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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 8 décembre 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre,
2) Projet de loi portant le
budget du département de la guerre pour l’exercice 1847 (de
Garcia)
3) Fixation de l’ordre des
travaux de la chambre. Défrichement des bruyères et situation sociale dans les
Flandres (Delehaye, Rodenbach)
4) Projet de loi portant le
budget des voies et moyens pour l’exercice 1847. Contribution foncière et
redevance sur les mines (Eloy de Burdinne, Malou, Eloy de Burdinne), droit de
patente sur les dividendes des sociétés anonymes, taxe sur le revenu (income
tax) (Osy, Malou, (+ annulation par
le gouvernement d’une décision provinciale de nature fiscale) (Verhaegen, Malou), Osy,
Malou), annulation par le gouvernement d’une décision
provinciale de nature fiscale (Lebeau, Malou,
Lebeau), patente sur les débits de boissons (Rodenbach, Malou, Mast
de Vries, Rodenbach, Verhaegen,
Desmet), péages sur les canaux et rivières et canal de
Charleroy (Pirmez, Delehaye, d’Hoffschmidt, David, (+industrie
charbonnière et redevance sur les mines) Orban), Sambre canalisée
(Brabant), péages sur les canaux et rivières et Sambre
canalisée (Malou, d’Hoffschmidt),
canal de Charleroy (Dumont), chemin de fer de la Dendre,
industrie charbonnière (Dolez), péages sur les canaux et
rivières (Malou), canal de la Dendre (Dumortier)
5) Projet de loi relatif
aux droits sur les céréales (Desmaisières)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 217) M. A. Dubus procède
à l’appel nominal à 1 heure et
un quart.
Il lit
le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
- La
séance est ouverte.
M. Van Cutsem
présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Bourcier, ancien
bibliothécaire de la chambre, présente des explications pour justifier sa
conduite en 1843. »
-
Dépôt au bureau des renseignements.
________________
« Les sieurs Vandewalle et de
Keersmacker, juge de paix et greffier du premier canton de la justice de paix
d’Audenarde, demandent que les deux cantons de cette justice de paix soient
réunis en un seul. »
-
Renvoi à la commission de
circonscription cantonale.
________________
« Le conseil communal de Termonde adresse
à la chambre douze exemplaires du mémoire de l’ingénieur civil Delaveleye,
intitulé : Examen de la question du chemin
de fer direct de Bruxelles à Gand. »
-
Dépôt à la bibliothèque.
________________
M. le ministre des finances (M. Malou)
adresse à la chambre un état de comparaison entre la situation du trésor au 1er
septembre 1845 et la situation au 1er septembre de l’année courante. »
- Ce
rapport sera imprimé et distribué.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M. Henot dépose plusieurs rapports
sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront
imprimés et distribués..
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA
GUERRE POUR L’EXERCICE 1847
M. de Garcia
dépose le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre pour l’année 1847.
- Ce
rapport sera imprimé et distribué.
Le
jour de la discussion sera fixé ultérieurement.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. Delehaye (pour
une motion d’ordre.) - Messieurs, le gouvernement a soumis à la chambre un projet de loi qui est
principalement destiné à donner du travail aux ouvriers. Ce projet renferme
quelques dispositions qui ne doivent pas donner lieu à une longue discussion ;
il en est d’autres, au contraire, qui provoqueront d’assez longs débats. J’ai,
en conséquence, l’honneur de proposer à la chambre de décider qu’on distraira
du projet de loi dont il s’agit, la partie qui concerne les denrées
alimentaires.
Les
considérations suivantes m’engagent à faire cette proposition à la chambre.
J’ai
assisté, samedi dernier, à la séance du conseil communal de Gand ; il y a été
question de l’hôpital de la ville. Cet hôpital n’est plus suffisamment grand
pour contenir les malades, non pas les malades de la ville de Gand, mais les
malades qui lui viennent des campagnes. Il est arrivé à l’hôpital 165 individus dont la plupart étaient dans un état
désespérant, par suite de la faim ; il y en a eu 20 qui, ne pouvant supporter
la nourriture qu’on leur a offerte, sont morts d’inanition. (Interruption.)
Je
vous demande, messieurs, si une pareille situation peut être longtemps tolérée
; si une grande responsabilité ne pèserait pas sur les chambres et sur le
gouvernement, si nous ne mettions pas immédiatement les communes à même de
secourir leurs pauvres.
Le
gouvernement fait tous ses efforts pour que les budgets soient votés avant le
1er janvier ; c’est sans doute
une idée louable à laquelle nous applaudissons tous ; mais il y a quelque chose
de plus urgent encore ; la plupart des budgets peuvent, à la rigueur, être
ajournés ; nous pouvons voter des crédits provisoires ; mais ce que nous ne
pouvons ajourner, c’est de donner des aliments à ceux qui en manquent.
Je
demande donc que la section centrale veuille bien présenter son rapport sur la
partie du projet qui concerne exclusivement la question des denrées
alimentaires ; cette question peut être discutée immédiatement ; de cette
manière nous ne nous séparerons pas sans avoir staté sur un objet d’une urgence
aussi extrême.
M. le président. - Le
rapporteur de la section centrale m’a promis de déposer demain son rapport ; ce
sera alors le moment de voir (page 218)
s’il y aurait lieu à demander
la discussion isolée de la partie du projet qui se rattache à la question des
subsistances. Il me parait dès lors inutile de continuer à discuter aujourd’hui
une question de priorité qui trouvera naturellement sa place, lorsque demain le
rapport sera déposé comme je l’espère.
M. Delehaye. - Je partage la manière de voir de M. le président ; d’ailleurs,
elle est conforme à la mienne ; mais, remarquez que M. le président n’a pas
donné l’assurance positive que le rapport sera déposé demain. Si donc le
rapport n’était pas présenté, je me réserverais de demander que le rapporteur
fît un rapport spécial sur la partie du projet relative aux substances
alimentaires.
M. Rodenbach. - Messieurs, je partage l’opinion de l’honorable M. Delehaye ; je pense
qu’il y
a urgence à détacher du
projet de loi la partie concernant les subsistances, et qu’il faut statuer
immédiatement sur cette partie. Il y a déjà quinze jours que j’ai dit dans
cette chambre qu’on mourait lentement d’inanition dans les Flandres.
Messieurs, on a établi autour de la capitale et de
plusieurs autres villes une espèce de cordon sanitaire ; on craint l’approche
de nos misérables, comme la peste ; tout le crime de ces hommes est d’avoir
faim. Je pense qu’avant d’aborder le budget de l’intérieur et tout autre
budget, il est important de voter d’urgence le projet de loi en ce qui concerne
les subsistances, de voter les 1,500 mille francs destinés à procurer des
denrées alimentaires à la classe pauvre, car on n’a élevé qu’à 1,500 mille
francs le chiffre de 1,200,000 fr. porté au projet. Mais nous ferons des
amendements pour majorer cette somme qui est encore insuffisante ; et dans un
pays comme la Belgique, on ne peut pas laisser mourir de faim une partie de la
population ; ce serait indigne de la représentation nationale. Je me suis
plaint au ministre des travaux publics de ce que, dans les districts les plus
malheureux tels que Roulers et Thielt, on n’exécutait aucun travail ; dans mon
arrondissement il n’y a pas un seul homme à l’œuvre travaillant pour le
gouvernement.
Nos ministres devraient imiter ce qui se passe
en Irlande ; là les communes reçoivent du gouvernement des subsides
considérables, et procurent de l’ouvrage à des millions de bras.
Demain nous demanderons qu’on détache et qu’on
vote d’urgence la première partie du projet.
M. le président. - Demain la chambre sera appelée à décider cette question de priorité.
Nous passons à l’objet de l’ordre du jour.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS
POUR L’EXERCICE 1847
Discussion des articles
A. IMPOTS
Contributions directes, cadastre, douanes et accises, etc.
« Foncier.
« Principal : fr. 15,500,000. »
- Adopté.
________________
« 5 centimes additionnels ordinaires, dont
deux pour non-valeurs : fr. 775,000. »
- Adopté.
________________
« 10
centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,550,000. »
- Adopté.
________________
« 3
centimes additionnels supplémentaires sur le tout : fr. 534,750. »
M. le président. - M. Eloy de Burdinne a déposé un amendement ainsi conçu :
« J’ai
l’honneur de proposer la suppression des 3 centimes additionnels
extraordinaires supplémentaires à l’impôt foncier, montant à 534,750 francs, et
de remplacer ce déficit au moyen de centimes additionnels sur l’accise du sucre
exotique pour une partie, et le surplus du manquant au moyen de la redevance
sur les mines, en augmentant le principal de l’impôt. »
M. Eloy de Burdinne. - Avant d’aborder mon amendement, je demande la
permission de me disculper et de détruire dans vos esprits, si toutefois il y a
lieu, des intentions que l’on m’a prêtées dans une séance précédente.
Je déclare formellement que mes intentions ne
sont nullement de chercher à faire naître des défiances sur le commerce, encore
moins de provoquer contre lui des dispositions malveillantes.
J’apprécie l’importance du commerce,
particulièrement en ce qui concerne le placement de nos produits à l’étranger ;
je ne l’apprécie pas moins lorsqu’il nous approvisionne de denrées
alimentaires, alors que nous en manquons, et dans la circonstance actuelle, je
suis disposé à lui adresser des remerciements pour les approvisionnements de
subsistances qui nous étaient nécessaires, par suite du manque des pommes de
terre.
Si je sais gré au commerce de sa conduite, je
lui en aurais su bien davantage si les grains qu’il a achetés à l’étranger
avaient été immédiatement déclaré à la consommation et livrés sur nos marchés, au lieu de les entreposer. Par ce
moyen, le commerce aurait arrêté la hausse, et il eût obtenu des louanges et
des remerciements de la Belgique tout entière.
On se trompe singulièrement sur mon compte, si
l’on croit que je suis hostile au commerce, dont j’apprécie toute l’importance.
Cette industrie, comme toutes les autres, a mes sympathies ; je veux les
protéger toutes, en proportion de leur importance par rapport aux intérêts
généraux du pays.
De toutes les industries, ne devons-nous pas
considérer l’industrie agricole comme la plus importante, par les charges
qu’elle supporte au profit de tous, par le nombre de bras qu’elle emploie, et
par les conséquences qui en dérivent ? N’oublions pas que l’anéantissement
du produit des pommes de terre, culture qui n’occupe que 3 p. c. de nos terres
labourables, a nécessité une dépense au pays d’environ 100 millions.
Ne perdons pas de vue que, pour obtenir les
denrées à bon marché, on doit encourager la production, et que notre sol
actuellement en culture est susceptible de produire en céréales 25 p. c. de
plus qu’il ne produit, au moyen de dépenses en labour et en engrais étrangers.
Pour obtenir ce résultat, il faut que le cultivateur soit à même de faire les
avances, en un mot, qu’il soit dans l’aisance.
Messieurs, chaque fois qu’une industrie est dans
la gêne, elle réclame des secours ou au moins la réduction des impôts qui la grèvent
ou qui la contrarient. Il en est même qui, quoique dans un état de prospérité,
provoquent le retrait de telles ou telles dispositions financières, sous le
prétexte que ces impôts gênent ou nuisent à leur industrie, et quoique payant
des impôts très minimes, ne cessent de réclamer des dépenses aux frais de
l’Etat, tout à l’avantage de leur industrie, et il est rare de voir la chambre
et le gouvernement résister à leurs exigences.
Je ne connais qu’une industrie en Belgique qui
ne réclame rien et qui cependant ait autant et plus de droits à la sollicitude
des chambres et du gouvernement, autant, j’ose le dire, que toutes les autres réunies ; c’est de l’industrie agricole que je veux
parler, industrie qui dans le moment actuel est dans la gêne, mais principalement
la petite industrie agricole exercée par de petits cultivateurs exploitant
moins de 20 hectares de terre, en partie propriétaires et en partie locataires.
Cette classe d’industriels est très nombreuse eu
Belgique. Cette industrie
pouvait espérer de voir
disparaitre les trois centimes additionnels à la contribution foncière, en
considération des déficits qu’elle a essuyés deux années de suite : la
perte des pommes de terre et celle du seigle.
Le haut prix des produits de son industrie est
loin de compenser le déficit, comme certains économistes semblent le croire,
d’après ce que vous a dit un honorable député d’Anvers, dans une séance
précédente, qui a comparé les bénéfices du commerce et qui a prétendu que le
cultivateur avait obtenu un avantage proportionnel, par suite du haut prix des
céréales.
Si le commerce, disait cet honorable membre a
gagné dix francs par chaque hectolitre de froment, soit sur deux millions,
l’agriculture qui a vendu dix millions d’hectolitres de grain pour compléter
l’approvisionnement du consommateur, soit douze millions d’hectolitres,
quantité nécessaire à compléter l’approvisionnement de la Belgique, d’après cet honorable
membre, l’agriculture aurait gagné cinq fois autant que le commerce.
Les chiffres sont élastiques, ils sont sujets à
porter à l’erreur, et je vais vous démontrer combien sont erronés ceux produits
par l’honorable M. Rogier.
Les chiffres présentés par cet honorable membre
approcheraient à trente pour cent près de la vérité si le cultivateur avait
obtenu une récolte complète en
1845 et en 1846, et si le haut prix des subsistances ne constituait pas cette
classe d’industriels à des dépenses extraordinaires en charité surtout et dont
ils ne peuvent se dispenser.
Nous n’avons pas dans nos communes rurales des
employés de l’octroi et des gendarmes pour repousser les mendiants étrangers,
nous sommes forcés de leur donner du pain. Il n’en est pas de même dans les
villes, là on ne court pas les mêmes dangers en refusant l’aumône. Dans les
communes rurales on doit s’exécuter quand même.
Qu’il me soit permis de vous administrer la
preuve de l’erreur dans laquelle est tombé mon honorable contradicteur en
prétendant que l’agriculteur a obtenu un avantage proportionnel par la vente de
ses produits haut prix.
Je vais vous démontrer que le cultivateur de
huit à vingt hectares (c’est le plus grand nombre de cultivateurs) est loin
d’avoir obtenu un avantage du haut prix des céréales, occasionné par le déficit
des produits.
Un cultivateur de dix hectares, dont neuf en terres
labourables, cultive dans la bonne Hesbaye trois hectares en froment, un
hectare en seigle, deux hectares eu avoine, un hectare en pommes de terre et deux hectares en
herbes fourragères, trèfles et pâturages.
La récolte de 1845 ne peut être évaluée, au maximum, qu’aux trois quarts d’une récolte ordinaire,
soit 16 hectares 75 lit, rentrant dans la grange, ci : 16 75 ;
A soustraire pour semence (on devrait soustraire
2 hectolitres), 1 75.
Reste 15 00.
Vendu à 23 francs donne par hectare, 345.
Les trois hectares, 1,035
Produit de la basse-cour ou des fourrages, 300
Total du produit brut, 1,335.
La récolte du seigle est considérée comme devant
être consommée dans le ménage ainsi que l’avoine.
Les pommes de terre n’ont produit au plus que la quantité représentant
la mesure employée pour la plantation ; elles n’ont rien produit en 1845.
Tel est le revenu brut de 10 hectares de terre
récoltés en 1845.
Voyons présentement quel eût été le revenu de 10
hectares de terre sans déficit.
