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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mercredi 12 août 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre
2) Projet de loi portant le
budget de la dette publique et des dotations pour l’exercice 1847 (Veydt)
3) Projet de loi portant
approbation du traité de commerce conclu avec la Hollande (+droits
différentiels, pêche national, droits sur le café, le tabac et le bétail)
((+droits sur les sucres) Eloy de Burdinne, Osy, Rogier,
Dechamps,
Donny,
Lebeau,
Dechamps,
Zoude,
Desmet,
(+service de la Meuse à Liége) Delfosse, Nothomb, Dumortier,
d’Elhoungne,
Osy,
Osy,
Mercier,
Dumortier,
Eloy de
Burdinne)
4) Projet de loi accordant
des crédits supplémentaires au budget du département des travaux publics pour
le chemin de fer de l’Etat (Malou, de Man d’Attenrode)
(Annales parlementaires de
Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1967) M. Dubus (Albéric) procède à l'appel
nominal à onze heures et un quart.
M. Huveners donne ensuite lecture du procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« La dame Naidet, veuve du sieur Hersens, décoré de la croix de Fer, réclame l'intervention
de la chambre pour obtenir une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Les fabricants de tissus de laine dans l'arrondissement de Turnhout,
présentant des observations contre l'article 23 du traité conclu avec les
Pays-Bas, demandent le maintien du droit d'entrée de 160 fr. par 100 kilog.,
établi par l'arrêté royal du 14 juillet 1843. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
________________
M. de Lannoy, dont l'admission a été prononcée dans la dernière séance,
prête le serment prescrit par le congrès.
PROJET DE LOI PORTANT
LE BUDGET DE LA DETTE PUBLIQUE ET DES DOTATIONS POUR L’EXERCICE 1847
M. Veydt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été
chargée d'examiner les budgets de la dette publique et des dotations pour
l'exercice 1847.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué ; l'époque de la discussion
sera ultérieurement fixée.
PROJET DE LOI APPROUVANT
LA CONVENTION COMMERCIALE CONCLUE AVEC LA HOLLANDE
Discussion générale
M. Eloy de Burdinne. - Le traité du 29 juillet, conclu entre la Belgique et la Hollande,
n'obtiendra pas mon vote approbatif. Je devrai m'abstenir ou voter contre,
malgré le vif désir que je professe de maintenir des rapports d'amitié et de
bon voisinage entre nous et la Hollande. N'ayant pas contribué aux
dissentiments qui ont éclaté en janvier dernier, entre la Hollande et la
Belgique, par suite de dispositions prises par notre gouvernement, je n'ai
aucun devoir à remplir pour les réparer en faisant des sacrifices pour y
parvenir.
Cette tâche est réservée à ceux qui ont provoqué ce dissentiment. Les
sacrifices à faire pour rétablir la bonne amitié entre les deux nations,
doivent être supportés par ceux qui en ont été la cause, et non par les
pêcheurs, les éleveurs de bétail et les fabricants de divers
étoffes de laine.
Je ne conteste pas quelques avantages concédés par la Hollande en faveur
de la Belgique. Mais je conteste qu'ils soient de nature à compenser les
sacrifices que la Belgique fait en faveur de la Hollande.
Les concessions que nous fait la Hollande sont telles qu'elles ne
nuisent en rien à son industrie, tandis que les concessions que nous faisons à
la Hollande sont avantageuses à l'industrie de la pêche, à l'industrie
agricole, aux fabriques de coatings, calmoucks, duffels, etc.,
néerlandaises, et désastreuses aux industries similaires belges, la pêche,
l'élève du bétail, et les fabriques de coatings, etc.
Par le traité la Hollande ne fait aucun sacrifice, elle en exige de nous en
faveur de trois de ses industries et de son commerce.
Nous avions toujours cru que la pêche nationale avait besoin de
protections, on nous a même entraînés à faire des sacrifices pour soutenir
cette industrie, nous donnons annuellement un subside de 40 mille fr. aux
pêcheurs.
M. le ministre des affaires étrangères dans son exposé des motifs pour
apprécier le traité nous dit, page 12, que le droit réduit de 9 fr.et de5 fr.
constitue encore une protection suffisante, pour soutenir la concurrence
étrangère, en ce qui concerne la pêche nationale.
Si, par suite d'une réduction de protection de 9 et 5 fr. sur l'entrée
du poisson étranger, il reste encore aux pêcheurs belges le moyen de soutenir
la concurrence étrangère, comme le dit M. le ministre des affaires étrangères,
je lui demanderai comment il se fait que la pêche nationale, avec une
protection de 9 et 5 fr. en plus dont elle a joui depuis plusieurs années, ne
pouvait soutenir cette concurrence, et que pour encourager cette industrie,
l'Etat a accordé une prime de 40 mille fr. annuellement.
Si la pêche nationale peut soutenir la concurrence étrangère avec une
protection réduite, à plus forte raison pouvait-elle la soutenir avec une
protection en plus de 9 et 5 fr.
D'après ce dilemme, qu'on veuille bien m’expliquer et justifier le
subside demandé pour l'encouragement de la pêche nationale. Si, comme le dit M.
le ministre, les pêcheurs belges peuvent soutenir la concurrence étrangère au
moyen du droit réduit sur les produits similaires étrangers, le gouvernement
est coupable d'avoir réclamé un subside de quarante mille francs en faveur de
la pêche nationale, il a dilapidé nos finances.
Nous devons sans doute protection à toutes les industries, nous devons
leur garantir le marché intérieur, mais nous ne devons de prime à aucune, ou
bien nous en devons à toutes : tels sont mes principes.
La commission de pêche d'Ostende n'est pas d'accord avec M. le ministre,
cette commission prétend que l'adoption du traité est la ruine de la pêche
nationale ; pour mon compte, je suis porté à partager la même opinion.
Nous sacrifions la pêche nationale à la pêche hollandaise, comme,
naguère, nous avons sacrifié la fabrication du sucre indigène à la fabrication
du sucre indien ; en un mot, nous sacrifions l'intérêt de nos classes ouvrières
et pauvres en faveur des classes pauvres étrangères, et finalement nous faisons
tout ce qu'il faut pour procurer de l'aisance â l'étranger, et la misère à nos
classes ouvrières.
Mes conclusions ne se bornent pas aux pauvres pêcheurs, elles ont aussi
rapport aux ouvriers des fabriques de coatings, calmoucks, duffels, etc., ainsi
qu'aux éleveurs de bétail dont le plus grand nombre appartient, dans la plus
grande partie du pays, à la classe nécessiteuse ; sur cent veaux qu'on élève en
Belgique 70 au moins sont élevés par la classe ouvrière.
Par suite de la réduction de protection, cette classe d'éleveurs réduira
le nombre d'élèves, ce qui rendra le bétail moins abondant, et par suite, loin
de faire diminuer le prix de la viande, sera une cause de renchérissement.
Si l'on veut obtenir les produits à bon marché, on doit encourager la
production.
On conçoit les exigences de la Hollande envers la Belgique. Cette
exigence est facile à expliquer, c'est l'effet de la mauvaise humeur.
Nous venons de voter une loi. (La loi des sucres.)
Cette loi constitue le trésor belge dans une dépense de 3 à 4 millions
pour le plaisir de nuire aux produits des sucres des colonies hollandaises. Au
moyen du sacrifice que fait le trésor belge, nos raffineurs de sucres havanais
peuvent concourir sur les marchés étrangers avec les raffineurs hollandais qui
raffinent le sucre de leurs colonies.
Cette conduite est de nature à indisposer contre nous et le gouvernement
et la nation hollandaise, qui ne doit voir dans notre conduite que le seul
plaisir de nuire tout en dépensant trois à quatre millions annuellement, en
renonçant à faire produire à notre sol pour plus de dix millions de plus qu'il
ne produit, en renonçant à priver de travail nos classes ouvrières qui manquent
d'ouvrage, en nuisant à diverses industries qui alimentent de leurs produits
les fabriques de sucre indigène ; en un mot, en nuisant à la généralité de la
nation en faveur de l'étranger.
Si, avant de voter la loi des sucres, on avait proposé à la Hollande de
renoncer à lui faire concurrence sur les marchés étrangers avec des sucres de
la Havane raffinés en Belgique, vous eussiez obtenu de meilleures conditions
pour l'entrée de vos houilles, de vos fers et d'autres produits, sans devoir
sacrifier les pêcheurs belges, et les ouvriers des fabriques de coatings, calmoucks et autres
étoffes, ainsi que les éleveurs de bétail belge.
Il est à regretter que cette loi est la cause de notre position. En
repoussant le traité, on pourrait revenir sur la loi des sucres, qui doit moins
intéresser Anvers aujourd'hui, par suite de la loi anglaise. Les Anglais
s'approvisionneront à la Havane, et, par suite, on verra renchérir le sucre
brut, de manière à le porter à un taux qui ne permettra plus aux raffineurs
belges de lutter à l'étranger avec les raffineurs hollandais, et par suite on
verra dépérir l'industrie du raffinage du sucre exotique en Belgique, après que
nous aurons anéanti une industrie pleine d'avenir, la fabrication du sucre
indigène, après avoir sacrifié trois à quatre millions d'impôt en faveur des
raffineurs, après avoir renoncé à faire produire au pays huit à dix millions en
plus qu'il ne produit, après avoir sacrifié l'intérêt des classes ouvrières
ainsi que l'intérêt des diverses industries dont les produits sont nécessaires
à la fabrication du sucre.
Tous ces sacrifices sont aujourd'hui faits en pure perte. Il ne reste
aujourd'hui qu'à repousser le traité, à renoncer à faire concurrence à la
Hollande avec les sucres, en révisant la loi, et à traiter de nouveau, et nous
obtiendrons de nouvelles conditions plus favorables.
Les sacrifices que j'ai signalés ne sont pas les seuls. Par le traité
nous laissons entrer le bois hollandais sous le nom de perches qui sont (page 1968) désignées ayant 70
centimètres de circonférence, ce qui est en diamètre 7 à 8 pouces, et ces
prétendues perches sont des bois de construction, et on fait cette concession
au moment où nous voulons encourager le défrichement de nos bruyères appelées à
produire des perches dès le début du défrichement.
Tel est le bel encouragement que nous donnons en perspective aux Belges
disposés à faire la dépense que réclame le défrichement de nos bruyères.
Avant de terminer j’avais quelque chose à dire à l'honorable M. Osy que
je regrette de ne pas voir dans cette enceinte... (M. Osy reparaît.) Je répondrai, en terminant, quelques mots à
l'honorable M. Osy. A la séance d'hier cet honorable membre a regretté notre
révolution. Je dois dire que je n'ai pas été plus que lui le promoteur de cette
révolution, mais dès que le pays l'a résolue comme le seul moyen de faire
cesser des griefs dont il avait trop longtemps souffert, je m'y suis associé.
C'est un regret tardif qu'éprouve l'honorable
membre. Mais on a raison de dire : la caque sent toujours un peu le hareng, et
les épluchures d'orange, quelque vieilles qu'elles soient, sont toujours
amères.
Nous devons, aujourd'hui que nous avons conquis notre indépendance,
oublier les griefs que nous avions, non contre la nation hollandaise, mais
contre le souverain qui n'est plus, et chercher à nous donner la main, à faire
de bons traités de commerce ; nous ne devons pas exiger que tout dans les
traités soit fait dans l'intérêt de telle ou telle industrie, mais dans
l'intérêt général du pays.
Voilà quelle est ma manière de voir, quels
sont mes sentiments.
M. Osy. -Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, hier en parlant de la situation de
la Belgique avant 1830, j'ai démontré seulement que la Belgique trouvait de
grands avantages dans la possession du marché de la Hollande et de ses colonies
; j'ai rappelé qu'au congrès avant l'arrivée du souverain, j'ai fait ressortir
combien sous le rapport des intérêts matériels l'union avec la Hollande était
utile à la Belgique ; mais j'ai dit aussi que depuis l'arrivée du souverain, je
n'avais cessé de défendre l'indépendance de la Belgique et de déclarer que
jamais je ne me soumettrais à aucune puissance étrangère. C'est pour cela que
j'ai fait ressortir les désavantages de la convention. Cependant partageant la
manière de voir que vient d'exprimer l'honorable préopinant, je sacrifierai les
intérêts spéciaux qui me sont confiés aux intérêts généraux du pays et je
voterai pour la convention, toutefois en maintenant tout ce que j'ai dit pour
les désavantages et les sacrifices imposés à vos ports de mer.
M. Rogier. - J'avais demandé la parole au moment où mon honorable collègue et
ami, le député d'Anvers, s'exprimait, à l'égard de la révolution belge, en
termes que je ne pouvais pas accepter. Les explications que cet honorable
membre vient de donner, pourraient, à la rigueur, me dispenser de répondre à
son discours d'hier. Je n'avais pas demande la parole pour défendre le traité,
car je n'en suis pas tellement partisan que je veuille figurer au premier rang
de ses défenseurs. Si cependant la chambre veut bien me le permettre, puisque j'ai
la parole, je m'expliquerai sur le traité.
M. le président. - J'avais classé les divers orateurs, afin que tous ceux qui doivent
parler contre le traité ne vinssent pas les uns après les autres. Voilà comment
il se fait que M. Rogier se trouve inscrit parmi les orateurs qui doivent
parler pour le traité, parce que je connaissais son vote à la section centrale.
M. Rogier. - Messieurs, l'union commerciale avec la Hollande me paraîtrait un
fait très désirable pour la Belgique. Dès l'année 1835, alors que le
gouvernement nous proposait d'augmenter les droits, particulièrement contre
l'introduction du bétail hollandais, je combattis cette proposition. Je la
combattis d'abord au point de vue des intérêts généraux ; je la combattis aussi
comme une mesure particulièrement hostile à la Hollande. Je disais alors, et
bien que nous fussions encore à l'état de guerre pour ainsi dire avec nos
voisins, qu'il importait à la Belgique de maintenir de bonnes relations avec la
Hollande ; que, séparés d'avec elle au point de vue politique, nous devions
chercher, autant que nous le pouvions, à rétablir nos relations commerciales, à
maintenir notre communauté matérielle.
Sous ce rapport, donc, je suis grand partisan de l'alliance la plus
intime avec la Hollande. Je l'ai dit dès 1835 ; ce n'est pas à la nation
hollandaise que nous avons fait la guerre ; ce n'est pas le peuple hollandais
que nous avons repoussé du pays.
Mais, messieurs, d'une alliance intime avec la Hollande, au point de vue
de nos intérêts matériels, à une fusion complète sous l'ancien gouvernement, il
y a un abîme ; et si le regret de qui que ce soit devait porter sur l'ancien
régime que nous avons repoussé, jamais, messieurs, nous ne pourrions
nous associer à de pareils regrets. (Très
bien ! très bien !)
Il ne faut pas qu'on se fasse illusion au-delà de la frontière. Il y a
dans le pays des divisions, mais ces divisions c'est la vie des pays libres,
c'est le ressort des gouvernements représentatifs. Il y a dans le pays une
grande opinion qui est mécontente, une opinion injustement, profondément
froissée. Mais cette opinion, messieurs, est nationale. Le jour ou la
nationalité se trouverait menacée, on la verrait, comme on l'a vue en 1830, à
la tête du pays pour défendre son indépendance et ses libertés.
Ce qui me plaît, messieurs, dans le traité avec la Hollande, c'est un
retour, retour incomplet encore, mais c'est un retour vers les idées que nous
considérons comme les idées saines en économie publique.
Nous avons toujours combattu les systèmes qui ont eu pour but ou pour
résultat d'isoler la Belgique, dans ses relations avec les autres nations. Nous
avons cru que la prospérité de la Belgique pouvait facilement se concilier avec
un système de commerce libéral. Tant que nous avons pu, nous avons résisté aux
entraînements et des chambres et du gouvernement pour le système prohibitif.
Sous ce rapport le gouvernement a plus d'un reproche à se faire. Depuis
quelques années, surtout, sa conduite a été marquée au coin d'une versatilité
déplorable. Nous l'avons vu successivement accorder à toutes les industries des
plus grandes protections, puis successivement retirer à ces mêmes industries
ces mêmes protections Dans le traité avec la France n'avons-nous pas vu le
ministère qui, il y a à peine trois ans, avait, par son arrêté du mois de
juillet 1843, excité diverses industries à prendre un plus grand développement,
qui leur avait promis sa garantie, n'avons-nous pas vu le ministère abandonner
cette garantie, retirer ses promesses et ne pas craindre de porter la
perturbation dans les industries qu'il avait cherché à développer ? Cette
conduite, messieurs, ne saurait mériter trop de blâme, et je dois encore, à
l'occasion du traité avec la Hollande, insister sur ces observations.
L'arrêté du mois de juillet 1843 avait eu pour but, entre autres, de
favoriser le développement de certaines industries lainières. Eh bien, par le
traité avec la France, le gouvernement a retiré à l'industrie de Verviers et de
Tournay cette protection qu'il lui avait accordée.
L'arrêté dont il s'agit avait aussi contribué à développer une industrie
drapière dans la province d'Anvers, l’industrie des tissus de laine communs. Eh
bien, par le traité avec la Hollande, cette industrie est tout à coup privée de
la protection qui lui avait été accordée. Cette conduite manque, je ne dirai
pas de loyauté, mais manque entièrement de prudence.
Il n'est ni prudent ni politique ni gouvernemental de jeter ainsi les
industries dans une voie de développement pour ensuite les faire rétrograder,
les condamner à l'inaction ; cela est inconciliable avec l'intérêt bien entendu
de l'industrie, avec les premiers devoirs de tout gouvernement.
Qu'avons-nous fait également pour la pêche ? Il fallait donner à la
Belgique des marins, il fallait à tout prix encourager la pêche, Il n'y a pas
plus de trois ans, en 1842 encore on renforçait les droits en faveur de la
pêche nationale. Eh bien, messieurs, quelques années après, voilà qu'on
abandonne à la Hollande cette industrie qu'on avait voulu encourager.
Je ferai la même observation pour le bétail. On sait que les griefs de
la Hollande contre la Belgique résidaient surtout dans les lois belges sur la
pêche et sur le bétail, et dès l'instant où la Belgique renonçait à ses lois
protectrices, la Hollande n'avait presque plus rien à lui demander. C'est ce
qui a été fait et c'est ce qui explique le traité avec la Hollande. Pour moi,
je ne m'étonne que d'une chose, c'est qu'il ait fallu un temps aussi long pour
le conclure. Nous n'avons rien refusé à la Hollande ; tout ce qu'elle
demandait, nous l'avons accordé. Je ne sais pas si la Hollande a accordé tout
ce que demandait la Belgique, mais il suffit de lire les réclamations contenues
dans la lettre de M, Rochussen, du mois de novembre 184 pour se convaincre
qu'il a été satisfait à toutes les demandes de la Hollande.
Cette instabilité dans la politique commerciale du gouvernement, je la
trouve encore en d'autres circonstances. Les chambres belges avaient accepté
avec le plus grand empressement l'idée de favoriser les relations de la
Belgique avec les contrées transatlantiques par la navigation à la vapeur.
Qu'est-il arrivé ? C'est que le gouvernement, soit mauvais vouloir, soit
inertie, soit incapacité, a laissé périr, misérablement l'entreprise des bateaux
à vapeur vers les pays transatlantiques.
On dira peut-être qu'une acquisition imprudente avait été faite, qu’un
grand navire qui ne convenait pas a été acheté. Mais la question de la
navigation à vapeur vers les pays, transatlantiques ne résidait pas tout
entière dans la British-Queen ; qu'importe après tout
que la British-Queen ait été un bon ou un mauvais
navire ? là n'est pas la question ; et, sous ce
rapport, si une discussion spéciale venait à s'établir, on pourrait démontrer
que ce navire n'était pas aussi mauvais qu'on a voulu le dire. Mais en
supposant que ce navire fût une acquisition malheureuse, est-ce à dire qu'il
fallait abandonner la grande et utile idée de l'établissement d'une navigation
à vapeur vers les Etats Unis ? Voilà l'idée fondamentale qu'il fallait
poursuivre et à laquelle le gouvernement a si. légèrement renoncé, à tel point
qu'aujourd'hui ces relations qui pouvaient devenir si fécondes pour le
développement de l'industrie belge, vont passer au port de Brème et peut-être à
d'autres ports de l'Allemagne, qui hériteront des avantages que la Belgique
aurait pu s'assurer, si l'on avait persévéré dans un système qu'on s'est hâté
d'abandonner à la première apparence d'un échec.
On a tenté aussi une colonisation. Au point de vue commercial, il
pouvait y avoir du bon dans l'idée d'établir des comptoirs belges, sinon une
colonie belge, dans les pays transatlantiques. Quelle a été encore la conduite
du gouvernement dans cette circonstance ? Tandis qu'il semblait vouloir
patronner l'entreprise, il la combattait sourdement ; il prenait officiellement
des engagements pour favoriser l'entreprise, et officieusement il repoussait
ces engagements ; il était accusé de manquer à sa parole ; cette entreprise,
messieurs, vous savez aujourd'hui à quoi elle est réduite ; vous savez ce
qu'elle est devenue.
Vient maintenant la grande loi des droits différentiels. La chambre
s'est livrée à de longues enquêtes ; de longs débats avaient eu lieu ; le
pavillon national à la main, le ministère marchait fièrement à la conquête des
marchés transatlantiques ; il tenait dans ses mains les (page 1969) destinées du littoral ; il fallait que les destinées du
littoral s'accomplissent ; quelques souffrances intérieures pourraient en
résulter, quelques industries intérieures pourraient se plaindre ; mais il
importait peu, il était temps pour le pays que les destinées du littoral
s'accomplissent. Eh bien, comment lesi destinées du
littoral se sont-elles accomplies ? Quel a été le résultat de cette grande loi
des droits différentiels ? Où est cette prospérité tant promise par le
ministère et par un honorable membre de Thielt, qui ne paraît pas présent en ce
moment.
