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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 4 décembre 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M*.* Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 195) M. Van Cutsem procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. A. Dubus lit le procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Cutsem présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Jean Engler, inspecteur du trésor, en présence de la candidature du greffier de la cour des comptes, prie la chambre de considérer comme non avenue sa demande tendant à obtenir la place de conseiller vacante à cette cour. »

- Pris pour notification.


« La dame Crevecœur, veuve du sieur Waldmann, officier de santé aux Indes orientales, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir les arriérés de sa pension, le remboursement de la retenue qui a été opérée sur cette pension depuis 1836, et le payement de la gratification à laquelle avait droit sa fille Pauline. »

M. de Garcia. - Messieurs, la pétition dont on vient de donner l’analyse a pour objet la réclamation d’une pension. Depuis longtemps la requérante s’est adressée au gouvernement et elle est restée sans réponse.

Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Leurson, commissaire de police de la ville d’Andenne, demande qu’il soit accordé un traitement spécial aux commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public près des tribunaux de simple police. »

« Même demande du sieur Rasschaert, commissaire de police de la commune de Meulebeke. »

M. de Garcia. - Je demande, messieurs, que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du budget de la justice. Je crois que déjà la chambre a prononcé ce renvoi pour des pétitions du même genre.

M. de Roo. - J’appuie la proposition de l’honorable M. de Garcia. Lors de la discussion du projet de loi relatif à la magistrature, il a été question des commissaires de police. J’avais proposé un amendement en leur faveur. M. le ministre avait alors promis de présenter à cet égard une loi spéciale. Je crois qu’il est temps enfin de s’occuper de ces fonctionnaires.

M. Vilain XIIII. - Messieurs, la section centrale chargée d’examiner le budget de la justice a terminé son travail, le rapport sera déposé au commencement de la semaine prochaine. Il me paraît qu’on pourrait renvoyer ces requêtes à la commission des pétitions. Elle est instituée pour examiner les pétitions qu’on nous adresse.

M. de Roo. - Si la section centrale a terminé son travail, je demanderai le renvoi à la commission des pétitions avec prière d’un prompt rapport.

M. de Garcia. - Déjà on a renvoyé des pétitions de même nature à la section centrale chargée d’examiner le budget de la justice. Si l’on renvoie à la commission des pétitions celles qui nous sont adressées aujourd’hui, il pourra y avoir des rapports divergents, ce qui présenterait des inconvénients. Ou il faut renvoyer toutes les pétitions à la commission des pétitions, ou il faut les renvoyer toutes à la section centrale ; peu importe la mesure qui sera prise, pourvu qu’elle soit uniforme et qu’un prompt rapport soit présenté.

M. le président. - On pourrait aussi déposer ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice. (Assentiment.)

- Le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice est ordonné.

Il est fait hommage à la chambre par M. J.-A. de Jonghe, docteur en philosophie et lettres, professeur à l’athénée de Bruges, de sou opuscule intitulé : « De Achille ejusque ira in Iliade obviis ».

Décès d'un membre de la chambre

M. le président. - Messieurs, par lettre particulière, M. Savart me prie d’annoncer à la chambre que son père, membre de cette assemblée., vient de mourir à Tournay. Si la chambre m’y autorise, je m’empresserai de faire connaître à la famille tous les regrets que cette perte nous inspire, et combien est grande la part que nous prenons à sa douleur. (Assentiment général.)

M. Dumortier. - Mon honorable ami M. Dubus et moi nous sommes priés de nous rendre à Tournay pour assister aux funérailles de notre honorable collègue. Nous prions donc la chambre de bien vouloir nous accorder un congé de deux jours.

- Ce congé est accordé.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Vous avez fixé, dans une séance précédente, la nomination d’un membre de la cour des comptes au 14 courant. Mais vous n’avez pas encore fixé le jour où vous procéderiez à la nomination de votre bibliothécaire.

Plusieurs membres. - Le même jour.

- La chambre fixe également au 14 courant la nomination de son bibliothécaire.


M. Pirmez (pour une motion d’ordre). - Messieurs, au commencement de la session dernière la chambre a nommé une commission chargée d’examiner divers projets de lois de délimitation de communes. Ces projets étaient au nombre de cinq ou six. Cette commission a fait son rapport sur tous les projets soumis à son examen, et la chambre a statué sur ces projets, à l’exception d’un seul, celui qui concerne les communes de Lambusart et de Moignelée. Ce projet est resté en arrière bien que le rapport soit fait depuis près d’un an. Il a été déposé par l’honorable M. Orban, le 19 janvier 1846.

Je prierai la chambre de bien vouloir décider qu’elle s’occupera du projet dont je viens de parler, après les objets qui se trouvent maintenant à l’ordre du jour.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.


M. le président. - J’ai oublié de demander un congé pour M. Fleussu, qui se trouve indisposé. S’il n’y a pas d’opposition je déclarerai le congé accordé.

Rapports sur des pétitions

M. Simons. - La commission pour la circonscription cantonale m’a chargé de vous faire rapport sur deux pétitions du conseil communal de Rommershoven, que vous lui avez renvoyées dans vos séances des novembre dernier. Par la première, ce collège demande que sa commune soit distraite du canton de Looz, pour être réunie à celui de Bilsen ; par la seconde, il rappelle sa première demande et prie la chambre de vouloir statuer sur icelle.

A l’appui de leur demande, les pétitionnaires exposent que la commune de Rommershoven est distante du chef-lieu du canton de Looz de plus de onze kilomètres, et que, pendant les deux tiers de l’année, les voies de communication vers ce chef-lieu sont impraticables ; tandis qu’elle n’est séparée de Bilsen que de cinq kilomètres et que la nouvelle route entre Tongres et Bilsen rend les communications avec cette dernière localité faciles en toute saison. Ils ajoutent que les habitants de Rommershoven n’ont guère de relations d’affaires avec la commune de Looz, tandis que la proximité de Bilsen et les relations de commerce et autres les appellent constamment au chef-lieu du canton auquel ils demandent à être réunis.

Votre commission a consulté les pièces qui ont été communiquées par le gouvernement à l’appui des projets de loi concernant la circonscription cantonale ; elles constatent que les autorités judiciaires et administratives, qui ont été entendues à ce sujet, ont appuyé la disjonction qui fait l’objet de la demande des pétitionnaires ; elle avait également été proposée par le gouvernement.

D’après ces considérations, votre commission vous propose de renvoyer ces deux pétitions à M. le ministre de la justice, pour y être donné telle suite que de droit.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi modifiant la loi sur les droits sur les cuits et les chanvres

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le Roi m’a chargé de présenter à la chambre un projet de loi apportant quelques modifications à la loi du 21 juillet 1844, sur les droits différentiels, en ce qui concerne les cuirs et l’importation des chanvres en masses.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je proposerai de renvoyer le projet à la commission d’industrie. Si l’ancienne commission d’enquête existait encore, je proposerais le renvoi à cette commission, mais plusieurs de ses membres ont cessé de faire partie de la chambre.

M. Osy. - Je préférerais la nomination d’une commission spéciale, car la commission d’industrie ne renferme aucun membre appartenant soit à Anvers, soit à Liége, de manière que deux grandes provinces industrielles et commerçantes n’y sont pas représentées. Je demande que le projet soit renvoyé à une commission spéciale nommée par le bureau.

- La chambre, consultée, renvoie le projet à la commission d’industrie.

Projet de loi qui assimile le plâtre étranger au plâtre indigène dans le Luxembourg, en ce qui concerne l'exemption du droit de barrière

Discussion générale

M. le président. - L’article unique du projet de loi, proposé par la commission permanente d’agriculture est ainsi conçu :

(page 196) « L’article 7, paragraphe 10, de la loi du 18 mars 1833, sur les barrières, est modifié comme suit :

« Sont considérés comme engrais :

« Les cendres de bois et de houille, les cendres dites de Hollande, la suie, le gypse ou plâtre, la marne, le tan sortant des fosses de la tannerie et la chaux. »

La discussion générale se confond avec celle de l’article.

La parole est à M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je n’ai pas d’objections à élever sur la mesure qui fait l’objet du projet de loi soumis aux délibérations de la chambre ; mais j’ai une observation à présenter sur la rédaction proposée par l’honorable rapporteur de la commission permanente d’agriculture.

Cette rédaction semble aller au-delà du but que la commission a eu en vue. Je pense que les lois générales ne doivent pas être modifiées légèrement, en vue d’un fait particulier, et qu’ainsi il serait préférable de faire une loi spéciale sur le plâtre destiné à l’agriculture dans la province de Luxembourg.

Il résulte des développements de la proposition, que le but qu’on veut atteindre c’est de rétablir, dans la province de Luxembourg, les choses dans la position où elles se trouvaient avant le traité de 1839, c’est-à-dire dans cette position où les plâtres venant du Luxembourg néerlandais pouvaient circuler dans le Luxembourg belge en franchise de droit lorsqu’ils étaient destines à l’agriculture. Ce but me paraît pouvoir être atteint par la rédaction suivante :

« A partir du ler janvier 1847, le plâtre étranger sera assimilé au plâtre indigène dans la province de Luxembourg, pour ce qui concerne l’exemption des droits de barrière, établis par les paragraphes 9 et 10 de l’article 7 de la loi du 18 mars 1833. »

Au moyen de cette rédaction, la loi de 1833 ne serait pas modifiée.

Je dois ajouter que les adjudications viennent de se faire pour les barrières ; que, dans la prévision qu’une mesure serait prise à l’égard du plâtre dans le Luxembourg, j’ai fait insérer une réserve à ce sujet dans les procès-verbaux d’adjudication des barrières, relatifs à cette province, et que je n’ai pas fait faire cette réserve dans les procès-verbaux concernant les autres provinces. Si donc on adoptait la rédaction proposée par la commission permanente d’agriculture, des difficultés surgiraient infailliblement avec les fermiers des barrières, inconvénient que l’on éviterait par la rédaction dont je viens de donner lecture.

M. Rodenbach. - On demande l’exemption du droit de barrière pour le transport du plâtre dans le Luxembourg ; je ne m’y oppose pas. Mais je saisis cette occasion pour dire qu’il est nécessaire d’examiner la loi sur les barrières, en ce qui concerne les subsistances à l’usage de la classe pauvre, dont plusieurs articles sont soumis aux droits de barrière.

Il y a eu des réclamations de la part des marchandes de lait à qui on fait payer le droit de barrière quand elles viennent apporter du lait de beurre pour la classe malheureuse, tandis que des articles de subsistance de luxe sont exempts de ce droit.

L’adjudication ayant été faite pour un an, je conçois qu’on ne puisse pas dans cet intervalle modifier le tarif sur lequel l’adjudication a eu lieu. Mais pour l’an prochain, le gouvernement pourra apporter des modifications à ce tarif. Je prierai M. le ministre de vouloir bien examiner quelles sont les denrées alimentaires dont la classe malheureuse a besoin, pour les affranchir du droit de barrière.

J’espère que M. le ministre voudra bien prendre note de mon observation.

M. Zoude. - Messieurs, avec l’assentiment de mes collègues de la commission d’industrie, je déclare adhérer à la rédaction proposée par M. le ministre des travaux publics.

Vote de l'article unique

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, il va être procédé à l’appel nominal sur l’article unique ainsi conçu :

« A partir du premier janvier 1847, le plâtre étranger sera assimilé au plâtre indigène dans la province de Luxembourg pour ce qui concerne l’exemption des droits de barrière établis par les paragraphes 7 et 10 de l’article 17 de la loi du 18 mars 1833. »

- Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 48 membres qui ont répondu à l’appel ; il sera transmis au sénat.

Ont répondu à l’appel : MM. Fallon, Goblet, Huveners, Jonet, Kervyn, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Simons, Thyrion, Van Cutsem, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Zoude, Biebuyck, Brabant, Cans, Castiau, Clep, Coppieters, David, de Breyne, de Brouckere, de Corswarem, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meester, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de Burdinne et Liedts.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1847

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Delfosse, sur l’ensemble du budget.

