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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du vendredi 3 juillet 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative au canal de Vilvorde à Diest (de Man
d’Attenrode)
2) Projet de loi accordant
un crédit supplémentaire au budget du département de l’intérieur pour
l’exercice 1845 (Veydt, Dedecker, Osy)
3) Projet de loi tendant à
interpréter l’article 442 du code de commerce. Mise à l’ordre du jour (Maertens,
d’Anethan,
Delfosse,
Maertens,
de
Garcia, Delfosse, d’Anethan, Maertens,
Delfosse)
4) Projet de loi accordant un
crédit supplémentaire au budget du département de la guerre pour créances
arriérées
5) Motion d’ordre relative
au personnel des tribunaux de Louvain et de Mons (Delehaye, d’Anethan,
Delehaye,
de
Garcia, de La Coste)
6) Projet de loi portant
approbation du traité de commerce conclu avec la France (+droits sur les lins
et la laine). Discussion générale (David, Lesoinne, David,
Dechamps,
de Roo,
Delehaye,
Rodenbach,
(+traité avec la Hollande) (Delfosse), Dechamps, Delehaye,
Rodenbach,
Delfosse,
Dumortier,
Van
Cutsem, Dumortier)
(Annales parlementaires de
Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Vilain XIIII.)
(page 1815) M. de Villegas procède à l'appel
nominal à une heure et un quart ; la séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction
est approuvée.
M. de Villegas fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« Les membres de l'administration communale d'Essche-St-Liévin
demandent l'exécution du chemin de fer projeté de Bruxelles à Wetteren par
Denderleeuw, Alost et Lede. »
« Même demande des membres des administrations communales de Grootenberge, de St-Antelinckx, Bambrugge, Smetlede, Borsbeke, Ressegem et Vlierzele. »
- Renvoi au ministre des travaux publics.
« Plusieurs propriétaires, cultivateurs, industriels et commerçants de
la ville de Diest et environs demandent la construction du canal de Vilvorde à
Diest. »
M. de Man d’Attenrode. - Les signataires de cette pétition que j'ai déposée sont au nombre de
370 ; ils demandent l'exécution d'une promesse faite depuis longtemps par le
gouvernement. Je propose le renvoi à la commission des pétitions, avec demande
d'un prompt rapport. J'espère qu'elle voudra bien en hâter assez la
présentation pour que la chambre puisse renvoyer la pétition à M. le ministre
des travaux publics, avant la fin de la session.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions, avec demande
d'un prompt rapport.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR POUR L’EXERCICE 1845
M. Veydt, au nom de la commission qui a examiné le projet de loi de crédit
supplémentaire de 218,781 fr. 66 c. concernant le département de l'intérieur,
exercice 1845, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport ; sur
la proposition de M. Dedecker,
elle met le projet de loi à la suite de l'ordre du jour.
Sur la proposition de M. Osy,
la chambre met également à la suite de l'ordre du jour la discussion d'un
projet de loi de crédit, concernant le département des affaires étrangères.
PROJET DE LOI TENDANT
A INTERPRETER L’ARTICLE 442 DU CODE DE COMMERCE
M. Maertens., au nom de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi
tendant à interpréter l'article 442 du Code de commerce, dépose le rapport sur
ce projet de loi.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). - N'y aurait-il pas moyen, vu l'urgence, de discuter immédiatement ce
projet de loi ? Je ne pense pas qu'il puisse rencontrer la moindre opposition.
Il a été adopté à l'unanimité par la commission ; il n'est que la reproduction
de celui que la chambre a adopté l'année dernière. L'amendement du sénat ne
change rien à l'interprétation admise par la chambre, il se borne à réserver en
termes exprès une question qui était déjà virtuellement réservée.
La faillite dont il s'agit est ouverte depuis 1822 ; et il est réellement
urgent d'en finir.
Je suis persuadé que l'honorable rapporteur déclarera comme moi qu'il ne
peut y avoir aucune difficulté au sujet du projet de loi.
M. Delfosse. - Je consens à la discussion après le vote de la convention avec la
France. Mais on ne peut demander la discussion immédiate.
M. Maertens. - Le projet de loi ne peut présenter aucune difficulté. Il suffira
pour vous en convaincre de vous présenter un aperçu sommaire de la question et
de vous donner lecture de la dernière partie de mon rapport.
La chambre doit se rappeler que l'article 442 du Code de commerce a
donné lieu à un dissentiment entre les cours d'appel et la cour de cassation
d'une part, et d'autre part entre la chambre des représentants et le sénat.
La chambre déjà a été appelée deux fois à se prononcer sur cet objet, et
toujours elle a persisté dans son opinion, qu'aux termes de l'article 442 du
code de commerce, le failli était dessaisi de plein droit, à partir du jour de
l'ouverture de la faillite.
Le sénat, qui d'abord s'était prononcé dans un sens contraire, a fini
par adopter cette interprétation. Voici les dispositions que, dans la séance du
24 février, il a sanctionnées en projet de loi :
« L'article 442 du code de commerce est interprété de la manière
suivante :
« Le failli, à compter du jour de l'ouverture de la faillite, est
dessaisi de plein droit de l'administration de ses biens. »
Cela est parfaitement conforme à toutes les décisions qui ont été prises
jusqu'à ce jour par la chambre.
Le sénat ajoute :
« Néanmoins les questions relatives aux effets de ce dessaisissement
seront décidées suivant les principes généraux du droit et de l'équité. »
Cela est également conforme aux principes que la chambre avait admis et
dans la première discussion et dans le rapport très volumineux que j'ai eu
l'honneur de présenter le 6 juin 1844.
Voici, messieurs, comment la commission à l'unanimité vous propose
d'adopter cet amendement du sénat :
(L'honorable membre donne lecture de ce
passage.)
Je crois, messieurs, qu'en présence de ces explications, la chambre qui
déjà deux fois a voté dans ce sens, ne se départira pas aujourd'hui du système
qu'elle a constamment admis, système qui lui est présenté par le projet amendé
du sénat. En adoptant ce projet, messieurs, vous mettrez un terme à la
souffrance dans laquelle se trouvent d'importants intérêts depuis plus de 25
ans, car l'ouverture de la faillite, dans laquelle s'est présentée la question
qu'il s'agit de trancher aujourd'hui, remonte à l'année 1820.
M. de Garcia. - Messieurs, j'appuie la motion faite par M. le ministre de la justice
et par l'honorable rapporteur.
Cette question, messieurs, a déjà été discutée dans cette assemblée ;
elle a été discutée au sénat ; elle est pendante depuis cinq ou six ans ; il
est urgent d'en finir.
Ici,
messieurs, nous faisons en quelque sorte l'office de juge. Si un corps de
justice mettait autant de temps à se prononcer, il serait évidemment accusé de
négligence et même de déni de justice.
Je crois donc qu'un devoir impérieux nous incombe, c'est de décider la
question d'application de droit que présente l'article 442 du Code de commerce.
Par ce motif, j'appuie de toutes mes forces la discussion immédiate du projet
de loi.
M. Delfosse. - Je reconnais qu'il est très urgent de décider cette question qui est
pendante depuis 1822. Mais c'est parce que je reconnais qu'il y a urgence que
j'ai demandé la mise à l'ordre du jour du projet de loi après la discussion de
la convention avec la France.
M. le ministre de la justice (M.
d’Anethan). - Messieurs, la
proposition de l'honorable M. Delfosse ne serait pas combattue par le
gouvernement, si je n'avais la crainte qu'après le vote de la convention avec
la France, la chambre ne se trouvât plus en nombre. Mais d'après les intentions
que j'ai entendu manifester sur plusieurs bancs, j'ai cru devoir présenter ma
motion.
M. Delehaye. - Et la convention avec la Hollande ?
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). - La chambre n'en est pas encore saisie.
Je ne demande, du reste, pas mieux que d'attendre quelques jours, si je puis
compter que le projet sera voté pendant cette session.
Si ma proposition pouvait souffrir la moindre difficulté, je la
retirerais, et je me réunirais à celle de l'honorable M. Delfosse. Cependant,
je pense qu'après les explications si claires de M. le rapporteur, il n'y a
aucun inconvénient à s'occuper immédiatement de ce projet.
M.
Maertens. - Si la chambre défère à
la proposition de l'honorable M. Delfosse, tout ce qui a été dit jusqu'à
présent deviendra inutile et nous aurons perdu notre temps.
J'ai expliqué, me semble-t-il, la question avec une lucidité telle
qu'elle doit avoir parfaitement été comprise par la chambre, qui déjà en a été
saisie deux fois, et qui est appelée aujourd'hui à prendre la même décision
qu'elle a prise deux fois à la presque unanimité des membres présents.
Je pense donc que si nous voulons faire quelque chose et ne pas perdre
du temps par des propositions d'ajournement ou de recul, nous devons adopter
immédiatement les conclusions que j'ai l'honneur de présenter à la chambre.
M. Delfosse. - M. le ministre de la justice semble croire que la chambre va se
séparer après le vote de la convention ; moi je pense que la chambre comprendra
assez ses devoirs pour ne pas se séparer avant d'avoir terminé les autres
objets urgents qui sont à l'ordre du jour ; il y a, entre autres, des crédits
supplémentaires qui doivent être votés.
M. le ministre de la justice (M.
d’Anethan). - Messieurs, il a été
très loin de ma pensée de dire rien d'injurieux pour la chambre ; mes paroles
n'étaient que la reproduction de bruits généralement répandus ; le gouvernement
ne demande pas que la chambre se sépare, il désire au contraire qu'elle
s'occupe encore de projets qui lui sont présentés ; je le répète, je n'ai
demandé la discussion immédiate du projet de loi qu'à cause des bruits auxquels
j'ai fait allusion.
- La chambre consultée décide qu'elle discutera immédiatement le projet
de loi dont il s'agit.
(page 1816) M. le président. - L'article unique du
projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. L'article 442 du Code de commerce est interprété de la
manière suivante :
« Le failli, à compter du jour de l'ouverture de la faillite, est
dessaisi de plein droit de l'administration de ses biens.
« Néanmoins les questions relatives aux effets de ce dessaisissement
seront décidées suivant les principes généraux du droit et de l'équité. »
- Personne ne demandant la parole, il est procédé à l'appel nominal sur
l'article unique du projet de loi.
Voici le résultat de cette opération :
59 membres sont présents.
4 membres s'abstiennent.
55 membres répondent oui.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera soumis à la
sanction royale.
Ont répondu oui : MM. Brabant, Cans, Clep, Coppieters, d'Anethan, David,
de Bonne, de Breyne, Dechamps, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de
Haerne, Delehaye, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de
Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Roo, de Saegher, Desmaisières,
de Smet, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, Donny, Dubus (aîné), Dubus
(Albéric), Dumont, Eloy de Burdinne, Fleussu, Huveners, Lejeune, Loos,
Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Osy, Pirson, Rodenbach, Scheyven,
Sigart, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Veydt,
Wallaert, Zoude et Vilain XIIII.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à« faire connaître les
motifs de leur abstention.
M. de La Coste. - Je ne savais pas qu'on s'occuperait de ce projet aujourd'hui, et je
n'avais pas examiné la question.
M. Delfosse. - On ne m'a pas donné le temps de prendre connaissance du rapport.
M. Lys. - Je me suis abstenu pour le même motif que M. Delfosse.
M. Pirmez. - J'aurais voulu prendre connaissance du rapport.
PROJET DE LOI ACCORDANT
UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR CREANCES
ARRIEREES
M. le ministre des finances (M.
Malou). présente un projet de loi
tendant à accorder au département de la guerre un crédit de fr. 536, 909 78,
applicable en partie à des créances ajournées par la commission des finances
comme n'étant pas suffisamment justifiées, et en partie aux indemnités dues par
l'Etat du chef d'inondations tendues en 1815 et 1816 autour de quelques places
fortes.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet, et le
renvoie à l'examen delà commission des finances.
MOTION D’ORDRE
M.
Delehaye. - La chambre a été saisie
par le gouvernement d'un projet de loi tendant à augmenter le personnel des
tribunaux de Louvain et de Mons. Dans l'exposé des motifs de ce projet je
remarque que la cour d'appel de Bruxelles a été consultée, conformément à
l'article 23 de la loi du 25 mars 1841, et qu’elle a émis l'avis qu'il n'y
avait pas lieu d'augmenter le nombre d'audiences. Evidemment si la cour d'appel
de Bruxelles n'a pas donné d'autre renseignement, elle a répondu d'une manière
incomplète à la demande du gouvernement, et je pense qu'elle doit avoir donné
des explications beaucoup plus étendues, car je ne comprendrais pas qu'elle se
fût bornée à dire qu'il ne faut pas augmenter le nombre d’audiences : en effet,
de ce qu'il ne faut pas augmenter le nombre d'audiences il ne résulte pas
nécessairement qu'il faille augmenter le personnel et il serait très possible
que la cour d'appel de Bruxelles ait répondu qu'il ne faut augmenter ni le
nombre d'audiences ni le personnel. Je voudrais que les membres de la chambre
fussent mis à même d'examiner l'avis de la cour d'appel de Bruxelles et je
demanderai que M. le ministre de la justice veuille bien le faire imprimer et
distribuer.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne m'oppose aucunement â la demande faite par l'honorable M,
Delehaye. Mon intention était de communiquer cette pièce à la section centrale
; mais, si la chambre le désire, je la communiquerai dès à présent pour que la
chambre puisse la faire imprimer ; je me prêterai bien volontiers à ce désir.
M. Delehaye. - Je ferai remarquer à la chambre, messieurs, que les sections ne se
sont pas encore occupées du projet, et lorsqu'il s'agit d'augmenter le
personnel d'un tribunal, il convient que chaque membre de la chambre puisse
examiner l'avis de la cour d'appel. Je pense qu'il serait convenable que cet
avis fût imprimé et distribué aux membres de a chambre. Il n'en résultera
d'ailleurs qu'une très faible dépense.
M. de Garcia. - Je crois, messieurs, que l'observation de l'honorable membre n'est
pas réellement une motion d'ordre, mais je la considère comme propre à éclairer
la chambre. A ce point de vue, je crois devoir faire une autre observation.
Nous sommes saisis d'un projet de loi pour la réorganisation des cours
d'assises. En présence de ce projet de loi, il ne faut pas trop précipiter
l'examen du projet de loi sur l'augmentation du personnel de certains
tribunaux. L'adoption des principes établis dans la loi sur la réorganisation
des cours d'assises conduira indubitablement à une réduction dans le personnel
de deux ou trois tribunaux de chef-lieu de province.
Je voudrais que, pour ne pas occasionner des dépenses frustratoires, les
magistrats, jugés inutiles dans certains sièges, trouvassent leur replacement
dans les tribunaux où une augmentation de personnel serait reconnue nécessaire.
Plusieurs membres. - C'est le fond.
M. de Garcia. - Ce n'est pas plus le fond que l’observation de l'honorable M.
Delehaye. Cet honorable membre a présenté des considérations dans un sens, j'en
ai présenté dans un autre, mais les unes et les autres doivent avoir pour
résultat utile d'apprécier le projet de loi sur l'augmentation du personnel de
certains sièges de justice.
M. de La Coste. - Les observations de l'honorable M. de Garcia ne sont pas, ce me
semble, en rapport (qu'il me permette de le dire) avec la proposition de l'honorable
M. Delehaye ; elles concernent un projet de loi déjà ancien. Si la chambre en
avait reconnu l'urgence, elle s'en serait occupée. Si elle n'en a pas reconnu
l'urgence, ce n'est pas une raison pour laisser un arrondissement avec une
justice incomplète ; car le but de la loi dont il s'agit maintenant est de
rendre la justice complète dans l'arrondissement de Louvain.
M. de Garcia. - Je me réserve, et il me sera facile de répondre à l'honorable M. de La
Coste quand le projet de loi sera en discussion.
PROJET DE LOI
APPROUVANT LA CONVENTION COMMERCIALE CONCLUE AVEC LA FRANCE
Discussion générale
M. David. - Hier la chambre, désirant lever la séance, m'a forcé à interrompre
mon discours.
Après avoir discuté l'intérêt de l'industrie des tissus de fils de
laine, j'étais arrivé à vous prouver, par des citations que j'aurai l'honneur
de vous faire, que, sous beaucoup de rapports, nous avons fait à la France des
concessions, pour lesquelles nous n'avons obtenu aucune compensation.
Je commencerai par une comparaison de la balance commerciale entre la
Belgique et la France.
Messieurs, si, pour justifier les énormes concessions qu'exige la France
de la Belgique, un coup d'œil jeté sur la balance commerciale entre les deux
pays pouvait nous démontrer que nous devons quelque chose à la France ; oh ! alors je cesserais mon opposition, je n'infligerais pas de
blâme à nos négociations.
La France importe en Belgique pour environ 50 millions ; La Belgique
importe en France pour environ 100 millions. Différence en faveur de la
Belgique, 50 millions.
