qui fut proclamée au congrès.
Néanmoins, cette assemblée qui voulait établir un système électoral, non
pour des circonstances d'exception, mais pour un avenir normal et durable, fit
mûrement une loi électorale, exclusivement basée sur un cens gradué et combiné,
quant au nombre des électeurs, avec la population des diverses localités, et
cela non certes par considération exclusive pour la propriété matérielle, mais
parce qu'elle fournissait seule un signe de capacité exempt de tout arbitraire
avec des garanties de stabilité.
Remarquez ensuite, messieurs, que s'il est important pour une capacité
supérieure qui ne payerait pas le cens d'être éligible, il ne l'est pas du tout
pour elle de placer sa voix comme électeur parmi des centaines de voix.
Le droit d'éligibilité, voilà le grand droit, le droit par excellence ;
et celui-là est attribué à tous les Belges de la manière la plus large, la plus
absolue, dès qu'ils atteignent l'âge de 25 ans.
Et combien de fois en pays étranger
ai-je été témoin de l'étonnement des hommes les plus libéraux, lorsque je leur
apprenais qu'en Belgique tout Belge était éligible à 25 ans !
Messieurs, ne faisons pas comme un jardinier qui, au lieu de bêcher son
sol, porterait constamment sa bêche chez le taillandier, tantôt pour
l'allonger, tantôt pour la raccourcir ; puis chez le menuisier pour en courber
ou en redresser le manche. Un peuple qui modifie constamment ses institutions,
et sans nécessité, ressemble à l'ouvrier que je donne ici pour exemple, et dont
la terre resterait en friche. La misère nous environne, et ce n'est pas avec
des remaniements de nos lois constitutionnelles, ce n'est pas avec des phrases
ronflantes et vides que nous gagnerons du pain.
M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre au
discours que l'honorable M. Dolez a prononcé dans la séance d'hier, et
j'apporterai dans cette réponse autant de franchise que l'honorable membre en a
mis à développer ses idées ; je dirai aussi quelques mots de la mercuriale plus
qu'inconvenante que M. le comte de Mérode s'est permis d'adresser à des
magistrats qu'il n'aime pas, et qui pourrait s'appliquer beaucoup mieux à des
magistrats qu'il vénère, parce qu'ils appartiennent à l'opinion cléricale.
L'honorable M. Dolez a parlé avec beaucoup de sévérité des associations
libérales ; mais il ne vous a rien dit des associations cléricales qui
pullulent en Belgique, et qui ont nécessité de notre part des mesures de
légitime défense.
L'honorable membre a condamné les associations politiques libérales,
principalement, je pourrais dire peut-être exclusivement, à raison de leur
caractère de permanence ; il admet une société politique pour un but déterminé
; mais, d'après lui, le but une fois atteint, la société doit immédiatement se
dissoudre, sous peine de devenir dangereuse au pays !
Si l'honorable M. Dolez a voulu faire allusion à cette imposante réunion
de libéraux qui a eu lieu à l'hôtel de ville de Bruxelles le 14 juin 1846, je
partage, mais à certains égards seulement, son avis sur le danger qu'il
signale.
Le congrès, en décrétant une charte pour le libéralisme, a rendu un
grand service à notre opinion. On reprochait sans cesse aux libéraux, même dans
cette enceinte, de ne pas faire connaître leurs vues et leurs principes, de ne
pas savoir eux-mêmes ce qu'ils voulaient, en un mot de ne pas avoir de
programme. Eh bien, ce que les libéraux n'avaient pas avant le 14 juin 1846,
ils l'ont aujourd'hui et je m'en félicite. Déjà l'occasion leur est offerte
aujourd'hui de donner au pays une première preuve de la sincérité de leurs
convictions.
J'approuve sans réserve aucune la grande œuvre que le congrès a
accomplie avec cette sagesse et cette modération auxquelles le pays tout entier
a applaudi ; mais si un jour ce corps constituant du libéralisme voulait
outrepasser les limites de sa mission et s'ériger en assemblée permanente où
seraient traitées successivement toutes les questions politiques et
administratives à l'ordre du jour, alors dans mon opinion, tout utile qu'il a
été au 14 juin, il deviendrait dangereux à nos institutions ; et pour mon
compte je le déclare avec toute franchise et avec une entière indépendance, je
lui refuserais désormais ma coopération. Je ne veux pas une tribune permanente
de fait à côté d'une tribune de droit, pas plus que je ne veux un gouvernement
dans le gouvernement.