M. Delfosse. - Messieurs, avant de discuter les budgets, avant de fixer les recettes et les dépenses pour l’année qui va s’ouvrir, il est utile, il est nécessaire même de connaître, autant que faire se peut, la situation du trésor public.

Pour acquérir cette connaissance, il faut rechercher quels ont été les résultats des exercices clos, quels seront les résultats probables des exercices en cours d’exécution. Toutes la situation financière réside dans ces deux faits.

Le gouvernement publie, à l’ouverture de chaque session, à peu prés en même temps que les budgets, un exposé destiné à faciliter nos recherches ; mais toutes les parties de cet exposé ne méritent pas une égale confiance.

Les communications du gouvernement qui concernent les exercices clos sont en général assez exactes ; une erreur de quelque importance serait bientôt découverte, et elle n’aurait pas d’excuse.

Il n’en est pas de même des documents qui ont rapport aux exercices en cours d’exécution. Tant qu’un exercice est ouvert, il est soumis,. jusqu’au moment de sa clôture, à toutes sortes d’éventualités et de fluctuations, qui permettent au gouvernement de supposer que les résultats en seront plus avantageux qu’ils ne doivent l’être réellement.

MM. les ministres des finances aiment en général à présenter la situation financière sous un jour favorable. C’est un moyen de faire croire au public que les abus n’ont pas la gravité que l’opposition leur attribue ; vous savez, messieurs, qu’en politique il est peu d’abus qui n’aboutissent à une augmentation de dépense et d’impôt.

M. le ministre des finances, imitant en cela ses prédécesseurs, a usé largement de ce moyen, l’année dernière ; cette année, il en use plus largement encore.

L’année dernière, M. le ministre des finances nous disait que le découvert du trésor n’était que de 14 millions et demi, et il paraissait croire, il nous donnait en quelque sorte l’assurance que ce découvert ne s’accroîtrait pas, le budget qu’il nous proposait pour 1846 présentant un excédant des recettes sur les dépenses de 230,000 fr. environ (je donne des sommes rondes).

J’ai soutenu alors que le découvert du trésor, que M. le ministre de finances évaluait à 14 millions et demi, s’élèverait, suivant toutes probabilités, à 20 millions, et qu’il serait porté à 25 millions par les résultats de l’exercice 1846.

M. le ministre des finances avoue déjà aujourd’hui un découvert de 19 millions, et il nous propose, pour 1847, un budget qui ne présente qu’un excédant des recettes sur les dépenses de 250,000 fr.

Ce découvert de 19 millions, avoué par M. le ministre des finances, pour les exercices 1830 à 1846 inclus, est évidemment trop faible. Il faut d’abord y ajouter (M. le ministre des finances l’annonce lui-même) les deux millions qui nous sont demandés pour les Flandres, et pour le défrichement de la Campine ; et il n’est pas sûr que cette somme de deux millions paraîtra suffisante à la chambre.

M. le ministre des finances, en indiquant les résultats probables des exercices qui sont encore ouverts (1844, 1845 et 1846), tient compte des allocations qui ne seront pas dépensées, ou qui ne le seront qu’en partie, c’est ce qu’on appelle, en termes de budget, des économies. M. le ministre des finances tient donc compte des économies ; mais il ne dit rien des allocations qui seront insuffisantes ; l’année dernière, on évaluait à 1,500,000 francs les crédits supplémentaires à demander pour les exercices en cours d’exécution ; c’était trop peu, mais enfin c’était quelque chose ; cette année on ne parle pas du tout de crédits supplémentaires, on paraît supposer qu’il n’en faudra pas.

Cependant la chambre a déjà voté, il y a quelques jours, un crédit supplémentaire de 90,000 fr., et elle sera appelée à en voter bien d’autres. On peut, sans exagération, en se fondant sur l’expérience, évaluer à plusieurs millions les crédits supplémentaires qui devront encore nous être demandés, pour les exercices 1844, 1845 et 1846. Le silence que l’exposé de la situation du trésor au 1er septembre 1846, présenté par M. le ministre des finances, garde sur ce point est vraiment inconcevable.

Mais ce n’est pas tout. M. le ministre des finances suppose que les recettes de 1846 ne resteront en dessous des évaluations que d’une somme de 159,400 fr.

Le tableau de la recette des huit premiers mois de 1846 et des quatre derniers mois de 1845, seule base d’appréciation que nous ayons en ce moment, porte à croire que le déficit sera, de ce chef, au moins d’un million.

Le découvert du trésor, que M. le ministre des finances n’évaluait, l’année dernière, qu‘à 14 millions et demi, qu’il n’évalue cette année qu’à 19 millions, devrait donc être porté à plus de 25 millions.

Si l’on en juge par le passé, ce découvert de plus de 25 millions s’accroîtra considérablement pendant l’exercice 1847.

Cc n’est pas un faible excédant de 250,000 fr. ; c’est un excédant de 4 à 5 millions qu’il faudrait pour parer aux éventualités fâcheuses qui viennent presque toujours aggraver les résultats d’un exercice.

J’ai présenté cette observation l’année dernière, à propos du budget de 1846, dont l’excédant des recettes sur les dépenses était aussi trop faible. Que m’a dit alors M. le ministre des finances ? Il m’a dit que j’avais tort de juger de l’avenir par le passé, que les faits qui avaient aggravé les résultats des exercices antérieurs étaient des faits exceptionnels qui ne se reproduiraient pas.

J’ai répondu à M. le ministre des finances qu’effectivement ces faits ne se reproduiraient pas, mais que d’autres faits ayant les mêmes conséquences se produiraient, et c’est ce qui est arrivé. Le vote seul des budgets de 1846, par suite des changements que la chambre a apportés aux propositions ministérielles, a converti le faible excédant de 230,000 fr. (page 197) en une insuffisance de 90 mille francs, et depuis la situation de l’exercice 1846 s’est aggravé, par le vote des crédits supplémentaires, s’élevant à 823,000 fr. en dépenses ordinaires et à 5,550,000 fr., en dépenses extraordinaires. M. le ministre des finances ne mentionne que 5,220,000 fr. de dépenses extraordinaires ; mais il oublie les 330,000 fr. votés, le 18 juillet 1846, pour le canal de Zelzaete.

Et remarquez bien, messieurs, que la plupart de ces dépenses extraordinaires ont été votées, non pas par suite de l’initiative des membres de la chambre, mais sur la proposition du gouvernement qui est venu en proclamer la nécessité, et qui aurait dû les prévoir lors de la présentation des budgets.

Les événements m’ont donné raison, contre M. le ministre des finances, pour l’exercice 1846 ; je crains bien qu’ils ne me donnent encore raison pour 1847 ; déjà on nous a présenté divers projets de loi qui sont de nature à nous entraîner dans de fortes dépenses. Je citerai entre autres les projets de loi sur les dépôts le mendicité, sur les aliénés et sur l’acquisition de terrains destinés à étendre le domaine royal de Laeken.

M. Delehaye. - Ce projet n’est pas voté.

M. Delfosse. - Aucun de ces projets n’est voté, mais ils peuvent l’être. Le dernier, pour le dire en passant, ne saurait avoir mon appui dans les circonstances actuelles.

Je citerai encore l’amendement que M. le ministre de la marine a déposé hier pour l’achat d’un bateau à vapeur. Il paraît aussi que le budget de la guerre, présenté il y a quelques mois, devra être augmenté d’une somme considérable par suite de la cherté des subsistances.

M. le ministre des finances ne se borne pas à dissimuler une partie du déficit ; il le fait en quelque sorte disparaître en nous montrant en perspective 13 millions de valeurs sur lesquelles il assure que nous pouvons compter, bien qu’elles ne soient pas d’une réalisation immédiate.

Messieurs, ces valeurs sont chimériques. Elles consistent en obligations de l’emprunt 4 p. c. dont le produit figure au budget en dépense comme en recette. Nous sommes à la fois créanciers et débiteurs du montant de ces obligations qui doivent, au fond et en réalité, être considérées comme annulées, comme n’existant plus.

Nous pourrions sans doute les remettre un jour en circulation ; mais alors il faudrait rayer une somme de 537,000 fr. du budget des voies et moyens, tout en continuant à la porter au budget de la dette publique. Cette opération équivaudrait à un emprunt.

Les 13 millions de valeurs tant prônées par M. le ministre des finances se réduisent donc en définitive à la possibilité de contracter un emprunt, possibilité qui existerait indépendamment de ces valeurs. Vous voyez que j’avais raison de dire qu’elles sont chimériques.

La situation (j’en ai un vif regret, je ne demanderais pas mieux que d’avoir tort), la situation financière est loin d’être aussi bonne que M. le ministre des finances se plaît à le dire. Depuis quelques années, les impôts ont été considérablement augmentés, une partie de nos domaines a été vendue, nous avons retiré de fortes valeurs du traité avec la Hollande ; la conversion de nos emprunts, opérée en 1844, nous a valu plusieurs millions ; divers capitaux nous ont été remboursés ; nous avons contracté de gros emprunts ; et, néanmoins, nous nous trouvons encore en présence d’un déficit de plus de 25 millions qui menace de s’accroître.

Il serait temps, messieurs, de mettre un terme un état de choses qui devient inquiétant et qui, si l’on n’y prend garde, finira par nous perdre, et le meilleur moyen serait d’entrer franchement, résolument dans la voie des économies et de la réforme des impôts.

Quand je parle d’économies, je n’entends parler que de celles que la raison approuve ; loin de moi l’idée de proscrire les dépenses utiles.

Il y a, je l’ai dit plusieurs fois, des dépenses qui enrichissent et des économies qui ruinent.

Il y a des dépenses auxquelles on est tenu, sous peine d’encourir une grave responsabilité.

Telles sont celles qui doivent mettre les personnes et les propriétés à l’abri des dangers qui les menacent.

Ces dépenses, il faut les faire, dût-on recourir à l’emprunt, dût-on épuiser les dernières ressources, et, Dieu merci ! nous n’en sommes pas encore là.

J’ai déposé, il y a quelques jours, sur le bureau, une pétition dans laquelle on signale les désastres épouvantables qui peuvent être la suite des inondations ; j’en déposerai tantôt une autre de même nature ; je harcellerai le gouvernement, je ne lui laisserai pas de repos tant qu’il n’aura pas proposé les mesures nécessaires pour prévenir ces désastres que l’on redoute avec raison.

Mais autant je suis porté à admettre les dépenses nécessaires, autant je repousse celles qui ne se recommandent par aucun caractère d’utilité publique, et malheureusement ces dernières ne se multiplient que trop.

La cause en est, d’abord, dans le personnel des fonctionnaires, dont la plupart doivent leur position et à la faveur et à l’intrigue plutôt qu’au mérite, et qui ne rendent pas à l’Etat des services proportionnés aux avantages qu’ils en retirent.

La cause en est ensuite dans la facilité avec laquelle messieurs les ministres obtiennent des crédits supplémentaires ; le vote des budgets devient par là illusoire, et la porte est ouverte à tous les abus.

Les arrêtés d’organisation du personnel, qui ont paru dernièrement, ne remédieront pas au mal ; ils n’auront d’autres résultats que d’accroître les dépenses, et la situation ira en empirant, jusqu’à ce que les chambres déploient plus d’énergie pour résister aux prétentions et aux demandes de MM. les ministres.

J’avais espéré, messieurs, lors de l’entrée de M. Malou au ministère, je l’ai même dit, qu’il compenserait par des améliorations financières les griefs politiques que nous avons contre lui. Je vois avec peine que cette espérance ne se réalise pas ; je vois avec peine que M. le ministre des finances, auquel je reconnais cependant une haute capacité, respecte comme une arche sainte le système si défectueux de nos impôts, et qu’il se borne en quelque sorte à copier, pour nous les présenter, les budgets de ses prédécesseurs.