Mais voici ce qu'il ne faut pas perdre de vue : c'est que du chef de
quelques articles seulement, qui n'ont fait que transiter chez nous pour
arriver en France, tels que graines oléagineuses, laines en masse, les chevaux,
les bois communs, les bestiaux (en grande partie), les matériaux, des cendres,
les grandes peaux brutes, etc., etc., (on pourrait en indiquer encore
d'autres), mais du chef de ces articles seuls, dis-je, il y a à défalquer du
chiffre des exportations de la Belgique un chiffre de 40 millions de francs au
moins.
En prenant en considération ce qui précède relativement au mouvement
commercial, on arrive à des appréciations réelles, et l'on peut reconnaître
qu'en définitive les deux chiffres d'importation et d'exportation se balancent.
Ces deux chiffres se balancent, oui, pour la somme, mais non pour la nature des
choses. La France importe dans le chiffre pour 60 p. c. de produits
manufacturés, tandis que, d'après les calculs les plus sévèrement établis, la
Belgique, sauf 15 à 18 p. c. de produits manufacturés, ne livre à la France que
toutes matières premières dont elle ne pourrait se passer et dont elle ferait
en vain la menace de prohiber l'entrée. Je prétends même, à cette occasion, que
le plus grand acte d'hostilité que nous puissions faire envers la France, ce
serait d'emprisonner chez nous nos houilles et nos fers, et autres métaux, etc.
Enfin, toujours à propos de l'importation française, une dernière
considération, c'est qu'il faut encore tenir compte que le tarif belge sur la
plupart des articles manufacturés de France, étant établi ad valorem, et les
droits de cette espèce pouvant être en grande partie éludés dans l'application,
on doit par conséquent majorer de plusieurs millions le chiffre des
importations de France en Belgique. Je pourrais à cette occasion, messieurs,
vous soumettre un tableau qui prouve jusqu'à l'évidence la force de mon argument.
En voilà assez pour ce qui concerne notre balance, notre mouvement commercial
avec la France.
J'arrive aux houilles et aux fers, et c'est ici que l'honorable ministre
de l'intérieur trouvera la réponse à l'interruption qu'il m'a adressée dans la
séance d'hier.
Tout à l'heure, messieurs, j'avais l'honneur de vous parler des houilles
et des fers, relativement à nos exportations vers la France.
Si je ne craignais d'être trop long, je pourrais, messieurs, pour
répondre victorieusement aux prétentions que fait valoir M. Guizot auprès de la
chambre française, vous soumettre encore ici un tableau des modifications qui
se sont successivement présentées depuis la loi de 1816 sur la matière. Je ne
ferai que les analyser.
Le système des zones date de 1816. Le tarif différentiel, établi à cette
époque, était non en faveur de la Belgique, mais en faveur des frontières de
terre de la France, et le droit, qui de fait est applicable aux houilles
belges, n'a été réduit que de 15 centimes, tandis que, sur les charbons a nglais, les droits de 1 fr. 50
et de 1 fr. ont été réduits à 50 et à 30 c. les 100 kilog., c'est-à-dire d'un
franc sur 1 50, et de 70 c. sur 1 fr.
II vaut en vérité bien la peine de vanter ainsi les caresses que la
France fait à la Belgique !
Dans les derniers temps, la Belgique a construit le canal de l'Espierre, qui profitait, d'après sa situation et sa
direction, du bénéfice de la zone (page
1817) d’Halluin pour l'entrée en France, au prix réduit à 18 c. les 100
kilog. Aussitôt la France public la loi du 6 mai 1841 qui impose à 80 c.
l'entrée des houilles belges par le canal de l’Espierre
qui, par l'abrégement, par sa navigation plus facile, était destiné
à augmenter notre exportation. Aujourd'hui qu'on se le figure, pour échapper à
cet acte peu bienveillant de la France, les houilles du Couchant de Mons sont
obligées, pour ne point être soumises à la surtaxe au canal de l'Espierre, d'acquitter les droits à Condé !
Pour les fers, messieurs, mais il est évident que la France fait payer à
la Belgique les concessions qu'elle se fait à elle-même. J'espère bien que la
France ne nous fait pas l'injure de nous croire assez niais pour penser qu'elle
a pris la mesure en faveur de la Belgique ? Non, messieurs, c'est en faveur des
départements français limitrophes, dont les usines ne peuvent se passer des
fontes belges, qu’elle a agi. Ensuite, messieurs, s'il y avait eu faveur de la
part de la France, ce n'est pas spécialement à la Belgique qu'elle eût été
accordée. Les fontes allemandes obtenaient les mêmes privilèges, et à
l’Allemagne, on n'a rien demandé en réciprocité. On savait que c'était peine
perdue.
Je pourrais ainsi, messieurs, passer successivement en revue toutes ces
faveurs gratuites et passées inaperçues que nous accordons à la France sans
réciprocité aucune de sa part.
C'est ainsi que, de l'aveu même de la section centrale, la concession
sur les machines et mécaniques est une chose très regrettable. Les membres qui
l’ont composée ont fait, à l'occasion de cette concession, preuve de beaucoup
plus de sensibilité pour les machines que pour les malheureux ouvriers attachés
à l'industrie lainière, qui bientôt en seront réduits à la plus affreuse
misère. Dans tous les cas, la France abaisserait de 50 p. c. ses droits sur nos
machines, que mon expérience et mon désillusionnement me diraient encore que ce
ne serait que pour la forme. Elle ne fait, messieurs, qu'un vain simulacre dont
nous ne sommes pas dupes. Le chiffre des droits est pour peu dans cette
affaire. Le criterium de la chose est dans les mesures réglementaires et
d'exécution, que la France est si ingénieuse à nous opposer. C'est là que gît
le principal obstacle. Les mesures réglementaires pour l'admission de nos
machines, ont un caractère plus prohibitif que celui de la nouvelle législation
française elle-même.
Et cette nouvelle loi française, à qui la devons-nous encore ? C’est à
l'Angleterre, messieurs. La France a voulu frapper l'importation des machines
anglaises chez elle... Et nous, nous avons été nécessairement enveloppés dans
la réprobation.
O France ! grande et admirable voisine, nous ne pouvons faire un pas
dans la question qui nous occupe sans y trouver le cachet de ta bienveillance,
de cette prédilection que tu nous fais payer si cher, que tu nous fais payer
deux fois, tandis que tu ne penses pas même à réclamer, pour les mêmes choses,
auprès d'aucun autre Etat !
La loi française du 9 juin 1845 a consacré des dispositions destructives
de notre commerce de transit et même de notre commerce d'exportation en graines
oléagineuses du cru de la Belgique. Sous l'empire de la loi de 1836, les droits
variaient de 1 fr. à 2 fr. 50 par 100 kilog. pour les
graines de lin, de colza, etc., venant par terre de la Belgique. Par la loi de
1841, ces droits ont été portés à 1 fr. 50, 2, 5 et 5 fr. 50. Désormais, et
depuis la loi du 9 juin 1845, ils varient de 6 fr. 50 à 14 fr., tandis que pour
d'autres provenances, ils sont infiniment moins élevés ! Il est clair que cette
dernière loi a porté un coup de mort à l'important commerce de transit, ainsi
qu'aux exportations de nos propres graines que nous faisions vers la France.
Chère préférence, chère prédilection de la France ! Pour d'autres provenances
de la même chose, les droits français sont infiniment moins élevés ! Cette loi
si tendre, si amie, qui s'harmonise si bien avec les toasts français qui ont
retenti hier sous les voûtes de la station de Bruxelles, confisque encore notre
commerce d'ardoises avec la France. La loi du 9 juin 1845 nous exclut par
l'élévation de son nouveau tarif. La Belgique reste impassible et le
croirait-on ? L'importation des ardoises de France en Belgique équivaut aux 2/3
de la consommation de la Belgique tout entière ! tandis
que notre exportation ne comporte ou n'est que du 7ème on du 8ème au plus de
l'importation française.
La même loi, toujours la loi de 1845, vient fermer le transit aux laines
et aux cuirs bruts pour la Belgique. Autrefois les peaux et cuirs bruts
payaient pour transiter vers la France 1 fr. 50 cent. ; aujourd'hui
ils payent 4 fr. 50 cent. Définitivement de semblables mesures ne détruisent
pas seulement le transit par la Belgique, mais jugez, messieurs, combien elles
sont préjudiciables à son commerce maritime. Elles le sont également aux
recettes du trésor belge, car la grande masse de ces transports s’effectue par
le chemin de fer de l'Etat.
Enfin, messieurs, de quelque côté que je me retourne, je ne vois que
malveillance, que flagellation de la part de la France. Il est vrai que nous
avons la mansuétude, l'humilité chrétienne de baiser la main qui nous frappe.
Je pardonnerais ces rigueurs au knout, mais je ne les pardonne pas à la France.
Je reviens encore une fois, avant de terminer, messieurs, et cette fois,
d'une manière toute spéciale, à l'industrie de la laine en Belgique.
Vous avez entendu, vous avez bien écouté avant-hier, messieurs, les
communications de M. le ministre des affaires étrangères, relatives à cette
fatale négociation. Que vous est-il resté dans le cœur de toutes ces pauvres
révélations ? Le sentiment d'une si honteuse
infériorité, que je ne comprends pas comment la Belgique, abreuvée de fiel
comme elle l'a été par les ministres français, ait pu s'acharner à ce point à
poursuivre une œuvre de ruine, à poursuivre un traité dans lequel tout est
sacrifié, jusqu'aux Flandres elles-mêmes, en faveur desquelles on voulait le
conclure. Sous l’empire de quelle fascination nous sommes-nous donc trouvés,
messieurs, pour faire acte d'une pareille abnégation !
Nos négociateurs ont sacrifié la laine. Après, qu'ont-ils fait ? Ils ont
imaginé des calculs, fourni des notes erronées au gouvernement. La chambre de
commerce de Verviers les a relevés victorieusement. Elle les a relevés avec la
sincérité, la modération qu'on lui connaît. Le gouvernement jusqu'alors avait
protesté de son respect pour ce corps honorable et bien renseigné. Il n'a cette
fois eu nul égard à ses chiffres. De là nouvelle contestation, nouveaux
mémoires ; on ne veut rien entendre, rien comprendre ; M. le ministre des
affaires étrangères ne veut absolument prêter l'oreille qu'aux chiffres de M. Kindt, qui paraît avoir voué une implacable haine à
l'industrie de salut pour la Belgique. Ni les députations, ni les explications,
ni les mémoires ne peuvent seulement influencer l'esprit de M. le ministre des
affaires étrangères. M. le ministre persiste à annoncer 20 p. c. de protection
après le traité même ! 20 p. c imaginaires ; et sur quelle catégorie de tissus
? Les tissus pour robes, qui n'entrent jusqu'à présent que dans une proportion
si insignifiante dans la question lainière ? Pour la grande, pour la large
industrie, le second mémoire émané toujours de cette intelligente chambre de
commerce de Verviers, prouve jusqu'à la plus claire évidence, que non seulement
il ne reste, d'après le traité, plus un brin de protection, mais que les
fabricants français peuvent venir vendre à 5, 6, jusqu'à 8 p. c. sur notre
propre marché, à plus bas prix que sur le leur ! Monstruosité, messieurs,
incroyable monstruosité !
Sans s'en douter, M. le ministre des affaires étrangères est, et je le
proclame, le maître de sir Robert Peel, le plus grand réformateur commercial du
siècle ! L'honorable ministre des affaires étrangères ne se contente pas, lui,
de lever la barrière aux produits français ; l'entreprise n'est pas assez
hardie pour lui : il met la Belgique aux prises avec une nation de 40 millions
d'hommes qui nous prohibent, et il leur dit : « Je sais à l'avance, et dans le
fond de mon âme, qu'à la première crise industrielle, qu'à la première mévente,
le déversement de l'excédant d'une production aussi
immense que la vôtre va inonder la Belgique pour des années. Je sais que vous
avez en votre faveur notre engouement pour ce qui est étranger, je sais qu'en
partie on copie vos dessins en Belgique, parce que vous êtes réputés avoir le
privilège de la mode ; je sais que quand vous aurez prélevé le bénéfice de vos
nouveautés dans votre capitale, vous serez à même de céder vos soldes, non
seulement à très bas prix, mais encore avec 5, 6 à 8 p. c. d'avance ou de
rabais, que vous procure votre drawback, qui n'est qu'une véritable prime. »
Laissons parler sur ce point si controversé du drawback-prime l'élite
des intelligences commerciales de la draperie, interrogez le mémoire de cette
même chambre de commerce de Verviers, que je vous ai déjà citée à plusieurs remises,
à cause de sa vraie, de sa seule compétence :
« ... 2° De ce qu'on aurait annoncé que les draps fins français sont
généralement ou même exclusivement fabriqués avec des laines étrangères, il
n'en ressort pas rigoureusement que la prime de sortie ne soit rien qu'un
drawback.
« Il est certain que la France ne produit pas toutes les laines qui lui
sont nécessaires pour ses draps fins ; mais aussi la France possède des
troupeaux qui fournissent des laines d'une très grande finesse.
« Quelle qu'en soit la quantité, que nous ne pouvons d'ailleurs fixer il
n'en est pas moins vrai que celle que la France produit jouit de la prime, sans
avoir acquitté les droits. (Voir note 2.)
« Mais, sans nous arrêter à cette considération, qui pour nous a fort
peu de portée, parce qu'elle ne se rapporte qu'aux laines produites en France,
nous répéterons que nous avons prouvé, et que personne n'a pu nous contredire,
que le droit de 22 p. c, auquel sont soumises les laines, en France, ne s'élève
réellement qu'à 13 p. c. ;
« Que la laine, entrant pour moitié dans la fabrication du drap, le
droit ne porte donc que 6 1/2 p. c. sur la marchandise fabriquée ;
« Que l'administration française remboursant 9 p. c. sur la valeur du
drap à la sortie, il y a évidemment une prime de sortie de 2 1/2 p. c.. ; mais
que par l'évaluation forcée de la marchandise, la prime de 9 p. c. est portée à
14 p. c, comme nous le démontrons par des pièces authentiques. (Voyez notes 4
et 5.)
« Il en résulte que le fabricant français, payant net 13 p. c. sur la
laine, subit un impôt de 6 1/2 p. c. sur le drap : que 14 p. c. lui étant
remboursés, il lui reste un boni de 7 1/2 p. c. Or, 7 1/2 p. c. sur du drap de
25 francs le mètre, pesant 500 grammes, égale 375 francs par 100 k., et le droit n'est que de 250 francs.
« Ce calcul porte sur une laine étrangère qui a payé le droit ;
qu'est-ce donc quand le drap est fabriqué avec la laine française ? Alors la
prime de sortie est de 14 p. c, soit de 700 francs les 100 kilog.,
et le droit d'entrée en Belgique n'est que de 250 fr. par 100 kilog.
(page 1818) « Et qu'on ne prétende pas que
le droit de 22 p. c. protège d'autant les laines indigènes de France. La France
achètera toujours à l'étranger les qualités de laines qui lui manquent, et elle
en aura toujours à vendre à l'étranger.
«Tous les ans, la Belgique retire des quantités assez considérables de
laines de France ; aujourd'hui même ce commerce a quelque activité. »
Messieurs, aujourd'hui déjà le sort de Verviers et de l'industrie
lainière en général en Belgique, avant le vote de la loi, est dessiné.
Savez-vous, messieurs, et ceci est de la dernière exactitude, que déjà
depuis deux à trois jours, plusieurs chefs de maisons notables de Bruxelles
sont partis pour Elbeuf (on m'en a cité trois) pour aller y faire leurs
approvisionnements en draperie pour les étoffes et la mode d'hiver ? Verviers
va, je vous le jure, se trouver dans une étrange position !
En vérité, M. le ministre, vous n'avez pas compris le mal que vous nous
faites. Comme homme privé, je vous ai voué mes sympathies et mon affection,
parce que je sais que vous avez le cœur honnête ; mais comme ministre, M.
Dechamps, souffrez que je vous le dise, vous avez été bien léger, vous avez été
bien faible dans la question qui nous occupe. Votre malheureuse convention avec
la France va accumuler sur nos têtes des récriminations, des embarras et des
représailles sans terme. Ce n'est pas la laine que vous aurez sacrifiée, ce
sera le pays tout entier. Le désastre s'étendra aux houilles, aux fers, etc.,
et vous savez pourquoi. Je vous ai communiqué mes craintes en comité général.
Je ne puis finir, messieurs, sans rapporter ici ce qu'avant-hier, dans
une entrevue particulière et en présence d'un de nos premiers industriels de
Verviers, et de mon collègue M. Lesoinne, l'honorable M. Dechamps a bien voulu
nous faire entrevoir comme un rayon d'espérance. Il est disposé, nous a-t-il
dit, pour le cas où notre industrie ne puisse supporter le poids du traité, à
augmenter les droits contre la France jusqu'à un niveau voulu, réclamé par la
nécessité, par la force des choses.
Plusieurs
voix. - Il n'a pas dit cela.
M. David. - Je maintiens qu'il s'est exprimé à peu près dans ces termes. Je
demanderai la confirmation de ce que j'avance aux personnes qui l'ont entendu.