Maintenant si l'honorable M. Dolez dans ses observations critiques a
voulu faire allusion même à nos sociétés électorales, je le déclare avec la
même franchise, l'honorable député de Mons a eu tort ; je dirai même qu'il a
commis une grave imprudence, et je vais le lui démontrer.
Messieurs, nos sociétés électorales, quoi qu'en ait dit l'honorable M.
Dolez, doivent être permanentes, pour répondre au but de leur institution, pour
servir efficacement de contrepoids à ces associations nombreuses qui couvrent
la Belgique, et qui ont pour centre commun Malines. Les associations cléricales
sont permanentes, on peut même dire qu'elles sont perpétuelles, et de plus
elles ont pour base l’obéissance passive.
La permanence des associations électorales libérales est la condition
première d'une bonne organisation, sans laquelle le succès est impossible. Pour
agir avec ensemble il faut que des hommes qui ne perdent pas leur libre arbitre
pour être membres d'une association libérale, et qui ne s'engagent à suivre
l'impulsion de la majorité qu'après mûre discussion, aient au moins le temps de
se connaître et de concerter de longue main leurs moyens d'action, ou plutôt
leurs moyens de défense au point de vue des élections.
Les associations libérales ne présentent d'ailleurs aucun danger pour
nos institutions ; on sait tout ce qui se passe dans ces associations ; tout
s'y fait au grand jour, avec publicité même ; niais on ne sait pas tout ce qui
se passe dans les associations de nos adversaires, secrètes de leur nature, et
dont souvent la volonté d'un seul homme dirige les mouvements.
Parfois, il est vrai, l'indiscrétion ou l'imprudence de quelques
subalternes portent à notre connaissance certaines décisions prises par les
associations du clergé ; toujours et assez vite nous pouvons en apprécier les
résultats. Puisqu'on a prononcé les mots de mandats impératifs, je dirai que
c'est dans la grande association cléricale dont le siège principal est à
Malines que sont formulés les mandats impératifs qui dirigent la majorité de
cette chambre ; et la discussion de la loi actuelle en est la (page 1128) preuve ; car nonobstant
l'injustice criante faite à Turnhout au profit de Malines, Turnhout n'a pas
même osé élever la voix ! Mais les mandats impératifs du clergé, ce ne sont pas
seulement des mandats impératifs donnés à des représentants, mais encore des
mandats impératifs imposés aux membres du cabinet, auxquels l'épiscopat
n'accorde vie qu'à la condition de l'obéissance passive.
Les associations du clergé ne s'occupent pas uniquement des élections ;
elles s'occupent encore de politique et d'administration, et le danger qu'on
signale dans les efforts tentés par l'opinion libérale pour se défendre contre
des adversaires qui ont une hiérarchie et une organisation, n'existe réellement
que dans les faits posés par les associations cléricales. C’est l'épiscopat
qui, sortant des limites de sa mission spirituelle, exerce une tutelle
incessante sur le pouvoir civil, et constitue un gouvernement dans l'Etat, plus
fort que le gouvernement du Roi.
Et ces associations cléricales, permanentes de leur nature ,se
réunissent en congrès à Malines à des époques fixées ; chacune y envoie ses
délégués ; c'est dans ces réunions périodiques, au sein desquelles ont été appelés
parfois des membres de cette chambre, que sont discutées et décidées les
questions les plus importantes de politique et d'administration, et ces
décisions servent alors de règle de conduite au ministère. Les projets de loi
sur le jury d'examen et sur la loi de l'instruction primaire n'ont-ils pas été
amendés dans le palais archiépiscopal ? et la chute de l'honorable M. Vande
Weyer, alors ministre de l'intérieur, ne doit-elle pas être attribué
exclusivement à son refus de céder aux exigences de l'épiscopat en matière
d'enseignement moyen, à son refus surtout, d'autant plus louable qu'il était
unique dans les fastes des ministères mixtes et catholiques, de correspondre
avec MM. les évêques comme membres d'un corps, voulant s'arroger un pouvoir
dans l'Etat.