M. de Foere (placé derrière l'orateur). -
Pardon, je vous écoute.
M. Rogier. - S’il est présent, c'est pour assister aux funérailles des dernies
restes de cette loi dont il peut revendiquer en grande partie l'honneur.
Cette loi des droits différentiels, nous n'en avons pas été partisan, nous n'avons pas cru qu'elle pût produire les
grands résultats qu'on promettait au pays ; mais enfin cette loi avait été
votée et elle l'avait été à la suite d'une longue enquête. Le gouvernement
s'était déclaré franchement partisan de cette loi, il croyait qu'elle devait
produire de merveilleuses conséquences pour la prospérité commerciale du pays.
Mais encore une fois, qu'est devenu le système du gouvernement ? Y
a-t-il persisté pendant deux ou trois années ? Non, pendant la discussion même,
par suite de l'esprit de versatilité qui le distingue, le gouvernement a
abandonné une partie de son système, au moment où il venait le présenter à
cette chambre. Depuis lors, chaque loi commerciale nouvelle a été, pour ainsi
dire, un démembrement de la loi des droits différentiels.
M. le ministre des affaires étrangères, qui a eu sa part dans cette
grande loi qui devait développer d'une manière si large notre prospérité
commerciale, tâche encore de la défendre ; il cherche à nous démontrer que
cette loi n'est pas morte, qu'elle est encore pleine de vie, qu'elle peut
encore produire de grands résultats ; mais je dois dire qu'à la manière dont M.
le ministre des affaires étrangères nous expose ses motifs d'espérer, il n'a
pas une conviction bien profonde sur les résultats de ce qui peut encore rester
de cette loi. Je crois que sa conviction à cet égard, il est trop éclairé pour
qu'il en soit autrement, est singulièrement ébranlée et qu'il sera bientôt
forcé de reconnaître que cette loi n'existe plus en réalité, qu'elle a fait son
temps. Pour ma part, je ne le regrette pas, car je crois que celle loi ne
pouvait pas donner à notre commerce cette prospérité qu'on lui a faussement
promise ; mais ce que je regrette, c'est la versatilité, l'instabilité d'un
gouvernement qui ne sait pas persister deux ou trois ans dans un système
quelconque. J'aimerais mieux voir le gouvernement épuiser jusqu'au bout un
mauvais système, que de le voir passer alternativement de l'un à l'autre, et
traiter d'une façon si légère et si cavalière les intérêts du pays.
L'on nous dit que les droits différentiels ont amené pour le pays de
grands avantages. Entendons-nous. La loi des droits différentiels était une loi
commerciale destinée à profiter au littoral du pays, non à telle ou telle
industrie particulière. Qu'est-il arrivé ? C'est que cette loi on en a fait
usage pour favoriser telle ou telle industrie particulière du pays, non pour
favoriser le développement commercial comme on l'avait promis.
Le traité avec le Zollverein a détruit en partie la loi des droits
différentiels ; qu'est-ce que le commerce y a gagné ? On a favorisé l'entrée
des fontes en Allemagne, mais cela ne fait rien à la prospérité du littoral.
Par le traité avec la Hollande, certains produits industriels vont être
favorisés, je m'en félicite, je ne regrette pas ce résultat, mais qu'est-ce que
le littoral aura gagné ? Mais, dit-on, par ce traité avec la Hollande vous
allez obtenir un avantage immense, inattendu, inespéré, vous vous êtes ouvert
ce qui jusque-là était considéré comme irrévocablement fermé pour vous, vous
allez pouvoir faire le commerce avec Java. Pouvons-nous y importer nos produits
avec pavillon national ? Non ; nous pourrons sortir de Java avec un droit de
faveur, mais avec un droit supérieur encore à celui imposé au pavillon hollandais.
Il ne suffit pas de pouvoir sortir, il faudrait pouvoir y entrer ; alors je
comprendrais le bienfait de cette disposition. Si des navires belges, exportant
des produits de l'industrie belge, pouvaient entrer à Java avec un droit de
faveur, je dirais qu'il y a là un grand avantage.
Mais il n'en est pas ainsi. Tout ce que nous obtenons, c'est un droit de
faveur à la sortie de Java, et de peur que notre commerce ne prît trop de
développement, on a eu soin de limiter la quantité de marchandises qu'il pourra
exporter au droit réduit ; au-delà de 8 mille tonneaux, notre commerce retombe
dans le droit commun. Huit mille tonnes ; ce serait le chargemenl
de 16 navires en les supposant de 500 tonneaux.
On a eu soin de nous dire qu'il y avait d'autant moins d'inconvénients à
admettre cette limite que jamais nous n'atteindrions ce maximum de 8 mille
tonneaux. Si cela est vrai, je demande où est l'immense avantage que nous avons
obtenu par cette concession. Je me demande en outre pourquoi on irait chercher
à Java du café que nous pouvons obtenir dans les entrepôts hollandais et
importer dans le pays aux mêmes droits que si nous allions les chercher à Java.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Pas au
même droit.
M. Rogier. - Il y a quelques centimes de différence, il ne faut pas m'interrompre
pour si peu de chose.
Le café que nous importons de Java, nous l’importons au droit de 9 fr.
et le café que nous importons des entrepôts hollandais, nous le recevons au
droit de 9 fr. 99 c. Voilà la grande faveur que nous obtiendrons. Eh bien, je
dis qu'il sera beaucoup plus simple d'aller chercher le café dans les entrepôts
hollandais que d'aller le prendre aux Indes néerlandaises.
Le café donc très probablement continuera à nous venir des entrepôts
hollandais.
Ainsi, messieurs, cette grande faveur, la seule faveur commerciale qui
résulte du traité, cette grande faveur, pour ma part, il m'est impossible de
lui donner la portée que M. le ministre a bien voulu lui assigner.
C'est une faveur sans doute que d'être admis à la sortie de Java à un
droit différentiel, mais cette faveur est bien peu de chose ; et si c'est là le
grand résultat que l'on devait attendre de la loi des droits différentiels, si
c'est ainsi que les destinées du littoral doivent s'accomplir, oh, messieurs,
on s'est livré à de grandes illusions, lorsqu'on nous a présenté cette loi
comme devant affranchir le commerce, comme devant lui assurer une prospérité
inouïe jusqu'à ce jour.
On a reproché à mon honorable ami M. Osy d’être en contradiction avec
lui-même à l'égard de Java. On lui a dit : Vous soutenez que le pavillon belge
ne profitera pas du droit différentiel de sortie à Java, et dans la discussion
des droits différentiels vous avez annoncé que les navires belges pourraient
aller chercher le café à Java. Messieurs, je crois que l'honorable M. Osy avait
raison dans l'hypothèse où il s'était placé. Il supposait alors que nous
n'aurions pas à recevoir des entrepôts hollandais le café de Java au prix
réduit de 9 fr. 99 c. Mais du moment que nous devions recevoir des entrepôts
hollandais le café à peu près au même droit que s'il venait directement des
Indes néerlandaises, il était évident que cette opération ne pouvait plus se
faire.
On dira peut-être que nous pourrons aller chercher aux colonies
hollandaises tout le café dont le pays aura besoin au-delà des 7 millions
privilégiés. Mais ne perdons pas de vue que la consommation du café hollandais
est limitée dans le pays, et que dans tous les cas si nous allions chercher de
Belgique du café à Java au-delà des 7 millions de kil.,
ce serait au préjudice du café que nous allons chercher au Brésil et ailleurs,
là où nous devons aussi tendre à établir des relations. Car il ne serait pas
avantageux au pays de concentrer tontes ses relations commerciales sur un seul
point. Il est utile que ces relations s'étendent à divers pays. Il serait bon
que nous eussions des relations avec Java, je le reconnais, mais il est bon
aussi que nous ayons des relations avec d'autres contrées, avec les Etats-Unis,
et notamment pour ce qui concerne le café, avec le Brésil.
En résumé, messieurs, et tenant compte des moments de la chambre et de
son impatience, je dirai que le traité je l'accepte d'abord, parce que c'est un
acte qui lie deux gouvernements, et qu'avant d'en venir à rejeter de pareils
engagements, il faut être assuré que des inconvénients beaucoup plus graves ne
surgiraient pas du retour à l'ancien statu quo que du régime nouveau que le
traité est destiné à établir.
Je l’accepte aussi, parce que j'y vois, de la part du gouvernement et de
la part de la chambre qui le votera, un pas nouveau dans la voie des libres
échanges.
j'y vois une tendance vers cette liberté commerciale, qui,
successivement, sagement établie, peut amener pour la nation de plus grands
avantages que le système restrictif dans lequel on s'est lancé, suivant moi,
avec imprévoyance ; système restrictif que l'on a été successivement obligé
d'abandonner, au grand détriment de certaines industries dont il avait provoqué
le développement.
J'ai dit le côté qui me plaît dans le traité. J'espère qu'avec le temps,
nos relations avec la nation hollandaise à laquelle nous n'avons jamais fait la
guerre, deviendront de plus en plus intimes.
Nous avons, messieurs, intérêt à nous allier
avec la Hollande. Si la Hollande n'a pas entièrement les mêmes institutions que
nous, elle a au moins au point de vue de son indépendance le même intérêt que
nous. Sous ce rapport nous pouvons y trouver un appui, nous pouvons encore y
rencontrer des frères.
Mais là s'arrêtent mes vœux ; et tous les efforts, toutes les
espérances, qui par-delà la frontière pourraient avoir en vue un autre
résultat, et tendre à nous ramener à un régime que nous avons à jamais exclu,
ces espérances, ces efforts, je le répète, nous les combattrons à outrance et
toujours.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). -
Messieurs, l'honorable 31. Rogier a beaucoup plus attaqué la politique commerciale
du gouvernement depuis quelques années, qu'il n'a attaqué le traité en
lui-même. En effet, messieurs, en ce qui concerne le traité, l'honorable membre
a présenté beaucoup d'allégations, mais des faits, je n'en ai trouvé aucun, au
moins qui puisse détruire les arguments que j'avais présentés hier.
L'honorable membre a affirmé que le traité était la destruction de la
loi des droits différentiels ; que c'était la ruine de
la pêche et le retrait des protections accordées à certaines industries. Mais,
je le répète, des faits et des raisons à l'appui de ces allégations, il a
trouvé bon de ne pas en donner.
L'honorable membre a reproché au gouvernement d'avoir depuis quelques
années accordé des protections successives à certaines industries et à notre commerce
maritime. Il a rappelé la protection accordée au bétail par la loi de 1835, aux
céréales par la loi de 1834, à la pêche par la loi de 1842, au commerce
maritime par la loi des droits différentiels, et il prétendu que successivement par le traité français,
par celui du 1er septembre, et par le traité du 29 juillet, le gouvernement
avait retiré l'une après l'autre les faveurs de tarif qu'il avait offertes à
chacune de ces industries ; et il a qualifié cette politique de politique de
versatilité.
L'honorable préopinant oublie une chose que j'ai déjà eu l'occasion de
faire remarquer hier : lorsque le gouvernement a-augmenté la (page 1970) protection à l'égard de
certaines industries, et de la navigation nationale, ne poursuivait-il pas un double
but ! Le premier était de procurer à l'industrie et au commerce une situation
meilleure ; le second était de créer des éléments de négociation avec les pays
maritimes et industriels.
Si nous avions suivi les conseils de l'honorable M. Rogier et de ses
amis, si nous avions conservé un tarif libéral qui ne nous permettait de faire
aucune concession aux nations avec lesquelles nous avions intérêt de négocier,
aurions-nous fait le traité avec le Zollverein ? Aurions-nous fait le traité du
29 juillet ? Evidemment non. Sans la loi des droits différentiels, le traité
avec le Zollverein et le traité du 29 juillet étaient impossibles.
Dans le traité du 1er septembre, quelles concessions avons-nous faites
au Zollverein ? La seule concession importante que nous lui ayons faite a été
l'assimilation de pavillon ; or cette assimilation au pavillon national, avant
la loi du 21 juillet 1844, n'avait presque aucune valeur, puisque la protection
différentielle était nulle. C'est parce que les droits différentiels ont été
augmentés en 1844 que le traité avec le Zollverein, négocié infructueusement
depuis plusieurs années, a pu être conclu.
Si nous n'avions pas eu les lois de 1835 et de 1843 sur le bétail et les
lois sur la pêche, aurions-nous obtenu les avantages industriels et coloniaux
que renferme le traité du 29 juillet ? Personne n'oserait le soutenir.
Par parenthèse je rappellerai ici à l'honorable M. Rogier que si le
gouvernement a des reproches à se faire, comme il l'a prétendu, d'avoir donné à
la pêche une protection exagérée que, selon lui, on lui retire aujourd'hui, il
est aussi coupable que le ministère actuel. L'honorable membre doit se rappeler
que la protection la plus forte qui ait été accordée à la pêche nationale, l’a
été par la loi du 10 avril 1841 portée sous son ministère, loi qui établissait
un droit prohibitif de 25 fr. par tonneau sur la morue de pêche étrangère.
C'est le cabinet dont l'honorable membre faisait partie qui a accordé cette
protection exorbitante. Si le gouvernement est coupable d'avoir trop protégé la
pêche, l'honorable M. Rogier doit prendre sa part de cette culpabilité.
Nous sommes tous partisans en principe de la liberté commerciale ; mais
de la liberté commerciale à l'aide de traités, c'est-à-dire établie par des
concessions réciproques et successives. Or, cette liberté commerciale à l'aide
de traités n'est pas possible si nous n'avons rien à offrir à l'étranger dans
les négociations. Vouloir procéder par un tarif libéral pour en faire sortir
des traités de commerce, c'est une contradiction.
Le système du gouvernement depuis quelques années, système combattu par
l'honorable membre, est précisément celui-ci : c'est d'arriver à un système de
protection modérée par suite de traités ; c'est-à-dire par l'échange de
concessions mutuelles.
La loi des droits différentiels a été une loi de protection maritime, et
cette protection est loin d'être détruite, mais elle a été aussi une loi
diplomatique qui, sous ce rapport, a amplement produit les résultats qu'en
attendait le gouvernement.
L'honorable membre a soutenu que cette loi était profondément altérée,
qu'elle n'existait plus ; que le traité du 29 juillet était le glas de ses
funérailles. Ce sont là des allégations bien hasardées, bien tranchantes ;
j'aurais voulu que l'honorable membre fût descendu jusqu'aux faits pour en
démontrer la justesse. Le traité du 29 juillet ne fait autre chose que
maintenir l'exception relative aux 7 millions de kilogrammes de café et aux 180
millions de kil. de tabac. Je demande à l'honorable
membre en quoi le traité du 29 juillet en dehors du maintien de ces exceptions,
porte une atteinte sérieuse à la loi des droits différentiels. Les concessions
faites pour le commerce de la Baltique sont-elles destructives de la loi du 21
juillet 1844 ? La protection pour la navigation nationale reste encore assez
élevée pour la plupart de ces provenances.
Est-il, du reste, personne au monde qui ait
jamais songé à développer notre marine dans nos relations avec la Baltique en
concurrence avec la marine des nations du Nord ? Jamais ; c'est une illusion
qu'on n'a jamais eue.
Comme je l'ai dit hier, nos relations dans la mer des Indes, le traité
les rend meilleures.
L'honorable M. Rogier a dit tout à l'heure que la suppression des droits
de sortie sur une exportation de 8,000 tonnes venant de Java serait à peu près
illusoire, que le commerce, pour les cafés par exemple, se ferait toujours par
l'intermédiaire des entrepôts néerlandais et non directement avec Java. J'ai
établi hier la contradiction flagrante qu'il y a entre la thèse que soutiennent
aujourd'hui les honorables MM. Rogier et Osy et celle qu'ils ont défendue, en
1814.
J'ai cité hier les paroles de l'honorable M. Osy.
Je citerai maintenant les paroles de l'honorable M. Rogier.
Voici ce qu'il disait, en 1844, au sujet de l'exception des 7 millions
de kilogrammes :
« Dans l'état actuel du commerce, il aurait pu arriver que le commerce,
faisant de nouveaux efforts, allât à Java et enlevât aux entrepôts néerlandais
une partie des importations ; mais à l'avenir, les entrepôts hollandais
viendront chez nous par un privilège légal. Par les effets d'un commerce chaque
jour se développant, nous aurions pu nous soustraire à ce vasselage hollandais.
M. Rogier. - Je raisonnais dans l'hypothèse où l'exception n'eût pas été admise.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). -
Précisément, mais vous allez voir que c'est exactement la même chose.
En effet, pourquoi l'honorable membre, ainsi que l'honorable M. Osy,
croyaient-ils, en 1844, que l'exception qui admettait au droit de 10 fr. les
sept millions de kilog, de café, était un obstacle à notre commerce direct avec
Java ? Parce que le droit de sortie de 4 florins par picul
établi à Java, rendait le café arrivant directement de la colonie à Anvers,
plus cher que s'il était introduit par Rotterdam, d'où nous le recevions ) un droit exceptionnel de 10 fr. Si le droit
primitivement proposé de 18 fr. 50 c. avait été maintenu, cette différence,
d'après les honorables membres, eût été effacée et le commerce direct avec Java
était possible.
Or, que nous élevions le droit différentiel sur les cafés venant des
entrepôts néerlandais, ou que les Pays-Bas suppriment les droits de sortie à
Java, le résultat est exactement le même.
Les honorables MM. Osy et Rogier ont soutenu en 1844, que sans la faveur
accordée aux entrepôts néerlandais, le café nous arriverait directement des
Indes. Je dis que le café venant directement de Java payant aujourd'hui, en
vertu du traité, un franc de moins par navire belge que par l'intermédiaire des
entrepôts néerlandais, sans tenir compte des frais de détour et d'entrepôts en
Hollande, nous sommes dans la même position et même dans une position meilleure
que celle qui était l'objet des vifs regrets des honorables membres en 1844.
L'honorable M. Rogier me répond : Nous n'irons pas à Java ; notre
navigation de long cours, appropriée au commerce des Indes, n'est pas assez
considérable pour profiter de la clause de l'article 15 du traité ! Mais
serait-ce la faute du traité ? Serait-ce la faute du gouvernement ? Si l'on ne
va pas à Java, c'est qu'on ne voudra pas y aller ; le traité ouvre la voie,
c'est au commerce à faire le reste, et j'espère que l'esprit d'entreprise se
développera assez pour mettre à profit cette faveur que les Pays-Bas nous
accordent.
J'ai dit, dans l'exposé des motifs, qu'en effet la limite de 8,000
tonnes ne serait vraisemblablement pas atteinte d'ici à quelques années. C'est
un regret que j'ai exprimé, mais le commerce belge est trop intelligent pour
négliger d'utiliser les retours qui nous sont assurés dans les colonies
néerlandaises.
L'honorable M. Rogier a fait une autre objection : il a dit que si nous
pouvions jusqu'à un certain point importer peut-être du café et du sucre
directement de Java, nos exportations industrielles vers Java n'en recevraient
pas pour cela de l'accroissement, et que la colonie restait fermée aux
importations des produits belges. Cela est vrai jusqu'à un certain point ; mais
ce que l'honorable membre n'a pas compris, c'est que les retours en denrées
coloniales que nos navires trouveront à Java faciliteront nos exportations vers
Manille, Singapore et la Chine. Nos relations commerciales avec la mer de l'Indo-Chine seront infiniment améliorées par le traité, et c'est
là une des conséquences les plus heureuses de cet acte international.
L'honorable M. Rogier n'avait vu dans la politique commerciale du
gouvernement, depuis cinq ans, que de l'inconséquence et de la versatilité. Je
lui ai démontré qu'il n'avait pas saisi le sens de cette politique qui a été
dirigée, par des efforts constants, vers un but clairement déterminé. Cette
politique commerciale a été d'augmenter modérément la protection industrielle
et maritime pour protéger d'abord ces grands intérêts à l'intérieur et pour se
procurer des moyens de négociation. Ces moyens, nous les avons obtenus, nous
les avons employés, et nous avons réussi.
Mais il est un autre système, un autre but plus général encore que le
gouvernement a poursuivi. Je m'étonne que cette pensée ait échappé à la
perspicacité de l'honorable membre.
Aujourd'hui la Belgique a un système de traités différentiels avec les
puissances qui nous entourent.
Nous avons avec la France des relations sanctionnées par un traité qui
nous assurent sur le marché français des privilèges pour l'industrie linière,
pour notre houille et notre fonte, c'est-à-dire, pour trois de nos grandes
industries.
Le traité du 1er septembre avec le Zollverein nous a accordé sur le
marché allemand un traitement différentiel pour une grande industrie,
l'industrie métallurgique, à laquelle se rattache le sort de notre industrie houilleresse.
Aujourd'hui, avec les Pays-Bas nous avons obtenu un régime différentiel
pour toutes nos grandes industries, des privilèges qui ne sont accordés à
aucune autre nation.
La draperie et les tissus de laine, l'industrie cotonnière, l'industrie
linière, celles du fer, des clous, des verres à vitre, des glaces, les
tanneries, la papeterie, etc., trouveront sur le marché des Pays-Bas, déjà si
important aujourd'hui, les mêmes privilèges que l'industrie métallurgique a
trouvés, en Allemagne, par le traité du 1er septembre, et que l'industrie
linière, la houille et la fonte possèdent sur le marché de la France.
L'article 24 du traité du 29 juillet, dont on a peu parlé et dont j'ai
signalé l'importance, nous donne certaines garanties sérieuses contre
l'extension à d'autres nations des faveurs que le traité consacre pour nous.