M. le ministre promettait de ne pas reculer devant cette mesure. Il
promettait même, sur mon interpellation, qu'il reproduirait, qu'il exprimerait
de nouveau cette intention devant les chambres. Ah ! messieurs,
que j'aperçois d'embarras, d'impossibilité dans la réalisation des vues de M.
Dechamps ! Et il aurait donc fallu négocier des années pour arriver à ce
résultat, qui ne se présenterait en résumé à la France que sous l'apparence
d'un insolent jeu de mots ou plutôt jeu de chiffres ? Il n'y a pas à y songer ;
c'est une mystification de plus.
Je termine, messieurs, en demandant l'ajournement.
Je sais que le traité est une nécessité à subir et à laquelle la
majorité de la chambre ne pourra peut-être pas échapper.
Il y aurait, messieurs, une chance éventuelle d'épargner au moins à
l'industrie lainière la ruine dont elle est menacée.
Quelle est la marche à suivre à cette fin ?
Je le vois : la seule proposition que la chambre pourrait écouter, sinon
admettre, ce serait celle d'un ajournement, impliquant pour le gouvernement
belge l'invitation de négocier de nouveau, afin d'obtenir, au moyen d'autres
concessions peu nuisibles à de grands intérêts industriels, le retrait des
concessions faites sur les fils et tissus de laine.
Il faut faire attention et remarquer qu'à cet égard et en fait, la
législature française n'a pas eu à sanctionner la convention du 13 décembre
1845. Elle a été appelée à adopter une loi de douane, qui, en considération de
la convention, mais sans la citer, consacre, sur les frontières franco-belges,
des exceptions de tarif en faveur des fils et tissus de lin, des ardoises et
des machines originaires de Belgique, etc.
D'un autre côté, il est à noter que la nouvelle loi des douanes
françaises n'a pas purement et simplement maintenu pour les fils de lin, les
bénéfices du tarif de 1842. Cette loi, remarquez-le bien, messieurs, s'est
écartée de celle de 1842, en ce qu'elle a établi pour les fils de 36,000 mètres
et plus au kil. un droit
spécial plus élevé que l'ancien.
D'après ces
circonstances, il me semble qu'il est extrêmement facile de renouer ou rouvrir
des négociations, afin de pouvoir substituer dans la convention d'autres
équivalents aux concessions faites à la France, en ce qui concerne les fils et
tissus de laine.
Sous l'empire de ces deux considérations, j'ose espérer que la chambre
ne repoussera pas ma motion d'ajournement, que je viens soumettre à son vote.
M.
Lesoinne. - Je demande la parole pour un fait
personnel. L'honorable M. David vient de dire que j'avais interpellé M. le
ministre des affaires étrangères sur le point de savoir s'il se croyait le
droit d'élever les droits d'entrée sur les draps contre la France ? Je ferai
observer que j'ai parlé des droits sur les draps d'une manière générale, mais
que je n'ai pas entendu parler de les élever contre la France.
M. David. — J'en demande pardon à la chambre, si j'ai commis cette erreur elle n'était pas dans mon intention ; j'ai entendu que les droits
s'élèveraient d'une manière uniforme, je ne crois pas avoir dit uniquement
contre la France.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Mon
intention n'est pas de répondre en ce moment au discours de l'honorable M.
David ; l'occasion de le faire se rencontrera dans le cours des débats ; je
veux seulement rectifier ce qu'il a dit d'une conversation que j'ai eue avec
lui et un honorable industriel de Verviers, en présence de l'honorable M.
Lesoinne. La pensée que j'ai exprimée dans cette conversation, je l'ai
reproduite en comité général, et je n'éprouve aucune difficulté à le faire de
nouveau à cette tribune. La France, dans la question des draps, n'a soutenu
qu'une seule prétention dans le cours de la négociation. Aussi bien en 1844
qu'en 1845, elle a prétendu qu'en 1838 les chambres belges avaient commis une
erreur, qu'elles avaient considéré comme une prime accordée à la sortie des
draps et tissus similaires, ce que le gouvernement français soutient n'être
qu'une restitution du droit perçu à l'entrée des laines.
La France disait donc que lorsqu'elle
admettait la Belgique sur le marché français avec des privilèges, elle ne
pouvait pas vouloir qu'on la frappât d'un régime de surtaxe. C'est la
réparation de ce qu'elle a appelé un grief que la France demandait. Elle n'a
pas demandé de réduction de tarif, de faveur spéciale, mais la suppression
d'une surtaxe qu'elle considérait comme une injustice et comme le résultat d'une
erreur. Mais je soutiens que le gouvernement reste entièrement libre après le
traité, comme il l'était avant le traité, d'accorder à l'industrie drapière,
comme aux autres industries, une plus grande protection, si la nécessité, si
l'utilité en était démontrée.
Ainsi je disais que si l'expérience prouvait que, par la suppression de
la surtaxe sur les draps, cette grande industrie du pays était sérieusement
menacée, était réellement blessée, ce que je ne crois pas, le gouvernement
pourrait alors user de la faculté d'augmenter le droit général sur les draps.
C'est là une chose tellement évidente qu'il n'est même pas besoin que je
l'énonce.
M. de Roo. - Je conviens avec l'honorable préopinant que nous ne sommes pas très
heureux en politique commerciale ; que le traité froisse plus ou moins une
industrie notable du pays ; mais je ne partage pas son avis, qu'il l'annihilera
ou l'anéantira de manière à ne pas pouvoir accepter le traité, ou à devoir
l'ajourner ; car je le crois d'une importance incontestable dans l'occurrence.
J'ai plein espoir dans l'avenir.
Je dis, messieurs, que nous ne sommes pas très heureux en politique
commerciale, car nous ne pouvons parvenir à faire des traités de commerce sans
consentir à de nouveaux sacrifices, sans passer sous les fourches caudines de
l'étranger, sans compromettre plus ou moins l'une ou l'autre de nos industries.
Et quelle en est la cause ? C'est que, d'après nos habitudes en économie
politique, les concessions possibles sont toujours faites d'avance ; et au
moment où il faudrait en faire en revanche des concessions qu'on nous accorde,
nous en sommes épuisés.
Certes, messieurs, dans toute autre circonstance, le traité ne
mériterait pas notre acceptation ; mais nous avons derrière nous 3 à 400,000
individus qui demandent du travail pour avoir du pain, et il serait par trop
inhumain et impolitique de leur en refuser.
Ce n'est pas, messieurs, que le traité leur donnera de l'aisance en
travaillant. Non, messieurs, ils végéteront comme ils végètent actuellement ;
mais ils seront occupés, et ils s'en contenteront dans l'espoir d'un avenir
meilleur. Cet avenir est encore possible, messieurs, malgré l'oraison funèbre
prononcée par l'honorable préopinant.
Ne pas l'accepter serait donner le coup mortel
à notre industrie linière et lui ôter tout espoir de la voir se relever un
jour.
Ce serait de plus favoriser le fainéantisme et
le vagabondage, et par suite les délits et les crimes qui en sont les
conséquences.
Messieurs, nos vues sont encore toujours dirigées vers la France, et il
faudrait une rupture bien forte pour les pousser ailleurs. L'hostilité
commerciale de la France envers la Belgique n'est point naturelle ; c'est un
état tout à fait anormal ; trop de liens nous attachent les uns aux autres,
nous avons vécu en commun, nous avons contracté les mêmes habitudes, nous avons
combattu, triomphé et trop longtemps commercé ensemble, pour qu'elle nous
refuse une alliance commerciale plus large, et surtout pour qu'elle veuille la
ruine d'une partie de la Belgique. Je méconnaîtrais le caractère français si
j'en jugeais autrement.
Je ne parlerai point de la question politique, la France l'a trop bien
traitée, pour méconnaître que la Belgique, quoique Etat neutre, peut, dans une
conflagration générale, être d'un poids immense dans la balance ; et certes les
intérêts commerciaux influents grandiraient sur les intérêts politiques.
Mais qu'est-ce qui s'oppose à une alliance commerciale plus intime ? Ce
ne peut être l'arrêté du 28 août, comme le pense l'honorable M. d'Elhoungne,
arrêté qui étend à l'Allemagne les mêmes avantages que ceux accordés à la
France, puisque M. Guizot a dit que la Belgique était dans son droit, et que
ceci était d'une si minime importance qu'il ne valait
pas la peine de s'y arrêter. » Mais les véritables obstacles, ce sont les
intérêts mesquins d'un certain nombre de monopoleurs, dont les instances ne
cessent d'importuner les ministres, et qui tâchent de gagner de l'influence
dans les chambres françaises, mais dont le nombre plus grand de consommateurs
et de producteurs mêmes, également intéressés à l’abaissement des objets qui
entrent dans leur propre consommation, finira par faire rendre justice et par
écarter une opposition si mal fondée et si éminemment contraire à l'intérêt
général du pays.
La force des choses nous amènera donc à la solution de cette grande (page 1819) question qui, quoique fort
désirée, n'est pas encore mûre et est encore loin de l'être, d'après les
explications ministérielles en comité secret.
Ces explications, avec celles faites par M. le ministre des affaires
étrangères, à la séance d'hier, ont pleinement justifié le rapport que j'ai eu
l'honneur de faire à la chambre au nom de la commission, sur les pétitions qu'
nous sont adressées des Flandres. J'espère que cela fera taire bien des gens et
bien de mauvaises critiques.
Il faut donc attendre des temps plus favorables et une époque où nos
voisins sentiront mieux le besoin d'une union intime.
Le rapporteur à la chambre des pairs a fort bien dit, que ce n'est point
la France qui a à se plaindre du traité, puisque les importations de la
Belgique en France se font pour les 2/3 en matières premières, tandis que les
importations faites en Belgique par la France sont pour les 3/4 en objets
manufacturés. La France a donc besoin de la Belgique dans l'intérêt de sa
fabrication, et la Belgique a besoin de la France
parce qu'elle lui procure un débouché rapproché et étendu.
La France a besoin de nos toiles, notamment des toiles faites à la main,
qui sont une spécialité, et que les consommateurs qui s'y connaissent savent
apprécier, et quoiqu'elle fasse, jamais elle ne pourra s'en procurer
suffisamment pour sa consommation et à des prix auxquels peut lui en fournir la
Belgique où cette industrie est pour ainsi dire attachée au sol ; c'est comme
la fabrication de la soie en France, il faudrait un temps infini pour
l'introduire sur le même pied en Belgique, si toutefois on y parvenait.
Les deux pays ont donc un mutuel besoin et il est dans leur intérêt
réciproque de s'entendre en relations commerciales. Tenons compte d'un pareil
voisinage, dit sagement le rapporteur français, et faisons que les deux côtés
en profitent.
Quant à la fabrication à la mécanique, la France ne doit pas craindre la
concurrence de la Belgique, puisque, sous le traité actuel, elle n'a fait que
prospérer ; et en effet elle possède les mêmes éléments de concurrence, et ce
serait la juger bien peu avancée en industrie que de former ces craintes. Aussi
ne sont-ce pas là ses prétentions ; les paroles de M. Guizot viennent à l'appui
de ce que j'avance. « Nos industries, dit-il, sont beaucoup plus en état de
soutenir la concurrence avec la Belgique, qu'avec les industries allemandes et
anglaises. Et par conséquent il y a des avantages que nous pouvons faire à la
Belgique si cela était nécessaire et qu'on ne pouvait pas faire ailleurs. »
Et c'est ce qu'on a compris en France, mais les monopoleurs égoïstes,
non contents d'avoir mis des bornes à la concurrence anglaise, crient
maintenant à tue-tête contre la Belgique, sans raison et sans égard pour
d'autres branches qui pourraient en souffrir, et contre lesquelles on prendrait
indubitablement des représailles, telles que la production vinicole, les
fabriques de Paris et de Lyon, etc. Non, tout leur est égal : ils ne voient
qu'eux-mêmes. Mais ces cris, on finira par les étouffer, puisqu'ils n'ont qu'un
vil intérêt personnel pour base.
Et finalement, si la concurrence produit une baisse sur leur gain, je
suppose de 50 p. c, cette baisse tourne au profit des consommateurs et ainsi au
profit de l'intérêt général.
Ces vérités, messieurs, commencent à être généralement comprises et à se
faire jour à travers les criailleries du monopole.
On se plaint déjà en France du monopole des maîtres de forges pour les
livraisons des rails du chemin de fer, et il en sera ainsi pour beaucoup
d'autres choses.
Enfin la France, toujours en progrès, marchera sur les traces de
l'Angleterre, et peut-être la devancera-t-elle.
Le traité, messieurs, peut être pris pour un acheminement à un ordre de
choses meilleur, et il est vrai de dire qu'il apporte des améliorations dans la
législation actuelle. Car, qu'est-ce qu'on a le plus critiqué ? C'est
l'amendement Delespaul, comme une infraction
manifeste portée au traité de 1842, et surtout la manière dont on l'appliquait.
Eh bien, messieurs, si cet amendement ne se trouve pas détruit en totalité, du
moins l'application en est devenue beaucoup plus difficile et presque
impossible. D'ailleurs, et en tout cas, comme le dit l'honorable M. de Haerne,
on pourrait y obvier par un changement des peignes.
Le second reproche que l'on articulait avec justice, était celui dirigé
contre la circulaire du 22 mars 1845 sur les types, ce qui effectivement
causait un tort considérable à nos toiles, et les excluait en grande partie de
la France, par une classification qui ne leur était point propre et qui était
même arbitraire.
Les types, messieurs, sont maintenant établis de commun accord, et dans
l'intérêt des importations belges, puisque, si on ne veut pas s'y rapporter, on
a en outre le droit de recourir à une expertise pour déterminer finalement la
classe dans laquelle il convient de faire passer les toiles.
Il y a donc amélioration encore sous ce rapport, et nous espérons
toutefois qu'il y aura bonne entente dans l'exécution, comme il y en a eu dans
la conclusion de la convention, et qu'aucune interprétation nouvelle ne viendra
aggraver les dispositions prises et arrêtées.
Il faut en convenir, messieurs, le traité fait une exception des droits
de douane en faveur de la Belgique, relativement au tarif général des autres
nations ; mais aussi cette exception est chèrement compensée par des
concessions qui peuvent être prises, à juste titre, pour l'équivalent.
Et, messieurs, nous l'avons déjà dit, si nous ne nous trouvions pas dans
des circonstances si critiques et si menaçantes, et que d'un autre côté, ce
traité nous procurant des relations plus intimes, ne nous donnât de l'espoir
dans l'avenir, en l'envisageant avec M. Guizot, comme un pas vers la réunion
douanière, » nous serions forcé de le rejeter.
Mais nous espérons que l'industrie linière comme l'industrie drapière y
trouveront dans la suite un avantage réel par un débouché certain, puisque la
concurrence est devenue nécessaire dans l'intérêt des nations mêmes et celui
qui produira le mieux et à meilleur compte l'emportera sur l'autre.
La fabrication de draps, en France, est toute différente de celle de la
Belgique ; c'est une toute autre qualité qu'on y fabrique, et ceux qui veulent
des draps de France ne regardent pas à la minime différence de droits que l'on
payera à l'introduction, de sorte que la diminution opérera peu de changements
dans l'introduction en Belgique et n'aura pour effet que d'empêcher la fraude.
Je conviens qu'il n'est pas juste de prohiber nos draps en France,
tandis que nous laissons entrer les draps français en Belgique ; mais la chose
existait ainsi avant le traité : il n'y a donc pas de changement à cet égard.
Et s'il y a une légère diminution dans les droits, c'est pour engager la France
à élever la prohibition, qui, dans l'état de nos relations internationales,
n'offre plus aucune chance de durée ; et les droits, d'ailleurs, sont encore
assez élevés et la fabrication assez en progrès pour craindre la concurrence
étrangère.
Quant aux nouvelles fabriques de laines ou de mélanges instituées dans
le pays ou à instituer, il faut convenir, messieurs, que jusqu'ici il n'y en a
pas trop pour le marché intérieur, pour lequel même elles ne suffisent pas ; et
à moins de croire qu'il n'y a pas de nationalité en Belgique, ces fabriques
possédant une protection de 20 à 30 p. c. sur l'étranger, sont assurées
qu'elles ne chômeront pas.
J'en prends, messieurs, un exemple dans ce tarif : les coatings, calmoucks, etc., y sont
cotés à 160 fr. les 100 kil., et d'après la convention
à 120 fr. ou 1 fr. 20 c. par kilog.
Je suppose qu'une aune de coating peut peser 1
kilog. 1 [2 et payera ainsi un droit de 1 fr. 80 c.
Cette étoffe vaut en général 6 fr. l’aune.
Il y a donc faveur pour ces tissus de 50 p. c. comme je le dis.
Il est possible, messieurs, que pour les tissus légers il y ait une
légère différence ; mais aussi le tarif est proportionné à leur égard, et en
tous cas on pourrait leur appliquer le système des primes.
Quant aux primes, messieurs, dans les circonstances du traité, nous n'en
demandons pas, car l'introduction étant limitée, il est certain qu'elles
seraient absorbées par les plus riches, c'est-à-dire par les associations
mécaniques, et le pauvre tisserand en serait exclu, à moins que l'on n'en
accordât exclusivement à la fabrication à la main, d'après la valeur du fil y
employé et le prix de la matière première ; car si l'on veut y faire participer
la fabrication à la mécanique, il faut alors établir une juste proportion, afin
qu'il n'y ait point d'avantage de l'une fabrication sur l'autre.
