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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 5 décembre 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives aux inondations de la Meuse à Liége (Delfosse), à la canalisation du Mandel et à la situation
sociale dans les Flandres (Rodenbach)
2) Projet de loi portant le
budget des voies et moyens pour l’exercice 1847
a) Discussion générale.
Equilibre général entre recettes et dépenses (Delfosse,
Malou), réforme des impôts et justice sociale, droits sur
les céréales, principe de la progressivité et de la globalisation de l’impôt
(incom tax), droits sur les donations et sur les biens possédés en mainmorte
(essentielles par des institutions de bienfaisance catholiques) (proposition
Verhaegen) (de Theux), équilibre général entre recettes
et dépenses (Anspach, de Breyne),
réforme des impôts et justice sociale, contribution foncière, impôt sur le sel
(Eloy de Burdinne), équilibre général entre recettes et dépenses,
impôt sur le sel (Malou), équilibre général entre recettes
et dépenses, droits sur les céréales (Osy) équilibre général
entre recettes et dépenses (Malou), droits sur les
céréales et sur le bétail (Eloy de Burdinne), droits sur
les céréales (Rogier, Malou, Eloy de Burdinne)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 204) M. Van Cutsem procède à l’appel
nominal à 1 heure et demie.
- La séance est ouverte.
M. A. Dubus lit le
procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. Van Cutsem présente
l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Plusieurs habitants de Tronchiennes
réclament l’intervention de la chambre, pour que le ministre des travaux
publics n’accorde point la demande de l’administration communale qui a pour
objet d’obtenir une somme de 9,000 fr., en compensation des travaux d’utilité
publique que l’administration du chemin dé fer s’est engagée à faire exécuter
dans cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les habitants du quartier d’Outre-Meuse, à
Liége, réclament l’intervention de la chambre, pour obtenir la dérivation de la
Meuse. »
- Sur la proposition de M. Delfosse., renvoi à la section centrale pour
l’examen du budget des travaux publics.
_______________
« Le
conseil communal de Nokere prie la chambre de voter un crédit pour subvenir aux
besoins de la classe nécessiteuse. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner
le projet de loi concernant des crédits pour mesures relatives aux
subsistances.
_______________
« Les
sieurs Hairiet et Cols, commis greffier et juge suppléant de la justice de paix
du premier arrondissement de Nivelles, présentent des observations contre la
demande tendant à réunir les deux cantons de justice de paix de cette
ville. »
Renvoi à la commission des circonscriptions
cantonales.
_______________
« Le sieur
O. Delepierre, deuxième secrétaire de la légation de Belgique à Londres, ancien
archiviste provincial de la Flandre occidentale, demande la place de
bibliothécaire de la chambre. »
« Même demande du sieur Arens, directeur de l’école
primaire supérieure de l’Etat à Virton, et du sieur Jules Tarlier, docteur en
philosophie et lettres. »
- Dépôt au
bureau des renseignements.
« Plusieurs habitants de la commune de Cachtem
prient la chambre de voter les fonds nécessaires à la canalisation du Mandel, depuis
la Lys jusqu’à Roulers, afin de procurer du travail à la classe ouvrière. »
M. Rodenbach. - Cette pétition
nous est adressée par plusieurs habitants notables de Cachtem (district de
Roulers) qui demandent la canalisation du Mandel ; ils disent que les travaux
qu’il y a à faire dans le centre de la Flandre occidentale fourniraient, s’ils
étaient exécutés, du pain aux nombreux ouvriers sans travail, et que le centre
de cette province serait ainsi doté d’un canal agricole dont elle est privée.
Dans ce district et dans celui de Thielt, où la misère est si grande, il
ne se fait maintenant aucun travail ; on demande de l’ouvrage ou du pain. Vous
savez que les mendiants qu’on arrête demandent si c’est un crime que d’avoir
faim.
Je propose le renvoi de la pétition à la section
centrale et à M. le ministre des travaux publics.
M. le président. - Ce serait
contraire an règlement ; avant de l’envoyer une pétition à un ministre, il faut
qu’elle ait fait l’objet d’un rapport.
M. Rodenbach. - Soit ; je
demande le renvoi à la section des travaux publics, avec demande d’un prompt
rapport, afin que dans la discussion de ce budget, cette question soit
examinée, dans l’intérêt des malheureux, qui manquent de pain.
- Ce renvoi est prononcé.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS POUR L’EXERCICE 1847
Discussion générale
M. le président. - La
discussion continue sur l’ensemble du budget.
La parole est à M. Delfosse.
M. Delfosse. - M. le
ministre des finances nous disait hier : « Il y a deux écueils à
éviter lorsque l’on parle de la situation financière, il ne faut ni la
présenter sous un jour trop favorable, ni la rembrunir. »
Je suis tout à fait de cet avis, mais j’ai en vain
cherché dans le discours de M. le ministre des finances la preuve que j’aurais
rembruni la situation et qu’il ne l’aurait pas flattée.
J’ai exposé la situation, telle que je la voyais,
après de longues et consciencieuses recherches ; je n’ai pas tàché, comme M. le
ministre de finances, de vous éblouir par de grandes phrases ; j’ai cité des
chiffres.
Ces chiffres sont restés debout ; M. le ministre
des finances n’a pas même essayé de les réfuter.
Est-il vrai, oui ou non, que M. le ministre des
finances n’a tenu aucun compte, dans son exposé de la situation du trésor
public, des crédits supplémentaires qui devront nous être encore
demandés pour les exercices 1844, 1845 et 1846 ?
Est-il vrai, oui ou non, que l’exercice 1846 est
déjà, comme je l’avais prévu, surchargé de crédits supplémentaires s’élevant à
plusieurs millions ?
Est-il vrai, oui ou non, que les lois présentées et
d’autres faits encore autorisent à croire que l’exercice 4847 aura le même sort
?
Est-il vrai oui ou non, que les treize millions de
valeurs que M. le ministre des finances compte en déduction du découvert
figurent à nos budgets en dépense comme en recette et que ces
valeurs ne sont que fictives ?
M. le ministre des finances sait si bien qu’il
s’est trompé l’année dernière et qu’il se trompe, je pourrais dire qu’il
nous trompe, cette année-ci dans ses prévisions, qu’il a retranché de son
exposé la comparaison entre la situation actuelle du trésor public et la
situation antérieure, pièce importante qui se trouve dans les précédents
exposés et qui aurait rendu palpables la plupart des erreurs de M. le ministre.
Dans quel but M. le ministre des finances a-t-il
agi de la sorte ? Si j’en juge par quelques mots qui lui sont échappés, il
aurait craint, en présentant la situation telle qu’elle est, d’ébranler le
crédit public et de nuire au trésor.
Je ne puis m’associer à cette crainte ; les grands
spéculateurs en fonds publics connaissent la situation aussi bien que nous ;
ils sont initiés à tous les secrets, à tous les rouages de notre système
financier. La tactique de M. le ministre des finances, si elle n’avait pas été
dévoilée, n’aurait eu d’autre résultat que d’attirer plus facilement le public
dans leurs filets.
Un gouvernement qui se respecte ne cherche pas à
fonder le crédit sur la ruse et le mensonge ; il laisse l’emploi de tels moyens
aux usuriers, peut-être aussi aux adeptes de cette société que M. le ministre
des finances nous vantait l’autre jour et qui a pour maxime que la fin
sanctifie les moyens.
M. le ministre des finances a cru neutraliser
l’effet de mes chiffres, en disant que le découvert du trésor provient en
grande partie des dépenses extraordinaires qui ont été faites en travaux
publics, dépenses, selon lui, fort utiles.
Quand cela serait vrai, quand le découvert du
trésor aurait cette cause, en existerait-il moins, en serait-il moins dangereux
?
Mais la cause signalée par M. le ministre
des finances est plus apparente que réelle ; si le gouvernement avait mis moins
de prodigalité dans les dépenses ordinaires, s’il n’avait pas dépensé et
dépassé follement plusieurs allocations des budgets, n’aurions—nous pas eu des
excédants qui
nous eussent permis de faire face à ces travaux sans recourir à une émission
exagérée de bons du trésor ?
Et puis je n’admets pas l’utilité de toutes les
dépenses extraordinaires qui ont été faites en travaux publics ; tes travaux du
chemin de fer ont été fort utiles, je suis le premier à le reconnaître ; mais
il n’était pas utile du tout de dépenser pour ces travaux autant qu’on l’a fait
; s’il y avait eu une surveillance plus sévère et moins de dilapidations, on
n’aurait pas dû avoir recours à toutes ces demandes de crédits supplémentaires
dont nous sommes constamment assaillis.
M. le ministre des finances m’a attribué une
opinion qui n’est pas la mienne lorsqu’il a supposé que je voulais couvrir
toutes les dépenses, même celles qui seraient faites pour de grands travaux
publics, par les ressources ordinaires du budget.
Je sais fort bien que les grands travaux, tels que
ceux du chemin de fer, tels que ceux qui sont demandés pour l’amélioration des
voies navigables, ne peuvent s’exécuter qu’à l’aide de l’emprunt ; l’excédant
de 4- à 5 millions que je voudrais trouver dans les prévisions des receties des
dépenses pour chaque exercice, serait certes insuffisant, si j’avais l’opinion
que M. le ministre des finances m’attribue ; ce n’est pas pour l’exécution des
grands travaux d’utilité publique, c’est pour couvrir d’autres dépenses, d’une
nature moins extraordinaire, qui se reproduisent fréquemment, que je réclame
cet excédant.
En résumé, messieurs, la situation n’est pas bonne,
mais elle peut le devenir, elle le deviendra, si nous voulons.
La situation n’est pas bonne, parce que nous nous
trouvons en face de deux grands dangers.
