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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 11 juin 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétitions relatives au projet de chemin de fer entre Gand et Bruxelles
(de Terbecq), au commerce de la viande (Manilius)
2) Motion d’ordre relative
au projet de chemin de fer de Gand à Bruxelles (de Naeyer,
Dedecker, de Naeyer)
3) Projet de loi sur les sucres.
Discussion générale. Concurrence entre l’industrie exotique (sucre de canne) et
l’industrie indigène (sucre de betterave), fixation du rendement et du droit
d’accises, etc. (de Renesse, Desmaisières,
de La Coste, Malou)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Dumont.)
(page 1625) M. de Man d’Attenrode fait l'appel
nominal à midi et un quart et lit le procès-verbal de la séance précédente ; la
rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur
Samyn, ancien employé des douanes, prie la chambre de statuer sur sa demande,
tendant à obtenir une augmentation de pension. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
« Les membres
de l'administration communale de Zele présentent des observations contre le
projet d'un chemin de fer de Gand à Bruxelles par Alost, et prient la chambre,
si elle décidait la construction d'une nouvelle voie ferrée, d'adopter le tracé
de Termonde sur Merchtem, Assche et Laeken. »
« Même demande
des membres de l'administration communale de Mespelaere, Denderbelle, Baesrode
et Hamme. »
M. de Terbecq demande le renvoi
de cette requête à la commission des pétitions.
- Adopté.
_________________
« Plusieurs habitants d'Eeghem demandent l'union
douanière avec la France. »
« Même demande
de plusieurs habitants de Wielsbeke, Gotthem et Grammene. »
- Même renvoi.
_________________
« Les administrations communales de Beeringhen,
Pael, Tessenderloo, Quaedmechelen, Oostham, Beverloo, Coursel, Zolder, Heusden,
demandent le maintien du droit d'entrée sur le bétail. »
- Dépôt sur le
bureau, pendant la discussion, des rapports concernant des pétitions relatives
au droit d'entrée sur le bétail.
_________________
« La chambre de commerce de Termonde demande
qu'il ne soit pas statué sur le projet d'un chemin de fer de Gand à Bruxelles
par Alost avant qu'on n'ait fait connaître le résultat de l'enquête contradictoire
qui sera faite sur cette question. »
« Même demande
des membres de l'administration communale d'Appels. »
M. de Terbecq demande le dépôt
de cette pétition sur le bureau, pendant la discussion du rapport sur cet objet,
fait par M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
« Les bouchers d'Anvers demandent des mesures
de protection contre le débit de la viande salée importée par navires venant de
l'étranger. »
M. Manilius demande le renvoi
de cette pétition à la commission d'industrie.
- Adopté.
___________________
M. Sigart. - M. d'Elhoungne,
qui se trouve alité, m'a chargé de faire connaître à la chambre son
indisposition qui le met dans l'impossibilité de prendre part à nos travaux.
- Pris pour information.
MOTION D’ORDRE
M. de Naeyer. - Messieurs,
dans une précédente séance, vous avez décidé que vous discuteriez le rapport
sur le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, immédiatement après les objets
à l'ordre du jour. Dans l'intérêt de nos travaux, il est à désirer que cette
discussion soit fructueuse et qu'elle serve à répandre des lumières sur une
question que le gouvernement considère comme grave ; et, dans ce but, je
prierai M. le ministre des travaux publics, que je regrette de ne pas voir ici,
mais qui aura connaissance de mes observations par la voie du Moniteur, je le
prierai de bien vouloir communiquer à la chambre les renseignements que je vais
indiquer.
La ville de Termonde
s'oppose énergiquement à la construction de tout chemin de fer, de tout
embranchement ayant pour objet de relier les Flandres à la capitale ; cependant,
subsidiairement, elle finit par proposer le tracé d'un chemin de fer direct
entre Bruxelles et Gand. Suivant ce tracé, la nouvelle ligne partirait de la
station du Nord, à Bruxelles, et se dirigerait vers le village de Mohlem entre
Assche et Merchtem ; d'où l'on ferait deux embranchements : l'un sur Termonde,
l'autre sur Alost. Ainsi, messieurs, on commence par repousser tout nouveau
chemin de fer dans la direction de Bruxelles à Gand, et on finit par en demander
deux.
M. Dedecker. - Je demande
la parole.
M. de Naeyer. - Quoi qu'il en soit, ce tracé
a dû être soumis à des études, et je voudrais que M. le ministre des travaux
publics nous communiquât le plus tôt possible le résultat de ces études,
En outre, messieurs,
l'honorable ministre des travaux publics nous a dit, dans une séance du mois de
mai, que le projet de M. Desart serait (page
1626) communiqué à la ville de Termonde avec invitation de faire ses
observations.
Je demanderai
que M. le ministre veuille bien nous communiquer également les observations de la
régence et de la chambre de commerce de Termonde sur le projet de M. l'ingénieur
Desart.
M. Dedecker. - La position
de la ville de Termonde, relativement à la question que vient de soulever
l'honorable représentant d'Alost, est bien simple et n'implique aucune espèce
de contradiction. La ville de Termonde commence par soutenir cette première
thèse : que le moment ne semble pas venu de bouleverser le système général de
nos chemins de fer pour gagner d'ici à Gand un quart d'heure en vitesse. Elle
croit que cela n'influera pas d'une manière sensible sur les recettes du chemin
de fer, et elle croit, en second lieu, que l'état de nos finances ne nous
permet pas de faire en ce moment un semblable travail.
Des membres. - Cette question
n'est pas à l'ordre du jour.
M. Dedecker. - Mais subsidiairement,
la ville de Termonde soutient une deuxième thèse. Elle dit : « Si vous ne
voulez que raccourcir le parcours entre Gand et Bruxelles, si vous ne voulez
que rapprocher de la capitale les populations des Flandres, eh bien, je vous
offre un moyen de conserver le chemin de fer actuel de Gand jusqu'à Termonde,
de couper l'angle entre Termonde, Malines et Bruxelles, et d'aller à Bruxelles
d'une manière beaucoup plus directe, plus économique que par Alost. » Il me
semble, messieurs, que ce moyen vaut bien la peine d'être examiné.
En troisième lieu,
messieurs, s'il y a moyen de concilier les prétentions d'Alost et de Termonde,
la ville de Termonde ne s'y oppose pas ; au contraire, elle indique un tracé
qui permettrait d'atteindre ce but. Ce tracé partirait de la station du Nord, à
Bruxelles, se dirigerait par le village de Laeken sur Assche et là se
bifurquerait sur Termonde et sur Alost.
Eh bien, messieurs,
nous demandons que ce projet soit étudié. Nous ne voulons pas trancher la
question. Tout ce que nous désirons, c’est une enquête ; c'est le seul but que
la ville et l'arrondissement de Termonde se proposent dans les démarches auxquelles
ils se livrent en ce moment.
L'honorable député d'Alost insinue que toutes ces idées
que j'expose ici ont été suffisamment étudiées ; je pense, moi, qu'elles n'ont
encore fait l'objet d'aucune étude officielle. Il existe, il est vrai, un avant-projet,
formé l'année dernière, par une compagnie anglaise, mais le gouvernement est
resté, jusqu'à ce jour, complétement étranger au système que nous proposons. Eh
bien, messieurs, nous appelons l'attention spéciale du gouvernement sur ce
système nouveau ; nous demandons surtout que le projet indiqué par la ville de
Termonde fasse l'objet d'études sérieuses comme on l'a fait pour le projet d'un
tracé direct par Alost. Nous avons tous à y gagner.
Du reste, puisque
l'honorable M. de Naeyer demande communication des observations que la conseil
communal de Termonde et la chambre de commerce de cette ville ont adressées au
gouvernement, en réponse au rapport de M. l'ingénieur Desart, je ne vois aucun
inconvénient à l'adoption de cette proposition. Je m'associe donc volontiers à
l'honorable M. de Naeyer, pour réclamer la communication des observations dont
il s'agit.
M. de Naeyer. - J'ai demandé
communication, non pas seulement des observations de la ville de Termonde, mais
encore des études qui ont été faites sur le tracé qu'elle a proposé.
M. Dedecker. - Il n'y a pas
eu d'études.
M. de Naeyer. - Si je suis
bien informé, des études sont faites sur les conditions d'exécution du tracé
proposé par Termonde, et j'en demande formellement la communication dans l'intérêt
de la discussion qui doit avoir lieu prochainement.
PROJET DE LOI SUR LES SUCRES
Discussion générale
M. de Renesse. - Messieurs,
la question des sucres, soulevée depuis plusieurs années en Belgique, n'a pu
jusqu'ici, malgré les différentes discussions devant les chambres, obtenir une
décision favorable à tous les intérêts qui s'y rattachent.
En 1843, cette
question fut débattue sous toutes ses faces ; l'on avait cherché à concilier
les deux industries des sucres, à établir entre elles une certaine pondération,
dans l'espoir qu'elles auraient pu prospérer et contribuer ensemble au
bien-être du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, tout en procurant
des ressources au trésor ; mais à peine la nouvelle législation sur les sucres
de 1843 était-elle en vigueur, que déjà les raffineurs des sucres de canne, et
le haut commerce, réclamèrent auprès du gouvernement et des chambres, pour
provoquer des modifications à cette loi, pour faire aggraver la position de la
fabrication du sucre de betterave, déjà fortement compromis par l'impôt assez
lourd dont elle venait d'être frappée, pour ainsi dire, à sa naissance ; tandis
qu’en France, elle avait joui de 25 années d'exemption du droit ; en 1837, il y
fut, pour la première fois, établi un droit de fabrication de 10 fr. ; en 1839,
ce droit fut porté à 15 fr., et doit graduellement s'élever jusqu'à la parité
des droits avec les sucres des colonies françaises, sucres dont les qualités
sont infiniment inférieures à ceux employés en Belgique, puisque les deux tiers
des sucres importés dans ce pays-ci proviennent de la Havane et le Porto-Rico.
En outre, eu France, les sucres indigènes sont protégés contre la concurrence
des sucres étrangers, autres que des colonies françaises, par une surtaxe de
droits assez considérable.
Pour maintenir
les raffineries de sucres exotiques dans un état florissant, pour provoquer
l'exportation de ces sucres à peine raffinés, il faudrait, d'après les
intéressés, revenir, en partie, au système désastreux des primes déguisées ; il
faudrait, en outre, que le trésor fît de nouveaux sacrifices, en se dépouillant
de ressources que le gouvernement et les chambres voulaient lui assurer, et
cela, uniquement dans le but de favoriser une industrie travaillant un produit
étranger, dont le développement a été principalement encouragé par la loi du 27
juillet 1822, dans un véritable intérêt colonial. S'il faut continuer un système
aussi vicieux, que celui créé en 1822, l'on devrait, à plus forte raison,
avantager toutes les autres industries du pays qui travaillent les produits de
notre sol ; il serait alors nécessaire de porter, chaque année, plusieurs
millions de francs en plus au budget de l'Etat, pour fournir des primes
d'exportation à ces produits de notre industrie, et dans ce cas, l'industrie
linière, actuellement en souffrance, aurait certes plus de titres à obtenir ces
primes, que le raffinage des sucres étrangers.
