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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 4 février 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives au canal de la Campine (Huveners), au cumul d’un secrétaire communal (Desmet), à la société d’exportation linière et à l’industrie
de la laine (Lys, David, Rodenbach) et aux droits sur les bois (Osy)
2) Rapport sur une pétition
relative à l’établissement d’un droit d’estampille sur les toiles de lin (Desmet)
3) Projet de loi
rétablissant le canton judiciaire de Sichen (Simons, Delfosse)
4) Projet de loi relatif
aux droits d’entrée et de sortie sur les sabots (Lebeau,
Osy, de La Coste, Osy, Malou, (+droits sur les lins) (Dechamps, Desmet), Osy,
Malou, Lebeau, de Brouckere, de La Coste, de Corswarem, Malou, Delfosse)
5) Projet de loi relatif au
mode de nomination des juges de paix (Delfosse, de Brouckere, d’Anethan, Delfosse, Delfosse) et à leur condition
de résidence (Dumortier, de
Saegher, Delehaye, d’Anethan,
Orts, de Saegher, Fleussu, d’Anethan, Verhaegen, Dumortier, d’Anethan, de Saegher, d’Anethan, Vanden Eynde, d’Anethan, Vanden Eynde, de Villegas, Fleussu, d’Anethan), tribunaux de police (d’Anethan,
Henot)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Dumont, vice-président.)
(page 711) M. A.
Dubus fait l’appel nominal à 1 heure et quart.
M. Van Cutsem lit le
procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est approuvée.
M. A.
Dubus communique l'analyse des pièces adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le conseil communal de
Turnhout présente des observations en faveur du projet de loi sur le
défrichement des bruyères. »
« Mêmes observations des
habitants de Baelen, Arendonck et Moll. »
« Mêmes observations
des conseils communaux des communes de Gheel et Meerhout. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du projet de loi sur la matière.
_______________
« Le sieur
Gérard-Frédéric Maupers, sergent au 11ème régiment de ligne, né à Namur, d'un
père étranger, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre
de la justice.
« Les conseils communaux de Lommel,
d'Overpelt, d'Achel, de Caulille, de Lille-Saint-Hubert, de Hamont, de Neerpelt
et de Bocholt, prient la chambre d'allouer au gouvernement les fonds
nécessaires pour l'élargissement de la première section du canal de la Campine,
pour la construction de l'embranchement du canal de la Pierre-Bleue à Hasselt,
et pour l'exécution de la route de Hechtel à Beeringen et d'autres travaux
publics. »
M. Huveners. - Messieurs, dans cette pétition on
fait connaître la misère qui règne en ce moment dans la Campine. Le tableau en
est vraiment effrayant. Les pétitionnaires indiquent différents travaux publics
dont l'exécution immédiate pourrait avoir lieu, entre autres l'élargissement de
la première section du canal de la Campine, l'embranchement du canal de la
Pierre-Bleue à Hasselt, et la route de Hechtel à Beeringen, et différents
travaux de défrichement. Je regrette que M. le ministre des travaux publics ne
soit pas présent ; mais j'espère qu'il verra par le Moniteur dans quel état
déplorable se trouve cette partie de la Campine ; j'ai déjà fait auprès de M.
le ministre différentes démarches, pour obtenir l'adjudication de la route de
Hechtel à Beeringen ; toutes les études sont faites ; la commission d'enquête a
terminé ses travaux, et il est vraiment inconcevable qu'on ne mette pas la main
à l'œuvre, surtout qu'il ne s'exécute aucun travail important dans la Campine.
Il s'agit de donner du travail à de nombreux ouvriers qui sont aujourd'hui sans
pain. J'espère que M. le ministre n'attendra pas la discussion du budget des
travaux publics pour adjuger la route de Hechtel à Beeringen, cependant je ne
puis que demander le renvoi de la pétition à la section centrale du budget des
travaux publics.
- Cette proposition est
adoptée.
« Le sieur Bourgeois, notaire à
Dottignies, demande qu'on établisse une incompatibilité entre les fonctions de
notaire et celles de secrétaire communal, surtout dans la même commune. »
M. Desmet. - Messieurs, la section centrale du
projet de loi sur le notariat ayant terminé ses travaux, je demande que la
pétition soit renvoyée à la commission des pétitions.
- Cette proposition est
adoptée.
_______________
« Le sieur de Corte,
secrétaire communal à Hautem-St-Lievin, présente des observations sur
l'industrie linière et propose des mesures pour relever la fabrication des
toiles faites avec du fil à la main. »
- Renvoi à la commission
des pétitions.
« Plusieurs fabricants de Verviers présentent
des observations sur la formation d'une société d'exportation. »
M. Lys. - Messieurs, le comité industriel de
Verviers et beaucoup de fabricants du district demandent que les opérations de
la société d'exportation embrassent aussi l'exportation des draps.
les pétitionnaires se
plaignent de ce que le gouvernement, loin de faire quelque chose pour eux, nuit
à leurs intérêts dans beaucoup de circonstances, tantôt par des traités, au
moyen desquels il retire les avantages qu'il avait accordés à cette industrie,
avantages au moyen desquels ils avaient augmenté leurs affaires et dont le
retrait leur a fait faire des pertes énormes ; tantôt en excluant les draps des
opérations d'une société d'exportation.
Messieurs, je crois que
le projet de loi n'a pas entendu exclure les draps et tissus de laine, car il
s'explique généralement en disant : Tous les tissus. Je ne vois pas non
plus dans les statuts, que l'exportation des draps soit interdite à la société
; mais dans les développements du gouvernement on fait entendre que les tissus
foulés ne peuvent pas être exportés par la société. Je ne pense pas que les
sections aient entendu la loi ainsi ; du moins, dans la section dont je faisais
partie, il a été entendu que tous les tissus quelconques, les draps foulés
comme les autres, seraient compris dans les opérations de la société.
Je
dirai que dans les pays transatlantiques nos plus grandes maisons font de
brillantes affaires ; nos petits fabricants ne peuvent pas y aller parce que
leurs moyens ne leur permettent pas de faire d'aussi longs crédits que nos
grandes maisons. La société d'exportation pourrait faire de très bonnes
affaires en transportant sur ces marchés des draps et des tissus de laine, tandis
qu'elle n'en ferait que de très mauvaises si elle se bornait à transporter des
tissus liniers. Je demanderai le renvoi de cette pétition à la section centrale
; et comme elle n'est pas très longue et qu'elle contient de très bons
renseignements, je demanderai l'impression au Moniteur.
M. David. - J'ajouterai
quelques mots à ce que vient de dire l'honorable M. Lys, pour obtenir le renvoi
de la pétition de Verviers à l’examen de la section centrale.
Une société de commerce
n'aurait aucune chance de succès, si au lieu de généraliser la vente des
produits de l'industrie belge, elle allait justement (page 712) proscrire les draps, un des articles qui font l'honneur
de notre pays.
Je dirai plus : il serait
souverainement impolitique et dangereux pour le projet du gouvernement et
l'amélioration de la situation des Flandres, de se mettre en hostilité avec les
autres industries que vous repoussez. Comment voudriez-vous donc alors obtenir
votre souscription de 4 millions de francs ? Vous aurez déjà bien du mal à
réussir en ne blessant aucune industrie. (Interruption.)
M. le ministre des finances (M. Malou). - Mais je ferai observer que M.
David traite le fond de la question.
M. David. - Mais n'est-il
donc pas permis de dire quelques mots qui touchent au fond de la question, dans
le but d'appuyer le renvoi de la pétition à la section centrale ? Je ne
comprends pas que l'on puisse ainsi fermer la bouche aux orateurs.
M.
Rodenbach. - Je demande l'ordre du jour. Personne n'a contesté le renvoi. Tous les
objets manufacturés pourront être exportés par la société qu'il s'agit de
fonder ; ainsi il n'est pas question de lui interdire l'exportation des draps.
- Le renvoi à la section
centrale est ordonné ainsi que l'impression au Moniteur.
« Le sieur Denis Haine fils réclame
l'intervention de la chambre pour obtenir la restitution partielle des droits
d'entrée perçus sur des bois d'acajou femelle ou cèdre odorant. »
M. Osy. - Je demande le renvoi de cette
pétition à la commission d'industrie et de commerce, car c'est une affaire
commerciale ; il s'agit d'un différend entre M. le ministre des finances et le
commerce. Je voudrais avoir sur ce différend l'opinion de la commission
d'industrie.
- Cette proposition est
adoptée.
RAPPORT SUR UNE PETITION RELATIVE A L’ETABLISSEMENT D’UN DROIT
D’ESTAMPILLE SUR LES TOILES DE LIN
M. Desmet,
rapporteur de la
commission d'industrie. -Messieurs, un négociant en toiles de la ville d'Alost,
le sieur Cans, a adressé à la chambre une pétition qui a pour objet d'établir
une estampille sur les toiles, afin de distinguer les toiles à la main des
toiles mécaniques.
Dans une précédente
séance vous avez renvoyé cette pétition a l'avis de votre commission permanente
d'industrie et de commerce.
Le pétitionnaire expose
que pour récupérer en partie notre ancien commerce de toiles et faire revivre
l'industrie linière dans les contrées qui souffrent aujourd'hui si cruellement
de la misère, il serait nécessaire qu'une marque fût établie, pour que dans le
commerce on pût avoir une certitude que la toile qu'on présente à la vente est
faite, ou avec du fil à la main ou avec du fil mécanique.
Ce sera, dit-il, un moyen
certain pour prévenir la fraude et donner la garantie que les toiles ont la
qualité pour laquelle on les vend ; et rétablir ainsi la confiance qui a
toujours régné dans le commerce belge.
Le pétitionnaire ajoute
que la mesure de l'estampille a été mise en usage en Bohême et que cet Etat en
a déjà retiré un grand avantage pour son commerce.
Afin de vous démontrer
combien les toiles de fil à la main sont supérieures en solidité à celles
tissées avec du fil mécanique, le sieur Cans a joint à sa pétition deux pièces
de toile des deux différentes espèces, pour être soumises à votre appréciation.
II accompagne ces objets
de conviction de deux certificats délivrés par des autorités compétentes, par
lesquels il démontre que la toile à la main a un prix de revient moindre que
celle à la mécanique, et que cependant ayant été soumises toutes les deux à une
expertise de négociants habiles, la première a été jugée, pour la qualité, de
plus de valeur que la dernière.
Messieurs, ainsi que le
fait remarquer le pétitionnaire, l'idée de l'institution d'une estampille ou
d'une marque de fabrication n'est pas neuve en Belgique ; depuis plusieurs
années elle a fait l'objet des discussions des économistes et des négociants du
pays ; déjà en 1840, le comité directeur de l'association nationale pour le
progrès de l'ancienne industrie linière l'avait conçue et la proposa au conseil
général de cette association.
Voici comment ce comité
directeur s'exprimait dans un rapport qu'il fit au conseil général le 20
juillet 1841 :
« Vous n'avez pas oublié,
messieurs, que dans notre dernière réunion et dans d'autres circonstances
encore, vous nous avez signalé que le principal tort causé à notre commerce de
toile à l'étranger par les tissus mécaniques, provenait de l'emprunt ou de
l'usurpation faite par ces derniers de la qualification de toile fabriquée en
fil à la main.
« C'est un fait constant
que, pour tromper les consommateurs, des détenteurs de tissus fabriqués à la
mécanique les offrent à la vente comme toiles confectionnées en fil à la main,
nous causant ainsi un double préjudice, et par la vente dont ils nous privent,
et par le tort que la mauvaise qualité de leurs tissus fait à la réputation des
nôtres. La mesure adoptée par les régences de Courtray et de quelques autres
communes, de désigner sur le marché une place spéciale pour les toiles faites
en fil mécanique, était un premier pas ; mais il n'avait d'effet que pour la
vente locale.
« A l'étranger, ou même
hors du marché, les tissus mécaniques pouvaient être offerts et revendus comme
toile à la main. Nous avons senti la nécessité de revenir à une mesure plus
générale, à un moyen plus complet, celui d'une estampille, dont pourraient être
revêtues toutes nos toiles fabriquées en Belgique en fil à la main, qui
constaterait leur origine, et qui étant, autant que possible, indélébile
produirait son effet aussi bien à l'étranger qu'à l'intérieur du pays.
« L'institution de cette
estampille fut décidée à la fin de janvier par le comité-directeur ; il arrêta
en outre que, pour augmenter l'authenticité de cette marque et pour lui donner
une sanction officielle, les autorités communales seraient priées, dans
l'intérêt général, d'apposer leur sceau sur les toiles revêtues de l'estampille
de l'association.