Quant aux autres débouchés où il n'y a pas de limitation, ce serait
différent ; car elles feraient là d'une utilité incontestable, comme elles le
seraient pour les draps et tout autre objet manufacturé.
Certes, messieurs, le traité, comme je l'ai dit, n'amènera pas l'aisance
dans le pays, mais il procurera néanmoins, d'après les tableaux statistiques
joints au rapport de la section centrale, un avantage de 1,300,000 francs sur
les toiles, et, déduction faite des sacrifices présumables, un bénéfice réel de
plus de 600,000 fr.
J'aime à croire que ces tableaux sont exacts. Nous croyons donc devoir
accepter le traité, vu l'impossibilité d'avoir mieux et surtout l'impossibilité
d'une réunion douanière dans le moment actuel, que viennent de prouver les
explications du comité secret, confirmées par M. le ministre dans la séance
d'hier, et nous espérons qu'entre-temps un changement dans la politique
commerciale de la France s'opérera, à quel effet une ligue centrale vient déjà
de se former à Paris, où les intérêts réciproques finiront par être mieux
appréciés et à laquelle l'exemple de l'Angleterre, l'influence du temps, de la
civilisation et les communications rapides et fréquentes du chemin de fer
international donneront la plus grande impulsion.
Le gouvernement ne restera pas non plus, nous l'espérons, inactif ; il
tâchera, par le canal de ses agents diplomatiques, d'amener à une prompte
exécution la convention conclue avec l'Espagne et de mener à bonne fin celle à
conclure avec la Hollande, et cela dans un but utile, il favorisera
l'établissement des sociétés de commerce pour l'exportation de nos toiles et
objets manufacturés ; il établira des agences commerciales dans les principaux
centres et points commerciaux du globe.
Ce sont là des mesures possibles et propres à soulager promptement les
maux qui affligent nos malheureuses populations.
Ceci, joint à une bonne loi sur le défrichement des bruyères et à la
prompte exécution des travaux publics, décrétés et à décréter dans les
provinces, donnera de l'ouvrage à ceux qui veulent travailler. Tout en réglant
et stimulant les commissions de travail instituées dans les communes, en leur
accordant les objets, ustensiles et subsides nécessaires et en temps utile pour
pouvoir opérer avec fruit, une sage administration pourvoira ainsi au travail
et au bon ordre, et le traité actuel y contribuera puissamment. C'est pourquoi
je le voterai comme une nécessité dans les circonstances actuelles, et dans
l’espoir d'un avenir meilleur.
Messieurs, je finirai en déplorant l'insulte
faite à la misère par l'honorable préopinant, en traitant de lèpre et de
chancre l'industrie linière, et cela sans vouloir venir à son secours ; et d'un
autre côté, je relèverai le pompeux éloge qu'a fait M. le ministre des affaires
étrangères du mouvement commercial de la Belgique, passant en revue l'état
prospère de la (page 1820)
métallurgie, des houillères, des mécaniques, des cotons, de la draperie, des
fabriques de zinc, de la coutellerie, des armes. Deux industries en furent
seulement exceptées : Les raffineries de sucres auxquelles on a porté remède
par la loi récente que nous venons de voter ; reste donc uniquement l'industrie
linière, laquelle vous ne traiterez pas comme l'honorable préopinant et pour
laquelle, je l'espère, vous adopterez également le remède qu'on vous propose.
J'ai dit.
M.
Delehaye. - Je demande la parole
pour une motion d'ordre. Il arrive parfois qu'à la fin de la séance la chambre,
n'étant plus en nombre, ne peut prendre une résolution relativement à l'heure
de la séance du lendemain.
Je demande donc que la chambre décide dès à présent qu'elle se réunira
demain à onze heures.
M.
Rodenbach. - Il paraît, d'après
cette proposition, que la chambre a l'intention de terminer demain ses travaux.
Si, après quatre ou cinq heures de séance, la discussion n'était pas
terminée, je demanderai qu'il y ait une séance du soir.
Je ne m'oppose pas, au reste, à ce que la séance soit fixée à onze
heures.
M.
Delfosse. - La proposition qui est
faite, les observations qui sont présentées me portent à croire que l'on a
l'intention de s'en aller demain, après le vote de la convention avec la
France. Je dois faire remarquer à la chambre que le traité destiné à mettre un
terme à nos différends avec la Hollande peut arriver d'un moment à l'autre. Il
est important que nous restions ici pour le voter aussitôt qu'il arrivera. Nous
manquerions à notre devoir si nous partions demain pour ne plus revenir ; je
demande formellement qu'il y ait séance lundi et les jours suivants, s'il le
faut. Ne perdons pas de vue que la guerre de tarifs qui existe depuis quelque
temps entre la Hollande et nous, cause le plus grand mal aux deux pays, et
qu'il est urgent de la faire cesser.
J'espère que ma proposition sera appréciée par le gouvernement ; c'est
M. le ministre des affaires étrangères lui-même qui vient de m’apprendre que
les négociations sont assez avancées pour que l'on puisse espérer une très
prompte conclusion.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - J'appuie les observations de l'honorable préopinant. Je crois que la
chambre manquerait à son devoir en pressant la discussion de manière à ne pas
se réunir demain. Nous avons à l'ordre du jour des projets importants que la
chambre doit nécessairement voter avant de se séparer.
D'un autre côté le gouvernement espère que les négociations avec la
Hollande pourront avoir un prompt résultat. Il serait fâcheux que la chambre se
séparât pour être rappelée dans quelques semaines.
Mieux vaut que nous restions réunis lundi et mardi, afin de vider notre
ordre du jour.
Peut-être d'ici là le gouvernement aura-t-il à soumettre d'autres
propositions à la chambre.
M. Delehaye. - On se trompe sur la portée de ma proposition, lorsqu'on en conclut
que la chambre doit se séparer demain.
J'apprécie autant que mon honorable collègue et ami M. Delfosse l'importance
du traité à conclure avec la Hollande. Je ne m'absenterai pas avant qu'il soit
voté.
En quoi donc la fixation delà séance à onze heures serait-elle obstative
à ce que la chambre se réunit lundi et mardi pour vider son ordre du jour ?
Pourquoi faudrait-il après cela déclarer formellement dès à présent que la
chambre se réunira lundi ? Jamais on ne prend de telles décisions.
L'ordre du jour n'est pas épuisé, et ceux qui s'absenteront avant qu'il
ne soit épuisé, manqueront à leur devoir. Mais est-il nécessaire de décider
qu'il y aura séance lundi ? Evidemment non ; aussi longtemps, je le répète, que
l'ordre du jour n'est pas épuisé, nous devons nous réunir. D'ailleurs,
messieurs, lors même que vous aurez décidé qu'il y
aura séance lundi, ceux qui voudront s'absenter, le feront malgré votre
décision. II est même souvent arrivé qu'on a décidé
qu'il y aurait séance tel jour, et que ceux qui avaient voté pour qu'il y eût
séance, n'étaient pas présents.
Je suppose que mon honorable ami M. Delfosse a
fait sa proposition parce qu'il a supposé que j'avais demandé que la séance de
demain s'ouvrît à 11 heures pour pouvoir se séparer. Mais il n'en est rien, je
n'ai pas demandé que la chambre terminât demain ses travaux. Je désire qu'elle
statue en pleine connaissance de cause sur la convention dont nous nous
occupons. Moi-même je suis inscrit, comme beaucoup de mes honorables collègues,
et je désire m'exprimer sur ce traité que je trouve conforme à nos intérêts.
Mais le sénat est convoqué pour mardi, et il
est à désirer que La convention lui soit soumise le plus tôt possible. C'est
pour cela que je demande que la séance soit ouverte demain à 11 heures. Je le
répète, je ne demande nullement que la chambre se sépare, et je serai à mon
poste tant que nos travaux ne seront pas terminés.
M. Rodenbach. - Il me semble qu'il est inutile de décider, dès maintenant, que nous
aurons séance lundi. Nous aurons demain séance ail heures ; peut-être
aurons-nous séance du soir. Peut-être qu'alors nos travaux seront très avancés.
Je me bornerai donc à voter pour que la séance soit ouverte demain à 11 heures,
mais je ne voterai rien de plus.
M.
Delfosse. - Vous conviendrez,
messieurs, que j'étais autorisé à croire que beaucoup de membres de la chambre
avaient l'intention de partir demain-pour ne plus revenir. M. le ministre de la
justice n'est-il pas venu, au commencement de la séance, demander la discussion
immédiate d'un projet de loi qui n'était pas à l'ordre du jour, en se fondant
sur ce que le bruit courait que la chambre ne serait plus en nombre après le
vote de la convention avec la France ? Je ne demande pas mieux que de m'être
trompé ; s'il est bien entendu que nous ne nous séparerons pas demain, qu'il y
aura séance la semaine prochaine, je n’ai plus rien à dire.
Mon devoir était de signaler à la chambre ce que le pays attend d'elle,
je l'ai rempli.
M. le président. - Personne ne s'y opposant, la séance de demain sera ouverte à 11
heures. La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne sais, dans le débat qui nous occupe qui il faut
plaindre le plus, de ceux qui doivent subir les conséquences du traité ou de
ceux qui doivent subir l’obligation de le voter*. Car il me paraît, messieurs,
que chacun reconnaît que le traité est très mauvais. On paraît tous d'accord
que le traité est très mauvais, et qu'on ne le vote qu'avec regret, en quelque
sorte sous l'impression de la force majeure.
En effet, messieurs, si l'on interroge les faits si l'on compare le
traité que nous avons maintenant sous les yeux, avec celui que nous avons admis
il y a quatre ans,, si l'on considère que d'une part les avantages dont nous
jouissions par le traité de 1842, sont réduits, que d'autre part les sacrifices
que nous faisons sont augmentés, et considérablement, démesurément augmentés,
je conçois, messieurs, que le traité n'ait dû satisfaire personne.
Aussi, lorsqu'il a paru, vous vous rappelez avec quel concert de
réclamations il a été accueilli dans le pays, et spécialement dans les
Flandres, en faveur desquelles il semblait être. Dans l'origine, lorsque ce
traité a paru, des pétitions, des articles de journaux, toutes les
manifestations possibles sont venues pendant les premiers mois, nous faire voir
le singulier désappointement qu'on éprouvait dans tout le pays, en présence de
cet acte qui venait frapper plusieurs de nos industries sans porter remède aux
douleurs et aux justes plaintes des Flandres.
Messieurs, appelé à prendre la parole dans cette discussion, je dois
regretter que ce soit pour la troisième fois depuis à peine deux mois, que je
doive prendre ici la défense des intérêts du district qui m’a envoyé. Je dois
regretter que ce soit la troisième fois que je voie sacrifier ainsi les
intérêts de la localité qui m'a fait l'honneur de me charger de la représenter
dans cette enceinte ; alors que dans toutes les circonstances, toutes les fois
que notre vote a été appelé à procurer des avantages à l'industrie linière, mes
honorables collègues et moi, nous nous sommes toujours montrés disposés à faire
tout ce qu'il était possible en faveur de l'industrie souffrante de la Flandre,
en faveur de ses manufactures, en faveur de son travail auquel nous prenons un
si vif intérêt.
Et pourtant, messieurs, depuis à peine deux mois, voilà la troisième
fois que le gouvernement nous frappe d'une manière violente. Dans la question
si importante des eaux de l'Escaut, il nous a frappés en nous refusant ce que
nous étions en droit légitime de demander, alors qu'il s'agissait de remédier à
un mal qui n'était pas notre fait, mais le sien. Dans la question des sucres,
on a frappé notre district pour avantager les raffineurs de Gand et d'Anvers.
Aujourd'hui, messieurs, le district que je représente est encore un de ceux qui
sont le plus vivement frappés, puisque c'est l'industrie de la laine qu'on
sacrifie, qu'on sacrifie odieusement pour sauver, dit-on, l'industrie linière.
Messieurs, je dois déplorer la position singulière que le gouvernement a
faite à ce district, qui certes, par sa population, par son industrie, par ses
capitaux, par son activité, par son intelligence, mériterait bien de ne pas
être traité de la sorte ; et j'en rends ici les ministres responsables devant
le district que je représente.
J'aborderai maintenant la question.
Dans les paroles que j'aurai à prononcer, je devrai, messieurs, mettre
en regard la conduite de la Belgique et la conduite d'un gouvernement voisin et
ami, depuis 1830. Loin de moi la pensée de vouloir faire des récriminations ;
loin de moi surtout la pensée de vouloir blesser la puissance amie qui a prêté
un appui réel à notre indépendance, la puissance avec laquelle nous sommes unis
par tant de liens. Si, dans mes paroles, quelque chose ressemblait à des
récriminations, je déclare que ce serait contraire à mes intentions et que je
le rétracterais dès maintenant.
Mais après le discours d'un honorable député de Gand, je pense,
messieurs, qu'il est indispensable que la situation des deux pays soit bien
connue ; qu'il est indispensable que l’on sache particulièrement en Belgique et
même en France, ce que nous avons fait depuis la révolution, ce que le
gouvernement du pays voisin a fait de son côté.
L'exposé des faits montrera dans tout son jour la loyauté dont la
Belgique a fait preuve dans ces transactions. Cet exposé montrera aussi dans
tout son jour les plaintes que nous avons à adresser à notre alliée, plaintes
qui, encore une fois, ne sont pas des récriminations, mais que nous avons à lui
adresser pour la marche qui a été suivie envers nous, alors que, de notre côté,
nous montrions toute la loyauté, toute la franchise, toutes les convenances
possibles dans nos rapports commerciaux avec elle.
Lorsque la révolution a éclaté, la Belgique, vous le savez, messieurs,
se trouvait régie par la législation douanière du gouvernement des Pays-Bas.
Cette législation douanière avait un véritable caractère de réserve envers la
France ; elle avait un caractère d'exception en ce sens, qu'une partie
considérable des produits de la France étaient frappés à l'entrée en Belgique
de droits différentiels.
(page 1821) Cependant, je dois le dire, la
mesure prise par le gouvernement des Pays-Bas pouvait facilement se justifier.
Elle pouvait surtout se justifier, parce qu'elle était la conséquence des
mesures que la politique française avait fait prendre à la direction
commerciale depuis 1816 jusqu'en 1822.
Vous le savez, messieurs, c'est principalement en 1822 que des mesures
restrictives furent prises en France contre les importations de la Belgique.
Avant cette époque, nous avions un commerce très étendu avec les nations qui
nous avoisinent ; mais nos rapports avec la France furent tout à coup brisés
par l'introduction d'un système qui a pris le nom de son auteur, M. de St-Cricq. La France établit alors sur tous les produits belges
des droits qui n'étaient autre chose qu'une véritable prohibition ; nos draps,
nos fers, nos manufactures, tous nos produits furent frappés, et le royaume des
Pays-Bas, pour prendre la défense du travail national, dut en venir à des
mesures de réciprocité, mesures rigoureuses mais qui étaient pleinement
justifiées par l'attitude prise par la nation voisine dans ses modifications
douanières.
Par l'arrêté de 1823, le gouvernement des Pays-Bas, usant de
représailles, porta de 10 à 30 florins le droit sur les porcelaines, de 6 à 20
florins celui sur les faïences ; les poteries qui ne payaient que 6 p. c.
furent frappées d'un droit de 15 p. c ; la bonneterie fut imposée à 20 p. c.
tandis qu'elle ne payait auparavant que 10 p. c. ; le droit sur les ardoises
fut porté de 1 fl. par 1000 à 3 fl. ; les vins, vinaigres et boissons
distillées furent prohibés à l'importation par terre, ce qui occasionnait un préjudice
considérable aux départements orientaux voisins de la Belgique, puisqu'il en
résultait que l'importation des vins légers de la Bourgogne et de la Champagne
devenait sinon impossible, an moins très difficile, ces vins ne pouvant guère
supporter un transport par mer, Outre cela, le royaume des Pays-Bas frappa
d'une prohibition absolue les draps et casimirs, les verres et verreries,
l'acide nitrique, sulfurique et muriatique.
Voilà, messieurs, la législation en présence de laquelle nous fîmes la
révolution. La Belgique avait un tarif très modéré, trop modéré vis-à-vis de
toutes les autres puissances, mais en ce qui concerne la France, indépendamment
des mesures que je viens d'énumérer, il existait encore sur beaucoup de
produits de l'industrie française, des droits très élevés. Ainsi la batiste,
les soieries et divers autres articles provenant des manufactures de France,
étaient frappés de droits considérables. Le batelage, de son côté, qui est si
important pour les départements du nord de la France, le batelage français
était soumis à un droit de patente exceptionnel, de manière que les bateliers
français ne pouvaient pas ou pouvaient à peine venir naviguer sur nos rivières
et canaux.