(page 205)
En 1840, M. Mercier, alors ministre des finances, nous disait avec raison, que l’existence
d’une dette flottante de 8 à 10 millions peut, en temps ordinaire, amener de
graves embarras. L’honorable M. Osy disait hier, avec plus de raison encore,
que, s’il était ministre des finances, il ne dormirait pas tranquille tant que
la dette flottante ne serait pas réduite En effet, messieurs, que deviendrions-nous,
avec une dette flottante de 20 ou 25 millions, si, ce qu’à Dieu ne plaise, une
crise éclatait ?
Un antre danger qui devrait empêcher M. le ministre
des finances de dormir tranquille, c’est le danger des inondations, et ce n’est
pas, comme on a paru le croire, pour Liége seul, c’est pour le pays tout entier
que je parle ; malheur au gouvernement, malheur à nous, si l’on pouvait
un jour imputer à nos hésitations ou à notre indifférence des calamités
semblables à celles qui viennent d’affliger un pays voisin !
Il faut parer à ces deux dangers, il faut aussi
soulager les Flandres ; et le seul moyen c’est l’emprunt ; un emprunt de 50
millions de francs nous permettrait, à la fois, de réduire la dette flottante,
d’entreprendre partout l’amélioration de nos voies navigables, et de venir en
aide, par des secours plus efficaces, à la misère de nos concitoyens.
On m’objectera, je m’y attends, la
difficulté de réaliser un emprunt dans les circonstances actuelles ; mais on pourrait
commencer par n’en contracter qu’une partie ; tous les travaux ne se feront ni
en un jour, ni en une année, et, je l’ai déjà dit, la perte qu’il faudrait
subir sur l’emprunt ne serait rien en comparaison des calamités qu’il serait
destiné à prévenir.
Les 3 millions qu’il faudrait porter au budget de
la dette publique pour les intérêts et l’amortissement de cet emprunt, seraient
une charge imperceptible, si l’on suivait le conseil que j’ai donné hier
d’entrer franchement, résolument dans la voie des économies et de la réforme
des impôts ; c’est dans ce sens que j’ai dit tantôt que la situation peut
devenir bonne, si nous voulons.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Il est une partie du discours de l’honorable
membre à laquelle je crois inutile de répondre.
Tout ce qui est injurieux, tout ce qui est
personnel, soit pour moi, soit pour le gouvernement, m’est parfaitement
indifférent, lorsqu’il me vient de l’honorable M. Delfosse. Ces violences de
langage ne nie prouvent qu’une chose, c’est que dans les observations que j’ai
faites hier, j’ai touché juste ; il n’y a que le vrai qui irrite.
M. Delfosse. - Je ne suis
pas du tout irrité ; je suis très calme.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - La situation financière du pays est exposée,
chaque année, dans les moindres détails, Il n’y a pas d’autre pays en Europe où
l’on publie ainsi jusqu’au dernier centime tout ce qui se rattache àla
situation financière du pays ; et lorsque ces publications se font chaque
année, lorsqu’elles sont répandues partout, lorsque toutes les personnes qui
s’intéressent au crédit belge peuvent les consulter, on vient représenter le
gouvernement belge comme une espèce d’escroc, cherchant à fonder le crédit
public sur la ruse et le mensonge !
Je proteste, au nom de la loyauté belge, au nom de
l’honneur du pays, contre de pareilles imputations !
Non ! nous pouvons être en désaccord sur
l’appréciation de la situation ; mais je rends justice aux intentions de
l’honorable membre ; je crois qu’il se trompe ; je cherche à le démontrer. Je
ne lui dis pas que s’il rembrunit la situation financière, c’est pour chercher
à ruiner le crédit belge, pour le diminuer du moins. Je rends justice à ses
intentions. Je demande qu’il rende justice aux intentions du gouvernement.
M. Delfosse. - Il ne
fallait rien dissimuler.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Je dis qu’on n’a rien dissimulé.
Vous vous étonnez, je m’étonne à mon tour que la
comparaison entre la situation financière de l’année dernière et celle de
l’année courante n’ait pas été publiée. Je suis prêt à réparer cette lacune.
Qu’en résultera-t-il ? Un développement de plus ; mais pour l’honorable membre,
habitué à consulter de pareils documents, il n’en résultera pas un rayon de
lumière de plus.
En effet, les causes de la situation financière,
l’honorable membre les a indiquées ; elles sont tellement simples qu’en deux
mots il les a énoncées toutes : la
dette flottante s’est accrue de 4 à 5 millions, parce qu’on a voté 4 à 5
millions de dépenses extraordinaires.
Du reste, je ferai faire cette comparaison dans ses
moindres détails. J’espère alors, du moins en partie, voir disparaitre ces accusations
odieuses, contre lesquelles je me suis élevé.
L’honorable membre voudrait trouver, entre nos
ressources et nos dépenses ordinaires, un excédant de 4 à 5 millions.
Je le voudrais aussi, messieurs, mais il ne suffit
pas de le vouloir ; il faut indiquer les moyens pratiques, et lorsque la
chambre, laborieusement chaque année, discute dans leurs moindres détails tous
les budgets ; lorsque les idées d’économie générale qu’on énonce chaque année
dans la situation des voies et moyens, viennent se heurter contre les
nécessites de chacun des services publics, croyez-vous en effet que ces grandes
economies dont on nous parle aujourd’hui soient possibles ? Si elles étaient
possibles, croyez-vous qué depuis tant d’années que les chambres discutent les
budgets, au lieu de les voir augmenter nous ne les aurions pas vu réduire ? Et
si les nécessités de vos dépenses sont telles que vous ne’puissiez pas trouver
cet excédant de 4 à 5 millions dont on parle, il faut le demander à des impôts
nouveaux.
L’honorable membre a trouvé un moyen admirable,
c’est de faire en ce moment un emprunt de 50 millions.
M. Delfosse. - Je n’ai pas
dit de 50 millions en ce moment.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - C’est de contracter un emprunt de 50 millions,
sauf à échelonner les versements.
M. Delfosse. - J’ai dit
que vous pourriez commencer par une partie.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Tâchons de nons entendre. C’est de décréter en
principe, un emprunt de 50 millions, sauf à l’émettre successivement, sauf à
échelonner les versements. Sommes-nous d’accord ?
M. Delfosse. - C’est cela.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Merci.
Messieurs, il est certain qu’à aucune époque on ne
pourrait rencontrer des circonstances aussi défavorables que celles où nous
nous trouvons aujourd’hui pour contracter un emprunt. Messieurs, si nous avions
contracté un nouvel emprunt, qu’eussions-nous fait ? Nous eussions créé une
dépense de plus, et nous n’avons pas aujourd’hui dans la situation financière
les moyens de couvrir cette dépense nouvelle. Ainsi je n’aurais d’autre
hypothèque pour servir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt nouveau que
les 5 millions d’économies problématiques que l’honorable membre croit
possibles, mais dont il n’indique pas même les bases.
Pour moi, messieurs, bien que de
sinistres prophéties tentent de troubler mon sommeil, je déclare que la
situation financière du pays, telle qu’elle m’apparaît d’après une étude
consciencieuse et de tous les jours, d’après un examen impartial des besoins du
pays, ne me paraît pas si inquiétante.
Je crois, messieurs, que si nous nous attachons à
modérer l’entraînement pour les dépenses, si nous ne nous engageons pas trop
rapidement dans les travaux extraordinaires si nous travaillons à améliorer
successivement, mais non par des innovations aventureuses, notre système
d’impôts, la situation financière de la Belgique, eu égard à ses ressources, au
montant de sa dette, à tout ce qui constitue le crédit d’un pays, est
incomparablement meilleure que celle d’aucune autre nation européenne.
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
accuser les grands pouvoirs de l’Etat de ne rien faire dans l’intérêt des
classes les plus nombreuses de la société, attaquer les impôts existants, est
assurément un rôle facile ; mais ce n’est point un rôle utile.
Peu de mots, messieurs, nous suffiront pour
repousser les attaques auxquelles s’est livré l’honorable député de Bruxelles,
dans la séance d’hier. Comment ! les grands pouvoirs de l’Etat sont accusés de
n’avoir rien fait pour les classes les plus nombreuses de la société, pour les
classes ouvrières, d’avoir tout fait dans l’intérêt des classes privilégiées
par la fortune ! L’honorable membre a-t-il donc oublié toutes les mesures qui
ont été prises depuis 1830, dans l’intérêt du peuple ? Combien de réformes
n’ont point été introduites dans les tarifs, uniquement pour assurer du travail
aux classes si nombreuses de nos populations ouvrières ! Combien de grands
travaux publics n’ont pas été entrepris aux frais de l’Etat !
Et, messieurs, ces tarifs protecteurs, si le peuple
en supporte quelques charges, personne ne peut nier qu’il en retire au moins la
plus grande utilité par le travail. A coup sûr, ce ne sont point les
propriétaires, objet des accusations constantes de l’honorable M. Verhaegen,
qui profitent des tarifs protecteurs de l’industrie.
Mais, dit-on, les propriétaires ont eu soin de s’assurer
un tarif protecteur de l’agriculture ! Messieurs, cette accusation a été si
souvent reproduite et si souvent réfutée que nous pouvons désormais la qualifier
de banale. A la différence des protections industrielles, qui sont permanentes,
qui pèsent constamment sur le consommateur, la protection qui a été accordée à
l’agriculture n’opère que quand les prix des céréales sont bas, sont modérés ;
elles cessent dès que le prix des céréales vient à s’élever. C’est ainsi que
dans toutes les circonstances où les denrées alimentaires ont atteint des prix
assez élevés, des lois exceptionnelles ont été portées, tantôt pour défendre
l’exportation, tantôt pour permettre la libre importation. Ainsi, tombe cette
accusation si souvent renouvelée.