S'il est un produit
imposable, c'est bien le sucre, objet de consommation de luxe ; il pourrait supporter
une plus large part dans nos recettes, lorsque, surtout, le sel si nécessaire à
la classe pauvre, si utile à l'agriculture et à d'autres industries, est si fortement
imposé, que les cent kilog. de sel brut, d'une valeur de quatre à cinq francs,
payent, outre le droit de douane, un droit d'accise de dix-huit francs ; il serait
à désirer que l'accise du sel puisse être diminuée de moitié, et que cette
réduction de recette fut compensée par une augmentation de cette somme sur les
sucres des colonies, considérés comme produits étrangers.
Lorsque, en 1843,
la représentation nationale a donné son adhésion à la nouvelle législation des
sucres, elle voulait, avec le gouvernement, assurer la coexistence des deux
sucres, et en même temps un revenu convenable au trésor ; si le système qui a
prévalu alors est défectueux sous certains rapports, je veux bien qu'on le
change, que l'on cherche à l'améliorer, à concilier, s'il est possible, les
deux intérêts opposés ; mais je ne
pourrais jamais consentir à laisser derechef sacrifier les droits de la
fabrication de sucre indigène, qui a des titres incontestables à l'obtention
d'une protection réelle et différentielle, contre la concurrence des sucres
étrangers.
C'est particulièrement
sous le rapport de la liaison intime des sucreries de betterave avec les
intérêts de l'agriculture, que je compte appuyer les droits de cette
fabrication, tonte nationale, à être protégée contre un produit étranger.
Je laisserai à
d'autres de nos honorables collègues la mission de présenter d'autres considérations
en faveur du maintien de la fabrication du sucre indigène et de la protection
que cette industrie nationale a droit de réclamer.
Pour prouver l'intérêt
que l'agriculture retire de la culture de la betterave, je me permettrai de
citer à la chambre quelques extraits d'écrits, ou de discussions qui ont eu
lieu en France, lorsqu'il y a été question d'imposer le sucre de betterave.
En 1833, M. Salverte
s'exprimait ainsi à la chambre des députés de France : « Si le sucre de
betterave a des ennemis, il a un grand appui dans l'intérêt national. Il est un
principe, en économie politique, qui en vaut bien un autre ; c'est que l'homme
qui fait venir deux épis de blé là où il n'en venait qu'un seul, rend un grand
service au pays. Eh bien ! l'asséchement des terres, perfectionné par la
culture de la betterave, a rendu ce service-là ; et quand on vous demande d'anéantir
promptement la production qui favorise ce perfectionnement, on vous demande de
diminuer le capital national. »
En 1836, l'agronome
le plus distingué de la France, M. Mathieu de Dombasle, dont on peut invoquer
le savoir et la haute expérience en agronomie, disait : « L'industrie sucrière
de betterave fournira à la fois et une augmentation de ressources alimentaires,
et un accroissement dans la population qui doit la consommer ; elle accroîtra
dans une énorme proportion la masse du travail, et la demande des produits de
tout genre ; elle apportera de plus dans l'agriculture le plus puissant moyen
d'y introduire de bons assolements, et les prairies artificielles qui ne
manquent jamais de les accompagner. Il faut bien le remarquer, en effet,
l'excédant de la substance alimentaire qui sera le produit de cette industrie,
ne diminuera en rien la masse des céréales employées à la nourriture de
l'homme, ni celle des produits employés à la nourriture des animaux ; c'est au
contraire un produit nouveau, dont la culture s'introduira spécialement pour
cet usage, et qui est éminemment propre à remplacer la jachère, à s'intercaler
entre les récoltes des céréales et à favoriser l'adoption de bons assolements
et des prairies artificielles : en sorte que cette culture aidera encore à
faire obtenir à plus bas prix tous les autres produits agricoles, et à en
accroître la masse. »
M. le comte d'Argout,
dans son rapport du 6 juillet 1837 à la chambre des pairs, citait un écrit de
M. le comte Morel de Vindé, l’un des hommes les plus éclairés et les plus
respectables de la France, qui pensait « que l'admirable découverte du sucre de
betterave est dans l'économie politique une de ces révolutions heureuses et
rares, dont les contemporains peuvent quelquefois ne pas sentir le prix, mais
auxquelles la postérité finira par marquer la place parmi les plus grandes
ressources de la richesse nationale. »
M. le comte d'Argout,
en outre, déclarait dans son rapport « que les puissances qui ne sont pas
maritimes et qui n'ont point de colonies, ont intérêt à protéger exclusivement
le sucre indigène ».
Dans un autre
exposé, fait pareillement par M. le comte d'Argent, en 1840, à la chambre des pairs,
cet honorable membre s'exprimait ainsi : « Une industrie qui remonte à 40
ans, qui a pris une grande extension, qui favorise les assolements, la culture
des plantes sarclées, le nourrissage des bestiaux, et qui crée, dans les
campagnes, des centres industriels, (page
1627) servant à la fois à l'enseignement manufacturier et à celui des
perfectionnements agricoles, ne sera point proscrite. Une pareille mesure
n'appartient pas à ce siècle.
M. le général
Bugeaud, appréciant les services que rend l'industrie du sucre indigène, énonçait
à la chambre des députés, en 1840, l'opinion suivante : « Il y a longtemps que
les agronomes les plus distingués désiraient trouver une plante qui renfermât
en elle-même une abondante nourriture pour les bestiaux, un travail de
fabrication et une denrée commerciale pour amener à l'agriculture des capitaux
dont elle manque. Eh bien, on l’a trouvée dans la betterave ; non seulement
elle nourrit le bétail, mais encore elle contient en elle-même une denrée
commerciale au plus haut degré ; elle fournit le travail à la classe pauvre et
c'est le point capital.
« La culture de
la betterave occupe les bras faibles, les bras des vieillards, des femmes et des
enfants ; elle les occupe pendant l'été, et la fabrication et tout ce qui s'y
rattache les occupe pendant la morte saison. Il y a ici une chose éminemment
politique.
« Vous devez tendre
tous les jours à retenir dans les champs les hommes qui sont trop disposés à
venir s'agglomérer dans les villes, et qui y constituent un danger politique ;
car, dans les villes, quand vous ne pouvez plus leur procurer du travail, quand
il y a une crise commerciale, ils deviennent à charge à l'Etat et au pays. »
Si nous passons
ensuite à l'examen de la question des sucres en Belgique, nous remarquons que
la plupart des chambres de commerce, des commissions d'agriculture et les
conseils provinciaux du Hainaut et du Limbourg se sont prononcés pour le
maintien de la fabrication du sucre de betterave, et pour que le sucre indigène
obtienne une protection réelle et assurée, comme tous les autres produits du
pays, contre la concurrence d'une production étrangère.
Pour ne pas être
trop long dans mes citations, je résumerai l'opinion de la commission d'agriculture
de la province de Liège ; elle paraît avoir traité la question des sucres plus
particulièrement sous ses rapports avec les intérêts de l'agriculture.
« D'après cette
commission, la prospérité de l'industrie des sucreries de betterave est si
intimement liée à celle de l'agriculture, qu'elle est destinée à opérer sur cette
dernière une très grande somme d'améliorations et de perfectionnements.
« L'introduction
dans notre agriculture d'instruments économiques, des assolements alternes, de
toutes les améliorations si vivement réclamées, est une conséquence de la
culture de la betterave en grand, dans les exploitations attachées aux sucreries.
« Développer tous
les avantages qui sont le résultat de l'établissement d'une sucrerie dans une
localité, serait chose trop longue ; nous nous bornerons à énumérer les suivants
:
« 1° D'abord,
les forts capitaux qui s'engagent dans cette industrie, profitent au pays, sans
être soumis à ces chances hasardeuses d'entreprises ou de spéculations
périlleuses.
« 2° La valeur
plus grande que ne tardent pas à acquérir les propriétés territoriales qui
environnent les fabriques de sucre de betterave.
« 3° L'avantage
inappréciable que possède la population ouvrière attachée à ces établissements,
de trouver du travail dans la saison morte.
« 4° L'introduction
des assolements alternés, d'un meilleur mode de culture, d'instruments
aratoires perfectionnés, qui ajoutent à la prospérité de l'agriculture.
« 5° L'amélioration
du sol par le sarclage, par les défoncements et par la masse de fumier
nécessaire pour la culture de la betterave.
« 6° L'augmentation
dans la production du blé et autres grains par suite de cette culture.
« 7° La tenue
d'une grande quantité de bétail, augmentation qui, nécessairement, doit amener une
baisse dans le prix de la viande, aujourd'hui trop élevé.
« 8° La prospérité
des houillères et des établissements métallurgiques qui lui fournissent le charbon,
les machines à vapeur et le fer.
« 9" L'aisance
et le bien-être que procure cette fabrication aux populations qui l'environnent.
« En outre, l'établissement
de sucreries indigènes fera, nécessairement, rester dans le pays une grande
partie des millions que nous payons encore à l'étranger pour le sucre exotique
qui est livré à notre consommation.
« La Belgique,
dépourvue de colonies, n'a d'ailleurs point de planteurs à ménager ; ce n'est
que très difficilement qu'elle peut espérer de placer ses produits en échange
du sucre de l'Inde, qu'elle achète de l'étranger. Un peuple ne doit point
acheter d'un autre ce que son sol peut produire en abondance.
« Les partisans
du sucre exotique cherchent à soutenir que la culture de la betterave amènerait
une réduction considérable dans In production des céréales ; c'est une erreur
manifeste, tout le contraire existe ; la culture de la betterave augmente
considérablement les produits de nos récoltes en céréales. »
D'après toutes
les opinions que je viens de citer, il est prouvé à l'évidence qu'un pays qui
n'a pas de colonies à protéger, a le plus grand intérêt à soutenir une industrie
dont l'existence prospère est si intimement liée au bien-être de la classe
ouvrière de nos campagnes, aux progrès, à la prospérité de notre agriculture et
de plusieurs autres industries nationales. Sous ce rapport, le tableau
comparatif de l'influence des deux sucres, distribué par MM. les fabricants du
sucre indigène, me semble démontrer la très grande supériorité du sucre de
betterave, quant aux relations directes avec plusieurs industries les plus
importantes du pays.