Froment, à raison de 21 hectolitres, déduction
de la semence 2 hectolitres, (page 219) reste à vendre 19 hectolitres qui, vendus à
raison de 18 fr., prix inférieur au taux normal, donneraient par hectare, 342
fr.
Les trois hectares, 1,026 fr.
Produit en pommes de terre, à 2 fr. 50 c. au minimum, à raison de 200 sacs nets, la plante déduite,
soit 500 fr.
Produit de la basse-cour, 300 fr.
Total, 1,826 fr.
Balance :
Produit d’une récolte complète qui, vendue
au-dessous du prix normal, aurait donné au cultivateur, en 1845, 1,826 fr.
Elle n’a
donné que 1,335 fr.
Perte pour le cultivateur, 491 fr.
Et le froment qu’il a consommé doit lui être
compté au même prix que le paye le consommateur, rentier ou autre.
Si vous ajoutez à ce déficit les nombreuses
dépenses obligées, à charge du cultivateur, pour soulager la classe indigente,
vous conviendrez avec moi, que la cherté des subsistances occasionnée par un
déficit dans les produits, est bien plus au détriment des agriculteurs qu’elle
ne l’est aux consommateurs.
Que l’on ne s’abuse pas sur le chiffre du
produit de 10 hectares récoltés en 1845, montant à 1,335 fr. ; c’est un revenu
brut et non un revenu net, lequel est absorbé presque intégralement en frais de
culture et en impositions de toute espèce.
Si je faisais le même compte pour la récolte de 1846, j’obtiendrais à peu près le même résultat. Le
froment a donné deux tiers, le seigle un quart, et les pommes de terre deux
tiers.
Les faits répondent aux chiffres que je viens
d’établir ; la presque totalité de nos petits cultivateurs sont arriérés dans
leurs rendages ; ils n’ont pu faire face à leurs obligations avec les produits
; ceux qui ont payé ou donné des à-compte, y ont pourvu au moyen d’autres
ressources.
D’après ces considérations, ne serait-il pas
juste de venir au secours de cette industrie, qui ne vous demande pas de
subside, mais qui a droit à un dégrèvement de l’impôt foncier ?
Je crois, messieurs, avoir complétement détruit
les arguments qu’ont fait valoir plusieurs de nos honorables collègues qui, de
bonne fois, j’en suis persuadé, supposent l’industrie agricole dans un état de
prospérité ou du moins dans un état d’aisance.
Je termine en demandant la suppression des trois
centimes additionnels supplémentaires, montant à 534,750 fr.
En me bornant là, je
crois faire acte de grande modération. D’autres industries demanderaient des
subsides ou des réductions de péages, et ne se contenteraient pas d’une
réduction d’impôt.
En résumé, la principale industrie du pays ne
vient pas vous demander des subsides ; cependant sa position lui en donnerait
le droit. Par mon organe, elle réclame une bien minime réduction des impôts
qu’elle paye à l’Etat, seulement 3 p. c. sur les 13 seizièmes des impôts qui la
grèvent. En faisant cette demande, je donne au gouvernement de quoi remplacer
le déficit, au moyen d’une augmentation sur la consommation d’une matière de
luxe, sur les sucres, dont la classe aisée fait le plus grand usage.
Et si M. le ministre des finances croit ne pas
devoir remplacer le montant en déficit de la suppression des 3 centimes dont je
demande la suppression au moyen d’une augmentation du droit de consommation sur
le sucre, je lui signale la redevance sur les mines qui est et doit être
augmenté, si l’on fait attention que les produits des terres à la superficie
payent de 10 à
15 p. c. d’impôt à l’Etat, tandis que les produits du sous-sol (les
minerais) ne payent pas en impôt la somme que supporte l’Etat dans l’intérêt de
l’industrie minéralogique. N’est-il pas irrationnel, je m’abstiens
de dire ridicule, d’exiger de gros impôts de la part du cultivateur qui obtient
des produits des terres à la superficie, tandis que les produits du sous-sol
non seulement ne payent rien à l’Etat,
mais au contraire obtiennent des subsides à charge
des cultivateurs qui exploitent la superficie ?
En résumé, je ne demande
pas la réduction des ressources de l’Etat, je demande moins que les autres
industries, je ne réclame pas de subside, je sollicite une réduction d’impôt et
j’ai l’espoir de l’obtenir. La chambre n’aura pas deux poids et deux mesures,
elle consentira à
ma réclamation.
Pour le moment, je me bornerai à ces considérations. Mais je vous prie de
réfléchir à
la pénible position où se trouve
l’industrie agricole dans le moment actuel. Cette industrie, comme toutes les
autres, a droit à
la bienveillance du
gouvernement et à ses sympathies, d’autant plus que de toutes les industries
c’est celle qui paye le plus de subsides à l’Etat,
car les treize seizièmes des impôts sont payés par l’agriculture et par la
propriété.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je reconnais que dans la crise ou le pays s’est trouvé et se trouve
encore à
certains égards,
l’agriculture a eu à
supporter de grandes pertes
; cependant je ne puis pas me rallier à l’amendement de l’honorable député de
Waremme, parce qu’il me paraît impossible de supprimer les trois centimes
additionnels supplémentaires à la
contribution foncière sans rompre la balance des budgets. Il me paraît
également impossible d’admettre par la loi du budget une modification non définie de la
redevance des mines et une autre modification dont je ne puis apprécier les conséquences sur la nouvelle loi sur les sucres.
En effet, l’honorable membre propose de supprimer les 3 centimes additionnels supplémentaires et d’en remplacer le
produit par un changement de la
redevance des mines et par une
modification peut-être très profonde qui aurait pour résultat d’altérer le
système de la nouvelle loi sur les sucres.
En ce qui concerne la redevance des mines, la
section centrale a de nouveau appelé l’attention du gouvernement sur cette
question. Le conseil des mines, qui est assurément le corps le plus compétent
pour nous aider à améliorer cette partie de la législation, est saisi de
l’examen de l’affaire. J’espère qu’on pourra, dès l’année prochaine, réaliser
l’amélioration demandée.
M. Eloy de Burdinne. - L’honorable ministre des finances ne doit ni ne
peut, dit-il, se rallier à ma proposition, parce qu’elle romprait l’équilibre
des budgets. Je vous ferai remarquer qu’on peut très bien, tout y adoptant
mon amendement, pourvoir au déficit, soit par les impôts se j’ai signalés, soit
par d’autres. Mais il y a un autre moyen quand on est dans le cas de ne pas
avoir un revenu suffisant pour faire toutes les dépenses que l’on croirait
utile de faire, on se modère et l’on réduit ses dépenses. Mais parce que l’on a
admis qu’on fera une dépense de tant, faut-il qu’on vienne pressurer une industrie
qui se trouve dans la gêne ?
L’équilibre de l’impôt sur le sucre serait-il
dérangé, si l’on prélevait sur les consommateurs de cette matière un impôt
supérieur à celui qu’on paye aujourd’hui ? Mais on ne se fait pas de difficulté
de percevoir 4,800,000 fr. sur le consommateur de sel ; et l’on se borne à
percevoir trois millions sur le sucre, qui est la consommation de la classe
aisée, la consommation de luxe.
Croyez-moi, cette malheureuse industrie agricole
trouve bien peu de sympathie chez nos hommes d’Etat et chez nos représentants.
On n’a aucun égard à sa position. Fût-elle agonisante, on ne lui apporterait
pas le secours. Prenez-y garde ! Ne perdez pas de vue que s’il n’y avait
pas l’industrie agricole, il n’y aurait pas de Belgique. Quand vous aurez
anéanti cette industrie, il en résultera que les produits diminueront
considérablement ; car le sol ne produit que ce qu’on lui fait produire.
Anéantissez la culture ; ne donnez pas au cultivateur le moyen de faire les
dépenses nécessaires, et au lieu d’acheter pour un million de céréales à l’étranger,
vous devrez en acheter
pour 50 millions de francs.
Lorsque l’argent sera disparu de la Belgique, comment vous procurerez-vous les
céréales nécessaires pour pourvoir à la subsistance des populations ?
Croyez-vous que l’étranger vous en donnera gratuitement, vous en donnera à crédit ?
Ne le croyez pas. L’étranger ne vous donnera ses produits que contre argent
comptant.
Cette question, messieurs, est de la plus haute
importance. Qu’on ne soit pas dans le cas de refuser à l’agriculture, je ne
dirai pas un secours, allégement.
Je bornerai là mes observations.
Je suis fâché que M. le ministre des finances n’ait
pas trouvé le moyen de remplacer par d’autres impôts la faible réduction que je
demande.
Messieurs, cette augmentation de l’impôt foncier
ne date que de quelques années.
Si nous n’avons pas le moyen de faire face à
toutes nos dépenses, il y un autre moyen ; c’est de les réduire.
Quand on jette les yeux sur le budget des voies
et moyens, on voit que la
contribution foncière est
grevée de 18 centimes additionnels, tandis qu’il n’y a que 10 centimes additionnels sur la contribution des
patentes. Voilà, messieurs, les faveurs que l’on fait à l’agriculture. A elle
l’honneur de payer beaucoup plus que les autres.
- L’amendement de M. Eloy
de Burdinne est mis aux voix et adopté.
Le quatrième paragraphe de l’article « Impôt foncier » est mis aux voix et adopté avec le chiffre de 534,750
fr.
Personnel
« Personnel.
« Principal : fr.
8,318,000.
« 10 centimes
additionnels extraordinaires : fr. 831,800.
« Ensemble :
9,149,800. »
- Cet article est adopté.
Patentes
« Patentes.
« Principal : fr. 2,730,000.
« 10 centimes additionnels
extraordinaires : fr. 273,000.
« Ensemble : fr. 3,003,000. »
M. Osy. - M. le ministre nous a dit qu’aussi longtemps qu’il serait au pouvoir
il ne proposerait jamais une taxe sur le revenu ; il a ajouté que les lois d’impôts et la
fiscalité de l’ancien gouvernement avaient été une des causes de la révolution et, par
des grands mots de patriotisme, de sagesse du gouvernement, il a voulu étourdir la chambre.
Pour ce qui est de la taxe sur le revenu, dont
M. le ministre ne veut pas, je vais vous prouver que s’il ne le veut pas par
une loi, il l’a établie par arrêté ministériel.
L’article 9 de la loi de 1823 dit :
« Le droit de patente sur les sociétés
anonymes, fixé par le tableau n°9, à 1 2 p. c. du montant cumulé des
dividendes, est réduit à 1 1/3 p. c. Seront désormais considérés comme
dividendes donnant ouverture au droit, les remboursements et accroissements de
capitaux. Cependant le (page 220) droit
ne sera pas dû sur les sommes remboursées, lorsque les sociétés feront conster
de la première mise de fonds et des remboursements qui ont eu lieu depuis, de
manière à ce que les remboursements du capital placé ou fourni, peuvent être
suffisamment distingués des dividendes. »
Vous voyez, messieurs, qu’il ne s’agit que du
droit de patente sur les dividendes. Lisez toutes les concessions du
gouvernement pour les sociétés anonymes et vous verrez que le dividende s’établit seulement après le prélèvement
des intérêts.
Sans faire de grandes recherches, j’ai sous les
yeux le Moniteur du
28 novembre qui accorde la sanction
d’une compagnie d’assurances, et j’y vois.
« Art. 37. Il sera prélevé sur les
bénéfices nets déduction de tous les frais d’administration et charges sociales, et payé
aux actionnaires, un intérêt de 4 p. c. sur les fonds versés par eux.
« Art. 38. Les bénéfices excédant cet intérêt seront
répartis à titre de dividende entre toutes les actions,
etc. »
Vous voyez donc qu’encore aujourd’hui le gouvernement approuve que le
dividende n’est fixé qu’après le payement
des intérêts du capital social.
Aussi de 1823 à 1830 les ministres des finances
des Pays-Bas,
si fiscaux, qu’ils ont produit une des
causes de la révolution, d’après les
dires de l’honorable
M. Malou, ont toujours seulement fait payer les droits de patente sur les
dividendes, après le prélèvement des intérêts.
Tous les ministres
depuis
1830, Coghen, Duvivier, le sévère mais
juste M. Huart, .M. Desmaisières et M. Mercier ont toujours fait prélever le droit de la même manière.
Ainsi, depuis 23 ans,
on exécute la loi comme nous l’entendons ; mais le
sage et paternel ministre des finances actuel blâme
par arrêté ministériel tous ses prédécesseurs
(voyez
son arrêté du 31 décembre 1845), et donne ordre de faire payer même le
droit de patente sur les intérêts.
Nous avons encore comme collègues trois anciens ministres, gouverneurs
aujourd’hui,
et je voudrais bien leur voir prendre la parole dans cette circonstance.
Car il est certain qu’ils devront avouer que, sous ce rapport, ils ont négligé
les
intérêts du trésor, ou que M. Malou a tort aujourd’hui.
Ils ne peuvent pas sortir de ce dilemme et nous verrons si nous
pouvons les engager
à prendre la
parole et
comment ils en sortiront.
Voilà donc la fiscalité
hollandaise pendant 7 ans
qui ne perçoit la patente que sur les dividendes ; cependant les ministres hollandais avaient fait la tmi, présenté les considérants, assisté aux discussions, et ils
entendaient comme nous l’article 9 de la loi de 1823.
Mais M. Malou, qui accuse les autres d’une fiscalité telle
qu’ils ont provoqué une révolution, trouve que tous ses prédécesseurs pendant
23 ans ont eu tort et que lui seul est sage
et comprend les lois !
Pourquoi ne fait-on pas payer le droit de patente sur les intérêts ? C’est pour mettre le rentier, qui n’a que des fonds
publics, sur le même pied que le rentier
qui veut
avec ses capitaux venir à l’aide de l’industrie particulière, et au lieu de vivre
comme le rentier, que j’appellerai l’homme à l’abri
de mauvaises chances, veut bien exposer ses capitaux dans
l’intérêt de l’industrie. Et par ce moyen nous avons fait
de grandes choses ; nous avons établi, depuis 1830, les
armements, les banques, les
sociétés de
charbonnages, les hauts fourneaux, les machines mécaniques, les filatures de lin, les compagnies d’assurances, les sociétés d’exportation, les verreries, les fabriques de glaces,
etc., etc., et
vous savez, messieurs, combien de
sociétés, pendant nombre d’années,
ont
non seulement privé les actionnaires de dividendes, mais même d’intérêts ! combien de personnes
ont
mis une partie de leur fortune dans ces diverses
sociétés
et combien de ces actions, qui n’ont même jamais donné seulement d’intérêt, mais qui se sont liquidées avec 25
à 50 p. c. de perte ! Et même à Bruxelles on est occupé à liquider une société qui nous
fera perdre 70 p. c. de notre capital.
Pour ma part, je ne regrette pas les pertes
faites,
puisque c’est dans l’intérêt du pays qu’on a formé ces établissements et que l’industrie
a pu se perfectionner et s’étendre. Ainsi j’estime plus le rentier qui donne
une partie de ses capitaux à l’industrie, que le
rentier qui doit tranquillement et sans souci se borner à couper les coupons de ses fonds belges
et étrangers.
Je vous laisse maintenant à juger lequel des deux rentiers est le plus utile à la
société. Cependant celui qui coupe
seulement ses coupons ne paye pas de droit de patente,
et
celui qui s expose, qui veut être utile à la société, est frappé
deux
fois : par un droit de patente non seulement .sur les dividendes, mais même sur
les intérêts de ses capitaux.