Pourquoi nous demande-t-on, ne vous empressez-vous pas
de réviser la loi de 1834 ? Mais, messieurs, quelle urgence y a-t-il à réviser
cette loi ? Depuis deux ans ses effets sont complétement suspendus ; il n’y a
plus aucune protection pour l’agriculture ; au contraire, toutes les mesures
qui ont été prises sont exclusivement à l’avantage des consommateurs ; c’est la
défense de l’exportation, c’est la libre importation.
Mais, messieurs, est-ce dans des circonstances
aussi exceptionnelles qu’il peut s’agir de réviser d’une manière permanente une
de nos principales lois ? Assurément non. Il faut attendre qu’on soit entré
dans un état normal, pour pouvoir apprécier, avec liberté d’esprit, ce qu’il
convient de faire dans l’intérêt du consommateur et dans celui du cultivateur
et du propriétaire. Il convient, en outre, d’attendre le résultat de
l’expérience que fait aujourd’hui l’Angleterre ; nous n’aurons rien perdu à
différer de quelque temps la discussion de la loi des céréales ; au contraire,
nous aurons profité de l’expérience de nos voisins et de notre propre
expérience.
Les impôts de consommation pèsent aussi sur le
pauvre ! Sans doute, s’il était possible d’exempter l’indigent de l’impôt de
consommation, on n’hésiterait pas à prendre cette mesure ; mais il est
impossible d’établir des exceptions, quant à l’impôt de consommation, sans
s’exposer à une fraude permanente, incessante, qui réduirait l’impôt à rien.
(page 206)
Mais si la nécessité a obligé à frapper certaines denrées qui sont à l’usage de
toutes les classes de la société indistinctement, il ya dans nos lois et dans
nos institutions un large contrepoids. C’est ainsi que nos lois obligent à
porter secours à toutes les classes souffrantes. Cette mission est remplie par
les bureaux de bienfaisance, les hospices. On assure encore gratuitement à la
classe pauvre le service sanitaire. On lui procure également l’existence dans
les dépôts de mendicité, lorsqu’il est impossible de la lui procurer à
domicile. Enfin, on lui assure l’instruction gratuite : c’est ainsi que
des écoles communales sont répandues sur toute la surface du pays, et que les
pauvres y reçoivent le bienfait de l’instruction.
J’ai déjà dit tout ce qu’on avait fait pour
procurer du travail à cette classe : protection des tarifs, sommes
considérables portées annuellement au budget. Dès lors, il est impossible de
soutenir qu’on n’a rien fait depuis 1830 pour le soulagement des classes
indigentes.
L’honorable membre a-t-il été plus heureux, en
attaquant le système des impôts, et en en proposant un autre ? Il serait très
facile de réfuter une à une les critiques que l’honorable membre a adressées au
système d’impôts existant. Mais il ne suffirait pas de s’arrêter à cette discussion
de détails ; il faut faire voir, en peu de mots, que le système nouveau que l’honorable
membre prétend introduire, savoir la taxe sur le revenu, est un système
complétement impraticable.
Déjà, messieurs, cette même opinion a été produite
à la session dernière, et nous l’avons combattue. Nous avons dit alors que ce
que l’honorable membre proposait, était un impôt du moyen-âge, impôt qui ne
pouvait plus subsister avec nos institutions libres, avec l’état de
développement de toutes nos industries.
Messieurs, qualifions ce que préconise l’honorable
membre : disons que ce que l’honorable député de Bruxelles prétend
rétablir, est uniquement la dîme personnelle. (Interruption.) La dîme
existait autrefois non seulement sur le foncier, mais aussi sur l’industrie,
sur le commerce, sur toutes les professions libérales ; en un mot, elle
atteignait tout : elle était perçue en partie au profit du clergé, en
partie au profit de l’Etat. Ce mode de contribution était infiniment simple,
mais à mesure que la civilisation a fait des progrès et que les intérêts se
sont compliqués, on a reconnu des difficultés pratiques qui ont dû faire
abandonner ce mode d’imposition ; mode qui, en différentes circonstances, avait
provoqué des soulèvements publics et menacé l’existence même de l’Etat.
Messieurs, l’impôt sur le revenu, si nous le
combattons ce n’est pas que nous le trouvions injuste en lui-même, loin de là ;
au contraire, nous trouvons que de tous les impôts ce serait le plus juste ; si
donc nous le combattons, c’est parce que nous le trouvons impraticable. S’il
était possible de le réaliser, ce ne serait pas le propriétaire foncier qui se
trouverait grevé de nouvelles charges, ce seraient d’autres classes de la
société.
Ainsi, toutes les professions libérales, à
commencer par celle du jurisconsulte, se trouveraient largement frappées par
l’impôt sur le revenu.
Qu’on ne dise pas que quelques-unes sont frappées
du droit de patente ; tout le monde conviendra que la patente du notaire et du
médecin est insignifiante en comparaison de ses revenus. Si on voulait
percevoir l’impôt du revenu sur toutes les professions libérales, le commerce
et l’industrie comme sur la propriété, ce serait le dixième de leur revenu
qu’il faudrait leur demander, car c’est le dixième du produit net que l’on
demande à la terre par l’impôt foncier ; vous auriez sans doute d’immenses
revenus, mais je doute que les classes que l’honorable M. Verhaegen prend si
souvent sous sa protection, lui sussent bon gré de son projet.
C’est ainsi que l’honorable membre n’a pas été
heureux en prenant sous sa protection, d’une manière si particulière, les
négociants de la rue de la Madeleine. M. le ministre des finances a fait voir
que les taxes étaient loin d’être trop élevées dans cette partie de la
capitale. J’ai moi-même consulté le tableau que M. le ministre des finances m’a
communiqué ; je me suis assuré que si on avait appliqué la loi dans toute sa
rigueur, les taxes seraient plus élevées et que les répartiteurs avaient eu
plus égard à la position des personnes qu’à l’habitation elle-même.
L’honorable membre s’occupe presque toujours de
quelques propriétaires rentiers ; mais si les maisons de ces rentiers sont
situés dans des quartiers moins agréables où les maisons ont moins de valeur,
est-ce un motif pour les surtaxer ? Mais ce serait là une injustice. Veuillez
remarquer que le propriétaire qui est le plus en butte aux attaques de
l’honorable membre a deux habitations, l’une à la ville, l’autre à la
campagne, et qu’il paye les impositions pour toute l’année dans ces deux
résidences. Voilà un impôt largement progressif, comme l’honorable membre le
veut et dont il doit savoir lui-même quelque chose.
M. Verhaegen. - Oui, je
paye des deux côtés : l’impôt personnel plus la taxe sur le revenu à la
campagne.
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Tous les
propriétaires payent sur le revenu et payent seuls sur le revenu, et cette taxe
monte au dixième. Ils payent, en outre, une taxe sur Je capital, le droit de
succession et le droit d’enregistrement. C’est là que la propriété foncière est
particulièrement imposée, à l’exclusion de la propriété mobilière. Elle est
tellement imposée que les lois sur les successions obligent souvent l’héritier
à vendre une partie de la succession pour solder les droits et tous les
frais qui accompagnent d’ordinaire un héritage.
C’est donc alors le droit de succession d’une part
et le droit d’enregistrement de l’autre qui pèsent sur la propriété en quelque
sorte simultanément.
L’honorable membre, en parlant hier de certaines
donations qui avaient été faites, en a énumérés plusieurs que l’opinion à
considérées comme étant déguisées, soit dans un intérêt religieux, soit dans un
intérêt humanitaire ou charitable.
L’honorable membre pense que ces donations déguisées
ne sont atteintes d’aucun droit ; il se trompe grandement ; elles sont frappées
des droits de succession les plus élevés, qui avec les accessoires s’élèvent jusqu’à
13 p. c. En outre, ces propriétés doivent être revendues pour être employées de
la manière prescrite par le testateur. C’est donc un tantième de 20 p. c. qui
est prélevé sur de semblables dispositions.
L’honorable membre s’est particulièrement attaqué
aux donations qui sont faites à des églises, à des institutions de bienfaisance
; mais il a oublié, dans cette circonstance, l’intérêt si tendre qu’il porte
aux classes nombreuses et inférieures de la société ; peu de mots suffiront
pour le démontrer. Ce qui est légué dans l’intérêt du culte profite aux classes
inférieures de la société. Ainsi le temple est à l’usage du dernier prolétaire
; c’est là, messieurs, qu’il y a jouissance commune, qu’il y a égalité de
droits.
C’est là que le pauvre est véritablement relevé de
sa condition infime.
M. Verhaegen. - C’est ce qui
lui donne du pain !
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Oui.
Beaucoup de legs, faits à des institutions charitables, sont faits pour
procurer du pain au pauvre, pour lui procurer une éducation qui l’aide à
supporter sa misère avec résignation. Et combien d’hospices n’ont pas été
élevés par les soins charitables des personnes que l’honorable membre vous a en
quelque sorte signalées comme absorbant le pain du pauvre !
L’honorable membre veut à toute force frapper la
propriété d’une taxe progressive ; mais si cette taxe est juste à l’égard des
grands propriétaires, elle est juste à l’égard des grands industriels, à
l’égard de ceux qui exercent une profession libérale très lucrative, car, en
matière d’impôt, il ne doit y avoir aucun privilège. (Adhésion de la part de
M. Verhaegen.)
Où cela nous
mènera-t-il ? Ou les résultats de ce système seront insignifiants, dans ce cas
il est inutile ; oit ils seront considérables ; alors vous provoquerez une
large émigration. C’est à l’étranger. qu’on ira dépenser les revenus du sol ;
c’est dans les pays où l’égalité de l’impôt existe qu’on ira fonder son industrie,
exercer sa profession.
Aujourd’hui surtout que les facilités
des communications sont grandes, nous ne craignons pas de dire que la taxe
provoquée par l’honorable membre ferait émigrer en France, en Italie, pays dont
le climat est plus agréable. Voilà les résultats du système que l’honorable
membre préconise avec tant de chaleur !