Les successeurs de l'honorable M. Van de Weyer composant un ministère
catholique homogène, n'ont pas manqué de suivre les errements des ministères
mixtes. Ils ne trouvent pas le moindre danger dans les efforts incessants du
clergé pour absorber le pouvoir civil ; ils lui accordent même dès à présent
une part très large dans la direction des affaires publiques ; mais à les en
croire, nos institutions sont ébranlées par cela seul que l’opinion libérale
usant d'un droit que la Constitution lui assure, a organisé des sociétés
électorales, qui pussent servir de contrepoids aux associations cléricales !
Comment ! le clergé a son organisation, sa hiérarchie, des moyens d'influence
de tous genres, une presse subsidiée par les fonds des fidèles et comme organes
plus puissants encore, le prône et le confessionnal, et l'opinion libérale,
sous peine d'être dangereuse à nos institutions, devrait se condamner à
l'inaction !
Les associations libérales qui ont été l'objet des attaques de
l'honorable M. Dolez, sont donc une nécessité, un droit en présence de
l'attitude qu'a prise depuis longtemps, dans les élections, le clergé belge ;
et j'aime à croire que l'honorable M. Dolez, après y avoir mieux réfléchi,
partagera mon opinion sur la nécessité de la permanence et d'une bonne
organisation des associations libérales au point de vue des élections.
Du reste, cette nécessité deviendra évidente pour les plus timides et
les plus incrédules s'ils veulent fixer leur attention sur les faits qui sont
déjà posés par le clergé en vue des élections prochaines, faits qui, je puis le
dire, sont de notoriété publique, et qui ne sont d'ailleurs que l'exécution des
décisions prises dans les sociétés secrètes auxquelles j'ai fait allusion
tantôt.
On colporte en ce moment dans tout le pays une petite carte portant en
tête l'image de la Vierge et celle de saint Joseph patron de la Belgique, et
renfermant une allocution aux électeurs, dans laquelle on leur recommande de
faire de bons choix (on sait ce que le clergé, entend, par bons choix). Comme
moyens d'exécution, on prescrit des prières journalières dont on donne le
texte, on conseille une communion mensuelle, on prescrit d'assister à la messe
qui se fera dans toutes les églises le jour des élections, et on finit, c'est
là l'objet le plus important, par demander que chacun des fidèles, dans quelque
coin du pays qu'il se trouve, et quelle que soit sa position, veuille bien
verser vingt-cinq centimes dans une caisse destinée à pourvoir aux besoins
électoraux.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il n'y a ni date ni nom
d'imprimeur.
M. Verhaegen. - On les distribue partout. La date et le nom
d'imprimeur n'y font rien, à moins que vous n'ayez l'intention de faire
poursuivre les distributeurs pour violation de la loi sur la presse, mais je
crois que vous n'en ferez rien.
J'en ai assez dit, messieurs, sur les associations libérales et
cléricales ; je n'ai plus qu'un mot à répondre à la mercuriale plus qu'inconvenante
de M. le comte de Mérode, et qui se rattache à cette partie de la discussion.
M. de Mérode, qui nous a habitués à ses excentricités, a osé traduire à la
barre de la chambre des représentants deux hommes respectables et justement
respectés par le seul motif qu'ils se sont permis d'user d'un droit que le
pacte fondamental leur garantit, comme il le garantit à tous les citoyens en
général. Parce qu'ils sont magistrats occupant des positions élevées dans
l'ordre judiciaire, il leur serait interdit, d'après le député de Nivelles, de
faire partie d'une association électorale et de concourir avec leurs amis
politiques à organiser des moyens de défense contre les manœuvres incessantes
du parti clérical !
Quelle injustice et en même temps quelle partialité ! M. de Mérode ne
trouve pas mauvais que d'autres magistrats, tout au moins aussi haut placés que
ceux qu'il a si inconvenamment et si imprudemment attaqués fassent partie de
certaines, associations politiques et y jouent même un rôle très actif. Leur
qualité, cette fois, n'est pas un obstacle, et pourquoi ? Parce que les
associations auxquelles ces magistrats appartiennent et appartenaient déjà
avant la création des sociétés libérales, sont des associations cléricales
destinées à venir en aide aux exigences de l'épiscopat.