(page 200) M. Verhaegen. - Messieurs, je ne m’occuperai pas de la question financière, celle de savoir si les voies et moyens proposés par le gouvernement suffisent pour couvrir les dépenses, non seulement celles que nous avons dû votées, mais encore celles qui nous restent à voter ; en un mot, je n’examinerai pas s’il y aura équilibre entre les recettes et les dépenses ; cette question a été examinée, comme elle méritait de l’être, par mon honorable ami M. Delfosse.

Il est une autre question que j’ai traitée tous les ans, et que je crois de mon devoir de traiter de nouveau aujourd’hui, parce qu’elle est vitale ; c’est celle qui se rattache à l’assiette des impôts.

On nous répète, à chaque discussion du budget, qu’il est dangereux de toucher au système des impôts existants ; on va même jusqu’à prétendre que demander la révision des impôts, c’est en quelque sorte demander une réforme sociale.

Si c’était réellement une réforme sociale, au moins ce serait une bonne réforme qui ne serait de nature à effrayer personne, puisqu’elle est prescrite en termes formels par l’article 139 de la Constitution ; ce serait une réforme dont le ministère aurait depuis longtemps dû prendre l’initiative puisqu’elle constitue une de ses principales obligations. Il ne faut pas être ministre des finances pour venir proposer chaque année, à titre de voies et moyens, la continuation des impôts existants. Cette besogne peut être abandonnée à un simple commis et aux copistes.

Mais il ne s’agit pas du tout de réforme sociale, il ne s’agit que d’une question de justice et d’équité ; tout se réduit à abolir certains impôts qui grèvent les plus pressants besoins du peuple, pour les reporter sur le luxe et sur les revenus de la classe aisée.

Depuis 1830 on a traité dans cette chambre beaucoup d’affaires, mais s’est-on bien occupé des intérêts de la grande masse de la nation, des intérêts de la classe ouvrière, de la classe nécessiteuse, je pourrais même dire de la classe moyenne ? Non, ces intérêts ont été négligés malgré nos réclamations incessantes ; les seuls intérêts dont on ait pris soin sont ceux des classes privilégiées par la fortune .

Souvent dans cette enceinte on a parlé de paupérisme, on a fait parade de l’intérêt que l’on porte aux travailleurs, on a parlé d’organisation du travail, vaines paroles ! S’agit-il de venir au secours des classes nécessiteuses en faisant une bonne loi, une loi définitive sur les subsistances, on recule, les faits ne sont plus d’accord avec les paroles ; s’agit-il de poser la première condition d’une bonne organisation du travail, en d’autres termes, de répartir les impôts d’une manière juste et équitable, on refuse d’une manière impitoyable. Et cependant plus d’une fois nous avons indiqué au gouvernement des voies et moyens pour remplacer des impôts odieux.

Je dis des impôts odieux, car il suffit de les nommer pour justifier la qualification.

L’impôt le plus odieux, le plus impopulaire de tous, parce qu’il frappe impitoyablement le malheureux, c’est l’impôt sur le sel. Nos réclamations incessantes, les réclamations de nos amis qui occupaient ces bancs avec nous n’ont rien produit.

L’impôt personnel. - Mais cet impôt renferme dans son principe des injustices tellement révoltantes que tous les ministres des finances qui se sont succédé ont reconnu la nécessité d’apporter des modifications à la loi de 1822. L’honorable M. Smits avait présenté un projet qui a été reconnu insuffisant ct qu’on a fini par retirer. Son successeur avait promis d’étudier la question, mais avant que son étude ne fût achevée, il avait quitté le ministère. Que fera l’honorable M. Malou ? Si le sort de la loi de 1822 dépend des vicissitudes ministérielles, je crains fort que les injustices qu’elle renferme ne subsistent encore longtemps. Et cependant il y a urgence d’y mettre fin.

Voyez entre autres quelques-unes de ces injustices que nous avons déjà signalées les années précédentes et que nous continuerons à signaler chaque fois que l’occasion s’en présentera, parce que c’est à force d’insistance, quand il s’agit d’abus graves, qu’on parvient à se faire entendre et à convaincre les plus incrédules. Ces injustices se rencontrent pour chacune des bases de la contribution personnelle.

Valeur locative. - Un marchand, un détaillant qui occupe une maison située au centre de la ville paye six à sept mille francs de loyer et est frappé d’un impôt proportionné à cette valeur locative, outre sa patente, tandis qu’un propriétaire vivant de ses revenus et occupant une maison beaucoup plus grande, dans un quartier éloigné du centre, ne paye que la moitié de l’impôt, à raison d’une valeur locative de trois à trois mille cinq cents francs, et il n’a pas de patente à payer.

Un aubergiste se trouve placé dans la même position que le marchand ; mais celui-là, outre la première et la quatrième base de la contribution personnelle et outre sa patente, paye encore un droit pour chacune des chambres destinées aux voyageurs. C’est là une injustice révoltante contre laquelle on réclame en vain depuis 1830.

Portes et fenêtres. – Même système ! Une petite porte, une petite fenêtre d’un artisan, d’un savetier, paye autant qu’une grande porte, qu’une grande fenêtre du plus grand hôtel de la capitale. L’égalité, messieurs, ne doit pas consister à augmenter dans la même proportion, à raison du nombre, mais à avoir égard à l’importance de l’objet imposé et aux ressources du contribuable .

Foyers (troisième base) - Plus on est riche, moins on paye. Celui qui a 36 foyers ne paye que pour 12, le 13ème est affranchi de l’impôt.

Taxe sur le mobilier (quatrième base). - Toujours le même système, toujours la même injustice.

D’après l’article 26 de la loi du 28juin 1822 sur la contribution personnelle, le droit est de 1 p. c. sur la valeur du mobilier.

D’après l’article 29 : « L’individu occupant une maison, qui en loue une partie en chambres ou appartements garnis, doit payer la contribution pour le mobilier sur le pied de la valeur locative quintuplée. »

La plupart des marchands, des boutiquiers habitent les rues les plus fréquentées, et là les loyers sont les plus élevés. Pour faire face à leur petit budget, ils louent des appartements garnis ; eh bien, il ne leur est pas permis de payer la taxe du mobilier à raison de 1 p. c. sur la valeur réelle, mais à raison de 1 p. x. sur la valeur quintuple du prix locatif. Ainsi, une maison de 6,000 fr. de loyer devra payer à raison d’une valeur mobilière de 30,000 fr., tandis que le mobilier n’aura peut-être qu’une valeur réelle de 4,000 fr., tandis que le propriétaire qui aura un riche mobilier de 100,000 fr., peut-être habitant une maison beaucoup plus grande, mais dont le loyer ne sera estimé qu’à 5,000 fr., parce qu’elle sera située à l’extrémité de la ville, ne payera l’impôt sur le mobilier qu’à raison d’une valeur quintuplée, soit de 15,000 francs !

Domestiques et chevaux (cinquième et sixième bases). - Pour un domestique, pour un cheval, ou ne paye pas plus, proportionnellement au nombre, que pour dix domestiques, que pour dix chevaux ; et cependant celui qui a dix domestiques peut payer vingt et trente fois plus que celui qui n’en a qu’un.

Après l’impôt personnel vient l’impôt patente.

Messieurs, c’est encore un des impôts les plus odieux, les plus impopulaires : c’est l’impôt lui frappe celui qui, n’ayant pas de revenus, qui n’ayant pas le bonheur d’être propriétaire, est obligé de travailler, à la sueur de son froid, pour se procurer un morceau de pain.

Et cependant cet impôt a été successivement augmenté de centimes additionnels, et le gouvernement en augmente encore constamment les bases d’une manière effrayante, au point qu’un simple détaillant, qui payait naguère 19 64 cent., paye aujourd’hui 194-17 cent., quoique sa position soit restée absolument la même. La réclamation de ce détaillant est en ce moment soumise à la députation du conseil provincial du Brabant. C’est un exemple que j’ai choisi entre cent autres !

Mais le gouvernement, en matière de patentes, juge en dernier ressort ; il est juge et partie ; abus s’il en fût jamais dont nous nous réservons de parler quand nous arriverons à la discussion des articles.

Viennent les droits de consommation sur les boissons distillées. - La patente uniforme de 30 fr. constitue un impôt tellement injuste, tellement absurde, que le gouvernement a reconnu la nécessité d’apporter des modifications à la loi qui l’a établi, et cependant il subsiste toujours !

Les droits d’accises. - Ces droits frappent spécialement les objets de consommation de première nécessité et par cela même ils sont des plus iniques.

Il y a injustice à exiger la même somme pour la même quantité de produits consommés, quelle que soit la position du consommateur, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il vive de ses revenus ou qu’il soit obligé de travailler pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.

Il y a injustice à exiger plus d’impôts d’une famille nombreuse, ayant souvent plus de besoins et moins de moyens d’existence que les familles composées de deux ou trois membres seulement.

Y a-t-il, comme nous l’avons déjà dit, rien de plus odieux que l’impôt sur le sel ?

Y a-t-il rien de plus injuste que le droit sur la bière, qui est la boisson du peuple ?

Tandis que les vins et surtout les vins fins ne payent presque rien. Ainsi 100 bouteilles de champagne mousseux ne payent que 2 francs, et encore le ministre vient de défendre aux régences des villes d’en augmenter les droits d’octroi.

Droits d’enregistrement et d’hypothèque. - Ces droits frappent spécialement le malheur, la misère.

L’industriel qui est obligé de faire une levée pour faire face à ses engagements l’homme qui est obligé de vendre ses propriétés pour payer ses dettes, supportent, à la décharge du créancier, les droits d’enregistrement, de transcription et d’hypothèque.

Il n’y avait qu’un droit d’enregistrement qui fût équitable, parce qu’il frappait la propriété proprement dite, c’était le droit de 2 pour cent dont étaient frappées les ventes d’arbres sur pied ; ce droit, avec les additionnels, montait à 2 fr. 52 c. pour cent.

Eh bien ce droit a été réduit à 1/2 pour cent dans l’intérêt de la grande propriété, et tous nos efforts pour le rétablir à l’ancien taux ont été inutiles.

Enfin figure au budget la taxe sur les ports de lettres, les transports d’argent, etc., pour une somme d’au-delà de trois millions ; toujours la même injustice, la même inégalité : aussi osons-nous espérer que la réforme postale qui déjà a été adoptée par presque tous nos voisins, vous sera présentée incessamment.

Messieurs, nous avons critiqué la base des impôts existants, et nous défions le ministre de répondre à nos critiques ; mais nous ne nous arrêtons pas là : nous allons, comme les années précédentes, indiquer des voies et moyens nouveaux destinés à remplacer les impôts anciens. On ne nous accusera pas du moins de vouloir démolir sans nous croire obligés à reconstruire ; c’est un rôle que nous n’accepterons jamais.

Nous ne vous parlerons plus des différentes bases de la contribution personnelle qui pourraient être changées, de manière à frapper plutôt la classe aisée que la classe nécessiteuse ; nous ne vous parlerons plus de la base relative à la valeur locative, à la valeur mobilière, aux chevaux, aux voitures ; nous ne vous parlerons plus des armoiries, des titres de noblesse ; vous ne voulez pas de tout cela ; nous le savons depuis longtemps. Nous nous bornerons à vous parler aujourd’hui de la propriété comme matière essentiellement imposable. Ainsi que je l’ai dit les années précédentes, le meilleur moyen de sauvegarder la propriété c’est de la faire entrer pour une large quotité dans la répartition des impôts. Cette considération sera peut être assez puissante pour vous forcer enfin à ouvrir les yeux.