Le sucre de canne
ne pourrait nullement invoquer cette importance majeure, cette influence sur le
bien-être de plusieurs grands intérêts industriels.
Les partisans
du haut commerce et des raffineries des sucres exotiques voudraient l'anéantissement
de la fabrication de sucre de betterave, ou du moins imposer à cette industrie
nationale des conditions tellement onéreuses, qu'elle devrait, dans un temps
assez rapproché, cesser d'exister ; les raffineries des sucres indiens
devraient, non seulement seules conserver le marché intérieur, mais il fauchait
encore que par de fortes primes déguisées leurs produits à peine raffinés
pussent s'exporter à l'étranger, en privant le trésor d’une partie de ses
ressources.
C'est principalement
dans le but commercial, par l'avantage que le commerce des sucres doit offrir
au pays, en procurant des débouchés à nos produits fabriqués, que MM. les
Anversois et les Gantois croient devoir demander le maintien, ou plutôt le
retour au système vicieux de la législation des sucres de 1822 ; déjà à
plusieurs reprises, par des rapports présentés à la chambre, il a été prouvé à
l'évidence que l'importance commerciale des sucres de canne était fortement
exagérée ; il résulte du rapport de la commission d'enquête parlementaire, fait
par l'honorable M. de Foere, « que l'industrie du sucre exotique a versé
constamment dans de graves erreurs ; elle a supposé, contre l'évidence des faits,
que, sous la législation qui nous régit, l'importation des sucres a donné lieu
à un écoulement considérable de nos produits dans les colonies.
« Il est évident
que les avantages que l'industrie des sucres exotiques rattache à l'importation
de ces sucres comme éléments d'échanges contre nos produits manufacturés, sont
exorbitamment exagérés, »
Dans un rapport
plus récent, l'honorable M. Mercier a établi, de la manière la plus claire et
la plus irrécusable, en constatant notre commerce non seulement avec les pays
d'où l'on nous importe les sucres exotiques, mais en outre notre commerce
d'exportation de ces sucres, que ce commerce des sucres n'a pas une grande
influence sur l'exportation de nos produits ; que chaque année une masse de
navires de commerce sortent de nos ports sur lest ou avec des cargaisons incomplètes
; que , par conséquent, les moyens d'exportation ne nous manquent nullement
;que c'est principalement vers le Nord que nous exportons les 4/5 des sucres
raffinés, à l'aide de fortes primes ; que cependant, jusqu'ici, ces exportations
n'ont pas eu pour effet d'y augmenter d'une manière assez sensible le commerce
d'échange des autres produits de notre industrie.
Ce remarquable
rapport de l'honorable M. Mercier est basé sur les chiffres de notre
statistique commerciale ; il prouve que le commerce de sucre, tel que MM. les
raffineurs et exportateurs de ces produits coloniaux voudraient le voir rétablir
, est très préjudiciable aux intérêts de nos finances, dont il enlève chaque
année, une forte partie de ressources, sans grande compensation pour l'exportation
de nos produits fabriqués ; que par conséquent l'Etat n'a pas un intérêt majeur
à maintenir un commerce aussi désastreux qui ne peut réellement exister qu'au
moyen de fortes primes d'exportations ; en effet, il y a impossibilité pour nos
raffineries de lutter contre la concurrence hollandaise, à moins que le trésor
ne fasse de nouveaux sacrifices qui devront toujours prendre plus d'extension,
comme l'a fort bien prouvé hier l'honorable M. Eloy de Burdinne, en citant les
pertes éprouvées par le trésor depuis 1832.
Au contraire,
si, l'on accordait une certaine faveur à la fabrication du sucre de betterave, cette
industrie nationale, intimement liée aux intérêts de l'agriculture, pourrait
prendre du développement, créerait, ainsi une ressource certaine et permanente
pour le trésor, procurerait du travail à la classe ouvrière des campagnes,
pendant une grande partie de l'année et surtout en hiver.
D'après les considérations
que j'ai fait valoir en faveur du maintien de la fabrication du sucre indigène,
et de la protection à laquelle elle a droit de prétendre, comme toute autre
industrie nationale, je crois devoir repousser et combattre toute proposition
qui porterait préjudice aux sucreries de betterave ; je ne pourrai donc
admettre le projet de loi proposé par M. le ministre des finances, ni les nouveaux
amendements au projet primitif, qui me paraissent être défavorables à la
fabrication dit sucre indigène ; en diminuant le rendement des sucres exotiques,
on laisse toujours une certaine quantité de sucre de canne sur le marché de
l'intérieur, indemne de tous droits, et on maintient ainsi, la prime de mévente
; le projet de loi et les amendements s'écartent entièrement du principe adopté
en 1843, où le gouvernement et les chambres voulaient la coexistence des deux
sucres, en accordant, toutefois, au sucre indigène une protection
différentielle qui eût été réelle si elle n'avait été éludée ; pour
obtenir une protection suffisante et réelle, il faut nécessairement que la fabrication
du sucre de betterave soit protégée par une différence d'accise de 20 francs,
rendue effective par un rendement suffisant qui se rapprocherait de la réalité,
ou, si l'on voulait admettre l'égalité d'accise pour les deux sucres, ; il
faudrait, dans ce cas, établir à l'entrée des sucres exotiques, un droit de
douane qui assurerait à l'industrie du sucre indigène, contre la concurrence
étrangère, la protection à laquelle elle a droit de prétendre, et que le
gouvernement et les chambres n'ont jamais refusé aux industries travaillant un
produit national ; l'on pourrait alors stipuler qu'une certaine partie des
droits serait accordée pour primes d'exportation des sucres réellement raffinés
; je suppose que l’on ne contestera plus que, sans ces primes, il soit possible
au raffinage des sucres exotiques de pouvoir travailler pour l'exportation ; il
faut donc que sous ce (page 1628)
rapport, le trésor se soumette à quelques sacrifices que je veux bien accorder
si tant est que l'on veuille aussi ne pas sacrifier les intérêts de la
fabrication du sucre de betterave ; si une protection réelle et assurée n'était
accordée à la fabrication du sucre de betterave, je me verrais forcé de
repousser toute proposition qui tendrait à empirer la position de cette
industrie nationale ; toutefois, s'il y a moyen de concilier les deux intérêts
des sucres, je ne demanderais pas mieux que de me rallier aux mesures à
proposer à cet égard ; mais, je ne pourrai consentir à laisser détruire la fabrication
de sucre indigène si intimement liée au bien-être de l'agriculture et de la
classe ouvrière de nos campagnes.
Je crois aussi
devoir repousser la disposition de l'article 6, proposée par le gouvernement :
elle me paraît exorbitante ; il ne doit pas dépendre de la volonté
ministérielle, d'une fiscalité poussée outre mesure, d'aggraver la position des
sucreries indigènes, tandis que les raffineries du sucre exotique ne seraient
soumises à aucune gêne ni contrôle ; si, pour assurer la perception intégrale
de l'impôt sur le sucre indigène, il faut d'autres mesures que celles prescrites
par la loi de 1843, le gouvernement doit les faire admettre dans les modifications
à apporter à la législation sur les sucres ; car la faculté que M. le ministre
des finances demande, de pouvoir à volonté modifier les dispositions de la loi
du 4 avril 1843, me semble indiquer l'intention d'aggraver la position de la
fabrication indigène dans un intérêt que l'on couvre du manteau de la fiscalité
; il faut vexer, outre mesure, une industrie nationale, il faut l'exercice
continu, il faut employer tous les moyens pour empêcher qu'elle puisse
librement se développer, pour qu'elle ne porte aucun préjudice à une industrie
rivale qui paraît être l'enfant chéri du gouvernement, probablement à cause de
son droit d'aînesse. Si cette industrie du sucre indigène prenait de
l'extension, il faudrait, d'après l'article 5 nouveau, aggraver encore sa
position en augmentant de 2 francs l'accise par chaque quantité de 100,000
kil., composant l'excédant, sur la quantité de 3,800,000 kil. qui, d'après M.
le ministre des finances, devrait être la limite de la production normale du
sucre de betterave. Le sucre indigène devrait payer, en outre, tout le droit
d'impôt, aucune partie ne doit en échapper ; la fiscalité doit pouvoir
s'exercer sur toutes les parties de la production nationale, tandis que l'on
ose à peine toucher au rendement du sucre indien que l'on propose actuellement
de diminuer à 69 23/00, au lieu du rendement de 72 58/100 , indiqué dans le
premier projet du gouvernement, et qui aurait pour le moins dû obtenir la
préférence, puisqu'il se rapproche plus du rendement réel et de celui adopté
depuis par la Hollande ; aussi, maintenant, une assez forte partie de ce sucre
doit continuer d'échapper à l'impôt, peut être déversée dans le pays pour la
consommation intérieure, et faire ainsi une concurrence sérieuse au sucre
indigène, qui doit supporter toute la charge de l'impôt et imposer de nouveaux
sacrifices au trésor. Il paraît que le gouvernement ne prend nullement en
considération l'influence heureuse qu'exerce cette industrie nationale sur
l'agriculture et surtout sur le bien-être de la classe ouvrière de nos
campagnes ; lorsqu'une industrie remplit ce double but et d'améliorer la culture
des terres et de donner de l'ouvrage notamment pendant la saison morte aux nombreux ouvriers de nos villages,
il me semble que le gouvernement devrait encourager une pareille industrie,
plutôt que de chercher à l'anéantir par des moyens de fiscalité poussés outre
mesure, tout en faveur d'une industrie rivale employant un produit étranger.
J'espère que la chambre, mieux éclairée qu'en 1843,
sur l'utilité, sur la nécessité de maintenir la fabrication du sucre de betterave,
ne consentira pas que cette industrie toute nationale, liée si intimement au
bien-être de la classe ouvrière de nos campagnes , soit de nouveau sacrifiée
aux exigences d'une industrie rivale. Si l'on compare l'influence et les
relations des deux industries rivales, pour la fabrication du sucre, sur les
diverses industries qui s'y rattachent, on doit se convaincre que, sous ce
rapport, les sucreries indigènes ont une importance plus réelle sur plusieurs
de nos industries les plus importantes, et qu'en sacrifiant la fabrication du
sucre de betterave, l'on porterait une grave atteinte à plusieurs grands
intérêts du pays.
M. Desmaisières. - Messieurs,
la question des sucres a toujours été pour moi une question d'intérêt général ;
jamais je n'ai consenti à la réduire aux mesquines proportions d'une question
de localité, ni au point de vue de Gand , ni à celui d'Anvers, ni à celui de
Bruxelles, ni à celui de Tirlemont, ni à celui enfin de diverses localités où
on produit le sucre de betterave.