Messieurs, j'en reviens à la question à l'ordre du jour, et sur ce point
il me reste peu de chose à dire. La proposition de l'honorable M. Castiau ne
comporte plus un examen de détail, elle se réduit à une question de principe,
celle de savoir si l'on admettrait, oui ou non, avec le minimum du cens, des
personnes portées sur les listes du jury. Après la décision sur la question de
principe, on s'occupera des catégories, car la division est de droit.
Les objections de l'honorable M. Dolez sont peu solides quoiqu'elles
aient paru faire impression même sur quelques-uns de nos amis.
D'abord, d'après le député de Mons, la proposition de l'honorable M.
Castiau serait vicieuse, parce qu'elle comprendrait des fonctionnaires à la
nomination du gouvernement ; mais c'est une erreur : quant aux receveurs et
secrétaires des communes, ils sont nommés d'après la loi de 1836, par les
conseils communaux, sous l'approbation de la dépuration permanente.
Quant aux bourgmestres ! Mais, en 1838, date de la loi sur le jury, les
bourgmestres ne pouvaient être pris que dans le sein des conseils communaux, et
certes, alors il n'y avait aucun inconvénient à les admettre et sur les listes
du jury et sur les listes électorales avec le minimum du cens. Cet état de
choses a été changé, il est vrai, par la loi de 1842 qui a permis au
gouvernement de choisir les bourgmestres en dehors du conseil, et dès lors, il
y aurait sur ce point une petite modification à apporter à la proposition de
l'honorable M. Castiau. Que l'honorable M. Dolez demande, par amendement,
l'exclusion des bourgmestres pris en dehors du conseil, et je m'engage à
l'appuyer de mon vote. Ce sera déjà un retour sur les lois réactionnaires.
Quant aux avoués, notaires, courtiers et agents de change, je ne vois,
pour mon compte, aucun motif pour les exclure : les avoués ne sont nommés que
sur la présentation des tribunaux ; les notaires doivent avoir donné des
preuves de capacité, avoir fait un stage assez long, et je ne pense pas que,
pour le plaisir de créer un électeur de plus, on nomme jamais comme notaire un
homme qui n'aurait pas de titres ; les courtiers et agents de change ne sont
nommés que sur la présentation des chambres de commerce.
D'ailleurs, ceux qui auraient des scrupules au sujet de ces diverses
catégories, auraient, par suite de la division dans le vote, la faculté de ne
pas les admettre.
Voilà quant aux prétendus vices de la proposition.
Maintenant quant aux prétendues lacunes qu'elle présente, quant à
l'injustice qu'il y aurait à ne pas admettre sur les listes électorales
certaines autres capacités, qui ont autant de droits que celles mentionnées
dans la loi sur le jury, qu'on présente des amendements tels que ceux qui ont
été annoncés par l'honorable M. Dumortier, et nous y adhérerons. Qu'on demande,
par exemple, l'adjonction des officiers de l'armée et de la garde civique, des
diplômés des ponts et chaussées, des diplômés des mines, des diplômés
diplomates, etc., et nous appuierons ces demandes, parce qu'elles rentrent dans
nos principes. Mais ces lacunes qu'on signale ne sont pas des raisons pour
rejeter le principe de la proposition. Elles ne peuvent être que des prétextes.
On nous objecte qu'il est impossible d'improviser un système électoral.
Si cela est vrai, à qui la faute ? à ceux qui nous font l'objection puisqu'ils
ont voulu une discussion immédiate dans l'espoir de remporter une victoire
certaine en rendant impossible un combat sérieux. C'est ce qu'avait fort bien
compris mon honorable ami M. Delfosse en donnant à l'honorable M. Castiau le
conseil de faire, de son amendement, l'objet d'une proposition principale.
Aujourd'hui que nous discutons le fond de la réforme, parce que vous
l'avez voulu, MM. de la droite, et que nous, convaincus de notre bon droit,
n'avons pas voulu reculer, ayez donc le courage et en même temps la justice
d'entrer dans la lice ; donnez-nous le temps de discuter d'une manière complète
une des questions les plus importantes qui puissent jamais se présenter,
accordez au moins quelques jours de plus à cette discussion et ne l'étouffez
pas par la clôture que m'annoncent déjà vos murmures.