Eh bien, messieurs, en présence de cet état de choses, quelle fut la
conduite de la Belgique ? Le premier acte relatif à la question douanière entre
la Belgique et la France, fut un décret du congrès national, qui réduisit le
droit d'entrée sur les houilles françaises. C'était là, messieurs, pour les
houilles françaises, un avantage considérable, car vous savez fort bien que les
houillères de Vieux-Condé, qui appartiennent à la compagnie la plus puissante
de la France, que ces houillères étaient sans exploitation, parce que leurs
produits se trouvaient sans emploi.
En effet, messieurs, ces houillères ne produisent que du charbon maigre
qui ne peut supporter les frais d'un transport à grande distance, et les
propriétaires de ces houillères appelaient à grands cris l'ouverture du marché
belge qui devait leur permettre d'exploiter sur une échelle très considérable.
Nous ne nous arrêtâmes pas là, messieurs ; la Belgique décrétera ensuite
la suppression du droit de sortie sur les houilles belges. Le droit de sortie était
assez considérable, et le gouvernement des Pays-Bas l'avait établi dans un
double but ; d'abord pour faire entrer des fonds dans le trésor public en
établissant un impôt indirect sur l'étranger, ainsi que sir Robert Peel l’a
fait décréter récemment en Angleterre, et si ce droit existait encore, il
rapporterait aujourd'hui 2 ou 3 millions ; l'autre but du gouvernement des
Pays-Bas, c'était de ne pas laisser le combustible à un prix aussi avantageux
aux manufactures étrangères qu'aux manufactures nationales.
Eh bien, messieurs, ce double but fut mis de côté, et, pour satisfaire
aux demandes de la France, pour donner un témoignage de notre désir d'amener un
rapprochement en matière de douanes, c'est ainsi que la Belgique, après avoir
supprimé le droit d'entrée sur les houilles françaises, supprima encore le
droit de sortie sur les houilles belges. C'était là faire une chose avantageuse
à la France et désavantageuse au trésor public belge : car, je le répète, si ce
droit de sortie existait encore, il rapporterait deux à trois millions.
Voilà, messieurs, le premier pas fait par la Belgique. Mais bientôt
après, la chambre des représentants, dans sa première session, supprima la
prohibition des vins français par la frontière de terre. (Dénégation d'un membre.) C'est en 1831, au mois de décembre, dans
le budget de 1832.
Je faisais partie de la section centrale et j'en étais rapporteur ;
c'est moi qui, en cette qualité, ai fait la proposition. Cette prohibition
était, encore une fois, excessivement onéreuse à la France puisque, comme je
l'ai déjà dit, les vins légers de la Bourgogne, de la Champagne, de la France
orientale ne peuvent que très difficilement supporter le transport par mer, et
il se consomme en Belgique une grande quantité de ces Vins.
Malheureusement, messieurs, nous avons fait ces concessions sans
demander aucun équivalent, dans l'espoir que la France agirait avec réciprocité
et aujourd'hui elles paraissent ne compter absolument pour rien dans nos
relations douanières.
A la même époque, messieurs, la Belgique supprima encore le droit de
patente exceptionnel imposé aux bateliers français. C'était encore là un acte
de bon voisinage, une marque d'attachement et de sympathie que nous donnions à
nos voisins ; cet acte est aujourd'hui perdu de vue comme tous les autres.
Cependant, messieurs, toutes les autres dispositions du tarif hollandais
étaient encore en vigueur ; la France se trouvait en dehors du droit commun.
Cette position était désavantageuse pour elle ; elle était surtout blessante ;
le gouvernement français, la France entière, réclamait contre cet état des
choses, demandait que la Belgique la fît entrer dans le droit commun.
La Belgique, de son côté, était fondée à dire à son alliée : Nous sommes
disposés à vous faire rentrer dans le droit commun, mais placez-nous aussi dans
des conditions analogues à celles où nous étions précédemment.
Des négociations s'ouvrirent sur ce point, et il fut convenu, de part et
d'autre, d'apporter des modifications au tarif de douanes. Cela se fit, non par
un traité, mais par une convention d'échange de notes, convention qui avait
pour conséquence de faire rentrer la France dans la position de droit commun
dont elle était exceptée, par les dispositions du tarif hollandais qui nous
régissait encore à cette époque ; la France, de son côté, devait introduire
dans son tarif des modifications favorables à la Belgique.
Les articles sur lesquels la France devait accorder des avantages à la
Belgique étaient ceux-ci : les tissus de lin, les fontes et les fers, les
charbons de terre, les pierres dites d'Ecaussines et
les vins. De notre côté, nous devions lever toute surtaxe de droits
différentiels imposée par le roi Guillaume ; nous devions supprimer tous les
droits exceptionnels, effacer toutes les prohibitions, réduire les droits sur
les soieries, les batistes, les vins, la réglisse, le transit des ardoises, et
quelques articles de moindre importance demandés par la France.
La Belgique remplit ses engagements : elle fit rentrer la France dans le
droit commun ; une loi fut présentée et votée ; c'est la loi du 27 avril 1838.
Les droits établis par cette loi furent excessivement modérés, puisque tous les
articles qui autrefois étaient prohibés à l'entrée ou qui étaient frappés de
droits considérables, furent réduits à un taux 5 à 10 et à 15 p. c. au maximum
; voilà les réductions qui furent introduites dans le tarif belge, et cela en
présence de droits, souvent prohibitifs, dont le tarif français frappait les
articles belges similaires.
J'ai dit, messieurs, que la France, de son côté, avait promis de prendre
des mesures en faveur des industries que j'ai énumérées. Cet engagement fut
rempli. Pour ce qui est des toiles de lin, il avait été stipulé dans les
conventions qu'un reclassement total aurait eu lieu.
On disait à la France, et la France avait admis ce principe ; on lui disait : «
Dans le tarif que vous avez fait en 1844, vous avez eu pour but d'établir un
droit de 20 p. c. sur l'entrée des toiles belges, depuis lors la valeur des
toiles a baissé, faites un reclassement avec le même droit de 20 p. c, et nous
nous tenons pour satisfaits. »
En suite des négociations qui avaient eu lieu en 1834, diverses
ordonnances françaises vinrent réaliser les promesses qui nous avaient été
faites, et des lois votées par les chambres françaises vinrent régulariser ces
ordonnances.
La première ordonnance, celle du 28 juillet 1834, apportait une
réduction aux droits d'entrée sur le zinc-et sur la graine de lin ; elle
donnait à la fonte certaines facilités, en abaissant jusqu'à raison de 25 kil. le minimum du poids pour les fontes admissibles en France.
La seconde ordonnance est celle du 10 octobre 1835. Le droit sur le zinc
brut fut réduit à 10 centimes par 100 kil. La fonte
obtint une extension de zone sur nos frontières, extension très avantageuse, puisqu'elle
mettait toutes nos usines métallurgiques dans la possibilité d'exporter en
France au droit de 4 fr. par 100 kil.
Les graines oléagineuses, autres que le lin, obtinrent une réduction de
droit à l'entrée par terre, disposition très importante pour le port d'Anvers,
puisqu'une énorme quantité de graines oléagineuses venait débarquer à Anvers,
remontait l'Escaut ou la Lys et arrivait à Lille ou dans les villes du
département du Nord pour être convertie en huile. Les pierres d'Ecaussines brutes obtinrent une réduction à 10 centimes par
100 kilogrammes.
Dans la question des houilles, une mesure très favorable à la Belgique
était décrétée par la même ordonnance, puisque la zone privilégiée en faveur de
la Belgique était établie depuis les sables d'Olonne jusqu'à Dunkerque. Cette
disposition amenait ce grand avantage, que les houilles belges pouvaient être
amenées jusqu'à Rouen et dans les autres villes manufacturières de la
Normandie.
Quant aux fers, des modifications favorables furent encore admises, en ce
sens que le droit sur les fers en barres et en rails avaient été réduits d'un
cinquième. Cependant cette dernière réduction constituait toujours un impôt
considérable, puisqu'elle formait encore un droit de cent dix pour cent.
La troisième ordonnance est celle du 28 décembre 1835. Par cette mesure,
la faveur qui avait été accordée à nos houilles dans la zone maritime fut
restreinte ; tandis que la zone primitve prenait dans
le principe sa naissance aux sables d'Olonne jusqu'à Dunkerque, elle fut
limitée depuis Saint-Malo jusqu'à Dunkerque. Toutefois, d'un autre côté, on
nous donna, pour l'entrée par terre, une extension de zone jusqu'à Halluin ; de
manière qu'il y avait là une espèce de compensation, et nous n'avions pas le
droit de nous plaindre.
(page 1822) Les fontes obtinrent également
une extension de droits d'entrée jusqu'à Longwy.
Telles sont, messieurs, les concessions qui nous avaient été accordées
jusqu'alors en exécution de la convention. Toutes ces concessions étaient
relatives à des matières premières ; le zinc, les fontes, les pierres d'Ecaussines, la houille, les fers, les graines oléagineuses
; mais il n'y avait rien pour l'industrie manufacturière.
En 1836, deux lois furent votées par la chambre des députés de France.
La première confirmait les ordonnances que je viens d'énumérer. La seconde
ordonnait l'abaissement sur les toiles ; il y avait déclassement ; on avait
créé 4 classes nouvelles, et, en réalité, il y avait là un avantage de
tarification pour la Belgique ; c'était l'avantage auquel nous attachions le
plus d'importance, puisqu'il devait profiter à l'industrie linière qui fait
vivre tant de bras dans les Flandres ; et qu'il pouvait apporter un soulagement
à cette classe malheureuse.
D'autres modifications furent apportées par cette même loi au régime des
tapis et de la céruse ; le droit sur ces deux articles fut réduit, quoiqu'il
continuât cependant d'être prohibitif. Le droit sur les chevaux fut également
réduit de moitié, mais cette mesure n'était établie que pour éviter la fraude,
car vous savez, messieurs, qu'il n'y a rien de plus facile que de frauder un
cheval en laisse.
Ce n'était donc pas pour nous qu'on prenait cette mesure, c'était une
mesure douanière qui ne nous amenait aucun avantage en réalité. Voilà donc
comment les choses s'étaient passées ; de part et d'autre, la convention était
exécutée sincèrement, de manière à satisfaire aux désirs de l'une et de l'autre
partie. La France était rentrée dans le droit commun, et nous avons pu voir le
prix qu'elle y attachait par les sacrifices qu'elle a faits en 1840, envers la
Hollande pour obtenir le retrait des mêmes mesures qui grèvent toujours le
tarif des Pays-Bas.
Les droits sur ses produits étaient réduits à un taux très bas qui
variait de 5 à 10 p. c, rarement 15 p. c ; elle nous avait accordé des
avantages proportionnés pour nos fontes, nos toiles et nos houilles ; nous
étions dans des relations commerciales extrêmement agréables et heureuses de
part et d'autre.
Comment se fait-il que ces relations se soient modifiées au point que
toutes ces concessions que nous avions obtenues à titre onéreux au moyen de
concessions sur notre tarif, comment se fait-il que ces concessions nous aient
été retirées presque toutes, une à une, et qu'aujourd'hui nous venions payer
pour la troisième fois ces concessions que nous avions obtenues au moyen du
retrait des mesures douanières, décrétées en 1822 par le roi des Pays-Bas ?
Je crois qu'on n'a pas assez fait comprendre au gouvernement français la
véritable situation des choses ; si on l'avait fait, nous aurions pris une
autre attitude.
Messieurs, ce n'est pas avec de la mollesse, mais avec une juste fermeté
qu'on se sauve dans les questions douanières comme dans les questions
nationales. Jamais un peuple n'a gagné une victoire avec de la mollesse, jamais
on n'a gagné la victoire dans les luttes de tarif en cédant à toutes les
exigences de son adversaire. Je crois que nous avons mis beaucoup trop de
mollesse dans nos négociations avec la France.
Je ne crains pas une guerre de tarif avec cette puissance ; nous avons
assez de jeunesse, assez de force, assez de puissance commerciale, pour
soutenir, s'il le fallait, une pareille guerre ; nous avons assez de ressources
pour chercher à l'étranger, au moyen de primes, les débouchés que nous
pourrions perdre du côté de la France. Mais si nous continuons à agir avec
cette mollesse, je ne sais ce qui adviendra un jour. Un honorable député de
Liège a parlé tout à l'heure du traité avec la Hollande, je désire qu'il soit
signé, parce que s'il ne l'était pas, et que le traité avec la France fut
adopté, je craindrais que cette décision ne réagît sur les stipulations de ce
traité. Quand on passe sur tout, on arrive de concessions en concessions à des
traités désastreux.
Le traité de 1842 avec la France a amené le traité avec le Zollverein où
36 articles de votre tarif sont sacrifiés pour des concessions sur quatre
articles, y compris le fromage de Herve. Le traité avec le Zollverein a amené
les concessions que demande aujourd'hui la France ; le traité qu'on vous propose,
s'il est adopté, amènera d'autres sacrifices. J'espère que non ; mais si la
chambre a le malheur de mollir dans cette circonstance, je ne sais où nous
arriverons en fait de concessions.
Je viens de vous exposer, messieurs, l'état des choses jusqu'en 1836.
Alors nous nous trouvions dans les relations du meilleur voisinage, alors il
n'y avait aucune guerre de tarif entre les deux pays. La première mesure qui
est venue changer cet état de choses a été l'ordonnance française du 25
novembre 1837. Cette ordonnance ouvrait le littoral aux houilles anglaises sur
toute la ligne maritime jusqu'à Dunkerque ; par là le privilège que nous avions
obtenu au prix de concessions sur le marché français nous était en grande
partie enlevé par le fait de la tarification.
Si les exportations de houille ont pris de l'extension, on ne peut
l'attribuer qu'à l'extension de la consommation intérieure, à l'emploi de la
houille au lieu de bois pour le foyer domestique, au développement de-machines
à vapeur, aux progrès de l'industrie française, aux locomotives des chemins de
fer, en un mot à la révolution sociale, non à la tarification, car la
tarification vous a retiré les avantages qu'elle vous avait accordés.
Le 24 septembre 1840 nouvelle ordonnance qui frappe d'une augmentation
de droit les linges de table, qui fait considérer comme blanches les toiles
blondines et étend la zone pour les fontes à toute la frontière de terre, de
sorte que l'avantage que nous avions obtenu, quant aux fontes, cesse d'être un
privilège pour la Belgique. Encore une concession retirée. Tout cela était peu
de chose auprès de ce qui nous menaçait : surgit ensuite la loi du 6 mai 1841.
Alors fut introduit l'amendement Delespaul qui élève
à une classe supérieure toute toile dont un fil apparaît dans le compte-fil de 5 millimètres. C'était surtaxer d'une classe
toutes les toiles, car il est impossible que le compteur n'emprunte pas une
partie quelconque d'un fil. C'est ce qui est arrivé et qui a donné lieu à une
foule de réclamations.
Sur les graines grasses le droit fut augmenté ; sur les pierres d'Ecaussines, l'importation par la Sambre fut interdite, et
les importations qui étaient de quatre mille kilogrammes furent immédiatement
réduites à deux. Une augmentation considérable fut apportée au droit sur les fils
de lin en même temps que l'approbation des mesures quant aux blondines. Cette
loi détruisait presque tous les avantages que nous nous étions promis par des
concessions mutuelles faites réciproquement dans la convention de 1834. Depuis,
vint encore la fameuse ordonnance de 1842, qui élevait les droits sur les
toiles et sur les fils et rendait ces droits en quelque sorte prohibitifs.
Voilà, messieurs, la situation des choses au moment de la convention de
1842 ; nous avions obtenu, en vertu de la convention première une réduction sur
les toiles de lin, cette réduction était retirée ; nous devions avoir et nous
avions obtenu en 1835 un avantage sur les houilles, il nous était retiré ; nous
avions obtenu un avantage sur les pierres, il nous était retiré en partie, et
quant aux fontes, on avait étendu le droit différentiel dont jouissait la
Belgique. On ne nous admettait encore que parce qu'on créait des chemins de fer
et qu'on ne pouvait pas se passer des fontes de la Belgique. Telle fut la
situation en 1842.
Je tiens à faire remarquer que ce n'est pas la Belgique qui a pris
l'initiative de ces mesures, que les mesures destructives de la convention de
1834 sont le fait d'une des parties, mais non de la Belgique. Il est déplorable
qu'en présence de pareils faits, avant l'ordonnance de 1842, à la suite de la
loi du 6 mai 1841, qui portait les premières infractions sensibles à la
convention de 1834, le gouvernement n'ait pas pris des mesures promptes et
efficaces pour arrêter un aussi grand mal.
Et réfléchissez-y, messieurs ; quand le roi Guillaume, en 1822, est venu
frapper d'un droit différentiel les produits français, alors toutes les mesures
prises contre la Belgique ont immédiatement été arrêtées. Dès qu'on a vu qu'on
avait à faire à un voisin qui n'était pas disposé à se laisser sacrifier, on a
arrêté les mesures projetées contre nous, et en définitive aucune nouvelle
mesure n'a été prise aussi longtemps que les droits différentiels frappaient
les produits de la nation voisine à notre frontière.