Voilà de la justice distributive d’après l’honorable M. Malou ! Il nous dira encore : Je ne veux pas et
je
ne voudrai jamais l’income-tax. Il est impossible qu’il vous prouve que, de son autorité privée, il ne l’ait pas établie et pas encore sur tous ceux qui ont des revenus
de leurs capitaux, mais seulement sur la classe
la plus utile : la
société ; sur celle qui donne son
argent pour
développer toutes les branches de votre industrie. C’est
le bon moyen
d’arrêter tout élan, de nous empêcher d’arriver, comme en Angleterre, à
voir presque tout fait par l’industrie particulière et en décharger
ainsi le gouvernement. Je prierai mon honorable ami M. Pirmez de me dire si, d’après ce qui se passe,
le
gouvernement ne fait pas tout
ce qu’il
peut pour arrêter l’élan de l’industrie ; car quand l’industrie ne trouvera plus de capitaux chez les rentiers, l’industrie particulière ne pourra
plus rien faire de grand.
Comment ! on frappe mes revenus parce que je
m’expose ne pas toucher d’intérêts et même à perdre mon capital, et on laisse
tranquille celui qui ne fait rien pour la société !
Nous n’avons pas les exposés des projets de loi
de 1819 et 1823. Mais le bon sens, la rédaction claire de l’article 9 que je
vous ai cité, prouve, clair comme le jour, qu’on n’a voulu imposer le droit de
patente que sur les dividendes, après prélèvement des intérêts ; et tous les
statuts des sociétés prouvent à l’évidence que le gouvernement l’a toujours
entendu comme nous, et même encore aujourd’hui, comme je viens de le prouver
pour une société sanctionnée par arrêté royal du 25 novembre 1846. (Moniteur du 28 novembre).
Pour ma part, je suis persuadé que les cours et
tribunaux qui vont être saisis de la question entendront la loi comme nous et
comme la députation de la Flandre orientale l’a décidé. Mais je désirerais
éviter ces procès à
nos concitoyens et éviter à
M. Matou l’aveu qu’il est plus fiscal que les ministres hollandais, qui,
d’après lui, par leur fiscalité ont été la cause de la révolution. Lorsque les
sociétés auront gagné leur procès, je demanderai qui est le plus fiscal :
le gouvernement hollandais de 1823 à 1830, ou le gouvernement belge depuis
l’entrée aux affaires de l’honorable M. Malou.
Comment se forment les rôles de patente ? Par
des répartitions, et lorsqu’il y a des réclamations, c’est la députation qui
statue, admet ou rejette.
Je sais que, d’après la loi provinciale, le
gouvernement peut casser la décision les députations ; mais si le gouvernement
le fait pour les contributions, il est juge et partie.
Un gouverneur des Flandres, qui a été ministre
des finances et qui a
entendu comme nous
l’exécution de la loi des patentes, s’est adressé au Roi, pour faire casser la
résolution de sa députation. Je serais curieux de lui
voir prendre la parole dans cette circonstance, pour voir comment il s’y
prendrait pour blâmer son administration comme ministre des finances.
Je conclus donc que M. le ministre a pris un
arrêté ministériel illégal, contraire au bon sens et la justice distributive
entre tous les contribuables et expose encore de devoir biffer la signature
royale de l’arrêté du mois d’octobre, qui casse la délibération de la
députation de Gand.
J’ai aussi prouvé que le ministre qui ne veut
pas l’income tax l’a établi par arrêté ministériel, mais par excès d’injustice
ou au moins par erreur, sur une seule classe de contribuables, et
encore sur celle qui rend le plus grand service à la
société. C’est en même temps injuste, illégal et très maladroit.
En Hollande la loi de 1823 a été changée par une
loi de 1832, et on a établi le droit de patente à 2 p. c. Il paraît qu’on
voudrait aussi essayer maintenant de faire payer patente sur les intérêts, mais
la société de commerce (Handel-Maatschappij)
qui, depuis 21 ans qu’elle
existe, n’a jamais payé, que sur le dividende, s’y refuse comme nos sociétés.
Comme le gouvernement hollandais a donné depuis
peu cet exemple de fiscalité, je ne serais pas étonné que M. Malou
eût reçu l’éveil de cette belle invention de la Hollande, et que ce ne fût pas
de sa propre imagination. Hier vous blâmiez la fiscalité hollandaise, une des
causes de la révolution, et aujourd’hui vous vous empressez de
suivre l’exemple de la Hollande !
Je regrette qu’un homme
comme M. Malou suive à la légère des errements aussi faux et qu’il se déclare,
de son autorité privée, plus sage, plus judicieux, connaissant mieux les lois
que tous ses prédécesseurs depuis 23 ans. Au moins on conviendra que ce n’est
pas de la modestie !
J’engage donc le gouvernement de rentrer dans la
légalité et de retirer son arrêté ministériel du 31 décembre 1845 et d’éviter
les procès nombreux qui vont avoir lieu.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, nos discussions entrent depuis quelque temps dans une voie
entièrement nouvelle. Le gouvernement, dans l’exécution des lois financières,
rencontre naturellement des difficultés d’application qui sont soumises aux
tribunaux. Aujourd’hui, messieurs, nous entrons dans cette voie, que le
ministre des finances aura désormais à faire plaider devant les tribunaux les
diverses contestations qui s’élèvent sur l’application des impôts et à plaider
concurremment devant les chambres le même procès.
Je le demande, messieurs, cela est-il conforme
aux intérêts de nos discussions, aux intérêts du gouvernement ? Je me suis posé
cette question messieurs, parce que j’ai vu s’élever récemment la question
relative à la relâche à Cowes, qui faisait ce jour-là même l’objet de
plaidoiries devant le tribunal d’Anvers, et que je vois aujourd’hui s’élever une nouvelle question d’application des
lois d’impôt qui est soumise aux tribunaux.
Dorénavant, messieurs, si des discussions de ce genre s’élèvent, je tiens à le dire bien
franchement, je répondrai seulement dans le cas où la chambre déciderait qu’il y a lieu de
répondre.
Messieurs, cette question est grave en elle-même
comme résultat financier. Elle est aussi au point de vue des principes et de
l’équité.
Comme résultat financier, il peut s’agir, à peu
près, si l’opinion du gouvernement est reconnue fondée, d’un revenu annuel
d’environ 150,000 fr. Pour moi, dans l’ordre de mes devoirs, après avoir
examiné de bonne foi le sens, l’esprit des lois, je crois que je ne puis pas
négliger ce revenu. L’honorable membre demeure tout à fait
libre de faire tous ses efforts pour les faire perdre au trésor.
Messieurs, j’entends reprocher au gouvernement
un excès de fiscalité. Vous jugerez d’après l’exposé que je vais vous
présenter, si l’application que le gouvernement a faite des lois existantes
n’est pas légitime et équitable.
(page 221)
Je ne m’arrêterai pas à quelques expressions trop vives échappées à la plume de
l’honorable membre. Je ne veux voir que la question de principe et la question
de fait.
La législation des patentes a subi, en ce qui concerne les sociétés anonymes, plusieurs
vicissitudes. L’ordonnance de 1816 avait cotisé ces sociétés, non point d’après les bénéfices ou les intérêts, mais d’après leur capital.
La loi de 1819 a changé cet état de choses ; elle a établi le droit, non plus sur le capital social, mais sur les bénéfices
sociaux.
Veuillez bien le remarquer, ni dans les termes
de la loi, ni dans les discussions, on ne trouve cette opposition que
l’honorable membre prétend établir entre les intérêts et les dividendes ; non
seulement la loi ne fait pas cette distinction, mais je prouverai qu’elle la repousse.
Ainsi, dans les explications données par le gouvernement, je trouve ce qui suit
:
« Le gouvernement s’est attaché, dans la
fixation des différents droits, à rechercher tous les moyens qui, selon la
nature et les exigences des cas, pourront faire connaitre les bénéfices respectifs de chaque profession ou métier. »
Vous voyez, messieurs, que la distinction entre
les intérêts et les dividendes n’est pas
établie, mais que l’on veut frapper le bénéfice résultant de l’exercice d’une
profession.
En s’expliquant sur le changement de système, en
indiquant pourquoi la loi de 1819 a substitué à la cotisation d’après le
capital le prélèvement d’une part sur les bénéfices, le gouvernement énonce encore
bien clairement pourquoi il a proscrit cette
distinction entre les intérêts et les dividendes. Je vois, en effet, dans une explication
officielle, que l’on a voulu frapper le revenu net des sociétés anonymes. (Interruption.)
Faut-il vous expliquer ce qu’est le revenu net et le revenu brut ? Je suis très reconnaissant de l’interruption. Le revenu brut d’une société est celui qu’elle
a sans décompter ses frais et ses charges
; le revenu net est celui
qui lui reste tous frais et charges déduits. Eh bien, messieurs , les intérêts font évidemment partie du revenu net des capitaux mis en
société (dénégation)
; cela est élémentaire et je
m’étonne de devoir le dire.
Ainsi, messieurs, d’après le texte de la loi de
1819, et d’après les explications officielles qui ont été données par le
gouvernement, on a voulu établir la cotisation sur le revenu net des sociétés
anonymes.
Il y a quelque chose de plus ; quand on consulte
le texte des lois hollandaises, on voit partout : « distributions de tous
genres », « gezamentlijke
uitdeelingen. » Eh bien, je le demande,
est-ce que l’intérêt comme le dividende, n’est pas une distribution faite des
produits des capitaux des sociétés anonymes ?
Allons plus loin ; demandons-nous quel est le
sens qu’on attache dans la langue française au mot « dividende » ? J’ai consulté une autorité bien respectable, le dictionnaire de
l’Académie, pour savoir ce qu’il fallait
entendre par le mot dividende,
et voici la définition que
le dictionnaire en donne :
« Dividende en
termes de commerce et de finance. La portion d’intérêt ou de bénéfice qui revient
à chaque actionnaire d’une compagnie de commerce ou de finance. »
Ainsi, la distinction qu’on établit aujourd’hui
est proscrite et par le texte de la loi, et par les explications officielles
données sur la loi, et par le jugement de l’Académie française elle-même.
J’ai fait rechercher quel pouvait être le motif
pour lequel on avait, dans la loi de 1819, employé le mot « dividende » sans parler des intérêts. Ce motif est très
facile à saisir. L’on a compulsé avec le plus grand soin dans le Journal officiel du royaume des Pays-Bas quelles étaient les
conditions constitutives des sociétés anonymes alors établies, et l’on est
arrivé à ce fait, qu’à l’époque de la loi de 1819, il n’y avait pas en Belgique
une seule société anonyme qui eût fait une distinction entre les intérêts et
les dividendes ; toutes les sociétés anonymes, alors existantes, ne donnaient que des
dividendes.
Une autre observation se présente encore, en ce
qui concerne le texte même
de la loi. Je vois partout
dans le texte français ces expressions « montant cumulé
des dividendes » ; et je me demande si l’on avait voulu introduire dans la
loi une distinction entre les intérêts et les dividendes proprement dits, en
considérant ces deux expressions comme étant en opposition l’une avec l’autre,
pourquoi l’on aurait ajouté ces mots : « Montant cumulé des dividendes ».
La loi de 1823 n’a fait autre chose que de
changer la quotité des impôts et y assujettir non seulement les intérêts et les
dividendes, mais aussi les remboursements et les accroissements de capitaux. Eh
bien, messieurs, n’est-ce pas donner à la loi une interprétation tout à fait
irrationnelle que de prétendre, d’une part, que les intérêts, c’est-à-dire les
produits directs faisant partie du revenu net, échappent à l’impôt, tandis qu’on
a expressément dit, en faisant la loi de 1823, qu’on voulait atteindre même les
remboursements et les accroissements de capitaux ?
Il devait en être ainsi, au point de vue où l’on
s’est placé en établissant la législation des patentes ; en interprétant la loi
comme j’ai cru devoir le faire, les sociétés anonymes jouissent encore
aujourd’hui, au point de vue de la législation des patentes, d’un très grand
privilège.
Remarquez, en effet, messieurs, dans quet
système le législateur s’est placé, pour décréter la loi de 1819.
Certaines professions ont une importance qu’on
peut apprécier d’après quelques indices. Ainsi, par exemple, les professions
soumises à l’accise sont cotisées suivant telle ou telle base, soit
d’après les ustensiles, soit d’après la production constatée à l’accise. Vous avez un grand nombre d’autres
professions dont
les produits sont constatés par une
présomption légale, d’après
le nombre des ouvriers qu’on emploie.
Mais, messieurs, pour toutes ces professions, permet-on
aux patentables, à la fin de l’année, de déclarer qu’ils n’ont pas eu les
intérêts de leur capital ? Non, messieurs, on impose ces patentables d’après
les présomptions légales, alors même qu’ils pourraient faire constater d’une
manière irrécusable que l’exercice de leur profession, loin de constituer pour
eux un bénéfice, loin de leur donner des intérêts ou un dividende, les
constituent en perte, leur ont fait perdre une partie du capital engagé dans
leur industrie.
Ainsi donc, et ici je touche à la question
d’équité, toutes les autres industries sont cotisées d’après des bases fixes,
indépendantes des produits mêmes de l’industrie, et les patentables ne sont pas
admis à prouver qu’ils ont essuyé des pertes, qu’ils n’ont pas retiré des
intérêts de leurs capitaux.
Quant aux sociétés anonymes, au contraire, et
c’est là sans doute un privilège qu’on ne méconnaîtra pas, il n’y a pas
d’impôt, lorsqu’il n’y a pas de bénéfice ; et lorsque la législation accorde un
tel privilège, on vient dire qu’il faut pouvoir prélever 5 ou 6 p. c.
d’intérêt, avant d’être soumis à l’impôt.
Les sociétés anonymes prélèveraient leurs
intérêts au taux de 5 ou 6 p. c. sans être soumises à l’impôt ! Ici encore une
fois voyez combien, d’après le sens que l’honorable M. Osy donne à la loi de
1819 et à celle de 1823, cette législation serait absurde.
Voici deux sociétés anonymes avec les mêmes
capitaux, faisant les mêmes opérations, obtenant les mêmes résultats. Mais pour
l’une, tout est dividende ; l’autre a stipulé, par exemple, la remise aux
actionnaires de l’intérêt commercial de 6 p. c. Je suppose que l’une et l’autre
fassent un bénéfice représentant 6 p. c. : l’une ne payera rien, et l’autre
payera sur la totalité de ses bénéfices. Telle serait, d’après la distinction
arbitrairement créée par l’honorable membre, l’application de la loi des
patentes. Il dépendrait donc des combinaisons de l’industrie d’échapper à
l’impôt, puisqu’on peut porter l’intérêt
commercial jusqu’à 6 p. c. et qu’on peut descendre jusqu’à 2 p.c. En effet,
nous avons en Belgique des sociétés qui donnent 2 p. c. ; nous en avons qui
donnent 6 p. c.
Je compare maintenant deux professions exercées
par une société anonyme et par des particuliers. Je suppose, par exemple, une
banque agissant avec un capital de 10 millions, et dix banquiers agissant avec
un capital d’un million ; je suppose que les uns et les autres tirent de cette
industrie un intérêt de 5 p. c. ; les dix banquiers payeront une patente
d’environ 6,000 fr., et la société anonyme, d’après le système préconisé par
l’honorable M. Osy, ne payera rien, lorsqu’elle ne donnera que 5 p. c. Je suppose que les
dix banquiers faisant les mêmes opérations, agissant avec le même capital,
aient perdu le quart de ce capital ; ces dix banquiers payeront leur patente de
6,000 fr., et la société anonyme qui, loin d’avoir fait des pertes, aura fait
des bénéfices, ne payera pas de patente, d’après l’honorable M. Osy.