On a beaucoup parié de la loi sur le jury, de cette loi dont moi-mê.ne
j'ai tiré des arguments en faveur de mon système.
L'honorable M. Dolez et, après lui, M. le ministre des affaires
étrangères ont prétendu qu'il n'y avait pas d'assimilation à faire entre la loi
sur le jury et la loi électorale, quant aux objets que ces lois ont eu en vue ;
ou peut-être ont-ils dit : Un bon juré peut en même temps être un très mauvais
électeur, la mission du premier est tout à fait différente de l mission du second. Mais, messieurs,
l'argument que j'ai tiré de la combinaison des lois citées ne se résume pas en
un argument d'assimilation quant aux objets dont elles s'occupent ;l'argument consiste à évaluer les capacités
a un taux de cens déterminé et à raisonner ensuite par comparaison.
J'ai dit que, d'après la loi sur le jury, les titres des capacités dont
l'honorable M. Castiau demande l'adjonction sont censés avoir autant de valeur
qu'un cens de 250 fr. dans les chefs-lieux des provinces d'Anvers, de Brabant
et de la Flandre orientale, et j'en ai tiré la conséquence que puisque, d'après
la loi électorale, le cens pour être électeur dans ces mêmes provinces n'était
que de 163 fr. 51 c. le droit de ces capacités à figurer sur les listes des
électeurs était d'autant plus évident. Cet argument (page 1129) est resté sans réplique, et je défie de nouveau mes
adversaires d'y répondre.
J'admets volontiers que la mission de juré est toute différente de celle
de l'électeur ; mais c'est précisément parce que ces missions sont différentes
et que la mission du juré est beaucoup plus importante que celle de l'électeur,
que mon argument acquiert plus de force encore ; et la double épuration de la
liste du jury dont a cru tirer un si grand avantage l'honorable M. Dolez dans
la séance d'hier, vient même à mon aide.
La liste du jury subit une double épuration, mais c'est précisément
cette double épuration qui prouve de plus en plus la valeur relative des
capacités dont M. Castiau demande l'adjonction, et je suis autorisé à dire,
d'après toutes les précautions qu'a prises la loi sur le jury, que ces
capacités sont évaluées même au-delà d'un cens de 250 fr. La défiance du législateur
qui se manifeste par la précaution de la double épuration, n'est pas dirigée
contre les capacités, mais bien contre les censitaires qui, ayant en leur
faveur une présomption, mais une présomption souvent menteuse, pourraient ne
pas présenter assez de garanties aux accusés. Toute la discussion de la loi de
1838 prouve le fondement de ce que j'avance.
L'argument principal de M. Dolez est
donc rétorqué contre lui.
Restent, messieurs, tous les principes que nous avons indiqués, et sur
lesquels nous ne reviendrons plus. Quant à la question de constitutionnalité,
il me semble qu'elle ne peut souffrir l'ombre d'un doute. Il a été démontré à
l'évidence qu'on reste dans les limites de la Constitution, lorsqu'on proclame
l'adjonction des capacités en exigeant le minimum du cens.
M. Lesoinne (contre la
clôture). - Messieurs, comme signataire de la proposition, j'aurais voulu dire
quelques mots pour expliquer mon vote. Je crois qu'on peut, à cause de l'heure
avancée, remettre la séance à demain. J'attends de l'impartialité et de la
justice des membres de la chambre de bien vouloir m'entendre.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole sur la
position de la question.
Je propose, messieurs, de voter sur la question de principe suivante :
« Admettra-t-on, au minimum du cens fixé par la Constitution, des
capacités ? »
M. Dolez. - Messieurs, j'approuve la marche
proposée par l'honorable M. d'Elhoungne, en tant qu'il demande qu'il soit posé
une question de principe. Mais je ne puis approuver les termes de la question
qu'il pose. Je ne puis consentir à ce qu'on demande si l'on admettra des
capacités.
Remarquez-le bien, messieurs, la loi sur le jury n'admet pas des
capacités ; la loi sur le jury admet des catégories ; sans doute parce qu'elle
a présumé que ces catégories indiquaient des capacités ; mais elle s'est bien
gardée de prendre l'expression, injurieuse pour d'autres, de capacités.
