Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 18 décembre 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 327) M. A. Dubus procède à l’appel nominal à 1 heure.

- La séance est ouverte.

M. Van Cutsem lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les employés douaniers de la brigade de Strée prient la chambre d’améliorer leur position. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Coppyn, notaire à Bruxelles, présente des observations contre une pétition adressée à la chambre en faveur du système du ressort uniforme des notaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur le notariat.


« Plusieurs anciens membres du gouvernement provisoire, des sénateurs, des magistrats, des généraux, des membres du conseil provincial du Brabant, des membres de l’administration communale de Jodoigne et un grand nombre de propriétaires, prient la chambre de faire obtenir au major honoraire Boine le grade de major effectif et la mise en disponibilité au traitement de ce grade. »

M. Rogier appelle l’attention de la chambre et du gouvernement sur la pétition dont M. le secrétaire vient de présenter l’analyse.

Cette pétition est relative au major honoraire Boine ; elle est appuyée de la recommandation d’une foule de citoyens qui ont joué un rôle actif dans notre révolution et qui ont pu apprécier les services rendus par ce patriote.

Le major Boine jouit aujourd’hui d’un titre purement honorifique ; il aurait pu, comme beaucoup d’autres, jouir d’un emploi effectif ; mais par un désintéressement bien rare, it s’est refusé à solliciter, même à accepter un grade effectif dans l’armée, grade qui lui aurait fait une position tout autre que celle où il se trouve aujourd’hui.

Je sais qu’en principe il ne sied pas aux membres de cette chambre de se porter ici défenseurs d’intérêts personnels ; mais la situation du major Boine est telle, ses antécédents sont si honorables, les services qu’il a rendus sont tellement incontestables, ceux qui l’appuient jouissent d’une telle autorité dans le pays, que je crois que cette pétition doit mériter en quelque sorte une exception.

C’est pour ces motifs que je prie la commission d’apporter à l’examen de cette pétition des dispositions favorables et de nous présenter ses conclusions le plus tôt possible. Quand elles seront présentées, j’espère que la chambre s’associera à quelques-uns de nous pour engager le gouvernement à faire en faveur du major Boine tout ce qui scia possible.

M. Mercier. - Je me joins à l’honorable député d’Anvers pour inviter la commission des pétitions à faire un prompt rapport sur la pétition du major Boine ; quand ce rapport sera fait, je me réserve d’entrer dans quelques considérations en faveur du patriote qui a adressé cette requête à la chambre.

- La pétition est renvoyée à la commission avec invitation de faire nu très prompt rapport.


M. de Mérode, retenu par une indisposition, s’excuse de ne pouvoir assister à la séance de ce jour, où il aurait désiré appeler l’attention de la chambre sur la pétition du major honoraire Boine de Jodoigne, dont la position est très spécialement digne d’intérêt.

- Pris pour information.


M. le ministre de la justice adresse à la chambre des explications sur la pétition des communes usagères de la gruerie d’Arlon.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. le ministre de l’intérieur adresse à la chambre soixante exemplaires du rapport de la députation permanente du Luxembourg sur le défrichement des bruyères.

- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les membres présents.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à rectifier la limite frontière au point de contact des communes belge et française de Sugny et de Donchery

Rapport de la commission

M. Zoude, rapporteur. - J’ai l’honneur de présenter le rapport de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des communes de Sugny et Donchéry.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera ultérieurement fixé.

Motion d'ordre

Octrois communaux de Bruxelles

M. de Brouckere.- Messieurs, le conseil communal de Bruxelles a adressé à la chambre une réclamation contre une décision du gouvernement, décision qui avait pour objet de mettre obstacle à l’exécution d’une résolution du conseil communal qui augmentait les droits d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères. Cette pétition a été renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport. Il est indispensable que le rapport soit fait avant le 1er janvier, puisque c’est au 1er janvier que la décision doit être définitive sur cette matière.

Je crois que la commission s’est occupée de cet objet ; je désirerais savoir si nous pourrons avoir prochainement son rapport.

M. Orban. - La commission des pétitions s’est réunie hier, et comme une résolution doit être prise avant le 1er janvier sur la pétition du conseil communal de Bruxelles, la commission m’a chargé de présenter son rapport à la chambre. J’ai l’honneur de le déposer sur le bureau.

M. de Brouckere. - Quelles sont les conclusions ?

M. Orban. - Le renvoi aux ministres des affaires étrangères et des finances.

M. de Brouckere. - Dans quel sens ?

M. Orban. - Dans un sens favorable à la pétition.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution du rapport.

M. de Brouckere. - Je demande que la discussion de ce rapport soit mise à l’ordre du jour. C’est extrêmement urgent, puisque le tarif doit être mis à l’ordre du jour le 1er janvier. Je demande la mise à l’ordre du jour après la discussion du budget de l’intérieur.

M. Mercier. - Il conviendrait mieux, ce me semble, de ne mettre ce rapport à l’ordre du jour qu’après que nous en aurons eu connaissance. Le gouvernement pourra faire connaître ses intentions ; ce qui abrégerait beaucoup la discussion. Mais nous ne pouvons, je le répète, mettre à l’ordre du jour un rapport que nous ne connaissons pas.

M. de Brouckere. - Je ne comprends pas l’objection.

M. Orban. - On pourrait s’occuper de ce rapport dans la discussion du budget de l’intérieur ; déjà plusieurs fois, dans cette discussion on a parlé des taxes communales.

M. de Brouckere. - Soit ; nous amènerons la discussion sur l’objet de ce rapport.

M. le président. - La chambre statuera ultérieurement sur la mise à l’ordre du jour de ce rapport.

Projet de loi portant le budget des dotations de l'exercice 1847

Vote sur l'ensemble du projet

M. le président. - Par message en date du 17 décembre le sénat informe la chambre qu’il pétitionne pour ses dépenses de l’exercice 1847, le chiffre de 30,000 fr. comme les années précédentes.

En conséquence, je proposerai à la chambre de procéder au vote sur l’ensemble du budget des dotations, qui a été suspendu jusqu’à ce que le sénat eût fait connaître le chiffre de l’article qui le concerne. (Adhésion.)


L’article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« Art. unique. Le budget des dotations est fixé, pour l’exercice 1847, à la somme de 3,338,672 fr. 75 c., conformément au tableau ci-annexé. »

M. Osy. - Dans la discussion de ce budget, j’ai eu l’honneur de faire une proposition qui a été renvoyée à une commission. Cette commission n’a pas encore fait son rapport. Mais il est entendu, je pense, qu’il n’y a rien de préjugé sur ma proposition.

M. le président. - Cette réserve a déjà été faite par M. de Brouckere. La question reste entière.

M. Lebeau. - Je voudrais adresser une interpellation à M. le ministre des finances ; je regrette qu’il ne soit pas présent.

Plusieurs membres. – Il est au sénat.

M. Lebeau. - Je voudrais savoir où en est la question des toelagen et des traitements d’attente. Je prie MM. les ministres de faire part de mon interpellation à leur collègue des finances. Nous ne savons pas la résolution qu’a prise à ce sujet le gouvernement. Il y a de nombreux intéressés ; tout au moins leur doit-on de prendre une décision. Se renfermer dans le silence serait commettre à leur égard un déni de justice.

Le devancier de M. le ministre des finances avait présenté un projet de loi où les droits des intéressés étaient complétement reconnus.

Ce projet a été soutenu par l’ancien ministre, et à la suite d’un vote, il s’est réservé d’examiner la question ; mais nous ne savons pas le résultat de cet examen.

Je me borne à prier MM. les ministres de porter mon observation à la connaissance de leur collègue.


- Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget, qui est adopté à l’unanimité des 51 membres présents.

Ces membres sont : MM. Brabant, Cans, Clep, Coppieters, d’Anethan, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Lannoy, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, Donny, Dubus (Albéric), Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lange, Lebeau , Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Mercier, Nothomb, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Zoude et Biebuyck.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1847

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l’honorable M. Verhaegen a attaqué hier l’administration des fondations des bourses d’étude. L’honorable membre a rattaché indûment cette question à la discussion du budget de l’intérieur. L’administration des fondations des bourses d’étude appartient au département de la justice.

Je suis à même de répondre dès à présent aux observations qui ont été faites relativement à cette administration par l’honorable M. Verhaegen ; mais comme cet honorable membre a annoncé l’intention de faire encore différentes observations relativement à cette même administration, je pense qu’il sera convenable, et la chambre partagera sans doute cette opinion, de remettre la réponse que j’ai à faire à la discussion de mon budget.

M. Delfosse. - Messieurs, mon intention n’était pas de parler dans la discussion générale du budget de l’intérieur.

Mais le discours que M. de Theux a prononcé hier, à la fin de la séance, me force à dire quelques mots.

Le ministère, messieurs, a quelquefois beau jeu dans les discussions. Il y a des choses que tout le monde sait, que tout le monde sent et qu’il est extrêmement difficile de prouver.

Que certains journalistes soient subsidiés directement ou indirectement pour prôner les actes ministériels !

Que M. de Theux ait des rapports intimes avec le haut clergé, dont il est le très humble serviteur !

Que les emplois soient donnés par esprit de parti et non en vue des services rendus ou à rendre au pays !

C’est ce que peu de personnes ignorent, c’est ce dont peu de personnes doutent ; mais quand l’opposition vient dans cette enceinte dire ces choses-là, dont elle est moralement sûre, le ministère lui ferme la bouche par une dénégation. « Je ne me souviens pas. Il n’en est rien. » Telle est la réponse facile de MM. les ministres.

L’opposition n’a pas ses entrées dans le cabinet de MM. les ministres ; elle n’assiste pas à leurs conférences avec certains rédacteurs de journaux, avec certains membres du haut clergé ; elle n’est pas dans le secret des résolutions qu’on y prend. Elle ne peut donc fournir la preuve directe de ce qu’elle avance. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de signaler les actes qui portent à croire que les choses se passent comme elle le dit.

Et ici se présente encore une difficulté : c’est surtout par les nominations aux emplois que le ministère montre sa condescendance pour le haut clergé et qu’il récompense ceux qui le servent bien ; et vous savez, messieurs, que bien servir le ministère ce n’est pas toujours bien servir l’Etat. Quand le ministère est attaqué sur ces nominations, il répond qu’il a choisi ceux qui lui ont paru les plus capables et les plus dignes, et alors l’opposition n’a plus grand-chose à dire : elle devrait, pour motiver ses reproches, produire une foule de pièces qu’elle n’a pas toujours à sa disposition et que vous ne consentiriez peut-être pas à laisser lire ; les questions de personnes sont très délicates, et tous les noms ne sont pas aussi significatifs que celui de Retsin.