Lorsqu'en 1836
la chambre m'a fait l'honneur de me nommer par élection membre de la commission
chargée de lui présenter un rapport sur la question des sucres, je n'ai pas
tardé à recevoir la visite aussi bien des intéressés gantois et anversois à la
cause du sucre exotique que des intéressés d'autres localités à celle du sucre
de betterave.
J'ai dit aux uns
comme aux autres, ils peuvent tous l'attester, que c'était là une question toute
neuve pour moi ; que je l’étudierais consciencieusement ; et que si, après
l'avoir étudiée consciencieusement, j'acquérais la conviction que leur cause
était celle de l'intérêt général du pays, ils n'auraient pas de défenseur plus
chaleureux de leurs intérêts que moi ; mais que si, au contraire , je venais à
être convaincu que leurs intérêts étaient opposés à l'intérêt général du pays ,
alors ils me compteraient au nombre de leurs plus ardents adversaires.
C'est donc, messieurs,
l'effet d'une profonde conviction , chez moi, lorsque je viens soutenir ici que
la cause du sucre exotique, c'est la cause de l'intérêt général, et je
m'estimerais heureux, en vue de la grande somme de bien-être qui résulterait
pour le pays des dispositions législatives que vous êtes pour une troisième
fois en peu d'années appelés à décréter, si je pouvais à l'aide de mes efforts
parvenir à vous faire partager ma conviction.
Si la question
des sucres n'a jamais été envisagée par moi comme un intérêt de localité pour
Gand, elle doit l'être bien moins aujourd'hui ; car par l'effet des
perturbations successives qui ont atteint les raffineurs de sucre exotique depuis
quelques années, depuis que l'apparition en Belgique du sucre de betterave nous
a portés deux fois à changer notre législation, la plupart des établissements
de Gand ne travaillent que peu ou point, et deux des plus considérables sont
tombés d'une manière désastreuse, non seulement pour les fabricants , mais pour
les capitalistes, le commerce et l'industrie en général de Gand.
C'est ce qui doit
vous expliquer, messieurs, pourquoi il semble y avoir désaccord entre les raffineurs
de Gand et ceux d'Anvers. Les uns et les autres sont d'accord au fond sur ce
que le système du projet de loi leur est favorable ; mais comme ce sont
toujours les intérêts du trésor qui ont été pris pour prétexte des changements
apportés successivement à la législation, et comme des changements dirigés dans
ce sens n'amènent jamais que des pertes, les raffineurs de Garni pensent qu'à
l'aide d'une retenue au profit du trésor sur le droit d'accise, le trésor
serait mieux assuré de sa perception de 3,000,000 de fr. et les raffineurs
d'Anvers pensent avec M. le ministre des finances qu'il ne faut pas établir de
retenue pour que le trésor, sans nuire aux exportations, puisse être assuré
d'une perception de 3,000,000 de fr. En d'autres termes les raffineurs de Gand
craignent que sans retenue la loi nouvelle n'aura pas de durée, et les raffineurs
d'Anvers pensent le contraire. Mais tous sont d'accord que, moyennant certaines
modifications, le projet de loi sera favorable à tous les intérêts.
Personne ne saurait
plus le contester aujourd'hui, le sucre brut exotique forme une matière d'encombrement
extrêmement favorable pour les retours en Belgique de notre navigation
lointaine vers des pays que, par l'établissement de relations commerciales
fondées sur les bases d'une réciprocité juste et raisonnée et à l'aide d'un
moindre fret à payer par notre commerce d'exportation en raison des avantages
que ces retours procurent aux armateurs, nous pouvons de cette manière parvenir
à rendre tributaires de notre industrie et de notre agriculture.
D'un autre côté
les sucres raffinés forment une autre matière d'encombrement favorable aux exportations
de notre industrie et de notre agriculture vers d'autres pays lointains.
C'est ce qu'ont
parfaitement compris le gouvernement et les états généraux de 1819,1822, 1829
et 1830.
Le sucre, se sont-ils
dit, est une denrée qui n'est en grande partie consommée que par la classe
aisée. C'est donc une matière extrêmement imposable à la consommation. Aussi,
nous frapperions le sucre brut et le sucre raffiné de droit d'entrée très
élevés, mais gradués toutefois de manière à ce que le travail des raffineries
nationales soit protégé autant que le comporte l'intérêt général du pays, si
nous n'avions pas à prendre en considération les intérêts de notre commerce
extérieur et maritime, et par conséquent les intérêts de l'industrie et de
l'agriculture nationales. Ces grands intérêts nous commandent de ne point frapper
d'un trop grand droit d'entrée le sucre brut qui constitue une matière d'encombrement,
dont une grande somme d'importations, provoquée par un bon système de
législation, en même temps que celle-ci favoriserait aussi l'exportation de
sucres raffinés (autre matière d'encombrement pour la navigation maritime) doit
exercer une influence très favorable sur le développement de notre commerce
extérieur, au bénéfice de l'agriculture et de l'industrie, c'est-à-dire au
bénéfice du travail national.
Considérée sous
ces deux points de vue, celui du revenu public et celui de la prospérité de
notre commerce extérieur, la question des sucres devenait très difficile, et cependant,
il faut le dire à l'honneur des législateurs hollando-belges de 1819 et 1822,
ce problème a été résolu de la manière la plus heureuse par le système de
législation qui a été adopté alors. Le sucre a été imposé de deux manières :
1° Par des droits
de douane. Un droit d'entrée modéré sur le sucre brut, de légers droits de
sortie et de transit sur le sucre brut et sur les sucres raffinés, et des droits
d'entrée prohibitifs sur les sucres raffinés étrangers ont été décrétés.
2° Par un droit
très élevé d'accise ou de consommation.
Les droits de
douane ont été décrétés comme entièrement et définitivement acquis au trésor ; mais,
en ce qui concerne le droit d'accise, il a été accordé qu'on pourrait l'acquitter
de deux manières, savoir :
1° Par payement
des termes échus de crédit.
2° Par décharge
pour exportation.
Le principal du
droit d'accise a été fixé : ,
Par la loi du
12 mai 1819 à fr. 21,10 40/100
Par la loi du
27 juillet 1822 à fr. 19,04 70/100
Par la loi du
24 décembre 1829 à fr. 26,66 66/100
Par la loi du
3 juin 1830 à fr. 28,57 14/100.
Bien que décrété
en principe en 1819, ce n'est réellement qu'à partir de la loi de 1822 que le
système de décharge à l'exportation a été complété, organisé et exécuté.
La décharge accordée
par les lois de 1822 et de 1829 pour l'exportation des sucres bruts a été fixée
à un chiffre égal au montant du droit d'accise.
Le négociant et
le raffineur qui avait importé 100 kilog. de sucre brut se trouvait débité à son
compte envers l'administration des finances de fr. 19 04 70/100 selon la loi de
1822 et de fr. 26 60 66/100 selon la loi de 1829.
Lorsqu'ensuite
il exportait 100 kilog. de sucre brut, il était déchargé (page 1629) à son compte envers l'administration des finances respectivement
de ces mêmes sommes de fr. 19 04 76/100 (loi de 1822) et fr. 26 66 66/100 (loi
de 1829).
La décharge accordée
pour exportation, au raffineur ou au négociant en faveur duquel le premier
avait opéré la transcription de sa dette inscrite à son compte envers l'administration
des finances, avait été portée par 100 kilogrammes aux sommes suivantes :
A. Pour les sucres
candis et tous autres sucres raffinés, exportés en pains ou en morceaux : à fr.
31 74 60/100 (loi de 1822) et à fr. 48 00 (loi de 1829).
B. Pour tous les
sucres raffinés non exportés en pains ou en morceaux ainsi que pour tous sucres
mélangés : à fr. 19 04 76/100 (loi de 1822) et à 66 26 66/100 (loi de 1829)
Ainsi pour les
sucres raffinés (catégorie B), la décharge était, comme pour le sucre brut, purement
et simplement égale au droit pris en charge.
Pour les sucres
raffinés (catégorie A) au contraire, à l'exportation desquels on voulait principalement
pousser les raffineurs, ceux-ci jouissaient d'un certain avantage.
Le droit de la
loi de 1822 dont ils avaient été pris en charge par 100 kilog. de sucre brut importé
par eux, n'était que de fr. 19 04 76/100 et l'exportation de 100 kilog. sucres
raffinés (catégorie A), déchargeant le raffineur de fr. 31 74 60/100 de sa
dette envers le trésor, il lui suffisait d'exporter 60 kilog. de sucres raffinés
(catégorie A) pour voir décharger sa dette envers le trésor de fr. 19 04
76/100, c'est-à-dire du droit pris en charge pour 100 kilog. de sucre brut importé.
Avec le droit
d'accise et la décharge fixés par la loi de 1829, la quantité de sucres
raffinés (catégorie A) qu'il fallait exporter pour être déchargé du droit pris
en charge sur 100 kilog. de sucre brut importé était seulement de 55 kilog.
55/100.
La loi du 3 juin
1830, qui ne fut pas exécutée en Belgique, par suite des événements politiques,
alla plus loin encore : elle fixa seulement à 53 k. 68/100 la quantité de
sucres raffinés (catégorie A) qu'il fallait exporter pour être déchargé du
droit entier d'accise pris en charge sur 100 kil. de sucre brut importé.
Ici, messieurs,
je crois devoir appeler votre attention sur une expression qui a été malheureusement
tellement consacrée par l'usage, qu'on en a fait emploi dans la loi du 4 avril
1843, et qui cependant se trouve être, dans mon opinion, la causa principale
des graves erreurs dans lesquelles ont constamment versé de bonne foi, il faut
le croire, les adversaires du raffinage de sucre exotique avec décharge du
droit d'accise à l'exportation.
La quantité de
sucre raffiné (catégorie A) qu'il fallait exporter pour jouir de la décharge du
droit d'accise inscrit au débit du raffineur vis-à-vis du trésor par 100 kil.
de sucre brut importé, a reçu le non de rendement.
Ainsi, ce qu'on
appelle, improprement selon moi, rendement avec le droit d'accise et la décharge
de 1822, c'était 60 kil., et avec le droit et la décharge de 1829 c'était 55
kil. 55/100.
De cette dénomination
impropre il est résulté que bien des personnes ont cru et croient même encore
que les législateurs de 1822, 1829 et 1830 ont voulu dire, que 100 kil. de
sucre brut ne pouvaient donner que 60 kil. de sucres raffines (catégorie A) en
1822, 55 kil. 55/100 en 1829 et 53 kil. 68/100 en 1830.