« Nous nous occupons,
dans ce moment même, des moyens d'exécution, et comme, pour que l'application
de l'estampille eût lieu en même temps sur tous les marchés, il fallait
disposer les esprits à l'avance, nous avons recommandé d'une manière toute
particulière à nos inspecteurs, de préparer les voies à cette institution pour
laquelle nous aurons probablement, en outre, à réclamer le concours du
gouvernement.
En résumé, nous pouvons
dès à présent vous dire, sur ce point, que tous nos comités sont unanimes pour
approuver l'établissement de l'estampille ; tous ont promis de donner leur
appui à son exécution.
« Nous poursuivrons
l'établissement de l'estampille, pénétrés que nous sommes de son utilité, et
sans nous faire illusion sur les nombreuses difficultés qui nous attendent
encore. Nous avons tout récemment reçu un encouragement sur ce point, en voyant
de bons esprits réclamer en France une mesure analogue, comme garantie de la
fabrication loyale des produits de l'industrie. Nous aurons la joie de devancer
nos voisins. »
Depuis lors, la question
de la marque obligatoire d'origine et de qualité a fait, en France, un grand
pas en avant. Déjà des conseils généraux s'en sont occupés et tout
particulièrement celui du département qui a dans son sein la capitale, et qui
vient de proposer cette mesure comme chose très utile à l'industrie nationale
et dont on doit attendre d'excellents résultats.
Votre commission ne vous
présente point des considérations sur le contenu et la portée de la pétition ;
elle ne peut le faire, n'ayant pas des données suffisantes pour asseoir une
opinion motivée ; elle pense que le gouvernement sera plus à même d'approfondir
cette grave question ; c'est pourquoi elle a l'honneur de vous proposer d'en
ordonner le renvoi au ministre de l'intérieur, mais en même temps d'engager le
ministre à examiner s'il n'y a pas lieu de conseiller aux administrations
communales des localités qui ont des marchés de toiles, à insérer, dans leurs
règlements de police sur les marchés, des dispositions qui obligeraient à l'estampille
; ou bien de présenter un projet de loi, qui établirait une mesure générale
pour instituer un signe propre à faire connaître aux acheteurs l'origine et la
qualité des fabricats qu'on présente à la vente.
- Ces conclusions sont
mises aux voix et adoptées.
PROJET DE LOI RETABLISSANT LE CANTON JUDICIAIRE DE SICHEN
M. Simons. - Je dépose sur le bureau le
rapport de la commission des circonscriptions cantonales sur un projet de loi
qui a pour objet le rétablissement du canton judiciaire de Sichen, dans la
province de Limbourg. Je demanderai à la chambre de fixer la discussion de ce
projet de loi, qui probablement ne soulèvera aucune opposition, immédiatement
après le projet de loi relatif à la nomination des juges de paix. (Interruption.)
Messieurs, ce canton est
dans le même cas que les autres cantons. C'est une justice de paix qui a
toujours existé, mais qui, à cause de l'occupation de la ville de Maestricht
par les troupes hollandaises, a dû provisoirement être desservie par le juge de
paix d'un autre canton.
Le conseil provincial et
toutes les autorités consultées ont donné un avis favorable à ce projet.
La
commission a été unanime. Ce sera donc probablement l'affaire d'un vote. Il n'y
aura pas la moindre discussion.
Je pense que, pour ce
canton, comme pour les autres, il convient que la nomination du juge de paix
ait lieu avant le 15 mai.
Au reste puisque ma
proposition rencontre quelque opposition, je demanderai la mise à l'ordre du
jour après la discussion du projet de loi relatif au défrichement des terrains
incultes.
M. Delfosse. - A la bonne heure ! II faut que le
rapport soit imprimé et qu'on ait eu le temps de l'examiner.
- La chambre ordonne
l'impression et la discussion de ce rapport, et met ce projet de loi à l'ordre
du jour après la discussion du projet de loi relatif au défrichement des
terrains incultes.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS D’ENTREE ET DE SORTIE SUR LES SABOTS
Discussion générale
M. Lebeau. - Messieurs, à voir l'insistance que
l'on met à faire discuter le projet de loi actuel, on serait tenté de croire
qu'il s'agit d'un intérêt extrêmement grave, d'un intérêt qui touche à un très
grand nombre d'industries.
Eh bien, je crois que par
le simple exposé des faits, la chambre verra que ce projet est bien loin de
présenter un pareil degré d'importance. Il est même regrettable que dans une
session aussi chargée, aussi courte que la nôtre, la chambre soit obligée de
consacrer une partie de son temps à la discussion d'un pareil projet.
S'il ne s'y rattachait
pas ce que j'ai appelé hier une question de principe, je croirais réellement
abuser des moments de la chambre et déroger à la gravité de nos débats en
l'entretenant longtemps d'un pareil sujet.
J'ai dit hier et je
répète aujourd'hui que le projet de loi touche à une question de principe, et
je m'explique.
Dans la discussion d'un
de nos traités de commerce, M. le ministre (page 713) des affaires étrangères et du commerce a dit avec une
certaine solennité à la chambre que, dans son opinion, le système restrictif
avait fait son temps, en ce sens qu'en respectant les positions qui se sont
formées à l'abri de ce système, au moins le gouvernement devait s'arrêter,
ainsi que les chambres, que le gouvernement et la chambre devaient s'abstenir
d'y donner de nouveaux développements.
Eh bien, je regrette de
le dire, l'honorable M. Dechamps n'a pas tardé a donner des démentis à ces
paroles ; c'est le même homme qui est venu nous présenter naguère une
restriction à la sortie d'une matière première et qui s'est montré prêt à
accepter l'extension que la pensée du gouvernement avait subie dans le sein de
la section centrale.
C'est encore le même
homme qui prête son appui à un nouvel acte du système restrictif.
Et savez-vous pourquoi on
vient de nouveau agiter de pareilles questions ? Savez-vous, messieurs, pour
quel grave intérêt, pour quelles nombreuses industries la chambre est appelée à
revenir sur de pareilles questions ? Je vais l'exposer en peu de mots :
Dans la séance du 12 mai
1846, il a été donné connaissance à la chambre d'une pétition ainsi analysée :
« Le sieur Kennis demande
que les sabots de chevaux, de vaches et de veaux, et les déchets de cornes
soient prohibés à la sortie ou soumis à un droit de 10 fr. par cent kilog.
« M. de la Coste demande
le renvoi à la commission permanente d'industrie avec invitation de faire un
prompt rapport.
« Ces conclusions sont
adoptées. »
Voici ce qu'avait dit
l'honorable M. de la Coste à l'appui de sa demande de renvoi et de prompt
rapport.
« Cette pétition émane
d'une fabrique que vous connaissez tous, que vous voyez à peu de distance de
Louvain quand vous allez à Liège ou que vous en revenez. C'est une de celles
qui ont introduit en Belgique une industrie nouvelle, celle des produits
chimiques, etc. »
Et à l'appui de cette
demande, l'honorable M. de la Coste ajoutait : La fabrique des réclamants ne
suffit pas aux demandes de l'intérieur. Elle fournit en outre des produits à
l'étranger.
Ainsi, messieurs, c'est
pour un seul établissement, pour un établissement qui n'est pas en souffrance,
qui est en voie de prospérité, qui a peine à suffire aux commandes de
l'intérieur et de l'étranger, qu'on est venu demander à la chambre d'entrer
plus avant encore dans le système restrictif.
Un rapport fut fait sur
cette pétition, le 1er juillet 1846, par la commission d'industrie. Le rapport
est signé de l'honorable M. Zoude, comme président, et de l'honorable M. de La
Coste, comme rapporteur.
Vous en devinez aisément
les conclusions. Les conclusions sont de toutes parts favorables à la demande
du pétitionnaire ; mais par une modération bien grande, comme vous allez voir,
on réduit le droit de 10 fr., demandé par la pétition, à 8 fr. par 100 kilog. ;
et quand on sait à quel objet s'applique un pareil droit de sortie, c'est une
modeste prime de 80 p. c., à peu près, substituée à un droit de quelques
centimes. En effet, le droit de sortie est aujourd'hui de 5 p. c. à la valeur ;
c'est là le droit du tarif actuel. Cette restriction, cette prime, est demandée
pour une seule fabrique, qui, de l'aveu du pétitionnaire lui-même, n'est pas en
souffrance, qui est, au contraire, dans un état de prospérité complète.
M. de La Coste. - Elle a staté.
M. Lebeau. - On nous apprend que cette fabrique
a staté.
M. de La Coste. - Cette fabrication.
M. Lebeau. - Mais quand il y a, dans le pays,
beaucoup d'autres fabriques de produits chimiques que celle du sieur Kennis, je
suis bien surpris dès lors de ne pas voir la chambre assaillie de réclamations,
venant de toutes les parties de la Belgique, contre la facilité de la sortie de
la matière première, si cette facilité est, en effet, de nature à paralyser
cette industrie. Si donc la fabrique de M. Kennis a staté, il est permis de
croire que c'est par d'autres raisons que celles qui sont indiquées dans la
pétition.
Je comprends d'autant
moins l'insistance avec laquelle on demande la prohibition de la sortie de ces
résidus, que l'exportation en a été, jusqu'à présent, moins considérable de
beaucoup que l'importation. Cela résulte des indications données par la commission
d'industrie elle-même sur le mouvement de l'importation et de l'exportation de
1839 à 1843 ; alors, il est vrai, les cornes y étaient comprises. Aujourd'hui
on fait grâce aux cornes, mais on n'en insiste que plus sur les sabots.
J'ignore ce qui a valu aux cornes le privilège d'échapper aux coups que leur
portent les honorables proposants. (Interruption.)
Eh bien, messieurs, l'importation moyenne a été, de 1839 à 1843, de 40,850 fr., et l'exportation a été,
également en moyenne, de 25,663 fr. Ainsi l'importation présente un excédant de
15,187 fr. par an.
En 1843 et 1844,
l'exportation est encore inférieure à l'exportation, d'environ 10,000 fr.
J'avoue que j'ai peine à
comprendre l'appui que le gouvernement donne à ce projet. Le gouvernement dira
que le système de restrictions à la sortie figure déjà comme principe dans
notre tarif de douanes. Eh bien, messieurs, nous ne proposons pas de toucher au
tarif des douanes. Nous voyons dans le tarif des douanes un système vicieux,
mais nous avons déjà dit que ce système, à la faveur duquel on a élevé des
établissements considérables, des établissements nombreux, mérite les plus
grands ménagements.
Nous ne voulons pas
toucher au statu quo. Ceux qui veulent toucher au statu quo, c'est la
commission d'industrie et le ministère. Le statu quo, c'est le droit de sortie
de 3 p. c. ; c'est nous qui sommes les conservateurs, vous les novateurs ; nous
demandons le maintien de ce qui existe. Si vous prétendez aujourd'hui encore
que parce que le système des restrictions à la sortie des matières premières a
été introduit dans notre tarif, ce système doit être généralisé, alors vous
donnez des armes très fortes aux partisans d'autres restrictions ; par exemple,
à ceux qui trouveront parité de raisons pour empêcher la sortie du lin. En
effet, le lin est aussi une matière première, et une matière première
nécessaire à une des plus respectables, des plus importantes de nos industries.
Ainsi, messieurs, si j'ai
pris la parole dans cette discussion, c'est parce que j'ai vu qu'on posait
encore un antécédent fâcheux, qu'on démentait les promesses ministérielles,
qu'on posait un antécédent ensuite duquel on viendra plus tard demander
peut-être la prohibition à la sortie du lin. Vous avez vu naguère par
l'encouragement que le gouvernement avait donné aux protectionnistes, par la
restriction apportée à la sortie des étoupes, surgir un projet de restriction
plus sévère encore, et une section centrale, renchérissant sur le projet
ministériel, proposer de frapper aussi la sortie d'une espèce de lin, la sortie
du snuit. cette extension, complaisamment acceptée par M. le ministre des
affaires étrangères, malgré ses professions de foi libérales, a été
heureusement repoussée par la chambre, par les deux côtés de la chambre ; car,
par parenthèse, j'ai voté en cette circonstance avec l'honorable M. Eloy de
Burdinne. (Interruption.)
Eh bien,
messieurs, je ne vois absolument aujourd'hui non plus aucune raison pratique
pour que nous fassions un nouveau pas dans le système restrictif. Remarquez que
rien n'est moins propre à l'exportation que le résidu de bétail dont il s'agit.
Si réellement on ne veut pas rançonner les quelques malheureux qui les
recueillent et qui vivent de ce métier, si réellement on ne veut pas exercer à
leur égard une espèce de monopole, si on veut leur donner des prix
raisonnables, il faudrait qu'ils fussent insensés pour aller de gaieté de cœur
et à grands frais livrer ces produite à l'étranger.