La propriété peut être imposée de différentes manières : nous avons d’abord l’impôt foncier, et c’est l’impôt foncier qui sert de prétexte à ceux qui ne veulent pas que la propriété contribue d’une manière plut équitable dans les charges de l’Etat. L’impôt foncier, dit-on, a été successivement augmenté de centimes additionnels, et déjà les propriétaires se trouvent surchargés. Mais, messieurs, j’aurai l’honneur de vous faire remarquer que l’impôt foncier, au moins en principal, est toujours resté le même, quoique la matière imposable ait considérablement augmenté de valeur ; notre population a augmenté d’année en année ; or, lorsqu’une population augmente, la propriété immobilière augmente aussi en proportion ; plus il y a d’habitants, plus il faut de propriétés bâties, et ces propriétés bâties deviennent matière imposable après un certain nombre d’années ; la matière imposable augmentant, le chiffre de la contribution foncière devrait augmenter aussi, au lieu de rester stationnaire et de servir ainsi à dégrever jusqu’à due concurrence les propriétés déjà imposées. Peu importent les centimes additionnels qui ne sont qu’un accessoire et qui sont venus augmenter le chiffre de toutes les contributions en général.

La propriété peut encore convenablement être frappée de plusieurs manières. Nous parlions naguère d’un droit sur les préciputs. Un honorable membre, M. le comte de Mérode, qui quelques années auparavant, combattait avec beaucoup de vivacité notre système, a fini par nous faire une concession sur ce point important. Certes, un préciput, qui est très bon à prendre pour celui qui en est l’objet, peut très bien payer un droit proportionnel.

Ensuite, les droits de succession en ligne directe ne seraient pas aussi injustes qu’on veut bien les supposer, alors surtout qu’on les établirait d’une manière convenable, alors qu’on ne commencerait à percevoir l’impôt qu’à partir d’un certain chiffre, en affranchissant les petites successions.

Puis l’impôt le plus équitable et en même temps le plus productif serait un impôt sur le revenu, un impôt progressif d’après l’importance de la matière imposable. Ma conviction, à cet égard, est profonde, et je ne recule devant aucune des conséquences de ce système, dussent-elles tripler le chiffre de mes contributions.

Quoi ! ! vous frappez l’artisan, le commerçant, le négociant, l’industriel d’une patente ; le mot n’y fait rien ; vous les frappez d’un impôt à raison de leur travail, de leur commerce, de leur négoce, de leur industrie, et à l’appréciation de qui laissez-vous la fixation de cet impôt ? Vous la laissez à l’appréciation de certains hommes qui ont votre confiance et qui sont appelés répartiteurs. Pourquoi ne frapperiez-vous donc pas de la même manière le revenir du propriétaire, du rentier ? N’y aurait-il pas là convenance et justice ? Y aurait-il plus de difficulté à apprécier le revenu résultant de l’aisance, de la propriété proprement dite, qu’à déterminer le revenu résultant du travail ? Certes non, messieurs. Mettons de côté les mots et voyons la chose en elle-même ; la patente n’est pas autre chose que l’impôt sur le revenu du travail, et l’impôt qui frapperait le revenu du propriétaire, du rentier, serait calqué absolument sur le même principe.

Messieurs, voyez donc les injustices criantes ! Vous connaissez tous dans vos localités respectives des individus qui jouissent de 50 ou 60 mille livres de rente, et qui, étant célibataires et habitant des appartements garnis, ne payent aucune contribution quelconque, parce que leur fortune consiste en rentes ou en effets au porteur ; tandis que des industriels, qui souvent ont de la peine à faire honneur à leurs affaires, payent un impôt considérable sur le produit de leur travail, de leur industrie.

M. le ministre des finances a jugé à propos, au moyen d’un coup d’Etat, de frapper d’un droit de patente les intérêts que payent à leurs actionnaires les sociétés anonymes. Evidemment aucune loi ne l’autorise à percevoir cet impôt, et mon honorable ami, M. Osy, le démontrera à l’évidence, lorsque nous discuterons l’article patente, mais en agissant ainsi, M. Malou a admis le principe qui sert de base à mon système ; seulement, il aurait dû le généraliser et présenter un projet de loi dans ce sens.

Pourquoi, après cela, M. le ministre trouve-t-il injuste et impopulaire un impôt progressif sur tous les revenus de quelque nature qu’ils soient ?

Puis, comment se fait-il que ce que M. le ministre les finances trouve injuste et impopulaire soit considéré comme très populaire et très juste par son collègue de l’intérieur ? Les taxes personnelles qui se perçoivent dans les communes rurales et qui sont basées entre autres sur la fortune présumée, ne sont en définitive que des impôts progressifs sur les revenus laissés à l’arbitrage des conseils communaux.

Voilà, messieurs, de quelle manière on pourrait trouver des ressources considérables sans qu’on eût le droit de se plaindre.

Enfin, il y a encore un petit projet que j’ai eu l’honneur de vous soumettre dans la session dernière, mais qu’on semble, quoiqu’on ait besoin d’argent, ne pas vouloir examiner ; je veux parler de mon projet (page 201) établissant des droits d’enregistrement sur les donations entre vifs en rapport avec les droits de succession.

Je n’anticiperai pas sur la discussion de ce projet, mais quoi qu’on en dise, j’ose espérer que la chambre y fera un accueil favorable, surtout en présence des impôts odieux qui pèsent sur les classes nécessiteuses.

Toutefois, et sans préjudice à ce projet, il est un autre moyen de créer immédiatement une ressource nouvelle au trésor, et que je crois non moins opportun ; le voici : un arrêté du roi Guillaume, du 27 mars 1825, frappait d’un impôt annuel de 4 pour cent sur la valeur locative tous les biens possédés par les établissements de mainmorte reconnus par la loi. Je demande formellement qu’on rétablisse aujourd’hui cet impôt, pour demander ce rétablissement, j’ai de très bonnes raisons si d’ailleurs l’impôt n’a pas continué à subsister légalement ; je m’explique : L’arrêté du roi Guillaume du 27 mars 1825 avait statué qu’à l’avenir on n’accorderait plus à des établissements de mainmorte l’autorisation d’accepter des dons ou legs que sous condition de payer un impôt annuel de 4 p. c. sur la valeur locative des biens donnés ou légués ; et, en effet, plusieurs autorisations d’acceptation n’ont été données qu’à cette condition, et l’impôt a été annuellement payé. Ce n’était que justice ; car si, par exception aux principes généraux, on a pu admettre parfois la faveur de la personnification civile, il fallait au moins que ceux qui jouissaient de cette faveur ne vinssent pas faire tort au trésor et rendre inutiles les droits de mutation. On a calculé que dan une période de 20 ans, les droits d’enregistrement, pour vente, mutations successions, etc., s’élèvent à la valeur intégrale des biens et que l’intérêt annuel de 4 p. c., sur la valeur locative, équivaut à cette valeur. Ce n’était donc que mettre les établissements de mainmorte, sur la même ligne que les particuliers, et c’était toute justice.

Mais par une simple instruction ministérielle du 5 mai 1831, l’époque est importante, on a donné ordre aux receveurs de ne plus recevoir l’impôt annuel de 4 p. c par le motif, a-t-on dit, que l’arrêté de 1825 était illégal, inconstitutionnel ; on leur a enjoint de se borner à percevoir le droit fixe. Ainsi tous les biens, quelle que soit leur importance, faisant l’objet d’aliénations, de donations ou legs ne sont plus frappés aujourd’hui d’aucun droit, lorsqu’il s’agit d’établissement de mainmorte si ce n’est d’un droit fixe de 80 centimes.

Je me demande, messieurs, si cette instruction est elle-même très légale, et si l’arrêté de 1825 ne devrait pas encore en ce moment sortir tous ses effets. Je sais bien qu’on ne peut rien exiger des citoyens qu’à titre d’impôt ; et que tous les impôts au profit de l’Etat doivent être voté par la législature. Mais ce que je sais aussi, c’est que celui qui peut le plus, peut le moins, et que par conséquent celui qui a le droit de refuser, a à plus forte raison le droit d’accorder sous condition. Ainsi, lorsqu’une donation ou un legs a été fait à un établissement de mainmorte, le gouvernement a le droit de refuser l’autorisation d’accepter, Mais ayant le droit de refuser, il a aussi le droit de dire : Je vous autorise à accepter, mais à la condition de donner l’équivalent du droit de mutation, c’est-à-dire de payer annuellement au trésor 4 p. c. sur la valeur locative. Cela me paraît très rationnel. Toutefois on l’a considéré autrement, et on a fait cadeau aux établissements de mainmorte de ce qu’on avait à percevoir, à raison de nombreuses aliénations, donations et legs.

Dans tous les cas, messieurs, et la question fût-elle même douteuse en la plaçant sur le terrain où l’avait placée le roi Guillaume en 1825, toujours est-il incontestable que la chambre a le droit de rétablir l’impôt par une loi, et c’est, messieurs, ce que je viens vous demander de faire, dans un moment où le trésor a un pressant besoin de se créer des ressources.

Toutes les raisons qu’il y avait pour justifier l’arrêté du roi Guillaume existent à fortiori pour justifier la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre en ce moment. Ne serait-il pas souverainement injuste d’accorder l’avantage de la personnification civile à certains établissements, et à cette occasion de faire supporter une perte au trésor public ? Si un particulier achète un bien, au bout d’un certain temps, le trésor touche un droit de mutation.

Faut-il donc que lorsqu’un bien tombe dans la propriété d’un établissement de mainmorte, le droit de mutation soit à jamais perdu ? N’y a-t-il pas justice, au contraire, à frapper ces biens d’un impôt qui équivaille en définitive au droit présumé de mutation ?

Mais, m’a-t-on dit (je reproduis ici l’objection qui m’a été faite dans ma section lorsqu’il s’est agi de mon projet de loi dont je vous parlais tout à l’heure), les dons et legs que vous voulez atteindre ne sont que des bagatelles ; vous voulez frapper de petites fabriques d’église, des établissements de sœurs de charité qui se vouent au soulagement des malades et des indigents ; il serait inhumain de venir leur demander 4 p. c. à titre d’impôt sur la valeur locative de biens qui leur sont donnés dans un esprit de charité.

Messieurs, je le comprends de reste, on a le plus grand intérêt à rapetisser les choses. Mais ici, fort heureusement, se présente l’occasion de vous donner un petit aperçu de tous ces biens tombés en mainmorte, et par conséquent de vous faire connaître préparatoirement à combien pourraient monter les ressources que je veux procurer au trésor.

Messieurs, depuis 1830, le clergé a acquis de grandes richesses sous divers noms et de différentes manières : les legs et les donations, qui leur ont été faits depuis cette époque et dont la valeur est exprimée au Bulletin officiel des lois, montent à plusieurs millions ; les legs et donations dont la valeur ni même l’objet ne sont indiqués au Bulletin officiel montent bien plus haut encore.

Ainsi on vous a parlé de pauvres fabriques d’église, mais la fabrique de l’église cathédrale de Liège, grâce aux soins de Mgr. l’évêque, jouit d’un revenu de plus de trois cent mille francs.

Voulez-vous, messieurs, que je vous fasse connaître quelques petits legs, quelques petites donations particulières ? Ecoutez :

La succession de la vieille demoiselle Hennessy, léguée au supérieur du petit séminaire, à Roulers, se montait à 180,000 francs.

La succession de Benoît Geersen, dernier moine de la riche abbaye de Saint-Pierre, lez-Gand, léguée à M. Bernard Desmet, chanoine de la cathédrale de Saint-Bavon, se montait à 1,500,000 en immeubles, outre les valeurs mobilières considérables en pierres précieuses et espèces.

La succession de Nicolas de Roover, dernier moine de la riche abbaye des Dunes, léguée à l’évêque de Bruges, se montait à un million.

La succession du chanoine Boucqueau de Villeraie, léguee à M. Gotale, supérieur du grand séminaire de Liége, se montait à 1,500,000 fr.

Les biens laissés par la dame Rouzeau, morte en état de folie, aux dames du Sacré-Coeur à Mons, ont une valeur de 240,000 fr.

Les biens laissés par la dame Vander Cammen aux sœurs de charité de Braine-L’alleud, ont une valeur de 30,000 fr.

Pour ces deux derniers legs, la cour d’appel de Bruxelles vient de déclarer par des arrêts solennels qui méritent de fixer l’attention publique, que sans égard aux arrêtés royaux d’institution et d’autorisation, les établissements favorisés ne pouvaient pas jouir des avantages de la personnification civile et qu’ainsi ils étaient sans qualité pour réclamer ce qui leur avait été laissé par testament. Ces arrêts, nous osons l’espérer, feront jurisprudence et mettront fin à des abus qui ne sont devenus que trop fréquents.