Heureusement pour l’opposition, que le public est doué d’un merveilleux instinct pour découvrir la vérité à travers les voiles, plus ou moins épais, dont on l’enveloppe, et pour saisir les motifs secrets qui font agir les ministres. Il arrive très souvent que quand M. de Theux dit : « Il n’en est rien », le pays répond : « Il en est quelque chose ».

C’est là ce qui doit consoler l’honorable M. Verhaegen des murmures et des rires qui ont accueilli hier son discours, sur les bancs de la droite, et du brillant succès que M. de Theux a obtenu sur les mêmes bancs.

Si notre estimable collègue a eu quelque tort, et je suis trop son ami pour lui cacher la vérité, c’est d’avoir encore cherché à démontrer que M. de Theux est l’instrument servile du haut clergé.

Il y a des choses qui ne se démontrent pas, il y en a qui ne se démontrent plus.

On ne démontre pas que le soleil luit.

On ne démontre pas que le reptile rampe.

On ne démontre plus que Tartufe est une excellente comédie.

On ne démontre plus ce que l’honorable M. Verhaegen cherchait hier à démontrer.

Le dévouement, la soumission de M. de Theux au haut clergé est un fait désormais acquis, c’est un fait de notoriété publique. M. de Theux est un type et il le restera.

Je pourrais aussi vous citer des actes qui portent le même cachet que ceux dont l’honorable M. Verhaegen nous a entretenus.

Je pourrais vous dire, par exemple : Il existe en Belgique un homme, ne manquant pas de science, mais dépourvu de jugement, qui avait une position honnête, et qui la perdit pour avoir déplu à un évêque.

Cet homme, se trouvant sans ressources avec une nombreuse famille, se mit sur les rangs pour être appariteur dans l’une de nos universités ; il échoua.

Eh bien ! quelque temps après, cet homme a été nommé professeur à l’université même où il n’avait pu obtenir un emploi subalterne.

Savez-vous pourquoi, messieurs ? C’est qu’il avait adressé à l’évêque ses protestations de repentir les plus humbles c’est qu’il l’avait supplié en quelque sorte à genoux d’oublier le passé. Ces protestations, ces supplications se trouvent dans un ouvrage imprimé ; je les ai lues, et je me suis demandé, en les lisant, comment l’homme pouvait abaisser à ce point sa dignité !

Que M. de Theux vienne après cela nous vanter sa sollicitude pour les universités de l’Etat !

Je pourrais vous parler des bourgmestres qu’on aurait dû révoquer depuis longtemps pour cause de négligence grave, très grave même, et qui sont au contraire en faveur ; on sait pourquoi.

Je pourrais vous prouver, par des pièces authentiques, la vérité de l’accusation articulée hier par l’honorable M. Verhaegen, contre un bourgmestre qu’on maintient en fonction, bien qu’il ait falsifié, falsifié, entendez-vous ! des listes électorales.

Je pourrais vous parler d’autres choses encore non moins significatives, mais à quoi bon quelques faits isolés pour démontrer ce que toute la vie de M. de Theux démontre, ce que le pays tout entier connaît ? Je le répète, M. de Theux est un type et il le restera.

M. le ministre de l’intérieur s’est expliqué hier franchement, du moins je le crois, sur le projet qu’on lui avait attribué, de fractionner les collèges électoraux. Je ne rechercherai pas si la nature des explications qui nous ont été données n’aurait pas pour cause un obstacle insurmontable qu’on aurait rencontré dans les hautes régions du pouvoir ; je me bornerai à exprimer le regret qu’on ait attendu, pour donner ces explications, les interpellations de l’honorable M. Verhaegen. Le ministère a bien des fois démenti par le Moniteur des bruits qui avaient moins de gravité et qui étaient moins inquiétants.

Quand je dis « inquiétants », ce n’est pas que l’opposition redoute pour elle les conséquences qu’un tel projet pourrait avoir ; elle a au contraire la conviction qu’il serait fatal à ses auteurs. Mais l’opposition en redoute les conséquences pour le pays. Ce projet, s’il est mis à exécution, rapetisserait la représentation nationale ; il y ferait trop prévaloir de mesquins intérêts de localité ; il contribuerait à étendre la corruption.

Si un jour on touche à la loi électorale, et j’espère qu’on y touchera, ce devra être pour donner une satisfaction légitime à cette opinion sagement progressive qui proclame qu’il est, en dehors des collèges électoraux, une foule de citoyens dignes d’y entrer et par leur intelligence et par l’intérêt qu’ils ont au maintien de l’ordre.

Je n’ai pas besoin de dire, messieurs, que ce n’est pas de la chambre actuelle que j’attends cette grande et salutaire réforme.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant me considère comme un type. Il peut être bien convaincu que mon intention est de ne rien changer au type, si type il y a.

L’honorable membre trouve que la position du gouvernement vis-à-vis de l’opposition est facile : il n’a qu’à se renfermer dans des dénégations ! Pour nous, nous trouvons que la position d’un orateur de l’opposition est beaucoup plus facile ; ses attaques sont préparées de longue main, et le ministère est obligé d’y répondre à l’instant même, sous peine de passer, devant quelques-uns de ses adversaires, pour convaincu des faits qui lui sont imputés.

Nous ne nous sommes pas borné à répondre d’une manière vague, par de simples dénégations, nous avons répondu par des faits précis que personne ne saurait réfuter, nous prenons acte de l’aveu de l’honorable membre, que les attaques dont nous avons été l’objet hier, étaient dénudes de preuve.

M. Delfosse. - Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cela résulte clairement du discours de l’honorable membre.

Si nous avons eu le bonheur de répondre à l’honorable M. Verhaegen, quoique pris complétement à l’improviste, quoique n’ayant eu aucun indice du genre d’attaque auquel nous pourrions être en butte, c’est une preuve de plus que ces faits étaient complétement dénués de fondement. Dans la séance d’aujourd’hui nous disons à l’avance que, quels que soient les discours que nous puissions encore entendre, nous sommes décidé à n’y faire que de très courtes réponses, d’abord parce que tout a été dit dans des discussions solennelles antérieures ; en second lieu, je me sens trop indisposé, à tel point que je n’aurais peut-être pas dû assister à la séance d’aujourd’hui.

M. Delfosse. - Si je l’avais su, je n’aurais pas pris la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne vous en fais pas un reproche.

L’honorable membre a parlé de la nomination d’un professeur à l’université de Liége. Je regrette qu’il ait mis de côté une générosité de sentiment dont il a donné des preuves dans une autre circonstance ; il vous a dit que ce professeur, chargé d’une nombreuse famille, dénué de moyens d’existence, avait été obligé de solliciter un emploi inférieur.

Il n’a pas dénié les connaissances de ce professeur, mais il a cru que nous nous étions déterminé à le nommer, par suite d’une amende honorable que ce professeur aurait faite auprès de l’évêque de Liége. Nous le déclarons sur l’honneur, nous ignorons que ce professeur eût déplu à son évêque et fût remis en grâce avec lui.

Voilà l’exacte vérité.

Il y a un honorable membre qui m’a toujours signalé ce professeur comme un homme du plus haut mérite. M. Nothomb s’est intéressé particulièrement à lui. Je dis que ce professeur passe encore pour un des plus instruits de l’université, et qu’il forme de bons élèves.

M. Fleussu. - Il n’a pas d’élèves !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il a été nominé pour un cours qui n’est pas obligatoire, et qui, d’ordinaire, est peu fréquenté ; mais je puis dire qu’il donne des répétitions, et que ceux à qui il en a donné, ont très heureusement passé leurs examens. J’avais perdu cela de vue, c’est en entendant les observations de l’honorable membre que je me suis rappelé une conversation que j’ai eue, il y a très peu de semaines, avec une personne habitant Liége, qui est très à même de connaître la vérité des faits.

L’honorable membre a parlé d’un bourgmestre qu’il a qualifié de faussaire. Je ne dirai pas que ce bourgmestre ait fait l’objet d’une instruction ; car jamais les soupçons ne se sont portés sur lui. Mais cette affaire a fait l’objet d’une double instruction (administrative et judiciaire). De cette double investigation, où rien n’a été épargné, il est résulté qu’il n’y avait pas matière à poursuite.

Après cela, je ne pense pas qu’il puisse être permis à un député de prononcer une condamnation dans cette chambre. Lorsque l’administration publique et l’autorité judiciaire n’ont pas jugé à propos de donner suite à une instruction, on oserait venir à cette tribune prononcer nue condamnation ? Mais où allons-nous ? Il n’y a donc plus de justice ? Ce ne seraient plus les tribunaux, c’est un membre de cette chambre qui viendrait prononcer sur la culpabilité !

M. Delfosse. - J’ai parlé d’après des pièces authentiques.

M. Vanden Eynde. - Cela n’est exact ; toutes les pièces de cette affaire me sont passées sous les yeux.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Mais cette accusation résultât-elle de pièces authentiques, ce n’est pas le fonctionnaire qu’il faudrait accuser, c’est l’autorité judiciaire qui n’aurait pas donné suite au procès.

Je dis que ce sont là des accusations indignes.

En répondant hier aux nombreux griefs de l’honorable M. Verhaegen, je me suis aperçu d’une lacune. L’honorable membre m’a accusé d’avoir autorisé des milliers de couvents. La vérité est que je n’ai autorisé aucun couvent, parce que le gouvernement n’a pas, à cet égard, d’autorisation à donner. Il a voulu parler sans doute de quelques maisons de sœurs hospitalières qui ont été autorisées. Si vous vous rappelez la réponse qu’a faite à ce sujet à M. Verhaegen M. le ministre des finances, vous aurez vu combien peu de ces établissements ont été autorisés, depuis 1830, comparativement à ceux qui ont été autorisés sous le gouvernement précédent. Pour ma part, je n’ai eu l’honneur que d’en autoriser un très petit nombre. Mais tous ont été autorisés sur l’avis conforme des autorités communales et provinciales. Toutes les demandes qui m’ont été adressées étaient fortement appuyées par toutes les autorités.

Un autre grief, c’est d’avoir autorisé, en faveur de deux de ces établissements, deux donations que les cours d’appel n’ont pas considérées comme régulières. Si je suis coupable de ce fait, j’ai pour complice l’honorable M. Leclercq qui, étant ministre de la justice, a posé le même fait que moi. Mais je ne me considère pas comme coupable, parce qu’une cour d’appel diffère d’opinion avec moi. L’affaire n’est pas jugée en dernier ressort ; la cour de cassation est appelée à prononcer.