Il n'y a donc pas une
seule raison pour dévier du système actuel et entrer plus avant dans le régime
restrictif ; mais je ne veux pas faire à l'intérêt qui est maintenant en
discussion l'honneur d'y rattacher un débat économique, et je borne ici mes
observations.
M. Osy. - Comme il s'agit ici d'une question commerciale et industrielle, je
crois que M. le ministre du commerce devrait être présent, pour rencontrer les
observations que l'honorable M. Lebeau vient de présenter.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Mon collègue des affaires étrangères va venir.
M. de La Coste. - Messieurs, je me flatte qu'une
grande partie des objections soulevées par l'honorable M. Lebeau disparaîtront
devant le simple exposé des faits. Je serais très fâché d'employer des expressions
contraires à la gravité de cette assemblée. Cependant, lorsqu'une question
intéresse l'industrie, il me semble que c'est un intérêt assez grand pour qu'on
me pardonne des termes dont il m'est absolument impossible de ne pas me servir,
puisqu'il faut bien appeler les choses par leur nom, au moins dans cette
occasion.
Je pense aussi que la
question ayant été posée déjà à la session dernière, la chambre ayant déjà
commencé alors à s'en occuper, il n'y a pas eu d'indiscrétion de ma part à
désirer de la voir figurer à l'ordre du jour ; la chambre paraît avoir partagé
mon opinion, puisque c'est par un effet, non de ma volonté, mais de celle de la
chambre, que la loi est aujourd'hui en discussion.
Selon moi, il faut enfin
que la question soit résolue dans un sens ou dans un autre. Certainement, il
n'y a pas des intérêts immenses en jeu, mais enfin il y a un intérêt légitime
qu'il est de la dignité et assurément de l'équité de la chambre de ne pas
repousser par un simple déni de justice.
Je ne sais pas quelles
inductions l'honorable M. Lebeau veut tirer de ce que j'ai appuyé la pétition
et de ce que j'ai présenté le rapport. Si j'ai présenté le rapport, c'est
encore par un motif tout à fait indépendant de ma volonté : je ne me suis pas nommé
rapporteur moi-même ; c'est la commission d'industrie qui m'a nommé son
rapporteur.
Au surplus, je suis
persuadé que l'honorable M. Lebeau a attaqué la proposition avec une pleine
conviction ; mais je dois le dire, c'est avec une pleine conviction que je la
défends.
Messieurs, je vous le
disais déjà hier, et permettez-moi de le répéter, lorsque le bétail est abattu
et livré à la consommation, il reste certains déchets qui sont matière première
pour certaines industries. C'est pour cela, messieurs, et je ne veux pas
examiner maintenant si c'est à tort ou à raison ; c'est pour cela que ces
déchets sont soumis à des droits de sortie, afin de les conservera notre
industrie.
Ces droits de sortie en
général sont de 5 à 12 fr. les 100 kil., et dans le courant même de cette
session, quand il s'est agi de modifier le tarif, relativement aux peaux, les
droits de 5 francs et de 12 francs ont figuré dans la colonne du droit de
sortie, et la chambre, par un nouvel acte, a sanctionné ce droit.
Parmi ces déchets, il y
en a un qui est taxé fort bas ; il y en a un autre qui est oublié dans la
nomenclature. Le déchet qui est taxé fort bas, ce sont les cornes dont il ne
s'agit plus maintenant ; et pourquoi ne s'en agit-il plus ? Ce n'est pas qu'on
craignît de blesser la susceptibilité de qui que ce fût ; mais parce qu'il
s'est élevé une réclamation de la part du commerce. (page 714) Le
commerce, par l'organe de notre honorable collègue M. Osy, a fait une
réclamation ; et effectivement ces objets sont la matière d'un certain commerce.
Il en arrive d'Amérique pour l'exportation. (Interruption.)
L'honorable M. Osy veut
bien donner la réponse que je lui ai faite et qu'il n'a pas acceptée.
L'honorable M. Osy dit : Nous avons le transit. C'est ce que j'ai eu l'honneur
de dire à l'honorable M. Osy. Il m'a répondu : Non, le commerce ne veut pas
faire usage du transit, il veut avoir des droits très bas pour pouvoir déclarer
en consommation, et exporter avec des droits très faibles. C'est pour ce motif
qu'on a mis de côté cette partie du projet. C'est ainsi que je l'ai entendu ;
si l'on s'est mépris sur le sens des observations de l'honorable M. Osy, je lui
en demande pardon pour ma part, mais je croyais avoir rendu, en y déférant, un
juste hommage aux connaissances en matière de commerce de l'honorable M. Osy.
Messieurs, laissons donc
les cornes de côté, et n'en parlons plus. C'est le moyen de simplifier la
discussion. Puisqu'on se plaint de ce que nous sommes trop chargés d'affaires,
ne nous occupons pas de ces malheureuses cornes que, pour moi, je veux laisser
en paix.
Messieurs, occupons-nous
donc simplement de l'objet en discussion. Cet objet n'est pas compris dans la
nomenclature des déchets d'animaux. Qu'a-t-on fait ? On l'a assimilé aux
cornes, La douane a trouvé de l'analogie entre la corne des pieds et les
cornes, et elle a assimilé les sabots à celles-ci ; on aurait pu les assimiler
aux os, et alors ils payeraient 5 fr. S'il en était ainsi, je me tairais, je
trouverais la chose juste et je n'en parlerais pas.
L'honorable M. Lebeau a
dit qu'il s'agissait d'une fabrique en voie de prospérité. Cette fabrique
fournit différents produits. Je souhaite qu'elle soit en voie de prospérité.
Mais quant à la
fabrication du prussiate de potasse, je puis garantir qu'elle a staté après que
de très grandes dépenses avaient été faites pour son introduction dans le pays
et qu'un brevet d'invention avait été pris. Pourquoi a-t-elle staté ? Parce que
la matière première, qui se vendait 4 francs, est montée au prix de 16 et 18
francs ; et qu'il était impossible d'atteindre à ce prix.
C'est précisément la même
question que celle des peaux pour les tanneries ; là on a établi le droit de 5
à 12 fr. et ceci est un droit intermédiaire, 8 fr. Mais, dit-on, il s'agit
d'une seule fabrique ; et peut-être que pour les tanneurs il s'agissait de
vingt fabriques, supposons même de cent. Messieurs, quand on est seul on est
plus faible que vingt, que cent ; mais quand on est vingt ou cent, on n'a pas
pour cela vingt fois ou cent fois raison. Supposez qu'il y ait cinquante
tanneries et que quarante-neuf profitassent du bénéfice de la loi ; serait-il
juste qu'une seule en fût privée ? Et cela est-il plus juste envers une
fabrique de prussiate qu'envers une tannerie ?
Il ne s'agit pas, à
proprement parler, de changer le tarif, mais de ranger un objet qui appartient
à la catégorie des déchets d'animaux, sous la rubrique à laquelle il devrait
appartenir, et ceci est une question d'existence pour une fabrication, une
condition absolue, faute de laquelle la fabrication a cessé. Je demande :
Est-ce que cela fait tort à quelqu'un ? est-ce que cela nuit à une branche
d'industrie quelconque ? On a dit : C'est la même question que celle de la
sortie du lin.
Je remercie l'honorable
M. Lebeau de m'avoir donné pour appuis tout ceux qui veulent apporter quelques
restrictions à la sortie des lins. Mais ceux qui repoussent cette restriction
ne doivent pas pour cela repousser notre proposition ; il n'y a aucune parité.
En effet, ceux qui
repoussent le droit à la sortie des lins, disent : Vous allez nuire à
l'agriculture, vous allez restreindre la culture du lin, vous n'obtiendrez
aucun autre résultat.
Ce raisonnement est-il
bon ? C'est ce que je n'examine pas ; mais ces motifs sont ici sans application
; en adoptant la proposition de la commission vous ne restreindrez pas l'élève
du bétail. Cela ferait à peine une différence de quelques centimes sur une
pièce de bétail ; sur la viande, c'est une fraction infiniment petite, en un
mot cela se réduit à rien.
Messieurs, on a parlé des
malheureux qui rassemblent ces objets ; ils continueront à gagner leur salaire,
ils fourniront les fabricants du pays, voilà toute la différence.
On craint de blesser le
principe de la liberté du commerce ; mais pour blesser un principe, il faut que
ce principe existe.
Je ne vois pas que le
principe de la liberté du commerce soit établi dans notre pays. Si la
fabrication dont il s'agit est immolée au principe de la liberté du commerce,
ce sera là une illustre mort ; mais il faudra que bien d'autres industries
assistent à ce cortège.
J'avoue qu'elles ne
courent point risque qu'on les traite de même. Il arriverait ce qui arrive trop
souvent : le petit serait sacrifié ; au gros honneur et paix ! Tond-il la
largeur de sa langue sur le champ de la protection, haro sur lui ! mais aux
lions il faut laisser leur part.
A ce compte, la liberté
du commerce ressemblerait fort chez nous à une de ces vertus qui, après de
nombreuses défaites, s'irritent de la moindre liberté que l'usage autorise.
Je
regarde la liberté du commerce comme un très grand principe, pour lequel j'ai
les plus grandes sympathies. Je considérerais comme un très beau jour pour
l'humanité celui où la bannière de la liberté du commerce sera relevée et
saluée de toutes les nations ; mais je ne puis voir cette bannière dans
quelques misérables lambeaux arrachés capricieusement au pavillon sous lequel
nous sommes réellement rangés pour le présent, et qui est celui d'une
protection modérée.
M. Osy. - Je dirai à l'honorable M. de La
Coste, que le commerce est désintéressé dans la question ; ce qui est importé
pour la consommation est mis en entrepôt, et ce qui est destiné pour l'étranger
transite.
J'ai pris la parole pour
soutenir l'opinion, que nous ne devons pas persister dans un système prohibitif.
L'honorable M. de La Coste s'est appuyé sur le droit qu'on a établi à la sortie
des peaux et des cuirs. Il est dans l'erreur, le droit sur les cuirs et peaux
et de 12 fr. par 100 kilog., mais les 100 kilog. de cuirs et peaux valent 120
fr., tandis que l'objet dont il parle n'en vaut que 16 à 18 ; de manière que le
droit de sortie sur les peaux de bœufs et de vaches est de 10 p. c, tandis que
M. de La Coste et M. le ministre des finances demandent un droit de 50 p. c.,
un droit de 8 fr. sur une valeur de 16 à 18 fr.
J'ai pris la parole
surtout parce que j'ai craint que si on adoptait la proposition faite par M. le
ministre des finances, M. de La Coste et la commission d'industrie, on ne vînt,
bientôt après, demander un droit de sortie très élevé sur les lins. C'est le
même système ; une fois qu'on y sera entré, on s'y engagera davantage.
Permettez-moi de vous dire quelques chiffres. En 1845 on a importé pour 81
mille francs de cornes, sabots, etc.
Eh bien ! le commerce du
pays n'en a acheté que pour 25,000 francs. On a donc exporté à l'étranger pour
165,000 francs.
J'ai vu par la
statistique que nous avons exporté pour 19,000 francs seulement de produits
indigènes.
Voulez-vous, pour un
objet si minime, revenir à un système beaucoup plus prohibitif ? Pour une
industrie si peu importante, nous aurions tort d'adopter ce système.
Je ne puis donner mon
assentiment à la loi.
L'intérêt
du commerce n'est pas grand dans cette affaire, l'intérêt de l'industrie est
moindre encore. Il n'y a qu'une fabrique. Si elle faisait de bonnes affaires,
il s'en établirait d'autres.
Il n'y a qu'un seul
acheteur. Si vous établissez un droit prohibitif, l'acheteur fera la loi au
détriment de tous les producteurs et de tous ceux qui ramassent ces objets de
minime valeur.
Nous ferons bien de ne
pas adopter la loi. Nous examinerons du reste la question, lorsque nous nous
occuperons de l'ensemble du tarif.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Je m'étonne de voir surgir une discussion de principe à propos du
projet de loi dont nous nous occupons.
En effet, le but du
projet de loi est simplement de fixer à 8 fr. par 100 kilog. le droit de sortie
sur les sabots et déchets de sabots de bétail et de fixer comme suit le droit
d'entrée :
Par pavillon belge,
importés directement d'un pays hors d'Europe : 11 fr. 05
Par pavillon étranger,
importés directement d'un pays hors d'Europe : 40 c.
Importés d’ailleurs, par
pavillon belge ou étranger : 50 c.