Cette comparaison, si je voulais l’étendre à
toutes les industries, m’amènerait à la même conclusion ; c’est-à-dire que,
d’une part, on ferait des bénéfices qui, contrairement à la volonté expresse de
la loi, échapperaient à l’impôt, tandis que, d’autre part, on payerait l’impôt, bien
ne la taxe n’eût pas existé, et cela parce qu’on s’attacherait aux perceptions
légales.
Lorsqu’on se rend bien compte des bases sur
lesquelles l’impôt des patentes est assis, et de la manière dont les
cotisations sont faites, on conçoit que, pour une loi de cette nature,
plusieurs années aient pu s’écouler sans que le gouvernement ait connu l’erreur
dans laquelle on a versé. Cette erreur a existé en Belgique et longtemps en
Allemagne ; elle sera redressée, j’espère,
en Belgique, comme elle l’est depuis assez longtemps en Hollande.
Je me suis enquis des faits depuis que la
question a été soulevée. Il existe en Hollande une loi votée depuis 1830, et
qui porte la date du 16 juin 1832 ; mais cette loi n’a pas changé le principe ;
elle n’a fait qu’aggraver l’impôt. Je lirai le paragraphe
premier de
l’article 8 de cette loi : »
« Het regt van
patent, verschuldigd door de namelooze maatschappijen, zal begraden twee ten
honderd van de gezamentijke uitdeelingen, waaronder begrepen de aflossingen en
accressen van kapitaal. »
Vous voyez donc que la loi hollandaise de 1832
n’a fait que porter qu’à 2 pour cent un droit qui, en Belgique, n’est que de 1
1/5 pour cent.
En 1838 l’administration
hollandaise, par une circulaire que j’ai fait imprimer en même temps que les
autres documents dont l’honorable Osy avait demandé la publication, a décidé que la
cotisation comprend non seulement les dividendes par opposition aux intérêts,
mais tous les dividendes, intérêts ou distributions quelconques des sociétés
anonymes. Cette circulaire sert de base aux cotisations établies en Hollande en
1838.
Vous voyez, messieurs, d’après ces
considérations que je me suis efforcé d’abréger autant que possible, que le
gouvernement n’a pas agi dans un but de fiscalité et à la légère, mais qu’après
un mûr examen, il a eu la conviction qu’il exécutait la loi selon son texte, selon
son esprit et conformément aux principes de la justice.
(page 229) M. Verhaegen. - M. le ministre des
finances trouve extraordinaire que mon honorable ami M. Osy vienne entretenir la
chambre d’une question qui en ce moment est soumise aux tribunaux ; mais,
messieurs, il est une autre question qui doit être examinée avant tout, c’est
celle de savoir si M. le ministre des finances était bien compétent pour
apprécier le mérite de l’arrêté de la députation permanente dont il s’agit, et
cette question de compétence, je ne crains pas de le dire, ne peut pas souffrir
l’ombre d’un doute : M. le ministre des finances, en annulant l’arrêté de
la députation permanente de la Flandre orientale, qui a décidé que le droit de patente n’est pas dû sur
les intérêts que payent à leurs actionnaires les sociétés anonymes, abstraction
de la violation de la loi,, M. le ministre des finance a commis un excès de pouvoir en s’attribuant une
juridiction qu’il n’a pas. Quoi ! le gouvernement plaide devant les
tribunaux contre les sociétés anonymes qui refusent de payer le droit de
patente sur les intérêts de leurs capitaux, et administrativement il veut juger
en dernier ressort les questions relatives à l’assiette du droit ! Il
serait donc à la fois juge et partie ! Cela
est-il tolérable sous le régime de la constitution de 1830 ?
M. le ministre m’objectera,
sans doute, l’article 125 de la
loi provinciale qui porte :
«
Lorsque le conseil ou la
députation a pris une résolution qui sort de ses attributions, ou blesse
l’intérêt général, le gouverneur est tenu de prendre son recours auprès dii
gouvernement dans les dix jours, et de le notifier au conseil ou à la
députation, au plus tard dans le jour qui suit le recours. »
M. le ministre des finances (M. Malou). -
C’est l’article 85 qui concerne la députation, celui-là est relatif au conseil.
M. Verhaegen. -
L’article 85 parle de toute autre chose ; c’est bien l’article 125.
M. le
ministre soutient-il, je le prie de s’expliquer catégoriquement, que chaque
fois que le conseil ou la députation prend une résolution, le gouvernement a le
droit de l’annuler ?
M. le ministre des finances (M. Malou). -
Oui, si elle blesse l’intérêt général.
M. Verhaegen. -
Oui, dites-vous, si elle blesse l’intérêt général ; mais soutenez-vous qu’il le
puisse dans toutes les matières sans exception ? Ainsi pour la milice, ainsi pour
tout ce qui a rapport au domicile de secours, aussi bien
que pour ce qui concerne l’assiette des impôts, et spécialement pour
toutes les questions qui se rattachent au droit de patente ?
Eh
bien, si vous me faites cette concession, et vous êtes obligé de me la faire,
je dis que votre compétence n’est pas soutenable ; en effet, il est passé en
jurisprudence administrative qu’en matière de milice, la députation permanente
juge en dernier ressort, et que le gouvernement n’a pas le droit de contrôler
ses décisions, loin de pouvoir les annuler. Il en est de même pour les
questions qui se rattachent au domicile de secours, sauf le seul cas où la
difficulté surgit entre deux provinces.
Messieurs,
la jurisprudence administrative est basée entre autres sur les discussions qui
ont eu lieu en 1836, au sujet
de la loi provinciale. Notre honorable ami, M. Fleussu, sur l’article 125 a dit, en termes explicites et avec
l’assentiment de la chambre tout entière, que lorsque les députations
permanentes, au lieu de prendre une simple mesure administrative, posent des
actes de juridiction contentieuse, le
gouvernement n’a pas compétence pour annuler leurs décisions ; il a cité les
questions qui se rattachent à la milice, au domicile de secours et au droit de
patente.
Je ne
prétends pas, messieurs, qu’il n’y ait rien à faire pour combler la lacune qui
existe dans la législation actuelle, mais il n’appartient pas au gouvernement
de combler cette lacune par arrêté.
Messieurs,
pour qu’il y eût uniformité dans les décisions des diverses députations
permanentes, il faudrait une autorité supérieure qui décidât en dernier ressort. S’il y avait un
conseil d’Etat, on lui attribuerait ce pouvoir ; mais comme nous n’en avons pas
(et j’espère que nous n’en aurons jamais), il faudrait attribuer la juridiction
en dernier ressort à une autre autorité supérieure, à la cour de cassation, par
exemple.
Si je
ne me trompe, l’honorable M. Lebeau a présenté, en 1837, un projet de loi destiné à combler la lacune, et on ferait
bien d’y donner suite immédiatement ; car il faut avouer qu’il y a une
véritable anomalie à voir, entre autres, qu’en matière de milice, les décisions
qu’on prend dans une province sont souvent diamétralement opposées à celles
qu’on prend dans une autre, et que, relativement au droit de patente à charge
des sociétés anonymes, ici on frappe les intérêts des capitaux, tandis que là
on ne frappe que les dividendes. Toutefois, nous le répétons, ce n’est pas une
raison pour que le gouvernement, sous prétexte de combler la lacune, vienne s’arroger
un droit qui n’appartient qu’à la législature, et que, pour rétablir
l’uniformité dans les décisions, il s’érige en juge souverain dans des
contestations où il est l’adversaire-né des contribuables.
Voilà,
messieurs, ce que j’avais à dire sur la question de compétence, la seule
peut-être qu’on aurait dû toucher dans cette enceinte. Mais puisqu’on s’est
occupé du fond, et que M. le ministre a fait valoir les raisons qui militent en
faveur de son système, la chambre voudra bien me permettre de développer, en
peu de mots, les raisons qui militent en faveur du contribuable. De cette
manière, la partie sera égale.
Messieurs,
je ne veux pas entrer dans ces subtilités auxquelles M. le ministre des finances a jugé à propos de recourir. Je
m’inquiète fort peu de savoir ce qu’il faut entendre par revenu brut et par revenu net. La question n’est pas là.
Il
s’agit uniquement de savoir si, pour les sociétés anonymes, le droit de patente
peut être pris sur autre chose que
sur ce qui constitue le bénéfice. Le droit de patente (et ce sont les
expressions dont M. le ministre s’est servi) n’est pris, par exception à la
règle, pour les sociétés anonymes que sur le bénéfice ; il ne s’agit pas,
comme en général, d’un droit fixe sur l’importance de l’opération, mais d’un
droit proportionnel sur les bénéfices.
Or, messieurs, dans le sens légal comme dans le sens vulgaire il n’y a
bénéfices que ce qui reste charges
déduites. (Interruption.)
On me
demande ce que c’est qu’une charge ; c’est tout ce qui est nécessaire pour
arriver au résultat qu’on se propose. Ainsi quand dans une société on a besoin
de locaux, le loyer de ces
locaux constitue une charge de la société. Quand dans une société on lève des
capitaux parce que le capitaux de la société sont insuffisants, les intérêts de
ces capitaux constituent une charge de la société tout aussi bien que les
loyers ; y a-t-il maintenant une raison de différence lorsque les capitaux sont
fournis par les sociétaires eux-mêmes ? Certes non ? Je défie M. le ministre de
m’en indiquer une seule.
On
m’objecte qu’il y a injustice d’en agir ainsi pour les sociétés anonymes, parce
que pour les sociétés ordinaires on perçoit le droit de patente d’une autre
manière. Ainsi, et c’était l’argument qui a paru faire effet sur les bancs
vis-à-vis de moi, M. le ministre des finances nous a dit que s’il y a dix
banquiers qui dans une société ordinaire fournissent chacun un million, ils
payeront un droit de patente fixe à raison de leurs capitaux, qu’ils fassent des
bénéfices ou qu’ils supportent des pertes, tandis que la société anonyme, au
capital de dix millions, ne payera dans notre système le droit de patente que
sur les bénéfices, et il trouve
cela injuste ! Mais pourquoi en est-il ainsi ? C’est parce que la loi a
établi une exception à la règle sur le droit fixe de patente, en faveur des
sociétés anonymes. Si le ministre trouve que la loi est vicieuse, qu’il en
demande l’abrogation à la législature, mais il ne lui est pas permis de
l’abroger par arrêté.
Messieurs, comme je le disais tantôt, les capitaux employés dans une
société doivent leurs intérêts ; et ces intérêts sont une charge sociale. Ils
sont tellement une charge sociale que, d’après un article du code civil au
titre des sociétés, lorsque chacun des associés s’est engagé à faite l’apport
d’une somme déterminée, celui qui ne fait pas cet apport est débiteur des
intérêts envers la caisse sociale sans qu’il soit nécessaire de le mettre en
demeure. Il doit les intérêts comme charge, parce que les capitaux produisant
des intérêts, servant à l’industrie que la société a pour objet, doivent entrer
en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer les charges, et par suite de
fixer les bénéfices.
Ainsi,
messieurs, il n’y a réellement bénéfice pour une société que lorsque les
intérêts sont déduits. La preuve que la question doit être ainsi entendue,
c’est qu’en approuvant les statuts de certaine société anonyme par arrêté tout
récent, le gouvernement, comme vous le disait l’honorable M. Osy, a distingué les intérêts des
dividendes ; il a donné aux intérêts la dénomination qui leur convenait, comme il a donné aux dividendes la
dénomination qui leur était propre ; d’où la conséquence que les intérêts ne
sont pas des dividendes et que les dividendes sont autre chose que les
intérêts.
Mais,
dit M. le ministre des
finances, la loi a parlé de « dividendes accumulés » ;
il faut donc bien qu’il y ait des dividendes de deux espèces ; et ces
dividendes de deux espèces sont les dividendes proprement dits et les intérêts.
Si M. le ministre veut s’appuyer sur le texte, je le veux bien ; mais le
texte est contre lui. Car qui dit dividende,
dit bénéfice, toutes charges
déduites ; or, le texte parlant de dividende, il ne peut pas rester l’ombre d’un doute sur ce
point.
Mais
on croit trouver dans les mots « dividendes accumulés » un argument auquel il serait
impossible, de répondre.
Messieurs, non seulement je vais y répondre d’une manière très facile, mais je
vais rétorquer l’argument contre M. le ministre : oui il y a des dividendes
de deux espèces ; il y a les
dividendes que l’on répartit immédiatement aux actionnaires, et il y a les dividendes qui entrent dans la
caisse de réserve, mais qui sont destinés à en sortir un jour.
Messieurs,
j’ai une dernière observation à faire à M.
le ministre, et ici je le ramène sur le terrain où il avait promis de me
suivre lors de la discussion du budget des voies et moyens.
M. le
ministre des finances m’avait dit, au sujet de l’impôt sur le revenu, qu’il
aurait fait emploi de tous mes arguments à l’effet d’établir la thèse qu’il
avait à soutenir devant vous, quant au droit de patente, et jusqu’à présent il
est resté en défaut. Il m’importe à moi de reprendre a discussion au point où
je l’avais laissée, et je finirai par poser un dilemme à l’honorable M. Malou.
Vous
voulez, M. le ministre, frapper les intérêts dans les sociétés anonymes, parce
que, selon vous, les intérêts aussi bien que les dividendes constituent des bénéfices. Ainsi les intérêts que je
prends sur mes capitaux propres sont des bénéfices, tandis que les intérêts
seraient une charge si les capitaux avaient été levés chez des tiers pour
subvenir aux besoins de la société. Mais, messieurs, mes capitaux je les ai
pris sur ma propriété ou sur mes revenus, et si on frappe ces capitaux, on
frappe mon revenu d’un droit annuel. Eh bien, c’est (page 230) la taxe sur le revenu, que je demandais lors de la
discussion du budget des voies et moyens ; mais, pour être juste, il faut que
tout le monde soit frappé de la même manière. En effet, si un propriétaire prend 100,000 fr. ses biens-fonds, sur
ses rentes ou sur ses fonds publics, pour les apporter dans une société
anonyme, et si on vient, de ce chef, le frapper d’un droit annuel qu’on appellera droit de patente, si on le
juge convenable, et que moi j’appelle la taxe sur les revenus ; si on frappe ce capital parce qu’il est
apporté dans une société anonyme, pourquoi ne frapperait pas tout autre
propriétaire ou rentier qui n’expose son capital à aucune chance industrielle
ou commerciale, et qui en jouit paisiblement sans se donner aucune peine ?
Pourquoi ce privilège exorbitant ? Qu’on me réponde !
Ainsi, messieurs, frappez les revenus, j’y
consens volontiers, mais frappez-les
par une loi, et frappez-les d’une manière générale ; n’ayez pas deux poids et
deux mesures ; frappez les revenus des capitaux placés dans les sociétés
anonymes, mais en même temps, frappez les revenus des rentiers ; frappez les
revenus des propriétaires ; frappez tous les revenus, quels qu’ils soient ;
c’est là la proposition que j’ai faite, et qu’on a si amèrement critiquée.
Je
termine en posant à M. le ministre le dilemme suivant : Ou il veut établir une
taxe sur le revenu ou il ne veut pas de cette taxe. Dans le premier cas, il
doit admettre mon système, en généralisant la mesure par une loi ; dans le
second cas, il doit accueillir la proposition de mon honorable ami M. Osy.