Il donne à nos nombreuses industries en relation avec les Pays-Bas la
fixité, la certitude d'avenir qui leur manquait et dont l'absence constituait
le plus grand obstacle à nos exportations vers la Hollande.
Je le demande à l'honorable membre : quelle
est la nation autour de nous qui ait obtenu de tels résultats, qui puisse dire
que sur tous les marchés qui l'environnent, elle a un traitement au partage
duquel aucune autre nation n'est admise ?
Voilà, messieurs, le système dont le gouvernement a poursuivi depuis
quelques années la réalisation, et si l'honorable M. Rogier et l'honorable M.
Osy ne voient dans la politique commerciale du gouvernement qu'inconséquence et
versatilité, qu'ils me permettent de le dire, c'est ne se sont pas placés à un
point de vue assez élevé pour l'apprécier et le juger.
(page 1971) M.
Donny. - Messieurs, je voterai contre le traité
hollando-belge, parce que ce traité doit avoir pour conséquence naturelle, pour
conséquence nécessaire, la ruine de la pêche nationale et, par suite,
l'importation sur le littoral belge de cette misère affreuse qui désole
aujourd'hui le littoral des Pays-Bas.
Mais, messieurs, bien loin de me faire la moindre illusion sur les
conséquences de mon opposition, je ne sais malheureusement que trop que mon
vote est un vote perdu, que mon discours est un discours stérile. Si je prends
la parole, c'est parce que j'éprouve le besoin d'éclairer la chambre et le pays
sur l'étendue du sacrifice auquel des ministres belges ont eu la faiblesse de
souscrire ; c'est parce que je tiens à redresser des erreurs, à combattre des préjugés
généralement répandus dans le pays et qui se sont fait jour jusque dans cette
enceinte, c'est, enfin, parce que je veux signaler à la chambre les
conséquences amères qui doivent un jour succéder aux avantages, bien dangereux
selon moi, que le traité accorde aujourd'hui à quelques industries.
Chez toutes les nations maritimes la pêche nationale est un objet de
vive sollicitude : on la protège contre la concurrence étrangère par des droits
élevés, par des droits prohibitifs, par des prohibitions formelles, et de plus,
on l'encourage par des primes de diverse nature. Cette sollicitude est générale
chez toutes les nations maritimes, et pour être aussi générale, il faut bien
qu'elle soit justifiée par de bons motifs.
Je puis, messieurs, vous signaler quelques-uns de ces motifs.
D'abord, messieurs, si la pêche n'était pas favorisée d'une manière
extraordinaire, les particuliers ne pourraient se livrer à cette industrie,
parce que la pêche est non seulement une industrie purement aléatoire, mais
encore une industrie aléatoire de telle nature que les chances de bénéfice sont
extrêmement limitées dans leurs résultats, tandis que les chances de perte sont
immenses. En effet, que peut gagner l'armateur lorsque les circonstances lui
sont extrêmement favorables ? Il peut importer quelques paniers de poisson
frais, quelques tonnes de morue, quelques tonnes de hareng de plus qu'à
l'ordinaire, et de ce chef, il peut, cette année-là, voir augmenter de quelques
pour cent l'intérêt de son capital ; mais quand les circonstances tournent
contre lui, il peut non seulement ne retirer aucun intérêt de son capital, ou
perdre une partie de celui-ci, mais il peut en un seul instant voir s'engloutir
ce capital tout entier.
Il faut donc bien que l'on trouve à côté de cette partie aléatoire si
défavorable quelque chose de certain, quelque rentrée sur laquelle on puisse
compter ; et ce quelque chose de certain consiste d'une part dans les primes
allouées à la pêche, d'autre part dans la certitude d'un débouché pour ses
produits, c'est-à-dire dans une forte protection douanière.
Ensuite, messieurs, la pêche est une industrie importante, non pas
précisément à raison des capitaux qu'elle emploie, car il est beaucoup d'autres
industries qui mettent plus de fonds en mouvement, mais elle est importante
parce qu'elle enrichit le pays non seulement à raison de tout ce qu'elle
produit (et, relativement parlant, elle produit beaucoup), mais encore à raison
de tout ce qu'elle consomme, et elle consomme beaucoup. Dans la pêche tout est
bénéfice, non pas pour l'armateur, l'armateur périt souvent, mais pour le pays.
Enfin, messieurs, on vous l'a souvent dit, et le gouvernement lui-même a
tenu ce langage ; la pêche est la pépinière des matelots. En effet, où
pourrait-on trouver des marins plus intrépides que parmi les hommes qui, dès
leur plus tendre enfance, ont passé leur vie entière à lutter pendant l'été
contre les ouragans et les coups de vent qui règnent constamment à la hauteur
de l'Islande, et à braver, pendant l'hiver, l'intempérie des saisons dans les
parages du Doggersbank.
Si, sous tous ces rapports, la pêche est importante pour tous les pays
maritimes, elle doit l'être surtout pour la Belgique, où elle constituera seule
industrie du littoral. Que la pêche disparaisse et que deviendront l'industrie
des constructeurs de navires, l'industrie des voiliers, l'industrie des
cordiers ? Toutes ces industries accessoires à la pêche doivent souffrir avec
elle, doivent disparaître avec elle.
Et puis, les matelots manquent en Belgique, et à tel point qu'on a déjà
émis l'idée de prendre, dans les hospices et chez les pauvres, les garçons les
plus robustes pour les élever à l'état de marin.
L'importance de la pêche ne sera d'ailleurs contestée par personne ;
elle ne le sera surtout pas par le gouvernement, qui ne voudra certes pas se
mettre en contradiction flagrante avec tout ce qu'il a dit, avec tout ce qu'il
a fait depuis seize ans. Non, le gouvernement ne conteste pas l'importance de
la pêche, mais il fait bien pis : il la sacrifie, et je vais le démontrer.
Le traité permet à la Hollande d'importer en Belgique 2 millions de
kilog. de poisson frais, aux droits de 5 fr. le 100
kil. de poisson commun et de 9 fr. les 100 k. de
poisson fin. D'après les chiffres de la section centrale, et je dirai, eu
passant, que, pour ne pas établir une discussion sur les chiffres, discussion
plus ou moins oiseuse en ce moment, j'accepte les chiffres de tout e monde,
même ceux que je puis contester : d'après les chiffres de la section centrale,
le rapport entre l'importation du poisson commun et l'importation du poisson
fin, est de 4 à 1, c'est-à-dire que sur 2 millions de kilog. de
poisson frais, la Hollande importera probablement un million et demi de poisson
commun, à raison de 5 fr. et un demi-million de poisson à raison de 9 fr.
Après l'importation de ces quantités, la Hollande rentrera dans le droit
commun, elle payera le droit actuel de 12 fr. par 100 kil.
Voilà le système établi par le traité.
Je vous dirai maintenant qu'en adoptant ce système, le gouvernement a
fait un libre choix, car il a eu à choisir entre le système de limitation, tel
que je viens de l'indiquer, et un autre système qui consistait à permettre
l'entrée du poisson frais en Belgique, sans limitation, mais aux droits de 6
fr. par 100 kil. de poisson commun et de 10 fr. par
100 kil. de poisson fin.
Ainsi le gouvernement pouvait obtenir des droits plus élevés sans
limitation, mais il a choisi des droits moins élevés avec limitation. Pourquoi
a-t-il préféré ce système de limitation ? Evidemment parce qu'il était
convaincu que la Hollande se trouve en position d'importer en Belgique des
quantités de poisson frais beaucoup plus considérables que deux millions de
kil. S'il en était autrement, si le gouvernement n'avait pas cette conviction
profonde, la limitation ne serait plus qu'une indigne mystification, destinée
uniquement à masquer l'étendue des concessions qu'on a faites à la Hollande ;
mais je le répète, je reconnais que le gouvernement est de bonne foi, qu'il est
convaincu de l'utilité de la limitation, qu'il est convaincu que la Hollande
pourrait nous envoyer beaucoup plus de poisson frais, si la limitation
n'existait pas.
Sans examiner si le gouvernement a tort ou
raison dans ses convictions, j'ai le droit de les prendre pour base de mon
argumentation, de me placer en quelque sorte sur son terrain et je le fais.
Il doit résulter de ce que je viens de dire que la Hollande pouvant nous
envoyer des masses de poisson frais, commencera par importer chez nous les deux
millions de kilog. qu'on lui permet d'importer à des droits réduits, et
qu'après cela, elle nous enverra de plus au droit actuel de 12 fr. les 100
kilog., tout ce qu'elle nous importe aujourd'hui, c'est-à-dire 712,000 kilog., d'après
les chiffres ministériels. Ce qu'elle nous importe aujourd'hui au prix de 12
fr., pourquoi ne pourrait-elle pas l'importer demain au même taux ? Elle nous
enverra donc d'abord deux millions, ensuite 712,000 kilog.,
soit un total de 2,712,000 kil. de poisson frais.
Quelle est la consommation de la Belgique en poisson frais ? le gouvernement indique le chiffre de 5 millions de kil. Ce
chiffre est trop fort, mais je l'ai déjà dit, je ne veux pas établir une
discussion sur les chiffres, j'accepte la consommation de 5 millions de kil. La
Hollande importera 2,712,000 kil. et
la Belgique ne consomme que 5 millions de kil. ; la
Hollande nous importera donc plus de la moitié de la consommation du pays en
poisson frais !...
J'ai maintenant, toujours en me plaçant sur le terrain du gouvernement,
j'ai un raisonnement analogue à faire pour la morue. Mais comme la section
centrale porte le chiffre de la consommation de la morue à 15,000 tonnes, et
que j'accepte ses chiffres aussi volontiers que ceux du gouvernement, ce n'est
plus la moitié de la consommation que la Hollande pourra fournir, mais ce sera
beaucoup plus du tiers, ce sera d'abord une quantité de 5,000 tonnes au droit
réduit de 10 francs ; viendront ensuite 1,400 tonnes au droit actuel de 25 fr.,
autant qu'elle nous en importe aujourd'hui, ainsi que M. le ministre des
affaires étrangères nous l'apprend dans ses tableaux ; elle nous enverra donc
6,400 tonnes de morue pour une consommation de 15,000 tonnes ; c'est, comme je
l'ai dit, beaucoup plus du tiers.
Maintenant je demanderai et à tous les honorables industriels qui
siègent dans cette enceinte, et à tous ceux de mes honorables collègues qui ont
des connaissances spéciales en industrie, et au gouvernement lui-même, quelle
est en Belgique, chez nos voisins, dans le monde entier, l'industrie qui,
travaillant uniquement pour le marché intérieur, puisse se maintenir, lorsque
tout d'un coup, sans transition aucune, on jette sur ce marché des quantités de
marchandises similaires étrangères, devant être vendues immédiatement et
s'élevant à plus de la moitié de la consommation pour une partie, et à plus du
tiers de la consommation pour le restant ?
Evidemment une industrie placée dans cette position, une industrie
frappée aussi rudement, aussi inopinément, sans transition aucune, doit
disparaître d'emblée, ou succomber à la longue, en commençant par restreindre
considérablement sa production. Mais restreindre considérablement sa production
en fait de pêche, savez-vous ce que c'est, messieurs ? Mais c'est désarmer une
partie considérable de sa flotte, c'est jeter sur le pavé, dans la misère, dans
la mendicité, un nombre considérable de pêcheurs et avec eux leurs malheureuses
familles.
Et ici, ce résultat est d'autant plus inévitable que d'un côté, le
compte général des armements à Ostende, clos au mois d'avril dernier, a donné,
non pas un bénéfice, mais de la perte ; et que d'un autre côté, la production
de la morue dépasse les besoins de la consommation, à tel point que depuis
plusieurs années l'on travaille à restreindre cette production ; à cette fin,
l'on a fait une tentative pour sécher la morue et l'exporter dans le Levant,
tentative qui ne paraît pas avoir réussi, puisqu'elle n'a pas été renouvelée ;
on a distrait de la pêche de la morue quelques bâtiments, qu'on a mis à la
pêche du poisson frais ; l'on a distrait de la pêche de la morue d'autres
bâtiments encore pour les consacrer à la pêche du hareng ; autre tentative, qui
s'annonçait sous d'heureux auspices, que le malheureux traité vient anéantir
pour toujours.
Je sais bien que. dans leur optimisme, MM. les ministres se flattent de
l'espoir que, malgré tous ces désavantages, la pêche belge pourra se maintenir
encore ; si MM. les ministres sont sincères quand ils expriment cette
espérance, c'est parce qu'ils aiment à se faire illusion, à s'étourdir sur les
conséquences des fautes qu'ils ont commises ; mais je ne crains pas de le leur
prédire (ils peuvent prendre acte de mes paroles) cette illusion ne sera pas de
longue durée ; d'ici à quelque temps, ils commenceront à recevoir des rapports
officiels, qui leur apprendront le (page
1972) désarmement successif de notre flotte, le licenciement successif de
nos équipages. (Interruption.) Il y
aura, comme le dit fort bien l'honorable M. Rodenbach, à Ostende seul, environ
700 familles réduites à la misère.
Oui, le moment n'est peut-être pas éloigné où le gouvernement apprendra
officiellement que cette population de pêcheurs, aujourd'hui si heureuse, si
belle, si pleine d'énergie, se trouve réduite à tendre la main, dans les rues
d'Ostende, à l'aristocratie européenne tout entière, en disant. : "Faites
l'aumône aux malheureux pêcheurs ostendais, précipités de l'aisance dans la
mendicité par la faute du gouvernement belge. »
Mais on dira, et ici je rencontre une objection qu'on a déjà faite, on
dira : Comment pouvez-vous croire que la pêche belge sera anéantie, alors qu'on
lui conserve des primes considérables, alors qu'on maintient, en partie, la
protection du tarif actuel et que les droits réduits conservent encore eux-mêmes
le caractère d'une protection considérée comme suffisante par le gouvernement ;
et puis, dans la supposition que la pêche hollandaise fût mise chez nous sur le
même pied que la pêche belge, pourquoi les pêcheurs belges ne peuvent-ils pas
lutter contre les pêcheurs hollandais ?
D'abord, quant aux primes, il y en a en Hollande, il y en a en France,
il y en a eu Angleterre ; il y en a partout. Dès lors, on est mal venu à parler
de primes comme moyen de protection. Quant aux droits actuels, ils sont
maintenus, il est vrai ; mais, seulement après des introductions qui s'élèvent,
tantôt à la moitié, tantôt au tiers de la consommation du pays.
Quant aux droits réduits, ce n'est pas sérieusement que le gouvernement
présente comme une protection des droits de 5 et de 9 fr. par 100 kilogrammes
de poisson frais, marchandises qu'il faut immédiatement consommer ou jeter, et
que, par conséquent, il faut vendre à tout prix. Comme protection, ces
droits-là sont ridicules comparativement aux droits français qui s'élèvent à 44
fr. Ils sont ridicules comparativement à la prohibition que la Hollande
maintenait encore naguère contre nous et contre toute l'Europe entière. Ils
sont ridicules surtout comparativement à la prohibition que la Hollande
maintient encore aujourd'hui et d'une manière si humiliante pour la Belgique,
en faveur de sa grande pêche au hareng. Mais arrêtons-nous un instant à ces
droits tout ridicules qu'ils sont, et voyons quels effets ils peuvent produire
dans la lutte entre le poisson belge et le poisson hollandais sur les marchés
de la Belgique. Prenons le marché de Bruxelles, et voyons quelle y sera la
position du poisson de Nieuport, d'Ostende et de Blankenberg,
vis-à-vis du poisson hollandais. Le poisson belge n'y arrive que par la voie du
chemin de fer, voie extrêmement coûteuse, tandis que le poisson hollandais y
est apporté, moyennant un fret très léger, dans des bateaux qu'on remplit à
pleine charge, qu'on charge même tellement qu'on en a vu sombrer dans des eaux
paisibles.
Ce n'est pas tout, quand le poisson belge a été cahoté pendant cinq ou
six heures sur les waggons du chemin de fer, il a naturellement perdu ces
belles apparences de fraîcheur, que conserve le poisson hollandais
tranquillement amené en bateau par les eaux intérieures. Il existe ainsi une
double différence en faveur de la Hollande, et des personnes compétentes, qui
n'ont pas l'habitude d'exagérer, sont d'avis que sous ce double rapport,
l'avantage de la Hollande compense largement des droits de 5 et de 9 fr. par
100 kilog.
Ainsi, sur les marchés belges, l'industrie belge et l'industrie
hollandaise auront à lutter à armes égales. Mais, pourquoi donc les pêcheurs
belges ne pourraient-ils soutenir cette lutte à armes égales ? Pourquoi ? Parce
qu'aucun producteur régulier au monde ne saurait lutter contre la misère ;
parce qu'aucun producteur régulier ne saurait lutter contre un concurrent qui
produit beaucoup trop et manque de débouchés ; parce qu'aucun producteur
régulier ne peut lutter contre un concurrent qui doit nécessairement ou vendre
sa marchandise à l'instant même, ou la voir détruire.
Laissez importer librement en Belgique, de la France, de l'Allemagne, de
l'Angleterre, les fonds de magasins, les marchandises provenant de faillites,
en un mot, les marchandises que, pour une cause ou pour une autre, les
détenteurs doivent vendre à tout prix, et vous verrez ce que deviendront la
plupart des industries du pays ! Encore les marchandises dont je parle
peuvent-elles être mises en magasin, attendre l'acheteur et au besoin être
réexportées ; mais pour le poisson, rien de semblable : il doit être vendu de
suite on il doit être jeté.
Quels peuvent avoir été les motifs qui ont déterminé des ministres
belges à sacrifier ainsi une industrie belge ? Fallait-il peut-être, pour
sauver d'une ruine certaine une industrie plus considérable, se résigner à
l'anéantissement d'une industrie moins importante ? Non, personne ne l'a dit,
personne ne le dira, et le gouvernement le dira moins encore que personne.
Si M. le ministre des affaires étrangères croyait pouvoir soutenir une
thèse semblable, pour le réfuter immédiatement et victorieusement je n'aurais
qu'à vous lire une partie du discours remarquable qu'il a prononcé à la séance
du 2 juillet, discours auquel s'est associé par une interruption, son honorable
collègue le ministre des finances, discours confirmé de nouveau par l'honorable
M. Dechamps dans la séance d'hier.
Fallait-il peut-être dans l'intérêt du consommateur belge et pour
protéger celui-ci contre l'avidité des armateurs à la pêche, fallait-il élargir
le cercle de la concurrence hollandaise ?
Je vais examiner cette question avec quelque soin parce qu’à cette
question se rattache un préjugé répandu dans le pays, partagé jusqu’à un
certain point par le gouvernement et par les membres de la chambre ; préjugé
dont je vais faire prompte justice.
De tous les côtés du royaume, on n'entend qu’un cri : Le poisson est
trop cher, il faut chercher les moyens d'en faire baisse le prix. Ce cri est
légitime. Oui, le poisson est trop cher : oui, le poisson est horriblement cher
pour le consommateur ; oui, il faut trouver les moyens d’en faire baisser le
prix, il faut en faire un aliment accessible à la classe moyenne et pour
quelques espèces le mettre à la portée de la classe la plus infime de la
société. Et j'ajouterai, moi, que la recherche, la mise en pratique de ces
moyens est un devoir impérieux qui pèse sur tout homme chargé de
l'administration des intérêts du peuple, qu'il s’appelle ministre du Roi,
gouverneur, député d'un conseil provincial ou simple conseiller communal. Mais
pour trouver ces moyens, il faut commencer par se rendre compte des causes de
la cherté du poisson. C'est sur ces causes que je vais appeler toute votre
attention.
Mais, avant tout, il faut écarter de la discussion une cause qui se
présente plus fréquemment qu'on ne pense, et contre laquelle tous les efforts
des hommes sont impuissants : je veux parler de l'intempérie des saisons. On
conçoit que lorsque le pécheur est retenu dans le port par les vents
contraires, on rencontre sur le lieu de la pêche un temps qui rend la pêche
impossible, ou improductive ; le poisson doit être cher, et ce cas, je le
répète, se présente beaucoup plus fréquemment qu'on ne pense. Mais, veuillez le
remarquer, lorsque le pêcheur belge est dans l'impossibilité de pêcher, la même
impossibilité existe pour le pêcheur hollandais qui pêche dans les mêmes
parages. Ainsi, quant à cette cause de cherté, le traité reste impuissant ; le
traité ne fera rien pour le consommateur.
J'arrive maintenant à la cause ordinaire de la cherté, à cette cause à
laquelle il importe de porter remède.
On croirait, au premier abord, qu'il se présente dans la pêche ce qui se
présente dans les autres industries ; que, lorsque le consommateur doit payer
trop cher, cela provient de ce que le producteur est trop avide, de ce qu'il
profite d'une position trop belle, d'un monopole ou d'autres circonstances qui
lui permettent de vendre à des prix trop élevés. C'est ce qu'on croit dans le
pays, c'est ce que croient quelques-uns de nos honorables collègues, confirmés
sans doute, dans cette opinion, par les inductions qu'ils tirent de quelques
passages de l'exposé des motifs et du rapport de la section centrale. C'est là
une erreur évidente, une erreur grave, je vais le démontrer.
Dans l'exposé des motifs, le gouvernement nous a dit que le producteur
vendait la tonne de morue, prix moyen, à 40 fr. M. le ministre des affaires
étrangères me permettra de lui faire observer que ce chiffre est trop élevé,
mais je l'accepte comme exact. Pour vendre une tonne de morue à 40 fr., le
producteur a dû commencer par payer pour la tonne, pour le sel et pour quelques
autres menues dépenses indispensables, une somme que je porte à 7 fr. Ce
chiffre, assurément, n'a rien d'exagéré. Il faut donc réduire à 33 fr. le
produit du poisson que renferme une tonne de morue, Cette tonne fournit à la
consommation environ 500 livres de morue détrempée, telle qu'on la livre au
consommateur. 300 livres de morue pour 33 fr., cela revient à 11 centimes la
livre. Voilà ce que le producteur retire de la pêche.