Ces objets, maintenant
assimilés aux cornes, sont soumis à un droit d'entrée de 50 c. lorsqu'ils sont
importés sous pavillon belge, de 2 fr. 50 lorsqu'ils sont importés sous
pavillon étranger. Le droit de sortie est de 3 fr. par 100 francs.
D'un autre côté, le tarif
pour les os est fixé comme il suit :
Droit d'entrée, 20 c.
pour 1,000 kilog., soit 2 c. pour 100 kilog.
Droit de sortie, 50 fr.
pour 1,000 kilog., soit 5 fr. pour 100 kilog.
En ce qui concerne les
cuirs, on s'est plaint (l'honorable préopinant qui vient de se rasseoir est
dans ce cas) de ce que le tarif à l'entrée était beaucoup trop élevé ; ce qui
portait atteinte à certains intérêts commerciaux et industriels. On demandait
en outre une réduction du droit d'entrée, dans l'intérêt des fabriques de
produits chimiques qui emploient les sabots de bétail.
C'est ce qu'on vous
propose. On vous propose, pour les sabots du bétail, ce qu'a demandé
l'honorable membre lui-même pour les cuirs.
Quant aux droits de
sortie, voici le système de notre législation :
Par une loi votée, il y a
peu d'années, nous avons supprimé presque tous les droits de sortie ; mais
cependant pour certains articles nous avons adopté des droits qui sont
prohibitifs. Tel est notre système de législation. S'il fallait le discuter
dans son ensemble, je crois qu'il ne serait pas difficile de démontrer qu'en
ces matières on applique, suivant l'intérêt du pays, les principes de la
liberté commerciale, ou le système prohibitif, mais qu'il n'y a rien d'absolu.
La législation de
différentes nations peut avoir une tendance soit vers le système prohibitif,
soit vers le système de la liberté commerciale. Mais nulle part, dans les pays
même où le tarif est le plus libéral, on n'a posé comme principe absolu qu'il
n'y aurait aucun droit prohibitif.
Ainsi, en Angleterre, en
Hollande, il existe des droits prohibitifs et même des prohibitions formelles.
Il
s'agit donc (toute question de système laissée à part) de savoir s'il existe un
intérêt suffisant, pour établir sur cette matière première, destinée à
certaines industries, un droit de sortie que je veux bien considérer comme
prohibitif. Vous pourriez vous convaincre, en examinant le tarif, qu'une
augmentation du droit de sortie est nécessaire, que les mêmes motifs d'intérêt
public existent pour établir un droit plus élevé sur ces déchets d'animaux et sur
d'autres déchets, notamment sur les os.
Il ne faut pas croire
qu'il s'agit de consacrer un système, de poser un antécédent fâcheux. La
législature est toujours appelée à apporter des modifications au tarif,
lorsqu'elles sont justifiées ei conformes à l'intérêt public.
(page 715) M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Mon intention n'est pas
d'entretenir la chambre des principes de protection industrielle ou de liberté
commerciale, à propos d'une loi concernant les sabots de bétail. Je pense que
les partisans et les adversaires du libre échange trouveront une meilleure
occasion d'ouvrir des débats sérieux.
Je n'ai demandé la parole
qu'à l'occasion d'une observation faite tout à l'heure par l'honorable M. Osy,
et qui avait été faite auparavant par l'honorable M. Lebeau. Je veux parler de
la crainte exprimée par ces honorables membres, de voir le gouvernement entrer
plus avant dans un système de droits de sortie, et aller, par exemple, jusqu'à
proposer un droit de sortie sur les lins.
Je saisis volontiers
cette occasion qui m'est offerte, de déclarer que l'intention du gouvernement
n'est nullement de proposer à la chambre une loi relative à un droit à imposer
à la sortie des lins.
Je fais cette observation
dans un but d'utilité immédiate ; j'ai appris que le pétitionnement organisé
dans une partie des Flandres avait jeté des craintes sérieuses dans l'esprit
des cultivateurs de lin, et qui pourraient avoir pour effet de décourager et de
restreindre encore la culture du lin, déjà trop circonscrite en Belgique depuis
quelques années ; ce qui irait à rencontre du but que poursuivent les
pétitionnaires, qui est l'abaissement du prix de la matière première.
Cette
question sera discutée plus tard à l'occasion de la discussion du projet de loi
relatif à la société d'exportation. Qu'il me soit permis cependant de faire
connaître trois faits qui doivent exercer une grande influence dans cette
question, c'est 1° l'amoindrissement de la culture du lin en Belgique depuis
plusieurs années, 2° la diminution successive et presque permanente de nos
exportations de lin, depuis 10 ans, surtout vers l'Angleterre, 3° la quantité
considérable de lin étranger importé en Belgique. Ces trois faits doivent
déterminer le gouvernement à encourager la culture du lin pour la développer et
rendre cette matière première plus abondante et moins chère, et non à la
restreindre par les entraves mises à l'exportation.
En présence de ces faits
le gouvernement croit devoir déclarer que son intention n'est pas de proposer
une loi relative à la sortie des lins.
Plusieurs membres. - Très bien !
M. Desmet. - Il paraît que M. le ministre qui
vient de parler a déjà pris des renseignements sur l'opportunité ou la
nécessité de restreindre la sortie des lins bruts, car il vient de nous
annoncer que le gouvernement est décidé à ne proposer aucune mesure pour
conserver au pays une matière première si précieuse, pendant une époque où elle
manque presque totalement et où la misère est si grande dans cette classe
malheureuse qui ne trouve son existence que dans le travail du lin.
M. le ministre dit que le
gouvernement s'est pressé de prendre cette décision pour que les cultivateurs ne
diminuent pas la culture du lin, et que surtout dans un moment où les terres
destinées à la culture du lin doivent être préparées, il était dans l'intérêt
de ces cultivateurs qu'ils fussent informes de l'opinion du gouvernement sur le
droit à mettre à la sortie des lins.
Je ne condamne pas la
précaution du ministre en faveur de l'agriculture ; mais les cultivateurs
savent bien que la mesure qui a été demandée en faveur de l'industrie linière
et des pauvres ouvriers, n'avait pas pour but de prendre une mesure de principe
sur la sortie des lins, mais uniquement une mesure du moment, jusqu'à la
récolte prochaine, cela dans un but de nécessité, pour donner du travail et du
pain à toute une population qui meurt de faim, et que la misère décime
quotidiennement.
Je n'en dirai pas plus
sur cet objet, mais j'engage le gouvernement et tout particulièrement le
ministre auquel je réponds de peser mûrement la chose et de ne pas repousser à
la légère les nombreuses pétitions qui arrivent à la chambre pour demander qu'on
conserve au pays, en quantité suffisante, cette matière première, que les
étrangers viennent enlever chez nous, pour nous faire une concurrence ruineuse.
Je n'en dirai pas
davantage sur cet objet ; mais je désire répondre deux mots à l'honorable M.
Lebeau.
L'honorable M. Lebeau,
tout en attaquant aussi bien M. le ministre des affaires étrangères que la
commission d'industrie, dans des termes assez durs, vous a fait comprendre que
cette commission avait une opinion systématique en faveur du système restrictif.
L'honorable M. Lebeau doit savoir comment est composée cette commission ; il
n'y a pas parmi ses membres que des protectionnistes ; mais il s'y trouve de
très grands partisans du libre échange, et je pourrais citer l'honorable M.
Pirmez.
Ainsi, si la commission
d'industrie vous propose une mesure pour conserver dans le pays quelques
matières premières, c'est parce qu'elle a pensé que tel était l'intérêt général
du pays.
Messieurs, en parlant des
sabots de bétail, l'honorable M. Lebeau vous a dit qu'il s'agissait d'un objet
tellement minime, que la chambre ne devrait pas perdre son temps à s'en
occuper.
Messieurs, cet objet est
minime comme tous les autres objets qui concernent les matières premières ;
mais dans une époque de manque de travail, dans une époque de manque de pain,
on ne doit reculer devant aucune mesure pour assurer du travail aux pauvres.
L'honorable M. Lebeau est
encore revenu sur la question du snuit, mais que l'honorable membre se
tranquillise, la récolte du lin a tellement mal réussi, que l'on ne doit pas
craindre qu'il y ait du snuit à exporter.
Messieurs, à entendre
l'honorable M. Lebeau, il paraîtrait qu'on ne peut plus rien faire pour une
industrie du pays. Jamais, messieurs, de pareilles doctrines n'ont eu d'écho à
la chambre ; toujours on a dit que s'il y avait des motifs pour protéger l'une
ou l'autre industrie, on pourrait prendre des mesures pour la protéger. Si,
messieurs, ce malheureux système de libre entrée en Belgique de fabricats
étrangers n'eût pas souvent prévalu dans nos mesures douanières, je crois que
nous n'aurions pas vu manquer à ce point le travail, et que par conséquent vous
n'auriez pas autant de misère dans le pays. Je suis aussi convaincu que vous
auriez eu de meilleurs traités de commerce que ceux que vous ayez faits jusqu'à
présent, et que déjà depuis longtemps vous auriez pu négocier, sur des bases
égales, un traité avec la France. Mais comment peut-on espérer des relations
favorables pour notre industrie, quand on laisse entrer à peu près librement
les fabricats étrangers, et que l'on ne fait rien pour protéger notre travail
manufacturier contre la concurrence étrangère ?
Plusieurs membres. - La clôture !
M. le
président. - La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau. - Si l'on veut clore, je renoncerai
à la parole.
- La clôture de la
discussion est mise aux voix et prononcée.
Vote de l’article unique
M. le président. - Voici l'article unique du projet :
« Par modification au
tarif des douanes, les droits d'entrée et de sortie sur les sabots et déchets
de sabots de bétail et de chevaux sont établis comme il suit :
« Droits
d’entrée :
« Importés
directement d’un pays hors d’Europe, les 100 kil. par pavillon belge : 5
c.
« Importés
directement d’un pays hors d’Europe, les 100 kil. par pavillon étranger :
40 c.
« Importés
directement d’ailleurs, les 100 kil. par pavillon belge et pavillon
étranger : 50 c.
« Droits de
sortie : 8 fr.
M. Osy. - Je demande la division. Je demande
que l'on vote séparément sur les droits d'entrée et sur le droit de sorlie.
M. le
président. - En ce cas je mets d'abord aux voix les droits d'entrée.
« Importés directement
d'un pays hors d'Europe, par pavillon belge fr. 0,05. »
- Adopté.
« Pavillon étranger
fr. 0,40. »
- Adopté.
M. le président. - Je mets aux voix le droit de
sortie, 8 fr. par 100 kil.
Plusieurs membres. - L'appel nominal !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Si ce droit était rejeté, il
serait cependant nécessaire qu'il y eût un droit de sortie quelconque.
Plusieurs membres. - 3 p. c.
M. Lebeau. - Si le droit proposé est rejeté, le
statu quo est maintenu.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je dois faire remarquer qu'il est
impossible d'avoir, pour un même article, des bases différentes à l'entrée et à
la sortie. Le droit que vous venez de voter est établi par 100 kil., et le
droit dans le tarif actuel est établi par 100 fr. Si vous n'adoptez pas le
droit de sortie qui est proposé, il est néanmoins nécessaire de prendre la base
de 100 kil. pour le droit de sortie.
M. de Brouckere. - Il est évident que si nous rejetons le droit de sortie,
nous rejetterons ensuite la loi tout entière et nous retomberons dans le statu
quo.
M. de La Coste. - Je proposerai le droit de 5 fr.
au lieu de 8 ; c'est le droit établi sur les os.
Plusieurs membres. - Il est trop tard. Le vote est
commencé.
M. de Corswarem. - Messieurs,
nous avons voté les droits d'entrée pour les importations directes d'un pays
hors d'Europe ; mais je ferai remarquer que nous n'avons pas voté le droit
d'entrée pour les importations d'ailleurs.
(page 716) M. le président. - Si la chambre le décide, je mettrai d'abord aux voix
ce droit :
« D'ailleurs, par 100
kil. 50 centimes. »
- Ce droit est adopté. 65
membres sont présents.
Il est procédé au vote
par appel nominal sur le chiffre de 8 fr. à la sortie.
3 s'abstiennent.
8 adoptent.
54 rejettent.
Eh conséquence, le
chiffre n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption : MM.
Dechamps, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Roo, Desmet, de T'Serclaes,
Malou, Van den Eynde, d'Anethan.
Ont voté le rejet : MM.
de Bonne, de Breyne, de Brouckere, de Corswarem, de Lannoy, Delehaye, Delfosse,
d'Elhoungne, de Meester, de Naeyer, de Saegher, Desmaisières, de Terbecq, de
Tornaco, d'Hoffschmidt, Donny, A. Dubus, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne,
Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau,
Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Orban, Orts,
Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Troye, Van
Cutsem, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Biebuyck, Castiau, Clep,
David.