Ce n’est pas tout, messieurs, je puis encore vous parler des biens laissés par feu M. Neute, moine de l’abbaye de Floreffe, aux séminaires de Namur et de Tournay et à la cathédrale de Tournay, biens qui ont une valeur d’au-delà d’un million ; l’affaire après plusieurs incidents, dont la cour d’appel de Bruxelles a eu à connaître, a été renvoyée au tribunal de Charleroy. Neute est mort fou et son interdiction avait été prononcée dans les formes voulues.

Ce ne sont certes pas là des bagatelles, ce ne sont pas non plus des donations ou des legs faits à des hospices.

Sans exagération, d’après des renseignements que nous nous sommes procurés depuis plusieurs années, nous pouvons évaluer les biens-fonds tombés en mainmorte, dans notre pays, depuis 1830, à au-delà deux cents millions. Or, si comme nous l’avons dit précédemment, les droits d’enregistrement pour ventes, mutations, successions, etc. etc., s’élèvent en 20 années à la valeur intégrale des biens, ce sont deux cents millions perdus en 20 ans pour le trésor, soit dix millions par an.

Les hospices et établissements de charité ne servent que de prétexte pour pallier la conduite du clergé et de ceux qui lui servent de prête-nom.

La bienfaisance a fondé les hospices de Bruxelles. Appelée à les entretenir, d’où vient que, depuis deux ans, l’administration du conseil général des hospices et secours n’a eu à enregistrer ni dons ni legs ?

« Pour la seconde fois, messieurs, nous devons vous exprimer le regret de n’avoir à signaler aucun legs, aucune donation en faveur de l’administration du conseil général des hospices et secours. » Ainsi s’exprimait M. le bourgmestre de Bruxelles devant le conseil communal, dans la séance du 5 novembre dernier, en rendant compte des affaires de la ville.

Le même compte-rendu, en parlant des hospices particuliers de Bruxelles, s’exprime ainsi :

« Les trois hospices particuliers de la ville ne possèdent ni biens, ni rentes ; la charité publique seule les soutient ; ils rendent d’immenses services à la vieillesse indigente.

« Honneur aux hommes de cœur et de dévouement qui remplissent si bien les vœux de l’humanité ! »

Le fait déploré par le bourgmestre de Bruxelles se reproduit encore ailleurs : les sources de la bienfaisance publique, comme on l’a fait remarquer avec beaucoup d’à-propos, se tarissent ou sont détournées, non seulement dans la capitale, mais à Gand, mais à Anvers, mais à Liège, mais partout. L’influence si puissante du clergé, surtout au lit des malades, s’exerce le plus souvent, non pas au profit des pauvres, mais en faveur des églises, des couvents et des corporations.

En faisant la proposition de frapper d’un impôt de 4 p. c sur la valeur locative de tous les biens possédés par des établissements de mainmorte, proposition que je dépose sur le bureau, je ne fais donc aucun tort réel aux hospices ou aux pauvres.

(page 197) M. le ministre des finances (M. Malou). - Je regrette, messieurs. De n’avoir pas répondu immédiatement au discours de l’honorable M. Delfosse. Les chiffres qu’il vous a exposés pourront être moins présents à la mémoire après le discours de l’honorable M. Verhaegen. Je tâcherai cependant de rencontrer les diverses objections le plus succinctement possible.

Messieurs, en ce qui concerne notre situation financière, il y a deux écueils également dangereux à éviter : l’un est de la montrer trop en beau, l’autre de trop l’assombrir. Au point de vue des intérêts du pays, intérêts actuels et d’avenir, l’un et l’autre sont également dangereux.

J’espère, messieurs, vous démontrer que dans les exposés qui vous ont faits successivement par mes honorables prédécesseurs et par moi-même, nous avons évité l’écueil de montrer sous un jour trop favorable la situation financière du pays, et qu’au contraire, dans les discours successifs que l’honorable M. Delfosse a prononcés, il n’a pas su éviter assez l’autre écueil.

Le but auquel les chambres et le gouvernement ont sans cesse tendu, était de trouver entre nos ressources ordinaires et nos dépenses ordinaires un rigoureux équilibre.

Parmi les espérances d’avenir nous voulons tous des résultats plus favorables ; nous voulons tous que dans l’avenir on puisse créer une réserve, que nous puissions avoir dans des circonstances difficiles quelques sommes accumulées, qui nous permettent de les mieux traverser. Mais en ce qui concerne le présent, nous nous sommes félicités de voir établi entre les recettes ordinaires et les dépenses ordinaires un rigoureux équilibre.

L’honorable M. Delfosse ne croit pas à l’existence de cet équilibre parce qu’il suppose que les chambres et le gouvernement ont entendu qu’il était possible de couvrir, au moyen de nos revenus ordinaires, non seulement nos dépenses ordinaires, mais aussi les travaux publics, les capitaux que l’on a toujours voulu demander, que l’on devait nécessairement demander à l’emprunt.

Ainsi, prenons la situation actuelle dans toute sa simplicité. Depuis plusieurs années, les chambres ont voté, soit pour la grande œuvre des chemins de fer, soit pour canaliser la Campine, soit pour améliorer le régime des eaux, pour tous les travaux publics, en un mot, les chambres ont ouvert au gouvernement des crédits soit sous forme d’emprunts provisoires, jusqu’à concurrence de 22 millions. La situation est changée, dit l’honorable membre, parce que le déficit, qui n’était que de 14 millions et demi, a atteint le chiffre de 22 millions ; mais l’honorable membre, qui préconise certaines dépenses, qui ne cessera pas, dit-il, de harceler le gouvernement jusqu’à ce qu’il ait fait ces dépenses, espère-t-il que si nous votions encore 9 millions pour la Meuse, la situation du trésor ne serait pas changée ? (Interruption.) Ce sont des dépenses extraordinaires et très extraordinaires, je le reconnais ; mais je renvoie l’honorable membre au tableau qui se trouve dans le discours à l’appui des budgets ; il verra que toutes les dépenses qui forment le découvert de 19 millions sont de la même nature, dépenses que l’on n’a jamais voulu demander aux ressources ordinaires, mais qui sont un capital placé. Toute la question, comme l’a fort bien dit l’honorable membre, est de savoir si ce capital est bien placé. Sous ce rapport encore, si je voulais entrer dans la discussion des détails, je démontrerais très facilement que ces travaux, s’ils ne sont pas immédiatement productifs, constituent au moins de bons et utiles placements pour le trésor public.

Il ne serait pas plus difficile de démontrer que toutes les parties du royaume ont profité de ces dépenses et que la province de Liége, notamment, a eu une très large part dans ce budget extraordinaire qu’on nous reproche aujourd’hui.

On a donc, depuis quelques années, décrété un emprunt provisoire pour travaux extraordinaires jusqu’à concurrence de 22 millions, et cependant, messieurs, demandons-nous quelle est la véritable situation du trésor !

Si aujourd’hui nous avions à notre disposition l’encaisse de 1830, si aujourd’hui les liquidations que la Hollande nous a léguées étaient entièrement terminées, nous n’aurions point de dette flottante à émettre, nous aurions au contraire un solde actif. Voilà la véritable situation.

L’honorable membre me répond que l’encaisse de 1830 est un nouvel emprunt que l’on décréterait ; l’intérêt de cet encaisse est porté aujourd’hui, d’une part, en recette et, d’autre part, en dépense. Messieurs, cette appréciation est exacte, lorsqu’il s’agit de savoir quelle influence aurait la réalisation de l’encaisse sur la balance de nos budgets ; mais elle est inexacte lorsqu’il s’agit de faire le compte des capitaux et de la situation du trésor. Si nous remettons en circulation une partie de l’emprunt à 4 p. c., si nous réalisons les valeurs inscrites au profit du trésor belge en suite du traité avec la Hollande, la dette flottante aura immédiatement disparu.

(page 198) Un membre. - Non ! non !

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je vais le prouver.

L’encaisse de 1830 représente un capital nominal de 14 millions et demi ; nous n’avons en circulation que pour 7 ou 8 millions de bons du trésor ; ainsi pour anéantir, non pas l’émission autorisée, mais l’émission faite, il ne faudrait que la moitié de l’encaisse de 1830.

Assurément, messieurs, en présence de la situation que je viens d’analyser à grands traits, nous pouvons avoir confiance. Si l’on ne donne pas une impulsion trop forte aux travaux publics, si les chambres et le gouvernement savent modérer l’entraînement qu’il y a, au fond de nos institutions, vers les entreprises de tout genre, si nous savons toujours donner aux efforts qu’il nous sera permis de faire, un résultat utile, alors nous pouvons envisager l’avenir sans inquiétude. Si je devais aujourd’hui établir une comparaison entre la Belgique et les autres nations, cette comparaison serait entièrement à l’avantage de notre pays. Je suis heureux que l’honorable M. Delfosse m’ait donné l’occasion de le dire à cette tribune, parce que ce qui se dit à cette tribune peut avoir d’utiles résultats, au point de vue du crédit et de la puissance financière du pays.

Nous avons, dit-on, augmenté nos impôts, nous avons vendu des domaines, nous avons reçu le remboursement de capitaux. Mais, messieurs, jetons encore une fois un coup d’œil sur les travaux que nous avons exécutés. Si nous avons vendu pour quelques millions de domaines, de bois, qui ne donnaient pas un très fort revenu, demandez-vous un instant combien nous avons créé, depuis 1830, de domaines utiles, de domaines productifs ; demandez-vous si quelques millions de domaines nationaux peuvent être mis en comparaison avec les routes créées, les chemins de fer, tous les travaux faits pour féconder les différentes sources de la richesse publique. Oui, messieurs, nous avons vendu quelques domaines, mais depuis 1830 nous avons créé dix fois plus de domaines utiles que nous n’avons vendu de domaines peu productifs.

M. Delfosse. - Les produits du chemin de fer, des canaux et des routes sont compris dans nos voies et moyens.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Il est vrai, messieurs, que nous portons au budget des voies et moyens le produit de quelques ventes de domaines, et les produits des domaines utiles que nous avons créés ; mais s’ensuit-il qu’on ait le droit de dire que nous perdons en quelque sorte la fortune publique en aliénant des domaines, en augmentant les impôts, en recevant le remboursement de capitaux ? Evidemment, non : s’il est vrai que nous avons créé des valeurs nouvelles, il est très légitime que nous portions au budget des voies et moyens le résultat des capitaux que nous y avons consacrés.

L’honorable orateur qui a succédé à l’honorable M. Delfosse a placé la question sur un autre terrain. Il a critiqué tour à tour tous les impôts existants. Aucun, si je ne me trompe, aucun n’a trouvé grâce devant lui. Tous ces impôts sont odieux ; il n’y a guère que du plus ou du moins de l’un à l’autre. Tous ces impôts sont injustes dans leur application, et aucun de ces impôts, pas même le droit d’enregistrement sur les successions, pas même l’impôt foncier, ne frappe la propriété. C’est le pauvre qui paye toutes les contributions en Belgique, et le riche ne paye rien. Voilà, messieurs, le résultat phénoménal, je n’hésite pas à le dire, auquel a abouti tout le discours de l’honorable M. Verhaegen.

Pour moi, messieurs, en étudiant sérieusement le système des impôts qui existent en Belgique, j’ai acquis la conviction profonde que tous les impôts ont au contraire pour résultat d’atteindre la propriété, partout où elle peut être atteinte. Et ici, messieurs, je vais droit au remède principal que l’honorable M. Verhaegen indique. Je ne parle point pour le moment de quelques réformes de détail, je parle du grand système de l’income tax, de l’impôt progressif établi sur tous les revenus. Eh bien, messieurs, si parmi vos impôts il en est quelques-uns qui soient odieux, impopulaires, s’il en est auxquels on pourrait apporter quelques améliorations, je n’hésite pas à le déclarer, l’impôt sur les revenus, tel que l’honorable membre le définit, est, à lui seul, plus odieux, plus impopulaire que tous les autres impôts réunis.