Les législateurs
de 1822, 1829 et 1830 savaient bien, je vous l'ai quant à moi, messieurs,
toujours dit, que certains sucres bruts présentaient, à l'opération du
raffinage, un rendement par 100 kil. en sucres raffinés (catégorie A) plus considérable
une les quantités respectives de 60 kil., 55 kil. 55/100 et 53 kil. 68/100 à
explorer, d'après les lois de 1822, 1829 et 1830, par le raffineur, pour
obtenir la décharge du droit d'accise sur 100 kil. de sucre brut importé.
Mais là était
toute la combinaison du système de législation, à l'aide duquel, il ne faut point
l'oublier, tout en faisant une juste part pour les recettes directes du trésor,
on voulait pousser l'industrie du raffinage en augmentant ses importations de
sucres bruts (matières d'encombrement pour la navigation maritime) à être
l’instrument de la prospérité de notre commerce extérieur au bénéfice de
l'industrie et de l'agriculture du pays en général.
On savait en 1822,
1829 et 1830 qu'en fixant respectivement à 60 kil. à 55 k. 55/100 et à 53 k.
68/100 la quantité de sucres raffinés (catégorie A) que les raffineurs devaient
exporter, pour se voir décharger du droit dû par eux sur 100 k. de sucre brut
importé, on restait au-dessous du rendement réel, en sucres raffinés (catégorie
A) que l'on pouvait obtenir, terme moyen, des sucres bruts soumis au raffinage.
Mais on voulait présenter sous ce rapport aux raffineurs, un avantage, une
sorte de prime qui leur servît d'appât pour les pousser à diriger et combiner
leur travail et leurs opérations de manière à ce qu'ils arrivassent à augmenter
leurs importations de sucres bruts et leurs exportations de sucres raffinés.
La meilleure preuve
qu'il en a été ainsi, c'est que le gouvernement et les états généraux, après
avoir d'abord fixé en 1822 la quantité de sucre raffiné à exporter pour jouir
du bénéfice de la décharge à 60 kil. l'ont fixée successivement ensuite à 55 k.
53/100 en 1829 et à 53 68/100 après 7 à 8 années d'expérience.
Ils ont voulu,
en augmentant les avantages accordés aux raffineurs-exportateurs, pousser à une
plus grande exportation de sucres raffinés en même temps qu’à une plus forte
importation de sucres bruts ; ils ont voulu provoquer de la part des raffineurs
un plus grand développement de leur industrie ; l'emploi de plus grands
capitaux pour donner des proportions plus grandes à leurs établissements et
même la formation à grands frais de nouveaux établissements ; ils ont voulu enfin,
par-là, imprimer à notre navigation maritime et à notre commerce extérieur un
mouvement beaucoup plus considérable.
Ainsi, messieurs,
c'est la loi elle-même qui a provoqué la formation et le développement de nos
grandes raffineries de sucre exotique, c'est elle qui a engagé nos raffineurs à
y consacrer leurs capitaux et à risquer par conséquent de voir leur fortune
compromise du moment où la législation viendrait à se modifier dans un sens
contraire, comme cela a déjà eu lieu deux fois malheureusement en Belgique.
En a-t-il été
de même de nos établissements producteurs de sucre de betterave ? Ici c'est l'opposé
qui a eu lieu. Le sucre de betterave s'est établi en Belgique en fraude de la
loi.
En effet, la loi
de 1829 frappait le sucre à la consommation d'un droit d'accise de 26 fr. 00 et
66/100 dont on ne pouvait s'acquitter que de deux manières, soit par payement
en numéraire, soit par exportation d'une certaine quantité de sucres raffinés
extraits des sucres bruts pris en charge par l'administration des accises. Le
sucre de betterave s'est-il soumis à ces conditions ? Non, messieurs, il a
commencé à se produire en Belgique en 1833 et n'a acquitté d'aucune des deux
manières indiquées par la loi le droit d'accise ou de consommation depuis cette
époque jusqu'en 1844, si ce n'est toutefois la somme énorme de 200 fr. 40 c.,
qu'il a payée en 1843.
.Si par conséquent
le principe de l'indemnité pouvait être admis à raison des pertes que les
modifications à la législation peuvent faire éprouver soit aux raffineurs de
sucre exotique, soit aux producteurs de sucre de betterave, les premiers seuls
auraient droit à être indemnisés.
Je viens de parler,
messieurs, des avantages ou des primes, puisqu'on veut absolument leur donner
le nom de primes, que depuis 1822, la législation accorde aux exportateurs de
sucres raffinés.
Ce serait à tort
qu'on confondrait ces avantages ou ces primes avec les primes d'exportation
ordinaires.
Celles-ci ont
l'inconvénient de constituer le trésor réellement en débours, en dépense réelle
et peuvent par conséquent devenir ruineuses pour lui, soit à l'aide de la pratique
de certaines fraudes, soit même lorsqu'elles ne tournent qu'au profit du
commerce loyal.
Les premières,
au contraire, ne peuvent jamais constituer le trésor en dépense. Aucune partie
quelconque des revenus perçus par le trésor ne peut être employée au payement
de ces primes, le trésor les payant en quelque sorte en ne recevant pas ou en
ne recevant qu'une partie du droit d'accise pris en charge à l'importation du
sucre brut lui-même.
Bien que dans
le système de la législation de 1819-1822, la partie des droits d'accise inscrits
lors de l'importation au débet des raffineurs envers le trésor et que celui-ci
ne percevait pas, tournait presque entièrement, selon le vœu des auteurs de
cette législation, au profit de la navigation maritime et du commerce extérieur
dans l'intérêt des trois grandes branches de la fortune publique ; bien que par
conséquent il y avait là pour le trésor une large compensation, le trésor en
trouvait encore en ce qui concernait ses revenus directs :
1° Dans l'augmentation
des importations de sucres bruts et des exportations de sucres raffinés, et par
conséquent dans la multiplication des droits de douane dont le produit lui
était entièrement et définitivement acquis.
2° Dans les plus
grandes quantités de sucre mis en raffinage qui avaient pour effet de multiplier
les parties du droit d'accise que le trésor percevait réellement.
3" Enfin
dans l'augmentation que produisait par réaction dans toutes les autres recettes
de l'Etat une plus grande prospérité de l'industrie, de l'agriculture et du commerce.
Maintenant, il
ne faut pas perdre de vue, messieurs, que si l'on avait abandonné en Belgique
ce système de législation, pratiqué d'une manière très large en Hollande depuis
1830 jusqu'à ce jour, on n'eût pas pu fixer le droit d'accise à un taux aussi
élevé sans donner lieu à une grande introduction frauduleuse des sucres
raffinés à l'étranger, et surtout de ceux produits par les raffineries hollandaises.
Il ne faut point
perdre de vue aussi que les droits prohibitifs à l'entrée des sucres raffinés à
l'étranger, qui constituent à eux seuls un grand appât pour la fraude, n'ont
d'effet réel aujourd'hui, maigre nos faibles moyens de répression de la fraude,
que par suite de ce que nous pratiquons comme la Hollande, mais d’une manière
moins large à la vérité, le système de législation d’accise avec décharge à
l'exportation.
Je n'hésite pas
à déclarer que, dans mon opinion, si nous allions avoir le malheur d'abandonner
ce système d'accise sur le sucre avec décharge à l'exportation, nous verrions
bientôt notre consommation intérieure presque entièrement fournie, non pas par
le sucre belge de betterave, non pas par le sucre exotique raffiné en Belgique,
mais par les sucres raffinés à l'étranger, et principalement par ceux de
Hollande.
Mais, dira-t-on,
cette prime était immense, attendu que le rendement réel des sucres bruts,
travaillés par nos raffineurs, allait bien au-delà de 55 kil. et 1/2 en 1829,
et de 60 kil. en 1822 pour la catégorie A.
Messieurs, j’ai
annexé à mon rapport, à la suite duquel a été votée la loi de 1838, deux tableaux,
fournis à la commission de la chambre par le département des finances, d'où il
résultait que le rendement moyen réel des sucres bruts travaillés en Belgique,
n'allait guère au-delà de 55 kil. et 1/2 en 1822 et en 1829.
Aussi, ainsi que
j'ai déjà eu l'honneur de le faire remarquer, la loi de 1829 a-t-elle diminué
le rendement fixé par celle de 1822, et la loi de 1830 a-t-elle encore diminué
le rendement de 1829. Aussi nos raffineurs n'ont-ils pu jouir des bénéfices de
la législation qu'au bout d'un certain nombre d'années d'expérience et de
perfectionnements.
Oui, encore une
fois, et sans aucun doute, dès que la quantité de sucres raffinés à exporter
pour obtenir la décharge des droits d'accise pris en charge sur 100 kil. de
sucres bruts importés est fixée par la loi à un taux inférieur à celui du
rendement réel, il y a là un certain avantage pour les raffineurs. Mais, que l'on
veuille bien remarquer que cet avantage n'est pas aussi grand qu'on semble le
croire, et cela bien qu'il soit le prix d'un service rendu au pays.
Cet avantage ou
cette prime ne tourne pas entièrement au profit du raffineur. Celui-ci, pour en
jouir, ne doit-il pas exporter des sucres raffinés et trouver le placement sur
le marché intérieur du surplus en mêmes raffinés, ainsi que des sucres inférieurs
et sirops qui lui restent après le raffinage ? Croit-on qu'en 1822 et en 1829
le rendement réel était aussi élevé qu'aujourd'hui ? Pour les sucres raffinés
et les sucres inférieurs (catégorie A), et pour les sucres bruts, la quantité à
exporter pour obtenir la décharge du droit d'accise, n'était-elle pas fixée à
100 p. c, sans égard ni au déchet, ni aux frais du raffinage, ni à ceux du
transport, de commission, etc., etc. ? Le raffineur ne devait-il pas, dès lors,
se livrer, dans ses opérations de raffinage, à des combinaisons de prix et de
qualités nécessitées par les goûts des consommateurs et par les prix auxquels
il pouvait vendre ses produits, et sur le marché intérieur et sur les marchés
étrangers ? Ne se trouve-t-il pas, dès ce moment, soumis à toutes les chances
de risques et périls maritimes, de pertes et de frais de transports et de
fabrication de toutes espèces auxquelles sont toujours soumises plus ou moins
toutes les branches de commerce et toutes les industries ?
Ne devait-il pas
dès lors, à raison des prix de revient et de vente, abandonner une grande partie
de sa prime pour réussir à vendre ses produits ?
N'est-il pas vrai,
enfin, que les sucres et surtout les bas produits n'ont jamais été achetés par
le consommateur belge à des prix aussi modérés que depuis la mise en vigueur de
la législation de 1819-1822 ?