Qu’il choisisse ! Le juste milieu est impossible, car il amènerait des
injustices révoltantes.
(page 221)
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs,
je ne dirai plus qu’un mot sur
l’interprétation de la
loi des patentes.
L’honorable M. Verhaegen
revient sur les idées qu’il a déjà
émises relativement à la taxe sur les revenus l’impôt progressif. Distinguons
d’abord. J’ai combattu en premier lieu l’idée de l’impôt progressif, opposé à
l’idée de l’impôt proportionnel qui (page
222) fait la base de toutes nos lois. Quant au principe de l’impôt sur les
revenus, il ne s’agit pas en ce
moment de juger nos lois, mais il s’agit de savoir quelle en est l’application
légitime. Je crois avoir établi, d’après le texte et d’après l’esprit de la
législation relative aux patentes, que le but du législateur a été de frapper
le revenu net de tous les capitaux consacrés à l’industrie. C’est là le but
unique, le résultat final de toute la loi des patentes.
En effet le gouvernement, dans les explications
sur le tableau n°9
de la loi de 1819, relatif
aux sociétés anonymes, a déclaré nettement qu’il voulait établir l’impôt sur le
revenu net des intéressés.
Quelles que soient les distinctions que l’on
fera, on ne parviendra pas à ôter cette lettre de la loi ; il demeurera évident
qu’elle a voulu frapper le revenu net des sociétés. (Interruption.) Je m’étonne qu’un homme habitué à
interpréter les lois, puisse dire que les intérêts du capital d’une société
sont une charge sociale. Je rétorquerai ici ce que disait l’honorable membre
poser la question devant tous les jurisconsultes, c’est la résoudre. Les
intérêts peuvent être une charge sociale quand il s’agit de capitaux empruntés
et alors on les décompte, puisqu’on décompte les charges sociales ; mais quand
il s’agit du capital même de la société, il est impossible de considérer les
intérêts comme une charge sociale ; ils constituent une partie du revenu net ou
du bénéfice.
Je crois, messieurs, avoir répondu ainsi au
redoutable dilemme que les honorables MM. Osy et Verhaegen ont présenté sous
des formes différentes. Oui, messieurs, aujourd’hui celui qui place ses
capitaux, par exemple en rentes, sur l’Etat, n’est pas soumis à l’impôt, mais
celui qui place ses capitaux de manière que la loi des patentes lui soit
applicable, est soumis à l’impôt ; s’il emploie lui-même ces capitaux, il paye
une patente fixe ; s’il les place dans une société anonyme, il ne paye plus la
patente que sur les bénéfices qu’il réalise, et tel est le privilège dont
jouissent les sociétés.
J’avais dit, messieurs, dans une séance
précédente, que pour démontrer combien le gouvernement avait fait une application
légitime de la loi, il le suffisait de l’opinion émise par l’honorable M.
Verhaegen lui-même sur l’application de la loi des patentes. En effet,
messieurs, vous vous rappelez tous que l’honorable membre, critiquant le
principe de la loi des patentes, l’avait surtout attaquée parce qu’elle est un
impôt sur certains revenus tandis qu’il voulait un impôt sur tous les revenus.
Il reconnaissait donc en principe que la loi des patentes établit un impôt sur
le revenu. Je me suis emparé de cet aveu et j’ai dit que si la loi des patentes
établissait un impôt sur le revenu, le droit de patente devait être perçu sur
les intérêts des sociétés anonymes qui font partie du revenu.
Je n’ai point traité jusqu’à présent la question
de compétence, parce qu’elle n’avait pas été soulevée et que ce débat ne
pouvant aboutir jusqu’à présent à aucune conclusion, il me paraissait
parfaitement inutile de l’élargir. Permettez-moi cependant, messieurs,
d’ajouter quelques mots sur ce point.
La loi provinciale donne au gouvernement le droit
l’annuler les actes des députations permanentes qui blessent l’intérêt général
ou qui sortent des attributions de ces collèges. Des discussions ont eu lieu
sur l’application de cet article, mais ces discussions, que je viens de me
faire reproduire encore, ont principalement porté sur la loi relative à la
milice.
On a reconnu, quant à la milice, qu’il existe
une lacune dans la loi provinciale, et c’est pour remplir cette lacune que
l’honorable M. Lebeau a fait en 1837 une proposition qui n’a pas été discutée
jusqu’à présent. La même lacune, veuillez le remarquer, messieurs, et la
proposition de l’honorable M. Lebeau l’indique elle-même, n’a pas été reconnue
alors en ce qui concernait les contributions et autres matière du même genre
déférées au jugement de la députation permanente.
Voici comment les juridictions sont établies ;
lorsqu’une décision d’une députation permanente, en matière de contributions, ne décide pas seulement une
question de fait, pour l’application de laquelle elle est souveraine ; mais
lorsqu’elle décide une question de principe, une question de droit, qui
pourrait constituer une fausse application de la loi, il y a une juridiction
supérieure ; c’est le gouvernement. Il y a pour les contribuables, d’après les
faits et la jurisprudence qui paraît prévaloir, le recours judiciaire ; c’est
ce que les honorables membres ont implicitement admis eux-mêmes. Donc, en
définitive, si le gouvernement est juge jusqu’à
un certain point en sa propre cause, c’est un juge provisoire ; puisque les tribunaux
qui se déclarent compétents établissent encore le droit des citoyens.
En définissant la
juridiction qui est établie aujourd’hui, je ne dis pas que ce soit le meilleur
système ; il est possible, lorsqu’on discutera la proposition de l’honorable M.
Lebeau, qu’on en vienne à en généraliser le principe, à étendre aussi bien aux
contributions qu’à la milice le principe du recours direct à la cour de
cassation.
Mais tant que cette juridiction nouvelle n’aura
pas été légalement établie, le gouvernement se trouve en droit, d’après les
termes de la loi provinciale, d’annuler les décisions des députations
permanentes qui seront de leurs attributions ou qui blessent l’intérêt général.
Ce droit je ne l’ai pas créé, je l’ai trouvé établi, et tant qu’une loi n’aura
pas institué une juridiction spéciale, je n’hésiterai pas à en user toutes les
fois que l’occasion s’en présentera.
M. Osy. - Messieurs, M. le ministre de finances a para vouloir
me faire un reproche d’avoir soulevé cette question, parce qu’il y a un procès
pendant devant les tribunaux. Cette considération n’a pas dû me préoccuper.
Lorsqu’à mon avis, le gouvernement applique mal
une loi, j’ai le droit de parler
de cet objet dans cette enceinte. Je ne suis pas jurisconsulte mais je dis que
quand une loi a été interprétée dans un sens pendant 23 ans, M. le ministre des
finances n’aurait pas dû l’appliquer dans un sens différent, mais il aurait dû
venir nous proposer un changement à la loi des patentes, et ne pas introduire
lui-même ce changement par un simple arrêté ministériel. Maintenant l’issue des
procès, d’après moi, n’est pas douteuse. Qu’arrivera-t-il ? C’est que le
gouvernement viendra l’année prochaine proposer ce que nous demandons
aujourd’hui nous- mêmes.
Je le répète, en soulevant cette question, je
n’ai pas recherché s’il y avait un procès pendant devant les tribunaux ;
d’ailleurs, le procès, sur le fonds même, n’est pas commencé ; le procès est
entamé sur la question de compétence et sur l’application de la loi.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Messieurs, l’honorable
préopinant a une foi très robuste dans son opinion ; qu’il me permette d’en
dire autant de la mienne : je crois que ces procès seront gagnés par le
gouvernement si on les intente. Mais voyez quelle singulière position
l’honorable membre fait au gouvernement : il fallait proposer une loi, et
pourquoi ? Pour décréter précisément ce que la loi actuelle signifie dans
l’opinion du gouvernement. Je devrais nécessairement donner une démonstration
complète, comme je viens de l’essayer, du sens de la loi actuelle. C’est là une
position que le gouvernement ne pouvait, ni ne devait prendre. Il a la
conviction que la loi doit être appliquée comme il l’a interprétée ; il devait
en assurer l’exécution, et réparer une erreur, si tardivement que ce fût, dès
le jour où elle lui était signalée.
M. Lebeau. - Messieurs, je désire adresser une interpellation à M. le ministre des
finances sur la question qui se débat en ce moment. Je sens que la chambre doit
souhaiter de voir se terminer cette discussion qui ne peut aboutir à aucun
résultat immédiat.
M. le ministre des finances a parfaitement compris
que la position du fisc décidant dans sa propre cause, avait quelque chose
d’anormal. Aussi s’est-il hâté de reconnaître que la décision administrative
n’était en quelque sorte que préparatoire, la décision définitive devant
nécessairement émaner du pouvoir judiciaire ; si cela est, je dois supposer que
les représentants de M. le ministre des finances devant l’autorité judiciaire
ne déclinent pas la compétence de tribunaux. Je désire savoir si le premier
chapitre des instructions données aux avocats de l’administration n’est pas, au
contraire, de décliner la compétence des tribunaux.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Messieurs, j’avais
indiqué les difficultés qui se rattachent à la juridiction actuelle, et la
possibilité de la changer. J’ajouterai que déjà, antérieurement même à une
difficulté, et à raison d’autres difficultés de même nature qui ont surgi dans
certaines provinces, je m’étais mis en rapport avec M. le ministre de la
justice pour généraliser le principe de la proposition de l’honorable M.
Lebeau, pour autoriser, en d’autres termes, le pourvoi, soit par les parties,
soit par le gouvernement même, devant la cour de cassation.
Je ne me rappelle pas d’avoir eu à donner
d’instructions, en ce qui concerne le procès actuellement pendant devant le
tribunal de Bruxelles ; j’ai appris seulement l’autre jour, par un journal,
qu’on avait opposé le déclinatoire, incompétence que les tribunaux ont rejetée.
M. Lebeau. - Ainsi, messieurs, ce n’est donc point par l’acquiescement libre du
gouvernement que les tribunaux sont restés juges. Le gouvernement est bien
moins désintéressé dans cette cause que lorsqu’il s’agit des affaires de milice
; dans les affaires de milice, le gouvernement est désintéressé, car si
Paul ne marche pas, Pierre devra marcher à sa place. Ainsi, le gouvernement
n’est point partie, et l’on conçoit, à la rigueur, qu’il peut prendre une
décision souveraine. Mais dans les questions fiscales, le gouvernement est
évidemment partie, et partie parfois très passionnée. Je ne comprends donc pas,
lorsque M. le ministre des finances reconnaît lui-même que la décision
administrative est entachée d’un vice de partialité ; je ne comprends pas,
dis-je, qu’il fasse soutenir devant les tribunaux que le gouvernement seul est
compétent pour décider ces questions.
Du reste, tout le monde paraît d’accord, et M.
le ministre des finances lui-même, sur la nécessité d’une proposition qui fasse
cesser un pareil état de choses, et cela me suffit.
- Personne ne demandant plus la parole, la
chambre passe au vote.
« Patentes.
« Principal : fr. 2,730,000. »
- Adopté.
« Dix centimes additionnels
extraordinaires : fr. 273,000. »
- Adopté.
Redevances sur les mines
« Redevances sur les mines.
« Principal : fr. 156,000. »
- Adopté.
« Dix centimes
ordinaires pour non-valeurs : fr. 15,600. »
- Adopté.
« Cinq centimes sur
les deux sommes précédentes, pour frais de perception : fr. 8,580. »
- Adopté.
Douanes
« Douanes.
« Droits d’entrée (16 centimes
additionnels) : fr. 10,300,000. »
- Adopté.
_______________
(page 223) « Droits de
sortie (16 centimes additionnels) : fr. 450,000. »
- Adopté.
_______________
« Droits
de transit (16
centimes
additionnels) : fr. 60,000.
- Adopté.
_______________
« Droits
de tonnage (16 centimes
additionnels) : fr. 550,000. »
- Adopté.
_______________
« Timbres : fr. 37,000. »
- Adopté.
« Droits
de consommation sur les
boissons distillées : fr. 940,000. »
M. Rodenbach. - Messieurs, depuis plusieurs années je me plains des bases des droits
de consommation sur les boissons distillées, ces bases ne sont pas justes ; je
pense que plusieurs sections ont partagé mon opinion, et M. le ministre des
finances a promis l’an passé dans la section centrale de réviser cette loi,
parce qu’il a trouvé lui-même que les bases n’étaient pas équitables. Je suis
forcé de répéter ce que j’ai dit les années précédentes. Je tâcherai d’être
très court.
Je ne veux pas diminuer le budget des
voies et moyens, je désire que les boissons distillées payent environ un
million de droit de consommation, mais je voudrais que les grands débitants,
qui vendent pour des deux, trois cent mille francs de spiritueux, payent 300,
400 et 500 fr. ; car, quand on vend considérablement, on peut payer des droits
proportionnellement ; de même le petit détaillant qui ne vend que pour quelques
mille francs, et même quelques centaines de francs, ne devrait payer qu’en
proportion de ce qu’il vend. Je ne comprends pas comment les ministres qui se
sont succédé au département des finances ont conservé ce droit inique.
On a
parlé de l’effet moral qu’on se proposait, on a dit qu’on voulait diminuer le
nombre des débitants ; en fait on ne l’a pas diminué, car il y beaucoup de
débitants clandestins, Si on ne leur imposait qu’une bagatelle, au lieu d’avoir
30 ou 40 mille débitants on en aurait 100 ou 200 mille ; en établissant cinq ou
six classes on aurait également un million de recettes, et la répartition
serait juste.
Avant d’entrer dans d’autres
considérations, j’attendrai les explications de M. le ministre des finances,
j’attendrai qu’il nous dise s’il a examiné cette loi et s’il est d’intention de
nous proposer un projet de loi pour la modifier.
Des plaintes nombreuses
vous ont été adressées, mais le pétitionnement a cessé parce qu’on a vu qu’il
était sans succès. Il faut pourtant leur rendre justice, car on ne doit pas
sacrifier les petits détaillants à ceux qui vendent beaucoup, à ceux qui font
de grands profits.
M. le
ministre des finances (M. Malou). -
Chaque année on se plaint de l’espèce d’injustice de la répartition de l’impôt
dont il s’agit en ce moment. Il faut se reporter aux circonstances dans
lesquelles cette loi a été introduite et se rappeler les motifs qu’on a fait
valoir en la présentant. On n’a pas pensé que tous les débits seraient atteints
d’une manière égale par cette loi, mais on a eu en vue d’amener la suppression
d’un certain nombre de petits débits. Etendre la classification comme le propose
l’honorable M. Rodenbach, serait revenir sur le principe de la loi, d’en vicier
le système. Je dirai avec franchise à l’honorable M. Rodenbach que je ne pense
pas qu’il soit possible, dans le cours de la session actuelle, de présenter un
projet de modification à cette loi d’impôt.
M. Mast de Vries. - J’avais demandé la parole pour faire les observations que vient de
présenter M. le ministre des finances. J’ai été rapporteur d’un projet de loi
ayant pour objet d’apporter des modifications à la loi d’impôt dont il s’agit.
Dans l’examen des sections,
il a été reconnu qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de laisser les
choses dans l’état où elles étaient. Ce rapport est distribué depuis quatre ou
cinq années, on n’a pas cru devoir s’en occuper, parce qu’on a jugé qu’il n’y
avait pas lieu d’apporter des modifications à la loi existante. Vous avez pu
voir, d’après ce que vient de dire l’honorable membre, ce qui arriverait si on
modifiait la loi dans le sens qu’il indique.