Aussi, pour que l’on ne puisse pas se méprendre sur mes intentions, j’annonce très franchement que, aussi longtemps que je serai sur ces bancs, je ne prêterai jamais les mains à la réalisation de ce système, à la substitution de l’impôt progressif au système de l’impôt proportionnel ; c’est une amélioration, si amélioration il y a, que je veux léguer à mes successeurs, et je verrai s’ils accepteront cette partie de ma succession.

Dans nos habitudes, dans nos mœurs, habitudes qu’il faut respecter, l’impôt sur les revenus avec les moyens qu’il suppose, les nécessités qu’il entraîne, serait, pour le gouvernement et pour le pays une cause d’immenses malheurs, de grandes perturbations, d’une impopularité à laquelle personne ne résisterait, impopularité qui pourrait compromettre l’existence du gouvernement, l’existence du pays lui-même. Car, messieurs, dans les griefs qui amènent les révolutions, ce ne sont pas tant les discussions politiques que les discussions d’intérêts ou d’impôt qui pénètrent partout, qui agitent et remuent les masses. Ce sont celles-là, plus que toutes les autres, qui sont pour le peuple des causes de révolutions.

M. Rogier. - La révolution de 1830 n’est pas arrivée à la suite d’une question d’impôts.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Mais voyez donc où a commencé la lutte ; voyez où elle se résumait ; voyez si ce n’est pas sur le système des impôts que la Hollande et la Belgique se trouvaient d’abord en présence, luttant chaque jour à une voix de différence. Ce qui dans le principe a donné l’éveil, ce qui a passionné les esprits et remué les masses, c’étaient les griefs, griefs légitimes qu’avait la Belgique contre le système d’impôts ; pour le nier, il faut oublier toute l’histoire de ces quinze années. Eh bien, je ne veux pas pour mon pays, je ne veux pas pour l’opinion à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir. De l’impôt progressif qui créerait d’aussi grands, d’aussi redoutables dangers. A d’autres après nous, s’ils le veulent ou s’ils l’osent, de courir ainsi les aventures ! (Interruption.)

J’entends dire que, quand on me parle de la France, je réponds par la Belgique. Mais ai-je prétendu que dans tous les pays la cause unique des révolutions était le système français ? Non, messieurs, j’ai dit que ce pouvait être une des causes, et sur l’interruption qui m’a été faite et que j’ai peut-être mal saisie, j’ai prouvé que telle avait été une des causes du mouvement populaire en Belgique. (Nouvelle interruption.)

La France, en 1830, me dit-on de nouveau… Je n’ai pas la prétention d’expliquer toutes les causes de toutes les révolutions qui ont surgi sur tous les points du globe ; je répète que le système financier de l’ancien royaume des Pays-Bas, lié aux intérêts moraux et matériels du pays, a été l’une des causes de la révolution belge de 1830 ; en le disant je suis dans le vrai et dans la question.

Maintenant la chambre n’entend pas, sans doute, que je suive l’honorable M. Verhaegen dans le détail critique de tous nos impôts. Je m’arrêterai seulement à un ou deux points que l’honorable membre considère en quelque sorte comme capitaux.

Ainsi, l’honorable membre a parlé de la valeur locative que payent les marchands de la rue de la Madeleine à Bruxelles, opposée à la valeur locative que payent les propriétaires aisés dans d’autres quartiers. Comme cet argument est reproduit presque tous les ans, je me suis procuré les rôles de la contribution de la rue de la Madeleine, et j’y ai vu, à mon grand étonnement, que les valeurs locatives, à raison desquelles on paye, sont dans une proportion tellement faible avec la valeur locative réelle que, s’il y a privilège quelque part, c’est pour ces malheureux marchands dont l’honorable M. Verhaegen vous a parlé. Ainsi, le croiriez-vous, messieurs ? des maisons actuellement existantes dans la rue de la Madeleine, il y en a une seule dont la valeur locative soit portée à plus de 4,000 fr. Ainsi, pour certaines maisons dont je connais les baux, la valeur locative sur laquelle on paye, est cotée à 2,300 fr., tandis que la valeur locative réelle est de 5 à 6,000 fr.

Si donc je voulais suivre l’honorable membre dans tous les détails de son discours, analyser, passer au creuset des faits toutes les affirmations de l’honorable M. Verhaegen, je prouverais, pièces en mains, qu’elles sont complétement en dehors de la réalité des choses.

Bien que l’honorable membre ait quelque peu anticipé sur une discussion qui doit se présenter à l’occasion de l’article des patentes, je ne le suivrai pas pour le moment dans cette voie ; mais j’espère démontrer, lorsque nous serons arrivés à cet article, que le gouvernement a fait aux sociétés anonymes une juste et légitime application de la loi des patentes, et qu’en faisant autrement, il eût agrandi le privilège dont les sociétés anonymes jouissent encore aujourd’hui. Je me borne donc, sur ce point, à faire mes réserves.

L’honorable membre s’est plaint qu’au nombre des voies et moyens qu’il indique, on n’ait pas voulu ajouter le projet qu’il a soumis à la chambre. La mémoire de l’honorable membre l’a mal servi ; à la session dernière, c’était, je pense, au temps de la crise ministérielle, ce projet avait été mis à l’ordre du jour, et si mes souvenirs sont fidèles, il en a disparu à la demande de l’honorable membre lui-même ; c’est un fait, au reste, qu’on pourra vérifier au Moniteur, si ma mémoire me trompait. Pour moi, je désire la prompte discussion de ce projet de loi, elle ne m’effraye pas le moins du monde ; et en effet, le résultat de l’examen préparatoire des sections est tel que l’honorable membre seul peut avoir à craindre la discussion publique.

Un mot encore, puisqu’ici nous touchons aussi à une grande et importante question ; un mot encore sur l’impôt de 4 p. c. sur les biens de mainmorte.

Il est vrai qu’avant 1830, le gouvernement des Pays-Bas avait apposé à certaines donations la condition d’un payement de 4 p. c. ; il est vrai encore qu’après un examen approfondi, sous le gouvernement provisoire, l’honorable M. Charles de Brouckere a reconnu que la perception de ces impôts était inconstitutionnelle ; l’on n’est plus revenu sur ce point, parce que les motifs de constitutionnalité, invoqués par l’honorable M. Charles de Brouckere, sont à l’abri de toute réplique.

L’honorable M. Verhaegen a voulu conférer au gouvernement un droit que je considère commue très dangereux ; l’honorable membre croit que le gouvernement, lorsqu’une chose lui est demandée, peut toujours y apposer telle condition que bon lui semble et qu’ainsi il était compétent pour apposer, de son autorité privée, une rétribution comme condition d’autorisation d’un legs.

Ce principe est tout à fait inconstitutionnel ; la Constitution dit qu’aucun impôt ne peut être établi que par une loi ; et si je pouvais, à propos de tous les actes qui émanent, soit de la faveur, soit de l’action utile, soit de la tutelle administrative du gouvernement, apposer des conditions pécuniaires, j’aurais trouvé des voies et moyens dix fois plus féconds qu’aucun de ceux que l’honorable membre nous a indiqués.

On ne peut donc apposer des conditions que dans l’ordre des pouvoirs donnés au gouvernement ; on ne peut apposer pour condition le payement d’un impôt à l’Etat, lorsque la loi n’a pas établi cet impôt.

L’honorable membre a formulé une proposition ; je demande que cette (page 199) proposition soit renvoyée aux sections. Le budget des voies et moyens est et doit rester une loi d’application. Jamais on n’a voulu, à l’occasion du budget des voies et moyens, préjuger, trancher des questions de principe...

M. Delfosse. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Ainsi, messieurs, quant à l’impôt de.4 p. c., permettez-moi que, m’emparant d’un fait que l’honorable M. Verhaegen a cité lui-même, je vous fasse voir quelles peuvent être les conséquences de cette disposition.

Aucun de vous n’ignore, messieurs, qu’à l’époque de la révolution française, les institutions de bienfaisance et de charité ont fait des pertes qui ne sont pas encore réparées aujourd’hui. L’on s’étonne, quand on parcourt les lois d’impôt depuis la loi de frimaire an VII jusqu’aux derniers décrets de l’empire, que pour les établissements de mainmorte légalement autorisés, le législateur ait fait partout une exception qui, au premier abord, paraît inexplicable. Eh bien, lorsqu’on entre plus avant dans l’esprit de la législation, l’on se convainc bientôt que cette exemption d’impôt, en apparence si anormale, était la manifestation d’une pensée sociale, réparatrice, éminemment utile ; on a voulu donner une extension nouvelle à la chanté publique, pour réparer les ruines que la révolution avait produites dans les institutions de bienfaisance publique. Si l’on prétend, malgré le développement de la charité publique, malgré le développement plus grand peut-être des besoins qui se manifestent chaque jour, que le moment est venu de restreindre la charité, alors qu’on se plaint qu’elle soit tarie dans quelques localités, qu’on le fasse, qu’on établisse un impôt, qu’on éloigne davantage, puisque l’état des esprits ne suffit pas, les personnes charitables de faire des donations.

Je parle jusqu’à présent des établissements de bienfaisance publique ; j’en parle, parce que dans l’état de la législation actuelle, ce sont les établissements de bienfaisance qui constituent, pour la plus grande partie, la mainmorte légalement autorisée en Belgique. J’en appelle encore ici vous tous ; n’est-il pas vrai que si on recherchait quels sont les établissements de mainmorte en Belgique, on verrait que ce sont des établissements de charité, d’utilité publique qui possèdent la presque totalité des biens de mainmorte en Belgique ?

Par conséquent, la proposition, j’espère l’avoir démontré, devrait être divisée, il faudrait faire des exceptions. Si l’honorable membre éprouve quelque répugnance à ce que sa proposition soit renvoyée eu sections pour qu’on ait au moins le temps d’y réfléchir avant de la discuter, je demanderai qu’elle soit jointe au projet que l’honorable membre a formulé et renvoyée à la section centrale qui a examiné ce projet, quoi qu’elle ait été bien inhumaine envers lui.

Messieurs, je disais tout à l’heure que pour le gouvernement et pour les chambres il fallait, d’une part, résister à l’entraînement qui est au fond de nos institutions, pour exagérer les dépenses extraordinaires ; je disais, d’autre part, que quelles que fussent nos opinions politiques, nous devions nous efforcer d’améliorer dans l’avenir la situation financière du pays. Je pense qu’il y a peu de chose à espérer de la révision de détail de ces lois odieuses, impopulaires que l’honorable préopinant a dénoncées à votre indignation ; mais je crois qu’il y a des idées nouvelles à réaliser dans l’ordre des intérêts financiers, que je ne sépare pas, les considérant d’un peu haut, des intérêts politiques, des intérêts d’avenir du pays.

Pourquoi, par exemple, généralisant l’action protectrice du gouvernement, établissant entre tous les citoyens, entre toutes les fortunes une étroite solidarité, n’introduirait-on pas le principe nouveau des assurances obligatoires par l’Etat. Cette idée est plus large, plus facilement réalisable, a plus d’avenir en elle que ces petites révisions de détail qui occuperaient plusieurs sessions, qui sans résultat utile occasionneraient de grands froissements et produiraient fort peu de ressources au budget. Pour moi j’ai mûrement et longuement réfléchi sur cette idée que je viens d’émettre ; je la crois pratique, je la crois dans la mission du gouvernement, je crois que les difficultés disparaîtront par suite d’un examen approfondi. En énonçant cette idée, je désire que la discussion s’établisse de la manière la plus large possible, parce que je pense que c’est par. la discussion que les difficultés que sa réalisation pourra présenter seront écartées. J’appelle donc tous les moyens d’examen ; et j’espère que la session de 1848 ne se passera pas sans qu’il me soit donné de faire entrer cette grande idée dans le domaine des réalités. Alors, tout en procurant un grand bienfait aux populations, peut-être pourrons-nous, par l’examen de notre système d’impôt, trouver moyen de faire quelques réductions utiles qui ne compromettent pas, comme celle que provoque l’honorable membre, l’équilibre actuel de nos finances, et surtout qui ne compromette pas l’avenir.