Pour le poisson frais, le calcul est un peu plus compliqué ; cependant
je suis à même de fournir à la chambre des données tout aussi précises, tout
aussi certaines.
A Ostende, tout le poisson frais se vend publiquement, par le ministère
d'un agent spécial. Cet agent est obligé de tenir un registre exact et détaillé
de tout ce qui se vend, et ce registre est la seule base qui sert à établir la
comptabilité des pécheurs et des armateurs. Il doit donc être tenu exactement ;
il présente donc nécessairement le véritable état des choses. Les armateurs
d'Ostende ont remis à M. le ministre des affaires étrangères le relevé exact de
ce registre pour les ventes faites pendant les trois derniers mois de 1845, et
M. le ministre des affaires étrangères a fait mention de ce relevé dans
l'exposé des motifs, page 12, en note. D'après les résultats de ce relevé, le
poisson frais s'est vendu, pendant les trois derniers mois de l'année dernière,
à raison de 18 fr. 57 c. les 100 kilogr. Ce bas prix
ne vous surprendra pas lorsque vous verrez dans la même note du gouvernement,
qu'en Hollande le prix du poisson frais ne s'élève qu'à 11 fr. les 100 kilog.
Mais peut-être trouverez-vous que nous sommes déjà un peu loin de 1845 ;
peut-être voudrez-vous savoir quels sont les prix à une époque plus rapprochée
de nous ; peut-être aussi demanderez-vous à connaître l'effet des représailles
sur les prix des producteurs belges. Je suis à même de vous présenter des
données positives à cet égard. Je tiens en main et à la disposition de la
chambre, la feuille d'Ostende du dimanche 14 juin 1846. Cette feuille indique
exactement le prix auquel s'est vendu le poisson frais rendant la semaine
précédente. Faisant abstraction de ce qui s'est vendu à la pièce, et dont le
prix varie d'après la taille, je vous dirai que le panier de 100 livres,
contenant soixante et dix couples de soles, s'est vendu cette semaine-là 13
fr., c'est-à-dire à raison de 13 c. la livre de poisson ; que le panier de 100
livres de raies contenant environ 20 pièces a été vendu à 7 francs,
c'est-à-dire à 7 c. la livre ; que le panier de 100 livres de plies contenant à peu près 70 pièces s'est vendu 4 fr. 50
c, c'est-à-dire 4 c.1/2 la livre ; c'est à meilleur marché que ne se vendaient
les pommes de terre à la même époque !.. 11 c. la livre de morue, 15 c, 10 c, 7
c, 4 c. 1/2 la livre de poisson frais, est-ce trop cher ? Je vous le demande à
vous tous, je le demanderais plus volontiers à vos ménagères qui à Bruxelles sont
dans l'habitude de payer (page 1973)
la morue à 50 c. la livre et le poisson frais à raison de 1 fr. la livre et
souvent plus cher encore.
Vous me demanderez comment cela est possible ; vous me demanderez
comment il peut se faire que le consommateur paye tant et que le producteur
reçoive si peu. Vous me demanderez ce qui se trouve entre le producteur et le
consommateur. Je vais vous le dire, messieurs, et ceci mérite encore toute
votre attention.
Il y a d'abord le transport de la marchandise, mais bien que ce
transport par le chemin de fer soit assez élevé, ce n'est là que très peu de
chose comparativement au reste, et je n'en fais en quelque sorte mention que
pour mémoire.
Il y a en second lieu les taxes municipales, taxes municipales souvent
exorbitantes quant à leur taux et qui le deviennent plus encore par le mode de
perception. Généralement ce droit se perçoit à la valeur ; mais non pas sur
cette valeur minime que reçoit le producteur, mais sur une valeur beaucoup plus
élevée fixée par la vente de la minque. De telle sorte que presque toujours le
droit d'octroi s'élève à beaucoup plus que le prix principal encaissé par le
producteur.
Ce n'est pas tout encore... (Interruption.)
Je prierai l'honorable M. de Man qui a bien voulu me demander des
détails sur ce point, de me prêter un instant d'attention. C'est en partie pour
lui que j'en donne.
Indépendamment des frais de transport, indépendamment des droits
d'octroi, il y a encore dans plusieurs villes un système tout à fait
irrationnel, tout à fait injustifiable, qui, contrairement sans doute aux
intentions de ceux qui en sont les auteurs, tend à restreindre la consommation,
et à favoriser le monopole des vivres, système dont le résultat doit être,
jusqu'à un certain point, d'affamer le peuple pour enrichir des bouchers, pour
enrichir des poissonniers. (C'est très
vrai !)
Voilà ; messieurs, ce qui se trouve entre le producteur et le
consommateur, voilà les causes de la cherté du poisson. Et faut-il vous le dire
? après la mise à exécution du traité, ces causes
existeront comme aujourd'hui. Faut-il vous dire que dès lors le traité n'aura
aucune influence sur le prix du poisson ? Et cependant on s'imagine en général
dans le pays qu’aussitôt le traité mis à exécution on achètera le poisson à des
prix extrêmement modiques comparativement à ce qu'on le paye aujourd'hui.
C'est une erreur, une erreur évidente, j'espère l'avoir détruite, et en
tout cas, l'avenir la fera disparaître mieux encore que ne le peuvent mes
paroles.
Mais si le sacrifice de la pêche n'a été commandé ni par la nécessité de
sauver d'une ruine certaine quelque branche plus importante de notre industrie,
ni par la nécessité de protéger le consommateur contre l'avidité des
producteurs, à quoi donc faut-il attribuer la malheureuse idée que le gouvernement
a eue de sacrifier la pêche nationale ? Il n'y a, messieurs, qu'une seule
explication possible de cette conduite, et cette explication se résume en un
seul mot : le gouvernement a été faible, excessivement faible.
Il a été faible à l'intérieur, il a été faible vis-à-vis de l'étranger,
il a été faible avant la négociation de La Haye, pendant les négociations de La
Haye, et même, après les négociations de La Haye. Je répéterai mes paroles, si
elles sont contestées ; mais j'ai déjà parlé trop longuement pour développer en
ce moment cette thèse, fondée sur une conviction profonde. Toutefois, si l'on
veut m'attirer sur ce terrain, je suis prêt à m'y placer, et alors je saurai
justifier, sous toutes ses faces, l'allégation que je viens d'émettre.
Je veux, pour le moment, me borner à un seul fait ; et je choisis
celui-là, parce c'est un acte de faiblesse tellement caractérisé, qu'à
l'exception peut-être de messieurs les ministres, personne ne viendra lui
contester la qualification que je lui donne.
Lorsque deux nations également indépendantes, également jalouses de leur
dignité, négocient un traité, la première règle qu'elles posent dans les
négociations, c'est la réciprocité dans toutes les stipulations qui en sont
susceptibles.
Je ne veux pas dire, messieurs, qu'il y ait toujours une juste
réciprocité de fait ; mais il y a réciprocité de stipulations. Lorsqu'on
s'écarte de cette règle, ce n'est que par exception, et c'est toujours pour des
causes graves, pour des causes que la raison puisse avouer.
Or, dans le traité qui vous est soumis, on a, à la vérité, stipulé la
réciprocité pour les pavillons ; on a stipulé la réciprocité pour
l'introduction de la morue dont nous n'introduisons jamais une seule tonne en
Hollande ; la réciprocité pour l'introduction du poisson frais, dont nous ne
vendons jamais un seul panier à nos voisins. Mais on a fait une exception à la
règle de réciprocité, en ce qui concerne le hareng salé. On a permis à la
Hollande d'importer en Belgique le hareng salé de sa pêche en quantité
indéterminée, et cela à un droit qui, comparé à la valeur de la marchandise,
est cent fois plus ridicule encore que le droit de 5 centimes par kilog. de poisson frais. Et tout en permettant à la Hollande cette
importation gratuite, on a défendu à la Belgique d'importer en Hollande un seul
hareng salé provenant de la pêche belge, quels que fussent les droits que l'on
voulût payer.
Liberté entière pour la Hollande sur le marché belge ; prohibition
complète, absolue contre la Belgique sur le marché hollandais.
Quels sont, je le demanderai, quels sont les motifs d'une concession
aussi énorme, d'une concession aussi exorbitante ? Messieurs, il n'y en a qu'un
seul : la Hollande l'a voulu ainsi et la diplomatie belge a humblement courbé
la tête devant la volonté de la Hollande. Pour vous faire comprendre combien
cette concession est empreinte de faiblesse, combien cette concession est
humiliante pour la Belgique, je vais en deux mots vous mettre sous les yeux la
position de l’industrie du hareng dans les deux pays.
Eh Hollande la grande pêche du hareng est une industrie ancienne, une
industrie puissance, une industrie formée par de vastes associations, bien plus
développée dans ce pays que chez nous : c’est une industrie soutenue par une
réputation européenne. En Belgique, au contraire, la pêche du hareng vient à
peine de naître ; c'est une industrie faible encore, créée par des efforts
individuels, une industrie injustement dédaignée par la nation et dont les
produits sont injustement dépréciés dans lie public. En Hollande cette
industrie est un géant, en Belgique c'est à peine un pygmée ; la Hollande a
poussé l'exigence jusqu'à vouloir rendre impossible, matériellement impossible
toute lutte entre le géant et le pygmée ; et la diplomatie belge a cédé devant
un caprice aussi déraisonnable ! On dira peut-être : « Mais il fallait bien
faire quelque chose pour la Hollande ; si nous n'avions pas consenti à cette
stipulation pour le hareng, produit principal de la pêche hollandaise, nous
aurions eu la rupture. » Si l'on tient ce langage, je répondrai dès à présent :
Vous avez reculé devant la rupture, c'est un nouvel acte de faiblesse. Comment
avez-vous pu croire que le gouvernement hollandais se serait présenté devant
les états généraux, devant le haut commerce de son pays, en disant : « Nous
avions obtenu de la Belgique tous les avantages que nous voulions obtenir, des
avantages pour l'importation de notre bétail et de notre poisson sur le marché
belge ; la moitié de la consommation de ce pays en fait de poisson nous était
assurée dès à présent, et en peu de temps nous pouvions l'exploiter tout
entière ; mais nous avons rejeté tous ces avantages pour le seul motif que la
Belgique, par un sentiment de dignité bien naturel, voulait mettre sur la même
ligne par une stipulation de réciprocité, notre vaste pêche du hareng et la
petite industrie similaire, qui vient à peine de naître et qui ne pouvait
raisonnablement nous causer aucun ombrage. » Et vous, ministres, vous,
diplomates belges, vous avez pu croire que le gouvernement hollandais en fût
venu jusqu'à la rupture pour se mettre dans une pareille position ? Oh non ! non, vous ne l'avez point cru ; vous avez été faibles et
c'est là l'explication de votre conduite.
Il me reste, messieurs (et c'est par là que je vais terminer), il me
reste à vous parler des conséquences générales que doit avoir le traité. Le
traité est obligatoire pendant 5 ans. Pendant cette période de 5 années la
position des choses va changer en Belgique, la
position des choses va changer en Hollande.
Voyons quel sera le résultat de ce changement. En Hollande, pendant 5
ans l'industrie secondée par le commerce aura étendu ses relations en
Angleterre pour l'importation de son bétail, et si, au bout de ces 5 ans, le,
marché belge peut encore offrir quelques avantages à la Hollande, ces avantages
seront minimes, insensibles, comparativement à ceux qu'elle aura obtenues en
Angleterre. On peut donc dire que dans 5 ans d'ici, la Hollande sera
indépendante de la Belgique en ce qui concerne sort bétail.
Quant à la pêche, d'ici à 5 ans, la Hollande aura conquis,
irrévocablement conquis, le marché belge tout entier, et dès lors elle n'aura
plus à craindre que notre gouvernement l'entrave de ce côté.
En Belgique il en sera tout autrement ; les industries qui aujourd'hui sont
favorisées par le traité vont naturellement (et c'est pour cela que le traité
est fait) vont se développer et accroître leurs exportations vers la Hollande ;
et quand le traité sera sur le point d'expirer cet accroissement d'exportations
vers la Hollande qui aujourd'hui n'est qu'une faveur, sera devenu un besoin, un
besoin impérieux, un besoin qui rendra la Belgique dépendante de la Hollande,
un besoin qui pèsera bien autrement sur les ministres d'alors, que les
circonstances qui ont amené le traité ne pesaient sur les ministres
actuellement au pouvoir.
D'un autre côté, le marché belge sera entièrement approvisionné par la
pêche hollandaise ; la pêche belge sera anéantie et anéantie sans retour, sans
qu'il y ait possibilité de la faire revivre, car si le gouvernement à cette
époque faisait quelque tentative dans ce sens, personne n'armerait plus,
personne n'armerait sur la foi d'un gouvernement qui ne sait qu'élever
aujourd'hui une industrie pour l'abattre demain, qui érige même en principe un
système que je combats de toutes mes forces. Vous avez, en effet, entendu il
n'y a pas une heure, M. le ministre des affaires étrangères vous dire que si
nous avions obtenu des avantages sur le marché français, c'est parce que nous
avions eu quelque chose à offrir à la France ; que si nous avons obtenu des
avantages sur le marché allemand, c’est parce que nous avons été à même
d'offrir quelque chose au Zollverein ; que si nous obtenons des avantages sur
le marché hollandais, c'est parce que nous avons été en mesure d'offrir à la
Hollande le sacrifice de notre pêche.
Ainsi le système du gouvernement est celui-ci : il tâchera toujours
d'obtenir sur les marchés voisins une place privilégiée, comme il le dit, pour
certaines industries, mais à quel prix ? Au prix du sacrifice de certaines
autres industries, qu'il aura presque à dessein rendues florissantes pour leur
donner une valeur vénale plus grande, et les livrer ensuite en holocauste à nos
voisins.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Je
n'ai pas dit cela.
M. Donny. - Non, M. le ministre, vous n'avez pas prononcé Isa mêmes paroles,
mais vous avez dit la même chose, au fond.
Maintenant, messieurs, veuillez réfléchir à ceci : que doit-il arriver à
la Belgique, placée dans la position que je viens de définir ? Evidemment le
gouvernement des Pays-Bas qui, lui aussi, a devant lui des assemblées (page 1974) législatives ; qui, lui
aussi, a derrière lui le commerce et l'industrie ; qui, lui aussi, a une patrie
à rendre heureuse, à défendre ; le gouvernement des Pays-Bas ne nous dira-t-il
pas dans cinq ans, soit spontanément, soit forcément, ne nous dira-t-il pas ce
que le ministère français nous a dit naguère, ne nous dira-t-il pas : « Pour
renouveler le traité, il faut que la Belgique donne plus, il faut qu'elle
reçoive moins. » Heureux encore si, voyant la Belgique humiliée et désarmée, il
veut bien se tenir alors dans les bornes de la modération !
Mais s'il se montre rigoureux, sévère, qu'aurez-vous à lui opposer ?
Quelles menaces pourrez-vous appeler à votre secours ? Des droits élevés sur le
bétail ? Mais il n'aura plus besoin de votre marché. Des droits élevés sur le
poisson ? Mais ces droits n'entraveront pas ses exportations, vous ne pourrez
plus vous passer de son poisson ; les droits pèseront non sur la Hollande, mais
sur le consommateur belge. Vous le voyez : la Belgique, sans moyens de
résistance, sans armes, va se trouver à genoux devant la Hollande, et Dieu sait
le sort que la Hollande lui prépare pour ce temps-là !
Quant à moi, quelles que soient les
circonstances qui arrivent, je n'aurai rien à me reprocher ; aucune
responsabilité ne pèsera sur moi ; j'ai donné assez d'avertissements au
pouvoir, j'en ai donné à l'un des membres chargés des négociations ; j'ai
encore aujourd'hui fait tout ce qui dépendait de moi pour éclairer la chambre
et le pays ; et je vais résumer mes efforts dans un vote négatif. C'est tout ce
qu'il m'est possible de faire pour écarter du pays les désastres qui doivent
résulter du traité. J'ai dit.
M. Lebeau. - Messieurs, le ministère trouvera peut-être dans l'appui que je viens
prêter au projet en discussion, une faible compensation du discours plein
d'amertume que vous venez d'entendre ; je ne crois pas que, parmi les
adversaires du traité, personne aille aussi loin, même dans l'opposition, que
l'honorable ami du cabinet qui vient de se rasseoir.
Je dis, messieurs, que je viens offrir une faible compensation à MM. les
ministres ; je viens me déclarer ministériel, et probablement plus ministériel
dans cette occurrence que certains ministres. Je donnerai mon assentiment au
traité actuellement en discussion ; je le lui donnerai, d'abord pour les
stipulations qu'il renferme, puis pour des considérations politiques que je
regarde comme de la plus haute importance.
Je donne mon assentiment au traité, parce qu'il est tout au moins un
temps d'arrêt dans le système des restrictions commerciales. J'y vois plus que
cela, j'y vois un nouveau pas fait avec prudence dans le système de libres
échanges, qui est la grande question à l'ordre du jour dans plusieurs Etats.
J'y vois, messieurs, un système d'humanité et de haute prudence,
l'abaissement, par un acte isolé, il est vrai, mais que je regarde comme le
précurseur d'autres actes de même nature, l'abaissement du prix des substances
alimentaires ; l'abaissement du prix des céréales, de la viande, du poisson,
qui sont la base de l'alimentation des classes les moins aisées et les plus
nombreuses ; j'y vois une tendance à la diminution du prix du café, du tabac,
du fromage, qui sont le très modeste et trop rare superflu d'une très grande
partie de nos concitoyens.
J'y vois encore un abaissement sur le prix des vêtements de la classe la
plus pauvre, sur les étoffes de laine grossière. A cet égard, j'accepterais la
stipulation avec plus de reconnaissance, si elle ne venait de nouveau régler
l'imprévoyance du cabinet qui, dans cette circonstance, comme dans une autre
circonstance toute récente, nous a montré qu'il ne cherchait en quelque sorte à
élever des industries à l'aide de protections, que pour les offrir quelque
temps après en holocauste.
Je me félicite encore de la signature du traité actuel, parce qu'il
donne de plus en plus raison à ceux qui ont combattu, dans cette enceinte, avec
énergie, le système des droits différentiels. Quoi qu'en ail dit M. le ministre
des affaires étrangères, loin que ce projet de loi soit la consécration du
système des droits différentiels, il lui porte la brèche la plus large que ce
système ait jamais reçue. Il ne reste, et c'est notre métropole commerciale qui
vous le dit, il ne reste plus de ce système que les gènes, les entraves que
vous y avez inscrites ; et ce sont ceux qui auraient le plus grand intérêt à ce
que la loi des droits différentiels se développât, si le sort de notre marine
marchande y était réellement lié, ce sont ceux-là qui viennent vous demander
d'en faire disparaître les derniers vestiges.
Il est vrai que du haut de votre science, du haut des panégyriques dont
vous accablent vos amis de la presse ; du haut, sans
doute, de l'opinion d'une fraction du commerce de Bruges, d'Ostende, que
sais-je ! de l'autorité de Neufchâteau, vous affirmez
dédaigneusement que les localités les plus intéressées, qu'Anvers, Gand, Liège,
Mons, Charleroy, Verviers, qui se sont prononcés et qui se prononcent encore
contre la loi des droits différentiels, n'y entendent absolument rien.
Messieurs, je ne veux pas abuser des moments de la chambre, je ne veux
pas prolonger une discussion qu'on peut considérer comme incidentelle
; je crois que cette discussion aura son siège naturel dans l'examen des
propositions qui nous seront faites de la part, si je ne me trompe, des
honorables députés d'Anvers, ou de la part du gouvernement, si le gouvernement
prend l'initiative, lorsqu'il s'agira de la pétition concernant la relâche à
Cowes. Je me réserve d'aborder alors sérieusement la question.
Je ne dirai qu'un mot pour en finir sur ce point : c'est que je suis convaincu
qu'il n'y a pas un des grands traités internationaux que la chambre a été
appelée à ratifier après la loi des droits différentiels, qui n'eût pu être
conclu, sans cette loi, avec la stipulation d'avantages analogues à ceux qui
sont renfermés dans les traités. Et pour n'en citer qu'un exemple, je demande
ce que la loi des droits différentiels a fait à la signature du traité conclu
avec les Etats-Unis ? Je demande quelle différence notable il y a entre le
traité signé en 1840 avec cette puissance, et le traité signé avec le même pays
après la loi des droits différentiels de 1844 ?
Messieurs, si des considérations commerciales nous passons aux
considérations politiques, celles-ci me paraissent militer avec plus de force
encore en faveur du traité qui est soumis à notre sanction.
Personne plus que moi, aux époques même les plus voisines de la
révolution, n'a désiré qu'un rapprochement s'établît entre la Belgique et la
Hollande. Ministre d'un gouvernement pour ainsi dire provisoire, sous la
régence, je m'adressai directement à l'un des ministres du gouvernement des
Pays-Bas, dans le dessein de préparer un pareil rapprochement.
On connaît la libéralité relative du tarif néerlandais ; là nous ne
voyons en général ni droits excessifs, ni prohibitions, ni monopoles. Une
légère déviation, qui, j'espère, ne sera que momentanée, a été apportée par la
loi du 19 juin 1845 au tarif généralement libéral de la Hollande. J'ai la
conviction, je le répète, que cette déviation, contraire aux vrais intérêts
comme aux traditions de la Hollande, ne se reproduira pas.