Le but qu’on a voulu
atteindre et qu’on a atteint par cette loi, la diminution du nombre des petits
débitants, serait détruit. En effet, il vous a dit : Réduisez le droit de
débit pour les petits débitants, et vous aurez 200 mille patentables, au lieu
de 30 mille, et vous percevrez la même somme. Je vous demande quel avantage
nous aurions à avoir 200 mille patentables, au lieu de 30 mille !
M. Rodenbach. - Je ne voulais pas reprendre la parole, parce que je vois que ce serait
sans utilité. Cependant il me paraît que M. le
ministre n’est pas tout à fait éloigné d’examiner la question. Il a dit que, pour cette année, il ne pourra pas
présenter de projet de loi ; mais il ne s’est pas refusé à examiner mûrement si
effectivement les bases sur lesquelles cet impôt est établi sont iniques.
L’honorable M. Verhaegen a
eu à cet égard la même opinion que moi, l’année dernière, il m’a même
interpellé : je ne sais s’il est encore dans les mêmes idées.
M. Verhaegen. -
Sans doute, j’ai dit, il y a quelques jours, que rien n’était plus injuste que
de frapper du même droit tous les débitants grands ou petits ; tous les
ans le gouvernement promet de faire droit aux réclamations qu’on lui adresse de
ce chef ; s’il ne veut pas proposer une mesure, il faudra que nous usions de
notre initiative. Je ferai un petit projet, je le soumettrai à M. Rodenbach.
M. Desmet. - Nous avons sans doute des lois à modifier, mais ce n’est pas celle
sur la vente des boissons distillées, car on peut considérer cette loi comme
une loi de tempérance. L’honorable membre reconnaît lui-même que si l’on
introduisait les modifications qu’il demande, au lieu de 30 mille débitants,
vous en auriez 2 ou 300 mille. Une semblable modification en ferait une
mauvaise loi. J’espère qu’on ne l’y introduira pas.
- Le chiffre est mis aux
voix et adopté.
Accises
« Sel (sans additionnels) : fr.
4,800,000. »
- Adopté.
__________________
« Vins étrangers (26 centimes additionnels
et timbres collectifs) : fr. 2,000,000. »
- Adopté.
__________________
« Eaux-de-vie étrangères (sans
additionnels) : fr. 200,000. »
- Adopté.
__________________
« Eaux-de-vie indigènes
(sans additionnels) : fr. 3,500,000. »
- Adopté.
__________________
« Bières et vinaigres (26 centimes additionnels
et timbres collectifs) : fr. 6,500,000. »
- Adopté.
__________________
« Sucres : fr. 3,000,000. »
- Adopté.
__________________
« Timbres sur les quittances : fr.
5,000. »
- Adopté.
__________________
« Timbres sur les permis
de circulation : fr. 4,000. »
- Adopté.
Garantie
« Garantie.
« Droits de marque des matières d’or et d’argent : fr. 150,000. »
- Adopté.
Recettes diverses
« Droits d’entrepôt, y compris ceux de
l’entrepôt d’Anvers : fr. 1,900,000. »
- Adopté.
_________________
« Recettes extraordinaires et
accidentelles : fr. 10,000. »
- Adopté.
Enregistrement, domaines et forêts
Droits, additionnels et amendes y relatives
« Enregistrement (30 p.c.
additionnels) : fr. 10,500,000. »
- Adopté.
__________________
« Greffe (30 p. c. additionnels) : fr.
300,000. »
- Adopté.
__________________
« Hypothèques (26 p. c.
additionnels) : fr. 1,700,000. »
- Adopté.
__________________
« Successions (30 p. c. additionnels) : fr. 5,000,000. »
- Adopté.
__________________
« Timbre (sans additionnels) : fr.
5,000,000. »
- Adopté.
__________________
« Amendes : fr. 170,000. »
- Adopté.
Recettes diverses
« Indemnités payées par les miliciens pour remplacement et pour décharge de responsabilité de
remplacement : fr. 60,000. »
- Adopté.
_________________
« Amendes en matière de simple police,
civile, correctionnelle, etc. : fr. 150,000. »
- Adopté.
_________________
« Produits des examens : fr.
60,000. »
- Adopté.
_________________
« Produits des brevets d’invention :
fr. 20,000. »
- Adopté.
_________________
« Produits des diplômes des artistes
vétérinaires : fr. 100. »
- Adopté.
B. PEAGES
Domaines
« Produits des canaux et rivières appartenant
au domaine, de droits d’écluse, ponts, navigation : fr. 850,000.
« Ce chiffre se décompose comme suit :
« Escaut : fr. 98,000.
« Lys : fr. 67,000
« Dendre : fr. 21,000
« Dyle et Demer : fr. 4,000
« Meuse : fr. 65,000
« Canal d’Antoing : fr. 445,000
« Canal de Terneuzen : 30,000
« Canal de Bois-le-Duc : fr. 40,000
« Canaux de Gand â Ostende : fr.
30,000
« Canaux aboutissant au port
de Nieuport : fr. 20,000
« Canal de la Campine (première et deuxième
sections et embranchement vers Turnhout) : fr. 16,000
« Nèthe canalisée : fr. 14,000. »
(page 224)
M. Pirmez. - Messieurs, il a été distribué, dans la séance
d’hier une pétition sur laquelle je dois appeler, à l’occasion des péages,
l’attention
de la chambre.
C’est une pétition des industriels et
exploitants de mines du bassin de Charleroy qui s’adressent à vous pour vous
montrer l’énorme disproportion qu’il y a entre les charges qui pèsent sur ce
bassin houiller et celles qui pèsent sur les autres.
Messieurs, avec un peu d’attention vous
reconnaîtrez que ces charges sont pour ainsi dire incroyables, que la
disproportion est énorme. Aujourd’hui que tous les canaux, toutes les rivières,
toutes les voies navigables enfin sont devenus la propriété de l’Etat, il serait
juste et légitime d’égaliser les droits et de ne pas vouloir faire payer à une
seule contrée industrielle presque tous les revenus que produisent les péages.
Ainsi messieurs, la Sambre figure au budget pour un revenu de 600,000 fr. et le
canal de Charleroy pour 1,500,000 fr. Il y a, messieurs, des province dans le
royaume, qui ne payent pas en contribution foncière la moitié de ce que donne
le bénéfice du canal de Charleroy, canal qui a été construit, pour ainsi dire,
comme à regret et dans des proportions telles qu le bateaux sont forcés de
rompre charge à Bruxelles. Ce bénéfice exorbitant provient des péages que
donnent les bateaux transportant des matières pondéreuses, et surtout de la
houille, et dès lors vous sentez combien le taux énorme de ces péages doit
nuire aux houillères qui transportent leurs produits par le canal de Charleroy.
Messieurs, les produits des canaux, des
rivières, des droits d’écluse ponts et navigation ne s’élèvent, pour toutes les
autres parties du royaume qu’à 850,000 francs, tandis que, comme je l’ai dit,
le seul canal de Charleroy produit 1,500,000 francs, et la Sambre 600,000
francs.
Messieurs, cette différence de produits ne
provient certainement pas de celle qui se remarque dans le mouvement de la
circulation ; mais cela provient de la différence qu’il y a entre les péages ;
car il y a aussi un grand mouvement sur la Meuse et sur les autres canaux.
Un membre. - L’Etat n’a pas acheté la Meuse.
M. Pirmez. - J’entends dire que l’Etat n’a pas acheté la
Meuse. Mais, messieurs, la Meuse et plusieurs autres voies navigables coûtent
beaucoup à
l’Etat ; au lieu de donner
des bénéfices au gouvernement, elles occasionnent des pertes. Si vous voulez
comparer le budget des travaux publics à celui des voies et moyens, vous verrez
que de ce chef il y a un déficit de près de 200,000 francs, tandis que le
bassin houiller de Charleroy procure un bénéfice énorme. Car, toutes charges
déduites, le canal de Charleroy rapporte au trésor un bénéfice net de 1,367,000
fr. (Interruption.)
J’entends dire que le péage sur le canal de
Charleroy a été réduit. Mais cette réduction est nulle si vous comparez ce
péage tel qu’il existe aujourd’hui avec ce que payent les autres voies
navigables.
Un membre. - Combien de millions l’Etat a-t-il donnés pour
acheter le canal de Charleroy ?
M. Pirmez. - On demande combien l’Etat a donné de millions
pour l’achat du canal de Charleroy. Mais, messieurs, l’Etat est remboursé de ce
qu’il a payé pour ce canal. Et les autres voies navigables, combien de millions
coûtent-elles à l’Etat, et les rembourseront-elles jamais ?
J’en appelle à ceux
qui sont désintéressés dans la question ; est-il juste d’imposer des charges
énormes sur une voie de navigation et de ne mettre aucun impôt sur les autres,
alors que toutes cependant appartiennent à l’Etat. Il n’est pas possible de
légitimer cet état de choses par une seule bonne raison.
Ainsi, messieurs, le canal de Charleroy, canal
construit sur de petites dimensions, rapporte à lui seul beaucoup plus que les
260 lieues de voies navigables du royaume. Je demande s’il y a là une juste
proportion, et si l’on doit maintenir plus longtemps un pareil état de choses.
Un membre. - Faites une proposition formelle.
M. Pirmez. - On me dit de faire une proposition formelle.
Messieurs, je présente des observations pour convaincre la chambre de la
justice de mes réclamations Le gouvernement ne peut tarder à vous proposer
lui-même des mesures qui mettront un terme à la situation exceptionnelle où se
trouve le bassin houiller de Charleroy, et j’ai pris la parole pour faire
comprendre cette situation exceptionnelle, et pour qu’on soit préparé à la
discussion. Il est en effet possible qu’en présence des travaux dont la chambre
est surchargée, on
n’ait pas pris attention à
la pétition qui nous a été distribuée hier, que quelques membres mêmes ne
l’aient pas lue.
Messieurs, lors même que
les péages sur le canal de Charleroy seraient réduits de 75 pour cent, encore
les droits seraient-ils bien plus forts que ceux qui existent sur les autres
voies de navigation du royaume. D’ailleurs, il ne faut pas croire que la perte
pour le trésor serait proportionnelle à la réduction qui pourrait être faite ;
l’exemple que l’on a du résultat de réductions du nième genre, prouve qu’il y
aurait plutôt lieu à s’attendre à une augmentation de produits.
J’espère, messieurs, qu’en présence de ces
observations, la chambre sera convaincue qu’elle ne peut ainsi surcharger une
seule contrée du pays en matière de transports, alors que les autres ne
supportent aucune charge.
M. Delehaye. - Messieurs, je pense que non seulement il importe de réduire les péages,
mais que le gouvernement ferait bien de ne pas reculer devant la dépense, alors
qu’il s’agit de donner à l’industrie des développements nouveaux.
Le canal de Charleroy dont vient de parler
l’honorable M. Pirmez peut rendre à l’industrie des services très considérables
; mais pour cela il faudrait non seulement qu’on réduisît les péages, mais,
aussi qu’on apportât certaines modifications au parcours du canal, dans la
construction duquel on a plutôt considéré l’intérêt de certains individus que
celui de l’industrie.
Le canal de Charleroy, tel qu’il est construit
aujourd’hui, impose à nos industriels des Flandres une dépense considérable
pour la houille. Si, messieurs, il existait d’autres écluses, si l’on n’était
pas forcé de rompre charge à Bruxelles, les frais de transport seraient de 2 ou
3 francs moindres qu’ils ne le sont aujourd’hui.
J’entends dire près de moi qu’il y aurait trop
de perte d’eau. Je suis heureux, messieurs, qu’on m’ait fait cette objection,
la seule probablement qu’on puisse me faire. Il est reconnu, messieurs, qu’en
élargissant les écluses, la perte d’eau, loin d’être plus grande, serait moins
grande ; et je vais le prouver.
Aujourd’hui, messieurs, comme les écluses sont
très petites, le nombre des navires qui parcourent le canal doit être très
considérable, et dès lors il faut que les écluses jouent très souvent. Si au
contraire les écluses étaient plus larges, si elles pouvaient donner passage à
des bâtiments plus considérables, le nombre de ceux-ci serait par cela même
moins grand, et les écluses ne devraient pas jouer aussi souvent.
Ainsi, messieurs, pour conserver les eaux dans
un canal, il faut faire des écluses très larges. C’est d’ailleurs une question
qui a été jugée dans les Flandres et partout où les eaux jouent un grand rôle.
Il est certain que plus sur un canal les écluses sont larges, plus leur jeu est
rare, et plus la quantité d’eau qui reste dans le canal est considérable. (Interruption.)
On me dit qu’on ne laisse jamais passer qu’un
seul bateau par une écluse. Mais entre deux écluses, dans ce qu’on appelle le
bassin, on fait entrer plusieurs bateaux à la fois.
Je conçois, messieurs, que les honorables
députés de Bruxelles puissent trouver que mes observations ne sont pas fondées.
Mais c’est qu’on a fait précisément pour le canal de Charleroy, ce qu’on a fait
pour les stations du chemin de fer. On a voulu que tout le pays vînt payer à
Bruxelles une certaine rétribution ; on a voulu que tous les habitants du Nord
se rendant dans le Midi, ou tous les habitants du Midi se rendant dans le Nord,
dussent séjourner pendant quelque temps à Bruxelles. C’est ce qu’on a fait
aussi pour le canal de Charleroy ; on a voulu que les navires dussent séjourner
à Bruxelles ; et comme il faut le même personnel pour manœuvrer un petit navire
que pour manœuvrer un grand navire, on a construit le canal de manière à ce
qu’on ne pût employer que de petits bâtiments, ce qui en a considérablement
augmenté le nombre.
Messieurs, les bateaux du canal de Charleroy
transportent 100 à 120,000 kilog. de houille ; j’entends même dire 70,000 fr.
Vous comprenez que si les écluses étaient plus larges, si elles pouvaient
donner passage à des navires quatre fois plus grands, transportant 4 à 500,000
k. la dépense de transport deviendrait bien moins considérable, et dès lors, il
y aurait profit pour l’industrie.
Ainsi, messieurs, il ne
suffit pas qu’on réduise les péages comme le demande l’honorable M. Pirmez ; il
faut aussi qu’on apporte des modifications à l’Etat actuel du canal, il faut
qu’on affranchisse le pays tout entier d’un tribut qu’on lui fait payer en
faveur de la capitale.
Messieurs, l’industrie est intéressée à recevoir
la houille au moindre prix possible. Or, je crois pouvoir dire que la mesure
que je réclame diminuerait d’un tiers le prix de la houille pour les industries
des Flandres.
Je me joins donc à l’honorable M. Pirmez pour
demander une réduction des péages ; mais je voudrais que les députés des
provinces intéressées se joignissent aussi à moi pour demander l’élargissement
des écluses.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour prier
M. le ministre des finances de vouloir nous dire si son intention est de
s’occuper de la révision des tarifs des canaux et rivières. L’année dernière,
si je ne me trompe, M. le ministre a déclaré qu’il avait cette intention. Eh
bien, messieurs, c’est là une question extrêmement grave, non seulement au
point de vue de l’intérêt du trésor qui pourrait être lésé par un abaissement
trop considérable, mais aussi sous le point de vue de l’équilibre qui doit
exister entre les prix de transport sur les diverses voies navigables du pays.