Il m’est déjà arrivé de voir mes opinions, différentes de celles des cours d’appel, triompher plus tard. C’est ainsi que, dans la question de la propriété des anciens cimetières, j’ai, comme ministre, soutenu que les anciens cimetières n’avaient pas changé de maîtres, qu’ils étaient restés la propriété des fabriques d’églises. Après avoir été contestée par les tribunaux, cette opinion est maintenant admise par la cour de cassation.

M. Fleussu. - L’affaire est renvoyée devant la cour de Bruxelles.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - La même chose est arrivée dans d’autres circonstances, où j’ai eu le bonheur de voir triompher mes opinions.

Au reste, souvent, les cours d’appel diffèrent d’opinion ; la cour de cassation peut changer de jurisprudence, sans qu’il y ait pour cela aucun grief à articuler contre un ministre. Il n’y a qu’une chose à voir, c’est si l’acte que le ministre a posé l’a été de bonne foi et consciencieusement.

M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur veut nous faire une position trop difficile pour que nous puissions l’accepter ; il vient se vanter, dans cette enceinte, de sa prétendue sollicitude pour les universités de l’Etat, et il nous accuse de manquer de générosité, quand nous blâmons certaines nominations de professeurs ; à ce compte il faudrait adhérer sans réserve aux éloges immérités que M. le ministre de l’intérieur se décerne à lui-même ; ce serait fort commode !

M. le ministre de l’intérieur m’a reproché, non moins vivement, l’accusation que j’ai articulée contre un bourgmestre de ses amis.

J’ai accusé ce bourgmestre, que je n’ai pas nommé, d’avoir falsifié des listes électorales.

L’honorable M. Verhaegen l’avait dit avant moi et je me suis muni d’une pièce authentique qui prouve le fait.

Le bourgmestre dont il s’agit a déposé devant le juge d’instruction, et l’on trouve dans sa déposition les lignes suivantes :

« Cette liste (la liste des électeurs) a été affichée dans le délai prescrit et, pour autant que je me le rappelle, il n’a pas été fait de réclamation à cette époque.

« Comme sur cette liste figuraient encore des personnes qui ne devaient pas y figurer, après l’affichage, le collège les a biffés.

« Environ quinze jours avant les élections, ayant demandé après la liste au secrétaire ou à son fils, on me répondit qu’on ne la trouvait plus. Je fis des perquisitions qui furent inutiles, et comme on avait négligé de faire un double de cette liste arrêtée par le collège, ou au moins comme je n’en ai pas trouvé, j’en ai fait une nouvelle, en me servant de celle de 1844, qui avait servi à confectionner la liste égarée et en me servant des notes au crayon qui s’y trouvaient pour les reproduire exactement, et c’est sur cette liste ainsi refaite que les élections ont en lieu le 28 octobre 1845. »

Comment trouvez-vous, messieurs, un bourgmestre qui biffe des noms d’une liste électorale qui a été régulièrement affichée et contre laquelle il n’est pas intervenu de réclamation ? Un bourgmestre qui, alors qu’une liste se trouve égarée, en fait une nouvelle de son autorité privée, et l’affiche, sans prévenir personne, comme si c’était la vraie liste, la liste originale.

S’il n’y a pas dans ces faits falsification de listes électorales, il n’y aura jamais falsification. Ce n’est pas moi qui accuse le bourgmestre, c’est le bourgmestre qui s’accuse lui-même.

Il est bien vrai que l’autorité judiciaire a décidé qu’il n’y avait pas lieu à suivre contre ce bourgmestre. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve seulement qu’on n’a pas trouvé, dans ces faits, le crime de faux, prévu par le Code pénal.

Mais cette falsification en est-elle moins blâmable, et un bourgmestre qui se l’est permise, devrait-il être maintenu dans ses fonctions ?

Sous tout autre que M. de Theux, cette question n’en serait pas une.

J’ai usé de mon droit et rempli un devoir, en signalant des faits graves qui résultent de pièces authentiques.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il est certain que le mot « faussaire » se prend toujours en mauvaise part. L’honorable membre l’a bien compris ainsi, puisqu’il a provoqué la destitution de ce fonctionnaire. Je dis qu’après les résultats des enquêtes administrative et judiciaire, il n’y avait pas lieu de prendre cette mesure. Je dis que les attaques de l’honorable membre sont parfaitement déplacées, pour ne rien dire de plus.

M. Delfosse. - Et moi je persiste à dire qu’elles sont parfaitement justifiées par des pièces authentiques.

M. Rogier. - La déclaration que M. le ministre de l’intérieur vient de faire doit nécessairement restreindre le débat ; car nous nous devons des égards réciproques, et quoique nous siégions sur des bancs opposés, jamais nous ne voudrions placer les ministres dans une situation qui pût porter préjudice à leur santé.

Je restreindrai donc autant que possible mes observations, et je tâcherai d’y mettre de la réserve, de manière que M. le ministre de l’intérieur, s’il juge convenable d’y répondre, ne soit pas entraîné trop loin. Du reste, le cabinet est homogène, et peut-être M. le ministre des affaires étrangères sera-t-il en mesure, à défaut de son collègue, de prendre la parole.

Quoi qu’il en soit, si l’on voulait s’épargner les embarras ou l’ennui des répliques aux orateurs de l’opposition, il y aurait eu d’abord un premier moyen à employer : c’eût été de ne pas se livrer contre eux à des récriminations, de ne pas prendre l’initiative de l’agression.

Je ne défends pas à M. le ministre de l’intérieur de se décerner à lui-même tous les éloges qu’il voudra ; mais ce que je ne puis pas lui permettre, c’est de le faire aux dépens de ses prédécesseurs et de se laisser entraîner, contre son gré sans doute, à faire violence jusqu’à certain point à la vérité.

Les modifications apportées à la loi communale ont eu un grand retentissement dans le pays. Le moindre défaut qu’on a pu reprocher à ces modifications, c’était leur inutilité au point de vue administratif.

L’opposition a combattu la réforme à la loi communale comme inutile et inopportune. Au point de vue administratif, il n’avait nullement été démontré, en effet, que ces modifications fussent nécessaires. Dès lors l’opposition n’a dû y voir qu’un expédient politique, que les réalisations d’un système qui tendait à dépouiller les communes des prérogatives dont elles avaient joui sans inconvénients pour la chose publique, de les dépouiller, au profit du pouvoir central qui devait faire abus, dans un intérêt tout politique, des nouvelles prérogatives qu’il demandait.

Ces lois ont été qualifiées de réactionnaires, et à ce point de vue nous trouvons qu’elles ont été parfaitement qualifiées. M. le ministre de l’intérieur, qui tient beaucoup à rester conséquent avec lui-même et qui proteste si fortement contre tout reproche de versatilité, M. le ministre de l’intérieur semble prendre à tâche de démontrer que, dans toutes circonstances, il s’est montré beaucoup plus libéral que tous les libéraux. M. le ministre nous a dit : Ces lois réactionnaires, je n’en suis pas l’auteur ; elles ont leur origine première dans le cabinet de 1840, composé de libéraux. J’ai été à cette époque beaucoup plus libéral que M. Liedts. En 1839, une circulaire, tendant à prendre des informations sur la manière dont la loi communale était exécutée, fut proposée à ma signature ; j’ai refusé de signer cette circulaire : mon successeur, M. Liedts, l’a, au contraire, signée. Donc, car voilà la conséquence, donc M. Lieds est l’auteur des lois réactionnaires, et je n’y suis pour rien.

Messieurs, il y a une distinction importante à faire entre la conduite des deux anciens ministres de l’intérieur.

Que, dans les bureaux du ministère de l’intérieur, l’idée soit venue à quelque employé de formuler un projet de circulaire aux gouverneurs de province pour leur demander de quelle manière la loi communale était exécutée ; cela n’a rien d’étonnant, et j’approuve, quant à moi, les fonctionnaires (page 330) publics à qui il vient des idées, sauf à repousser celles qui ne seraient pas bonnes.

M. le ministre de Theux refuse de donner sa signature à cette circulaire ; M. le ministre Liedts donne sa signature.

L’information se fait auprès des gouverneurs ; ceux-ci consultent les commissaires de district ; les avis reviennent, et à l’époque où ces avis sont revenus, M. le ministre Liedts n’était plus en fonctions.

Que vous a dit l’honorable président de la chambre lorsque déjà il été fait allusion à cette circulaire en 1842 ? Il vous a dit qu’il n’avait aucun parti pris quant à la réforme, qu’il attendait le résultat de l’information faite auprès des corps administratifs ; que lorsque ce résultat lui serait parvenu, il examinerait la question ; que si la question lui paraissait suffisamment étudiée, que si la nécessité d’une modification à la loi lui paraissait démontrée, il proposerait au cabinet dont il faisait partie d’en délibérer.

Voilà dans quel état se trouvait la question.

M. le ministre de Theux n’a pas signé la circulaire, mais voici ce qu’il a fait.

Le successeur de l’honorable. M. Liedts a proposé divers projets de loi introduisant des modifications à la loi communale. L’honorable M. de Theux qui avait, à ce qu’il semble, vu de graves inconvénients, de grands dangers à signer une simple circulaire destinée à recueillie quelques renseignements, l’honorable M. de Theux, quand le projet de loi est présenté, n’est plus frappé des mêmes inconvénients, des mêmes dangers. Non seulement il accepte le projet de loi présenté par le successeur de l’honorable M. Liedts, mais il l’aggrave de beaucoup. De telle sorte que c’est avec raison que l’opinion publique a imputé personnellement à M. de Theux les lois qualifiées de réactionnaires. L’honorable M. Nothomb avait demandé pour le gouvernement le droit de choisir les bourgmestres en dehors du conseil, mais de l’avis de la députation permanente.

M. Nothomb. - La députation permanente entendue.

M. Rogier. - La députation permanente entendue ; cela sans doute signifiait quelque chose ; cela signifiait qu’en principe et sauf des exceptions très rares, l’avis de la députation serait suivi. Car si ce n’était pas pour suivre son avis, il ne fallait pas entendre la députation.

Eh bien, l’honorable M. de Theux, rapporteur de la section centrale, lui qui avait reculé devant l’immense responsabilité de donner sa signature à une simple circulaire d’information, M. de Theux trouve que le ministre ne va pas assez loin ; il fait rayer la disposition relative à l’avis de la députation ; il accorde au gouvernement le droit de nommer les bourgmestres en dehors du conseil sans l’avis de la députation.