M. Osy. - J’ai demandé la parole quand j’ai entendu M. le ministre des finances dire que notre situation financière était belle ou du moins que nous ne devions pas la rembrunir, Je pense qu’il est plus dangereux dans l’état actuel de l’Europe, de faire apparaître notre situation financière plus belle qu’elle n’est ; nous devons dire toute la vérité.

M. le ministre nous a dit que si l’encaisse était à notre disposition, vous n’aurions plus de dette flottante. Je demanderai à M. le ministre des finances de jeter un coup d’œil sur le rapport qu’il a présenté à l’appui de son budget des voies et moyens, il verra qu’en 1845 la dette flottante était de 22 millions, et qu’aujourd’hui il demande 19 millions. Comment la dette flottante est-elle réduite à ce chiffre ? Cela provient d’une somme de 6,500,000 fr. qui n’a pas été employée à l’amortissement depuis quatre et six ans, parce que les fonds publics ont toujours été au-delà du pair et que, par les conventions faites avec les preneurs, l’amortissement ne devait avoir lieu qu’après six ans. Aujourd’hui le gouvernement ne peut plus compter sur cet excédant ; l’amortissement doit fonctionner sur l’emprunt de 1840, l’engagement de six ans étant expiré. Les fonds publics sont au-dessus du pair ; il faudra aussi racheter l’emprunt de 1842. Vous ne pourrez donc plus compter sur cet excédant qui se monte à 6 millions 500 mille fr.

Que vous a-t-on dit ? Que toutes les ressources que nous avions, résultant du traité avec la Hollande et de la convention passée avec la société générale au-delà du prix de la reprise de la forêt de Soignes, serviraient à réduire la dette flottante ; nous les avons, en effet, appliquées à éteindre la dette flottante, et la dette flottante reste toujours la même. C’est-à-dire que nous avons mangé notre bien en herbe, car cette ressource n’existe plus.

Il nous reste, maintenant, les 13 millions de l’encaisse. Mais, ce ne sont pas des écus, c’est du papier, et quand on voudra l’employer, il restera 6 millions de dette flottante, c’est-à-dire que, si les 13 millions étaient des écus, il vous resterait 6 millions de dette flottante. Mais pour les employer, vous êtes obligés de les négocier ; c’est comme si vous décrétiez de faire un nouvel emprunt. J’ai pensé que je devais combattre les allégations de M. le ministre, pour qu’on n’induisît pas le pays en erreur. Nous avons réellement un déficit de 19 millions, plus 2 millions qu’on a demandés pour les Flandres. De manière que nous avons une dette flottante de 21 millions.

Si M. le ministre veut employer les 13 millions de l’encaisse, ce sera réellement un emprunt qu’il fera, et le déficit se trouvera réduit, non pas à 6 millions, comme on l’a dit, mais à 8 millions.

Messieurs, j’ai déjà eu l’occasion de vous dire que, selon moi, il est très dangereux, très imprudent pour un pays qui a un budget de cent et quelques millions, et surtout dans les circonstances où nous nous trouvons, d’avoir une dette flottante aussi considérable. Je crois qu’en effet le moment est mauvais pour faire un emprunt. Mais le moment est venu, messieurs, de faire toutes les économies possibles, et cependant, je n’en vois réaliser aucune dans les budgets qui nous sont présentés. Au contraire, j’y trouve plutôt des augmentations de dépenses.

L’honorable ministre des finances s’est beaucoup récrié contre l’incom tax. Moi aussi, messieurs, je ne voudrais de cet impôt que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, et alors la nation pourrait montrer ce dont elle est capable. Mais, comme j’aurai l’honneur de vous le démontrer lorsque nous en viendrons aux articles, M. le ministre des finances a décrété, par un arrêté royal ou plutôt par un arrêté ministériel, l’incom tax sur une seule catégorie de contribuables. Les paroles de M. le ministre des finances ne sont donc pas d’accord avec ses actes.

Messieurs, je dois engager la chambre, dans les circonstances actuelles, à ne pas perdre de vue la situation du pays. L’année dernière, nous avons eu un hiver qui n’a pas été très rigoureux ; celui-ci pourrait l’être bien davantage. Je crois, d’ailleurs, que lorsque deux années de misère se succèdent, c’est la seconde qui est la plus difficile à traverser.

D’autre part, la masse énorme de céréales que nous avons dû tirer de l’étranger a appauvri le pays ; les écus en sont sortis en grande quantité. Voyez, messieurs, ce qui se passe en France. Je vous ai dit, il y a peu de jours, que la banque de France qui, depuis plusieurs années, avait un encaisse normal de 240 millions, n’en a plus aujourd’hui qu’un de 80 millions.

Il y a plus ; le gouvernement français avait presque toujours à la banque de France un encaisse de 150 millions. Cet encaisse, messieurs, est tombé à 20 millions. Pourquoi ? Parce que le gouvernement est obligé de faire travailler autant que possible dans l’intérieur du pays pour maintenir la tranquillité.

Il a de plus été obligé de faire venir beaucoup de céréales de l’étranger, et par suite on a dû exporter considérablement d’espèces.

Messieurs, nous nous trouvons dans la même situation, mais n’ayant pas de ressources comme une grande puissance, plus que jamais nous devons nous montrer prudents et la marche que nous suivons n’est pas prudent.

Je le déclare, si j’étais ministre des finances, en présence d’une dette flottante de 21 millions je ne serais pas tranquille. Il vaut mieux, selon moi, dire franchement les choses que de les embellir. Je crois rendre un service au pays en engageant M. le ministre des finances à suivre une autre marche, à chercher à réduire autant que possible les dépenses et le chiffre de la dette flottante. Quant à moi, je déclare que je m’opposerai à toute mesure qui tendrait à augmenter cette dernière.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je tiens à bien définir les faits en ce qui concerne l’encaisse de 1830.

L’encaisse de 1830 est une valeur qui est demeurée acquise à la Belgique en vertu du tracté du 5 novembre 1842. Cette valeur est représentée par des obligations de l’emprunt de 30 millions à 4 p. c.

Ces 14 millions ne sont pas des écus, mais c’est une partie de la dette constituée ; de sorte que si aujourd’hui l’encaisse était à la disposition du gouvernement, si le gouvernement remettait en circulation ces 14 millions, la dette flottante serait réduite dans la même proportion. Cela est d’une simplicité extrême, et j’espère que les honorables financiers auxquels je réponds trouveront que cela est exact. (Interruption.)

C’est, me dit-on, créer un nouvel emprunt. Non, messieurs ; c’est seulement ne pas amortir un emprunt existant.

Suis-je en droit de décompter ces valeurs pour apprécier la situation du trésor, comme une valeur acquise en vertu du traité du 5 novembre (page 200) 1842, laquelle, depuis les votes de la chambre, doit venir en déduction de la dette flottante ? Je demande qu’on réponde directement à cette question.

Messieurs, j’insiste sur ce point, parce que plus sont graves les circonstances qui ont affecté dans ces derniers temps plus fortement qu’aujourd’hui le crédit de plusieurs Etats, plus nous devons montrer de circonspection, plus nous devons chercher à porter un rigoureux esprit d’impartialité dans l’appréciation de, notre situation financière. Sans cela, en rembrunissant cette situation, en ne comptant que les éventualités défavorables, en cherchant à se dissimuler à soi-même les ressources que le pays possède, on le rend moins fort pour traverser les mauvaises circonstances, on lui donne moins d’action, moins d’énergie pour jouir des bienfaits de la paix.

(page 203) M. Verhaegen. - Messieurs, M. le ministre des finances aurait désiré sans doute que le budget des voies et moyens pût passer sans observations.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Non ! non ! au contraire.

M. Verhaegen. - Il trouve des inconvénients à ce que l’on mette à nu la situation du trésor, Il trouve des inconvénients encore à ce qu’on attaque l’assiette des impôts. Mon honorable ami M. Delfosse lui répondra en ce qui le concerne ; mais pour mon compte, je lui dirai que s’il trouve des inconvénients à s’occuper de l’assiette des impôts, c’est probablement parce que, comme nous l’avons démontré, ces impôts sont odieux, impopulaires.

Il y a des injustices, je l’ai démontré ; il faut donc les faire cesser, et ici la responsabilité du gouvernement est gravement engagée. Vraiment je ne comprends pas comment un ministre ose venir proclamer du haut de la tribune que des discussions en matière d’impôts ont naguère amené des catastrophes. Messieurs, plus que personne je suis ennemi des catastrophes, je suis homme d’ordre avant tout, mais c’est parce que je suis homme d’ordre que je veux faire cesser des injustices révoltantes. Le danger ne gît que dans la conduite de M. le ministre des finances, qui vient en quelque sorte insulter à la misère en déclarant, qu’aussi longtemps qu’il sera au banc ministériel, il ne portera aucun changement à l’assiette des impôts ! Encore une fois, qu’il en accepte la responsabilité.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je l’accepte.

M. Verhaegen. - Ce seraient, d’après M. le ministre, les discussions en matière d’impôts qui auraient amené la révolution de 1830. Mais, on vous l’a déjà dit, la révolution de juillet 1830 n’a été produite que par les intrigues des jésuites, et cette révolution a été la cause principale de la révolution belge. (Interruption.) Messieurs, vous avez beau rire, quand on vous dit des vérités ; ce n’est pas là répondre. Le pays jugera de quel côté est la raison ; vos interruptions ne m’intimident pas, je vous prie de le croire.

M. le ministre des finances se met parfaitement à l’aise. J’ai fait une critique détaillée des différentes bases d’impôts, et il ne me répond pas. Je le me suis pas même borné à critiquer les impôts existants ; j’ai indiqué d’autres voies et moyens d’une perception facile, et M. le ministre juge à propos de ne pas me suivre sur ce terrain.

Messieurs, toutes les critiques que j’ai faites, je les maintiens, et je défie le gouvernement d’y répondre un seul mot.

L’honorable M. Malou, en rejetant nos voies et moyens nouveaux, qu’il soutient injustes et impopulaires, comme si des impôts grevant la classe aisée, à la décharge des classes nécessiteuses, pouvaient jamais être considérés comme des impôts impopulaires, ne nous a indiqué aucune autre base qui pourrait faire un jour l’objet de son initiative. Il est conservateur, par exemple, il veut maintenir le système d’impôts actuel, quelque mauvais qu’il soit. Je me trompe, il vient, comme pour nous étourdir, de jeter dans la discussion la question des assurances obligatoires par l’Etat !

Quant à moi, messieurs, je ne suis pas de ceux qui approuvent sans examen. Je dis que la question des assurances par l’Etat est immense, et qu’elle mérite d’être examinée. J’ajouterai que si j’avais à m’en expliquer de suite, je dirais que les assurances par l’Etat me paraissent présenter de grands dangers.

L’impôt progressif sur le revenu est rejeté par M. le ministre comme un impôt injuste et impopulaire. Injuste, pourquoi ? Parce qu’il frapperait les fortunes qu’on ne peut pas atteindre aujourd’hui ! Impopulaire, pourquoi ? Le serait-il par hasard pour la grande masse de la nation, pour les classes nécessiteuses qu’il viendrait dégrever ?

Mais cet impôt si injuste, si impopulaire, messieurs, il existe. Pourquoi donc M. le ministre de l’intérieur, qui est chargé de tout ce qui regarde les communes, ne fait-il rien pour abolir cet impôt dans les communes rurales ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.

M. Verhaegen. - Car nous avons dans les communes rurales des rôles personnels, et ces rôles personnels sont basés entre autres et principalement sur la fortune présumée des contribuables.