Il n’a pas été plus heureux dans ses critiques de
détail ; nous nous en occuperions, si nous ne craignions d’empiéter sur les
attributions de M. le ministre des finances, et de faire perdre à la chambre un
temps qu’elle peut employer plus utilement ; car ce n’est pas dans la
discussion du budget des voies et moyens qu’on peut critiquer en détail les
lois financières et répondre à cette critique. Cette discussion ne pourrait être
utile qu’à propos de la révision spéciale de ces lois.
(page 245)
M. Anspach. - L’honorable M. Osy a parlé hier contre le budget et il l’a
fait avec sa vigueur accoutumée. Sentinelle vigilante de notre opinion, nous
sommes habitués à le voir toujours sur la brèche ; mais je n’ai pas pu le
suivre lorsque hier, pour soutenir son opinion, il a avancé, sur l’état
financier de notre pays, des choses qui, contre son intention sans doute,
pourraient devenir dangereuses, si elles passaient sans contradiction, et
contribueraient à rendre possible la crise qu’il redoute.
L’honorable M.
Osy compare notre position financière à celle de la France, où les
versements simultanés sur les innombrables actions des chemins de fer ont
nécessité de grands emplois de fonds, ont absorbé beaucoup de numéraire, au
point que la réserve de la banque est descendue à 80 millions. On conçoit que
ces circonstances, quoique passagères, puissent éveiller quelques craintes sur
la possibilité d’une crise financière.
Mais ici, messieurs, je ne vois pas
de comparaison à établir ; nous n’avons rien de semblable, les causes qui
agissent en France et en Allemagne n’existent pas chez nous. Nous sommes,
financièrement parlant, dans une bonne position. Il n’y a dans ce moment aucune
de ces grandes spéculatious qui compromettent le crédit public ; il n’y a aucun
engagement considérable en aucun genre ; les rentrées des effets de
commerce se font d’une manière remarquablement facile. Il n’y a donc rien qui
puisse faire naître la crainte d’une crise financière quelconque.
C’est ce que j’ai tenu à constater ; et ma position
personnelle, qui me met à même d’être au courant de toutes les affaires financières
et commerciales, me permet de pouvoir en parler avec connaissance de cause.
(page 206)
M. de Breyne. - Messieurs,
lors de la discussion du budget des voies et moyens, pour l’exercice courant,
j’ai prévu, avec plusieurs de mes honorables collègues, qu’une diminution
notable sur le plus grand nombre des évaluations présentées par M. le ministre
tics finances, viendrait atteindre nos recettes.
Malheureusement il est arrivé que la plupart de nos
prévisions se sont réalisées, et M. le ministre, ne pouvant plus reculer devant
des faits qui doivent évidemment s’accomplir, vient aujourd’hui confirmer nos
sinistres prévisions.
Maintenant, messieurs, examinons brièvement
quelques branches de nos ressources publiques, et voyons, d’après les faits
connus, ce qu’elles nous ont produit et ce qu’elles produiront probablement
l’année prochaine.
La contribution personnelle et l’impôt des
patentes, ces deux de tous nos impôts qui pèsent le plus lourdement sur la
classe moyenne de la société, semblent, d’après les bases qui ont servi à fixer
les prévisions, devoir présenter, pour 1846, une augmentation sur l’exercice
1845
Mais, messieurs, en sera-t-il de même pour l’exercice
prochain ? La situation financière de toutes les classes de la population
n’est-elle pas changée, par suite des circonstances fàcheuses qui continuent à
peser sur nous ?
Les rentrées du dernier trimestre de l’année
sont-elles aussi assurées que semble le croire M. le ministre ; et les états
d’insolvabilité ne viendront-ils pas constater le malaise général et
l’épuisement de toutes les caisses ? Je désire que les prévisions de
l’honorable ministre des finances se réalisent ; mais, je dois l’avouer, je ne
puis partager complétement sa manière de voir à cet égard.
La réduction la plus remarquable qui atteindra les
différentes branches de nos ressources, sera celle sur les droits d’entrée.
Cette réduction s’élèvera à plus d’un million, et, cette fois, je suis d’accord
sur ce point avec M. le ministre, les causes les plus actives de la réduction
des produits continueront à exister pendant l’année prochaine.
Le droit sur le débit des boissons distillées,
droit qui pèche par sa base, droit éminemment odieux et tout à fait accablant
pour le petit détaillant, continue à décrire une progression descendante.
(page 207)
L’accise sur les vins et eaux-de-vie étrangers tend sans cesse à diminuer.
L’impôt sur la fabrication des eaux-de-vie
indigènes et sur les bières et vinaigres présente une réduction notable, et va
tellement en décroissant, que M. le ministre des finances semble s’en alarmer,
et prévoit déjà le moment où il sera nécessaire d’imposer de nouveaux
sacrifices à ces industries indigènes, qui sont loin de se trouver dans un état
prospère.
S’il est vrai que les évaluations des droits
d’enregistrement seront dépassées, ne doit-on pas attribuer cette circonstance,
en partie du moins, à la crise même que subit le pays ; et, dès lors n’a-t-on
pas à déplorer les effets de la cause qui vient alimenter le trésor ?
Les sucres, dont on nous dit les recettes déjà
assurées, produiront plus de trois millions pour 1846, et je désire que
l’honorable chef du département des finances ne compte pas trop sur son oeuvre,
quand il nous assure que le produit de 1847 ne peut être compromis.
Le chemin de fer de l’Etat nous présente, il est
vrai, une progression constante de recettes, et vient heureusement au secours
de l’honorable ministre des finances, pour compenser en partie le déficit que
l’on doit rencontrer inévitablement sur d’autres branches des ressources
publiques. Mais cette admirable voie, dont le pays s’honore, est encore loin de
se suffire à lui-même, c’est-à-dire de produire suffisamment pour couvrir les
intérêts et l’amortissement des capitaux employés.
D’un autre côté, ne voit-on pas augmenter, chaque
année, les bons du trésor, et ce gouffre que nous alimentons avec des millions,
ne nous expose-t-il point, au moindre mouvement politique, à une cruelle
déception ?
En présence de cet état de choses, en présence
d’une situation financière qui n’est rien moins que rassurante, je ne comprends
pas comment M. le ministre des finances peut venir nous dire, que l’équilibre
existe entre les recettes et les dépenses. Pour moi, messieurs, cet équilibre
n’existe pas, et je suis convaincu qu’un grand nombre de mes honorables
collègues partagent ma manière de voir à cet égard.
Je ne comprends pas, dis-je, pourquoi l’on veut
chercher à se dissimuler la véritable situation du pays, car il est évident
pour tous, que la misère augmente, que la gêne et le malaise deviennent
générales, que les dépenses grossissent et que les ressources diminuent.
Pour moi, messieurs, je ne vois qu’un véritable
moyen de sortir de la fâcheuse position dans laquelle nous nous trouvons
engagés : c’est le moyen des économies. Je continuerai comme je l’ai fait jusqu’à
ce jour, à insister pour que le gouvernement entre franchement dans la voie des
économies bien entendues, comme notre seul moyen de salut.
A cet effet, je demande que l’équilibre des budgets
soit établi sur des bases assurées, et que l’on ne vienne pas sans cesse nous
demander des crédits supplémentaires qui, chaque année, s’élèvent à des sommes
considérables et qui pourraient former un gros chapitre dans nos budgets.
Je demande que l’on renonce aux bons du trésor, à
ces emprunts déguisés ; et, au lieu d’avoir recours à ce moyen facile mais
désastreux, que toutes les propositions de dépenses soient en même temps
couvertes par des recettes assurées.
Je demande que l’on soit sévère sur les admissions
à la pension de retraite, et que MM. les ministres ne se bornent pas à faire
des vœux pour voir diminuer les charges qui en résultent, mais tiennent la main
à l’exécution pleine et entière des lois qui régissent cette matière.
Je demande enfin que l’on songe
sérieusement à former une réserve. En effet, messieurs, de quel recours ne nous
eût pas été une réserve dans les circonstances actuelles ? Au moyen d’une
réserve, nous eussions pu combler le déficit de nos budgets ; au moyen d’une
réserve, nous eussions pu développer nos travaux publics et occuper des milliers
de bras qui ne désirent que d’être employés ; au moyen d’une réserve enfin,
nous eussions pu venir plus efficacement au secours des quatre cent mille
Flamands que la détresse de l’industrie linière, et la cherté excessive des
denrées alimentaires mettent dans le plus profond dénuement.
Voilà, messieurs, les ressources qu’une réserve
vous eût présentées, ressources qui manquent au ministère et dont l’absence
gêne singulièrement le gouvernement en présence de la crise dont le pays est
accablé.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs,
je suis aussi de ceux qui craignent que les prévisions du budget des voies et
moyens ne se réalisent pas. Considérons, messieurs, la position de toutes les
classes de la société, si j’en excepte toutefois celle du haut commerce qui,
certes, a lieu de s’applaudir du désastre général qui a frappé l’agriculture.
Le déficit du produit de nos terres a mis le haut commerce dans le cas de faire
de grandes affaires. Si mes renseignements sont exacts, on ne porte pas a moins
de 20 millions les bénéfices réalisés par le commerce d’Anvers en alimentant le
pays de ce qui lui manquait en grains. (Interruption.) J’en suis fâché, si mes paroles
déplaisent à quelques honorables députes d’Anvers qui doivent au moins
s’applaudir du résultat.
Messieurs, le système financier qui régit la
Belgique a fait l’objet de beaucoup d’observations de ma part, avant même que
l’honorable député de Bruxelles, qui s’est fortement prononcé contre ce système
dans la séance d’hier, n’eût pensé à en faire ressortir les vices. J’ai souvent
appelé, messieurs, l’attention de nos hommes d’Etat sur la nécessité de réviser
le système financier et de l’améliorer.
Messieurs, je crois, comme l’honorable M.
Verhaegen, qu’il y a beaucoup de modifications à y apporter. L’honorable M.