Ce n’est pas tout, messieurs, cela ne suffisait pas encore à l’honorable M. de Theux, il fallut porter une atteinte beaucoup plus grave et plus essentielle à la loi communale.

Les villes, il faut bien le reconnaître, sont animées d’un esprit libéral. Cet esprit libéral se reflétait dans les conseils communaux ; les villes étaient représentées par des administrations libérales, et cela ne convenait pas à l’opinion contraire.

Que fit-on ? Désespérant de vaincre par les moyens réguliers, par les moyens légaux, par les moyens que la loi mettait également à la disposition des deux opinions, désespérant de vaincre l’opinion libérale avec la loi existante, l’on fit ce qu’ont toujours fait dans tous les pays les partis réactionnaires, on changea la loi, on chercha à donner une autre direction à l’opinion, à la faire entrer dans d’autres voies ; et alors on inventa le fractionnement des collèges communaux. On dit : Puisque l’esprit communal en masse nous est contraire, voyons, essayons si, par hasard, lorsque nous l’aurons fractionnée, il nous sera encore contraire ! On fit cette tentative. Cette tentative n’a pas réussi, parce que l’esprit libéral est l’esprit national des villes, et vous aurez beau fractionner les villes en mille tronçons, toujours ces tronçons se dresseront contre vous, et les villes mutilées vous ont donné et vous donneront toujours des conseillers libéraux, parce que l’esprit qui les anime est profondément libéral. Donc la tentative n’a pas réussi, mais le but de M. le ministre de l’intérieur n’en était pas moins une tentative réactionnaire contre l’esprit libéral des villes. Cela est évident, ou la loi n’avait point de portée.

Ainsi, messieurs, je pense que M. le ministre de l’intérieur a eu tort de faire un grief à son prédécesseur d’avoir signé une circulaire qui avait pour but de prendre de simples informations ; et je le répète, M. le ministre n’a pas, lui, signé cette circulaire, mais il a fait plus, il a proposé un système communal beaucoup moins libéral que celui qui avait été proposé par M. Nothomb, et il a de plus proposé une autre réforme bien plus radicale, qui n’était, au fond, qu’une tentative de violence faite à l’opinion libérale.

Maintenant, messieurs, quand on se rappelle cet antécédent, n’est-il pas bien naturel que les bruits répandus par certains journaux relativement au fractionnement des grands collèges, des collèges qui élisent les membres de la représentation nationale, que ces bruits trouvent quelque créance ? D’abord, messieurs, l’idée du fractionnement des collèges électoraux pour la nomination des chambres, cette idée n’est pas neuve, ce ne sont pas les journaux de l’opposition qui ont pris l’initiative de la nouvelle. Des journaux ministériels (et on peut, sans accuser les ministres, supposer qu’ils ne sont pas sans avoir quelques relations avec certains journaux), des journaux ministériels, tous les jours, prennent pour texte de leur polémique le fractionnement des collèges électoraux ; tous les jours, des journaux très sérieux déclarent que c’est là qu’il faut en venir. Et voyez comme ils s’y prennent : ils vont jusqu’à se dire plus libéraux que beaucoup de libéraux eux-mêmes, car en demandant le fractionnement des collèges électoraux, ils accordent généreusement aux villes la réforme électorale. Oh ! écoutez-les ; ils ne sont pas si rétrogrades qu’on veut bien le dire : ces messieurs, pour peu qu’on veuille bien leur donner le fractionnement, donneront même aux. villes, si elles le demandent, le suffrage universel. Pourquoi pas, messieurs ? L’opinion que nous combattons est si complètement, si radicalement battue dans la plupart de nos villes ; le fractionnement lui-même l’a si peu sauvée qu’il n’y a pas de raison pour qu’elle n’essaye d’un nouveau remède.

Peut-être espérait-elle, par le suffrage universel dans les villes, obtenir un peu de cette influence qui lui échappe tous les jours de plus en plus, dans tous les centres principaux de l’industrie, du commerce et de la civilisation.

Messieurs, nous n’avons pas seulement l’initiative prise par les journaux ministériels, nous avons des députés de la droite, à qui cette idée du fractionnement des collèges électoraux a souri plus d’une fois. L’année dernière, un honorable député de Tournay, qui ne se trouve pas en ce moment à la séance, a mis cette idée en avant. Que dis-je ? L’honorable ministre des affaires étrangères a mis cette idée en avant dans un rapport officiel, dans un rapport sur la réforme électorale.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Pas comme mon opinion.

M. Rogier. - Cette opinion cependant se trouve reproduite dans le rapport de l’honorable M. Dechamps. Du reste, je suis enchanté d’apprendre que l’honorable M. Dechamps ne partage pas, à l’égard du fractionnement des collèges électoraux, l’opinion de quelques-uns de ses amis politiques et l’opinion des journaux ministériels.

M. le ministre de l’intérieur a dit hier que c’était là une pure invention ; qu’il ne s’agissait pas de fractionner les collèges électoraux, mais je n’ai pas vu, je n’ai pas compris que M. le ministre de l’intérieur repoussât cette idée d’une manière absolue. A mon avis, il ne s’est pas expliqué d’une manière assez nette, assez précise, sur une question de cette importance, et si ce n’était pas abuser de sa situation, je lui demanderais de vouloir bien, à cet égard, s’expliquer plus nettement.

Remarquez, messieurs, que M. le ministre de l’intérieur n’a pas voulu signer une circulaire relative à de simples informations sur la loi communale, et que cependant, quelque temps après, M. le ministre de l’intérieur est venu ici soutenir la loi relative à la nomination des bourgmestres, qu’il est venu y ajouter l’aggravation de retrancher l’avis de la députation permanente, qu’il est venu y ajouter, surtout, la loi du fractionnement. Aujourd’hui, M. le ministre de l’intérieur n’a pas fait, je veux le croire, de circulaire relative au fractionnement des collèges électoraux ; il ne signerait peut-être pas une pareille circulaire ; mais a-t-il bien le parti pris (et il faut s’en expliquer dès maintenant), a-t-il bien le parti pris de repousser toute proposition, soit qu’elle émanât du côté des députés ministériels, soit qu’elle émanât de quelqu’un de ses collègues ? A-t-il bien le parti pris de repousser toute proposition de fractionnement des collèges électoraux ? Je demande qu’il s’explique catégoriquement sur ce point.

Je me permettrai seulement de lui donner le conseil de mûrement réfléchir aux conséquences inévitables qu’entraînerait pour le pays le fractionnement des collèges électoraux. Cette nouvelle guerre déclarée aux villes porterait avec elle les plus grands dangers. Si nous étions de mauvais citoyens, si l’esprit d’opposition qui nous anime dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt de nos institutions, si cet esprit pouvait nous aveugler, nous appellerions de tous nos vœux une pareille loi. Nous croyons qu’une pareille loi deviendrait le tombeau inévitable et définitif de l’opinion que nous combattons dans ses exagérations. Mais, messieurs, il ne s’agirait pas ici d’un succès dans une lutte de parti. (Interruption.) Je prierai beaucoup les interrupteurs de vouloir bien me répondre et de répondre principalement à ce que je vais encore dire.

D’autres intérêts que des intérêts de parti se trouveraient engagés dans une pareille déclaration de guerre adressée aux villes du pays. Je le répète : comme parti, nous ne redoutons pas la guerre ; comme citoyens belges, et nous devons être citoyens belges avant tout, nous en redouterions les conséquences.

Messieurs, je ne veux pas ici vous alarmer de vaines frayeurs ; je fais un appel à votre bon sens, à la rectitude de votre jugement ; je vous demande si le projet de fractionner les collèges électoraux des villes, le projet de déclarer de nouveau une guerre ouverte à l’opinion qui anime les villes du royaume ; je vous demande, messieurs, si un pareil projet ne porterait pas dans son sein les germes de graves bouleversements. Messieurs, je soumets cette observation à votre jugement. Je le déclare encore, nous nous sentons assez forts pour triompher de toutes les lois réactionnaires dont on voudrait nous menacer ; nous ne les craignons pas pour nous ; dans l’intérêt du moment, si nous n’écoutions que les passions politiques, nous pourrions appeler ces lois de tous nos vœux. Mais je le dis, c’est un conseil de citoyen belge que je donne ; ce n’est pas le conseil d’un homme de parti : Abstenez-vous !

J’abandonne ce terrain brûlant.

M. le ministre de l’intérieur s’est beaucoup glorifié de l’impulsion qu’il avait donnée à l’enseignement supérieur. C’est à lui, dit-il, que l’on doit l’organisation de l’enseignement supérieur, que les arrêtés du gouvernement provisoire avaient réduit à un état misérable.

Messieurs, je ne sais s’il est nécessaire de défendre le gouvernement provisoire. Ce qu’il a fait pour les universités, lui a été imposé par les circonstances. Certes, les hommes qui siégeaient au gouvernement (page 331) provisoire étaient animés d’intentions trop libérales, pour songer à porter la hache dans les établissements d’instruction publique Qu’est-il arrivé en 1830 ? Beaucoup de professeurs étrangers ont quitté le pays ; les uns sont retournés en Allemagne, les autres sont retournés en Hollande ; leurs chaires sont devenues vacantes. De là désorganisation. Ah ! si nous avions porté dans les questions d’instruction publique un esprit qui doit y demeurer étranger ; si nous avions voulu choisir pour professeurs des hommes de coterie, des hommes de parti plutôt que des hommes de science, plutôt que des hommes véritablement utiles à la jeunesse ; si nous avions voulu choisir des créatures de telle ou telle opinion, oh ! messieurs, rien n’eût été plus facile au gouvernement provisoire que de remplir les chaires vacantes et de réorganiser ainsi les universités ! Les candidats se présentaient en très grand nombre ; mais le gouvernement provisoire, par une réserve dont on doit lui savoir gré, réserve que d’autres n’ont pas gardée dans des moments plus tranquilles, le gouvernement provisoire n’a pas voulu mettre la politique dans la science ; il s’est abstenu avec raison de nommer des professeurs dans cette époque d’effervescence politique. Il eût pu se créer quelques créatures, mais il aurait fait probablement des choix contraires à l’intérêt de la jeunesse.

Plus tard, messieurs, quand tout était redevenu calme, quand toutes les nominations ne devaient avoir pour but que l’intérêt de l’instruction et de la jeunesse, a-t-on gardé cette réserve ?