MM. de Garcia, de Haerne
et Dubus (aîné) se sont abstenus.
M. de Garcia. - Messieurs, la
discussion ne m'a pas permis de me former une opinion nette sur la matière ;
c'est pourquoi je n'ai voulu voter ni pour ni contre le chiffre.
M. de Haerne. - Je n'ai pas voté pour la
proposition, parce que je ne savais pas si le droit de 8 francs n'était pas
trop élevé, j’avais d'autant plus de doutes à cet égard que l'honorable
rapporteur a proposé lui-même, au moment du vote, de réduire le droit à 5 fr.
Je
n'ai pas voté contre, parce que, en présence des débats qui ont eu lieu,
j'aurais craint d'adhérer à uu principe de liberté absolue du commerce, en
toutes circonstances, principe que j'envisage comme dangereux, et d'où il
résulterait par exemple que l'on devrait permettre la libre sortie (erratum, p. 773) des grains, même dans
les circonstances les plus défavorables.
En conséquence,
messieurs, j'ai cru devoir m'abstenir.
M. Dubus (aîné). - Je pense qu'il y avait lieu à
élever le droit de sortie ; mais je me suis trouvé absent de la séance, dans le
moment où l'on a discuté la quotité du droit. J'ai donc cru devoir m'abstenir.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - J'ai fait remarquer qu'il est nécessaire d'avoir la même base pour le
droit d'entrée et pour le droit de sortie. Je propose donc de fixer le droit de
sortie à 50 c. C'est le statu quo avec une augmentation de deux centimes.
J'espère que la majorité,
qui vient de rejeter le droit de 8 fr., adoptera celui de 50 c.
M. Delfosse. - Pourquoi changer le statu quo pour
deux centimes ?
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Pour faire une somme ronde, et parce que la chambre a adopté, à la
session dernière, une loi qui oblige le gouvernement à forcer toutes les
fractions dans la rédaction du nouveau tarif officiel.
M. le
président. - Je consulte la chambre sur cette proposition.
M. de La Coste, rapporteur. - N'y a-t-il donc plus de discussion
possible ?
M. le
président. - Non, il y a clôture.
- La chambre consultée
fixe le droit de sortie à 50 centimes par 100 kilogrammes.
Vote sur l’ensemble du projet
Il est procédé au vote
par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
Voici le résultat du vote
:
Nombre des votants, 67.
58 votent pour
l'adoption. 9 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption
: MM. de Bonne, de Breyne, Dechamps, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de
Haerne, de Lannoy, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Meester, de Naeyer, de
Roo ,de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt,
Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne,
Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau,
Lejeune, Lesoinne, Lys, Maertens, Malou, Mercier, Orban, Orts, Osy, Rodenbach,
Rogier, Scheyven, Simons, Troye, Verhaegen, Veydt, Anspach, Biebuyck, Castiau,
Clep, d'Anethan et David.
Ont voté contre : MM. de
Brouckere, de T'Serclaes, Loos, de Man d'Attenrode, Mast de Vries, Vilain
XIIII, Vanden Eynde, de La Coste et Sigart.
PROJET DE LOI CONCERNANT LA NOMINATION DES JUGES DE PAIX
Discussion générale
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. Delfosse. - J'ai présenté, lors de la
discussion de la loi relative au traitement des membres de l'ordre judiciaire,
un amendement par suite duquel nul ne pourrait être nommé juge de paix, s'il
n'est docteur ou au moins candidat en droit. Si mes souvenirs sont fidèles, cet
amendement a été renvoyé à la commission qui était chargée de l'examen du
projet de loi sur la circonscription cantonale.
Il est à regretter que
cette commission n'ait pas encore fait son rapport sur l'amendement dont je
viens de parler ; nous aurions pu le discuter en même temps que le projet de
loi qui est à l'ordre du jour.
M. de
Brouckere. - Messieurs, le rapport de la section centrale vous a fait connaître les
motifs pour lesquels cette section a demandé qu'un délai fatal fût fixé,
endéans lequel les nominations devaient avoir lieu. Ce délai a été fixé par la
majorité de la section centrale au 15 mai. Mais le rapport nous apprend en même
temps que plusieurs membres de la section avaient désiré que le délai fût celui
du 1er mai.
Je demanderai à M. le
ministre de la justice de vouloir bien déclarer à la chambre s'il trouverait
quelque inconvénient à ce que le délai proposé par la majorité de la section
centrale fût abrégé.
Remarquez,
messieurs, qu'en fixant le délai au 1er mai, M. le ministre de la justice
aurait près de trois mois pour préparer les nominations ; je dis près de trois
mois, car il peut dès à présent recueillir tous les renseignements et réunir
les documents nécessaires, pour que les nominations soient présentées à la sanction
du Roi avant le 1er mai. D'un autre côté, la loi pourra être votée par le sénat
avant la fin de février, de manière qu'elle sera exécutoire à partir du 1er
mars. Eh bien, M. le ministre, à partir de cette époque, aura deux mois pleins
pour des nominations dont l'instruction est déjà probablement très avancée.
J'attendrai,
pour juger s'il y a lieu de renouveler la proposition de la minorité de la
section centrale, que M. le ministre de la justice ait donné quelques
explications.
(page 725) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je
croyais que l’amendement présenté en 1845 par l’honorable M. Delfosse avait été
rejeté. D’après ce qu’a dit l’honorable membre, la chambre, sans se prononcer,
aurait renvoyé cet amendement à une commission. Toujours est-il que cette
commission n’a pas fait son rapport, et qu’ainsi il est impossible de discuter
maintenant une question aussi grave que celle dont s’occupe l’amendement de
l’honorable M. Delfosse.
L’honorable M.
de Brouckere m’a demandé s’il y aurait, d’après moi, des inconvénients à
abréger le délai proposé pour la nomination des juges de paix, et à fixer le
terme au 1er mai, au lieu du 15. Messieurs, s’il ne s’agissait que de la
nomination des juges de paix, je pourrais peut-être consentir à cette
proposition ; mais je prie l’honorable membre de bien vouloir remarquer
qu’il y aura à nommer aussi des juges suppléants en très grand nombre, et qu’il
serait ainsi à peu près impossible de recevoir et d’examiner tous les rapports
avant le 1er mai.
Je crois donc devoir maintenir la date du 15 mai proposée par la section centrale. J’ajouterai que cette date est assez éloignée des élections pour répondre aux craintes qui avaient été manifestées.
(page 716) M.
Delfosse. - La chambre ayant décidé que mon amendement serait examiné par une
commission, je ne puis exiger qu'il soit discuté avant que cette commission ait
fait son rapport. Je suis, sur ce point, de l'avis de M. le ministre de la justice.
Mais je suis en droit de
demander, et je demande que la commission ne laisse pas dormir mon amendement
dans ses cartons ; cet amendement, M. le ministre de la justice vient de vous
le dire, a une grande importance ; il est digne de toute l'attention de la
chambre.
Je prie le bureau de
revoir la décision qui a été prise, et de la faire exécuter.
M. le
président. - Cela sera fait.
La discussion générale
est close. On passe à la discussion des articles.
Discussion des articles
Article premier
« Art. 1er. La loi du 30
juillet 1834 est rapportée. »
M. Delfosse. - Lorsque M. le ministre de la
justice a présenté ce projet de loi, j'ai cru y voir une tactique électorale,
et j'étais disposé à le combattre.
Il paraît que mon opinion
a été partagée par la section centrale, puisqu'elle nous a proposé un
amendement qui obligerait le gouvernement à faire les nominations de juges de
paix avant l'époque fixée pour la réunion des collèges électoraux.
Cet amendement nous
donnant des garanties suffisantes, je n'ai plus de raison pour refuser mon
assentiment au projet de loi.
- L'article premier est
adopté.
Article 2
« Art. 2. (Projet de
la section centrale auquel M. le ministre de la justice s'est rallié.) La
nomination des juges de paix et de leurs suppléants sera faite avant le 15 mai
1847. »
- Adopté.
« Art. 3. Les juges de
paix et leurs greffiers sont tenus de résider au chef-lieu du canton.
« En cas d'infraction à
cette disposition, les juges de paix sont avertis par écrit, soit d'office,
soit sur la réquisition du ministère public, par le président du tribunal de
première instance. Faute de s'être conformés à la loi dans le mois de l'avertissement,
ils sont cités, par le procureur général, devant la cour d'appel qui les
déclare démissionnaires, ou, suivant les circonstances, leur accorde un nouveau
délai, lequel ne pourra excéder un mois.
« Les pièces de
l'instruction sont adressées dans les huit jours au Ministre de la justice. »
M. Dumortier. - Je crois que l'article en
discussion est trop absolu. Il me semble qu'il est inutile d'exiger que les
juges de paix résident au chef-lieu du canton ; il suffit d'exiger la résidence
réelle dans le canton ; il y a dans beaucoup de cantons des juges de paix qui
résident ailleurs qu'au chef-lieu, mais qu'ils s'y rendent fréquemment, qui s'y
rendent toutes les fois qui doivent siéger. Ce qui s'est passé jusqu'à ce jour
se passera nécessairement à l'avenir ; il pourra se présenter des circonstances
où une personne habitant un village voudra solliciter la place de juge de paix,
si elle n'est pas tenue d'aller résider au chef-lieu. Cela vous permettra de
faire des choix excellents. Les fonctions des juges de paix sont des fonctions
de conciliation. Celui qui est domicilié depuis longtemps dans un endroit, qui
y jouit d'une position honorable, peut mieux que personne connaître les
habitudes et les habitants du canton.
Si
la loi que nous allons faire exige que le titulaire soit domicilié au chef-lieu
du canton, on trouvera rarement des personnes qui consentent à abandonner leur
domicile pour en aller prendre un autre au chef-lieu. Je crois que c'est
inutile et qu'il suffirait d'exiger la résidence dans le canton. C'est tout ce
qu'on peut demander ; c'est aller trop loin que de demander qu'il réside au
chef-lieu. Ce serait par trop rigoureux en (page 717) présence des faits qui se passent sous nos yeux. Nous
voyons des membres de la cour d'appel et de la cour de cassation résider dans
les faubourgs, quand ils devraient résider dans la capitale ; pourquoi exiger
de pauvres juges de paix plus qu'on n'exige des fonctionnaires les plus élevés
? Je pense que M. le ministre de la justice voudra bien consentir à la
modification que je demande ; elle ne peut que donner plus de facilité au
gouvernement pour faire ses choix.
M. de Saegher. - Messieurs, je pense que le
principe posé dans l'article 3, § 1er du projet est nécessaire. Il importe que
les juges de paix habitent les chefs-lieux et y tiennent leurs audiences ; de
cette manière les relations des justiciables avec les juges de paix sont plus
faciles, et cette facilité de relations est indispensable, personne ne peut le
contester. D'un autre côté, il est incontestable aussi que les greffiers
doivent être à proximité des juges de paix pour recevoir leurs ordres et les
accompagner dans la plupart de leurs opérations.
Eh bien, le seul moyen
d'obtenir que le greffier soit toujours à la disposition du juge de paix, c'est
de leur assigner une même résidence. De graves inconvénients résultent de
l'état actuel des choses ; il arrive aujourd'hui que le juge de paix habite une
extrémité du canton, tandis que le greffier demeure à l'autre extrémité ; dans
les opérations qui requièrent de la célérité, par exemple, dans les appositions
de scellés, il arrive que les intéressés ne parviennent pas à réunir dans un
jour le juge de paix et son greffier. Dans ces cas, les opérations urgentes,
très urgentes quelquefois, doivent être remises jusqu'au lendemain. Je dis que
cela peut donner lieu à des inconvénients et même à des fraudes. Je suppose une
apposition de scellés dans une succession à laquelle des mineurs soient
intéressés ; le mobilier et les titres dépendant de la succession sont entre
les mains des majeurs par suite du décès de l'individu de la succession duquel
il s'agit ; si les scellés ne peuvent pas être apposés dans la journée même du
décès, il est possible que des fraudes soient commises ; or, si le juge de paix
habite une extrémité du canton et que le greffier habite l'autre extrémité, il
est souvent impossible de réunir ces deux fonctionnaires dans la journée même,
et par conséquent de prendre des mesures pour empêcher le détournement d'objets
dépendant de la succession.
Je pourrais dire la même
chose, messieurs, de la police judiciaire. Quand il s'agit d'un crime qui doit
être constaté immédiatement, il est presque impossible au juge de paix de faire
des opérations importantes, que les circonstances exigent, sans être assisté de
son greffier, et souvent le greffier est absent, parce que sa résidence est
trop éloignée de celle du juge de paix.