Il importe, tout en procédant par question de principe, de poser cette
question en termes plus convenables ; et j'aime à croire que mon honorable ami
reconnaîtra, à cet égard, l'erreur dans laquelle il était tombé.
On pourrait dire : « Admettra-t-on, par adjonction à la liste des
électeurs, l'une ou l'autre des catégories empruntées à la loi sur le jury ? »
M. d’Elhoungne. - Je me rallie à cette rédaction.
M. Delfosse. - Je ne suis pas partisan des questions de principe,
je l'ai déclaré dans d'autres circonstances.
Ne pourrait-on pas mettre d'abord aux voix l'adjonction du n°1 de la
liste du jury ? La question de principe serait ainsi résolue indirectement ;
ceux qui sont pour le principe voteraient pour l'adjonction des membres de la
chambre des représentants ; les autres voteraient contre.
Du reste, si la chambre décide que la question de principe sera posée,
je ne m'abstiendrai pas. Cette fois, je voterai sur une question de principe,
ne voulant pas me priver du droit de voter dans une occasion aussi solennelle.
M. le président. - La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je m'en tiens à la proposition de
M. Dolez.
M. le président. - La parole est à M. de La Coste.
M.
de La Coste. - Je voulais faire la même observation que M.
Dolez.
M. le président. - Je mettrai donc aux voix la question suivante :
« Admettra-t-on comme électeurs, au minimum du cens fixé par la
Constitution, l'une ou l'autre des catégories établies par la loi sur le jury
? »
Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la question posée par M.
le président.
71 membres sont présents :
22 membres répondent oui.
48 répondent non.
1 (M. Le Hon) s'abstient.
En conséquence, la question est résolue négativement.
Ont répondu oui : MM. Pirson, Rogier, Sigart, Verhaegen, Veydt, Anspach,
Cans, Castiau, de Bonie, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Renesse, de
Tornaco, Fleussu, Jonet, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Orts Osy.
Ont répondu non : MM. Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Troye,
Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Vilain XIIII, Wallaert, Biebuyck,
Brabant, Clep, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la
Vega, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Mérode, de
Naeyer, de Roo, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas,
d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Dumortier, Eloy de
Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Kervyn, Lejeune, Liedts, Malou, Mast de
Vries, Mercier, Nothomb, Orban.
M. Le Hon.
- Je me suis prononcé nettement, dès le principe, contre la forme de la motion
de l'honorable M. Castiau, qui introduisait une mesure de réforme électorale,
comme amendement à une loi organique toute spéciale dont, en cas de succès,
elle devait compromettre le sort. Si, comme je l'eusse désiré, elle eût été
l'objet d'une proposition distincte, en dehors de la loi de répartition des
représentants et des sénateurs, j'en aurais appuyé la prise en considération,
en démontrant qu'elle était en principe parfaitement constitutionnelle. Je ne
pouvais donc pas voter contre l'amendement, puisque j'aurais peut-être adopté
la proposition.
M.
Castiau. - Peut-être ?
M. Le Hon.
- Oui, en vertu de mon droit de libre examen, et dans le cas, par exemple, où,
par une disposition complète, et non improvisée, on eût rendu une égale justice
à toutes les catégories de capacités.
D'autre part, je ne pouvais pas voter pour l'amendement, parce que, s'il
avait été admis, il entraînait, soit ici, soit au sénat, le rejet de la loi, au
flanc de laquelle on l'avait imprudemment attaché, et, par-dessus tout, je
tenais avec le pays à voir compléter la représentation nationale. C'est là le
vœu général et l'intérêt le plus urgent.
Vote sur l’ensemble du projet
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui
est adopté à l'unanimité des 64 membres présents.
Ce sont : MM. Anspach, Biebuyck, Brabant, Cans, Castiau, Clep,
d'Anethan, de Bonne, Dechamps, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne,
de La Coste, de Lannoy, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de
Mérode, de Renesse, de Roo, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas,
d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Dumortier, Eloy de
Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Le Hon, Lejeune,
Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Orts,
Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Vanden
Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert.
- La séance est levée à 5 heures.