Il est donc évident,
messieurs, que les lois antérieures à celle de 1838, beaucoup plus favorables
que celle-ci aux intérêts des raffineurs, n'ont pas cependant accordé trop
d'avantages à ceux-ci en compensation des services qu'elles ont voulu obtenir
de la part des raffineurs en faveur de notre commerce et de notre navigation
maritimes.
Il faut en conclure
que la loi de 1843 a eu le tort d'aller beaucoup trop loin dans les restrictions
apportées aux avantages dont jouissaient auparavant nos raffineries de sucres
exotique, et aussi que si l'on n'abaissait pas le rendement proposé par le
projet de loi qui nous occupe, la nouvelle loi irait également beaucoup trop
loin, à moins que l'on ne veuille enlever à la navigation maritime, et au
commerce extérieur, la principale des matières d'encombrement peu nombreuses
qui leur restent encore aujourd'hui et sans lesquelles nous ne pouvons ni
établir ni maintenir des relations profitables au travail national avec les
pays lointains.
Ce qu'il y a vraiment
d'admirable, messieurs, dans le système d'accise sur le sucre avec décharge à
l'exportation, c'est qu'aucun des intérêts qui méritent plus ou moins de
considération ne se trouve réellement lésé.
En effet, le trésor
trouve une compensation à la partie du droit d'accise qu'il ne perçoit pas :
1° Dans la
multiplication de ses recettes en ce qui concerne la partie de ce droit qu'il
perçoit.
2° Dans la multiplication
des droits de douane qui lui sont payés à l'importation, à l'exportation et au
transit.
3° Dans l'augmentation
que produit nécessairement sur tous ses autres revenus le développement de la
navigation maritime et du commerce extérieur au bénéfice de l'industrie et de
l'agriculture nationales.
Les pays producteurs
des sucres bruts, ayant la possibilité de nous vendre une plus grande quantité
de leurs produits, nous les vendent à des prix plus modérés et en rapport avec
leurs moindres prix de revient ; une plus grande quantité de sucres inférieurs
étant déversée sur le marché belge, il y a un plus grand nombre de
consommateurs qui peuvent s'en procurer et ce plus grand nombre de consommateurs
appartient à la classe peu aisée de la nation ; enfin, diverses industries qui
emploient le sucre sous diverses formes et combinaisons trouvent abondamment,
dans des qualités et à des prix convenables, cette denrée, matière première
indispensable pour eux, sur le marché belge qui, par l'effet du système de
législation lui-même, devient en fait de sucres de toutes espèces un des grands
marchés de l'Europe.
On s'étonnera
peut-être de ce qu'avouant qu'il y a une prime prélevée par le raffineur, non pas
par le trésor, mais par le consommateur, je prétends ensuite que l'intérêt du
raffineur est cependant d'accord avec intérêt des consommateurs belges en général.
Cela s'explique cependant facilement et parfaitement.
D'abord son propre
intérêt le lui commande, toutes les fois que le raffineur trouve à vendre ses sucres
raffinés sur les marchés étrangers à des prix plus élevés qu'en Belgique, il en
profite pour prélever sa prime sur le consommateur étranger.
Ensuite, messieurs,
un des grands effets du système de législation avec décharge à l'exportation,
c'est de verser sur le marché intérieur une plus grande quantité de sucres et
surtout de sucres inférieurs ; c'est d'augmenter par conséquent de beaucoup le
nombre des consommateurs, et de prendre cette augmentation dans la classe peu
aisée.
On comprendra
donc que du côté de la classe aisée, celle qui consomme les sucres raffinés, la
prime se répartissant entre eux et les consommateurs moins aisés, cette prime devient
beaucoup moins onéreuse.
On comprendra
encore que pour la classe moins aisée ou pauvre, la prime ne peut être onéreuse,
attendu que si le système de législation avec décharge n'existait pas, il
serait impossible aux raffineurs de verser sur le marché belge en aussi grande
quantité les sucres inférieurs consommés par cette classe peu aisée ou pauvre.
J'ai dit, messieurs,
que le système de législation avec décharge à l'exportation a pour effet
d'augmenter la consommation intérieure, en versant sur le marché national une
plus grande quantité de sucres inférieurs, et je vais le prouver par des
chiffres officiels.
En 1844, on a
mis en raffinage en Hollande 60,000,000 de kil.de sucres bruts ; déduisant de ce
chiffre 5 p. c. de déchet, soit 3,000,000 de kil., j'obtiens pour le chiffre des
sucres raffinés et inférieurs produits, une quantité de 57,000,000 kil.
Sur ce chiffre
on a exporté. 55,000,000 kil.
La consommation
a donc été de 22,000,00 kil.
En 1845 on a mis
en raffinage 68,000,000 kil.
A déduire 5 p.
c. pour déchet, 3,400,000 kil.
La production
a donc été de 64,600,000 kil.
On a exporté 42,500,000
kil.
Consommation ;
22,100,000 kil.
Ainsi, en Hollande,
avec une population beaucoup moindre que la nôtre, on est arrivé aujourd'hui à
une consommation beaucoup plus élevée que la nôtre, et cela parce qu'en
Hollande on a, contrairement à ce que nous avons fait, maintenu dans son entier,
en quelque sorte, le système de législation de 1822.
Ce qui démontre
que si les législateurs de 1819-1822 s'étaient principalement préoccupés de la
prospérité matérielle du pays et par conséquent des intérêts indirects du
trésor, ils n'avaient cependant pas entièrement négligé les recettes directes
du fisc, ce sont les perceptions faites de 1830 à 1835. L'administration des
finances a perçu du chef des droits d'accise sur le sucre :
En 1830, 1,967,187
fr. 66 c.
En 1831, 1,084,830
fr. 05 c.
En 1832, 2,023,378
fr. 15 c.
En 1833, 2,079,484
fr. 55 c.
En 1834, 1,669,729
fr. 80 c.
En 1835, 1,714,622
fr. 80 c.
Total, 10,539,233
fr. 01 c., donc en moyenne par année, 1,756,538 fr. 83 c.
L'administration
des finances ne possède des renseignements sur la perception des droits de douane
que pour 1835, qui a rapporté au trésor de ce chef une somme de 246,662 fr. 95
c., en sorte que le trésor a perçu terme moyen par année de 1830 à 1835, 2,003,201
fr. 78 c
Mais en 1834 et
1835 les fabricants français de sucre de betterave, fatigués de la lutte qu'ils
avaient à soutenir contre les réclamations des producteurs de sucre des colonies
françaises ; menacés qu'ils étaient de se voir déposséder de la protection
excessive dont ils jouissaient vis-à-vis du sucre colonial, jetèrent leurs
regards vers la Belgique, où ils crurent que leur industrie pourrait être pratiquée
avec plus de protection législative à raison de ce que la Belgique n'avait
point de colonies. Ils commirent l'erreur de ne pas étudier notre système de
législation sur les sucres que nos propres raffineurs ont été plusieurs années
eux-mêmes à comprendre ; il en résulte qu'ils ne virent pas que, si nous
n'avions pas de colonies à soutenir, nous avions des relations à créer et à
développer avec les colonies devenues indépendantes ou appartenant à des nations
non industrielles dont l'importation des sucres bruts de canne en Belgique,
formait la principale et même, pour ainsi dire, la seule matière d'encombrement
mise à la disposition, pour son maintien et son extension, de notre commerce
avec les pays transatlantiques ; il en résulte qu'ils ne virent pas que les
sucres raffinés faisaient aussi la principale matière d'encombrement de notre
commerce d'exportation vers d'autres pays lointains ; il en résulte enfin
qu'ils ne virent pas que notre législation en vigueur depuis 1822 avait, en
provoquant la formation et le développement considérable à grands frais de
nombreux établissements belges de raffinage en faveur de la prospérité
commerciale, industrielle et agricole du pays, donné des droits acquis à ces
divers et grands intérêts en faveur du maintien de cette législation.
Quoi qu'il en
soit, toujours est-il qu'ils ne tardèrent pas à nous importer leur industrie, non
pas, comme on l’a souvent dit à tort, à l'état d'industrie naissante, mais à
l'état d'industrie très perfectionnée.
Le principe de
la législation belge de 1819-1822 était de faire acquitter le droit d'accise ou
de consommation à tous les sucres raffinés en Belgique, soit par payement réel en
numéraire, soit par décharge à l'exportation. Il y avait donc lieu, comme on la
fait en Angleterre et en Hollande, de dire aux producteurs du nouveau sucre qui
faisait son apparition en Belgique : Vous serez soumis, sous le rapport des
droits d'accise ou de (page 1631)
consommation, aux mêmes conditions que les raffineurs de sucre de canne. Le
sucre brut que vous produirez sera pris en charge par l'administration des
finances et vous serez admis à acquitter le droit d'accise soit par payement
réel, soit par décharge à l'exportation d'une certaine quantité de sucres
raffinés.
Mais cela ne fut
pas dit, et à l'aide d'une immunité complète, la fabrication du sucre de betterave
put s'introduire en Belgique tandis qu'en Angleterre et dans les Pays-Bas elle
ne put réussir à s'implanter.
Je ne veux pas
prétendre qu'il n'ait pas existé d'autres causes encore qui ont influé sur la
diminution des recettes du trésor ; mais toujours est-il que l'on vit alors tout
à coup les revenus de l'Etat diminuer considérablement en ce qui concerne le
droit d'accise sur les sucres.
En 1835, la perception
des droits d'accise avait produit 1,714,622 fr. 80 c. j elle ne rapporta en
1836 que 205,570 fr. 11 c.
Bien que ces chiffres
démontrassent à l'évidence que les quelques millions de sucre de betterave
livrés déjà alors francs de tous droits à la consommation par les fabriques que
des Français étaient venus former en Belgique, étaient au moins la principale
cause de la diminution des recettes du trésor, ce furent les défenseurs du sucre
de betterave qui crièrent et s'élevèrent le plus contre cette diminution et ce
fut aux raffineurs de sucre de canne que la nouvelle loi du 8 février 1838
demanda de combler le déficit. Le sucre de betterave fut regardé à tort comme
le produit d'une branche de l'industrie agricole encore à l'état d'industrie
naissante, et il resta affranchi de tous droits.
Le droit d'accise
sur le sucre brut exotique resta fixé en principal à 12 florins 60 cents, soit
à 20 fr. 71 c. 20/100 à raison de fr. 2 12 par florin.
Les décharges
à l'exportation furent fixées comme suit :
A. A fr. 46 85
les 100 kilos de sucres raffinés en pains dits mélis blancs, parfaitement épurés
et durs dont toutes les parties sont adhérentes et non friables, et de sucres
candis, à larges cristaux clairs et reconnus secs.