Cette discussion, je le reconnais, pourrait facilement prendre un caractère personnel ; je me borne donc à faire un appel à l’opinion publique, et je dis que pour quelques choix heureux qu’a faits M. le ministre de l’intérieur, dans les nominations des professeurs des universités, il en a fait aussi de très malheureux ; je dis que M. le ministre de l’intérieur, s’il avait porté dans l’organisation de l’instruction publique le cœur d’un véritable homme d’Etat, placé au-dessus des préjugés de son propre parti ; je dis que M. le ministre de l’intérieur aurait donné à l’organisation universitaire d’autres bases, aurait nommé un autre personnel.

Et puis, dans la loi des universités, quel système a soutenu M. le ministre de l’intérieur ? Est-ce le système que lui commandait l’intérêt bien entendu de l’Etat ? Est-ce le système qui devait donner au pays un enseignement vraiment national ? Est-ce le système qui devait concentrer sur un seul point toutes les forces scientifiques et littéraires du pays ? Est-ce le système qui devait créer dans le pays un centre commun où les jeunes gens des Flandres, les jeunes gens des provinces wallonnes, seraient venus puiser aux mêmes sources, s’inspirer des mêmes doctrines...

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.

M. Rogier. - Et former ensemble cet esprit national qui nous manque encore, il faut le dire, non pas cependant au degré où le suppose l’honorable M. Dedecker.

Il y avait alors deux systèmes en présence : le système d’une université nationale, unique, et le système de deux universités. J’ai eu alors l’honneur de proposer à la chambre d’établir une seule université aux frais de l’Etat, proposition dont, à cette époque, je fis connaître les raisons. Je demandais que cette université unique eût son siège à Louvain ; en même temps je proposais pour les villes de Liége et de Gand des compensations telles que tous les griefs de ces deux localités seraient venus à cesser.

Et d’ailleurs, dans une question de cette importance, il ne fallait pas, au besoin, hésiter à causer quelques petits mécontentements dans ces deux villes, alors qu’il s’agissait de créer une institution véritablement nationale. Aujourd’hui je reconnais qu’il y aurait de grandes difficultés à revenir à ce système ; mais je pense qu’en 1835, si M. le ministre de l’intérieur avait été pénétré du vif sentiment de ses devoirs, au lieu de combattre ce système, il s’y serait associé, ainsi que l’ont fait 32 membres, la plupart siégeant sur les bancs où je siège en ce moment.

Mais alors l’université de Louvain ne serait pas tombée entre les mains des évêques ; l’université catholique aurait continué d’exister à Malines, peut-être, mais elle n’aurait pas pu jouir de tous les avantages que son transfert à Louvain lui a procurés.

Ceci, je le reconnais, c’est de l’histoire un peu ancienne ; et je n’y serais pas revenu si M. le ministre de l’intérieur n’avait cru devoir glorifier aussi sa conduite en ce qui concerne les universités de l’Etat. Je crois qu’il se fait illusion, quand il vient nous dire que l’enseignement universitaire de l’Etat a pris un magnifique essor. Je crois qu’il se fait complétement illusion. Je regrette qu’il n’ait pas apporté, à l’appui de son assertion, la publication du rapport qu’il doit à la chambre sur l’enseignement universitaire. Si mes renseignements sont exacts, j’ai peine à le dire, les universités de l’Etat sont dans une situation qui réclame beaucoup de sympathie de la part du gouvernement et de prompts et énergiques remèdes.

Je ne veux pas en dire davantage. Je répète que M. le ministre de l’intérieur est très mal informé, quand il vient déclarer à la chambre que l’enseignement universitaire est dans une situation très florissante, et j’espère qu’il voudra bien déposer, le plus tôt possible, son rapport sur l’enseignement universitaire.

Maintenant, messieurs, dans ce qu’il me reste à dire, il ne sera plus question de M. le ministre de l’intérieur. J’aurais voulu pouvoir abréger les observations critiques que j’ai été dans la nécessité de lui adresser en partie pour me défendre moi-même et pour défendre quelques-uns de mes amis.

On a beaucoup parlé de la situation des Flandres, on en parlera encore beaucoup et l’on a raison. Je crois que la situation des Flandres est destinée à occuper longtemps encore les pouvoirs publics en Belgique. Je ne voudrais donc pas prolonger les débats sur une question qui doit encore nous revenir deux ou trois fois peut-être dans le courant de cette session. Peut-être oserai-je alors soumettre aussi à la chambre quelques vues que m’ont suggérées et la réflexion et l’inspection rapide que j’ai faite des localités. Cette démarche, pour le dire en passant, je n’en veux pas à ceux qui en ont dénaturé entièrement le caractère, j’engagerai seulement mes honorables collègues des Flandres à vouloir bien à leur tour mettre à profit le temps de leurs vacances pour venir s’informer sur les lieux des besoins des populations wallonnes ; ils y recevront un accueil très cordial, et nous croyons que la presse wallonne aura le bon goût de ne pas leur reprocher de venir faire de la propagande politique ; il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, il y a de la misère dans les Flandres, il y a de la misère dans les Ardennes, il y a de la misère dans la Campine, il y a partout des malheureux ; les provinces flamandes renferment un plus grand nombre de pauvres, un plus grand nombre de malheureux, mais je ne pense pas que la misère prise individuellement soit plus intense pour le pauvre des Flandres que pour les pauvres des provinces wallonnes ou de la Campine. Je crois que partout le pauvre, le prolétaire des villes et des campagnes souffre beaucoup et que partout sa situation mérite la sollicitude du gouvernement et des chambres.

Depuis longtemps, dans cette enceinte, je professe une opinion qui n’a pas toujours été accueillie favorablement. Cette opinion y rencontre encore d’opiniâtres adversaires. Je me suis, en général, montré partisan de l’intervention sage de l’Etat dans les intérêts publics, et jusqu’à certain point dans les intérêts particuliers. Je ne professe pas cette opinion entachée d’une sorte de fatalisme qui consisterait à dire : Il y a eu de la misère, il y a de la misère ; il y aura toujours de la misère ; le gouvernement, les pouvoirs publics doivent se croiser les bras et laisser à la misère son cours inévitable et fatal. Je ne dis pas que le gouvernement doit intervenir dans toutes les relations sociales et individuelles ; je suis convaincu qu’il doit laisser à l’énergie individuelle, à l’énergie des localités à trouver elles-mêmes les premiers remèdes ; mais il y a loin de là à rester impassible, immobile devant la situation malheureuse des classes inférieures.

Selon moi le grand but, le plus noble but de la politique de nos jours, c’est de rechercher incessamment les améliorations à apporter à la situation morale et matérielle des classes pauvres. Maintenant est-ce à dire que par la vertu de l’intervention de l’Etat, des pouvoirs publics, tous les prolétaires du royaume vont devenir propriétaires ? Non, de pareilles illusions nous ne les partageons pas, mais nous croyons qu’avec une administration incessamment attentive aux besoins des classes pauvres, il y a des améliorations nombreuses et efficaces à apporter, il y a un minimum de bien-être moral et matériel à leur assurer. Voilà ce que nous, partisan de l’intervention de l’Etat dans les relations sociales, nous demandons pour les classes pauvres. Jamais les hommes raisonnables de notre opinion n’ont voulu transformer du jour au lendemain les prolétaires en propriétaires. Nous abandonnons cette doctrine, non aux réformateurs mais aux dévastateurs des sociétés. Mais il n’est pas d’homme d’Etat qui puisse songer jamais à s’attacher à d’aussi absurdes, je dirai presque à d’aussi criminelles utopies.

En votant les sommes demandées par le gouvernement pour venir au secours des classes souffrantes, nous avons pourvu au plus pressé. Le moment viendra où nous pourrons discuter d’une manière approfondie et les mesures prises et les remèdes indiqués. Parmi ces remèdes, il est un… ; celui-là même, je ne le discuterai pas en lui-même, mais je dois le relever, parce qu’à mes yeux il implique une accusation aussi grave qu’injuste contre des hommes politiques, qui peuvent avoir commis des fautes, mais contre lesquels on ne doit pas recourir au mensonge et à la calomnie, comme on l’a fait sous le patronage même des organes du gouvernement.

Un orateur ministériel, malgré le démenti le plus formel donné à cette assertion, un orateur ministériel, dans la séance d’hier, est venu encore nous dire : Les Flandres souffrent ; la misère règne dans les Flandres, parce que nous n’avons pas l’union douanière avec la France ; et si nous n’avons pas l’union douanière avec la France, c’est parce vous, M. Lebeau, étant ministre en 1840, vous ne l’avez pas voulu ! Voilà quelles accusations on ne craint pas de lancer, en présence de populations affamées, contre des hommes publics, dont on devrait au moins respecter le passé dans ce qu’il a de pur et de patriotique.

L’union douanière avec la France serait-elle un remède efficace à la misère des Flandres ? C’est là une grave question, dont la solution peut être envisagée à divers points de vue. Mais, ce qui doit à bon droit nous surprendre, c’est que des représentants, des gouverneurs, des ministres d’Etat, des collègues de MM. les ministres, persistent à leurrer les Flandres d’une mesure qu’ils savent par expérience, qu’ils savent au fond de leur cœur, être, en ce moment, d’une réalisation tout à fait impossible. Je vous demande quel peut être le but de pareilles accusations. Je vous demande si cela ne révèle pas, je dirai presque une sorte de méchanceté d’esprit.

Eh bien l’union douanière avec la France n’a pas été refusée par le ministère de 1840 ; l’union douanière ne lui a pas été sérieusement proposée ; si elle lui avait été sérieusement proposée, et que dans les circonstances où se trouvait alors l’Europe, il l’eût acceptée, je dis que le ministère aurait mérité d’être mis en accusation devant la chambre et le pays, pour avoir donné les mains à ce qui n’eût été, de la part du gouvernement français, qu’un expédient politique.

(page 332) Mais s’il y avait des reproches à adresser, de ce chef, à quelques hommes d’Etat, ce ne serait pas au ministère de 1840.

Avant 1840, dans des circonstances normales, dans des circonstances européennes les plus favorables, l’union douanière a été offerte au cabinet dont faisait partie le ministre d’Etat qui ne craint pas de tourner contre autrui des armes si peu loyales. Pourquoi ne l’avoir pas acceptée, avant 1840 ? Pourquoi faire un crime au ministère de 1840 de ne pa avoir posé un acte, qui, s’il eût été posé dans les circonstances d’alors eût mérité, je le répète, à ce ministère d’être mis en accusation ?

J’ai dit que cette réunion avait été offerte, avant 1840, au cabinet dont faisait partie cet homme d’Etat, dans des circonstances toutes pacifiques toutes favorables, où n’était certes pas l’Europe en 1840.