Il fallait donc, après la loi de 1841, ne pas attendre l'ordonnance de
1842 et prendre des mesures de réciprocité. Il fallait, non pas dire : Nous
avons des droits à faire valoir, mais faire valoir ces droits, et puisque la
France retirait une par une toutes les concessions qu'elle nous avait
accordées, il fallait rétablir les choses sur l'ancien pied. On eût ainsi
arrêté à sa source ces mesures qui devaient augmenter nos désastres et nous
occasionner tant de mal.
La convention de 1842 fut faite pour conserver à la Belgique, quant aux
toiles, la position qui résultait de la convention de 1834, ou, en d'autres
termes, pour empêcher, quant à la Belgique, les effets de l'ordonnance du 26
juin 1842 relative aux toiles et aux fils de lin.
Voilà dans quelle situation a été conclue la convention de 1842.
Après l'ordonnance française quasi prohibitive de nos toiles et de nos
fils de lin, c'était, en quelque sorte, une nécessité pour le pays. Vous savez
que vous l'avez achetée au prix de bien grands sacrifices. Vous avez dû réduire
de moitié les droits d'entrée et d'un quart l'accise sur les vins, et empêcher
les villes d'augmenter les droits d'octroi sur les vins qui sont la matière la
plus imposable.
Les sacrifices que vous avez faits de ce chef ont été évalués avec
raison à plus d'un million, au préjudice du trésor public.
Voilà le premier sacrifice que vous avez fait, et vous l'avez fait sans
aucune compensation.
Vous avez de plus admis une réduction de droits sur les soieries, la
réciprocité du batelage, le transit des ardoises françaises et cette
disposition nouvelle au moyen de laquelle on a accordé à la fabrication du sel
français un déchet de 7 p. c. au-dessus de celui accordé à tous les autres
sels.
Je tenais, messieurs, à vous faire ces observations, parce que
l'honorable M. d'Elhoungne a paru avant-hier vouloir justifier pleinement la
politique douanière française. Le discours de l'honorable membre est tel
qu'armé de ce discours le ministre français pourrait venir demander au
gouvernement de notre pays des concessions nouvelles. C'est à cela que j'ai cru
devoir répondre par un exposé franc, loyal, sincère des faits, et ces faits
donnent un démenti solennel aux torts que l'on peut imputer à notre
gouvernement.
Le discours de l'honorable membre à la main, M. Guizot peut venir dire à
la Belgique ce qu'il disait dans la séance du 25 mars 1845 : « De ce que je
viens de dire, il résulte que nous avons le droit de demander à la Belgique des
avantages supérieurs à ceux qu'elle nous a faits jusqu'à présent. » Ce discours
à la main, M. Guizot pourrait encore justifier sa demande ; or j'ai prouvé à
l'évidence que les avantages que nous avons faits à la France sont restés
debout, que pas un seul n'a été retiré, et que des avantages que nous avons
obtenus comme une compensation de modifications douanières auxquelles elle
attachait le plus grand prix, aucun n'existait plus.
Depuis le traité de 1842, la Belgique a pris quelques arrêtés ; c'est de
ces arrêtés qu'on se prévaut pour venir mettre la Belgique dans une (page 1823) position différente et
justifier les mesures réactionnaires dont nous avons été l'objet.
Le premier est l'arrêté relatif aux vins et aux soieries. D'après
l'honorable M. d'Elhoungne, ce serait cet arrêté qui serait la cause de tout le
mal ; parce qu'il l'a combattu, il voudrait qu'il fût la cause de tout ce qui
s'est passé. Or il est évident que l'arrêté relatif aux vins et aux soieries
n'était nullement hostile à l'industrie vinicole de France ; car chacun sait
que les vins du Rhin ne peuvent pas remplacer les vins de France. Chacun sait
que le but de cet arrêté était de ne pas mécontenter la Confédération
germanique, quand nous faisions de si grandes concessions à la France ; c'était
simplement une mesure de bon voisinage.
D'ailleurs dans la convention de 1842, la Belgique s'était expressément
réservé la faculté d'appliquer cette mesure aux nations voisines, si elle le
jugeait convenable. Or un seul pays voisin produit du vin ; c'est l'Allemagne.
Dès lors la France savait en signant la convention que l'arrêté devait
intervenir. Il ne faut donc pas mettre sur le compte du gouvernement des torts
qu'il n'a pas ; il a bien assez de ses torts réels sans qu'on lui en prête
d'autres.
L'arrêté de 1843 sur les laines n'est qu'une mesure bien légitime. II
n'établit que des droits bien modérés, en présence des
dispositions qui régissent la matière dans les pays voisins.
Vous savez, messieurs, que les fils de laine sont formellement prohibés
par le tarif français. Parce que la Belgique établit sur ces produits un droit
de 8 à 10 p. c. tout au plus, sur les qualités communes, je vous le demande,
a-t-on le droit de se plaindre ? Non, certainement. Aussi aucune plainte ne
s'est élevée contre cet arrêté quand il a été pris. La France n'a élevé aucune
réclamation, tant il est vrai qu'elle n'avait pas à se plaindre.
Veuillez, au reste, remarquer, messieurs, que quand M. Guizot demandait
que l'on sacrifiât l'industrie lainière, il le demandait d'une manière
tellement timide, qu'il ne le demandait qu'avec une limitation. Or, il est
évident que quand M. Guizot demandait la limitation, c'est parce qu'il avait
fort peu d'espoir de réussir à obtenir des concessions sur cet important
article.
Quant à l'arrêté relatif aux cotons, on sait que la France en a été
exemptée pour un an, et que cette exemption a été prolongée.
Voilà la véritable situation des faits. Le gouvernement, ni la Belgique,
ni la chambre n'ont, à cet égard, rien à se reprocher.
Messieurs, j'ai dû rappeler ce qui s'était passé, alors qu'un honorable
député de Gand avait prononcé un discours tel que tous les torts paraissaient
être de notre côté. Maintenant la convention de 1842 tend à sa fin ; une
convention nouvelle doit être faite.
Au lieu de maintenir les choses dans l'état actuel, cette convention
nouvelle atteint ce double résultat qu'elle diminue, qu'elle réduit
considérablement les avantages dont nous jouissions par la convention
précédente et qu'elle aggrave énormément les charges qui doivent peser sur la
Belgique. Au lieu que nous conservions l'entrée illimitée en France des toiles
et des fils de lin, l'entrée est soumise à une limitation que j'appellerai
odieuse pour notre pays.
On ne se contente plus des concessions que nous avions faites et sur les
vins, et sur les tissus de soie, et sur le transit des ardoises, et sur la
réciprocité du batelage, et sur le sel français. Pour le sel on double presque
le dégrèvement de fabrication et on ajoute encore à cela des concessions qui
sont excessivement lourdes pour le pays, les plus lourdes que le pays puisse jamais supporter, les concessions sur la grande
industrie de la laine.
Pour mon compte, messieurs, je ne puis
concevoir comment un gouvernement a jamais pu consentir à mettre en jeu une
industrie comparable à celle de la laine, qui est, quoi qu'on en puisse dire,
la première de toutes les industries de tous les pays manufacturés.
L'industrie de la laine, messieurs, vous ne l'ignorez pas, c'est celle
qui est la source de la richesse de toutes les nations. Ouvrez les pages de
l'histoire de la Belgique. Vous verrez qu'à toutes les époques de notre
histoire ancienne, la richesse du pays peut se mesurer sur la prospérité des
manufactures de laine, dont elle est en quelque sorte le thermomètre.
Pourquoi, messieurs, en Angleterre, le chancelier siège-t-il sur le sac
de laine ? C'est pour faire voir à la nation que sa richesse est dans la laine
et que ses représentants ne doivent jamais perdre de vue son importance.
M. Rodenbach. - Jadis, mais plus à présent.
M. Dumortier. - J'entends un membre qui dit : Jadis, mais plus à présent. Messieurs,
je suis content de cette interruption.
Jadis, mais plus à présent ! Oui, messieurs, l'industrie de la laine a
eu aussi son moment de crise ; mais ce moment de crise est passé.
Elle a eu son moment de crise. Et pourquoi ? Parce que la première
invention de filatures mécaniques qui a été faite est l'invention des filatures
de coton. Alors on a pu porter le filage du coton à un degré de
perfectionnement que cette industrie n'avait pas auparavant. Il en est résulté,
ce qui devait tout naturellement avoir lieu, que les cotons produits plus fins
et plus légers que tous les autres tissus, sont devenus un article de mode.
Nous avons vu pendant longtemps, et il y a à peine quelques années encore, que
l'on ne voulait que du coton, que l'on ne portait que du coton, parce que le
coton seul se travaillait en étoffes fines.
Mais depuis, les perfectionnements qui avaient été introduits dans la
filature du coton, ont été introduits presque simultanément et dans la filature
de la laine et dans la filature du coton. Un demi-siècle s'était écoulé entre
ces améliorations, il a fallu que pendant un demi-siècle le coton remplît sa
tâche. Il l'a remplie, et aujourd'hui le tour de la laine est revenu, et c'est
pour elle qu'est tout l'avenir. Pourquoi, messieurs ? Parce que la laine est la
matière la mieux appropriée à la température de nos climats, aux exigences des
pays septentrionaux ; parce qu'aujourd'hui, parvenue par les progrès de la
filature à la plus grande finesse, elle peut revêtir toutes les formes, qu'elle
peut servir et pour les vêtements, et pour les meubles, en un mot pour tous les
objets de consommation.
Ainsi, la laine reprend dorénavant dans l'industrie la place qu'elle
occupait primitivement ; elle a repris la grande place, la place qui doit lui
assurer la priorité, la suprématie sur toutes les industries manufacturières ;
déjà le présent est à elle, l'avenir lui appartient tout entier.
Je sais qu'en Belgique l'industrie de la laine ne fait que de naître,
non pas toutefois en ce qui concerne la draperie, tout le monde à cet égard lui
rendra hommage, mais en ce qui concerne les tissus légers. Toutefois,
messieurs, depuis combien d'années les tissus légers existent-ils ? Vous le
savez, ce n'est que depuis quatre ou cinq ans qu'on en fabrique.
M. Rodenbach. - C'est la filature à la mécanique qui est cause du changement.
M. Dumortier. - C'est ce que j'ai dit, la filature du coton a été antérieure d'un
demi-siècle à la filature de la laine. Dès lors le coton a eu son grand jour ;
mais ce jour est passé, il ne reviendra plus. Le coton continuera à exister, il
a un grand rôle à remplir ; mais tout l'avenir, toute la grande destinée est
pour la laine. Ainsi nous sommes rentrés dans la position ancienne, et
l'exemple que je vous citais du sac de laine du chancelier d'Angleterre reprend
toute sa force. Je dis qu'aujourd'hui, et dans l'avenir comme par le passé,
toute la richesse de la Belgique devra se mesurer sur la prospérité de la
laine. Voyez, messieurs, ce qui se passe. Est-ce que l'industrie de la laine ne
tend pas tous les jours à prendre la place du coton ? Est-ce que le mélange si heureux
qu'on est parvenu à faire de la laine avec le coton et le fil, n'a pas
introduit dans la consommation une quantité d’étoffes |nouvelles qu'on ne
saurait détrôner et qui ont un débit considérable et dans la Belgique et dans
les pays lointains ? Les jours brillants de l'industrie de la laine renaissent,
et c'est alors qu'on vient la frapper, qu'on veut l'empêcher de progresser,
alors cependant qu'elle seule est de nature à sauver les Flandres de la crise
qui existe aujourd'hui, qu'elle seule est de nature à procurer la richesse et
l'aisance au pays entier !
Mais revenons à l'objet qui nous occupe.
Quels sont, messieurs, les résultats de la convention ? Je vais avoir
l'honneur de vous les faire connaître.
Pour les fils de laine, on veut ramener les choses à l'état antérieur à
l'arrêté du 14 juillet. Pour les tissus de laine, on réduit de 25 p. c. les
droits à l'entrée. Or, voici quels sont les résultats de ces dispositions.
Les étoffes de laine épaisse payaient un droit de 125 fr. par 100 kil. L'arrêté du 14 juillet avait porté ce droit à 160 fr.
On réduit ce droit de 100 fr. de 25 p. c. ; les
étoffes de laine épaisse ne payeront donc plus qu'un droit de 120 fr. ; c'est
cinq francs de moins que par le tarif antérieur à l'arrêté du 14 juillet.
Les tissus mélangés de soie et autres étoffes payaient un droit de 190
fr. Le droit réduit sera moindre de 3 fr. 50 c. de ce qu'il était précédemment.
Ainsi pour ces deux articles, non seulement on supprime l'arrêté du 14
juillet, mais on va au-delà ; on réduit l'ancien tarif qui cependant était
extrêmement modéré.
On me dira qu'il n'en résultera pas de grands inconvénients pour ces
deux articles. Je l'admets. Mais je dis que le gouvernement ne devait pas
donner à l'étranger l'exemple d'une semblable concession, qui met en jeu la
première industrie du pays.
Sur quoi, messieurs, portent les concessions les plus fortes ? Elles
portent sur les fils de laine.
Par arrêté du 14 juillet, les droits sur les fils de laine écrus et non
tors, étaient fixés à 100 fr. par 100 kilog. Ils se trouvent réduits à 45 fr. ;
par conséquent la réduction est de 55 fr. Sur les fils tors et blanchis, les
droits étaient de 120 fr., on les fixe par la convention à 60 fr. ; ce qui fait
60 fr. de réduction.
Les fils teints étaient tarifés par l'arrêté du 14 juillet, à 140
francs. Ils se trouvent également réduits à 60 francs. Ce qui fait 80 francs de
moins que dans l'état actuel des choses.
Voilà, messieurs, les réductions que l'on vous propose. 55 francs de
moins sur les fils écrus, 60 francs de moins sur les fils tors et blanchis, 80
francs de moins par 100 kil. sur
les fils teints. Je vous le demande, n'est-ce pas sacrifier l'industrie de la
filature de la laine que d'admettre une disposition semblable ? Il est évident
pour tout homme qui possède quelques connaissances, que l'industrie ramenée à
ce point, doit se trouver en présence d'un affreux cataclysme.
Et en effet, messieurs, interrogez le passé, interrogez ce qui a eu lieu
en Belgique et avant l'arrêté du 14 juillet et depuis cet arrêté, et voyez
quelle différence il y a dans les progrès de l'industrie lainière. Avant
l'arrêté du 14 juillet, seule bonne mesure que le gouvernement ait jamais prise
en matière de douanes ; avant l'arrêté du 14 juillet, les filatures ne
s'établissaient point en Belgique ; si la filature existait ce n'était que chez
les fabricants ; la filature était une partie de la fabrication des draps, par
(page 1824) exemple, mais la
filature pour la vente n'existait pas ou existait excessivement peu.,
L'honorable M. d'Elhoungne a dit ; « Mais la laine cardée existait bien
auparavant ; elle continuera à exister.» Je répondrai, à l'honorable membre que
la laine cardée existait comme moyen de fabrication ; le fabricant cardait la
laine comme il la filait, comme il la teignait, comme il la tissait, et ii
avait un compte de profits et pertes dans lequel ces différents éléments de la
fabrication venaient balancer leurs résultats divers ; la perte des uns était
compensée par le bénéfice des autres.. Ce qui existe
aujourd'hui est tout autre chose ; les filatures dé laine s'établissent pour la
vente ; c'est la division du travail, et cette division du travail il faut la
maintenir, car sans elle il n'est pas de progrès industriel possible.
Je dors rencontrer ici, messieurs, une autre objection de l'orateur
auquel je réponds.. « Comment, dit-il, vous-même, en
1838, vous étiez opposé à la surtaxe sur les fils de laine. » J'ai déjà répondu
deux mots à cette observation lorsque j'ai protesté contre la suppression d'une
phrase de mon discours. Oui, messieurs, en 1838, je me suis opposé à
l'élévation du droit sur la laine filée, et si nous nous trouvions dans des
conditions semblables, je m’y opposerais encore aujourd'hui ; pourquoi ? Parce
qu'en 1838, il s'agissait de la laine filée pour les tapis de Tournay, de la
laine peignée pour les tapis de Tournay, et qu'il n'existait pas alors une
seule mature à Tournay. Voici comment les choses se sont passées : sous le
gouvernement français les riches manufactures de tapis dé Tournay faisaient
filer la laine, en France, principalement dans l'Artois. Lors de la séparation
de la France et de la Belgique, les manufactures de tapis de Tournay se
trouvèrent dépourvues des moyens de faire filer leur laine, et en 1816, il
intervint un arrangement entre le gouvernement français et les Pays-Bas,
arrangement d'après lequel les fabriques de Tournay envoyaient leur laine en
France pour être filée et la recevaient sans droits lorsqu'elle rentrait dans
le pays après avoir subie cette main-d'œuvre. Les fabricants avaient un compte
ouvert au ministère des finances, toutes les fois qu'ils expédiaient de la
laine en France il leur en était tenu compte, et lorsque cette laine rentrait
on les déchargeait du droit jusqu'à concurrence du montant de leurs envois, en
calculant toutefois le déchet. De cette manière, ils ne payaient pas le droit
d’entrée et la France avait l’avantage du filage. Plus tard, grâce à la
protection que la France accorda à l'industrie de la filature de la laine, des
filatures de laine furent établies à Roubaix, et c'est là que les manufactures
de tapis de Tournay firent alors filer leur laine, parce que, en l'absence
d'une semblable protection, des filatures ne pouvaient pas s'établir en
Belgique.