Verhaegen, et je partage son opinion, voudrait atteindre les fortunes en
proportion de leur élévation ; et, pour y arriver, j’ai signalé, il y a deux
ans, le moyen : c’est l’income-tax. Vous n’en avez pas voulu. J’ai appelé
l’attention de l’honorable M. Mercier, alors ministre des finances, sur cette
idée. Je fais des vœux, messieurs, pour qu’elle puisse se réaliser, parce
qu’alors nos classes pauvres seraient affranchies de l’impôt ou au moins
n’auraient plus à en supporter qu’une partie assez faible pour qu’elles pussent
la payer facilement.
Messieurs, si je partage certaines opinions de
l’honorable M. Verhaegen, je ne puis partager sa manière de voir en ce qui
concerne la propriété.
C’est sur la propriété, dit l’honorable M.
Verhaegen, que l’on doit percevoir tous les impôts ; c’est-à-dire qu’il faut
augmenter ceux qu’elle supporte déjà.
Dans les sessions précédentes, j’ai eu l’honneur de
vous faire remarquer, et je vous en ai administré la preuve par des chiffres,
qu’en Belgique la propriété payait les treize seizièmes des impôts. Or,
messieurs, il est prouvé qu’en Belgique la propriété forme la moitié du revenu
public, tandis que le commerce, l’industrie et les autres branches forment
l’autre moitié. De sorte que si l’on adoptait le système de faire payer d’après
le revenu, la propriété devrait supporter la moitié des impôts, soit huit
seizièmes, et les autres revenus devraient supporter les huit autres seizièmes.
Voilà, messieurs, où l’on arriverait si notre
système d’impôts était équitable. La question est de savoir si l’on pourrait
trouver le moyen d’atteindre toutes les fortunes.
Quant à l’impôt sur le sel, messieurs, depuis
longtemps et avant même que je n’eusse l’honneur de voir l’honorable M. Verhaegen
siéger sur ces bancs, j’en ai provoqué la révision. Mais encore une fois cet
impôt, qui en supporte le poids ? C’est l’agriculteur, et je vais vous le
démontrer.
Un cultivateur n’a pas seulement besoin de sel pour
assaisonner ses aliments, mais il en a besoin pour son bétail ; il en a besoin
pour préparer la graine destinée à ensemencer ; il en a besoin pour conserver
sa viande ; car il ne mange pas de la viande fraîche tous les jours ; il se
contente de saler quelques petites pièces de bétail destinées à lui donner une
nourriture bien légère et bien rare pendant toute une année.
Messieurs, s’il y a quelque chose qui fait
ressortir le vice de cette loi sur le sel, c’est ce fait qu’une industrie,
celle de la pêche, est affranchie de l’impôt sur le sel qui lui est nécessaire
pour conserver des produits qui, en général, sont consommés par des personnes
qui sont dans l’aisance, tandis que nos malheureux campagnards doivent payer
cet impôt sur le sel qui leur est nécessaire pour conserver les quelques morceaux
de porc qu’ils réservent pour ajouter quelquefois à leur nourriture ordinaire, les
légumes.
Messieurs, le cultivateur emploie encore le sel
pour la conservation de son fromage et de son beurre. Eh bien on ne lui tient
aucun compte de ce sel, tandis qu’on tient compte de celui qu’emploient
beaucoup d’autres industries. Ainsi, messieurs, on peut établir en fait que
l’impôt sur le sel est supporté à raison de 4 millions par les habitants des
campagnes qui s’occupent d’agriculture, et à raison des 800,000 fr. seulement,
qui font le complément de l’impôt, par les classes aisées.
Messieurs, lorsqu’on nous dit que la propriété
n’est pas suffisamment imposée ou qu’elle peut l’être davantage, on ne fait
ordinairement attention qu’au principal des impôts, on ne s’occupe en général
que de l’impôt foncier. Mais, remarquez-le bien, il est beaucoup d’autres
impôts supportés par la propriété. Ainsi, pour l’impôt foncier seul les
centimes additionnels s’élèvent à 2,084,750 fr.
On vous a parlé hier de la contribution personnelle
et des patentes.
Messieurs, il y a longtemps que j’ai demandé la
révision de la loi sur la contribution personnelle. Je l’ai demandée en
1834 et je l’ai provoquée plusieurs fois depuis. Mais si cette contribution est
impopulaire dans les villes, si elle y est mal répartie, elle l’est encore plus
mal dans les campagnes.
Dans les villes, messieurs, une maison peut avoir
une grande valeur, parce qu’on peut y gagner beaucoup en faisant un commerce.
Mais à la campagne que vaut une maison, si l’on n’y rattache la propriété ?
Elle ne vaut presque rien et cependant on paye des impôts personnels très
élevés dans les campagnes. On vous a démontré hier qu’à Bruxelles l’impôt
personnel était réparti sur une base qui est bien inférieure à la valeur locative
réelle. Dans les campagnes il en est tout autrement ; les valeurs locatives
sont doublées, triplées et même quadruplées dans certaines localités.
Messieurs, en examinant attentivement notre système
financier, je vois qu’il y a beaucoup de moyens de l’améliorer.
Je vous ai déjà dit que je croyais que l’impôt sur
le sel devait être modifié. cet impôt, qui est de 400 et même de 450 p.c. à la
valeur, était réduit de moitié, sans doute il en résulterait pour la première
année un déficit ; mais je suis persuadé que par la suite vous ne percevriez
pas moins qu’aujourd’hui, parce qu’on consommerait infiniment plus de sel,
surtout pour le bétail, ce qui serait un avantage considérable pour
l’amélioration des races et en outre pour l’engraissement du bétail.
Messieurs, nous avons besoin de ressources, mais
lorsque l’occasion présente de nous en créer, est-ce qu’on ne laisse pas
échapper cette occasion ? Ne nous sommes-nous pas encore occupés l’année
dernière de la législation sur les sucres et n’avons-nous pas encore en cette
circonstance, (page 208) sacrifié
les intérêts du trésor ? N’est-il pas scandaleux (je me sers de cette
expression, dût-elle déplaire à certaines oreilles) ; n’est-il pas
scandaleux de voir l’impôt sur le sel, matière indispensable aux classes pauvre
payer un impôt de 4,800,000 fr. quand le gouvernement se contente de percevoir
sur la consommation du sucre, consommation de luxe, un impôt de 3 millions I Et
remarquez, messieurs, que lorsque le trésor reçoit ces 3 millions, le
contribuable paye 6 millions ; on gratifie de la différence, je ne dirai pas le
commerce et l’industrie des raffineurs, mais la Havane, Cuba, Porto-Rico et
autres colonies étrangères. Voilà, messieurs, qui profite de ces 3 millions, et
pour les remplacer on charge le contribuable belge d’impôts écrasants.
Je pourrais, messieurs, signaler
beaucoup d’autres points sur lesquels l’attention de M. le ministre devrait se
porter ; mais pour ne pas abuser de vos moments, je me borne à engager le
gouvernement à réviser notre système d’impôts. Il y a des améliorations à
introduire ; mais je ne crois pas, comme le prétendent certains de nos
honorables collègues, que la propriété doive être appelée à supporter une
aggravation de charges. On se tromperait en effet étrangement, si l’on
supposait que la propriété foncière et l’agriculture sont dans une position
prospère ; il s’en faut de beaucoup que cette position soit seulement
satisfaisante ; généralement tous ceux qui appartiennent à l’agriculture se
trouvent dans une situation plus ou moins embarrassée, et ceux qui cultivent en
petit sont presque réduits à la misère.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Un honorable député de Dixmude a critiqué diverses
évaluations du budget des voies et moyens. J’en appellerai d’abord à
l’expérience ; d’après les faits acquis aujourd’hui, les prévisions du budget
de 1846 seront atteintes, à 100 ou 200,000 fr. près, et je crois qu’il
est difficile d’évaluer plus exactement un budget de 112 à 113 millions. Dans
le budget de cette année j’ai admis partout les chances défavorables plutôt que
les chances favorables. Ainsi, par exemple, pour les produits des chemins de
fer, pour lesquels je porte le chiffre de 13,900,000 fr. j’aurais pu, en
suivant les bases ordinaires d’évaluation, porter 14,200,000 fr., sans la
moindre exagération. Je me suis arrêté à un chiffre moins élevé de 300,000
francs... Il en est de même de beaucoup d’autres revenus.
Que tel ou tel chiffre vienne à tromper les
prévisions, cela est inévitable ; mais ce qu’il importe de faire dans une
discussion sérieuse du budget des voies et moyens, c’est d’examiner dans leur
ensemble toutes les prévisions du gouvernement et de voir s’il est probable
qu’elles se réaliseront. Or cet examen, la section centrale l’a fait et elle a
acquis la conviction que les évaluations du budget sont fondées sur les faits,
sur les probabilités le mieux établies.
L’honorable orateur qui vient de se rasseoir a
parlé de nouveau de l’accise sur le sel. Je crois, en effet, que si nous
pouvons, dans l’avenir, créer des ressources nouvelles, l’impôt qui devra être
dégrevé en premier lieu dégrevé le plus, c’est l’accise sur le sel, dont
l’honorable M. Eloy de Burdinne a parlé.
Si la combinaison que j’ai indiquée
hier se réalise, une réduction notable et immédiate de l’impôt sur le sel doit
y être comprise, et mon intention est de le proposer. D’autres réductions
encore pourront être faites. Nous aurons à voir quels sont ceux de nos impôts
dont l’existence contrarie le plus, par exemple, le développement industriel,
quels sont ceux de nos impôts qui pèsent le plus sur la production que nous
devons plutôt encourager. Je me borne à cette simple observation pour faire
voir à la chambre et pour convaincre l’honorable préopinant lui-même, que, dans
les prévisions du gouvernement, l’on a eu égard aux observations si justes
qu’il a renouvelées dans cette enceinte.