Il faut donc, si l’impôt sur le revenu est injuste et impopulaire, le faire disparaître dans les communes rurales ; ou s’il n’est pas entaché de ce vice, il faut l’introduire partout comme impôt au profit de l’Etat ; c’est le seul moyen de procéder logiquement.

M. le ministre des finances, comme l’a dit l’honorable M. Osy, a d’autant plus tort de se récrier contre cet impôt, que lui-même a osé l’établir par arrêté en violation formelle de la loi.

Après tout, messieurs, qu’est-ce que le droit de patente ? C’est une taxe sur le travail. Ce n’est pas même une taxe sur le revenu de l’artisan, du marchand, du commerçant ou de l’industriel, car bien souvent celui qui a payé sa patente, au lieu de faire des bénéfices, est exposé à des pertes ! Pourquoi dès lors affranchir le revenu du rentier, du propriétaire qui est exposé à bien peu d’éventualités ? Et quant à l’appréciation de ce revenu, elle pourrait être faite par des répartiteurs tout aussi bien, si pas mieux, qu’ils font pour la patente ordinaire l’appréciation du travail, etc.

Messieurs, soyons donc d’accord avec nous-mêmes. Si le droit de patente est si juste, et je dois le croire, puisque M. le ministre a pris l’engagement de conserver les bases d’impôts qui existent tant qu’il sera au banc ministériel, pourquoi l’impôt progressif que je voudrais voir établir, et qui ne serait en définitive qu’un droit de patente sur le revenu proprement dit, serait-il un impôt injuste et impopulaire ?

Messieurs, on a peur de toucher aux impôts existants, je le sais, parce qu’on a peur de froisser des intérêts. Mais on ferait bien cependant de penser un peu à ceux qui jusqu’à présent ont été grevés outre mesure et de rétablir l’équilibre. C’est le seul moyen d’éviter les catastrophes, puisqu’on a peur aussi des catastrophes.

J’ai indiqué d’autres voies et moyens, encore et d’abord ceux qui résulteraient de l’adoption du projet que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre.

J’aurais voulu, messieurs, voir discuter ce projet, non pas pendant une crise ministérielle, comme l’aurait voulu M. Malou, non pas au moment où nous allions nous séparer, où les bancs de la gauche étaient à peu près dégarnis. Je n’étais pas assez imprudent pour laisser discuter une proposition semblable alors qu’au dire même de M. le ministre des finances, une majorité était là toute prête à faire justice de mon œuvre. J’ai voulu qu’on pût méditer le projet, et c’est uniquement dans ce but que j’ai demandé, non pas qu’on le retirât de l’ordre du jour, mais qu’on en reculât la discussion à une époque plus convenable.

Aujourd’hui que tous nos amis sont à leur poste, je ne demande pas mieux que de voir fixer un jour pour cette discussion, et quoi qu’il en arrive j’aurai fait mon devoir.

Mais en attendant et au sujet de la discussion du budget des voies et moyens, il y a actuellement quelque chose à faire. Je vous ai donné, messieurs, un aperçu de l’importance des biens tombés en mainmorte depuis 1830, j’en ai fixé le chiffre à au-delà de deux cents millions, et les quelques faits que j’ai cités vous prouveront que je n’ai pas procédé par exagération.

Il est prouvé, en France, que les droits d’enregistrement, pour ventes mutations, successions, etc., s’élèvent, en 20 années, à la valeur intégrale des biens de toute la France. Si donc, en Belgique, les biens de mainmorte s’élèvent à deux cents millions, ce sont deux cents millions perdus pour le trésor en 20 ans, c’est-à-dire, dix millions par an. (Interruption.) Je comprends qu’on cherche, par des rires, à détourner l’attention de la chambre de ces faits qui, pour d’autres, sont effrayants ; mais on ferait bien de se demander quel effet ces rires produiront dans le pays. Vous verrez bientôt, messieurs, quel sera le jugement de vos commettants sur ce système qui consiste à frapper de contributions odieuses, à tort et à travers, les classes peu favorisées de la fortune, et à refuser des impôts justes à tous égards, par cela seul qu’ils contrarient les vues d’une caste toujours insatiable. Je m’inquiète, du reste, fort peu des signes d’improbation qui peuvent, sur certains bancs de cette chambre, accueillir mes paroles ; je ferai mon devoir jusqu’au tout. « Fais ce que dois, advienne que pourra » ; voilà ma devise.

Mais on veut renvoyer ma proposition aux sections, dans l’espoir qu’elle subira le sort qu’a subi mon projet de loi sur les donations entre vifs ; on porte même la plaisanterie, pour ne pas dire autre chose, jusqu’à vous demander de la renvoyer à cette même section centrale qui, pour me servir de l’expression de M. Malou, a déjà fait justice de ma première proposition.

Messieurs, ce n’est là qu’une exception dilatoire. Pourquoi ne pas examiner immédiatement l’article additionnel que je propose au budget des voies et moyens, et qui doit avoir pour résultat une ressource importante au trésor dans un moment où le trésor a un pressant besoin de fonds ? Pourquoi refuser de discuter cet article lorsqu’il existe des précédents, et entre autres, dans ce qui a eu lieu pour le canal de Mons à Condé ? Je trouve fort extraordinaire qu’un ministre des finances, qui devrait accueillir avec empressement tout ce qui tend à augmenter les revenus du trésor, vienne me répondre par une fin de non-recevoir, et ce qui est plus étonnant encore, que lui, qui tient cette conduite, soit précisément celui qui, dans l’affaire à laquelle je viens de faire allusion, a pris l’initiative.

Messieurs, je demande par mon article additionnel, qu’on établisse un impôt annuel de 4 p. c. sur la valeur locative des biens tombés en mainmorte, et l’objection principale qu’on m’a faite est celle que avais prévue ; on me dit : « Mais vous allez frapper tous les établissements de charité, qui ont déjà perdu une grande partie de leurs biens par suite de la révolution française ; vous allez tarir les sources de la bienfaisance. » Vous avez vu, messieurs, par les détails que je vous ai donnés tout à l’heure, quels sont ceux qui tarissent ou détournent les sources de la bienfaisance ; vous avez vu que les établissements auxquels on fait allusion ne reçoivent plus rien depuis longtemps, et vous connaissez maintenant les causes de cet état de choses. D’ailleurs, pour faire cesser tout prétexte, je ne serais pas éloigné d’admettre une exception pour les hospices et les établissements de charité proprement dits, alors que les legs et dons n’excéderaient pas une certaine valeur, de mille francs, par exemple ; mais, j’en suis convaincu, on ne se contentera pas cette exception on veut augmenter encore le chiffre de deux cents millions de biens tombés en mainmorte perfas et nefas ; on veut décidément s’emparer, comme autrefois, de l’influence que donne la propriété territoriale.

Lorsqu’un seul établissement possède déjà 300,000 francs de rente, lorsqu’il s’agit de legs de donations importants, voire d’un million, d’un million et demi et plus, vouloir affranchir les biens tombés en mainmorte (page 204) d’un impôt qui était perçu sans réclamation sous le gouvernement précédent et qui n’équivaut, après tout, qu’à la valeur des droits de mutation dont le trésor est privé, oh ! certes, c’est montrer une avidité que les plus fervents catholiques ne sauraient admettre, sans se mettre en contradiction avec eux-mêmes.

Du reste, messieurs, si l’on veut rejeter ma proposition, qu’on le dise franchement. Mais pourquoi me répondre par une fin de non-recevoir. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas le courage de son opinion, parce qu’on craint le jugement du pays ; car en dehors de cette enceinte, nous avons le pays qui nous observe avec une inquiétude de tous les jours, de tous les instants.

(page 200) M. le ministre des finances (M. Malou). - L’honorable membre qui vient de se rasseoir m’aurait bien mal compris s’il avait supposé que l’intention du gouvernement est de n’améliorer en rien le régime des impôts actuellement existants. Toute la législation est basée sur le principe de l’impôt proportionnel ; ce principe, je le maintiendrai ; et je combattrai de toutes mes forces, le principe de l’impôt progressif ; mais il ne résulte pas du tout de là, que par exemple en ce qui concerne la contribution personnelle, le gouvernement se refuse à toute amélioration ; au contraire cette loi a été soumise à une étude sérieuse ; cette étude continue, elle continuera encore, et si elle n’a pas été suivie avec plus d’activité, c’est notamment parce que, lors du vote du budget des finances, on a opéré des réductions sur le personnel, qui m’ont mis dans l’impossibilité de poursuivre cette étude en présence du nombre des affaires courantes qui s’accroît tous les jours.

L’honorable membre a cité un de mes antécédents ; je citerai un des siens. Lorsqu’il s’agit du budget des finances, toutes les réductions doivent être admises, et lorsqu’il s’agit du budget des voies et moyens, tous les impôts doivent être réformés à la fois. Si vous voulez que j’agisse, donnez-moi donc les moyens d’agir.

La loi sur les patentes repose sur le principe de l’impôt proportionnel ; partout où une présomption, un fait, un indice quelconque a pu être saisi, on s’est empresse de le saisir ; on a atteint ce but autant qu’il était possible de l’atteindre, sans donner lieu à de trop odieuses investigations. Pour établir au contraire l’impôt progressif sur toutes les fortunes, sur tous les revenus, il faudrait recourir à des mesures qui seraient généralement repoussées ; il faudrait scruter ce qu’il y a de plus sacré dans la vie des citoyens. Je ne veux pas, malgré toutes les provocations qui me sont adressées, entrer maintenant dans la discussion de la question relative à la patente des sociétés anonymes, mais je dois remercier l’honorable M. Verhaegen de m’avoir donné le seul argument dont j’eusse besoin pour prouver que le gouvernement a convenablement résolu cette question. L’honorable membre a dit en effet a plusieurs reprises que le droit de patente était une taxe sur le revenu, une taxe sur le travail ; s’il en est ainsi, je prouverai que le droit de patente doit être perçu sur les intérêts qui sont assurément des revenus.

Messieurs, il n’est nullement entré dans ma pensée de critiquer les motifs pour lesquels l’honorable M. Verhaegen a demandé la remise à une autre époque de la discussion du projet de loi qu’il a présenté dans le temps. Lorsque j’ai dit que je n’avais aucune raison de craindre cette discussion, c’est qu’en lisant le rapport de la section centrale je me suis aperçu que le projet avait été examiné en sections par 54 membres et qu’il n’avait réuni en sa faveur que deux voix. (Interruption.) C’est ainsi. On n’a qu’à dépouiller le rapport de l’honorable M. de Corswarem. (Nouvelle interruption.) Il y avait 54 membres... 53 peut-être, je veux bien vous en abandonner un, et le projet n’a réuni que deux voix.

Je n’ai pas eu l’intention non plus d’opposer une fin de non-recevoir à la proposition nouvelle faite par l’honorable M. Verhaegen. Je demande seulement que cette proposition, comme toutes celles qui émanent de l’initiative de la chambre, soit soumise à un examen ; j’ai indiqué deux formes, si l’honorable membre en préfère une troisième, qu’il l’indique ; tout ce que je demande, c’est que ce ne soit pas à l’occasion d’une loi de budget qu’on tranche une question de principe.

Veuillez remarquer, messieurs, que dans les observations faites par l’honorable M. Verhaegen, il y a un motif de plus pour soumettre la proposition à un premier examen : l’honorable membre admet déjà des exceptions en faveur des petites donations faites à de petits établissements. Eh bien, cette exception, il faut qu’on la formule ; elle sera alors examinée, soit par les sections, soit par une commission spéciale, soit par une section centrale existante. Loin de moi la pensée de vouloir m’opposer à une idée quelconque par une simple fin de non-recevoir. Mais je demande ce que le règlement veut, qu’aucune idée ne soit adoptée ici, sans avoir subi une épreuve préalable ; et en établissant cette prescription, le règlement a agi sagement, parce que, dans toute assemblée délibérante, on doit toujours se défendre d’adopter légèrement, sans un examen approfondi, les idées mêmes en apparence les plus utiles.

- La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 4 heures 3/4.