Je vois dans notre voisin d'outre-Moerdyk une
puissance trop faible pour porter jamais ombrage à notre indépendance ; une
puissance qui a, comme nous, le plus grand intérêt à défendre les doctrines de
paix et de neutralité auxquelles se rattachent si intimement l'intégrité et
l'inviolabilité de nos territoires respectifs. Deux puissances voisines ayant,
sous ce rapport, les mêmes intérêts à protéger, les mêmes périls à courir et à
conjurer, et pouvant mettre en commun deux budgets de cent millions de francs,
et deux armées de cent mille hommes, ces deux nations doivent nécessairement
s'entendre pour veiller sur leur indépendance, sur le maintien de leur
neutralité, sur l'inviolabilité du sol national.
C'était là pour la Hollande le but des traités de barrière.
Nous avons mille fois mieux que ces traités, puisqu'alors la Belgique
était gardée par l'étranger moins pour elle que pour lui, et qu'elle devait
payer ses gardiens, servitude à la fois dégradante et ruineuse, bien propre à
nourrir, à exaspérer la haine nationale contre les auteurs d'une si humiliante
domination.
Aujourd'hui, notre dignité et notre indépendance se concilient avec les
intérêts les plus élevés de la Néerlande elle-même.
L'intérêt des deux pays au jour du danger, si contre toute apparence la
paix du monde venait à être troublée, est de mettre en commun, par une
association aussi honorable qu'intime, tous les moyens de défense dont ils
peuvent disposer, pour l'inviolabilité de leurs territoires respectifs et pour
que leur neutralité reste toujours sincère, loyale, forte, inexpugnable.
Je passe maintenant à l'examen de quelques clauses du traité. Je serai
aussi bref qu'il me sera possible, car il faut du courage pour parler dans un
pareil moment, en présence de la fatigue que doit éprouver la chambre. (Non ! non ! parlez !)
Je commence par l'examen des stipulations relatives aux colonies
néerlandaises. En ce qui concerne l'entrée de nos produits aux colonies
néerlandaises, un de mes honorables amis l'a déjà fait remarquer, nous
n'obtenons rien ; et si nous obtenions quelque chose, nous le partagerions avec
la France et l'Angleterre. En effet l'article premier du traité de 17 mars 1824
entre l'Angleterre et les Pays-Bas est formel sur ce point ; il est ainsi conçu
:
« Les hautes puissances contractantes s'engagent à admettre
réciproquement leurs sujets au commerce avec leurs possessions respectives dans
l'Archipel oriental et sur le continent de l'Inde et dans l'île de Ceylan, et
ce sur le pied de la nation la plus favorisée, etc. »
Il ne s'agit pas, comme on le voit, d'équivalents ; l'assimilation est
de plein droit. La France a été mise sur la même ligne par le traité qu'elle a
conclu avec les Pays-Bas, le 25 juillet 1840. L'article 9 porte :
« Que les hautes parties contractantes s'engagent également à admettre,
sans équivalent et de plein droit, les sujets, navires et produits de toute
nature de l'autre Etat, dans les colonies respectives sur le pied de toute
autre nation européenne la plus favorisée. »
Ainsi assimilation complète de la France et de l'Angleterre à l'entrée
dans les colonies néerlandaises, le jour où le moindre privilège y serait
accordé à la Belgique.
Nous avons à examiner maintenant une stipulation faite spécialement pour
la Belgique, quant à la sortie des colonies néerlandaises. D’abord, sur ce
point l'Angleterre est aussi placée sur la même ligne que nous ; elle y est
placée aussi sans équivalent, de plein droit, sans compensation, car la
disposition du traité que j'ai citée ne distingue point entre l'entrée et la
sortie.
Et la France ? Ne peut-elle pas revendiquer le même droit ?
Je ne crains pas que ma faible autorité puisse servir à la défense des
intérêts français ; dès lors la chambre comprendra que je ne pense pas devoir,
sous ce rapport, mettre grande réserve dans l'observation que j'ai à lui
présenter.
Je suis fâché de ne pouvoir entièrement m'associer aux félicitations
qu'adressent à MM. les ministres leurs organes habituels. Dans leurs chaleureux
panégyriques, ceux-ci n'admettent pas même la plus légère critique du traité ;
ils n'entendent pas, sans colère, la plus légère observation ; ils accusent
presque d'être un mauvais citoyen quiconque ose toucher aux lauriers dont ils
décorent la tête de leurs patrons.
II m'est impossible de ne pas concevoir, en présence du traité conclu (page 1975) le 25 juillet 1840 entre la
France et les Pays-Bas, quelques doutes sur le fondement des prétentions que le
gouvernement français pourrait élever à être, quant au
droit de sortie des colonies néerlandaises, assimilé au pavillon belge.
Je sais que les colonies néerlandaises n'approvisionnent ni la France,
ni l'Angleterre ; mais cette assimilation, que je.ne prétends pas, du reste,
ressortir clairement du traité gallo-néerlandais, peut être réclamée avec les
chances que donne l'ascendant d'une grande puissance sur une petite ; et dès
lors les faveurs qu'on nous accorde deviendraient ainsi à peu près celles de
tout le monde.
J'avoue, encore une fois, que ce droit de sortie pour l'Angleterre et la
France n'est pas d'une grande importance. Je crois que l'Angleterre n'ira pas
chercher beaucoup de produits coloniaux à Java, elle qui est si riche en
colonies. Cependant elle vient de changer son tarif et de faire un pas immense
dans un nouveau système commercial ; elle vient de changer même sa législation
sur les sucres par suite de l'extrême besoin d'approvisionner ses marchés ; je
ne pense pas qu'elle fera fi de cette faculté ; il se peut donc qu'elle prenne
à Java huit mille tonneaux de sucre. Ce n’est pas là, je le reconnais, un
immense avantage pour elle, ni un grand dommage pour nous. Si la France n'était
pas une puissance coloniale et qu’elle eût besoin de chercher du sucre ou du
café à Java, nous avons vu, qu'elle ne manquerait pas de motif ou au moins de
prétexte pour s'y faire admettre aux mêmes avantages que nous.
Le traité, outre les stipulations coloniales, contient des dispositions
relatives à l'entrée des produits belges sur le sol néerlandais. Il nous a été
démontré que ces avantages étaient encore considérablement restreints, parce
que nous sommes exposés à les partager avec l'Angleterre. Je suppose que sur ce
point la concurrence de l'Angleterre paraîtra plus dangereuse au ministère et à
ses amis extra-parlementaires, que la concurrence de cette puissance à Java.
L'article premier du traité du 27 octobre 1837, entre les Pays-Bas et le
Royaume-Uni, admet l'Angleterre, sous des conditions assez faciles à remplir,
moyennant une compensation, à introduire ses produits en Hollande sur le pied
de la nation la plus favorisée.
La France, par son traité du 25 juillet 1840, article 11, est d'abord
sur le même pied que l'Angleterre. De plus elle est placée dans une position
beaucoup meilleure que celle-ci, puisqu'en vertu de ce même traité (article 10),
elle peut aujourd'hui, sans aucune compensation, partager le marché néerlandais
avec la Belgique pour la bonneterie, la dentelle et les tulles, la coutellerie,
la mercerie, les papiers de tenture, la porcelaine blanche et colorée, la
verrerie et les avantages de navigation intérieure et fluviale. La compensation
n'aurait lieu que si la France réclamait l'assimilation pour les cuirs, les
fers, les clous, les fils de lin, les meubles, les tissus de coton, de lin et
de laine. ! Je conviens que nos privilèges sont encore assez considérables ;
mais moyennant des compensations qu'il serait peu difficile de trouver au
besoin, ces objets pourraient être importés par la France aux mêmes conditions
que les nôtres.
Tout en reconnaissant que ce sont là des avantages, il ne faut donc pas
s'en exagérer la portée. Ils sont restreints, d'abord par la concurrence
anglaise, possible sous certaines conditions, et ensuite, quant à la France, et
par les avantages spéciaux de son traité, et par la faculté qu'elle a, en vertu
de ce même traité, d'être entièrement assimilée à la Belgique.
Cependant je reconnais qu'il y a du bon dans le traité. Je reconnais que
la faculté d'exporter, avec un droit de faveur, 8,000 tonnes de denrées
coloniales des Indes néerlandaises, est bonne en elle-même ; c'est une bonne
stipulation, qui peut favoriser notre commerce lointain, en nous procurant des
retours.
J'espère que cet esprit commercial, qui avait créé, il y a un peu plus
d’un siècle, cette belle Compagnie d'Ostende, qui avait conduit notre pavillon
et nos produits à Moka, sur la côte de Malabar, sur la côte de Coromandel, au
Bengale et jusqu'en Chine, revivra. On sait que les navires de la Compagnie
revinrent en Belgique avec de riches cargaisons et parfois avec un bénéfice de
100 à 120 p. c. J'espère que cet ancien esprit, malheureusement étouffé bientôt
après par la faiblesse coupable du gouvernement, cet esprit commercial vivifié
à Ostende par les encouragements du pouvoir, et qui avait fait établir, entre
Ostende, Gand et Anvers, une véritable hanse, une fédération commerciale ;
j'espère que cet ancien esprit n'est pas entièrement étouffé, qu'd pourra
renaître ; et quelque faible que soit l'encouragement que lui apporte le
nouveau traité, à ce titre encore il aura mes suffrages, il aura mes
sympathies. J'ose espérer que l'esprit des de Prêt, des de Coninck,
d'Anvers, des Maelcamp, de Gand, des Roy, d'Ostende,
peut encore renaître.
Je ne terminerai pas sans user de la réserve formellement stipulée dans
le remarquable rapport qui vous a été présenté par l'honorable M. d'Elhoungne.
Nous nous sommes abstenus de jeter le moindre blâme sur tout ce qui a précédé
la négociation. Le gouvernement rendra à l'opposition la justice de reconnaître
que, sous ce rapport, elle s'est montrée aussi patriotique, aussi dévouée aux
intérêts du pays que ceux qui habituellement appuient le ministère. Nous avons
gardé le silence le plus absolu ; quels que fussent les reproches que nous
avions à faire au gouvernement, nous les avons différés ; le moment est venu de
les lui adresser.
Nous sortons d'une guerre douanière qui a été cruelle, qui a fait de
nombreuses victimes. Cette guerre douanière, je n'hésite pas à le dire, est le
résultat des imprudences du cabinet ; peu de mots suffiront pour l'établir.
Avant d'arriver à la discussion de la loi des droits différentiels qui a
été la cause déterminante de la lutte douanière dont nous allons sortir, le
cabinet avait déjà préludé à cette guerre commerciale avec la Hollande qui a
éclaté quelque temps après ; il y avait préludé par des mesures telles que la
surtaxe sur les tapis de poil de vache et le retrait du transit du bétail que
l'on avait accordé sur les instances de la Hollande et qu'on se hâtait de
retirer par suite des réclamations qui partaient de ces bancs. (L'orateur désigne les bancs de la droite.)
Je n'insiste pas sur le mérite des mesures qu'on avait prises ; mais sur
la facilité avec laquelle ces mesures sont prises un jour et retirées le
lendemain.
Quant à la loi des droits différentiels, quel fut, pendant la discussion,
le langage qu'on a tenu ? Il a été double comme les phases de la discussion.
Dans la première phase qu'a-t-on dit ? Quand on a
parlé de représailles possibles, l'honorable M. Dechamps, le premier,
combattait en quelque sorte ces craintes avec l'arme du ridicule. Selon lui, le
haut commerce hollandais opposerait une résistance insurmontable à toute idée
de représailles de la part du gouvernement des Pays-Bas envers la Belgique.
Quelques jours après ce langage, il y avait un changement complet dans les
discours des organes du gouvernement. Je ne répéterai pas ce qui a été dit en
comité secret ; mais dans la séance publique du 8 juin 1844, voici ce que
disait M. le ministre de l'intérieur :
« La question est celle-ci : L'exception de sept millions de kil. de café est-elle politiquement nécessaire ? Nous croyons
avoir en comité secret établi la nécessité politique de cette exception. »
Je le répète, dans la seconde phase de la discussion de la loi du 21
juillet 1844, le maintien de l'exception en faveur de la Hollande a été
présenté comme une condition indispensable du maintien du statu quo de la part
du cabinet de La Haye. A quelques jours d'intervalle le langage avait
complétement changé. En présence des réclamations de la Hollande, le ministère
demandait avec instance, comme condition du maintien du statu quo, l'exception
des 7 millions de kil. de café néerlandais à
introduire au droit de faveur. Comment un des membres du cabinet d'alors, qui
siège dans le cabinet actuel, qui soutenait cette opinion, sachant à quelles
conditions le gouvernement néerlandais à tort ou à raison s'abstenait d'user de
représailles, est-il venu donner à ce même gouvernement des prétextes pour nous
déclarer une guerre douanière, qu'il était si facile d'éviter ?
Car dans l'exposé des motifs du projet de loi de janvier dernier, voici
comment l'honorable M. Dechamps s'exprime : « Par la prorogation, pure et
simple, nous pouvions peut-être ajourner les difficultés pour quelques mois. »
Ajourner les difficultés pour quelques mois, messieurs,,
mais cela était énorme, alors que vous avez dit depuis que la Hollande ne
cherchait qu'un prétexte. Et ce prétexte, vous le lui donnez ! Vous le lui
donnez, parce que quelques réclamations plus ou moins vives vous sont arrivées
d'Anvers, et vous le lui donnez non pas en agissant avec dignité, non pas même
en agissant avec légalité, car il est douteux que vous pussiez opérer le
retrait partiel de la disposition relative aux 7 millions de café ; mais vous
adoptez un terme moyen ; vous n'avez pas le courage de frapper un grand coup
contre la Hollande, c'est avec une chiquenaude que vous provoquez la guerre des
tarifs ! Et dans quel moment ? Je le répète, lorsque vous veniez à peine de
clore une session qui n'avait été ouverte que pour pourvoir à l'approvisionnement
du pays ; lorsque vous étiez en présence d'une crise alimentaire ; lorsque vous
saviez qu'il fallait abattre nos barrières protectionnistes pour nous aider à
conjurer le danger qui planait sur le pays. Vous greffez sur cette crise désastreuse
une crise industrielle et commerciale. Et vous parlez de prévoyance ! Et vous
parlez de votre sollicitude pour les intérêts matériels ! Fort heureusement la
sagesse, la moralité des populations belges a été au-delà de votre imprudence.
Mais ce sont là, croyez-le, MM. les ministres, des épreuves auxquelles il ne
faut pas souvent soumettre un pays, d'autant plus que nous avons vu le
gouvernement s'humilier ensuite comme toujours, et avoir l'air d'aller demander
grâce et merci à La Haye. (Réclamations.)
J'espère qu'on ne me prête pas l'intention de faire un mauvais jeu de
mots. Je dis que le gouvernement s'est humilié, parce qu'il a fait les
premières démarches, bien que la guerre de tarifs n'eût pas été déclarée par
nous, et qu'il a eu l'air d'aller demander grâce et merci à La Haye.
Qu'est-il résulté, messieurs, de ces représailles ? Indépendamment des
dangers auxquels l'ordre public aurait été exposé sans une population moins
patiente, moins résignée, moins morale que la population belge, il en est résulté,
en pure perte, des dommages matériels incalculables. Jetez les yeux sur la note
que M. le rapporteur de la section centrale a mise à côté de son rapport ;
comparez nos exportations vers la Hollande pendant les six mois de 1846 qu'a
duré la guerre douanière, et les mêmes exportations pendant les six mois
correspondants de 1845, et vous verrez que pour les houilles, l'exportation,
qui avait été dans les six mois de 1845, de 95,240 tonneaux, tombe pour la même
période de 1846, à 27,975 tonneaux ;
Que les exportations de fontes ouvrées sont réduites de moitié ; que les
exportations de fer battu, de 301,403 kil. qu'elles
étaient en 1845, sont tombées à 95,274 kil. ;
Que l'exportation de nos clous, qui pendant les six mois de 1845, était
de 2 millions de kil., est tombée à moins de 800,000
kil. dans la période correspondante.
Que la réduction sur nos tissus de coton a été 100,000 de kil. ; que l'exportation de nos verres à vitre est tombée de
800,000 k. à 400,000 kil.
Et tout cela, messieurs, pourquoi ? Pour arrivera un traité. Mais vous (page 1976) pouviez arriver à ce traité
sans crise. Vous saviez bien quelles étaient les conditions sons lesquelles
seules vous pouviez obtenir ce traité international : c'étaient des concessions
sur la pêche, des concessions sur le bétail, des concessions sur les céréales.
Si, au lieu de faire précéder la négociation d'une crise complétement
inutile, vous aviez prolongé l'exception et traité sur la
triple base des concessions sur la pêche, sur le bétail et sur les céréales ;
avant l'expiration de cette exception que la prudence d'un de vos collègues
avait fait insérer dans la loi des droits différentiels, vous seriez venus
apporter à cette chambre le traité que vous lui apportez aujourd'hui. Mais vous
n'avez pas eu ce courage ; vous avez voulu que l'opposition fût à l'avance,
quant à ces trois concessions, amortie, vaincue par une crise ; voilà quelle a
été votre conduite.
Je vous le répète, MM. les ministres, rendez
grâce à la moralité, à la patience vraiment chrétienne de la population belge,
de ce que les choses se sont ainsi passées ; mais rendez grâce aussi peut-être
à l'état des esprits, à l'époque avancée de la session, à la fatigue qui domine
la plupart d'entre nous et qui vous feront seuls peut-être échapper au blâme
que vous avez mérité.
Oui, messieurs, cela est ainsi. J'approuve hautement le traité. Je m'en
suis expliqué ouvertement. Je ne mettrai jamais mes intérêts d'opposant
au-dessus de mes devoirs de citoyen. Mais, je crois qu'après avoir rempli mes
devoirs de citoyen, en appuyant le traité, j'ai eu le droit de m'exprimer sur
le cabinet avec la chaleur que j'ai mise dans ces dernières paroles, et j'y
persiste.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). -
Quelque désir que j'aie de voir cette discussion ne pas se prolonger au-delà du
temps fixé par l'impatience de la chambre, je suis forcé, messieurs, de
répondre quelques mots au discours de l'honorable préopinant.
L'honorable membre accepte le traité, mais il veut infliger un blâme au
gouvernement qui l'a négocié. II considère le traité comme un acte utile et
heureux, mais il croit devoir appeler une faute la conduite que le gouvernement
a tenue avant le conflit commercial qui a précédé la négociation du traité. Il
applaudit aux résultats, mais il critique les moyens employés pour les
atteindre.
Messieurs, j'accepte très volontiers les éloges que l'honorable membre a
bien voulu adresser à l'œuvre même. Si une faute avait été commise et avait provoqué
les représailles, cette faute, à ses yeux, devrait être heureuse, puisque le
résultat du conflit commercial a été de créer une situation meilleure que celle
qui existait avant la rupture. Je souhaite que l'on commette dans l'avenir des
fautes qui amènent d'aussi heureuses conséquences.
Mais je n'accepte pas le blâme qu'il a voulu infliger à la conduite du
gouvernement.
Messieurs, l'honorable membre a soutenu que l'arrêté du 29 décembre
1845, qui a été l'occasion des représailles de la Hollande, avait été une
faute. J'ai heureusement, pour défendre ici le gouvernement, le rapport qui a
été présenté par l'honorable M. d'Elhoungne dans le mois de janvier dernier.
Cet honorable membre, en examinant au nom de la section centrale, quelle avait
été, dans les longues négociations qui ont eu lieu entre les deux pays pour
amener la conclusion d'un traité, la nature des prétentions des deux
gouvernements, vous a démontré que si quelque chose pouvait être reproché au
gouvernement belge, c'était peut-être d'avoir été trop loin dans la voie des
concessions et de la condescendance. Et c'est là le reproche que tout à l'heure
l'honorable M. Donny a renouvelé.
J'appelle l'attention de la chambre sur la contradiction qui existe
entre l'affirmation de l'honorable M. d'Elhoungne et l'affirmation de
l'honorable M. Lebeau. Voici ce qui disait l'honorable M. d'Elhoungne dans son
rapport : » Dans le désir de voir ses rapports avec les Pays-Bas se multiplier
et s'étendre sous l'influence d'un traité réciproquement favorable, elle a pu
user de ménagements et prendre, plus d'une fois, l'initiative des concessions.
Mais la Belgique pouvait-elle aller plus loin, sans que sa modération dégénérât
en faiblesse ? En présence du tarif exceptionnel et hostile dont le
gouvernement néerlandais a frappé brusquement les produits belges, sans tenir
compte ni des bons procédés, ni des avances de la Belgique, celle-ci
devait-elle rester impassible ? Telle est la question que le gouvernement belge
s'est posée, et qu'il n'a point hésité à résoudre négativement. »
D'après l'honorable M. d'Elhoungne, les avances, les bons procédés,
l'initiative des concessions sont toujours venues de la Belgique.
D'après l'honorable M. Lebeau, au contraire, la Hollande aurait eu à
reprocher à la Belgique des griefs nombreux qui, d'après lui, auraient légitimé
en quelque sorte les représailles prises contre nous.
La question première est donc celle-ci : Dans les négociations qui ont
eu lieu avant l'arrêté du 29 décembre, le gouvernement belge n'a-t-il pas posé
les actes de conciliation, de prudence qu'on lui a reprochés
comme allant jusqu'à la faiblesse ?
La deuxième question que je pose est celle-ci : L'arrêté du 29 décembre
pouvait-il être évité ? Cet arrêté a-t-il justifié les représailles des
Pays-Bas ?
La section centrale a répondu ; le rapport de M. d'Elhoungne n'est
qu'une longue et complète démonstration.