M. Osy. - Je dois,
messieurs, quelques mots de réponse à l’honorable M. Anspach. Je conviens, avec
l’honorable membre, que la Belgique a été extrêmement sage ; qu’elle ne s’est
pas aventurée dans des entreprises hasardeuses comme l’Angleterre et la France.
Mais, messieurs, comme j’ai eu l’honneur de le dire, ce qui fait sortir
le plus d’espèces du pays, c’est que, pour la deuxième année, nous avons besoin
de faire venir de l’étranger une grande quantité de céréales. Voilà la
véritable cause de l’exportation du numéraire. La première année on s’en est
moins aperçu, parce qu’on a fait alors quelques opérations avantageuses avec la
France, car je crois qu’on peut évaluer au moins à 25 ou 30 millions les
actions d’établissements industriels vendues en France. Pour 1846 ces
opérations ne se sont pas reproduites, et nous avons eu, d’un autre côte, des
importations considérables de céréales ; il en est résulté que beaucoup de
numéraire est sorti du pays. Aussi, nous avons vu que le taux de l’escompte
augmente et que les fonds publics sont en baisse.
Mais, messieurs, ce n’est pas seulement en Belgique
que le taux de l’escompte augmente, que les fonds publics sont en baisse ; la
même chose existe dans les autres pays. Eh bien, je dis que dans de semblables
circonstances il est excessivement dangereux d’avoir une dette flottante
considérable. C’est là un point que le gouvernement ne devrait pas un seul
instant perdre de vue. Il doit être bien persuadé que les capitalistes
étrangers trouvent aujourd’hui à placer leurs fonds très avantageusement et
qu’ils ne viendront pas prendre nos bons du trésor. C’est donc à
l’intérieur du pays qu’il faudra trouver à les placer, et pour y parvenir le
gouvernement devra élever encore le taux de l’intérêt.
Cependant, messieurs, par la loi que nous discutons,
le gouvernement demande à pouvoir émettre une dette flottante de 19 millions,
et, depuis l’ouverture de la session, il a déjà présenté un projet de loi qui
autorise une nouvelle émission de 2 millions.
L’honorable M. Delfosse a parlé de 25 millions ; eh
bien, les calculs que j’ai faits me prouvent que l’honorable membre est bien
près de la vérité.
On nous demande par le budget des voies et moyens
19 millions ; on propose pour les Flandres deux millions ; au mois de juin
dernier, M. le ministre de la guerre nous a présenté un crédit supplémentaire
pour des créances arriérées, dont le payement est ordonné par des jugements ;
c’est encore une affaire de 500,000 fr. M. le ministre de la marine a proposé
la construction d’un nouveau bateau à vapeur ; c’est une dépense de
125,000 francs.
M. le ministre des affaires étrangères vous a parlé
d’une société d’exportation. Je ne suis pas dans le secret de ce projet que
nous devons tous désirer dans l’intérêt des Flandres. Mais je ne connais pas le
moyen d’exporter, sans donner de l’argent aux producteurs des Flandres. Je
crois que si la société projetée est de 6 millions, l’intervention du
gouvernement sera au moins d’un tiers, c’est-à-dire de 2 millions, qu’on
viendra nous demander.
L’honorable M. Rodenbach, dans sa section, a
demandé avec instance que le crédit pour les Flandres soit augmenté de
1,200,000 fr. ; je suis persuadé que l’honorable membre renouvellera sa demande
en séance publique.
M. Rodenbach. - Sans doute
!
M. Osy. - Eh bien, au
lieu de 1,200,000 fr., nous aurons 2,400,000 fr.
Maintenant si vous tenez compte des crédits
supplémentaires qui seront demandés pour les divers départements, et en
n’évaluant le montant de ces crédits qu’à 300,000 fr., j’arrive au chiffre de
25 millions.
Maintenant M. le ministre de la justice a décrété
l’établissement d’une prison à Louvain ; or, l’on ne peut pas créer une
pareille institution sans argent. Il est dit que les premiers fonds seront pris
sur le budget de 1846, mais les autres fonds nécessaires ne sont pas demandés
dans le budget de 1847.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Vous n’aurez pas lu les développements du budget
de 1847.
M. Osy. - M. le
ministre de la justice a également déposé des projets de loi pour
l’établissement de dépôts de mendicité et d’institutions d’aliénés. II faudra
également de l’argent pour ces objets.
Je ne serais pas non plus étonné que M. te ministre
des travaux publics vînt nous demander un crédit supplémentaire pour
renouvellement de rails et de billes ; je désirerais savoir aussi comment M. le
ministre des travaux publics payera l’achèvement de nos stations qui sont
excessivement en arrière.
Je ne tiens même pas compte de ce que nous
demanderont MM. les ministres de la justice et des travaux publics ; je n’en
tiens pas compte, dis-je, dans le calcul des 25 millions que nous aurons à
voter avant la fin de la session ; eh bien, je dis que ce chiffre de 25
millions est beaucoup trop élevé dans les circonstances actuelles.
Il me reste maintenant quelques mots à répondre à
l’honorable M. de Burdinne.
Je suis, comme lui, grand partisan d’un dégrèvement
de l’impôt sur le sel ; je serais charmé que M. le ministre des finances nous
présentât un projet de loi à cet égard. J’ai deux mots à dire à l’honorable M.
Eloy de Burdinne, quant aux céréales.
Il est vrai que le commerce belge a été extrêmement
actif depuis le mois de juin 1845 jusqu’aujourd’hui, pour l’importation des
céréales. Mais je vous demande, messieurs, ce que vous auriez fait, si le
commerce avait été moins actif. Vous voyez aujourd’hui le prix du froment
arrivé à 26 francs, tandis que dans le centre de la France, le prix en est de
33 à 34 francs c’est ce que j’ai appris par les journaux français, que j’ai lus
hier et qui donnent le résumé des prix pour toute la France.
Eh bien, je prétends qu’en présence du déficit
constaté, si le commerce n’avait pas été aussi actif, le prix, en Belgique,
aurait été bien plus élevé.
L’honorable M. Eloy de Burdinne a avancé que
l’importation de céréales avait procuré au commerce un gain de 20 millions ; je
suis étonné que l’honorable membre n’ait pas parlé de 50 ou de 100 millions ;
c’est sitôt dit, mais cela ne repose sur rien. D’après mes calculs, le commerce
belge a importé environ 2 millions d’hectolitres de froment depuis le
mois de juin jusqu’aujourd’hui ; eh bien ! le commerce aurait donc gagné 40
francs par hectolitre.
Si le commerce a fait un gain sur cette
importation, voyons le revers de la médaille. L’année dernière, il a fallu
remplacer la pomme de terre dont la récolte avait manqué. Le commerce a importé
une masse de pois, de fèves, de lentilles et d’autres légumes secs ; les
premiers prix se sont tenus dans les limites de 36 à 40 francs ; les derniers
prix se sont abaissés à 16 francs ; la baisse a été extrêmement rapide, parce
qu’on avait fait des importations considérables, pour lesquelles on croyait
trouver un débouché. La perte que le commerce a faite, à cet égard, compense
largement le gain qu’il a fait sur l’importation des
céréales. D’ailleurs, le commerce des céréales est le commerce le plus
dangereux ; la baisse se fait sentir quelquefois d’une manière extrêmement
rapide. (Interruption.) Ce n’est pas moi qui redoute le bon marché ; je
suis, au contraire, le premier à le désirer ; j’en ai donné une preuve au
commencement de cette session, j’ai demandé la libre entrée du bétail ; j’ai eu
30 voix de la gauche pour ma proposition, et 36 voix de la droite contre. J’avais
fait cette proposition dans l’intérêt des consommateurs et dans celui des
producteurs, parce que le bétail maigre manque. Je dis que c’est nous
qui avons voulu procurer le bon marché aux consommateurs, mais nous n’avons pas
trouvé d’écho.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Il me semble que la discussion surie point de
savoir combien le commerce peut avoir gagné ou perdu sur telle ou telle denrée
alimentaire, ne peut pas avoir de résultat. Le commerce a rendu au pays, il
faut le dire hautement, un très grand service par les importations de denrées
qu’il a faites.
Ces services, il les a rendus en partie à lui-même,
et les pertes qu’il a pu faire sur quelques qualités de pois et de fèves ne
compensent pas les bénéfices réalisés sur les céréales et entre autres sur le
froment.
L’honorable M. Osy vous a tracé une situation
financière d’avenir comprenant des demandes qui pourront peut-être se
justifier, mais qui jusqu’à present n’ont pas encore été produites en
public par un seul membre de la chambre, si l’on excepte le vote de
l’amendement de M. Rodenbach. Si l’on fait entrer dans les appréciations des
lois comme celles relatives à la construction de la prison de Louvain et aux
dépôts de mendicité, on peut aller très loin ; mais il y manque une chose,
c’est une base quelconque, car la construction de la prison de Louvain et les
dépenses des dépôts de mendicité doivent être prélevées sur les crédits
ordinaires du département de la justice ; et, comme le dit l’honorable M. Loos,
il faut que la chambre ait voté ces dépenses.
Le bateau à vapeur de 125 mille francs doit encore
être discuté. J’aime à croire que la chambre le votera, mais il n’est pas
encore voté.
Nous avons, il est vrai, les crédits
arriérés du département de la guerre, et d’autres crédits supplémentaires qui
devront sans doute entrer dans l’examen de la situation financière ; mais quand
on veut tenir compte de ces faits, il faut aussi faire la part de l’économie
que laisse chaque exercice clos ; cette économie est ordinairement de 1,800
mille francs à deux millions.
Ainsi les évaluations de l’honorable M. Osy doivent
être modifiées, d’une part, de la somme des dépenses non votées et qu’on ne peut
pas préjuger, et d’autre part du boni que doivent donner les exercices
clos.
M. Eloy de Burdinne. - Je sais de
très bonne source que le commerce a fait des bénéfices considérables sur les grains.