Le gouvernement possède les principales voies de
transport ; le chemin de fer, les routes et les rivières et canaux les plus
importants, et il faut nécessairement qu’il maintienne certain équilibre entre
les prix de transport par ces différentes voies, car s’il les abaissait trop
sur quelques-unes, il en résulterait un préjudice considérable pour les
industries qui écoulent leurs produits par d’autres voies, parce qu’elles ne
pourraient plus soutenir la concurrence.
C’est ainsi, par exemple, que si l’on opérait
sur le canal de Charleroy un abaissement de péage aussi considérable que celui
qui est demandé, c’est-à-dire de 75 p. c., non seulement on lèserait l’intérêt
du trésor, mais on ferait encore surgir immédiatement des réclamations de la
part des exploitants du bassin de Mons pour obtenir un abaissement analogue sur
les canaux et rivières dont ils font usage pour alimenter l’intérieur du pays.
L’honorable M. Pirmez vous a dit, messieurs,
qu’un abaissement du péage sur le canal de Charleroy n’entraînerait pas
nécessairement une diminution dans les revenus du trésor.
Je ne pense pas que cette prévision soit exacte,
car la navigation est (page 225) déjà si considérable sur le canal de Charleroy,
que je ne vois guère la possibilité de l’augmenter encore, au moins d’une
manière notable. J’admets en thèse générale la vérité de ce principe d’économie
politique que la diminution des frais de transport amène des transports plus
nombreux ; mais je crois que ce principe doit subir ici une exception, à cause
de la circonstance que je viens d’indiquer. Si donc on abaissait de 75 p. c. le
péage sur le canal de Charleroy, il en résulterait très probablement une
diminution de 75 p. c., c’est-à-dire de près d’un million, dans les revenus de
ce canal.
Ce que je viens de dire,
messieurs, en ce qui concerne le canal de Charleroy, ne tend pas à engager le
gouvernement à ne pas s’occuper de la question générale de la révision des
péages. Il y a, sous ce rapport, beaucoup à faire ; il y a à équilibrer les
différents tarifs, tant des canaux que du chemin de fer ; il y a aussi à opérer
certaines réductions qui, en amenant une augmentation dans les transports, ne
diminueraient pas les revenus du trésor. Ainsi, je serais partisan d’une
réduction sur la Sambre inférieure, car je crois que là elle amènerait très
probablement de l’accroissement dans la navigation. D’ailleurs, il y a là une
anomalie choquante sur la Sambre supérieure, le tarif qui était de 19 à 20
centimes par tonne a été réduit à 10 centimes, tandis que, sur la Sambre
inférieure, il n’a subi aucune réduction, C’est là un état de choses qu’il est
juste de faire cesser, et je crois que le gouvernement doit y songer
sérieusement.
M. David. - J’ai écouté avec attention les observations de l’honorable M. Pirmez,
et tout ce que j’ai pu en saisir, c’est qu’il désire une réduction très forte sur
le péage du canal de Charleroy ; mais tout en soutenant que le péage est trop
élevé, l’honorable membre ne nous a pas mis sous les yeux les calculs par
lesquels il pourrait prouver que dans cette direction le péage est plus fort
par lieue parcourue que sur les autres lignes de navigation.
Si le transport coûte plus cher sur le canal de
Charleroy que sur d’autres voies navigables, que l’honorable M. Pirmez veuille bien nous le
démontrer par des chiffres. Quant à moi, je prétends que la somme énorme que rapporte
le canal de Charleroy, provient uniquement de la fréquence et de l’importance
des transports, et aussi longtemps que M. Pirmez ne nous aura pas fait
connaître le prix du transport par lieue parcourue, je ne pourrai pas croire
que le canal de Charleroy est plus imposé que tout autre canal de la Belgique.
M. Orban. - Nous avons au budget une somme de 1,500,000
francs résultant du péage du canal de Charleroy. L’honorable M. Pirmez vient de servir
d’interprète aux signataires d’une pétition par laquelle on demande que ce
péage soit réduit de 75 p. c., ce qui réduirait le revenu de ce canal dans une
proportion analogue. Or, messieurs, ces 1,500,000 francs que le gouvernement
perçoit aujourd’hui sont nécessaires pour couvrir les charges de l’Etat ; si
cette somme était rayée du budget il faudrait la remplacer au moyen
d’impositions nouvelles ou par une augmentation des impôts existants. C’est
dire assez qu’une pareille motion n’a pas la moindre chance de succès, car
aucun impôt n’est plus équitable que celui résultant des péages. C’est là en
effet un impôt tout à fait volontaire ; celui-là seul est appelé à le payer,
qui trouve quelque avantage à se servir des moyens de circulation créés par
l’Etat, et il reçoit en échange un service, une valeur équitable.
Si maintenant nous prenons égard au nombre et à
la position des personnes intéressées dans ces exploitations, nous y trouvons
un nouveau motif de ne point alléger l’impôt qui doit les atteindre. N’est-il
pas vrai, en effet, qu’en général un revenu considérable peut plus
équitablement être atteint par l’impôt qu’un revenu moins élevé ? Celui qui
possède cinquante
mille francs de revenu peut plus aisément en abandonner un dixième à l’Etat que
celui dont le revenu n’est que de quelques centaines de francs et lui donne à
peine de quoi vivre. Eh bien, messieurs, les propriétaires fonciers dont la
majeure partie sont dans cette dernière situation et ne possèdent qu’un revenu
minime, payent à l’Etat un dixième de ce revenu, tandis que l’immense richesse
que constituent les houillères et qui se trouve répartie entre un nombre
relativement très peu considérable d’intéressés, ne paye qu’un impôt dérisoire.
Nous pourrions encore, messieurs, examiner la
question sous le rapport des charges imposées à l’Etat, et ici encore nous
trouverions des motifs pour aggraver plutôt que pour atténuer la contribution
des houillères dans le revenu public. En effet, c’est uniquement dans leur
intérêt et à leur occasion que le gouvernement subvient à la dépense de
l’administration des mines qui prend chaque année un nouvel accroissement à
mesure que le personnel de cette administration devient plus nombreux, Nous
avons dit tantôt que la dépense de cette administration était telle qu’elle
absorbait et bien au-delà le produit total des redevances des mines.
C’est du reste bien mal choisir son temps pour
formuler une réclamation de cette espèce, que de choisir pour cela le moment où
l’on réclame de nouvelles améliorations au canal de Charleroy, dont la dépense,
si mes renseignements sont exacts, ne s’élèvera pas à moins de 2 millions.
Aussi, messieurs, n’aurais-je point demandé la
parole, si je n’avais trouvé entre la proposition qui vous
est faite et la situation privilégiée de l’industrie houilleresse en matière d’imposition
, une connexion qui m’autorise à fixer
l’attention de la chambre sur ce dernier fait.
La Belgique est le pays du continent où
l’exploitation des charbonnages a le plus d’importance, C’est le pays où le terrain
houiller a le plus d’étendue, et où le produit des exploitations est le plus
élevé. La somme des produits ne s’élève pas
à moins de quatre millions de tonnes annuellement, qui représentent un capital
d’environ 40,000 millions de fr. Certes ce n’est pas exagérer que de dire que
le bénéfice du producteur est au moins du quart de cette somme. Eh bien, cet
énorme revenu est représenté au budget par une redevance de 180,000 francs,
additionnels compris. Si vous ajoutez à cela que l’administration des mines qui
a uniquement pour objet l’intérêt des exploitations, coûte à l’Etat une somme
de beaucoup supérieure à cet article de recette, vous devrez en tirer cette
conséquence que la propriété métallurgique en exploitation, qui constitue l’une
des principales richesses du pays, ne contribue en aucune manière aux charges
de l’Etat.
Assurément s’il est vrai que chacun doit
contribuer aux dépenses de l’Etat en proportion de sa richesse, s’il est vrai
que l’impôt doit demander l’argent là où il se trouve, l’on n’a pas appliqué
ces principes aux charbonnages, et il existe pour eux, comme je le disais, une
position tout à fait privilégiée en matière d’imposition.
Existe-t-il au moins des raisons pour justifier
ce privilège, pour frapper par exemple les charbonnages moins que la propriété
foncière qui donne au trésor le dixième de son revenu ? C’est ce qu’il faut
examiner.
D’abord si l’on examine l’origine de la
propriété métallurgique, l’on trouve que cette origine c’est la concession
gratuite, ou peu s’en faut, faite par l’Etat à l’un ou l’autre des demandeurs
en instance. Assurément que l’Etat, en accordant à l’un d’eux une préférence
qui quelquefois constitue pour lui une fortune, un avantage de plusieurs
millions, est bien en droit de stipuler en sa faveur une large part dans les
produits à titre d’impôt. Sous ce rapport aucune imposition ne se justifierait
mieux qu’une redevance élevée sur le produit des mines concédées.
Messieurs, on se demande comment une semblable
situation a pu se produire ? Comment elle a pu se perpétuer ? Il est facile de
dire comment elle s’est produite. Il suffit de remonter pour cela à l’origine
de la législation sur les mines et de l’établissement des redevances. A cette
époque, les exploitations de houille présentaient des difficultés immenses ;
elles étaient en quelque sorte dans leur enfance et elles avaient besoin
d’encouragements. La position particulière du gouvernement impérial surtout
exigeait absolument ces encouragements. La France, isolée commercialement et
politiquement de l’Angleterre, devait stimuler dans le pays non seulement les
recherches des mines et la production du combustible, mais encore la
fabrication du fer, si indispensable pour un gouvernement militaire. L’on
conçoit aisément que ces motifs aient été prédominants à l’époque où la
législation a été établie ; qu’on ait sacrifié l’intérêt du trésor au besoin
d’encourager la recherche et l’exploitation du combustible
minéral.
Maintenant comment il se fait que ce régime de
privilège et de faveur ait pu se perpétuer et se maintenir en présence de la
situation si florissante de nos charbonnages, c’est ce qui s’explique par la
puissance même des intérêts engagés dans cette question, par la résistance que l’on
rencontre de la part de ces mêmes intéressés.
M. Osy. - Cela n’est plus en discussion, l’on a voté l’article Redevance des
mines.
M.
Orban. - Messieurs, j’ai commencé par établir le
rapport intime qui existe entre la question de la redevance des mines et celle
de la réduction des péages de la Sambre, soulevée par l’honorable M. Pirmez.
Cette réduction devant profiter directement aux charbonnages du bassin de Charleroy, et constituer un
dégrèvement en leur faveur, j’ai cru devoir démontrer que l’industrie dont il s’agit,
loi d’avoir un dégrèvement à réclamer, ne fournissait point au trésor public la
part d’impôt qu’on est en droit d’en exiger.
J’étais donc parfaitement dans la question, et
j’ose dire que la question elle-même est digne de toute votre attention. Si l’honorable
M. Osy, qui m’a interrompu, mettait toujours la même opportunité dans ses discours et dans les motions dont il saisit la
chambre, j’ose dire qu’il serait beaucoup plus certain de ne pas abuser de son
attention.
M. Brabant. - Messieurs, je ne renouvellerai pas cette année la tentative que j’ai
faite l’année dernière, à l’effet
d’obtenir un dégrèvement sur les péages établis sur la Sambre canalisée. Lors de
la discussion de l’année dernière, M. le ministre des finances m’avait promis
de faire étudier la question et de faire droit à nos griefs, s’ils étaient
reconnus fondés, si on croyait pouvoir les redresser, sans causer un préjudice
trop considérable au trésor.
Je remercie l’honorable M.
d’Hoffschmidt d’être venu en aide aux justes réclamations des riverains de la
Sambre ; je regrette seulement que l’année dernière, ministre des travaux
publics, lors de ma proposition, il ne m’ait pas prêté cet appui. (Interruption de la part de M. d’Hoffschmidt.) Je
vous suis très reconnaissant de ce que vous avez fait aujourd’hui, et je ne
vous sais pas mauvais gré de ce que vous n’avez pas fait l’année dernière.
L’honorable M. d’Hoffschmidt, par la position
qu’il a occupée â la tête du département des finances, peut très bien
comprendre quelle serait l’influence de la réduction des péages, l’uniformité
des tarifs sur la Sambre. Je crois que son opinion doit être de quelque
influence sur celle de M. le ministre des finances. Je me bornerai à demander à
celui-ci ce qu’il a fait ou ce qu’il se propose de faire, relativement à la
Sambre canalisée.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, parmi les mesures les plus utiles, les plus fécondes que
le gouvernement puisse prendre, figure assurément la réduction générale des
péages lorsque la situation (page 226)
de nos finances le permettra. J’ai promis, l’année dernière, d’étudier cette
question : je l’ai fait ; mais j’ai trouvé dans notre système de péage
tant de choses artificielles, tant de complications, qu’il m’a paru impossible d’arriver à une révision
d’ensemble, à un principe unique pour tous les péages. La théorie vient, en
quelque sorte, se briser contre les faits contre les positions acquises.
Arrivé à ce résultat,
j’avais à me demander s’il n’était pas possible, du moins pour certaines voies,
de rentrer mieux dans la règle générale, de corriger quelques vices de détail,
en faisant intervenir dans la solution de cette grande question le meilleur
élément pour résoudre toutes les difficultés :le temps, les mesures
successives.
Je me suis donc surtout occupé
de ce qui concerne l’anomalie existant aujourd’hui, il faut le reconnaître, à
l’égard du tarif de la Sambre inférieure. Avant peu de temps, d’accord avec M.
le ministre des travaux publics, j’espère pouvoir soumettre à la chambre une
proposition relative cette voie de navigation.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, l’honorable M. Brabant
a regretté que, quand j’étais à la
tête du département des travaux publics, je ne me sois pas montré aussi
favorable qu’à présent à une réduction des péages sur la basse Sambre. Le motif
pour lequel je n’ai pas fait une semblable proposition dans le cours de la
session dernière, c’est parce qu’il était sérieusement question, à cette
époque, d’une révision générale des tarifs des canaux et rivières ; dès lors je
n’ai pas pensé qu’il fût nécessaire de faire immédiatement une exception en
faveur de la basse Sambre ; mais au ministère des travaux publics, on a
toujours été d’avis qu’il y avait lieu d’abaisser les péages sur la basse
Sambre, et je pense que mon honorable successeur doit être de cet avis.
Si on a fait cette
différence, en ce qui concerne ces péages, avec ceux des autres canaux et en
particulier avec ceux du canal de Charleroy, c’est, comme je l’ai déjà dit,
parce qu’il existe une anomalie choquante entre ceux de la haute et de la basse
Sambre. Un autre motif encore, c’est que l’équilibre pour les transports vers
l’intérieur du pays n’en serait pas compromis. Cette question d’équilibre qui
se présente d’une manière très prononcée, en ce qui concerne
le canal de Charleroy,
vis-à-vis du bassin de Mons, ne doit plus exercer maintenant aucune influence pour
les transports de houille vers Namur par la Sambre.
Voilà les motifs qui, me paraît-il, doivent
expliquer parfaitement aux yeux de l’honorable M. Brabant,
comme à ceux de la chambre, la conduite que j’ai tenue, quand j’étais ministre
des travaux publics.
M. Dumont. - Messieurs, j’ai demandé la parole pendant le discours de l’honorable M. Orban. L’objection principale que fait l’honorable
membre contre une diminution de péages sur le canal de Charleroy, consiste à
dire que le trésor serait privé d’un revenu assez considérable. L’honorable
membre a envisagé ce revenu comme un impôt, et il a trouvé cet impôt
parfaitement établi. Eh bien, c’est ce que je viens contester.