Mais, messieurs, j'attire votre attention sur ce point : l'arrêté du 29
décembre n'a pas été cause des représailles ; je l'ai déjà démontré dans
l'exposé des motifs, mais je me permettrai de citer un passage d'une note
officielle du gouvernement des Pays-Bas, postérieure à l'arrêté du 29 décembre,
et qui prouve d'une manière péremptoire l'erreur qui existe, à cet égard, dans
certains esprits. Dans cette note du 18 janvier, M. le ministre des affaires
étrangères des Pays-Bas s'exprime ainsi :
« Ce n'est nullement l'arrêté royal belge du 29 décembre dernier qui est
la cause première de la mesure de réciprocité établie par l'arrêté royal
néerlandais du 5 courant ; il n'en a été que la cause déterminante, comme
l'aurait pu être tout autre arrêté qui, fixant l'échéance de l'exception,
serait venu changer le statu quo, sous lequel les négociations avaient été
ouvertes. »
Ainsi, messieurs, si le gouvernement belge n'avait pas pris l'arrêté du
29 décembre, s'il s'était borné, comme la loi lui en faisait une obligation, à
proroger le délai fixé par cette loi pour l'exception relative aux 7 millions
de kilog. de café, à déterminer ainsi l'échéance de
l'exception, les mesures de représailles n'en étaient pas moins prises, la note
que je viens de citer le déclare formellement.
De toute façon, du reste, ces mesures étaient inévitables, le 1er août,
alors que l'exception tombait en vertu de la loi même.
Valait-il mieux qu'elles fussent adoptées le 1er août, plutôt que le 5
janvier ? En d'autres termes, valait-il mieux que le conflit commercial que
nous avons eu à regretter, eût lieu au milieu de l'été, pendant la saison des
ventes et des expéditions, au lieu de s'être produit en hiver lorsque ces
relations ne sont pas actives ?
Ainsi donc, messieurs, la conduite du gouvernement avant l'arrêté du 29
décembre, dans les négociations, a été prudente, modérée, trop modérée aux yeux
de la section centrale dont M. d'Elhoungne a été le rapporteur.
L'arrêté du 29 décembre ne justifiait pas les représailles du 5 janvier
et ces représailles eussent été prises quand même l'arrêté de décembre n'aurait
pas existé. Voilà ce qui me paraît établi et démontré.
Le gouvernement n'accepte donc pas le blâme que l'honorable M. Lebeau a
voulu déverser sur sa conduite en cette circonstance.
Permettez-moi, messieurs, de répondre quelques mots encore à une autre
partie du discours de l'honorable membre.
L'honorable M. Lebeau, se préoccupant de l'intérêt que l'Angleterre ou
la France pourrait avoir en ce qui concerne l'interprétation de certaines
clauses de leurs traités de 1824, 1837 et 1840, avec les Pays-Bas, l'honorable
membre émet des doutes sur la question de savoir, d'abord si l'Angleterre et la
France jouiraient de l'exception à la sortie de Java, pour une quantité de
8,000 tonnes à exporter.
Il demande, en second lieu, si en vertu des traités de 1837 et de 1840,
l'Angleterre et la France ne participeront pas aux faveurs industrielles que le
traité nous accorde.
Je ne veux pas discuter ici sur le sens à donner au traité de 1824 avec
l'Angleterre et au traité de 1840 avec la France, relativement à la question
des Indes orientales. Je me bornerai à lui dire que l'interprétation qu'il a
donnée, n'est pas la vraie, dans mon opinion ; mais c'est là un débat entre les
cabinets de Londres et de La Haye, dans lequel nous n'avons pas à intervenir.
Mais je suppose que je me trompe, que nous importe ? C'est une question
entre l'Angleterre et la Hollande ou entre la France et la Hollande, mais ce
n'est pas une question d'intérêt belge.
Si l'Angleterre reçoit directement de Java 8,000 tonnes par navires
anglais, ou la France par navires français, je le répète, en quoi l'intérêt
belge est-il mêlé à cette question ? Si donc cette clause du traité est un
laurier qui couronne la tête des ministres, pour me servir des expressions de
M. Lebeau, l'argument de l'honorable membre n'est nullement de nature à
l'arracher de notre front.
Mais, messieurs, relativement aux concessions industrielles que nous
avons obtenues sur le marché néerlandais, relativement au traitement
différentiel qui nous est acquis en ce qui concerne les grandes industries
belges, là il est clair que ni la France ni l'Angleterre ne peuvent prétendre à
participer à ces concessions sans un traité nouveau. Sans doute ces concessions
peuvent leur être accordées, en vertu d'équivalents et de compensations
équitablement établies.
Mais, je le demande à l'honorable membre : au
moment même où l'Angleterre vient de s'interdire, pour ainsi dire, tout traité
avec d'autres nations continentales, par les mesures de liberté commerciale
qu'elle a prises, est-il vraisemblable qu'une négociation soit entamée entre
les Pays-Bas et l'Angleterre, pour amener des compensations qui pourraient
faire accorder à l'Angleterre les réductions industrielles que nous avons
obtenues par le traité ? C'est là une garantie. On ne conclut pas des traités
tous les jours. Un traité existe entre la France et les Pays-Bas ; il n'est
guère probable qu'une négociation va avoir lieu pour changer ce traité ; et
nous avons au moins cette certitude morale, qu'il faudra des traités nouveaux,
des compensations réelles pour que d'autres nations jouissent du traitement
différentiel qui nous a été accordé par le traité sur les marchés des Pays-Bas.
M. Zoude. - Je conviens, avec l'honorable rapporteur de la section centrale, que
le traité qui vous est soumis est plus avantageux à la majorité des intérêts
belges que n'était l'état des choses qui existait avant, la guerre de tarifs
avec la Hollande ; mais il est à déplorer que l'intérêt particulier du
Luxembourg doive toujours être sacrifié à l'intérêt général dans presque tous
les traités ; c'est ainsi qu'il l'a été d'une manière sanglante dans celui de
1839 ; il l'a été dans la dernière convention avec la France ; il l’est enfin
d'une manière on ne peut plus préjudiciable dans le traité maintenant en
discussion.
Nous ne rouvrirons pas les plaies encore saignantes du déchirement de (page 1977) la province, nous nous
bornerons à dire quelques mots de la convention avec la France et de celle qui
vous est soumise.
Il est connu que le Luxembourg n'a plus maintenant que deux ressources,
l'une générale, qui est celle de son bétail, l'autre particulière à quelques
localités où elle était en prospérité, c'était l'industrie ardoisière que la
convention a sacrifiée à l'égoïsme français qui en a repoussé les produits par
un droit prohibitif ; il est, en effet, presque triplé sur les ardoises d'une
certaine dimension, il est porté de 2 fr. à 5-80 et presque doublé sur celles
d'une dimension plus forte, parce qu'on a fait accueillir comme vérité aux
chambres françaises, une absurdité qui ferait sourire de pitié nos ouvriers les
plus grossiers. On fit croire à ces chambres que des ardoises épaisses de
quelques centimètres pouvaient, après leur entrée en France, être divisées de
manière à en augmenter le nombre ! Et notre ministère, dans les motifs à
l'appui du traité, n'a pas hésité à nous dire que la convention stipulait une
réduction des droits d'entrée sur les ardoises.
Aujourd'hui c'est le bétail qui est offert en holocauste, c'est-à-dire
la fortune entière de la province ; cependant il commençait à s'introduire dans
les cantons voisins d'où il sera bientôt refoulé, parce que toutes les
campagnes vont souffrir du traité qui réduit le droit de 25 p. c. sur les uns,
et de 50 p. c. sur les autres.
Le gouvernement cherche à en atténuer les effets, mais il vous en a signalé
lui-même tous les inconvénients, et les souffrances que vous éprouverez encore,
il les a développées dans le projet de loi qu'il vous a présenté le 30 mai
1844, lorsqu'il vous disait que les commissions qui furent réunies dans
diverses provinces pour apprécier les effets de la loi de 1835, qui frappait le
bétail hollandais du droit de 10 c. au kilogramme, les avaient considérés
presque à l'unanimité comme payant été utiles à l'agriculture et à l'élève du
bétail. Ces commissions avaient aussi émis l'avis que son influence était étrangère aux augmentations survenues dans le prix de
la viande.
Le Luxembourg aurait obtenu un allégement si
le gouvernement avait cherché à faire admettre son bétail au poids, tandis
qu'il est frappé par tête, ce qui augmente considérablement le droit qu'il
supporte eu égard au gros bétail des autres provinces ; mais loin de là, car il
est universellement accrédité dans le Luxembourg que le gouvernement aurait pu
obtenir cette concession de la part de la France, qui éprouve quelque besoin de
notre bétail, s'il avait voulu s'en occuper sérieusement ; mais le faible et le
pauvre rencontre, dit-on, peu d'appui au pouvoir. J'engage instamment le
gouvernement à ne plus encourir ce reproche.
D'après les considérations que je viens d'exposer, je ne puis appuyer de
mon vote un traité si préjudiciable aux intérêts de ma province ; cependant
étant convaincu qu'il est favorable aux intérêts de la majorité du pays, je
croirais faire acte de mauvais citoyen en votant contre, c'est pourquoi je m'abstiendrai.
M. Desmet. - Messieurs, à entendre parler l'honorable M. Lebeau, comme cet
honorable membre vient de le faire en commençant le discours qu'il a prononcé,
on pourrait bien croire qu'il y a dans cette chambre divergence d'opinion sur
le désir d'obtenir les denrées alimentaires au plus bas prix possible, et en
prononçant les vœux qu'il a faits pour avoir l'abaissement des prix de ces
denrées, on a bien vu qu'il voulait faire un reproche aux membres de la chambre
qui défendent le système de protection pour les produits nationaux. Comme un
des membres qui dans cette chambre ont toujours voulu avoir une protection pour
le travail belge, je crois utile de répondre deux mots, à ce sujet, à
l'honorable M. Lebeau.
Autant que lui je désire l'abaissement des prix des différentes
substances alimentaires, et tout particulièrement celles dont a besoin la
classe ouvrière ; mais à quoi peut servir le bas prix de la viande, du pain et
même du fromage hollandais, des boissons et des vêtements, quand je n'ai pas de
quoi les acheter, quand je ne gagne rien, quand je n'ai pas de travail ? C'est
surtout le travail qu'on doit chercher à procurer à la classe pauvre et
ouvrière ; c'est le travail que cette classe demande partout et sans cesse, et
c'est à quoi songent et travaillent tout particulièrement ceux qui demandent de
la protection pour le travail national, pour les manufactures, les fabriques,
l'agriculture et le commerce belges. C'est le bon placement des produits de
notre industrie propre que nous cherchons et que nous désirons avoir, coûte que
coûte, dans des moments, surtout, où notre nombreuse population ouvrière se
trouve sans travail et sans pain, et c'est pourquoi nous aimons à voter un
nouveau traité de commerce afin d'agrandir le marché de nos produits et en
faciliter le placement, et surtout d'en faire un avec la Hollande, parce que ce
pays nous offre un débouché favorable à nos produits, et que nous pouvons le
conclure sur des bases assez larges, parce que les deux pays ont à peu près le
même intérêt à faire le traité.
C'est là toujours la tendance des protectionnistes, ils désirent
l'agrandissement des marchés ; c'est encore pour les mêmes motifs qu'ils ont
désiré d'obtenir un traité avec la France sur de plus larges bases et qui,
certes, aurait été dans l'intérêt, aussi bien de la France que de la Belgique
et qui aurait servi les deux nations avec plus d'avantage contre leurs rivaux
en fait d'industrie et de commerce. Et c'est ici que je me trouve obligé de
faire un reproche à l'honorable membre que je combats dans ce moment, que quand
il avait entre les mains les rênes de l'Etat et qu'il a eu l'occasion d'obtenir
ce traité avec la France, il l'a repoussé et n'a pas profité de cette belle
occasion ; s'il avait accepté ce beau cadeau pour son pays, il lui aurait rendu
un service éminent, et il n'aurait pas été forcé de songer à d'autres moyens
pour procurer le travail et le pain à bon marché à la classe nécessiteuse.
Nous sommes donc de l'opinion des honorables membres Lebeau et Rogier,
que nous aimons comme eux les conclusions des traités de commerce, afin
d'obtenir une liberté de commerce ; mais nous différons en ceci que nous
voulons une liberté générale, mais pas une liberté partielle, celle qui aurait
pour but d'ouvrir nos ports aux nations qui ne voudraient pas les ouvrir
également pour nous ; j'appellerai cette liberté celle des dupes, et si nous
avions en ceci suivi l'opinion ancienne de ces honorables membres et de leurs
partisans, nous n'aurions pas le traité que nous allons voter tout à l'heure ;
la Belgique n'a pas peur de la liberté générale, elle la désire et la demande,
car elle saura lutter contre les autres peuples dans l'industrie et le
commerce, et elle se verra heureuse quand cette liberté sera acquise pour elle.
Un autre motif pour quoi je voterai le tarif est celui-ci : quand
j'ouvre nos livres statistiques d'importations et d'exportations, je vois que
depuis notre séparation avec la Hollande, depuis 1831, les importations des
produits hollandais ont constamment été croissant,
tandis que celles des produits belges ont été en diminuant. Nous avons toujours
reçu les produits de l’agriculture, des colonies et des pêcheries hollandaises,
quand même nous mettions de l'empêchement à leur entrée, et que, de son côté,
la Hollande refusait d'accepter les nôtres et s'opiniâtrait à en refuser
l'entrée chez elle.
Quoique je vote volontiers le traité qui nous est présenté, je ne puis
cependant pas dire qu'il n'y ait aussi des motifs pour le critiquer assez
amèrement. Ne pourrait-on pas soutenir, avec l'honorable M. Donny, que par le
traité la pêche est à son trépas en Belgique ? qu'elle
approche de sa fin ? Je conviens comme l'honorable député d'Ostende qu'elle va
beaucoup souffrir et que l'on ne pourra plus trouver des sociétés qui voudront
faire des entreprises et risquer leurs fonds pour laisser faire la pêche et
procurer du pain aux familles pauvres des pêcheurs.
Je n'en dirai pas plus sur cet important objet, M. Donny l'a traité avec
trop de talent, de détail et de vérité. Mais je dois ajouter quelques mots sur
le malheureux sort qui est réservé à Ostende ; non seulement ce port va perdre
sa marine qui s'occupe de la pêche et sa pépinière de matelots ; mais en
exécution de l'article 14 du traité, qui est, je dois le dire, un très mauvais
article pour la Belgique, le port d'Ostende va perdre les arrivages des bois du
Nord, qui forment les seules cargaisons, les seules marchandises que ce port
reçoit encore ; par le n° 2 de l'article 14 les bois du Zollverein, déposés en
Hollande, peuvent être importés en Belgique avec la même faveur que ceux qui y
arriveraient des pays de production et sous pavillon national. Il est constant
que par suite de cette disposition Ostende va perdre ses arrivages de bois, et
que ce seront les Hollandais qui introduiront tous les bois du Nord en Belgique
et qui profiteront du commerce avec le Nord. Ceci fera un tort immense au port
d'Ostende et l'anéantira totalement.
Ce qui va faire encore beaucoup de mal à ce port, c'est si l'on exécute
le chemin de fer de Jurbise à Tournay, sans y porter un remède, c'est-à-dire si
l'on ne construit pas une nouvelle voie, par laquelle la distance de Bruxelles
à Gand serait raccourcie ; car, sans ce remède, les Anglais débarqueraient de
préférence à Calais et Boulogne, et prendraient le chemin de fer de Jurbise
pour se rendre à Bruxelles et vers l'Allemagne. Cependant le gouvernement doit
y prendre attention, il ne peut pas laisser fermer un port dont il peut avoir
besoin dans un temps de guerre et quand l'Escaut se trouverait fermé. Je
conjure donc le ministre de songer sérieusement à trouver des moyens d'obvier à
ce que la pêche ne soit pas anéantie et à ce que le port d'Ostende soit
récompensé de la grande perte qu'il va faire.
Un autre objet du traité que je dois fortement combattre, c'est le peu
d'égard qu'on a eu pour les fils retors. On a obtenu de bonnes concessions pour
les toiles, les tissus de lin, mais on a absolument oublié les fils à coudre ;
on les a, je puis le dire, maintenus avec un droit prohibitif. Avant le tarif
hollandais de juin 1845, ces fils payaient 6 p. c. à leur entrée en Hollande,
ces 6 p. c. venaient en réalité à 2 ou 3 p. c. ; par
le tarif de 1845, on a perçu les droits d'entrée au poids autant qu'à la valeur
et le droit a été porté à 15 fl. de Pays-Bas les 100 kil. Ce qui revenait
au-delà de 12 p. c. ; par le traité le droit 15 fl. a
été abaissé à 12 fl. Mais quoiqu'il y ait une diminution de 3 fl., encore le
droit reste exorbitant. D'après l'opinion du gouvernement, il serait encore à
10 p. c. de la valeur.
Vous sentez, messieurs, que c'est un coup mortel que l'on porte à une
industrie de si grande importance et qui fait vivre tant de pauvres familles.
Car il s'agit de fileuses, et c'est surtout le district que j'ai l'honneur de
représenter ici qui va en souffrir et qui déjà a une
si grande population pauvre qui ne sait plus comment se procurer du pain par le
travail.
J'attire sur cet objet l'attention du gouvernement et je le conjure de
chercher un moyeu d'y porter remède et de prévenir un grand mal, car je suis
sûr que c'est par inadvertance que ce droit exorbitant a été maintenu.
J'aurai encore un mot à dire, c'est sur le
droit sur le bétail. Il me semble que la diminution du droit ne peut pas faire
tort aux éleveurs du bétail du pays. Les bêtes sont rares en Belgique,
l'agriculture et les consommateurs ont besoin des bestiaux étrangers et de ceux
de Hollande. D'ailleurs en ce moment-ci bien peu arrivent au marché
hebdomadaire de Malines ; les éleveurs hollandais ont de l'avantage à les placer
en Prusse et en Angleterre, et je crains fort que bientôt on en enlèvera tant
que nous nous plaindrons de ne pas avoir les bêtes de Hollande. S'il est vrai
ce que j'ai lu récemment dans un journal anglais, sur un seul marché à
Smithfield, il s'est trouvé 4,000 têtes de bétail hollandais.
Je termine ici et je voterai le traité, mais j'engage avec beaucoup
d'instance le gouvernement à examiner s'il n'y a pas moyen de porter des
modifications à l'article fils retors de lin.
(page 1978) M. Delfosse. - Le traité que nous discutons sera
voté à la presque unanimité. Il est donc inutile d'entrer dans de longues
considérations pour faire ressortir les avantages qu'il doit nous procurer. Ces
avantages sont évidents. Plusieurs de nos industries, et ce ne sont pas les
moins importances, vont enfin sortir de l'espèce d'inaction à laquelle on les
avait condamnées. D'un autre côté, la plupart des concessions que la Hollande
obtient nous sont utiles ; je considère surtout comme telles les exceptions à
la loi des droits différentiels et la réduction des droits d'entrée sur les
céréales du Limbourg cédé, sur le bétail et même sur le poisson.
La loi des droits différentiels n'a pour elle ni Gand, ni Anvers, ni Liège,
ni Verviers, ni Mons, ni Charleroy ; cela prouve assez qu'elle ne favorise ni
le commerce, ni l'industrie. C'est une mauvaise loi, une loi condamnée ; il
serait à désirer qu'au lieu d'en changer quelques dispositions en faveur de la
Hollande, on pût l'abroger entièrement, le pays s'en trouverait bien.
M. le ministre des affaires étrangères soutenait hier, et il a reproduit
cette idée, il n'y a qu'un instant, que la loi des droits différentiels nous a
été utile dans les négociations, que c'est grâce à elle que nous avons pu
traiter, à de bonnes conditions, avec les Etats-Unis, avec le Zollverein, et
récemment avec la Hollande. Je ne saurais partager cet avis.
Je ne parlerai en ce moment ni des Etats-Unis, ni du Zollverein, cela me
conduirait trop loin ; je me bornerai à parler de la Hollande.
Nous nous sommes crus fort habiles en établissant des droits
différentiels. Nous nous sommes imaginé que nous pourrions, à l'aide de ce
système, faire à la Hollande des concessions qui seraient payées de retour ; c'est
là un but qui a été naïvement avoué à cette tribune.
Le gouvernement hollandais, qui est au moins aussi habile que le nôtre,
a déjoué cette tactique en se donnant aussi un moyen de nous faire des
concessions. Il a élevé son tarif, par pari. La position respective des deux
parties est ainsi restée la même ; la Hollande a obtenu, par l'élévation de son
tarif, un avantage pour négocier au moins équivalent à celui que avions cru
nous attribuer par l'établissement des droits différentiels.
La partie du district de Verviers contiguë à la frontière hollandaise se
trouve à une grande distance du chemin de fer ; elle ne pourrait guère se
passer des céréales du Limbourg cédé ; l'importation, au quart des droits, de
douze millions de kilogrammes de céréales du Limbourg cédé, est donc autant
dans notre intérêt que dans celui de la Hollande ; cette quantité n'est pas
d'ailleurs assez considérable pour inspirer des craintes sérieuses à nos
producteurs agricoles ; c'est à peu près la centième partie de la consommation totale
du pays. Les agriculteurs du canton de Dalhem, qui n'ont guère d'autre débouché
que le district de Verviers, et qui supporteront par conséquent tout le poids
de la concurrence, sont les seuls qui pourraient avoir à se plaindre de cette
mesure. Mais il dépend du gouvernement de les dédommager en créant des voies de
communication qui leur donnent un accès facile au marché de Liège.
Le canton de Dalhem est traversé par la route de Battice
à Maestricht ; une chaîne de hautes montagnes le sépare de la route de Liège à
Visé et de la Meuse.
Le gouvernement a senti la nécessité de faire construire un
embranchement qui relierait la Meuse et la route de Liège à Visé à celle de Battice à Maestricht ; malheureusement on n'est pas
d'accord sur la direction à donner à cet embranchement, les uns veulent passer
par Mouland, les autres par Berneau
; pendant qu'on se dispute là-dessus, le temps se passe, rien ne se fait et le
canton de Dalhem reste privé de moyens de communication.