Je vous ai dit que ces bénéfices allaient de 10 à 20 millions. Ce n’est pas
seulement sur les deux millions d’hectolitres de froment qu’il a fait ce bénéfice,
mais sur d’autres denrées, et notamment les pommes de terre que le commerce a
introduites dans le pays ; car les pommes de terre que les producteurs
étrangers nous ont apportées eux-mêmes n’ont pas été vendues si cher que celles
que le commerce nous a livrées. Si nous avions également reçu les grains du
producteur étranger, nous ne les aurions, je pense, pas payés aussi cher qu’en
les achetant au commerce. Voilà ce que je crois fermement.
Mais, nous a dit M. Osy, le prix des grains au
centre de la France s’est élevé à 30 fr. Je ne connais pas les mercuriales du
centre de la France ; je ne sais pas à quel prix y est le grain ; mais je sais
qu’à Paris, qui n’est pas le centre de la France, le grain est à meilleur
marche qu’en Belgique. A quoi faut-il attribuer que quand en France, dans le
département du Nord, le grain vient de baisser de 3 fr. par hectolitre, il se
maintient à son prix en Belgique ? Comment cela se fait-il ? Je pourrais peut-être
en donner l’explication ; mais l’honorable M. Osy est plus à même que moi de le
faire.
L’honorable membre a parlé du bétail
dont il voudrait qu’on permît l’entrée en franchise, afin que la viande fût à
bon marché. Je voudrais comme lui que tout pût être livré presque pour rien au
consommateur. Mais pour avoir la viande à bon marché il faut encourager l’élève
du bétail. La viande, dit-on, est chère ; c’est vrai, si vous voulez parler de
ce bœuf bien gras, bien nourri ; mais la viande ordinaire n’est pas chère. Du
bétail propre à être abattu, à donner non de ces bons filets que j’aime à
rencontrer comme chacun de vous, mais de la viande dont on peut se contenter,
pesant 500 kilogr. a été vendu 150 francs, ce qui fait 25 centimes la livre. Ce
n’est pas là un prix exorbitant pour celui qui élève du bétail. On veut que le
bétail étranger vienne en franchise dans le pays, et les villes frappent d’un
impôt le bétail que le pays produit. On ne veut pas de douane à la frontière,
on ne veut pas faire payer à l’étranger pour les produits qu’il nous importe,
et on frappe d’un impôt le produit belge à son entrée dans les villes !
M. Rogier. - Messieurs,
je regrette que l’honorable membre qui a l’habitude de parler ici au nom de
l’agriculture, ne puisse jamais prendre la parole sans lancer contre le
commerce des insinuations pleines de malveillance et d’injustice. Déjà à
plusieurs reprises j’ai répondu à l’honorable membre. Je croyais que, dans les
circonstances actuelles surtout, l’honorable député de Waremme, ébranlé, sinon
vaincu dans ses théories économiques, n’aurait pas insisté sur l’excellence de
ses principes, alors que les événements leur donnent tous les jours un si
poignant démenti. J’espérais surtout que dans la situation des esprits et en
présence des besoins du pays, l’honorable député de Waremme n’aurait pas
contribué (involontairement, je dois le croire, mais c’est le résultat que
doivent avoir ses paroles) à propager dans le peuple des erreurs, à susciter
des préventions, des colères peut-être contre les plus utiles et les plus
légitimes opérations du commerce.
Nous voyons ce qui se passe dans un pays voisin,
nous voyons le peuple s’acharner contre certaines opérations du commerce qui
ont pour but l’exportation des produits agricoles.
Ici l’exportation est prohibée et de pareils excès
ne sont pas en ce moment à craindre. Mais si par des inculpations, je le
répète, pleines de malveillance et d’injustice, on propage dans les populations
l’opinion que le commerce est pour quelque chose dans le haut prix des grains,
que certains accapareurs, par exemple, ont trouvé moyen de faire sur la misère
publique des bénéfices de 20 millions, je dis, messieurs, que si de pareilles
insinuations ne recevaient immédiatement un démenti, si une vive réprobation de
la part de cette chambre ne les condamnait, celui qui prononce si légèrement de
pareils discours encourrait une grave responsabilité.
M. Eloy de Burdinne. - Lisez le Moniteur.
Vous verrez ce que dit votre gouverneur.
M. Rogier. - Messieurs,
que vient-on dire et dire sérieusement à cette chambre ? Que le commerce a fait
un bénéfice de 20 millions sur l’importation des céréales ! Mon honorable ami
M. Osy évalue à 2 millions d’hectolitres l’importation des céréales opérée
depuis un an. Je crois que mon honorable ami se trompe.
Plusieurs membres. - Depuis 18
mois !
M. Rogier. - Depuis 18
mois, c’est différent.
Admettons que depuis dix-huit mois le commerce ait
introduit 2 millions d’hectolitres de céréales, et supposons qu’il ait gagné 20
millions de francs. Ce serait 40 fr. par hectolitre.
Ce serait un bénéfice énorme, je le reconnais. Mais
quelle est la consommation du pays ? La consommation annuelle du pays a été
fixée au minimum à 12 millions d’hectolitres. Restent donc pour les 18 mois
encore 16 millions d’hectolitres fournis par qui ? Non plus par le commerce,
mais par l’agriculture. Vous avez fait le compte du commerçant, permettez-moi
de faire le compte du propriétaire foncier, Si, grâce à l’élévation des prix,
le commerce a gagné 10 fr. par hectolitre, il est probable que l’agriculteur ne
sera pas resté au-dessous du commerce et qu’il aura également gagné 10 fr. par
hectolitre ; appliqués à 16 millions d’hectolitres, cela ferait un bénéfice de 160 millions prélevé par le propriétaire,
par l’agriculteur sur le pauvre consommateur.
M.
de Garcia. - Pourvu
qu’il ne mange pas.
M. Rogier. - Je ne
comprends pas l’interruption. Les bénéfices qu’a faits le commerce, en vendant
des céréales, l’agriculture a dû les faire aussi. Il fut un temps
où, lorsque l’agriculteur vendait l’hectolitre de froment à 18 fr., il
s’en contentait. La loi de 1834, cette loi que les événements ont si fortement
condamnée, n’a été faite que dans la prévision d’un abaissement du prix du
froment au-dessous de 18 fr. ; à cette époque on considérait ce prix comme
suffisamment rémunérateur.
Un
membre. - Le prix de 20 fr.
M. Rogier. - On
demandait d’abord 18 fr., et ensuite on a demandé 20 fr.
M. Rodenbach. - C’est vrai.
M. Rogier. - On demandait
d’abord 18 fr. ; mais, pour me servir d’une locution familière, qui, cependant,
est en harmonie avec la discussion actuelle, l’appétit est venu en mangeant.
Quel est aujourd’hui le prix du froment ? Il est de
25 fr., de 26 et de 27 fr. dans certaines localités. Voilà donc au-delà du prix
rémunérateur un bénéfice de 8 fr. par hectolitre que fait l’agriculteur sur la
consommation.
M. de Mérode. - Il n’en a
pas la moitié. Il n’a pas de seigle.
M. Rogier. - Je ne parle
ici que du froment, et la récolte du froment, d’après les déclarations qui ont
été faites, a généralement été trouvée bonne. Je sais que la récolte du seigle
n’a pas aussi bien réussi.
Messieurs, je ne viens pas ici récriminer ; si
l’agriculteur a fait des bénéfices, je ne les lui reproche pas. J’admets que
ces bénéfices viennent en compensation du produit en moins de ses terres pour
certaines denrées.
J’admets cela. Mais le consommateur n’en supporte
pas moins l’augmentation des prix, et je demande s’il y a dans tout cela un
motif de jeter sur les opérations commerciales ces insinuations malveillantes
dont l’honorable représentant de Waremme ne peut jamais se dispenser ?
Est-il juste, messieurs, de faire un reproche au commerce
d’avoir contribué à l’alimentation du pays ? Auriez-vous mieux aimé que le
commerce ne fît pas de bénéfices, si tant est que le commerce en ait fait, et
que le pays se trouvât dépourvu des denrées nécessaires à son alimentation
?
M. Eloy de Burdinne. - Non ! non !
M. Rogier. - Que
voulez-vous donc alors ? Ce qui vous blesse au fond, ce n’est pas tant le
bénéfice que fait le commerce, et que fait aussi l’agriculture. Ce qui vous
blesse, c’est l’importation des denrées alimentaires.
M. Eloy de Burdinne. - Pas du tout.
M. Rogier. - Vous voyez
avec douleur vos principes recevoir le plus éclatant démenti. Vous aviez
constamment répété dans cette enceinte depuis dix ans que le pays produisait
trop de céréales, que la moindre importation de céréales étrangères devait
avilir les prix et ruiner l’agriculture.
Eh bien, que se passe-t-il depuis deux ans ? et qu’en
devons-nous conclure ? C’est que de grandes quantités de céréales étrangères
sont entrées dans le pays, et que le pays, au lieu de produire trop pour la
consommation, ne produit pas assez ; c’est que les denrées qui entrent
n’avilissent pas les prix, et qu’elles n’empêchent malheureusement pas les prix
des denrées alimentaires de se maintenir à un prix beaucoup trop élevé, eu
égard à la situation des classes pauvres.
Je dis, messieurs, que le commerce rend dans ce
moment de grands services au pays, et que si, par suite du système que vous
avez constamment (page 210) prôné,
système auquel plusieurs de vos amis politiques se sont malheureusement
associés, vous aviez repoussé du pays les habitudes commerciales, vous aviez
repoussé le commerce des céréales, dans ce moment le pays aurait à supporter
d’autres souffrances bien plus vives encore que celles qu’il endure.
Heureusement pour le pays que les habitudes
commerciales ne se sont pas entièrement éteintes ! Heureusement que vous avez
une ville d’Anvers contre laquelle des manifestations si inconvenantes se
produisent quelquefois dans cette enceinte ! Heureusement que vous avez le
commerce qui vous amène l’abondance.