Oui, ce revenu est un impôt, mais je demande à la
chambre si cet impôt est
juste, s’il pèse également sur tous les extracteurs et sur tous les
consommateurs de charbon ? Le canal de Charleroy a coûté l2 à 13 millions à
l’Etat ; il rapporte 1,500,000 francs ; mais, frais déduits, je crois que le bénéfice
n’est que de 13 à 1,400,000 fr. Voilà 12 ou 13 ans que l’Etat est en possession
de ce canal ; de sorte que s’il n’est pas remboursé du prix d’acquisition, il
est bien près de l’être.
Maintenant les voies de communication sont-elles
établies dans le but de créer un revenu au trésor ? ou bien le sont-elles dans
le but de favoriser les industries du pays ?
Je crois que c’est le deuxième : de favoriser
les industries du pays et non de produire un revenu au trésor. Quand on veut
créer des revenus au trésor, on le fait en établissant des impôts qui pèsent
aussi proportionnellement que possible sur tous les citoyens. Si c’est un impôt
de consommation qu’on veut établir, il doit frapper tous les consommateurs, Si
on doit considérer comme tel le péage qu’on perçoit sur le canal de Charleroy,
le bassin de Charleroy et ceux qui achètent ses produits acquittent un impôt
souverainement injuste, puisqu’il ne pèse que sur un bassin houiller et sur les
consommateurs qui font usage de ses produits. Je dis donc, que les 1,500 mille
fr. d’impôt qui vont peser sur le bassin de Charleroy et sur les consommateurs
de ses produits ne peuvent pas être considérés par nous comme un impôt juste,
puisqu’il ne pèse que sur une petite partie de la population.
L’honorable M. Orban trouve juste de frapper
l’industrie houillère d’un impôt plus considérable que celui qu’elle supporte.
Je ne pense pas que cette discussion vienne fort à propos, je crois qu’il y
aurait beaucoup de considérations à faire valoir contre un nouvel impôt dont on
voulait frapper la houille qui est une matière première indispensable pour
beaucoup d’industries. On désire amener les prix de revient de nos produits au
taux le plus bas possible, le moyen n’est pas d’élever par un impôt nouveau le
prix d’un combustible aussi nécessaire à l’industrie que le charbon.
Je n’en dirai pas davantage à cet égard.
On a parlé de l’élargissement des écluses du
canal de Charleroy. Je crois que ce serait une bonne opération dans l’intérêt
de l’industrie et du trésor. On craint que cet élargissement ne soit pas
possible à cause de la grande dépense d’eau qui en résulterait. Mais cette
crainte n’est pas fondée ; on a pu l’avoir quand on a fait le plan du canal, on
a craint de n’avoir pas assez d’eau pour alimenter un canal à grande section, mais en creusant le souterrain et le bief supérieur au point de
partage, on a trouvé des sources si abondantes que la crainte du manque d’eau a
cessé.
On avait établi des machines à vapeur pour
déverser de l’eau dans le bief supérieur ; elle n’a jamais fonctionné que quand
le canal avait été mis à sec pour le curement. Je n’irai pas aussi loin que
l’honorable M. Delehaye ; je sais qu’il résulterait de
l’opération qu’il propose une dépense considérable, et je craindrais de ne pas
l’obtenir. On ne peut, du reste, la réaliser que dans un temps assez long.
Quant aux péages, la réduction qu’on demande ne
diminuerait pas les revenus du trésor dans la même proportion. On a dit que le
canal n’était pas susceptible de transporter plus de charbon que maintenant.
Pour moi, je pense qu’il peut transporter, sinon le double, au moins un tiers
en plus de ce qu’il transporte maintenant. Si l’eau ne manque pas, pourquoi ne
permet-on pas la navigation de nuit ? En la permettant, on doublerait presque
la navigation.
M. le ministre des finances (M. Malou). - On s’en occupe.
M. Dumont. - L’honorable M. David a demandé quel était le péage établi sur le
canal de Charleroy. Ce péage n’est pas établi par lieue et par tonneau, mais
pour toute la distance de Charleroy à Bruxelles, ce qui revient à 19 1/2
centimes par tonneau et par lieue. C’est le même péage que sur la basse Sambre.
Pour le charbon s’exportant vers la frontière française, on ne paye que 10
centimes.
Ainsi les consommateurs du Brabant et d’une
partie des Flandres payent un droit plus élevé que les consommateurs de la
France. J’ai déjà fait remarquer que le charbon était une matière première ;
s’il n’est pas aussi nécessaire que le pain, il est aussi indispensable
pour toutes les classes de la société que le vêtement. Ce n’est pas seulement
pour l’usage qu’en fait la classe pauvre, qu’il est important de maintenir les
houilles à bas prix, mais pour les nombreuses fabriques du Brabant et des rives
de l’Escaut qui en ont un besoin absolu. Je ferai remarquer ensuite qu’il est
des charbons qui conviennent à certaines usines, et qu’on ne trouve pas
ailleurs que dans le bassin de Charleroy ; c’est à cela qu’il faut attribuer la
quantité considérable de charbon que Charleroy expédie par le canal. Cette
quantité augmenterait encore dans une grande proportion si on diminuait les péages. Je ne dirai rien de la
Sambre, puisque M. le ministre a annoncé la présentation d’un projet de loi. J’espère que
ce projet sera conçu de manière à satisfaire tous les intérêts.
M. Dolez. - J’ai la ferme conviction que la question
soulevée par mon honorable ami, M. Pirmez,
ne peut en ce moment aboutir à aucune espèce de résultat ; aussi je pense que j’abuserais
inutilement des moments et de l’attention de la chambre, si je prolongeais
cette discussion. Permettez-moi toutefois, messieurs, de vous soumettre
quelques courtes et rapides observations.
Une proposition de réduction de péage est une
proposition qui, au premier abord, séduit. Pour mon compte, quand je l’envisage
dans un aspect simple, je suis porté à m’en déclarer partisan. Mais cette
question n’est pas simple, elle est complexe, elle se complique avec d’autres
intérêts que ceux auxquels elle semble exclusivement s’adresser.
Quand le gouvernement intervient avec la
puissance de tous, avec les ressources de tous, dans les questions d’industrie,
il doit prendre garde aux divers intérêts qui se trouvent engagés. C’est en
partant de ce principe, c’est en prenant égard à la complication des divers
intérêts, que les péages de nos canaux ont été établis sur les bases dont on se plaint
aujourd’hui ; si on opérait une réduction de péages sur une voie de
communication sans s’occuper des intérêts des industries concurrentes, on
amènerait une secousse désastreuse dans des situations industrielles dignes du
plus haut intérêt, et cette secousse, soyez-en convaincus, produirait, pour la
prospérité générale du pays, un mal devant lequel s’effaceraient les avantages
que l’on semble attendre de la mesure réclamée par l’honorable représentant de
Charleroy.
C’est ainsi que, pour parler d’une situation qui
m’est particulièrement connue, je dois déclarer à la chambre qu’une réduction
de péage sur le canal de Charleroy porterait un coup mortel à l’industrie du
bassin de Mons. Et dans quel moment ce coup lui serait-il porté par le
gouvernement, par l’intervention de la puissance de tous ? Quand cette
industrie est déjà à la veille de devoir faire appel à la justice du gouvernement
et
des chambres, pour un fait
analogue dont elle est déjà victime.
Lorsque le gouvernement vint soumettre à la
chambre les nombreuses concessions de chemins de fer qu’il voulait accorder à
des compagnies étrangères, il ne perdit pas de vue la nécessité de maintenir un équitable équilibre entre nos grands centres
industriels de la province de Hainaut, qui devait surtout être le théâtre de
ces entreprises. Il entra dans sa pensée et dans celle de la chambre de
maintenir et de sauvegarder les intérêts de tous.
C’est ainsi qu’on reconnut que si, d’un côté, on
autorisait la concession d’un chemin de fer partant des charbonnages du centre
pour aboutir à Mons ; que si, d’un autre côté, on autorisait l’établissement
d’un chemin de fer de Charleroy à la Sambre française, il fallait donner à Mons
d’équitables compensations d’une part, dans la création du canal et du chemin
de fer de la Dendre ; d’autre part, dans la création du canal de Mons à
Erquelinnes. Or, que se passe-t-il ? A l’heure qu’il est, le chemin de fer de
Manage à Nons est presque terminé ; le chemin de fer de Charleroy à la Sambre
française est aussi très avancé, tandis que ni le chemin de fer de la Dendre,
ni le canal de la Pendre, ni le canal d’Erquelinnes ne sont commencés. De
sorte, messieurs, que cet équilibre que vos efforts équitables ont toujours
cherché à maintenir entre les différents centres producteurs du Hainaut, est
déjà à la veille de se trouver rompu d’une manière qui ne peut manquer
d’exciter les plus légitimes doléances.
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Et c’est à ce moment, messieurs, qu’on demande d’aggraver encore cette
situation, au profit de ceux-là même qui en profitent, en réduisant les péages
du canal de Charleroy ! Soyez-en convaincus, messieurs, si le gouvernement
se décidait à opérer cette réduction,
il amènerait au sein d’une
partie du Hainaut une crise industrielle épouvantable. J’ai la conviction que
je n’exagère rien en tenant ce langage, et que le gouvernement ne démentira pas mes paroles.
Au reste, messieurs, je suis loin de m’opposer à
ce qu’on examine la question de la réduction des péages ; mais je demande
qu’on n’examine pas cette question sous le point de vue d’un seul intérêt, je
demande qu’on l’examine en combinant cet intérêt avec tous les autres qui s’y
rattachent d’une manière intime, inséparable.
Dois-je maintenant, messieurs, consacrer
quelques mots aux observations qui vous ont été soumises par l’honorable M Orban ?
Cet honorable membre a versé dans des erreurs qui
vous auront frappés tous. D’abord, je ne sais où cet honorable membre a été
chercher le chiffre d’une production de 400,0o0,000 de tonneaux dont il vous a parlé. 400,000,000
de tonneaux, messieurs,
c’est une véritable plaisanterie !
Plusieurs membres. - Quatre millions de tonneaux !
M. Dolez. - Je ne pourrais pas vous dire quel est le chiffre
de cette production, mais je suis convaincu qu’il y a là une exagération qui
fera rire tous ceux qui la verront et je pense que le chiffre de 4,000,000 de
tonneaux que indiquent en ce moment plusieurs de nos collègues n’est pas
dépassé.
Mais enfin, abstraction faite de cette erreur
fondamentale qui prouve que l’honorable membre s’exagère singulièrement les
espérances financières qu’il fonde sur la mesure dont il vous a entretenue,
j’ai la ferme conviction qu’il n’y aurait pas d’impôt plus funeste à l’intérêt
général que celui qu’il
propose. Il a comparé
l’industrie minérale à la propriété foncière. La propriété foncière, messieurs, qui rapporte à
ceux qui la possèdent des revenus toujours sûrs, des revenus exempts
d’inquiétudes, exempts de chances, tandis que la propriété des mines n’est que
l’élément d’une industrie chanceuse, d’une industrie toujours aléatoire, qui,
soyez-en bien convaincus, expose ceux qui s’y livrent aussi souvent à la ruine
qu’à la prospérité ! Sans doute cette industrie a été et sera encore la
source de quelques fortunes qui frappent tous les yeux ; mais elle n’a que trop
souvent produit des résultats d’une nature bien différente. Au moment où l’on
proposait la loi de 1810, Napoléon dont le génie savait aussi reconnaître des
objets qu’il
importait de ne pas
soumettre aux charges et aux entraves de l’impôt, Napoléon proclamait un
principe diamétralement opposé à celui que défend l’honorable M. Orban ; il
pensait qu’il ne fallait frapper la propriété des mines d’aucune espèce
d’impôt, parce que l’intérêt public réclamait qu’elle fût prospère, et qu’au
lien de lui susciter des entraves on lui vînt en aide par tous les moyens possibles.
D’ailleurs, messieurs, il ne faut pas croire que
l’on pourrait parvenir, en appliquant les idées de M. Orban, à un résultat
financier qui fût de nature à nous
tenter. Si vous saviez quels sont les véritables produits nets des mines, vous
seriez convaincus que les résultats qu’il semble entrevoir sont purement
chimériques.
Une mine, au moment où elle
commence à produire, a déjà absorbé un capital excessivement important, et
souvent les produits représentent à peine l’intérêt du capital qui y est engagé.
Or, je crois qu’il n’est pas dans l’intention de
l’honorable membre, de vouloir prélever l’impôt sur les intérêts d’un capital
engagé dans une industrie aussi aventureuse que l’exploitation des mines. L’honorable
membre paraît être guidé par la pensée que cette industrie est toujours
prospère, qu’elle ne rapporte jamais que des bénéfices, et des bénéfices
considérables ; eh bien, je l’engage à s’y livrer un jour, et j’ai la
conviction qu’après quelques années d’expérience, sa manière de voir à cet
égard sera complètement changée.
Je n’insiste pas, messieurs, sur une proposition
que votre sagesse ne manquerait pas de proscrire, si elle venait à se
reproduire un jour.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J’ai
déjà fait remarquer à la chambre que la question des péages pourrait mieux se rattacher au
projet que j’ai annoncé ; je demanderai, par conséquent, qu’on veuille bien ne
pas donner suite, en ce moment, à la discussion générale qui s’est engagée.
J’ajouterai
un seul mot à cet égard. Il n’est jamais entré dans la pensée du gouvernement, quant
aux péages, de rompre l’équilibre actuellement établi. Le projet que j’ai
annoncé se rapporte exclusivement à la basse Sambre, et le gouvernement présente ce
projet parce qu’il y a là un vice de détail à corriger. La réduction
des péages, en général, devrait naturellement être subordonnée d’une part à
l’état de nos ressources, d’autre part à l’équilibre si péniblement établi entre les
divers centres industriels du pays.
- La clôture est demandée.
M. Dumortier (contre la clôture). - Il est une question,
messieurs, qui se rattache directement au budget et qui n’est pas relative aux
péages, c’est la question de la légalité de l’arrêté qui a concédé le canal de
la Dendre. Cette question est excessivement importante, et je désire que la
chambre ne prononce pas la clôture sans m’avoir permis de présenter quelques
considérations sur ce point.
Plusieurs membres. - Dans la discussion du budget des travaux publics.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
L’article est mis aux voix et adopté.
________________
« Produits de la Sambre canalisée :
fr. 600,000. »
- Adopté.
________________
« Produits du canal de Charleroy :
fr. 1,500,000. »
- Adopté.
________________
« Produits du canal de Mons à
Condé : fr. 100,000. »
- Adopté.
________________
« Produits des droits de passage
d’eau : fr. 100,000. »
- Adopté.
________________
« Produits des barrières sur les routes
de première et de deuxième classe : fr. 2,000,000. »
- Adopté.
PROJET DE LOI RELATIF
AUX SUBSISTANCES
M. Desmaisières. - Messieurs, j’ai l’honneur de déposer le rapport sur le projet de loi
relatif aux subsistances. D’après les informations que j’ai prises au greffe,
ce rapport pourra être imprimé et distribué dans la matinée de jeudi. Je
demanderai donc que la chambre veuille mettre le projet à l’ordre du jour de
vendredi prochain.
De toutes parts. - Appuyé, appuyé !
- La proposition est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 4heures trois quarts.