On m'a assuré qu'il serait possible de construire les deux
embranchements sans faire une dépense plus forte que celle qui doit résulter de
l'exécution des projets du gouvernement pour l'une ou l'autre des deux
directions ; il suffirait pour cela de suivre les anciens chemins de Visé à Berneau et de Visé à Mouland qui
sont assez larges et assez directs. On échapperait ainsi à de grands frais
d'expropriation. J'engage vivement M. le ministre des travaux publics à faire
examiner cette question, je l'engage surtout à prendre une résolution le plus tôt
possible.
La réduction des droits d'entrée sur le bétail était généralement
réclamée. Le prix excessif de la viande avait fait naître des souffrances et
provoqué des plaintes que notre gouvernement aurait été forcé de prendre en
considération alors même que W traité lui aurait
laissé une entière liberté sur ce point.
Le prix du poisson est aussi beaucoup trop élevé, et je ne pense pas que
le traité aura pour la pêche nationale les conséquences désastreuses que
l'honorable M. Donny semble redouter. Les doléances de l'honorable député
d'Ostende m'ont paru empreintes d'exagération. Dans tous les cas il voudra bien
se rappeler que l'industrie lainière, autrement importante que la pêche, a dû
faire les frais du traité avec la France. Sans concessions sur la pêche, pas de
traité possible avec la Hollande. L'honorable membre aurait-il voulu que le
gouvernement belge posât entre nos voisins du Nord et nous une barrière
infranchissable ?
Si l'on excepte quelques dispositions auxquelles on peut trouver à redire, je n'ai que des éloges à donner au traité
avec la Hollande ; mais je dois exprimer, avec l'honorable M. Lebeau, le
regret, et ce regret est un blâme pour le ministère, que l'on nous ait fait
passer, avant de conclure le traité, par la dure épreuve des représailles.
C'est là un fait sur lequel M. le ministre des affaires étrangères n'est
pas parvenu et ne parviendra pas à se justifier. M. le ministre des affaires
étrangères prétend que l'arrête belge du 29 décembre 1845 n'a été que
l'occasion de la rupture, que la cause était plus générale et remontait plus
haut et que la cessation des exceptions consacrées par la loi des droits
différentiels, qui devait avoir lieu le 1er août 1846, aurait inévitablement
provoquée.
Je prendrai la liberté de faire remarquer à M. le ministre des affaires
étrangères qu'il y avait un moyen bien simple d'empêcher la rupture d'éclater
au 1er' août 1846 ; c'était de conclure un traité avant cette époque ; c'est
justement ce qui a été fait et c'est ce qui aurait pu se faire également sans
arrêté du 29 décembre 1845.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Pas du tout.
M. Delfosse. - Je vais vous le prouver.
Il est évident que si l'arrêté belge du 29 décembre 1845 n'avait pas été
pris, il n'y aurait eu ni représailles au mois de janvier, ni rupture plus tard
; mais, nous dit M. le ministre des affaires étrangères, le gouvernement belge
a été poussé à cet acte par les exigences déraisonnables, par les prétentions
exorbitantes des Pays-Bas.
J'en demande bien pardon à M. le ministre des affaires étrangères, le
gouvernement des Pays-Bas n'avait pas montré, avant l'arrêté du 29 décembre
1845, d'autres prétentions que celles qu'il a soutenues plus tard et auxquelles
notre gouvernement a cru devoir accéder.
Que demandait en effet le gouvernement des
Pays-Bas avant l'arrête du 29 décembre 1845 ? Il demandait, je parle d'après M.
le ministre des affaires étrangères lui-même, que le cadre de la négociation
fût étendu ; il demandait que la négociation portât sur le poisson et le
bétail, en même temps que sur des exceptions plus larges au système des droits
différentiels ; eh bien, c'est ce qu'il a encore demandé au mois de janvier
1846 et c'est ce que notre gouvernement a concédé.
On lit en effet à la page 3 de l'exposé des motifs que lorsque la
négociation fut reprise à la fin de janvier 1846, « le gouvernement du Roi
comprit que son système de négociation restreinte devait être abandonné. »
Je vous le demande, messieurs, n'y avait-il pas de l'imprévoyance, n'y
avait-il pas de la légèreté à poser, au mois de décembre 1845, un acte qui
exposait le pays à des mesures de représailles, pour ne pas accéder à des
conditions que l'on devait accepter un mois plus tard ?
Si notre gouvernement avait consenti au mois de décembre, comme il l'a
fait à la fin de janvier, à reprendre les négociations sur les bases proposées
par le gouvernement des Pays-Bas, le traité du 29 juillet aurait pu se conclure
un mois plus tôt, et nous n'aurions pas eu cette guerre de tarifs qui a fait,
pendant sept mois, tant de mal aux deux pays.
L'imprudence de notre gouvernement a été d'autant plus grande, d'autant
plus coupable que l'on se trouvait, comme l'a fort bien dit l'honorable M.
Lebeau, au milieu d'un hiver qui menaçait d'être rigoureux par le manque des
subsistances ; j'ajouterai que l'industrie n'était pas encore rassurée sur
l'issue de nos négociations avec la France...
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Le traité avec la France
a été signé le 13 décembre.
M. Delfosse. - Il n'était ni connu, ni ratifié. Certes le moment était mal choisi
pour nous créer de nouveaux embarras !
C'est bien à tort que M. le ministre des affaires étrangères a invoqué en
sa faveur l'opinion de la section centrale dont l'honorable M. d'Elhoungne a
été l'organe dans la séance du 2 mars 1846.
L'honorable M. d'Elhoungne a dit, au contraire, que la section centrale
s'abstiendrait de se prononcer parce qu'il importait de laisser au gouvernement
toute sa liberté d'action et toute sa responsabilité. « Plus tard, (ajoutait
l'honorable rapporteur) le contrôle des chambres s'exercera avec plus
d'opportunité sur ce point qui est entièrement réservé. »
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Mais
il y a un autre passage.
M. Delfosse. - Ce passage n'a pas le sens que vous lui attribuez ; du reste
l'honorable M. d'Elhoungne pourra s'expliquer lui-même, et je suis sûr qu'il
s'expliquera dans le même sens que moi. (Signe
d'assentiment de la part de M. d'Elhoungne.)
Puisque M. le ministre des affaires étrangères insiste, je ferai une
citation plus longue. On lit ce qui suit dans le rapport de M. d'Elhoungne,
pages 8 et 9 :
« Voilà quelle était la position prise par les deux pays, quand des
négociations infructueuses ont déterminé le gouvernement belge à restreindre,
par un arrêté du 29 décembre dernier, à un avantage de 5-50 par 100 kilog. la faveur de 5 francs par 100 kilog. que
la loi des droits différentiels permettait d'accorder au café de Java. C'est à
cet arrêté que le gouvernement des Pays-Bas répondit, le 5 janvier, par des
mesures de représailles, et le gouvernement belge décréta des mesures analogues
contre les provenances néerlandaises, par ses arrêtés du 8 et du 12 janvier.
« Ces derniers actes, messieurs, rentrent évidemment dans la longue
négociation dont M. le ministre des affaires étrangères vous a fait l'exposé.
Votre section centrale a cru devoir s'abstenir de se prononcer sur cette
négociation. En émettant une opinion sur la marche qu'on y a suivie, sur le
langage qu'on y a tenu au nom de la Belgique, sur les propositions qu'on y a
faites, votre section centrale craindrait de créer des difficultés à la marche
du gouvernement, auquel il importe de laisser toute sa liberté d'action et
toute sa responsabilité. Plus tard, le contrôle des chambres s'exercera avec
plus d'opportunité sur ce point, qui reste entièrement réservé. »
Il me semble que le passage que je viens de lire est assez clair.
Je ne veux pas, messieurs, terminer sans dire
quelques mots d'un (page 1979)
projet qui intéresse éminemment la province de Liège ; le traité avec la
Hollande paraît, au premier abord, favorable à cette province et il l'est en
effet ; mais les avantages qu'elle doit en retirer ne seront assurés que
lorsqu'on aura complété le canal de Liège à Maastricht, par la dérivation de la
Meuse, à partir de Chokier. La plupart de nos grands
établissements industriels, houillères, usines métallurgiques, hauts fourneaux,
etc., étant placés à l'amont de Liège, il leur sera impossible d'avoir des
relations suivies avec la Hollande, tant qu'on laissera la Meuse dans l'état
déplorable où elle se trouve.
Et remarquez bien, messieurs, que la dérivation de ce fleuve n'est pas
seulement commandée par les besoins de l'industrie ; elle est nécessaire
surtout pour mettre la ville de Liège et les environs à l'abri des inondations
qui exercent chaque année de si tristes ravages ; elle est nécessaire aussi
pour faire disparaître les dangers d'une navigation qui amène de fréquents
sinistres. J'ai sommé plusieurs fois le gouvernement, au nom de l'humanité,
d'aborder enfin ce grand travail, mais il n'a fait jusqu'ici que des promesses
qui sont restées vaines. Dernièrement, M. le ministre des travaux publics,
interpellé par mon honorable ami M. de Tornaco, a reconnu la nécessité,
l'urgence même de la dérivation de la Meuse, mais il a allégué le manque d'argent,
qui, selon lui, ne permet pas de l'entreprendre immédiatement. Il faudra, a dit
M. le ministre des travaux publics, une vingtaine de millions pour les travaux
destinés à mettre les diverses parties du pays à l'abri des inondations, et le
moment n'est pas favorable pour réaliser un emprunt.
Je reconnais qu'il y a quelque chose de fondé
dans cette observation de M. le ministre des travaux publics, qui lui aura sans
doute été suggérée par M. le ministre des finances ; les circonstances ne sont
pas des plus favorables à la réalisation d'un emprunt ; mais pouvons-nous en
espérer prochainement de meilleures, et faut-il, en attendant, laisser le pays
exposé à tous les maux que les inondations traînent à leur suite ? Les
avantages immenses qui résulteraient de l'amélioration de nos voies fluviales
ne compenseraient-elles pas amplement la perte, qui d'ailleurs ne serait pas
très forte, que l'on devrait subir sur le taux de l'emprunt ?
Je livre ce sujet aux méditations les plus sérieuses du gouvernement. Il
ne s'agit pas seulement d'une question d'argent, il s'agit d'une question
d'humanité ; le gouvernement a un grand devoir à remplir, je l'attends à la
session prochaine.
M. Nothomb. - Messieurs, ce qui est au fond de ces débats, tel que vous l'ont
présenté surtout les honorables MM. Rogier et Lebeau, c'est le système des
traités de commerce. Etes-vous ou non partisans de ces sortes d'arrangements
internationaux ? C'est à ce point de vue que je vais me placer pour vous
entretenir pendant quelques instants.
Je trouve que ces honorables membres qui ont reproché au gouvernement
(et j'entends par là l'administration depuis cinq ans), qui ont reproché au
gouvernement d'être inconséquent, auraient dû, pour être conséquents de leur
côté, se déclarer adversaires de ce que j'appelle le système des traités de
commerce.
Tout pays, messieurs, qui veut conclure des traités de commerce, doit
avoir un tarif de douane et une législation maritime, tels qu'il puisse déroger
à ces lois pour faire des concessions aux nations avec lesquelles il veut
traiter.
Qu'est-ce en effet qu'un traité de commerce ? C'est l'échange de
concessions maritimes ou industrielles. Vous demandez des concessions à un pays
étranger. Il est évident que pour opérer cet échange, car il y a échange, il
faut offrir à ce pays des concessions industrielles ou maritimes destinées à
servir de compensation. Si vous n'avez rien à offrir, renoncez au système des
traités de commerce ; il est évident encore que pour avoir quelque chose à
offrir, il faut que votre tarif de douane et votre législation maritime ne
soient pas conçus dans un esprit tellement libéral, qu'aucune réduction ne soit
utilement possible en faveur de l'étranger.
Messieurs, il suffit d'énoncer ces propositions pour en faire, en
quelque sorte, la démonstration.
On a longtemps reproché au gouvernement belge son impuissance. Depuis
1830 jusqu'en 1840, on n'a pas conclu de véritable traité de commerce, et on ne
le pouvait pas, j'ai déjà dit pourquoi : on n'avait rien à offrir. Ce n'est
plus l'impuissance qu'on reproche au gouvernement, c'est l'inconséquence.
Examinons, messieurs, jusqu'à quel point il y a inconséquence de la part du
gouvernement. Recherchons si, dans la position donnée, avec le but que l'on
voulait atteindre, le gouvernement et les chambres, les majorités qui se sont
alors associées à lui, ne devaient point se conduire comme on l'a fait. Je
prétends qu'il y a esprit de suite, qu'il y a un système.
A diverses reprises vous avez cherché à négocier avec l'Allemagne, vous
l'avez essayé avant 1839, avant le traité de Londres, qui a définitivement
constitué la nationalité belge ; vous l'avez essayé depuis, vous n'y êtes point
parvenus. Il était, en effet, difficile de traiter avec l'Allemagne, avec un
pays dont les industries sont à peu près similaires aux nôtres ; il était
difficile d'offrir à ce pays des concessions industrielles, c'eût été froisser des industries de notre pays. Il s'est trouvé qu'un
des Etats, l'Etat principal du Zollverein, est un Etat maritime, et vous en
êtes ainsi arrivés à l'idée de traiter avec le Zollverein, en donnant aux
négociations pour base l'échange dos concessions industrielles que vous
réclamiez du Zollverein contre des concessions maritimes au profit de cet Etat
du Zollverein.
La position était encore la même par rapport au royaume des Pays-Bas.
Vous demandiez au royaume des Pays-Bas des concessions industrielles. Ici, il
ne pouvait être question d'offrir des concessions industrielles, il fallait
offrir principalement des concessions maritimes ; mais pour offrir des
concessions maritimes il fallait pouvoir entrer dans un système de droits
différentiels maritimes.
La France a conclu le 25 juillet 1840 un traité de commerce avec les
Pays-Bas ; lorsque ce traité a paru, on a dit au gouvernement belge : Faites-en
autant. Mais pour obtenir des concessions industrielles la France avait entre
autres ouvert au pavillon hollandais les ports du Rhin et de ses affluents,
c'est-à-dire qu'elle avait porté atteinte en faveur du pavillon hollandais à
son système différentiel.
C'est ainsi, messieurs, que par le cours naturel des choses, à la suite
de toutes les épreuves stériles que l'on avait faites, on est arrivé, il y a
cinq ans, à se dite que pour avoir enfin des négociations utiles avec la
Hollande, avec l'Allemagne, il fallait, en Belgique, se créer, à l'aide de lois
nouvelles, des moyens de négociations. Une de ces lois, et la plus fameuse,
c'est la loi des droits différentiels.
Tout ceci, messieurs, n'était pas aussi imprévu que l'a supposé entre autres
l'honorable M. Rogier, qui s'est plu à reproduire à plusieurs reprises un
lambeau d'un de mes discours. J'aurais voulu qu'au lieu de répéter si souvent
cette phrase où je ne montrais qu'un côté de la loi, il eût bien voulu citer
aussi d'autres passages de mes discours où je caractérisais avec autant de
force un autre but de la loi. A entendre l'honorable membre, nous n'aurions eu
pour but, dans la loi des droits différentiels, que de favoriser la marine
belge, ou, pour me servir d'une plus belle expression, de développer les
destinées du littoral.
Il est vrai, messieurs, que dans cette discussion on a indiqué comme un
but, mais seulement comme un des buts de la loi, de favoriser le pavillon belge
et par là même de favoriser les retours des pays transatlantiques et
l'exportation de nos produits industriels vers ces mêmes pays, mais j'ai dit
non pas une fois, mais toutes les fois que la question a été soulevée, cent
fois peut-être, que la loi soumise à la chambre était aussi un moyen de
négociations, un plan de campagne diplomatique, si vous le voulez. Ceci,
messieurs, a été ouvertement annoncé. Jusqu'à quel point ce que je viens
d'appeler un plan de campagne diplomatique, jusqu'à quel point ce plan de
campagne a-t-il réussi ? Le traité conclu avec le Zollverein a réuni la presque
unanimité dans les deux chambres ; tel sera aussi probablement le sort du
traité qui vous est soumis en ce moment. Beaucoup de membres ont accueilli je
dirai presque avec enthousiasme le premier traité que je viens de rappeler, aussi
bien que le second ; beaucoup de ces membres étaient de ceux qui avaient voté
contre la loi des droits différentiels.
Eh bien, qu'il me soit permis de le dire, je vois dans cette conduite
une rétractation de leur premier vote. (Interruption.)
Il n'y a rien, je pense, de désobligeant dans cette expression. Je le répète,
j'oserai dire que dans l'approbation donnée aux deux résultats de la loi des
droits différentiels, je vois une rétractation des votes hostiles à cette loi.
(Interruption.) Je soutiens qu'on ne
peut accepter les résultats et répudier les moyens.
Mais, dit-on, rien ne vous prouve que les traités qualifiés à juste
titre par l'honorable M. Lebeau de grands actes internationaux, rien ne
démontre que ces deux traités ne seraient pas intervenus en l'absence de la loi
des droits différentiels. C'est là, messieurs, une simple allégation. (Interruption.) Le contraire n'est pas
une simple allégation.
Jetez les yeux sur les deux traités : vous demandiez à l'Allemagne un
droit différentiel en faveur d'une grande industrie, de l'industrie
métallurgique ; c'était une demande exorbitante, et qu'aviez-vous à offrir â
l'Allemagne avant la loi des droits différentiels ? Rien. Et quand je dis rien, ce n'est pas une simple assertion, car vous
aviez vainement négocié pendant un grand nombre d'années ; vous aviez négocié à
Berlin, vous aviez négocié à Bruxelles. (Interruption.)
Vous n'aviez rien à offrir à l'Allemagne en retour des concessions
industrielles que vous sollicitiez. Lorsque, à la suite du traité de Londres,
du 19 avril 1839, vous avez ouvert une négociation directe avec la Hollande
pour résoudre toutes les questions territoriales, fluviales, financières, que
le traité de Londres avait laissées en suspens, il n'est pas échappé au
gouvernement qu'il devait chercher à joindre à cette grande négociation une
négociation commerciale : on a dit au gouvernement des Pays-Bas : Vous n'êtes
pas principalement un Etat industriel, nous vous demandons des concessions
industrielles, nous désirons traiter sur cette base. Le gouvernement des
Pays-Bas a répondu : Qu'avez-vous à offrir en retour des concessions
industrielles que vous demandez et, messieurs, nous n'avions rien à offrir. Ce
ne sont pas là des allégations.
Un
membre. - La pêche.
M. Nothomb. - Vous n'aviez pas même alors à offrir des concessions sur la pêche ;
la loi sur la pêche n'existait pas en 1839.
Le moyen principal de négociation que vous vous êtes ménagé, c’est la
loi des droits différentiels. Je n'ignore pas que vis-à-vis de la Hollande l'on
s'est en outre ménagé des moyens de négociation par la loi sur la pêche et par
la loi sur le bétail. telle que celle loi a été
modifiée dans ces derniers temps, lorsqu'on a étendu le haut droit à toute la
frontière, au lieu de généraliser le droit moindre.
Ainsi, à l'appui de l'opinion que nous soutenons, à savoir que ces deux
grands traités qu'on appelle des actes heureux, n'étaient pas possibles en
dehors de la législation qu'on critique ; à l'appui de cette opinion, dis-je,
nous avons les faits, nous avons l'historique de toutes les négociations
diplomatiques depuis 15 ans, nous avons toutes les épreuves infructueuses
tentées par tous les ministères qui avaient précédé l'administration dont j'ai
fait partie pendant pins de quatre ans comme ministre du commerce.
(page 1980) Il fallait donc, il y a cinq
ans, en prendre franchement son parti ; il fallait dire : Nous renonçons au
système des traités de commerce ; nous renonçons à l'espoir de faire des
brèches aux tarifs des pays qui nous entourent ; ou bien il fallait se décider
à proposer aux chambres certaines lois de nature à procurer au gouvernement
belge des moyens de négociations.
Mais, dit-on, c'est là un système immoral, inique. (Interruption.). J'irai jusqu'au bout de l'objection ; je comprends
l'ordre d'idées dans lequel on se place. Vous demandiez à l'Allemagne, par
exemple, un droit différentiel en faveur de l'industrie métallurgique ; vous
demandiez à la Hollande des droits différentiels ou du moins le statu quo de
son tarif en faveur de vos industries principales. Mais pour obtenir ces
concessions, vous êtes forcés d'offrir en holocauste (c'est le mot) des
industries belges, des intérêts belges.
La première réponse à cette objection c'est de dire que les traités de
commerce ne sont pas autrement possibles. (Interruption) Les traités de
commerce ne sont possibles (je suis forcé de le répéter, et j'en demande pardon
à la chambre), qu'à l'aide d'un échange de concessions industrielles et
maritimes. Il est évident que quand la Belgique fait une concession maritime ou
industrielle, elle froisse en Belgique un intérêt au profit d'un plus grand
intérêt belge que nous voulons favoriser.
II y a cependant ceci de vrai dans l'objection : c'est qu'il y aurait
quelque chose d'inique et d'immoral à outrer le système.
Si, par exemple, pour ne parler que d'un seul objet, la pêche, dont
l'honorable M. Donny vous a entretenus ; si on avait entièrement sacrifié la
loi du 10 avril 1841 qui appartient à l'administration dont l'honorable M.
Rogier faisait partie ; si on avait entièrement sacrifié la loi du 25 février
1842 qui appartient à mon administration qu'on a particulièrement inculpée, il
est évident qu'on aurait outré le système. Il serait vrai de dire alors qu'on a
offert en holocauste à un gouvernement étranger toute une industrie belge.