Il y a plus : après 1840, quand l’Europe fut redevenue calme, quand l’orage qui la menaçait alors eut disparu, quand on aurait pu reprendre les négociations, sans compromettre la nationalité belge, l’union douanière a été proposée au cabinet dont faisait partie ce même ministre d’Etat.

J’espère qu’il voudra bien nous répondre ; je l’y invite formellement ; car il faut que ce manège cesse.

Si l’union douanière devait sauver les Flandres, vous qui êtes le député des Flandres, vous qu’on accepte comme un des représentants les plus remarquables de ces contrées, vous auriez, en donnant les mains à cette mesure, posé un acte grandement utile. C’était, selon vous, un immense bienfait à répandre sur ces régions malheureuses. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Pourquoi n’avez-vous pas réparé le mal que vous dites, vous et vos organes, avoir été fait, en 1840 ? Tout était possible alors, tout était facile et surtout plus opportun.

Beaucoup de choses me restent à dire ; mais je devrais rentrer dans la critique de la situation du ministère, et je ne veux pas entraîner M. le ministre de l’intérieur dans des débats auxquels il a témoigné le désir de ne pas prendre part, en ce moment.

Dans le courant de la discussion de son budget, peut-être cette circonstance aura-t-elle cessé, et nous pourrons reprendre alors la discussion que nous abandonnons aujourd’hui.

M. Desmet (pour un fait personnel). - Si j’ai bien compris l’honorable préopinant, il a dit que si j’avais fait un reproche à l’honorable M. Lebeau, c’était dans un but méchant. Messieurs, le fait est complétement inexact.

Qu’ai-je fait ? J’ai répondu par des reproches à des reproches beaucoup plus violents. Dans tout son discours, l’honorable M. Lebeau avait adressé les reproches les plus injustes, non-seulement à moi, mais à des absents. Il est venu prétendre que c’était à nos opinions qu’était due l’augmentation du paupérisme dans les Flandres.

Quant à ce que j’ai dit de la possibilité qui avait existé en 1840 de conclure une union douanière avec la France, j’ai simplement répété ce qui a été dit à la tribune française.

M. de Muelenaere. - Je suis quelque peu étonné de la violente sortie à laquelle l’honorable député d’Anvers vient de se livrer contre moi. Je crois n’avoir rien dit, rien fait qui pût provoquer les paroles acerbes qu’il a prononcées.

Jamais, à aucune époque, ni dans le parlement, ni en dehors de cette enceinte, je n’ai accusé l’honorable membre, ni aucun de ses collègues, d’avoir repoussé l’union douanière qui leur aurait été offerte en 1840, et d’être ainsi cause des malheurs qui pèsent sur le pays. Je n’ai pas l’habitude d’ailleurs de faire des récriminations stériles.

Si l’honorable membre connaît les faits et s’il veut être juste, il reconnaîtra que jamais aucun des cabinets, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, n’a eu à se prononcer sur l’acceptation ou le refus d’une union douanière avec la France. Aucune proposition de ce genre ne nous a été faite, je ne dirai pas dans des termes acceptables, mais pas même dans des termes susceptibles d’une discussion sérieuse.

Quant au fond de la question, mon opinion ne date pas d’hier, elle est déjà ancienne et les circonstances actuelles me continuent chaque jour davantage dans cette opinion. J’attache peu d’importance aux mots. Mais je suis convaincu que le remède le plus efficace aux souffrances si grandes et si réelles des Flandres, c’est une association commerciale avec la France sur des bases beaucoup plus larges que celle qui existe aujourd’hui entre les deux pays.

Messieurs, l’état de ma santé ne me permet pas de prolonger cette discussion. Je crois en avoir dit assez pour répondre aux accusations personnelles qui ont été dirigées contre moi.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je croyais, messieurs, m’être expliqué hier d’une manière très catégorique sur la question du fractionnement. J’ai dit, en réponse à l’observation de l’honorable M. Verhaegen, que le gouvernement n’avait rien médité, rien préparé sur cette question. Je l’ai à mon tour interpellé sur un projet dont la presse a également annoncé l’existence. Je m’attendais à une dénégation de sa part, aussi franche, aussi complète que la mienne.

M. Verhaegen. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L’honorable M. Rogier vient de faire un pas. Si j’ai bien compris sa pensée, il ne doit pas être question de réforme électorale dans les circonstances actuelles. Messieurs, je le suivrai, je ferai plus ; je dirai que notre intention n’est pas de préparer la réforme qu’il a indiquée.

Messieurs, l’honorable membre a cru devoir justifier le ministère de 1840, parce que j’aurais dit, dans la séance d’hier, que j’avais refusé, en 1840, d’adresser aux gouverneurs de province une circulaire tendant à prendre des informations sur la question de savoir s’il y avait lieu d’apporter un changement au mode de nomination des bourgmestres.

En faisant cette observation, je me suis défendu, je n’ai pas attaqué. En effet, messieurs, je n’ai aucun motif de blâmer le ministère de 1840 d’avoir pris l’initiative de cette mesure. J’ai seulement dit pourquoi j’avais différé d’opinion avec ce ministère, en 1839, en refusant d’adopter une semblable circulaire.

Ensuite, messieurs, nous avons vu, par l’enquête qui a eu lieu, que beaucoup d’administrateurs demandaient non seulement un changement dans le mode de nomination des bourgmestres, mais même un changement dans le mode de nomination des échevins. Beaucoup d’administrateurs considéraient un changement dans le mode de nomination des bourgmestres, comme étant insuffisant.

Quand nous avons vu présenter le projet de réforme en 1841, nous l’avons regretté, je le déclare sincèrement. Mais le projet présenté, messieurs, j’ai expliqué dans la séance d’hier pour quel motif je croyais que la chambre ne devait pas reculer devant une décision ; parce qu’en effet, rejeter ce projet, c’était perdre peut-être à jamais l’occasion d’apporter une modification utile à la loi communale, et c’est pour ce motif que nous avons voulu renforcer cette modification de manière à ce qu’elle pût produire des effets utiles ; et, entre autres mesures, messieurs, celle qui, à notre avis, a été la plus utile de toutes, c’est celle de la prolongation du mandat des conseillers communaux.

Messieurs, cet amendement c’est moi qui en ai pris l’initiative, comme de l’amendement du fractionnement.

Pour la prolongation du mandat, j’ai été plus heureux ; j’ai rencontré également les sympathies des membres de la gauche. Car ce projet a été voté sans contradiction dans les deux chambres.

M. Delfosse. - J’ai déjà dit qu’il y avait eu des opposants.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il est possible qu’il y ait eu un ou deux opposants ; mais cela ne s’appelle pas une opposition. Je renvoie d’ailleurs à la lecture du Moniteur chacun pourra y voir si ce que je dis n’est pas complétement exact.

Je n’ai pas dit non plus, messieurs, que le ministère de 1840 avait arrêté d’une manière irrévocable l’intention d’apporter des modifications, à la loi communale. J’ai signalé un fait : l’enquête qui avait été ouverte sous ce ministère.

M. Nothomb. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant s’est cru également attaqué, comme ancien membre du gouvernement provisoire, pour les observations que j’ai faites sur l’état des universités.

Je n’ai pas, encore une fois, blâmé le gouvernement provisoire, d’avoir apporté des modifications, dans un but politique, au régime de 1830. Je ne l’ai pas non plus blâmé de n’avoir pas réorganisé immédiatement les universités. Je me suis borné à citer des faits. J’ai indiqué dans quelle situation j’avais trouvé l’enseignement universitaire.

Cependant, messieurs, à cette occasion, l’honorable membre nous adresse deux critiques : d’abord, de n’avoir pas adopté le système d’une université unique, et, en second lieu, de n’avoir pas fait les choix les meilleurs possibles.

Messieurs, il me sera facile de faire justice de ces deux griefs.

L’honorable membre m’a fait l’honneur de me demander de faire partie de la commission chargée de préparer le projet de loi sur l’enseignement universitaire comme sur l’enseignement moyen et l’enseignement primaire.

Eh bien, messieurs, dans le sein de cette commission, nous avons été unanimes pour adopter le système de deux universités, et cette commission, vous en connaissez la composition, elle n’était point suspecte.

L’honorable membre, en déposant le projet de loi proposé par la commission, n’a point, messieurs, modifié ce projet, n’a point proposé de créer une seule université.

M. Rogier. - Si vous vouliez me permettre un mot d’explication ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Volontiers.

M. Rogier. - J’ai déposé le projet sans y rien changer ; mais, dans l’exposé des motifs, j’ai dit que le gouvernement se réservait d’examiner s’il ne convenait pas de créer une université unique.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Toujours est-il vrai que l’honorable membre, au moment où il faisait cette réserve, n’avait point la conviction qu’une université unique était nécessaire à la prospérité du haut enseignement, et dès lors a-t-il le droit de s’étonner que nous n’ayons pas, plus tard, partagé la conviction qu’il a acquise à cet égard ? Nous avons, comme ministre, défendu l’opinion que nous avions adoptée comme membre de la commission.

Est-il, d’ailleurs, bien certain que l’enseignement aux frais de l’Etat se fût trouvé mieux d’une université unique que de deux universités ?

Nous en doutons beaucoup, et, au point de vue de la concurrence de l’université de Louvain, qu’on semble redouter, je pourrais soutenir que cette concurrence eût été d’autant plus forte qu’il n’y eût eu qu’une seule université aux frais de l’Etat, qu’il n’y eût point eu deux grandes villes intéressées au maintien des universités, qu’une seule ville, une seule province, y eût été intéressée. Au lieu d’un siège unique, il y a aujourd’hui deux sièges, qui partagent les sympathies d’un grand nombre de pères de famille. Je dis donc, messieurs, que ce grief n’est point un grief sérieux.

Quant aux choix des professeurs, avons-nous néglige de les faire les meilleurs possibles ? En aucune manière, car au moment où la loi a été votée, nous avons fait et fait faire les démarches les plus actives, tant en (page 333) France qu’en Allemagne, voire même en Hollande, pour obtenir des professeurs qui nous étaient signalés comme très distingués, et qu’il semblait y avoir quelque chance d’acquérir pour la Belgique.

Eh bien, messieurs, les efforts que nons avons faits n’ont pas tous été couronnés de succès, beaucoup d’étrangers ont refusé de venir en Belgique. De ce chef donc, aucune espèce de reproche ne peut nous être adressée.