Eh bien, messieurs, c'est parce qu'en 1838 l'industrie était dans ce cas
; c'est parce qu'alors il n'existait pas de filatures de laine peignée dans le
pays, que je me suis opposé alors à l'augmentation du droit sur les fils de
laine. Les fils de laine étaient alors une matière première que la Belgique ne
produisait point et dont l'industrie de Tournay ne pouvait se passer.
Voilà le motif pour lequel j'ai prononcé les paroles citées par
l'honorable M. d'Elhoungne, paroles tellement claires qu'il a fallu en
retrancher une partie pour leur donner une couleur différente.
L'honorable membre, dans le plaidoyer qu’il a prononcé l'autre jour, m'a
semblé perdre de vue une chose qui paraît absurde au premier abord, mars qui
est incontestable, c'est que l'emploi du fil doit toujours précéder
l'établissement des filatures. En effet, messieurs, établissez tant que vous
voulez des filatures à la vapeur, si vous n'avez pas l'emploi du fil, vous
n'arriverez à aucun résultat. C'est la position dans laquelle nous nous
trouvions en 1838 ; mais l'arrêté de 1842 a créé une situation nouvelle en
accordant une faveur à l'industrie du filage précisément au moment où elle
faisait des efforts pour s'établir. C'est ainsi que cette industrie a pu pendre
un développement extraordinaire.
J'entends l'honorable M. Dechamps qui dit, messieurs, qu'il y avait en
tout 3,000 broches à Tournay ; eh bien, c'est là une grave erreur ; il y a
maintenant en activité à Tournay 8,300 broches pour les laines peignées, et il
s'en établit en ce moment 2,000 autres, de manière que d'ici à peu de temps il
y en aura 10,300, sans compter de nombreux assortiments pour les lames cardées.
La filature de la laine à Tournay n'est pas, messieurs, un objet
secondaire ; c’est une industrie qui emploie pour 12 millions de francs de
laine par an. Ajoutez à cela le fil de coton et de lin qui s'emploie dans les
étoffes mélangées, et dites si cette industrie est un objet secondaire ! Mais,
messieurs, pour 12 millions de francs de laine, c'est un million de kilog., c'est le quart de toute la laine introduite en
Belgique.
Et l'on viendrait dire que c'est là une industrie peu importante lorsque
la seule localité de Tournay emploie tous les ans pour 12 millions de fr. de
matière première ! N'est-ce donc rien qu'un capital roulant de 12 millions ? Et
votre industrie des toiles...
M. Rodenbach. - 80 millions.
M. Dumortier. - Quelle exagération ! quoi ! Quand vous
n'exportez que pour 12 millions vous ne pouvez pas employer 80 millions.
Voilà, messieurs, la situation de cette industrie ; et remarquez bien
qu'elle n'est encore qu'à sa naissance ; il y a 4 années seulement qu'elle
jouit d'une protection et encore d'une protection singulièrement équivoque
puisqu'elle n'existe qu'en vertu d'un arrêté.
Quelques industriels se sont dit : Le gouvernement qui a pris cette
mesure aura la loyauté de ne point la retirer ; d'autres plus sages, ont voulu
attendre que l'arrêté fût converti en loi, et je n'hésite pas à dire que si la
protection dont jouit cette industrie lui avait été assurée par un acte du
pouvoir législatif, ce n'est pas 12 millions de francs qu'on emploierait à
Tournay, mais 20 et 30 millions.
Mais, messieurs, pour l'industrie des laines, Tournay, n'est qu'un point
dans l'espace. A Verviers cette industrie emploie des capitaux bien plus
considérables, et la laine établit ses manufactures sur tous les points de la
Belgique ; il n'est guère de province où l'industrie de la laine ne
s'introduise, et les hommes les plus avancés, les plus éclairés des Flandres
ont dit et écrit que c'est dans l'industrie de la laine que la Flandre doit
trouver le moyen de sortir de sa malheureuse position actuelle. (Interruption.) J’ai en mains la pétition
de Courtray qui le dit en termes formels ; voici comment elle s'exprime :
« Nous bornons ici nos observations. Elles démontrent suffisamment que
la convention serait désastreuse pour notre industrie linière. Mais avant de
finir nous aurons l'honneur de faire observer qu'en tout état de choses nous
aurions déploré l'atteinte mortelle portée aux, intérêts de l'industrie
lainière par la suppression presque totale de l'arrête du 14 juillet 1843 qui
était venu encourager avec tant d'à-propos cette industrie alors languissante
et maintenant si pleine d'avenir ; nous aurions alors stigmatisé tout système
qui tendrait à sacrifier une industrie quelconque au profit d'une autre ; nous
aurions rappelé que la Constitution couvre de son égide tutélaire tous les
droits acquis ; et que toutes les industries, mais, particulièrement celles
importantes et prospères, ont des droits à une juste et équitable protection ;
nous aurions hautement déclaré que le sacrifice de l'industrie lainière serait
d'autant plus déplorable que nous espérions trouver dans ses développements une
compensation des pertes que nous subissons dans l'industrie linière. »
Voilà de belles et nobles paroles ; voilà comment les Flandres
s'expriment par l'organe de leurs représentants légitimes en matière
d'industrie ; elles ont compris que c'est dans l'industrie de la laine qu'elles
peuvent retrouver leur ancienne prospérité.
Messieurs, je dois singulièrement regretter le moment que M. le ministre
des affaires étrangères a choisi pour conclure avec la France la convention qui
nous occupe ; je crois qu'il n'était pas possible de choisir plus mal son temps
et son terrain qu'on ne l’a fait dans cette circonstance.
En effet, la convention devait durer jusqu'au mois d'août ; rien donc ne
nous pressait de faire une convention de ce genre. Or, quel moment a-t-on
choisi ? Précisément celui qui précédait l'ouverture des chambres françaises.
Mais vous le savez, messieurs, dans la dernière session, l’honorable M. Guizot
n'a obtenu qu'une majorité singulièrement équivoque ; cette majorité, dans
certains votes, a été réduite à 5 voix ; c'était là un fait dont il fallait
nécessairement tenir compte.
De deux choses l'une : ou M. Guizot devait, à l'ouverture de la session,
lors de la discussion de l'adresse, obtenir la majorité, ou bien, il devait
subir la loi de la minorité et se retirer ; si M. Guizot se retirait, le
ministère nouveau, fortifié par l'appoint ministériel, devait avoir une
majorité beaucoup plus grande, et par conséquent, nous devions espérer de
traiter à des conditions bien plus favorables ; si le ministère Guizot restait
debout, alors sa majorité pouvait toujours aller en croissant, précisément à
cause qu'on était à la veille des élections, et alors on avait également plus
de chance de traiter à des conditions favorables. En outre, on n'ignorait pas
que l'Angleterre préparait sa grande mesure de liberté en matière de douanes ;
et qui peut douter un moment de l'influence que cette mesure aurait pu exercer
sur les négociations pendantes entre la France et la Belgique ? Voilà toutes
choses dont il fallait tenir compte, et lorsque les conditions, offertes par la
France, devaient être par trop onéreuses, il fallait savoir temporiser et
attendre un moment meilleur.
Loin de là, on s'est hâté, on s'est en quelque sorte précipité ; lorsque
M. Guizot n'avait que 5 voix de majorité, la veille du jour où son successeur,
si tant est qu'il dût en avoir un, devait avoir une majorité beaucoup plus
grande, on a traité avec un ministère qui était pour ainsi dire réduit à
l'extrémité et qui par conséquent devait faire à la Belgique les conditions les
plus onéreuses possibles, pour s'en faire un titre auprès de sa majorité
numériquement si faible. C'est là une faute capitale qui a été commise par le
cabinet belge, et c'est à cette faute principalement que nous devons attribuer
l'issue fâcheuse et funeste du-traité qui est en discussion.
Mais, messieurs, comment le ministère français s'est-il conduit envers
la France ? Vous l'avez entendu dans le comité secret. Quand M. Guizot a
demandé à la Belgique des concessions sur la laine, il avait tellement peu
l'espoir de les obtenir, qu'il ne les avait réclamées qu'avec une limitation
analogue à celle qu'il présentait pour l'industrie des fils. Or, quand un homme
comme M. Guizot est venu demander une limitation pour un objet qu'il veut
introduire dans le tarif, il a fait voir par-là qu'il avait bien peu d'espoir
de réussir dans sa réclamation ; d'ailleurs dans son discours, souvent cité, du
25 mars 1845, il avait bien parlé de réduction sur les tissus de laine, mais
nullement sur les fils de laine. Si le gouvernement belge avait eu le courage
de dire dès l'origine des négociations : « Nous ne sacrifions pas une industrie
qui s'élève à une industrie qui tombe, » je suis convaincu que le gouvernement
français n'aurait pas insisté.
« L'industrie de la laine, nous dit l'honorable M. d'Elhoungne, où est
son titre ? Son titre, répond-il, c'est l'arrêté du 14 juillet 1843 ; je ne
reconnais pas au gouvernement le droit de créer des industries nouvelles qui
plus tard deviennent un embarras. Les chambres se trouveraient liées à l'avance
et ne pourraient plus, en présence des intérêts individuels, nés à l'abri d'un
arrêté royal, se prononcer conformément aux intérêts du pays. »
Comment ! messieurs, l'industrie de la laine
est devenue un intérêt (page 1825) individuel
! Les intérêts du pays exigent que le gouvernement ne fasse pas ce qu’il peut
pour seconder cette industrie ! Messieurs, je dois repousser de semblables
doctrines de tous mes moyens. Comment ! les grandes
industries qui donnent le plus de travail aux ouvriers, qui amènent le plus de
richesses dans le pays ; ces industries seraient considérées comme des intérêts
individuels ! Que devient alors l'industrie des cotons, par exemple, et celle
des toiles, si ce n'est un intérêt individuel ?
Messieurs, respectons davantage le travail national. Tout travail
national a droit à une protection, et cette protection
est due surtout aux industries qui donnent du pain à un plus grand nombre
d'ouvriers. Or, de toutes les industries, celle qui peut donner du pain à un
nombre plus considérable d'ouvriers, c'est l’industrie de la laine, quand elle
aura repris la place qu'elle a momentanément perdue. Depuis le berger des
Ardennes jusqu'au dernier apprêteur, tout doit se mouvoir, tout doit vivre par
elle ; ne venez donc pas dire que cette industrie est un intérêt individuel.
L’industrie de la laine s'est établie sous l'empire de l'arrêté du 14
juillet 1843… Cela est vrai, mais l'expérience a prouvé combien la disposition
était nécessaire au développement de cette industrie. Avant l'arrêté du 14
juillet, l'industrie des tissus fins n'existait pas en Belgique ; c'est depuis
l'arrêté qu'elle s'est créée, qu'eue s'est développée ; et par les
développements qu’elle a pris en si peu de temps, vous pouvez juger de ceux qui
l'attendent dans l'avenir. Loin donc de blâmer le gouvernement de la mesure
qu'il avait prise en 1843, il faut le blâmer de n'avoir pas eu le courage de
persévérer dans une voie si féconde en brillants résultats.
Messieurs, je prévois les objections que pourra me faire M. le ministre
des affaires étrangères ; et comme, en vertu de je ne sais quelle manière
d'interpréter le règlement, on ne permet à un orateur de répondre à un ministre
que quand son tour d'inscription arrive (et alors il est presque toujours trop
tard), je veux présenter les objections que fera M. le ministre des affaires
étrangères et j'y répondrai.
Il vous dira : « Le fil est une matière première ; le tissage prendra de
l'extension, et après quelques années, en remettant les droits on rendra un
plus grand service à la filature. »
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - C'est
cela !
M. Dumortier. - Je suis charmé d'avoir rencontré l'objection de M. Dechamps. Je
reprends donc : « Le tissage prendra de l'extension, et lorsqu'il aura pris de
l'extension pendant la durée du traité, on rétablira les dispositions de
l'arrêté du 14 juillet 1843, et alors les filatures de laine prendront un plus
grand développement. »
Le tissage pourra prendre de l'extension !... Mais, M. le ministre, si
vous considérez le fil comme une matière première, si c'est en faveur du
tissage que vous prenez la mesure, ce n'est pas une partie seulement du droit
que vous devez supprimer, vous devez alors avoir le courage de supprimer le
droit tout entier, et alors nos manufactures jouiront dans l'intégrité de la
prime de sortie accordée en France.
Mais comment vont faire nos tisserands de laine ?
Ils devront payer la laine avec le droit majoré en Belgique ; ils auront
pour compensation la prime que la France accorde à la sortie, et qui dépasse
souvent le droit d'entrée en Belgique ; mais il y aura une série de
vicissitudes, qui empêcheront nos manufacturiers de profiter de cet avantage.
Et puis, à la fin de la convention, croyez-vous que la Belgique pourra rétablir
le droit sur les tissus de laine ? Vous qui n’avez pas eu assez d'énergie pour
maintenir ce droit quand il existait, comment pourriez-vous le rétablir après
l'avoir sacrifié ? Il est évident que la France ne consentirait à faire aucune
convention nouvelle, qu'à la condition du maintien de cette concession que vous
lui avez faite. Aujourd'hui les filateurs de laine peuvent exister, parce que
l'industrie du tissage est créée, et prend chaque jour un plus grand
développement, parce que la marche des deux autres industries et leur
développement sont parallèles. Il est indispensable de faire le jour de la
filature de la laine ; or, cette industrie ne peut pas exister en présence de
votre tarif, parce que les primes de la France dépassent le plus souvent les
droits établis pour la protéger.
Dans les moments de crise, et dans l'industrie on peut en compter une
tous les quatre ans, les fabriques de France déverseront leur trop plein sur
notre marché ; ce sera dans ce moment où nos filatures auront le plus grand
besoin de votre secours, que votre tarif les tuera. Si cette industrie n'a pas
cette protection constante de tous les jours qui veille sur elle comme la
Providence, et sans laquelle elle ne peut pas exister, elle se trouvera
renversée et sans appui au moment où la protection lui serait indispensable.
Remarquez que, dans le traité, le tissage aussi paye sa part des frais. On
réduit de 25 p. c. les droits sur le tissage. Si, avec le droit actuel, le
tissage a de la peine à s'établir, que sera-ce quand il sera réduit de 25 p. c. ? Déjà il est tel qu'il est impossible de faire des
étoffes fines, le droit étant réduit, lui sera-t-il suffisant pour qu'on engage
des capitaux dans le tissage ? Et le tissage vous échappera comme la filature.
L'autre objection qu'on nous fera est celle-ci : les filatures de laine
ont bien marché avant l'arrêté, elles le pourront encore après son retrait.
Cela pourrait être vrai pour les filatures de laine cardée, mais non pour
celles de laine peignée. Ce sont celles-ci qui servent à faire les étoffes
légères que vous portez tous, la fabrication de ces étoffes est donc laissée au
bon caprice de l'étranger ; les fabricants qui, sur la foi de l'arrêté royal,
ont aventuré des capitaux dans cette industrie seront ruinés. Est-ce là de la
loyauté ? Qui croira encore au gouvernement ? Qui vous dit que demain on ne
retirera pas la mesure en ce qui concerne l'Allemagne, que le traité avec la
France n'aura pas des corollaires ? Rien n'est assuré, rien n'est sacré dans un
pays, quand un gouvernement détruit le lendemain ce que la veille il avait élevé de ses
propres mains.
Messieurs, le traité n'amènera même aucun avantage, à l'industrie
linière. En France cette industrie progresse ; consultez nos introductions.
Vous verrez que la diminution est successive.
En 1834, nous avons introduit en France pour 25 1/2 millions de toiles ;
en 1835, pour 27 millions ;en 1836, pour 27 millions,
et déjà en 1839, l'importation était tombée à 18 1/2 millions. Si aujourd'hui
notre industrie a un peu plus de développement, c'est par suite de la
prohibition des toiles anglaises ; mais la marche des faits est là pour vous le
dire, cette industrie prend un grand développement en France. Dans le
département du Nord, un seul industriel, comme nous l'a dit l'honorable M. Osy,
forme une manufacture avec 100 mille broches de fil de lin ; aux produits de
ces 100 mille broches, il faudra un emploi ; on établira le tissage à la vapeur.
Vous aurez sacrifié une industrie qui avait un grand avenir, sans rien faire
pour les toiles.
Mais remarquez-le, messieurs, si la Providence nous ferme les portes de
la France, elle nous en ouvre d'autres et non moins avantageuses. La mesure
prise en Angleterre par laquelle les toiles communes peuvent entrer
libres de droits nous offre un débouché qui peut remplacer celui qui nous est
fermé, si nous pouvons nous procurer des fils de lin aussi avantageusement
filés qu'en Angleterre. Chose étrange : dans le traité nouveau on a sacrifié
l'industrie de la laine non pas à la toile mais aux fils de lin, dont les
établissements ne suffisent pas au pays, et les fils de lin vont nous manquer ;
nous ne pourrons pas nous en procurer, car les fils de lin anglais se trouvent
frappés d'un droit prohibitif. Le traité sera donc aussi funeste au lin qu'à la
laine.