Mais telle n'est pas la portée du traité qui est soumis à la chambre.
Par une combinaison que je regarde comme heureuse, on n'a attribué à la pêche
hollandaise qu'une partie de la consommation belge, telle qu'elle existe, et on
a réservé le reste à la pêche belge, avec toutes les chances d'augmentation.
Citons un exemple, pour nous faire mieux comprendre : Prenons l'article Morue.
La Hollande pourra importer en Belgique, au droit réduit, 5,000 tonnes de morue
; la consommation est de 17,000 tonnes ; il ne reste donc plus que 12,000
tonnes à fournir par l'industrie belge. Pour réparer cette perte, il ne
faudrait qu'augmenter proportionnellement la consommation belge ; voulez-vous
un moyen d'augmenter cette consommation ? L'honorable M. Donny l'a indiqué
lui-même : faites la réforme du système d'octrois dans quelques-unes de vos
grandes villes ; ayez de meilleurs règlements pour les marchés de poisson, et
je vous annonce que vous retrouverez bientôt dans l'augmentation de la
consommation générale, les 5,000 tonnes de morue qu'on va enlever à l'industrie
belge. (Marques nombreuses d'adhésion.)
Le même raisonnement s'applique aux autres genres de poisson : il est
inutile d'entrer dans tous ces détails.
Je dois ici me permettre une petite digression qui n'est peut-être
qu'apparente ; je préviens probablement une objection. On me dira : « Dans une
autre circonstance, on a été plus loin, on a outré le système. C'est ainsi que,
quand il s'est agi de la convention linière du 16 juillet, on a sacrifié, pour
en obtenir le renouvellement, l'industrie lainière. » Je crois qu'il y a ici
exagération : l'industrie lainière n'a pas été sacrifiée au point où on le
suppose ; je dois avouer que longtemps même avant ma retraite du ministère, il
était prévu que l'on n'obtiendrait le renouvellement de la convention qu'à
l'aide de certaines modifications à l'arrêté du 14 juillet. Il y a plus : c'est
que les industriels belges qui ont provoqué l'arrêté du 14 juillet, contresigné
par moi, n'ont jamais demandé cet arrêté contre la France ; ils l'ont demandé
contre une autre puissance, dont chacun peut deviner le nom. On disait au
gouvernement : « Nous ne voulons rien faire d'hostile à la France, nous ne
voulons pas compromettre nos négociations avec la France. » Néanmoins, l'arrêté
a été général ; mais à peine l'arrêté était-il pris, que les industriels se
sont dit : « Ce que nous tenons est bon à garder. » (On rit.)
Le gouvernement, une fois averti, ne s'est plus exposé au même embarras,
lorsqu'il s'est agi d'augmenter le droit sur le coton ; cette fois, le
gouvernement a eu soin d'insérer dans l'arrêté, qui est du 15 octobre 1844,
l'exception temporaire, en quelque sorte anticipée en faveur de la France.
A-t-on outré le système, au point de le rendre immoral, inique ? Est-on
tombé dans des inconséquences au sujet de la loi des droits différentiels
elle-même ? Il faudrait répondre affirmativement, à en croire certains membres
qui viennent nous déclarer que la loi des droits différentiels n’’existe plus :
cette loi ne serait plus qu'une espèce de mystification.
Il faudrait démontrer que les faveurs de pavillon accordées soit dans le
traité du 1er septembre, soit dans le traité du 29 juillet, sont telles qu'il y
a assimilation complète du pavillon étranger au pavillon belge. Cela existe
dans très peu de cas. Dans le traité avec le Zollverein, il y a assimilation
pour certains produits de la Baltique, mais le commerce des autres mers reste
excepté, demeure réservé au pavillon belge.
Le traité qui nous est soumis qu'accorde-t-il au pavillon hollandais ? Y
a-t-il dans tous les cas assimilation de pavillon ? Elle existe dans certains
cas, j'en conviens ; pour les 7 millions de kilog. de
café et pour une certaine quantité du tabac : il y a assimilation pour certains
bois du Rhin ; mais il n'y a pas assimilation, par exemple, pour les produits
de la Baltique énumérés dans le traité, il n'y a qu'assimilation du pavillon
hollandais au pavillon étranger venant du lieu de production.
En examinant bien le traité, peut-on dire que la loi des droits
différentiels a disparu ?
A en croire l'honorable M. Delfosse, l’existence de la loi des droits
différentiels ne serait plus que nominale ; il ne reste plus qu'à la révoquer
d'une manière formelle.
M. Delfosse. - Je n'ai pas dit cela !
M. Nothomb. - Cette loi que vous voulez révoquer en même temps que vous vous
félicitez des traités conclus avec le Zollverein et avec la Hollande, est
tellement la base de ces traités que le jour où vous la révoqueriez les traités
viendraient à tomber.
M. Delfosse. - Je demande la parole.
M. Nothomb. - A moins que, par un hasard providentiel, vous ne parveniez à substituer
aux concessions maritimes je ne sais quelles concessions que vous avez
vainement cherchées pendant dix ans avant d'avoir la loi des droits
différentiels.
Puisqu'on a si amèrement incriminé l'administration à laquelle j'ai
appartenu, je dis à ceux qui peuvent être appelés à constituer les
administrations futures, que je leur porte le défi de révoquer la loi des
droits différentiels, à moins de renoncer franchement à faire des traités de
commerce, à moins d'insérer dans leur programme : pas de traités de commerce ;
dans ce cas et dans ce cas seulement vous pouvez révoquer la loi des droits
différentiels.
Je viens de dire quelles sont les conséquences du système une fois
adopté des traités de commerce. Comment faut-il qualifier ce système ?
Mérite-t-il qu'on le flétrisse du nom de rétrograde ? L'avenir nous
réserve-t-il un autre système plus élevé, plus généreux ? Je n'examinerai pas
la qualification qu'on donne à ce système, mais je demanderai quel était le
système nécessaire à la Belgique. La position de la Belgique ne tient pas à une
théorie, à un vœu que l'avenir réalisera peut-être ; la position de la Belgique
est commandée par la politique des pays qui l'entourent. Que demandait-on
depuis 1830, que demandait-on au congrès, même quand le pays n'était pas encore
constitué ? On demandait des traités de commerce. Le gouvernement pouvait-il ne
pas accepter la mission de faire des traités de commerce ?
Dès lors que cette mission, sous l'empire des circonstances où l'on se
trouvait, nous était imposée par le vœu du pays, et était justifiée par la
politique des gouvernements étrangers, le gouvernement devait recourir aux
seuls moyens propres à le réaliser.
En sera-t-il autrement dans l'avenir ? Les Etats du continent accepteront-ils la grande politique, je veux bien la
qualifier ainsi, que vient d'inaugurer l'Angleterre ? L'Angleterre renonce
ouvertement aux traités de commerce ; en y renonçant, elle réduit ses tarifs,
sans se demander : Obtiendrai-je en retour des réductions des gouvernements
étrangers ? Elle dit avec MM. Rogier et Lebeau : Le véritable système que
commande la civilisation du monde, c'est le système le plus libéral en matière
de tarifs ; mais en disant cela, elle ajoute : Plus de traités de commerce !
C'est malheureusement ce que n'ont pas dit les deux honorables membres que vous
avez entendus et qui m'ont si sévèrement blâmés ;
c'est l'inconséquence que je leur reproche. (Interruption.)
Je suis loin de repousser toutes les considérations présentées par ces
honorables membres ; mais je leur demande de juger moins sévèrement
l'administration dont j'ai fait partie, et de voir plus nettement les
conséquences de la doctrine qu'ils paraissent préconiser.
Je me suis toujours montré, dit M. Rogier, l'adversaire des mesures
restrictives, mesures qui tendent à isoler la Belgique. Est-il vrai que ces
lois vous aient isolés ? Je prétends que si vous étiez restés dans votre tarif
libéral, si vous aviez repoussé la loi des droits différentiels, c'est alors
que vous seriez restés dans l'isolement ; vous n'auriez pas conclu de traités
de commerce.
Une
voix. - Et la Suisse.
M. Nothomb. - L'honorable M. Lebeau cite la Suisse. Je l'en remercie. La Suisse
n'a pas de douane, mais elle n'a pas de traité de commerce elle n'en veut pas.
Dites comme elle : Pas de traités de commerce ; et n'ayez pas de douane. Mais
en blâmant le ministère vous vous félicitez du traité ; vous l'appelez un acte
heureux et vous préconisez l'absence de tarif, vous voulez le priver des moyens
de négociations, permettez-moi de vous dire encore : Vous êtes inconséquents
avec vous-mêmes.
Je serais désolé que l'honorable membre crût que je veux outrer les
considérations qu'il a présentées, je sais qu'il n'entend pas briser les
tarifs. La seule question est celle-ci : vous avez voulu depuis 1830 des
traités de commerce, depuis trois ans vous en avez obtenu et vous répudiez les
seuls moyens qui pouvaient les amener ; là est l'inconséquence.
M. Lebeau. - Depuis 10 ans ces moyens vous étaient proposés par l'honorable M. de
Foere !
M. Nothomb. - Que l'honorable M. de Foere le premier dans cette chambre ait le
mieux compris la question, je le veux bien. Ce n'est pas une affaire
d'amour-propre ; je croirais rabaisser ce débat si j'en faisais une question de
ce genre.
Il faut donc nous demander si le système qui a été suivi depuis 1830,
depuis cinq ans surtout, et dont vous êtes appelé à sanctionner un des
résultats était nécessaire ; s'il était possible d'atteindre ce résultat
autrement que dans la voie où l’on est entré.
Je suis autant que l'honorable membre partisan de la liberté commerciale
; (page 1981) mais comme homme
politique, comme homme de gouvernement, comme membre d'une chambre, je suis à
chaque moment forcé de me demander quelle est la politique qu'impose à la
Belgique l'attitude prise par les gouvernements étrangers.
Je reconnais ce qu'il y a de douloureux, d'affligeant dans la crise que
nous avons dû traverser ; mais ne fallait-il pas une crise et jusqu'à quel point
peut-on la déplorer en présence du résultat que nous avons atteint ?
Je ne veux pas m'occuper de ce qui est arrivé depuis ma retraite du
ministère, mais je veux être franc, je veux bien reconnaître que si j'étais
resté aux affaires, l'exception des 7 millions aurait été purement et
simplement maintenue. Je n'oserais pas dire qu'avec ce moyen le traité qui vous
est soumis serait maintenant déposé sur le bureau.
Il fallait peut-être, je ne dirai pas une crise aussi profonde, mais une
crise momentanée qui réagît sur l'opinion publique et par suite sur les deux
gouvernements, pour arriver à ce résultat. Une crise frappe nécessairement les
esprits, remue les populations et, par contrecoup agit sur les gouvernements,
tandis qu'avec l'exception de 7 millions purement et simplement maintenue, la
négociation se présentait un peu trop a priori. Aussi je ne veux pas infliger
un blâme à mon profit, je ne veux pas dire qu'avec le maintien de l'exception
de 7 millions on aurait pu obtenir le traité du 29 juillet ; je n'oserais pas
le dire... consciencieusement parlant. Les expressions « je n'oserais pas »
pouvaient faire supposer que je ne l'aurais pas osé en raison de ma position
officielle hors de cette chambre.
J'aime à croire que la phase dans laquelle on est entré depuis cinq ans
est close. Aussi la plupart des grands résultats que nous avions en vue
sont-ils atteints. Un de ces grands résultats est surtout atteint par le traité
du 29 juillet. La Hollande nous offre pour nos produits industriels le marché
le plus avantageux et le statu quo vous y est désormais garanti pour la plupart
de nos industries.
Une
voix. - Il y a mieux que cela.
M. Nothomb. - Je le sais ; nous l'avons souvent reconnu ; c'eût déjà été une stipulation
avantageuse que d'obtenir la seule garantie du maintien du statu quo avec la
Hollande. Nous avons obtenu davantage, nous avons obtenu la réduction sur
beaucoup de droits.
Une
voix. - Et la France.
M. Nothomb. - Je regrette, puisqu'on parle de la France, de ne pouvoir en dire
autant de la France ; mais c'est que vous n'aviez pas assez lui offrir. Toutes
ces industries sont similaires aux vôtres ; fort heureusement vous ne produisez
pas de vins, et lorsqu'il s'est agi d'accorder une compensation pour conserver
le débouché français à l'industrie linière, ne produisant pas de vins, vous
avez pu faire à la France une concession, non pas industrielle ou commerciale,
mais financière.
Je regrette encore que, par le traité du 1er
septembre, nous n'ayons pu, du côté de l'Allemagne, nous assurer le statu quo
aussi largement qu'il nous est désormais garanti du côté des Pays-Bas.
J'espère néanmoins, je le répète, que la phase ouverte depuis cinq ans
est fermée ; je désire, je demande que cette phase dont tous les grands
résultats ont été acceptés par la presque unanimité des deux chambres, soit
dans son ensemble plus impartialement jugée.
Plusieurs
membres. - La clôture !
M. Mercier. - Mon tour de parole est arrivé ; mais si la chambre désire clore la
discussion, je n'insiste pas pour parler.
M. Dumortier. - Je suis inscrit sur le projet ; mon intention est de présenter des
observations sur plusieurs articles et notamment sur celui relatif à
l'industrie de la pêche, à laquelle nous portons tous un grand intérêt.
Mon intention étant de m'abstenir, j'aurais pu me faire inscrire contre
le projet, et, dans ce cas, mon tour de parole serait déjà venu. Je n'ai pas
voulu le faire. J'espère que néanmoins la chambre voudra bien m'entendre.
D'ailleurs, il ne conviendrait guère qu'une question aussi grave fût vidée en
une seule séance.
M.
Vandensteen et M. Savart-Martel
renoncent à la parole.
La chambre les autorise à faire insérer dans le Moniteur les
observations qu'ils voulaient présenter.
M. d’Elhoungne. - Je n'ai qu'un mot à dire. Deux interprétations ont été données à mon
rapport. Je déclare que l'interprétation de l'honorable M. Delfosse rend non
seulement ma pensée, mais encore celle de la section centrale.
- La discussion générale est close.
M. Osy. - Avant de voter sur les articles de la loi, il doit nous être permis
de faire des observations sur le traité même. Hier j'ai dit que je demanderais
des renseignements sur l'article 24. Il me paraît qu'on pourrait bien accorder
la parole à ceux qui veulent demander des renseignements au sujet du traité
même.
M. le président. - Nous n'en sommes pas encore à l'article premier de la loi.
M. Osy. - C'est sur l'article 24 du traité que je demande la parole.
M. le président. - Je ne pense pas que la chambre veuille ouvrir une discussion
spéciale sur chaque article du traité. Cela serait contraire à ses précédents.
Plusieurs
membres. - Cela ne s'est jamais
fait.
Discussion des
articles
M. le président. - L’article premier du projet est ainsi conçu :
« Art. 1er. Le traite de commerce
et de navigation entre la Belgique et les Pays-Bas, et signé à La Haye, le
vingt-neuf juillet 1840, sortira son plein et entier effet. »
M. Osy. - Je demande la parole. (Réclamations.)
M. Mercier. - Je ne crois pas qu'on puisse discuter de nouveau de traité. Sinon je
réclamerai mon tour de parole.
M. Osy. - J'ai demandé la parole sur le traité ; on me l'a refusée. Maintenant
je la demande sur l'article premier de la loi ; je crois qu'on doit m'entendre.
J'ai déclaré hier que tout en votant pour la convention, nous demandions
au gouvernement de vouloir s'occuper de trois objets importants que réclame le
commerce d'Anvers en compensation des sacrifices que lui impose le traité... (Interruption.) M. le ministre des
affaires étrangères ne s'est pas expliqué à cet égard. Je le prie de me dire s'il s'occupera de ces trois objets.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Oui.
M. Osy. - Je demanderai aussi qu'il vous dise si l'affaire des relâches n'est
pas contraire à l'article 24 de la convention.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
Article 2
« Art. 2. Le tarif établi par l'arrêté royal du 12 janvier 1846 est
applicable aux marchandises déclarées pour la consommation après le 13 janvier
1846. »
- Adopté.
Article 3
« Art. 3. Le gouvernement modifiera, provisoirement, les conditions
établies par les articles 53 et 56 de la loi du 2 août 1822 (Journal officiel,
n°32) de manière à faciliter l'exportation des biens avec décharge de l'accise.
« Les dispositions prises en vertu du présent article, seront soumises à
l'approbation des chambres, dans leur prochaine session. »
- Adopté.
Vote sur l’ensemble du
projet
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de
loi.
77 membres répondent à l'appel nominal.
65 votent l'adoption.
6 votent le rejet.
6 s'abstiennent.
En conséquence le projet est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont voté l'adoption : MM. de Tornaco, de Villegas, d'Huart, Dolez, Dubus
(aîné), de Lannoy, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Kervyn, Lange, Lebeau,
Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier,
Nothomb, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Scheyven, Sigart, Thienpont,
Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen. Verhaegen, Verwilghen,
Veydt, Vilain XIII1, Anspach, Brabant, Cans, Coppieters, David, de Bonne, de
Breyne, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de
La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meer de
Moorsel, de Meester, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq.
Ont voté le rejet : MM. Donny, Huveners, Simons, Biebuyck, Clep, et de
Foere. Se sont abstenus :
MM. A. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Maertens, Rodenbach et Zoude.
Les membres qui se sont abstenus sont invités
à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Dubus (Albéric). - Je n'ai pas voté contre le
traité, parce que je le considère en général comme avantageux au pays.
Je n'ai pas voté pour, parce qu'il renferme des clauses préjudiciables à
plusieurs de nos industries et notamment à la fabrication de nos étoffes de
laine grossière qui est menacée de destruction par la réduction accordée à la
Hollande sur les droits que payent ces articles à l'importation.
M. Dumortier. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre le traité parce qu'il
offre des avantages pour plusieurs de nos industries et qu'il facilite un
rapprochement commercial avec la Hollande, rapprochement que j'ai toujours
désiré.
Cependant il m'a été impossible de donner à ce traité un vote
approbatif, parce qu'il sacrifie diverses industries et spécialement la pêche
nationale qui est la pépinière de notre marine ; parce qu'il me paraît
impossible de vouloir réorganiser la marine en enlevant la possibilité de créer
et de former des matelots ; parce que d'un autre côté je regarde comme une
chose infiniment déplorable d'élever des industries au moyen de droits
protecteurs pour les sacrifier ensuite. Ce système que l'on a suivi dans le
traité qui vient d'être voté, en ce qui concerne la pêche, est le même que
celui qui a été suivi dans le traité avec la France en ce qui concerne
l'industrie des laines, et que j'ai blâmé lors de la discussion de ce dernier
traité. Je ne puis donc aujourd'hui lui donner mon approbation.,
M. Eloy de Burdinne. - Je me suis abstenu par les motifs que vient de faire valoir M.
Dumortier, et, en outre, parce que je crois que l'on aurait pu obtenir le même
résultat en faveur de quelques-unes de nos industries, sans en sacrifier
d'autres, si l'on avait fait les concessions auxquelles j'ai fait allusion et
qui, loin d'être onéreuses au pays, lui auraient été éminemment avantageuses.
M. Maertens. - Je n'ai point voté contre le traité, parce que je ne puis
méconnaître qu'il contient quelques dispositions favorables à la Belgique ;
mais je n'ai pu y donner mon assentiment, parce que, tout en (page 1982) admettant que dans une
convention de cette nature il faut des concessions réciproques, je trouve qu'il
est souverainement injuste et impolitique de sacrifier l'industrie de la pêche,
la seule qui, dans la Flandre occidentale, eût encore quelque vie.
M. Rodenbach. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M.
Maertens.
M. Zoude. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai développés dans mon
discours.
M. Savart-Martel. - Je regrette, messieurs, de m'être absenté un instant, précisément au
moment du vote. Je déclare que j'aurais voté pour le traité.
PROJETS DE LOI
ACCORDANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX
PUBLICS POUR LE CHEMIN DE FER DE L’ETAT
M.
le ministre des finances (M. Malou). - II est important, messieurs, que les crédits demandés par mon
honorable collègue des travaux publics soient votés dans la présente session.
Comme la chambre paraît désireuse de se séparer, il me semble qu'il faudrait
décider ou qu'on abordera immédiatement la discussion de ces crédits ou qu'on
se réunira ce soir, car je crains fort que demain on ne soit plus en nombre.
M. Delfosse. - Pourquoi ne pourrions-nous pas nous réunir aussi bien demain que ce
soir ?
Des
membres. - Demain à dix heures.
D'autres
membres. - A midi ! à midi !
M. le président. - Si l'on remet la séance à demain, il faut que ceux qui voteront dans
ce sens prennent l'engagement de venir, car parmi les crédits dont il s'agit,
il en est qui ne peuvent pas être remis à la session prochaine.
- La proposition de fixer une séance à ce soir est mise aux voix ; elle
n'est pas adoptée.
La chambre décide ensuite qu'elle se réunira demain à midi.
M. de Man d’Attenrode,
rapporteur. - Messieurs, dans la
séance d'hier, M. le ministre des travaux publics a
annoncé qu'il communiquerait à la section centrale une note relative à des
modifications au projet de loi dont elle avait proposé l'ajournement. Cette
note a été remise et la section centrale qui s'est réunie pour l'examiner ;
mais elle ne s'est pas crue assez éclairée sur les divers articles de la
proposition du gouvernement, et elle m'a chargé de présenter le rapport que
j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, rapport dans lequel elle se borne à
proposer l'adoption d'un crédit de 100,000 fr. pour renouvellement de billes et
de rails.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, qui
sera discuté dans la séance de demain.
La séance est levée à quatre heures et demie.