Ensuite, messieurs, nous avons pris, dans le sein du pays, les hommes les plus distingués, non seulement de l’avis des personnes aptes à juger de leur mérite, mais nous avons fait plus ; nous avons admis à notre audience tous les candidats qui se présentaient, nous avons examiné personnellement tous les titres offerts à l’appui de leur demande. Ensuite, messieurs, nous avons fait même des démarches auprès de personnes qui ne s’étaient point présentées pour occuper une position dans l’enseignement supérieur. Je crois qu’en présence d’un tel ensemble de démarches, de soins aussi assidus, aussi constants, nous sommes à l’abri de tout reproche. Nous pourrions nous retrancher encore ici derrière l’approbation unanime que l’organisation des deux universités a reçue dans la presse, à cette époque ; mais nous n’avons point l’habitude de recourir à ce moyen de justification parce que nous demeurons toujours étranger à l’action de la presse.

Je pense, messieurs, avoir répondu suffisamment aux nouvelles observations présentées dans cette séance, mais je m’acquitte aujourd’hui d’un devoir envers mon collègue M. le ministre des travaux publics. Il n’était point présent à la séance lorsque l’honorable M. Lebeau a pris la parole hier, mais je me suis assuré que la double voie qu’on l’accuse d’avoir négligé de faire construire, est aussi bien qu’achevée, qu’elle le sera au 1er janvier et que M. le ministre des travaux publics a reçu même des félicitations à cet égard du chef de la compagnie française.

Quant à la station du Nord, à Bruxelles, elle est achevée en ce qui concerne la partie la plus utile. Pour les autres travaux, on les a également poussés autant que l’ont permis les arrangements à concerter avec les administrations communales ; on a poussé avec autant d’activité qu’on l’a pu, soit les négociations, soit les travaux ; en un mot, mon collègue m’a fait savoir qu’il est à même de justifier que toutes les diligences ont été faites de la part de son administration, pour faire l’emploi le plus utile, le plus fructueux des fonds mis à sa disposition.

Si M. le ministre des travaux publics n’est point présent à la séance, c’est qu’il est retenu chez lui par une indisposition. Qu’on ne croie pas cependant, messieurs, bien que M. le ministre des travaux publics soit indisposé et que je le sois moi-même, qu’on ne croie pas pour cela que le ministère se considère comme malade. La chose n’a aucun caractère de gravité. En ce qui me concerne, c’est un simple refroidissement contracté depuis plusieurs jours, notablement augmenté aujourd’hui et que la chaleur de la discussion commence déjà un peu à dissiper.

M. Sigart. - Un honorable membre de cette chambre dans un discours extrêmement remarquable, a bien voulu s’occuper d’une de mes opinions. Je ne puis accepter sans réserve le commentaire qu’il lui a donné. Il est bien vrai, messieurs, que l’une des principales causes de la misère de l’Espagne réside dans la violation des lois économiques, lois économiques que l’on ne peut pas violer impunément ; mais cette misère a encore une autre cause ; et en voulez-vous la preuve, messieurs ? C’est que le lourd monachisme de l’Espagne n’a pas seulement a augmenté le nombre des pauvres à l’époque dont j’ai parlé, mais c’est qu’il a encore étouffé le commerce, l’industrie et jusqu’à l’agriculture, si florissants chez les Maures, tandis que l’inintelligente charité du protestantisme anglican a bien aussi augmenté considérablement le nombre des pauvres, mais n’a pas empêché le développement du commerce, de l’industrie et de l’agriculture en Angleterre. Il y a donc eu l’action d’une autre cause de misère en Espagne, et cette cause n’a pas dû échapper à un esprit de la portée de celui de l’honorable membre. Je n’ai pas le droit de l’interroger, mais si je pouvais le faire, je suis à peu près sûr qu’il m’en ferait le sincère aveu.

(page 343) M. Verhaegen. - L’honorable M. de Theux m’a fait l’honneur à la fin de son discours d’hier, de m’interpeller officiellement sur une résolution qu’aurait prise l’Association libérale de Bruxelles au sujet de la réforme électorale, et M. de Theux vient de renouveler son interpellation.

Eh bien ! messieurs, je viens répondre à M. le ministre de l’intérieur que je ne répondrai pas. (Rires, murmures.)

Messieurs, suspendez vos rires, vos murmures, vous pourrez bientôt les adresser au chef de votre parti, à M. le ministre de l’intérieur.

Non, messieurs, je ne répondrai pas, par respect pour la représentation nationale, pour conserver à la chambre sa dignité au dehors comme au-dedans.

Je ne veux pas confondre la représentation nationale, une chambre légale, avec des associations politiques. Je ne veux pas mettre sur la même ligne un président d’une association politique, quelque respectable qu’elle soit, et un membre du gouvernement. Dans plus d’une circonstance, j’ai fait des efforts pour éviter une confusion, que je considérais comme dangereux à l’ordre et aux vrais intérêts du pays. Je n’ai pas craint même de me mettre en opposition, sur ce point, avec quelques-uns de mes amis ; et peut-être, vous, messieurs, qui m’interrompiez il n’y a qu’un instant, n’auriez-vous pas eu le courage, en pareille occurrence, de prendre le parti que j’ai pris.

M. de Garcia. - Est-ce à moi que vous vous adressez ?

M. Verhaegen. - Je m’adresse à ceux qui m’interrompent.

Je ne répondrai pas, je le répète, à l’interpellation tout au moins imprudente de M. le ministre de l’intéeieur, par respect pour la représentation nationale. Néanmoins, si M. le ministre de l’intérieur et ses amis persistent à avoir réponse, nonobstant le vœu que j’ai exprimé de voir conserver à la chambre la dignité qyu lui convient, alors je soumettrai l’interpellation à l’association que j’ai l’honneur de présider, et il pourra s’ouvrir entre cette association et M. le ministre une correspondance officielle sur la réforme électorale.

(page 333) M. Nothomb. - Messieurs, mon nom a été trop souvent prononcé, au sujet des modifications faites à la loi communale, pour que je ne demande pas à la chambre la permission de m’expliquer en peu de mots sur cette partie de mon administration.

Messieurs, lorsque nous avons voté la loi communale, nous n’y avions pas attaché l’idée, que cette loi devait être considérée comme immuable, à peu près au même degré que la Constitution. Je n’hésite pas à en appeler ici aux souvenirs de tous les anciens membres de cette chambre, ainsi que de tous ceux qui s’occupaient déjà, à cette époque, des affaires publiques. Beaucoup d’entre nous, même, qui avaient combattu certaines dispositions de cette loi, l’ont en quelque sorte acceptée sous réserve.

C’était là aussi la doctrine du cabinet qui a précédé celui dont j’ai fait partie depuis le mois d’avril 1841, et c’est le véritable sens de la circulaire que mon honorable prédécesseur, M. Liedts, a adressée aux gouverneurs sous la date du 19 mars de la même année.

Si mon honorable prédécesseur avait pensé que la loi communale fût immuable.... (Interruption.)

Je prie l’honorable M. Delfosse de ne pas m’interrompre ; il verra plus tard quelle est la portée des observations que je fais en ce moment.

Si mon honorable prédécesseur avait pensé que la loi communale fût immuable, il n’aurait pas signé la circulaire du 19 mars 1841, il n’aurait pas ouvert l’enquête que j’ai trouvée à peu près achevée, lorsque je suis entrée en affaires le mois suivant.

Une autre loi extrêmement importante avait été l’objet d’une réforme très grave, je veux parler de la loi sur le jury judiciaire ; elle avait été soumise à une révision, et l’on n’a pas considéré la loi nouvelle sur le jury judiciaire comme une loi réactionnaire.

J’ai trouvé l’enquête commencée par mon honorable prédécesseur, elle a été bientôt achevée ; et cette enquête ayant constaté des résultats conformes aux anciennes opinions que j’avais défendues dans cette assemblée, pendant la longue discussion de la loi communale, j’ai saisi la chambre d’une proposition, proposition ayant pour objet de donner au Roi la nomination des bourgmestres en dehors du conseil, la députation permanente du conseil provincial entendue. Cette proposition a été faite à la chambre le 24 janvier 1842.

Je m’étais attendu alors, messieurs, à ne rencontrer qu’une seule opposition dans cette chambre ; je m’étais attendu à ne trouver comme opposants au projet que ceux qui d’après leurs doctrines connues, ont pour tendance d’exagérer, à mon sens, l’action communale ; je ne m’étais attendu qu’à cette opposition.

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. Nothomb. - Quel a été mon étonnement, lorsque je me suis trouvé en présence d’une opposition nouvelle, opposition qui n’allait pas au fond de la question, mais qui se retranchait derrière une fin de non-recevoir ? Cette fin de non-recevoir reposait sur une prétendue immuabilité des lois organiques, et notamment de la loi communale. Je me suis trouvé alors en présence de deux oppositions, et c’est l’opposition nouvelle qui est venue en quelque sorte changer complétement la position du ministère.

J’avais fait une proposition très simple, proposition que j’étais loin de considérer comme destinée à soulever de graves débats ; je n’ai pas tardé à reconnaître qu’une grande discussion m’attendait, discussion que je ne pouvais accepter qu’en poussant la réforme plus loin. Je me suis alors associé, non pas à un seul membre de la chambre, mais à la section centrale dont faisait partie le membre auquel on a fait allusion. (Interruption.)

Il ne faut pas perdre de vue ce qui a changé complétement la position du gouvernement, c’est qu’au lieu de se trouver en présence de la seule opposition ancienne, opposition contre ce qu’on appelle l’action gouvernementale, il s’est trouvé en présence d’une opposition nouvelle, se retranchant derrière une fin de non-recevoir inattendue. (Interruption.)

Cette fin de non-recevoir devait être inattendue pour moi, puisque la circulaire de 19 mars 1841, bien qu’elle n’emportât point l’engagement par le ministère d’alors, de changer la loi communale, emportait au moins cette idée, que la loi communale n’était pas immuable.

L’honorable M. Rogier semble disposé aujourd’hui à accepter la proposition première que j’avais faite dans la séance du 24 janvier 1842. (Interruption de la part de M. Rogier.) L’honorable membre ne repousse pas cette proposition... (Nouvelle interruption.) Que ce soit de l’avis conforme de la députation permanente, ou simplement la députation permanente entendue, mon argumentation reste la même, c’est-à-dire que l’honorable membre ne se retranche plus aujourd’hui, comme en 1842, derrière une fin de non-recevoir puisée dans la prétendue immuabilité de la loi communale.