Pour être déchargé
des droits d'accise sur 100 kilos de sucre brut importé par lui, le raffineur
devait donc exporter 57 kilos de sucres raffinés (catégorie A).
B. A fr. 44 50
les 100 kilos de sucres raffinés en pains dits lumps, blancs, sans teinte rougeâtre,
ou jaunâtre, durs, dont toutes les parties sont adhérentes, non friables et
bien épurés.
Pour être déchargé
des droits d'accise dus sur 100 kilos de sucre brut importé, le raffineur
devait donc exporter 60 kilos de sucres raffinés, (catégorie B). ,
C. Au taux respectivement
établi aux A et B pour les sucres en pains mélis et lumps, concassés ou piles
dans un magasin spécial de l'entrepôt libre ou public du dernier port de
l'exportation, pour autant qu'ils réunissent les qualités indiquées aux dits
paragraphes A et B.
D. A 26 fr. 71
c. 20/100 par 100 kilog. de tous autres sucres raffinés, tels que sucres candis,
dits manqués, à petits cristaux, humides, revêtus de croûtes, et sucres de
teinte rougeâtre ou jaunâtre.
La décharge fut
retirée à l'exportation de sucres bruts ou de sucres raffinés, mélangés avec du
sucre brut.
Il fut stipulé
que. le dixième de la prise en charge serait payé à l'échéance de chacun des
termes de crédit, les raffineurs ne pouvant être déchargés par exportations
dans les proportions ci-dessus établies par les catégories A, B, C et D que
jusqu'à concurrence des 9/10 des prises en charge.
Diverses autres
mesures concernant les taxes, les transcriptions, les transferts etc. furent
décrétées en même temps. Toutes étaient plus ou moins onéreuses aux raffineurs
de sucre de canne.
Ainsi, sous le
régime de la législation de 1819-1822 et 1829, le raffineur qui exportait 55 kilog.
55/100 de sucres candis ou de tous autres sucres raffinés en pains ou en morceaux
était déchargé du droit d'accise pris en charge à son compte envers le trésor à
l'exportation de 100 kilog. de sucre brut.
Il était déchargé
du même droit sur 100 kilog. de sucre brut pour 100 kilog. de tous autres
sucres soit raffinés, soit bruts qu'il exportait.
Sous le régime
de la loi de 1838, au contraire, il fallait, pour être déchargé du droit d'accise
pris en charge sur 100 kilog. de sucre brut, qu'il exportât 57 kilog. de sucres
raffinés (catégorie A) ou 00 kilog. (catégorie B). A l'égard de tous autres
sucres raffinés exportés par lui, il ne jouissait par 100 kilog. de sucres
raffinés exportés que de la décharge du droit d'accise sur pareille quantité de
sucres bruts importés par lui ; et en ce qui concernait l'exportation de tous
sucres raffinés mélangés de sucre brut, il ne jouissait, comme pour le sucre
brut, d'aucune décharge à l'exportation.
Voici maintenant
quels furent les résultats, pour les recettes du trésor de la mise en vigueur
de la loi de 1838 (successivement : droits de douanes, droits d’accises et
recettes totales :
1838 : 209,710 fr. ; 1,306,149 fr.43 c. ; 1,515,859 fr. 43 c.
1839 : 197,323 fr. ; 1,206,850 fr. 13 c. ; 1,404,173 fr.
13 c.
1840 : 310,979 fr. ; 974,985 fr. 24 c. ; 1,285,964 fr. 24
c.
1841 : 257,104 fr. ; 780,854 fr. 24 c. ; 1,037,958 fr. 24
c.
1842 : 270,544
fr. ; 815,273 fr. 49 c. ; 1,085,817 fr. 49 c.
Moyennes par année :
249,132 fr. ; 1,061,822 fr. 51 c. ; 1,265,954 fr. 51 c.
Ainsi, messieurs,
sou» le régime de la loi de 1838, alors que 3 à 5 millions de kilog. de sucre
de betterave étaient livrés à la consommation sans payer le moindre droit au
trésor, le sucre exotique a payé encore terme moyen par année une somme de fr.
1,265,954 fr. 51 sur 7 à 8,000,000 de kilog. qui formaient sa part dans la
consommation évaluée en totalité par l'enquête ministérielle à 12,000,000 de
kilog. soit par conséquent 16 à 18 francs par 100 kilog. livrés à la
consommation.
Mais les recettes
du trésor ayant suivi une progression décroissante, depuis 1838 jusqu'en 1841,
des plaintes furent de nouveau exprimées sur ce que le trésor ne percevait pas
assez. On voulut même tenir compte du petit accroissement qui se manifesta en
1842.
Les uns attribuèrent
la diminution des recettes du trésor à l'augmentation de production du sucre de
betterave ; les autres crurent devoir l'attribuer aux perfectionnements
apportés dans l'exercice de l'une et de l'autre industrie sucrière ; d'autres
enfin aux circonstances commerciales favorables aux exportations.
Quoi qu'il en
soit, la législature et le gouvernement voulurent faire droit aux réclamations qui
leur parvinrent, mais ils comprirent cette fois qu'il fallait se résoudre à imposer
le sucre de betterave dont la fabrication, en Belgique, était loin de constituer
une industrie naissante et inexpérimentée, et qui au contraire avait été
importée de France à l'état d'industrie très perfectionnée.
On crut cependant,
et je n'hésite pas à déclarer que ce fut un malheur,, devoir accorder une
certaine protection sous le rapport du droit d'accise au sucre de betterave qui
a déjà une protection plus qu'assez forte dans les droits de douane dont se
trouvent frappés les sucres bruts exotiques.
La nouvelle loi
décrétée le 4 avril 1843, ne fut acceptée par le ministère aussi bien que par
beaucoup de membres de cette chambre, qu'à titre d'essai et pour éviter le payement
d'indemnités que les producteurs de sucre de betterave, bien que leur industrie
n'eût pas été, comme celle des raffineurs, provoquée par la loi elle-même,
prétendaient cependant leur être due.
Cette loi, encore
en vigueur aujourd'hui, a fixé la quantité (improprement appelée le rendement)
à exporter en sucres raffinés (catégorie A) pour obtenir la décharge des droits
d'accise dus sur 100 kilos de sucre brut importé ou produit à 57 kilos pour le
sucre de canne et à 49 kilos pour le sucre de betterave.
Les mêmes quantités
relativement à la catégorie B ont été fixées à 60 kilos pour le sucre de canne
et à 52 kilos pour le sucre de betterave.
Comme dans la
loi de 1838 on a permis, avec jouissance respective des décharges fixées pour les
catégories A et B, l'exportation des pains et lumps pilés en entrepôt sous la
surveillance de la douane.
La décharge pour
tous autres sucres raffinés exportés a été fixée à 45 francs les 100 kilos pour
le sucre de canne et à 20 francs les 100 kilos pour le sucre de betterave.
On a accordé une
décharge de 36 francs les 100 kilos à l'exportation des sucres raffinés en poudre,
dits cassonade, de canne et de 16 francs pour les sucres de betterave de même
espèce.
Les sirops de
sucre de canne ont obtenu à l'exportation une décharge de 9 francs les 100 kilos
et ceux de sucre de betterave une décharge de 2 francs 40.
Au lieu de 1/10
du droit d'accise qui était acquis dans tous les cas au trésor en vertu de la
loi de 1838, on a réservé 4/10 ; en sorte que depuis la loi de 1843, l'exportation
avec décharge ne peut plus avoir lieu que sur 6/10 des importations de sucre
brut pour le sucre de canne et de la production constatée en sucre brut pour le
sucre de betterave.
La position des
raffineurs de sucre exotique n'a été ainsi fortement aggravée, je le répète que
parce qu'on croyait alors, d'abord que l'égalité du droit d'accise, c'était la
mort du sucre de betterave, et ensuite qu'avec l'inégalité ou la protection accordée
au sucre de betterave on ne pouvait assurer les recettes du trésor qu'au moyen
de ces fortes aggravations.
L'exposé des motifs
du projet de loi en discussion démontre clairement, selon moi, que lors du vote
de la loi de 1843 on était tout à fait dans l'erreur sur ces deux points.
Nous venons de
voir que, sous le régime de la loi de 1838, les recettes du trésor pendant 1842,
c'est-à-dire pendant la dernière année pleine de ce régime, se sont élevées à
270,544 fr. du chef des droits de douane et à 815,273 fr. 49 du chef des droits
d'accise et partant en totalité à 1,085,817 fr. 49 c.
Pour l'année 1843,
année mixte pendant laquelle on a mis en raffinage 7,255,580 kilog de sucre brut
exotique pour la période du régime de 1838 et 11,218,234 kilog pour celle du régime
de 1843, les recettes ont été de 186,848 fr. en droits de douane et de 930,033
fr. 98 c. en droit d'accise, c'est-à-dire de 1,116,881 fr. 98 c. en totalité pour
le sucre exotique. Quant au sucre de betterave, il n'a payé en tout et pour tout
que 240 fr. 40 c.
Enfin pour les
deux années du régime plein de la loi de 1843 les recettes ont eu lieu comme
suit :
Sucre exotique
1844 : douanes :
186,159 fr. ; accises : 3,125,999 fr., total : 5,310,188 fr.
1845 : douanes :
116,630 fr., accises : 2,255,347 fr
Sucre de betterave :
1844 : 539,111
fr.
1845 : 357,317
fr.
(page 1632) Les droits de douane qui en 1844
ont été de 180,159 fr. ne se sont plus élevés en 1845 qu'à 116,630 fr.
Le sucre de canne,
qui avait payé au trésor en droits d'accise 3,123,999 fr. en 1844, n'en a plus
payé en 1845 que 2,255,345.
Enfin le sucre
de betterave qui a payé en 1844 539, 111 fr., n'a plus payé en 1845 que 357,317
fr.
Toutes ces diminutions
dans les recettes du trésor et qui seront encore plus fortes en 1846 démontrent
à l'évidence que la loi de 1843 n'a pas même satisfait aux intérêts du trésor.
On a pu croire en 1844 qu'elle leur avait donné satisfaction mais
malheureusement la chute de plusieurs de nos importantes raffineries a démontré
qu'à cet égard les raffineurs eux-mêmes s'étaient trompés, et qu'ils avaient
par suite de cette fatale erreur mis beaucoup trop de sucres bruts en
raffinage.
Voici, messieurs,
ce que j'ai dit à cet égard dans un mémoire du 31 mars 1845 en réponse à
l'enquête ouverte par le département des finances sur la question des sucres :
« Sous le régime
de la loi du 4 avril 1843 les droit de douane perçus en 1844 se sont élevés à
fr. 186,159 et les droits d'accise à fr. 3,663,111 13 centimes en sorte que le
revenu de l'Etat perçu sur le sucre en 1844 s'est élevé en totalité à fr.