Il y avait un moyen de sortir d'embarras, c'était d'accorder des
avantages pour ouvrir un débouché en Angleterre, dont la Providence nous
prépare les voies. Mais vous vous portez toujours vers la France, et ce marché
de jour en jour s'amoindrira pour vous, parce que de jour en jour la
fabrication de la toile à la mécanique s'y développera et qu'avant la fin du
traité vous serez dans l'impossibilité d'y rien envoyer.
Que l'industrie flamande veuille enfin marcher dans la voie du progrès
au lieu de s'obstiner à rester dans un système stationnaire. La navette
volante, qui est la grosse lettre du tissage, aura eu la plus grande peine à
s'introduire dans les Flandres.
Dans les marchés les plus nombreux, vous ne sauriez pas trouver dix
pièces delà même qualité. Ce qui manque aux Flandres, c'est de faire de
l'industrie cumulative ; il faut en finir avec l'industrie individuelle ; il
faut que des industriels fassent fabriquer en grand et donner aux toiles les
proportions uniformes et catégorisées qui leur manquent. Alors vous pourrez
donner de l'ouvrage à vos ouvriers ; il faut que vous numérotiez vos toiles au
lieu de rester dans votre vieille routine ; vous serez dans des conditions qui
pourront permettre les exportations.
M. de Haerne. - On fait tout cela !
M. Dumortier. - Aussi voyez l'avenir terrible que vous réservez à l'industrie
linière. Je vous lirai un passage du rapport adressé par M. Desmaisières, le 11
mars dernier, à M. le ministre de l'intérieur sur l’emploi des fonds votés
comme subside à l'industrie linière. Voici ce que dit-cet honorable membre qui
est l’un des hommes qui ont déployé le plus de zèle, qui ont fait le plus
d'efforts pour favoriser le développement de l'industrie linière :
« L'organisation plus régulière des comités leur permettra de consacrer
au perfectionnement des métiers et des rouets le subside que, jusqu'à ce jour,
ils se sont vus forcés de distribuer en secours indirects ara travailleurs. »
Ainsi des fonds que nous allouons pour perfectionner des mécaniques, on
fait un subside pour les travailleurs, on fait une taxe des pauvres au profit
de quelques provinces, et l'on appelle cela une industrie progressive. Sortez
de la routine, alors vous pourrez lutter avec l'étranger.
Un
membre. - C'est inexact.
M. Dumortier. - C'est au gouvernement que ce rapport est adressé, c'est l'expression
de la vérité. Vous la cachez, tandis que vous rendriez service en la faisant
connaître. La vérité, vous la connaissez comme moi, mais elle expire sur vos
lèvres, vous n'osez pas la dire.
M. de Haerne. - C'était pour centraliser l'industrie, comme vous l'avez conseillé.
M. Dumortier. - Ce n'est pas centraliser l'industrie que de vendre le lin à meilleur
marché que le prix d'achat et d'établir une taxe des pauvres. (Dénégation de la part de M. de Haerne.)
Il n’y a qu'à lire le rapport dont je viens de citer un passage.
Ce n'est pas en voulant maintenir une industrie qui ne progresse pas que
vous rendrez service au pays. Abordez franchement la difficulté, renoncer à
votre taxe des pauvres ; tâchez de transformer l'industrie linière en industrie
lainière qui a de l'avenir, qui peut exporter à l'étranger et qui a un débouché
à l'intérieur ; c'est ainsi que vous rendrez un véritable service au pays,
comme la chambre de commerce de Courtray le comprend si bien.
Messieurs, je vous ai montré que le traité est restrictif pour les
toiles, ruineux pour l'industrie linière, désastreux pour le pays. Avant de
terminer, je veux répondre à une objection, celle de la rupture de nos
relations avec la France. On a prétendu que le rejet du traité aurait ce
résultat et compromettrait, par conséquent, d'immenses intérêts, et notamment
ceux relatifs aux toiles, aux fontes, à la houille. Pour moi, je vous le
déclare, je ne puis rien voir de semblable dans le rejet du traité. Une rupture
avec la France ! Croyez-vous donc que la France irait de gaieté de cœur faire
une guerre de tarif à la Belgique, où elle exporte annuellement pour 45
millions de francs de produits manufacturés ? Comment pensez-vous qu'elle irait
perdre de gaieté de cœur un pareil marché, un marché à ses portes, à dix lieues
de sa capitale ?Comment pouvez-vous supposer que M.
Guizot, à la veille des élections, consentît à faire à la Belgique une (page 1826) guerre de tarif ? Il sait
combien un pareil acte serait impopulaire en France. Les élections lui seraient
fatales ; il aurait la minorité dans la chambre. Tous les districts vinicoles,
irrités de se voir frappés par la Belgique, enverraient à la chambre des
députés hostiles au gouvernement.
Mais M. Guizot ne commettra pas une pareille
faute, personne n'en doute, ce n'est là qu'un moyen, qu'une terreur salutaire
pour nous faire voter un traité néfaste et qui n'a d'analogue que le traité
conclu en 1786 entre la France et l'Angleterre, traité qui a ruiné l'industrie
lainière en France au profit de l'Angleterre.
Que la crainte de la rupture de nos relations avec la France ne vous
détermine donc pas à donner votre assentiment à un mauvais traité. Ayez le
courage de votre opinion. Tous, vous savez, que le traité est mauvais, tous,
vous savez quelle est l'importance de l'industrie lainière, ne la sacrifiez
pas, ne tuez pas la poule aux œufs d'or, sans quoi le pays tout entier dirait
que vous avez posé un acte fatal à l'industrie nationale. C'est dans ce but que
je proposerai à la chambre un vote qui est de nature à sauver tous les
intérêts.
M. Van Cutsem. - Messieurs, ce que notre honorable ancien collègue, feu M. Angillis,
proclamait dans cette enceinte en 1842, lors de la discussion du traité du 26 juillet
de la même année, je le dirai en 1846 à l'occasion du traité conclu le 13
décembre 1845 avec la France ; je vous déclarerai que j'ai vu ce traité avec
peine, mais sans étonnement, parce qu'en général les grandes puissances,
lorsqu'il s'agit de traiter avec elles, accordent aux petits Etats qui les
environnent de légers avantages pour obtenir de grandes concessions ; ces
traités sont ordinairement des traités de dupes pour la partie la plus faible ;
c'est toujours leur intérêt bien ou mal entendu qui fait la loi suprême des
grands Etats.
Est-ce à dire à présent, messieurs, que parce que la France nous donne
peu, et qu'elle nous arrache d'immenses concessions pour son commerce, son
industrie et son agriculture, et parce que son ministre des affaires étrangères,
M. Guizot, a dit à la tribune française : que dans le traité de 1846 on nous
donne moins qu'en 1842 et qu'on obtient davantage, que je vais refuser mon vote
au traité que notre gouvernement a conclu avec la France ? Ce vote, je le
refuserais si, en prenant une pareille détermination, je pouvais contraindre la
France à traiter mon pays avec plus de bienveillance et d'équité qu'elle ne l'a
fait depuis plusieurs années ; mais pouvons-nous espérer que le gouvernement
français se laissera faire la loi par la Belgique ? Pouvons-nous croire qu'en
face d'une mesure extrême, telle que le refus de la ratification d'un traité
conclu avec lui, il nous fera des avantages qu'il ne nous aurait pas concédés
avant cet acte ? Ne devons-nous pas plutôt avoir la conviction que, loin de
céder, il pourrait recourir à de nouveaux moyens encore pour frapper d'autres
de nos industries, telles que les fers et les houilles, qui trouvent
actuellement d'abondants débouchés en France ? Ne devons-nous pas le redouter
d'autant plus que le ministre des affaires étrangères en France a dit à la
chambre que les négociateurs belges avaient adopté le traité parce qu'ils
avaient senti que, dans l'état actuel des relations de la France et de la
Belgique, ce n'était pas seulement l'industrie linière belge qui était en
question, mais encore ses houilles et ses fers.
Si le refus de ratifier le traité conclu avec la France peut avoir ces
conséquences pour la Belgique, nous est-il bien permis à nous, de mettre le
pays dans une pareille position, en admettant même que nous pourrions rendre à
la France mal pour mal, en doublant, en triplant les droits sur les vins et les
soieries, cotons et autres de ses produits ? Pouvons-nous provoquer de pareils
résultats, alors qu'il nous incombe avant tout, en notre qualité de
législateurs, ainsi que le disait encore dernièrement au parlement britannique
le grand ministre anglais Robert Peel, de soigner pour la subsistance du peuple
?
Nous nous préoccupons chaque jour et avec raison de la situation de nos
classes ouvrières, dont l'existence précaire et misérable devient permanente et
de jour en jour plus dangereuse pour la société.et ce serait dans une position
aussi difficile que l'on pourrait songer à courir les risques d'une guerre de
représailles douanières, comme le veulent les adversaires de la ratification du
traité ! Cela n'est pas possible. Soyons plus prudents, messieurs, acceptons le
traité conclu avec la France, comme une nécessité du moment, considérons-le
comme un acte qui nous accorde le bénéfice du temps, avec lequel nous pourrons
remplacer notre débouché avec la France par d'autres débouchés, ou qui nous
permettra, par la force des choses, de conclure plus tard avec cette même
France, après ce traité restreint, un traité à larges bases et peut-être même
une union douanière, quelque difficile qu'elle paraisse être dans le moment
actuel d'après les négociations dont on nous a communiqué le résultat en comité
général.
Le temps pourra nous être favorable, parce que nous ne sommes plus
vis-à-vis de la France dans la position dans laquelle nous étions ci-devant ;
il y a quelques mois, le marché français semblait échapper à notre industrie
linière, mais nous n'avions pas alors les railways entre les deux pays, ils
sont terminés aujourd'hui, et nous devons espérer, comme le disait, il y a peu
de jours, un organe semi-officiel de la presse française, que l'union douanière
franco-belge est bien près de s'accomplir par cet événement, et si nous avons
cet espoir, pourquoi nous brouillerions-nous avec la France dans un moment
pareil ?
II est fâcheux, il est déplorable, que nous ne puissions attendre un
meilleur avenir pour notre industrie linière et pour plusieurs autres branches
de notre richesse nationale, que nous ne puissions conserver les avantages que la
France fait à nos fers et à nos houilles qu'en faisant des réductions de droits
en faveur de produits français qui viendront faire concurrence à nos fabricats
sur nos propres marchés. Toutefois ne nous exagérons pas cette concurrence que
le traité rend possible ; elle sera moins dangereuse qu'on ne le dit, puisqu'il
y aura encore une protection pour nos produits huniers, minime il est vrai, à
en juger par certains documents qui nous ont été remis, mais qui au fond sera
suffisante, puisque la France n'ose laisser entrer chez elle les mêmes produits
belges à un droit quelconque et qu'elle les prohibes, tellement elle redoute de
trouver nos produits à côté des siens sur ses propres marchés.
La faveur que nous faisons aux produits lainiers français en renonçant
aux taxes extraordinaires qu'ils avaient à payer depuis 1843, ne nous fera pas
autant de tort qu'on semble le craindre, et on en sera convaincu, quand on
portera un instant les yeux sur ce qui s'est passé depuis 1843 ; en effet, les
étoffes de laine françaises, malgré l'ordonnance qui impose une partie de ces
tissus, ont vu également s'accroître leur importation chez nous, uniquement
parce que l'ordonnance dont il s'agit a atteint avec plus de sûreté les tissus
anglais que les français : la France a importé en Belgique en 1842, pour
4,500,285 fr., en 1843 et en 1844 environ 7 millions de tissus de laine chaque
année.
Je déplore encore qu'en accordant à la France pour ses produits lainiers
des avantages qu'elle n'avait pas dans le traité de 1842, qu'en augmentant de 5
p. c. le déchet sur le sel, notre industrie linière soit moins bien traitée
dans le pacte de 1846 que dans celui de 1842.
Dans le traité de 1842, la France ne pouvait réduire les droits sur les
toiles et fils de lin importés chez elle par d'autres nations qu'en accordant
une réduction supplémentaire aux toiles belges ; par le traité de 1846, elle
peut accorder aux autres nations les avantages qu'elle fait à la Belgique sans
compensation aucune pour celle-ci. Cette liberté d'action qu'à la France peut
devenir fâcheuse pour la Belgique ; en effet, si la France voulait profiter des
tendances de l'Angleterre et de l'Allemagne vers la liberté commerciale, elle
aurait la faculté de les admettre à l'exploitation de son marché aux mêmes
conditions que la Belgique pour se créer par-là de nouveaux débouchés pour ses
vins et ses soieries. Si les négociateurs du traité avaient pensé aux
conséquences de cette nouvelle position qui nous est faite par le traité, ils
auraient dû au moins stipuler que la Belgique aurait le droit de dénoncer la
convention, si la France jugeait convenable d'en étendre le bienfait à d'autres
nations.
Nous devons encore, en engageant le gouvernement à ne plus la laisser
stipuler dans aucun traité futur, critiquer cette clause de la convention qui a
pour but de limiter les quantités de fils et de toiles à introduire en France,
parce que cette condition est digne de la barbarie industrielle et commerciale
du moyen âge, et qu'on ne peut rien imaginer de plus anti-commercial. En effet,
il y aura une époque de l'année où l'entrée des toiles et des fils belges sera
permise et légale, et une époque indéterminée, et qui arrivera toujours
inopinément pour une partie du commerce, où cette entrée sera de contrebande et
punissable par la loi, parce qu'il n'est pas possible d'admettre que le
commerce se résoudra à payer des droits différents sur la même marchandise. Si
le commerce suit sa marche ordinaire, et s'il demande ses approvisionnements au
fur et à mesure de ses besoins, le négociant dont les besoins auront été
tardifs fera ses demandes en Belgique, lorsque déjà peut-être l'entrée des
toiles ne sera plus permise qu'au droit le plus élevé ; si, au contraire, le
commerce, dans la crainte que lui inspire cette limite, expédie ses ordres en
masse dès le début de l'année, et s'ils surpassent le chiffre des importations
permises, il pourra alors arriver à l'importateur qui se présentera à la
douane, une heure, une minute après que le chiffre fatal sera atteint, d'être
privé pendant une année entière d'une marchandise dont ses concurrents seront
approvisionnés à plus bas prix qu'il ne pourra les obtenir.
Ces clauses onéreuses du traité ne sont pas compensées par des avantages
bien remarquables ; cependant je dois convenir que si les types n'ont été arrêtés
que dans l'intérêt des importations en France des toiles belges, ainsi que les
notes qui doivent être considérées comme faisant partie de la convention le
déclarent de la manière la plus formelle, et que si on exécute franchement et
loyalement la mesure proposée pour la vérification des tissus admissibles au
droit réduit, notre commerce de toiles pourra voir augmenter le chiffre de ses
importations en France.
Me résumant, messieurs, je déclare que j'accepte le traité conclu avec
la France, quoiqu'il renferme plusieurs clauses que je désapprouve, parce qu'il
en contient d'autres qui nous donnent certains avantages, parce que je
n'oserais, en face des besoins de la classe ouvrière des Flandres, priver ces
malheureux d'un débouché de leurs produits qui s'élève encore à douze millions
de francs par an, sans l'avoir remplacé par des débouchés nouveaux ; parce que
je ne veux pas enlever aux ouvriers occupés au fer et à l'extraction des
charbons leurs moyens d'existence ; parce que, si nous devons perdre le débouché
que nous trouvons en France pour notre industrie linière, je préfère que cette
perte se fasse insensiblement, et enfin parce que la nouvelle position que
donnent à la France et à la Belgique les voies ferrées qui sont complètes à
présent, me fait espérer dans l'avenir, sinon une union douanière immédiate
entre les deux pays, au moins un traité de commerce à conclure sur de larges
bases.
M. le président. -
La proposition suivante vient d'être déposée par M. Dumortier :
« Je propose d'admettre comme modification de tarifs toutes les
dispositions de la convention, excepté celles relatives à la laine, et de
négocier de nouveau avec le gouvernement français de manière à ne pas
comprendre l'industrie lainière dans le traité. »
M. Dumortier. - Je ferai remarquer à la chambre que déjà M. David a signalé ce fait
qu'en France les chambres n'ont pas donné (page
1827) leur assentiment au traité. On s'est borné à adopter une loi
modificative du tarif des douanes. Je proposée la chambre de faire de même ; de
modifier notre tarif des douanes pour montrer notre bon vouloir, et de négocier
pour le surplus afin de ne pas sacrifier cette grande industrie de la laine
dont j'ai pris la défense.
- La séance est levée à 4 heures et demie.
erratum. — Annales parlementaires.
— 'Page 1808, 5e alinéa. — Discours de M. de Haerne. Au lieu de 30,000
personnes, lisez : trois cent mille personnes.