Messieurs, il me paraît
que nous devons examiner un autre point encore. Ne conviendrait-il pas de
laisser aux cours d'appel plus de latitude que le paragraphe 2 de l'article 3
du projet ne leur en accorde ?
Le
délai d'un mois, prescrit dans ce paragraphe, est-il suffisant ? Il est des
chefs-lieux de canton où il n'existe pas d'habitation convenable pour le juge
de paix ; peut-on alors obliger le juge de paix à aller résilier au chef-lieu
de son canton dans les deux mois de sa nomination ? Ce délai n'est-il pas trop
court ?
Ne pourrait-on pas dire
dans la loi, que lorsqu'il sera reconnu qu'il n'existe pas au chef-lieu du
canton une habitation convenable pour le juge de paix, la cour d'appel pourra
accorder un dernier délai d'un an (ou de six mois), endéans lequel le juge de
paix sera tenu d'y établir sa résidence définitive.
Je ne fais pas encore à
cet égard un amendement formel ; je désirerais connaître d'abord l'opinion de
M. le ministre.
M. Delehaye. - Je partage entièrement l'avis émis
par l'honorable M. Dumortier. Je pense qu'il suffit, pour la bonne administration
de la justice, que le juge de paix réside dans le canton, et qu'il n'est pas
nécessaire que ce soit précisément au chef-lieu du canton.
A l'appui de mon opinion,
je citerai plusieurs cas dans l'arrondissement de Gand.
L'honorable préopinant
doit savoir que le juge de paix de l'un des principaux cantons de cet
arrondissement ne réside pas au chef-lieu de canton, que cela ne donne lieu à
aucune réclamation, que les scellés sont toujours apposés en temps utile. Ce
juge de paix, homme très recommandable, qui remplit très bien ses devoirs, au
su de l'honorable M. de Saegher, réside dans une commune éloignée du chef-lieu.
Vous n'avez pas à
craindre, messieurs, qu'en général le juge de paix ne réside pas au chef-lieu.
C'est le centre de la population ; c'est en général la résidence la plus
agréable.
Ensuite les déplacements
continuels auxquels sera astreint le juge de paix qui résidera dans une commune
éloignée seront à sa charge. Son agrément et son intérêt le convieront donc à
résider au chef-lieu. Mais il faut tenir compte des difficultés, de
l'impossibilité qu'il peut y avoir, pour le juge de paix, dans certaines
parties du pays, à trouver une résidence convenable au chef-lieu.
On
vous a dit qu'il est impossible que le greffier réside dans une autre commune
que le juge de paix. C'est ce que je ne puis admettre. Quoique ne résidait pas
dans la même commune, le juge de paix et le greffier se réuniront les jours
d'audience, et chaque fois que ce sera nécessaire pour une apposition de
scellés.
En terminant je ferai
remarquer que si l'on ne veut pas autoriser les juges de paix et greffiers
actuellement en fonctions, qui résident hors du canton, à continuer d'y
résider, il faut changer la rédaction de l'article 5 ; car il porte : « qui ne
résident pas au chef-lieu. » Or, évidemment, ceux qui résident hors du canton,
ne résident pas au chef-lieu. Ils pourraient donc invoquer le bénéfice de cet
article.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Les honorables MM. Delehaye et Dumortier se bornent à
demander le statu quo ; car aux termes de la loi de floréal an X, l'obligation
de résider dans le canton existe déjà. Ainsi l'adoption de la proposition des
honorables membres ne serait que la continuation de l'état actuel des choses, qui,
ainsi que l'a fort bien prouvé l'honorable M. de Saegher, donne lieu à de
nombreux abus.
Je commencerai par
répondre à l'observation qu'a faite sur l'article 5 l'honorable M. Delehaye.
Cet article porte : « Les juges de paix et greffiers actuellement en fonctions
qui ne résident pas au chef-lieu ne seront tenus de transférer leur résidence
que dans le cas où ils quitteraient la commune habitée par eux, lors de la
publication de la présente loi. » D'après l'honorable membre, on pourrait
contester l'applicabilité de cet article aux magistrats qui ne résident pas
dans le canton ; et soutenir qu'il ne concerne que ceux qui, sans résider au
chef-lieu, habitent une commune du canton. Mais cette interprétation n'est pas
admissible. Je n'ai certes pas voulu consacrer une infraction à la loi
actuelle. Je n'ai pas pu supposer que les juges de paix se trouvent maintenant
en contravention à la loi. L'observation ne pourrait être fondée que si la loi
dans l'état actuel n'imposait pas aux juges de paix l'obligation de résider
dans le canton. Cette obligation existait, j'ai pris pour point de départ
l'état légal actuel.
J'ai dit que la
législation maintenant en vigueur avait amené de nombreux inconvénients. Ces
inconvénients ont frappé votre commission qui a proposé d'adopter l'opinion du
gouvernement, énoncée dans le projet de 1834. Il suffit, pour se ranger à cette
opinion, de faire attention que, dans l'état actuel des choses, le juge de paix
peut habiter une commune peu peuplée à l'extrémité de son canton, et rester en
quelque sorte inconnu au chef-lieu centre de la population. Il peut de plus
changer de résidence, non selon la convenance des justiciables, mais selon sa
propre convenance.
Or les places sont faites
non pour les individus qui les occupent, mais dans l'intérêt des administrés et
des justiciables.
L'autre abus signalé par
l'honorable M. de Saegher, est trop évident pour que je m'y arrête de nouveau.
Il n'est pas douteux que
le juge de paix et son greffier ne doivent habiter la même commune. Or on ne
peut astreindre le greffier à suivre le juge de paix dans toutes les communes
du canton où il lui plairait de résider. Il faut une désignation légale pour
fixer la résidence, tant pour le juge que pour le greffier ; cette désignation
légale ne peut être que le chef-lieu de canton.
Si l'on admet que le juge
de paix peut résider où bon lui semble, il faut admettre la même latitude pour
le greffier. Que deviendront alors les archives de la justice de paix ? Elles
pourront être complètement abandonnées ; car, aux termes des lois, les archives
doivent être annuellement déposées au local de la justice de paix, soit dans la
maison commune, soit dans le local fourni par la commune. Si le greffier
n'habite pas le chef-lieu, il ne pourra guère s'occuper des archives ; elles
seront abandonnées, ce qu'il est important d'éviter.
Je pense, messieurs, que
les deux considérations tirées de la garde des archives, et de la nécessité
d'avoir le juge de paix dans la même résidence que le greffier, détermineront
la chambre à adopter la proposition que je lui ai faite, et qui n'est, je le
répète, que la reproduction de la proposition qui avait été faite en 1834 par
l'honorable M. Lebeau, et qui avait été adoptée par la commission nommée à
cette époque.
On dit, messieurs, que
les juges de paix se fixeront en général dans le chef-lieu de canton, parce que
ordinairement c'est la commune qui offrira le plus d'avantages, le plus
d'agréments même pour les juges de paix. Cependant, messieurs, dans ce moment
il y a 43 juges de paix qui ne résident pas dans le chef-lieu de canton. Je
pense qu'il faut faire à l'avenir cesser cet état de choses, et que les
inconvénients qui en résultent sont assez palpables pour ne pas avoir besoin de
démonstration ultérieure.
L'honorable
M. de Saegher a pensé que le délai d'un mois fixé par l'article 3 que nous
discutons en ce moment, était trop court ; il a pensé que les cours d'appel
devraient pouvoir accorder le délai d'un an. Je ferai remarquer que ce n'est
pas seulement un délai d'un mois que l'on accorde ; puisqu'on accorde un
premier mois pour se conformer à l'avertissement, et qu'ensuite la cour d'appel
peut encore donner un second délai d'un mois. Il est donc évident qu'on
arrivera ainsi à un délai de plus de trois mois, vu les retards inévitables des
avertissement et citation.
Je pense, messieurs, que
le délai d'un an serait trop long. Cependant, prenant en considération les
observations de l'honorable M. de Saegher, je ne m'opposerai pas à ce qu'on
substitue dans l'article le délai de trois mois à celui d'un mois. Si
l'honorable membre propose un amendement dans ce sens, je m'y rallierai.
M. Orts. - Messieurs, je vous avouerai que je
ne m'attendais pas à voir critiquer le projet de loi, tel qu'il vous a été
présenté par M. le ministre de la justice. J'y voyais une disposition qui est
absolument conforme aux principes de la justice distributive, aux principes de
la non-rétroactivité. On faisait la part des juges de paix et des greffiers à
nommer, et celle des juges de paix et des greffiers qui sont en possession de
leur office, et on la faisait très largement. D'ailleurs, s'agit-il d'établir
un état de choses nouveau ? Mais non (page
718) comme vient de le dire M. le ministre de la justice, on maintient à
l'égard des juges de paix ce que les lois antérieures avaient statué.
El qu'il me soit permis
d'ajouter uu mot. On ne pourrait méconnaître que les juges de première instance
et les conseillers des cours, si la loi était exécutée à la rigueur, devraient
habiter la commune où est le siège du tribunal ou de la cour à laquelle ils
appartiennent.
Sans vouloir pousser plus
loin mon examen à cet égard, sous le rapport de la légalité, je verrais avec
peine qu'on voulût se prévaloir d'un fait pour consacrer un droit qui ne doit
pas être consacré, et je désirerais qu'on revînt dans la magistrature
supérieure à ce que les lois me paraissent exiger, le domicile réel dans le
lieu où siège le tribunal ou la cour.
Messieurs, l'observation
que l'honorable M. de Saegher vous a faite est frappante. De deux choses l'une,
ou il faudra que le greffier se règle sur son juge de paix et aille demeurer
dans une commune qui n'est pas le chef-lieu du canton, parce qu'il plaît au
juge de paix d'y demeurer, ou il habitera dans une autre commune, ce qui
présentera de graves inconvénients. Or, je crois que vous ne pouvez forcer le
greffier à quitter son domicile pour aller habiter la commune qu'il plaira au
juge de paix d'habiter.
Il me semble qu'il y
aurait là injustice ; pour moi, le greffier est sur la même ligne que le juge,
quand il s'agit de l'exercice d'un droit. Tout est concilié, messieurs, quand
ces deux fonctionnaires résident là où la loi veut qu'ils résident.
Mais, dit-on,
l'inconvénient ne sera pas bien grand, parce qu'il est fort rare que ce ne soit
pas au chef-lieu de canton que réside le juge de paix. Messieurs, cela n'est
pas aussi rare qu'on paraît le croire, surtout dans les cantons qui avoisinent
les grandes villes, comme Bruxelles, Gand et Anvers. Ici, messieurs, nous avons
des justices de paix dont les titulaires demeurent dans les faubourgs, tandis
que le chef-lieu de canton est à une ou à deux lieues de là. II y a des cantons
qui sont très étendus.
Ainsi le canton de
Leeuw-St-Pierre louche à Anderlecht d'une part et à la ville de Hal d'autre
part ; il enveloppe deux lieues et demie à trois lieues de distance.
Vous
voyez donc que la mesure que l'on vous propose est extrêmement sage et toute
dans l'intérêt du justiciable. Il doit en être ainsi, messieurs ; les magistrats
se doivent aux justiciables ; vous ne pouvez exiger que ceux-ci soient obligés
de faire trois lieues pour venir trouver le juge, et cela dans une juridiction
où l'intervention du magistrat est plus fréquente que dans toute autre. Car les
juges de paix sont conciliateurs, ils président les conseils de famille, ils
connaissent des matières civiles dans les limites de leur compétence, ils sont
juges en fait de simple police, ils apposent les scellés, etc., etc., et vous
voudriez que les justiciables dussent faire 3 et 4 lieues pour aller trouver le
juge !
Messieurs, le projet me
paraît conçu dans les principes les plus justes, et je lui donnerai mon
assentiment.
M. de Saegher. - Messieurs, l'honorable M.
Delehaye s'est trompé sur mes intentions, lorsqu'il a fait allusion à un juge
de paix de la Flandre orientale, qui remplit, dit-il, parfaitement ses
fonctions et qui cependant ne réside pas au chef-lieu de son canton.
Il y a, messieurs, dans
la Flandre orientale, plusieurs juges de paix qui ne résident pas au chef-lieu
du canton ; mais je n'ai pu avoir l'intention qu'on m'a prêtée, surtout en
présence de l'article 4 du projet qui permet aux juges de paix de continuer à
résider dans le lieu qu'ils habitent actuellement. Je déclare même que si le
projet avait porté que les greffiers et les juges de paix qui résident
maintenant hors du chef-lieu de leur canton, seraient obligés de changer
immédiatement de résidence, pour aller habiter le chef-lieu, ce projet n'aurait
pas eu l'appui de mon vote.