La discussion a eu son cours. Qu’est-il advenu ? Si je l’avais oublié, l’honorable M. Fleussu serait venu au secours de ma mémoire. La veille de la clôture de la discussion, l’opposition qui s’était retranchée derrière le principe de l’immuabilité des lois organiques, est venue m’offrir la proposition primitive dont on n’avait pas voulu d’abord, qu’on avait signalée au pays comme aussi réactionnaire que la réforme plus large à laquelle je m’étais associé avec la section centrale.

Un membre. - C’est une erreur

M. Nothomb. - Les faits se sont ainsi passés ; je n’ai pas voulu me fier à mes souvenirs, j’ai relu le Moniteur.

Je me suis associé à une réforme plus large, qui n’était pas contraire à mes opinions ; et quand elle était sur le point d’être votée, qu’elle avait rallié une majorité très grande, des hommes qui avaient voulu ne toucher à quoi que ce soit de la loi communale, sont venus m’offrir le projet primitif, qu’ils avaient combattu, alors que son adoption était devenue impossible. (Dénégation). L’honorable M. Fleussu, qui venait me l’offrir le 3 juin, l’avait combattu à outrance dans la séance du 13 mai.

Un membre. - Vous vous trompez.

M. Nothomb. - Je ne me trompe nullement ; j’ai vérifié les faits. Ainsi, il y a eu deux résistances dans cette discussion ; la résistance de ceux qui avaient voulu en 1841, comme ils avaient voulu dans la discussion de la loi communale une trop grande prépondérance de l’élément électoral dans les institutions communales. C’est cette opposition que je veux bien personnifier dans l’honorable M. Delfosse ; la seconde opposition était celle des hommes qui voulaient, comme moi, la prépondérance du gouvernement, de l’autorité centrale ; cette opposition n’allait pas au fond de la question ; elle se retranchait derrière une fin de non-recevoir toute nouvelle. Quand une réforme plus large était convenue, pour ainsi dire votée, cette opposition s’est réunie pour venir m’offrir le projet primitif après les grandes discussions qui avaient rendu son acceptation impossible et dont je voulais au moins voir sortir une réforme plus large.

M. Lebeau. - A mon grand regret, je me trouve encore entraîné dans une discussion qui a quelque chose de personnel. Je le regrette extrêmement, car la discussion actuelle, surtout celle qui nous a occupés par continuation des discussions des jours précédents, me paraissait devoir absorber principalement l’attention de la chambre. Aussi, je tâcherai d’être très court.

(page 334) Jamais aucun de vous n’a émis cette singulière doctrine que les lois organiques, par cela seul qu’elles sont organiques, sont immuables. Il n’y a que des insensés qui, en fait de législation, puissent proclamer l’immuabilité, Tout au plus pourrait-on la réclamer, et c’est ce que n’a pas même fait le congrès national pour la législation constitutionnelle elle-même.

Mais ce que les hommes prudents, les hommes pratiques proclamer et ont proclamé dans la circonstance à laquelle l’honorable préopinant fait allusion, c’est qu’il n’est pas permis de toucher légèrement à de lois organiques ; c’est que quand des lois organiques ont à peine fonctionné, quand ces lois, qui étaient le résultat d’une transaction entre les diverses opinions de cette chambre, ne dataient que de quelques années ; quand cette transaction, où nous n’étions pas parvenus à faire triomphe, toutes nos idées, mais que nous avions loyalement souscrite et que nous abandonnions à l’expérience, était encore récente, remontait seulement à trois ou quatre ans, il nous était permis, il nous était ordonné de ne pas les bouleverser avec une impatience puérile.

Cela nous était surtout commandé, alors que dans le pays on ne voyait pas les administrateurs d’accord pour signaler des abus nombreux et graves alors que les modifications proposées aux chambres n’étaient pas appuyées de cette force d’opinion qui annonce, comme pour la loi du jury criminel, la nécessité d’une réforme. On ne vient pas ainsi mettre sans raison à néant une transaction qui avait été loyalement, sincèrement acceptée. J’en appelle à tous les souvenirs, malgré cette espèce d’enquête par correspondance, qui était l’œuvre d’un ministre prévoyant, le pays ne réclamait point ces modifications. Il y a des enquêtes permanentes dans tous les ministères, tant sur l’exécution des lois civiles et criminelles que sur les lois financières et administratives, ce qui n’annonce pas néanmoins l’intention de les bouleverser. Or, il résulte même, je le dis encore, de cette sorte d’enquête, qu’il n’y avait pas dans le pays un besoin universellement senti de toucher à la loi communale.

Quoi ! parce qu’on n’a pas fait triompher dans la législation quelques-unes de ses idées, il faudra, à la première occasion, mettre la main sur cette législation et la bouleverser de fond en comble !

Deux fois j’ai voté contre la législation électorale de 1831 ; cependant, soit dans l’opposition, soit au ministère, je n’ai jamais pensé que pour faire triompher ce que je croyais juste en matière électorale, il fallût méconnaître la grave question d’opportunité et de nécessité, et venir impatiemment brusquer des réformes, dans lesquelles on n’eût pas été appuyé par l’opinion publique, par le sentiment général du pays.

Voilà dans quelles circonstances on est venu à plaisir porter la hache dans la législation communale ; c’est lorsqu’elle avait à peine fonctionné, et que personne, pour ainsi dire, n’avait signalé ni danger ni même d’inconvénient grave.

Il n’y avait donc, à nos yeux, aucune raison administrative sérieuse pour expliquer les modifications qu’on voulait introduire ; c’était donc, dans notre opinion, un pur expédient politique ; c’était un véritable expédient électoral. Sous ce point de vue, je n’hésite pas à dire que la loi fut et est restée bien jugée.

Mais savez-vous quel a été le premier effet de cette réaction ? D’avoir rendu les élections communales cent fois plus passionnées et dès lors cent fois plus politiques qu’auparavant.

Par cette loi, vous avez obtenu des résultats diamétralement contraires à ceux que vous attendiez, et qui vous semblaient certains. On a expulsé des conseils des villes les bourgmestres de votre couleur, grâce à l’effervescence politique suscitée par vos lois de réaction et d’expédient, et, circonstance humiliante pour le pouvoir royal, vous n’avez pas osé les renommer. Je pourrais ici citer des noms propres. Les électeurs, en les éliminant du conseil, semblaient délier le gouvernement. Vous avez donc fait une loi qui a été, pour le pouvoir que vous vouliez fortifier, une cause de faiblesse et de déconsidération, une loi qui vous a valu un brevet public d’impuissance. Je le répète, dans toutes les villes où l’on a mis votre homme de prédilection à la porte, vous n’avez pas osé le faire rentrer dans l’administration.

Vous avez, en outre, par ces lois appelé dans nos institutions, dans nos habitudes, l’esprit d’instabilité. Vous avez nui considérablement à la dignité, à la considération du pouvoir, que vous aviez la prétention de relever. Voilà ce que vous avez fait en modifiant la loi communale ;

M. Delfosse. - Je crois que l’honorable M. Nothomb aurait bien fait de ne pas réveiller des souvenirs fâcheux pour lui ; il est des actes que l’on devrait tâcher de faire oublier. Mais ce n’est pas pour adresser des reproches à l’honorable membre que j’ai demandé la parole, C’est pour relever une erreur dans laquelle il est tombé.

L’honorable membre nous a dit que l’amendement de l’honorable M. Fleussu n’était que la reproduction de la proposition primitive du gouvernement ; c’est une erreur. D’après la proposition primitive du gouvernement, il fallait demander l’avis de la députation permanente, avant de nommer le bourgmestre en dehors du conseil ; mais le gouvernement n’était pas lié par cet avis, il aurait pu n’y avoir aucun égard. D’après l’amendement de notre honorable collègue, M. Fleussu, le gouvernement n’aurait pu nommer le bourgmestre en dehors du conseil que de l’avis conforme de la députation permanente. Cet amendement présentait bien plus de garanties que la proposition primitive du gouvernement.

M. Nothomb. - Je veux bien accepter cette rectification de l’honorable M. Delfosse ; mais il n’en reste pas moins vrai qu’au moment du vote, on a abandonné le principe : l’inviolabilité de la loi communale, et qu’on est venu faire l’offre d’une proposition devenue alors impossible.

Je ne pourrais répondre à l’honorable M. Lebeau qu’en soulevant toute la discussion à laquelle la réforme communale a donné lieu. Si, comme le dit l’honorable membre, toute modification à la loi communale était inopportune, je demande alors pourquoi l’enquête commencée par le ministère précédent ; je demande pourquoi la circulaire du 19 mars 1841 ? On dit : La circulaire n’émane pas du ministère précédent.

J’ai à cela une réponse extrêmement facile : Devons-nous admettre qu’un ministre ait agi isolément, lorsque, tant de fois, on est venu proclamer dans cette chambre l’homogénéité du cabinet ? La circulaire du 19 mars 1841 est assez importante pour qu’il nous soit permis de supposer qu’elle n’a pas été ignorée des autres membres du cabinet. Je me permets seulement cette supposition. Si l’on vient faire une déclaration contraire, je l’accepterai. Je n’ai pas l’habitude de donner des démentis. J’accepte des rectifications.

M. Lebeau. - Je conçois l’homogénéité ministérielle dans les actes, dans les résolutions. Mais je crois que dans la pratique, comme d’après le simple bon sens, chaque ministre est parfaitement libre de faire des circulaires, des enquêtes par correspondance, sans en référer à ses collègues, et qu’il n’engage nullement par là leur responsabilité. Entendre l’homogénéité ministérielle autrement est une chose absurde.

M. Nothomb. - Voici ce que je réponds : Il y a telle enquête qui peut être un acte d’une extrême importance, parce qu’elle donne une impulsion aux esprits, et engage les cabinets qui peuvent se former dans l’avenir.

Règle générale une circulaire est un acte sans importance ; mais il y a des circulaires qui peuvent être très importantes, par la portée de l’enquête qu’elles ordonnent. La circulaire du 19 mars 1841 est dans cette catégorie. Je puis donc supposer que ce n’a pas été un acte isolé.

La réforme n’a pas été considérée comme inopportune, parce que la loi communale n’a pas été votée avec l’idée d’immuabilité qu’on lui a attribuée depuis. On a donné ensuite une autre direction aux esprits, je le sais mais, pour juger la conduite du ministre de 1841, et celle de son successeur, la conduite de l’honorable M. Liedts et la mienne, il faut se reporter aux idées d’alors, idées qui n’étaient pas aussi absolues sur le danger de toucher aux lois organiques.

- La discussion générale est close.

La séance est levée à 4 heures et demie.