Au lieu d’accueillir par des murmures et par des
rires indécents les discours qui se prononcent de temps en temps dans cette
enceinte au nom du commerce d’Anvers, soyez fiers d’un pareil port, soyez fiers
d’un pareil élément de civilisation et de prospérité pour votre pays ! Que
serait la Belgique réduite à ses limites territoriales ? Rappelez-vous,
messieurs, que si vous avez une figure dans le monde, c’est principalement par
vos relations industrielles et commerciales. Le monde en général ne connaît pas
beaucoup, que je sache, et Waremme et d’autres localités du pays qui se
révoltent constamment dans cette enceinte au seul nom d’Anvers, qui se
permettent de rire chaque fois qu’il s’agit du commerce, ou qui cherchent à
susciter contre lui de fâcheux préjugés.
M. Eloy de Burdinne. - Je demande
la parole pour un fait personnel.
M. Rogier. - Que
serait-ce si, par un juste retour, et s’adressant aux populations souffrantes
que l’on trompe, le commerce leur disait : Prenez garde ; si certaines
doctrines venaient à se transformer en loi dans le pays, vous seriez soumises à
certain monopole qui vous ferait payer bien cher toutes vos denrées
alimentaires. Prenez-y garde ; si toute idée commerciale, si toute opération
commerciale venait à disparaître du pays, si ces établissements qui font une
grande partie de sa force, de sa prospérité, et je dirai presque de son
honneur, venaient à être remplacés, comme à une autre époque non encore très
éloignée de nous, par une multitude d’établissements privilégiés ou de
mainmorte, où en seriez-vous ?
Si, messieurs, le commerce tenait un pareil
langage, qui ne serait que trop justifié, vu les provocations qui partent du
côté opposé de la chambre, croit-on qu’il n’aurait pas de retentissement dans
le pays ?
Mais je demande à ne pas être
entraîné, malgré moi, sur un pareil terrain. Je demande à l’honorable membre et
à ceux de ses amis qui ont pris à tâche de déverser, dans cette enceinte, le
blâme sur le commerce, qui semblent se plaire à susciter dans les populations
des sentiments de malveillance contre le commerce, je les supplie de ne pas
s’exposer à des récriminations fâcheuses. Si on persistait à livrer au commerce
une guerre injuste, cette guerre, le commerce la renverrait à la propriété
territoriale ; cette guerre, il la renverrait an système qui n’a que trop
longtemps pesé sur le pays, alors qu’il n’y avait plus d’Escaut, plus de port
d’Anvers.
Je borne là, pour aujourd’hui, mes observations.
Elles auront atteint leur but si elles engagent l’honorable M. Eloy de Burdinne
et ses honorables amis qui partagent ses doctrines, ou plutôt, je ne crains pas
de le dire, qui partagent ses préjugés, à montrer à l’avenir plus de réserve.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Messieurs, je voudrais ramener la discussion sur
le terrain des réalités, dont elle me parait s’étre singulièrement écartée.
Tout à l’heure, parlant des opinions diverses qui
se produisent sur les bénéfices du commerce, j’ai fait remarquer que le pays
tout entier devait de la reconnaissance au commerce pour les opérations si
larges qu’il a faites, afin de pourvoir à son approvisionnement ; et ces
paroles, loin d’avoir rencontré des rires ou une expression de blâme sur aucun
banc de cette chambre, y ont trouvé un assentiment non équivoque.
Il n’y avait donc aucun motif pour l’honorable
membre de vouloir imputer à une partie de cette chambre des sentiments
d’hostilité contre le commerce.
Et en présence de quels faits l’honorable membre
s’est-il exprimé ainsi ? Y a-t-il en Belgique une ville pour la prospérité de
laquelle le gouvernement et les chambres aient plus fait que pour la prospérité
d’Anvers ? Je ne veux pas rappeler tout le passé, je ne veux pas remonter même
à quelques mois d’ici ; je ne veux pas dire toutes les grandes lois
commerciales qui ont été faites. Et vous viendrez dire aujourd’hui qu’il y a un
esprit systématique de malveillance contre le commerce d’Anvers, alors que le
gouvernement vient, en quelque sorte, de lui décerner un éloge public, alors
que depuis deux ans vous avez voté avec nous les mesures les plus importantes,
les plus fécondes pour le commerce, alors que ces mesures sont encore toutes
présentes à vos esprits, alors qu’à Anvers, je n’hésite pas à le dire, elles
sont encore présentes à tous les cœurs !
Non, messieurs, personne dans cette enceinte n’est
hostile à l’intérêt d’Anvers. S’il est arrivé une fois ou deux que des
rires se sont élevés alors qu’on prononçait ce nom, ces rires ne s’adressaient
pas à Anvers, ils s’adressaient à des exagérations, à des exagérations que l’on
demandait au nom de l’intérêt d’Anvers. Mais toutes les fois que l’intérêt de
notre métropole commerciale n été en jeu, toutes les fois que le gouvernement a
pu l’aider, qu’il a pu féconder cette source de la richesse publique, il n’y a
jamais manqué.
L’honorable membre croit que la cause de certaines
attaques est la douleur avec laquelle on a vu l’importation des denrées
alimentaires. Oui, messieurs, j’ai vu avec douleur l’importation si
considérable des denrées étrangères, parce que plus cette importation est
grande, plus elle accuse de pertes pour le pays. C’est un fait malheureux, que
l’on ait dû sacrifier pour l’alimentation du pays, à cause d’une mauvaise
récolte, un capital de plus de cent millions. Si c’était là la situation
normale de la Belgique, si cela n’était pas dû à des pertes déplorables pour
l’agriculture, pour tous les intérêts, il faudrait se cacher à soi-même le
germe de destruction que le pays renfermerait en son sein.
Si chaque année, pour l’alimentation du pays, nous
devions exporter une somme presque égale au montant de tous nos impôts, je
n’hésite pas à le dire, dans l’ordre des intérêts matériels, la Belgique ne
serait pas viable.
Prenons donc garde, messieurs, d’une part,
d’exciter le pays contre le commerce qui a rendu de grands services, je le
répète encore ; prenons garde, d’autre part, de faire croire que l’agriculture
n’a pas été la première, la plus fortement frappée dans cette crise que nous
traversons. L’agriculture a perdu plus que beaucoup de grandes industries n’ont
de capitaux à leur disposition.
Quant au commerce, que peut-on lui demander ?
D’importer ce qui est nécessaire aux besoins du pays et de le vendre
régulièrement, de ne pas le conserver. Eh bien, sous ce rapport, je m’associe
aux éloges que l’honorable M. Rogier a donnés au commerce. Le mouvement de nos
entrepôts a prouvé qu’une importation de quatre cent cinquante millions de
denrées alimentaires s’est faite, sans que jamais les entrepôts aient été
encombrés. Ainsi non seulement le commerce a fait de grands efforts, mais il a
fait des efforts successifs, et je n’hésite pas à le dire, des efforts
patriotiques pour pourvoir à l’alimentation du pays.
Si tels sont, messieurs, les
sentiments qui ont constamment animé le gouvernement et la législature à
l’égard de la ville d’Anvers, si tel est le prix que nous attachons à la
richesse et à la prospérité commerciale, je ne comprends vraiment pas
que l’honorable membre ait pu dire que ces attaques incessantes, que cette
hostilité systématique pouvaient provoquer des menaces contre la propriété
territoriale, contre l’agriculture. Nous n’avons à échanger ici de menaces
contre aucun intérêt belge. Nous sommes chargés de les gérer tous, et si nous
sommes divisés quelquefois sur les moyens, nous sommes d’accord sur le
but : nous voulons tous que les classes les plus nombreuses de la société
puissent trouver dans le système général de notre législation, les meilleures
conditions économiques possibles.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs,
l’honorable M. Rogier interprète singulièrement mes intentions. Autant que l’honorable
membre lui-même, autant que l’honorable M. Osy, je tiens à ce que les
subsistances parviennent au pauvre à bas prix. Lorsque j’ai demandé une protection
pour le producteur de denrées alimentaires, j’at eu autant en vue l’intérêt du
consommateur que l’intérêt du producteur ; car je persiste à soutenir que le
meilleur moyen d’obtenir le bon marché, c’est de protéger, de favoriser, de
développer la production.
Quelle est, messieurs, la cause de la cherté
actuelle des denrées alimentaires ? C’est surtout le manque de la récolte des
pommes de terre, de l’année dernière, car les pommes de terre entrent pour plus
du tiers dans l’alimentation des habitants du pays. Eh bien, messieurs, lorsque
cette crise s’est annoncée, je crois m’être adressé l’un des premiers à M. Van
de Weyer, alors ministre de t’intérieur, pour provoquer de sa part un acte peut-être
contraire à la Constitution, mais que je considérais comme nécessaire dans les
circonstances où se trouvait le pays, pour provoquer une mesure qui prohibât
immédiatement l’exportation et qui permît en même temps la libre entrée.
Voilà, messieurs, comment je sais soutenir les
intérêts des consommateurs et surtout les intérêts des classes pauvres ; ma philanthropie
à moi ne s’applique pas exclusivement à une seule catégorie d’intérêts
tous les intérêts belges sont également l’objet de ma sollicitude, ils y ont
tous également droit.
On m’accuse de provoquer des perturbations contre le
commerce. Mais jamais, messieurs, cette idée ne m’est entrée dans l’esprit. Je suis
trop ami de l’ordre et j’ai trop à perdre d’ailleurs aux bouleversements pour
vouloir en provoquer. Si j’ai soutenu une révolution, c’est parce que nos concitoyens
étaient compromis ; mais cette révolution je ne l’avais pas provoquée et je
n’en provoquerai jamais aucune.
- La séance est levée à 4 heures.