Quant
aux inconvénients qui résultent de ce que souvent le greffier ne réside pas
dans la même commune que le juge de paix, on les a niés. Cependant, messieurs,
ces inconvénients sont évidents, reconnus par tout le monde, et l'exemple que
je vous ai cité devrait suffire pour vous les prouver. Sur ce point, on n'a pas
même essayé de répondre.
En ce qui concerne
l'amendement que j'avais proposé, je déclare me rallier à la nouvelle
proposition de M. le ministre de la justice, tendant à ce que le dernier délai
d'un mois fixé au paragraphe 2 de l'article en discussion soit porté à trois
mois. En conséquence, je modifie mon amendement en ce sens.
M. Fleussu. - Messieurs, j'applaudis aussi aux
dispositions nouvelles qui nous ont été présentées par M. le ministre de la
justice. Je pense qu'il est convenable, qu'il est de l'intérêt des justiciables
que les juges de paix et les greffiers résident aux chefs-lieux de canton. Mais
j'aurai quelques interpellations à faire à M. le ministre de la justice pour
l'intelligence des articles.
« Les juges de paix et
leurs greffiers sont tenus de résider au chef-lieu du canton. » Messieurs, cela
ne souffrira aucune difficulté dans les cantons ruraux, mais il arrive qu'une
grande ville est partagée, par exemple, en quatre cantons de justice de paix.
Je demande à M. le
ministre si dans son intention un juge de paix est tenu de résilier dans la
partie de la commune qui forme son canton, ou s'il suffira qu'il habite la
commune. Je crois que dans l'intention du gouvernement il suffira qu'il habile
la ville ou la commune, mais pour qu'il n'y ait pas de difficultés sur ce point
dans l'avenir, je prierai M. le ministre de nous dire quelle est son opinion.
« En cas d'infraction à
cette disposition, les juges de paix sont avertis par écrit, soit d'office,
soit sur la réquisition du ministère public, par le président du tribunal de
première instance. »
Je demanderai à M. le
ministre de la justice quel moyen on emploiera pour qu'il y ait date certaine à
l'écrit.
Comme il y a un délai
fatal qui court après l'avertissement, je voudrais que, dans l'intérêt des
juges de paix, il y eût une date certaine à l'écrit.
Je
crois que dans des lois antérieures il s'agit aussi d'avertissement donné à
certains magistrats, et que c'est à l'aide d'une lettre chargée à la poste que
cet avertissement est donné. Je voudrais que la même garantie fût assurée aux
juges de paix, pour qu'on ne pût pas venir leur dire à tort : Vous avez été
averti à certaine époque ; le délai est écoulé, par conséquent vous êtes
considéré comme démissionnaire.
Maintenant, c'est la cour
d'appel qui doit statuer sur le sort du juge de paix, lorsqu'il ne se sera pas
conformé à l'avertissement du président du tribunal. Je voudrais savoir si
c'est la cour en corps, ou si c'est une section de la cour. La loi n'en dit
rien. Il pourrait se présenter des difficultés ; il est bon de les prévenir.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je pense avec l'honorable M. Fleussu que, lorsqu'une ville
est divisée en plusieurs cantons de justice de paix, il suffira que le juge de
paix habite la ville même ; sans que ce doive être précisément la fraction de
la commune qui forme la circonscription de la justice de paix.
On doit, me paraît-il,
admettre cette interprétation de l'article 3. L'administration de la justice
n'aura pas à souffrir de ce que le juge de paix habite une rue de la ville
plutôt qu'une autre.
L'honorable préopinant,
pour donner une date certaine à l'avertissement envoyé au juge de paix, a
proposé que la lettre du président soit chargée à la poste. Je ne vois pas la
moindre difficulté à adopter ce mode que prescrit la loi de 1845, dans un cas
analogue. Je déclare donc me rallier à cet amendement.
Dans
la loi de 1845, on avait exigé que la décision fût prise par les chambres
réunies, en assemblée générale dans la chambre du conseil. On conçoit qu'il
soit nécessaire d'exiger cette solennité et ces garanties pour un magistrat d'un
ordre supérieur, et lorsqu'il s'agit d'apprécier s'il est ou non capable de
remplir ses fonctions. Il s'agit là d'une appréciation délicate et difficile.
Mais lorsqu'il s'agit de
constater un fait simple, tel que celui de la résidence, une section de la cour
me paraît suffire.
Je pense que l'article,
pour plus de clarté, peut être modifié en ce sens.
M. Verhaegen. - J'adopte aussi le principe des
dispositions qu'on nous présente comme amendement. Maïs en dispensant les juges
de paix qui ne demeurent pas au chef-lieu, d'y transférer leur résidence, ne
conviendrait-il pas d'ajouter :
« Néanmoins les audiences
seront toujours données au chef-lieu. »
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Cela va de soi.
M. Verhaegen. - Je ne sais si cela va de soi ; car
l'article 8 du Code de procédure porte : « … Ils (les juges de paix) pourront
donner audience chez eux, en tenant les portes ouvertes. »
On conçoit combien il
pourrait être gênant pour les justiciables qu'un juge de paix demeurant à
l'extrémité du canton, loin du chef-lieu qui est le centre de population,
donnât ses audiences chez lui.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai répondu à l'honorable M. Verhaegen : « Cela va de
soi. » Mais je reconnais que j'ai proféré trop tôt ces paroles. Je croyais que
l'honorable membre faisait allusion à une autre disposition.
Il n'est pas douteux que
les juges de paix, ceux qui ne résident pas comme ceux qui résident au
chef-lieu, n'aient, aux termes de l'article 8 du Code de procédure, le droit de
tenir leurs audiences chez eux. Mais, ne convient-il pas de maintenir
transitoirement cette faculté pour tous ? Autrement la dispense de résider au
chef-lieu qui est transitoirement accordée, par la loi, aux titulaires actuels
non résidants, deviendrait en quelque sorte illusoire.
Si
vous obligez à venir au chef-lieu, pour rendre la justice, le juge de paix qui
aura été autorisé à ne pas résider au chef-lieu, n'est-ce pas lui retirer en
partie d'une main ce que vous lui donnez de l'autre ?
Je ne verrais toutefois
pas d'inconvénient à un amendement dans le sens indiqué par l'honorable M.
Verhaegen, du moins en ce qui concerne l'administration de la justice ; mais la
faveur que je voulais accorder aux quarante-trois juges de paix qui ne résident
pas au chef-lieu sera moins complète.
Mais je reconnais qu'en
principe l'honorable M. Verhaegen a raison.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne crois pas qu'on
ait rencontré l'observation principale que j'ai eu l'honneur de présenter à la
chambre : c'est que dans la plupart de nos cantons ruraux, il n'y a pas de
local au chef-lieu pour loger le juge de paix qui serait nommé, et dès lors la
loi aboutirait à une impossibilité. Il y a une foule de chefs-lieux de cantons
ruraux qui ne sont que de très petits villages ; lorsque vous aurez exigé
impérieusement d'un juge de paix qu'il aille résider dans un de ces petits
villages et qu'il ne trouve pas à s'y loger, que ferez-vous alors ? Dans une
multitude de circonstances, je le répète, la loi sera impossible. Toute la
Belgique ne se compose pas de grands villages semblables à ceux qu'on trouve
dans l'arrondissement de l'honorable M. de Saegher.
Qu'est-ce que mes
honorables contradicteurs m'ont répondu ? Il y a (page 719) aujourd'hui, ont-ils dit, un grand nombre de juges de
paix qui n'habitent pas le chef-lieu du canton, et qui par l'article 6 (si je
ne me trompe), obtiendront la faculté de continuer à résider dans la commune où
ils sont placés maintenant.
Mais que faut-il conclure
de cette observation ? C'est que jusqu'aujourd'hui on a été dans
l'impossibilité dans une foule de chefs-lieux de canton de trouver un logement
pour le juge de paix ; est-ce en présence de cette impossibilité matérielle que
vous voulez exiger, des juges de paix qui sont nommés, qu'ils viennent résider
dans le chef-lieu du canton ?
L'honorable M. Verhaegen
a fait une observation judicieuse : « II faut, a-t-il dit, que les juges de
paix rendent justice au chef-lieu du canton. »
Voilà tout ce qu'on peut
exiger du juge de paix. Qu'il habite ou qu'il n'habite pas le chef-lieu du
canton, cela importe peu à l'administration de la justice.
On dit qu'il y aura une
grande distance entre le juge de paix et le greffier.
Cela est une pure
supposition. Remarquez, d'ailleurs, que dans les cantons ruraux, l'apposition
des scellés ne se fait pas avec la même rapidité que dans les villes.
Voyez combien on tombe
dans l'absurde ?
Dans une ville d'une
grande étendue, à Liège, par exemple, on n'exigera pas que le juge de paix
réside dans le canton, il pourra résider dans un autre canton, à une lieue ou à
deux lieues peut-être de distance. Et cependant là les locaux ne manquent pas !
Eh bien ! là vous accordez faveur, tandis que la défaveur est pour les cantons
ruraux, où il y a presque toujours impossibilité pour le juge de paix à trouver
un logement.
Cela a été si bien
compris sous le gouvernement des Pays-Bas, que dans la loi d'organisation
judiciaire du royaume des Pays-Bas du mois d'août 1827, l'article 34 était
conçu en ces termes :
«
Le juge du canton et les assesseurs devront avoir leur domicile dans le canton,
et seront tenus d'avoir leurs audiences au chef-lieu du ressort où le greffier
sera tenu de résider. »
C'est une excellente
disposition qui me paraît de nature à être accueillie par la chambre ; je
propose à la chambre de l'adopter. J'ajouterai que cet article est complètement
dans l'intérêt de l'avenir : le passé vous en est un sûr garant, car si dans le
passé on a été obligé d'accorder un domicile à un grand nombre de juges de paix
en dehors du chef-lieu du canton, il est évident qu'une pareille chose se
présentera dans l'avenir, et qu'il ne faut pas se priver du moyen de pourvoir à
ce besoin.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, le seul argument de l'honorable M. Dumortier
est celui-ci : Il y a plusieurs communes dans lesquelles il n'existe pas
d'habitation convenable pour le juge de paix. S'il en était ainsi, il en
résulterait uniquement que les chefs-lieux sont mal placés, et qu'il y a lieu
de recourir à la loi pour les changer ; mais il n'en résulterait pas qu'il faut
renoncer à une disposition qui obligerait les juges de paix à résider dans les chefs-lieux de canton.
Cette observation de
l'honorable membre ne me paraît pas de nature à devoir nous engager à
abandonner d'une manière absolue un principe que je considère comme salutaire
dans l'intérêt bien entendu des justiciables.
L'honorable M. Dumortier
nous dit : Ce qui est important, c'est que le juge de paix rende la justice au
chef-lieu du canton.
Oui, cela est très
important, et c'est un des buts que nous voulons atteindre en obligeant les
juges de paix à la résidence au chef-lieu.
Mais les fonctions du
juge de paix ne se bornent pas à rendre la justice ; il en a encore d'autres à
remplir qui constituent même une des parties les plus importantes de sa
mission.
Ainsi, comme l'a fort
bien dit l'honorable M. de Saegher, lorsqu'il s'agira d'une mise de scellés,
lorsqu'il s'agira d'un conseil de famille, d'un avis à demander, faudra-t-il
que les justiciables aillent courir à deux ou trois lieues pour trouver le
magistrat que la loi leur assigne ? Mais ce serait en quelque sorte manquer le
but de l'institution de ces magistrats conciliateurs ! Nous devons chercher à
placer les juges de paix en quelque sorte au milieu des personnes sur
lesquelles il peut exercer sa salutaire influence, le système de l'honorable M.
Dumortier pourrait avoir pour résultat de diminuer les rapports des juges de
paix avec les habitants de leur canton.
L'honorable M. Dumortier
ne s'est préoccupé que d'un inconvénient possible, celui que dans quelques
communes, les juges de paix ne trouvent pas à se loger convenablement. Mais
l'honorable membre reconnaîtra, sans doute, que les inconvénients qui
résulteraient de son système sont bien plus graves, puisqu'il permet au juge de
paix d'aller se fixer à l'extrémité du canton, loin du centre de la population.
J'ai encore signalé, dans
le système de l'honorable M. Dumortier, un autre inconvénient : on permettait
au juge de paix d'habiter une commune quelconque autre que celle où devrait de
droit résider le greffier ; ils habiteraient donc nécessairement deux communes
différentes ? Cette dernière considération me semble fournir un nouveau motif
pour ne pas adopter la disposition contenue dans le projet de loi auquel
l'honorable M. Dumortier avait fait allusion.
L'honorable M. Dumortier
a cru trouver une inconséquence dans le système que je soutiens. Dans les
grandes villes, a-t-il dit, vous permettez au juge de paix d'habiter un canton
qui n'est pas le sien ; et dans les cantons ruraux, vous lui refuserez la
permission d'habiter, dans le même canton, une commune autre que celle du
chef-lieu ? Rien, dit l'honorable membre, ne justifie cette faveur
exceptionnelle, car dans les villes on peut toujours se loger dans le canton
même où l’on doit exercer ses fonctions. Je répondrai à l'honorable membre que
l'inconvénient qui résulte de la non-résidence du juge de paix au chef-lieu
dans un canton rural n'existe pas dans les villes, où la population est
tellement agglomérée que le juge de paix, quelle que soit la rue qu'il habile,
n'est jamais très éloigné des personnes qui doivent s'adresser à lui ; mais il
n'en est pas de même dans un canton rural un peu étendu.
Les
juges de paix dans une ville même divisée en divers cantons n'ont qu'un même
local pour rendre la justice ; quelques-uns d'entre eux sont forcés de sortir
de leur canton pour remplir leur mission, dès lors on conçoit une certaine
tolérance pour le quartier à habiter.
Un honorable membre a
cité avec raison les cantons voisins de Bruxelles. Les faubourgs de la capitale
appartiennent à des cantons ruraux ; eh bien, les juges de paix peuvent habiter
ces faubourgs, se loger à la porte de la ville, et alors, je vous le demande,
ne sont-ils pas plutôt habitants de Bruxelles que de leur canton ? S'ils
habitaient le chef-lieu, ils seraient bien plus en rapport avec les habitants
du canton, ils se feraient connaître davantage de leurs justiciables et
seraient plus à même de rendre les services qu'on est en droit d'attendre des
juges de paix.
M. de Saegher. - Je viens appuyer l'amendement de
l'honorable M. Verhaegen. (Interruption.)
Messieurs, je vous prie de me prêter encore un moment d'attention. La loi dont
il s'agit a une très grande portée, pour les campagnes surtout. Je viens donc appuyer
l'amendement de l'honorable M. Verhaegen tendant à ce que les juges de paix
soient obligés de tenir leurs audiences au chef-lieu du canton. Aux motifs qu'a
fait valoir l'honorable membre, j'en ajouterai un autre. Si ma mémoire est
fidèle, il y a dissentiment sur l'interprétation à donner à l'article 8 du Code
de procédure. Plusieurs auteurs prétendent, quant aux audiences que le juge de
paix est autorisé à tenir chez lui, que cela ne peut s'entendre que des
audiences des juges de paix qui demeurent au chef-lieu du canton ; d'autres
prétendent que cette restriction n'existe pas. Eh bien, je crois qu'il importe
de faire cesser ce doute en ajoutant à la loi une disposition expresse quant au
lieu où doivent se tenir les audiences. J'adopte d'ailleurs les autres motifs
développés par l'honorable M. Verhaegen.
M. le ministre de la
justice a objecté : Si vous admettez cette proposition, vous allez retirer aux
juges de paix le bénéfice qui leur est accordé par l'article 4 du projet. Je
crois qu'il n'en est pas ainsi .Je crois qu'en général les juges de paix
tiennent leurs audiences au chef-lieu et que ce n'est qu'exceptionnellement
qu'ils tiennent leurs audiences dans leur maison.
II y a là encore un grand
inconvénient, c'est que pour ces audiences exceptionnelles il n'y a pas de
publicité réelle ; le public n'assiste pas à ces audiences ; souvent elles ne
sont connues de personne. Sous ce rapport encore je crois qu'il est utile
d'adopter l'amendement de M. Verhaegen.
L'honorable M. Dumortier vous a dit qu'il y aurait
impossibilité d'exécuter la loi, à cause de la difficulté pour les juges de
paix de se procurer un domicile au chef-lieu de canton. Mais remarquez bien,
messieurs, que la loi n'est faite que pour l'avenir ; les juges de paix actuels
pourront continuer à résider là où ils se trouvent. N'oublions pas, en ce qui
concerne les juges qui seront nommés dans la suite, que lorsqu'un fonctionnaire
public est nommé, ce n'est que sous la condition tacite qu'il aura son domicile
dans la localité où il exercera principalement ses fonctions. Je ne comprends
pas pourquoi on ferait une exception pour les juges de paix, pour ceux-là même
que par la nature de leurs fonctions sont obligés de résider non seulement dans
le canton, mais au centre du canton. En effet, ces fonctionnaires sont
principalement institués pour opérer des conciliations. Pour concilier, il faut
inspirer de la confiance aux justiciables, et pour inspirer de la confiance aux
justiciables, il faut habiter avec eux et avoir eu des relations fréquentes avec
eux.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je prends la parole pour faire une simple observation.
L'amendement proposé par M. Fleussu, et le mien, doivent se trouver à l'article
3: il faudrait les voter avant d'aborder les autres articles.
M. Vanden
Eynde. - M. le
ministre de la justice vient de proposer un amendement d'après lequel une
chambre de la cour d'appel réunie en chambre du conseil statuerait sur le sort
du juge de paix qui ne résiderait pas dans le chef-lieu.
Cette disposition, telle
que la propose M. le ministre, est contraire à une disposition formelle de la
Constitution. L'article 100 porte : qu'aucun juge ne peut être prive de sa
place ni suspendu que par un jugement.
L'article 97 porte : Tout
jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique.
Si vous admettez que la
section de la cour doit procéder sur la demande du ministère public, en la
chambre du conseil vous ne pouvez cependant décider que l'arrêt y soit prononcé,
puisque tout jugement doit être prononcé en audience publique ; l'amendement
n'est donc pas acceptable.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Quand la loi de 1845 a été votée,
on n'a pas eu ces scrupules, car une disposition de cette loi porte que la cour
en assemblée générale et en chambre du conseil statuera sur la question de
savoir si un magistrat peut ou non continuer à remplir ses fondions. La
question a été débattue alors, et l'on n'a pas pensé qu'il résultât une
violation de la Constitution de la solution donnée par la loi de 1845. La
Constitution a voulu une décision judiciaire pour (page 720) empêcher l'arbitraire et donner pleine garantie à la
magistrature. Une décision rendue en chambre du conseil ne diminue pas cette
garantie, et ne perd pas le caractère de décision judiciaire. Du reste, si on
désire que décision soit rendue en séance publique, je ne m'y oppose pas.
M. Vanden Eynde. - L'amendement doit nécessairement
être changé. Il est évident qu'une erreur s'est glissée dans la loi de 1845.
Voici à quelle occasion mon attention a été appelée sur ce point.
Malheureusement la cour d'appel de Bruxelles a eu à connaître d'une mesure de
discipline à l'égard d'un magistrat ; elle l'a fait en la chambre du conseil,
parce qu'il ne s'agissait pas de prononcer la suspension ou la privation de la
place, de sorte qu'elle pouvait traiter cette affaire en la chambre du conseil.
La
question a été soulevée récemment. C'est ce qui fait que l'amendement de M. le
ministre de la justice a fait immédiatement impression sur moi.
Je crois qu'une erreur
s'est glissée dans la loi de 1845. Ce ne peut être un motif pour insérer dans
la loi actuelle une disposition évidemment contraire à la Constitution.
Remarquez d'ailleurs que
la cour peut toujours satisfaire aux convenances en entendant d'abord le
magistrat dans la chambre du conseil, et en prononçant ensuite l'arrêt en
séance publique.
M. de Villegas. - Je ne me lève
pas pour combattre le principe de l'article 2, proposé comme amendement, par M.
le ministre de la justice. Je pense que, dans l'intérêt des justiciables, son
adoption ne peut pas souffrir la moindre difficulté.
Je n'ai demandé la parole
que pour appuyer les observations extrêmement justes qu'un honorable préopinant
a présentées pour combattre la proposition de M. le ministre de la justice,
relativement aux formalités judiciaires à suivre, en cas de contravention à
l'article. 2.
Je crois avec l'honorable
M. Vanden Eynde que, pour maintenir les principes constitutionnels sur
l'inamovibilité des juges, il est nécessaire que le fait de la non-résidence
soit judiciairement constaté, et que l'arrêt soit rendu en séance publique.
Il est vrai que, d'après
la loi du 28 floréal an X, le juge de paix qui ne réside pas dans le canton
sera réputé démissionnaire après sa mise en demeure et qu'il sera pourvu à son
remplacement ; mais il est à remarquer, ainsi qu'il est dit dans un document
parlementaire publié et distribué en 1845, que ces formes si simples qui se
lient au système d'après lequel les fonctions de juge de paix étaient conférées
par voie d'élection, ne peuvent évidemment plus être suivies sous le régime de
la Constitution qui sanctionne l'inamovibilité des juges.
Un
membre. - Un amendement
vient d'être présenté dans le sens de vos observations.
M. de Villegas. - Tant mieux. Si
l'amendement annoncé consacre les garanties constitutionnelles que je viens de
rappeler, je serai satisfait.
M. le président. - M. Fleussu vient de déposer un amendement tendant à
substituer aux mots « devant la cour d'appel » les mots « devant celle des
chambres de la cour d'appel où siège habituellement le premier président. »
M. Fleussu. - C'est appliquer au fait dont il
s'agit les dispositions des lois antérieures, en vertu desquelles toutes les
affaires disciplinaires, concernant des fonctionnaires de l’ordre judiciaire ou
administratif sont portées devant cette section de la cour.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Cela est vrai. Je me rallie à cet amendement.
- L'amendement proposé
par M. Dumortier est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
La chambre adopte
successivement l'amendement proposé par M. de Saegher, et les deux amendements
proposés par M. Fleussu.
En conséquence, l'article
3 est adopte dans les termes suivants :
« Art. 3. Les juges de
paix et leurs greffiers sont tenus de résider au chef-lieu du canton.
« En cas d'infraction à
cette disposition, les juges de paix sont avertis, par lettre chargée à la
poste, soit d'office, soit sur la réquisition du ministère public, par le
président du tribunal de première instance. Faute de s'être conformés à la loi
dans le mois de l'avertissement, ils sont cités par le procureur général,
devant celle des chambres de la cour d'appel où siège habituellement le premier
président, qui les déclare démissionnaires, ou, suivant les circonstances, leur
accorde un nouveau délai, lequel ne pourra excéder trois mois.
« Les pièces de
l'instruction sont adressées dans les huit jours au ministre de la justice. »
Article 4
« Art. 4. Si les
suppléants ne résident pas dans l'une des communes du canton, il est procédé à
leur égard, comme il est dit à l'article précédent. »
- Adopté.
Article 5
« Art. 5. Les juges
de paix et greffiers actuellement en fonctions, qui ne résident pas au
chef-lieu, ne seront tenus d'y transférer leur résidence que dans le cas où ils
quitteraient la commune habitée par eux lors de la publication de la présente
loi. »
M. le
président. - M. Verhaegen a proposé à cet article l'amendement suivant, auquel M.
le ministre de la justice se rallie :
« Néanmoins, les
audiences seront toujours données au chef-lieu. »
- L'article est adopté
avec l'amendement de M. Verhaegen.
« Art.
6. Les fonctions de greffier particulier des tribunaux de simple police sont
supprimées : l'un des greffiers de justice de paix du ressort du tribunal de
simple police remplira, à tour de rôle, ces fonctions.
Néanmoins les greffiers
actuels des tribunaux de simple police sont maintenus dans leurs fonctions.
« Mais il ne sera pas
pourvu aux places qui deviendront vacantes. »
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je n'ai qu'une seule observation à faire
relativement à cet article. Je l'ai introduit dans la loi pour légaliser ce qui
existe.
On n'a plus nommé depuis
longtemps des greffiers particuliers près des tribunaux de simple police, et on
a admis que les greffiers des justices de paix rempliraient leurs fonctions.
J'ai pensé qu'il était
convenable de légaliser ce qui se passait depuis longtemps.
M. Henot. - Messieurs, il me paraît que
l'article 6 contient un véritable pléonasme. Quand on a déclaré que les
fonctions de greffier particulier des tribunaux de simple police sont
supprimées, il est inutile de dire qu'il ne sera pas pourvu aux places qui
deviendront vacantes. Je demande donc que les mots : « Mais il ne sera pas
pourvu aux places qui deviendront vacantes, » soient supprimés.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - L'observation est juste ; je me rallie à cette
proposition.
- L'article modifié,
comme le propose M. Henot, est adopté.
Le vote définitif du
projet est renvoyé à samedi.
La séance est levée à 4
heures et demie.