3,849,270 13. Dans ce chiffre le sucre de betterave ne figure que pour 539,111
70.
« Mais, ainsi
que j'ai eu l'honneur de le faire remarquer plus haut, les raffineries de sucre
de canne regorgent de produits raffinés et de sucres inférieurs qu'il faudra qu'elles
écoulent sur le marché intérieur, attendu qu'il ne reste presque plus rien des
6/10 à assurer. On doit donc en conclure que, si la loi du 4 avril 1843 n'est
pas modifié, soit provisoirement pour permettre d'écouler le trop plein, soit
définitivement afin de mieux atteindre le but des créateurs du système de
législation de 1819-1822, les importations et le raffinage de sucre de canne
diminueront de beaucoup en 1845, par comparaison à 1844, eu même temps que la
production du sucre de betterave se trouvera fortement entravée, puisqu'elle
aura à concourir, pour la vente de ses produits, avec le trop plein des
raffineurs de sucre de canne.
" Or, si
la production du sucre de betterave se trouve entravée ; si surtout les raffineries
de sucre travaillent infiniment moins, on doit comprendre que les recettes du
trésor se trouveront aussi singulièrement atténuées en 1845.
«Tous les intérêts
engagés dans la question des sucres, le trésor comme le sucre de canne et celui
de betterave, exigent donc une révision provisoire mais immédiate de la loi du
4 avril 1843.
« Ensuite, comme
le trop-plein doit nécessairement se reproduire aussi longtemps que la loi de
1843 existera, et comme s'il ne se reproduisait pas, ce serait parce que les
raffineurs de sucre de canne auraient importé et mis en fabrication moins de
sucre brut et parce que les producteurs de sucre de betterave auraient moins produit
de leur côté, on doit en conclure que, pour donner satisfaction à tous les
intérêts en cause, y compris ceux du trésor, il y a lieu, non seulement de modifier
immédiatement la loi du 4 avril 1843 d'une manière provisoire, mais encore de
la modifier le plus tôt possible, d'une manière définitive.
Voilà, messieurs,
ce que j'ai dit au 31 mars de l'année dernière, et les chiffres et les faits
sont là maintenant malheureusement pour prouver que j'ai été bon prophète.
Encore une fois,
messieurs, il ne faut pas s'y tromper, la question des sucres n'est devenue
difficile en Belgique que parce que d'une part on a laissé la fabrication
perfectionnée du sucre de betterave s'exporter de France en Belgique sans la
soumettre à la loi sous le rapport des droits d'accise ou de la consommation,
et parce que d'autre part on s'est écarté tout à fait des principes qui ont
servi de bases à la loi de 1822, principes en vertu desquels les intérêts de
notre navigation maritime et de notre commerce extérieur étaient les intérêts à
prendre principalement en considération et les recettes directes du trésor ne
formaient que la question accessoire.
En 1843, je crois
devoir le répéter, on a compris qu'il fallait en venir à imposer le sucre de
betterave, mais il est de fait, cela est reconnu aujourd'hui, et par le
gouvernement, et presque par tout le monde, que l'on n'a pas été assez loin en
se bornant à frapper le sucre de betterave d'un droit d'accise de 20 francs,
tandis que le sucre exotique était frappé d'un droit de 45 fr.
C'est l'égalité
des droits qu'il faut établir pour les deux sucres ; c'est dans ce sens que
j'ai voté à la section centrale, et c'est encore dans ce sens que je voterai
dans cette enceinte ; c'est d'ailleurs ce qui est démontré possible aujourd'hui
par l'exposé des motifs lui-même de M. le ministre des finances et cela sans
qu'il soit porté la moindre atteinte à la coexistence des deux sucres.
Messieurs, o,
m'a toujours vu, dans cette chambre, m'établir en défenseur du système de protection,
non pas pour ce système en lui-même, mais comme moyen de réciprocité dont force
nous était bien de faire usage, si nous ne voulions pas jouer le rôle de dupes
vis-à-vis de l'industrie étrangère.
Je ne crois dévier
aucunement de mes principes en demandant l'égalité des droits pour les deux
sucres sous le rapport des droits d'accise ou de consommation.
Certes, le sucre
brut de betterave est une matière première nationale, puisqu'il est produit par
le sol belge. Comme matière première nationale, il a donc droit à une certaine
protection qui doit lui être donnée à l'aide d’un droit de douane imposé à
l'importation du sucre brut exotique.
Mais cette protection
lui est acquise par notre tarif des droits de douane et nous verrons tout à
l'heure qu'elle est plus que suffisante.
Messieurs, on
a malheureusement toujours jusqu'ici confondu, en ce qui concerne la question des
sucres, deux choses très distinctes : à savoir le droit de douane ou de protection
à l'importation, et le droit d'accise on de consommation perçu dans l'intérêt
des revenus de l'Etat sur les consommateurs du pays.
Des droits différentiels
de douane ou de protection existent à l'importation du sucre brut exotique, et
ces droits ne peuvent être acquittés que par payement en numéraire. Ils restent
définitivement acquis au trésor et ne peuvent en aucune manière être assurés
par exportation. Le sucre brut indigène reçoit donc là une protection contre la
concurrence du sucre brut exotique.
Des droits prohibitifs
à l'importation des sucres raffinés étrangers existent dans notre tarif
douanier, et sous ce rapport les sucres raffinés en Belgique aussi bien ceux de
betterave que ceux exotiques reçoivent une large protection.
Mais, messieurs,
ce sont là toutes les protections que les différents sucres peuvent raisonnablement
exiger. Sous le rapport du droit d'accise, du droit perçu sur le consommateur
belge, les deux sucres doivent être mis sur la même ligne.
Dans toutes nos
lois fiscales qui font payer à l'industrie nationale des droits d'accise ou de
consommation qu'ils ont à faire payer ensuite par les consommateurs, on n'établit
aucune différence pour le payement de ces droits que les matières premières
employées viennent du pays même ou de l'étranger. Ces dernières sont considérées
comme nationalisées aussitôt qu'elles ont payé les droits de douane ou de
protection.
C'est ainsi qu'on
ne fait pas payer des droits d'accise ou de consommation plus élevés aux bières
de Louvain et autres fabriquées avec des houblons et des grains étrangers qu'à
celles qui sont fabriquées avec des houblons et des grains indigènes.
Voyons
maintenant si les droits de douane existant actuellement sur le sucre brut
exotique sont suffisants.
Le sucre brut
de betterave est en Belgique le produit de la culture de 15 à 1,600 hectares de
terre ; il emploie un grand nombre de bras pour les diverses opérations de culture,
ainsi que pour les diverses mains-d'œuvre qu'on fait subir à cette racine pour
en extraire le sucre. La vente des sucres raffinés et des bas produits du sucre
de betterave ne peut s'obtenir qu'à des prix inférieurs à ceux obtenus par le
sucre exotique.
Les producteurs
de sucre de betterave emploient une grande quantité de houille et autres
produits industriels du pays.
Tel sont les motifs
que l'on fait valoir en faveur du droit de protection au profit du sucre de
betterave.
Du côté du sucre
de canne, on combat l'élévation du droit de protection par les considérations
suivantes :
Le sucre brut
de canne, fournit au pays une matière d'encombrement, précieuse pour la navigation
maritime et le commerce extérieur.
Le sucre brut
de betterave étant un produit du sol ne peut fournir cet élément essentiel de vitalité
à notre navigation et à notre commerce.
Les sucres bruts
de canne en raison des qualités qui leur sont propres et à l'aide des combinaisons
et manipulations dont ils sont l'objet, produisent toutes espèces de sucres
raffinés et inférieurs dans les prix et les qualités voulus par les consommateurs,
tant du pays que de l'étranger ; il n'en est pas de même du sucre de betterave
qui ne peut pas produire les sucres inférieurs et les sirops demandés par
certaines industries nationales, ainsi que par les consommateurs les moins
aisés du pays.
Les producteurs
de sucre de betterave avouent tellement eux-mêmes que leurs produits en sucres
raffinés et en sucres vergeois et sirops surtout sont inférieurs en qualité à
ceux produits par les raffineurs de sucre exotique, qu'ils s'étayent des
moindres prix qu'ils retirent de leurs produits pour chercher à obtenir une
protection législative, bien que cependant la loi ne doive jamais protection à
la mauvaise fabrication.
Le sucre de betterave
prétend toujours s'appuyer sur les intérêts du trésor contre la concurrence du
sucre exotique, et les chiffres des recettes prouvent cependant que les
intérêts du trésor sont du côté du sucre exotique.
On ne peut méconnaître
l'influence que le système de législation a sur le chiffre de la consommation.
Mais le chiffre de la consommation normale, s'il n'existait pas de système de
décharge ou de prime à l'exportation, n'a jamais été considéré comme pouvant dépasser
douze millions de kilogrammes.
Comme les producteurs
de sucre de betterave prétendent que le système de décharge à l'exportation est
pour eux une lettre morte, il s'ensuit qu'avec ce système, comme sans ce
système, toute leur production annuelle, qui s'élève à 4,000,000 de kil., entre
dans la consommation, et que par conséquent, s'il n'existait pas de système de
décharge à l'exportation, la part des droits à payer par le sucre de canne
porterait sur 8,000,000 de kil.
Or, nous voyons
qu'en 1844 et 1845 le sucre de betterave, bien que le droit d'accise ait été
fixé pour lui aux 4/9 de celui qui frappe le sucre exotique, n'a payé, terme
moyen, au trésor que 448,214 francs 73 c. soit 11 francs par 100 kil. sur 4,000,000
de kil., qui forment sa part dans la consommation normale, tandis que le sucre
exotique a payé, terme moyen, pendant les deux mêmes années, 151,394 fr. 50 c.
en droits de douanes, et 2,689,673 fr. 36 c. en droits d'accise ou de consommation,
ensemble 2,841,067 fr. 86 c, soit respectivement 1-89 et 33-62, ensemble 35-51
par 100 kilog. pour la part de 8,000,000 de kilog. de sucre exotique dans la
consommation normale du pays, soit enfin en totalité plus de 6 fois autant que
le sucre de betterave.
(page 1633) Si maintenant vous défalquez
de ce qu'a payé le sucre de betterave, les énormes dépenses spéciales de perception
et de surveillance qu'exige ce sucre, à l'égard duquel l'exposé des motifs de
M. le ministre des finances démontre qu'on ne peut même à grands frais empêcher
la fraude, il ne vous sera pas difficile de vous convaincre que, du chef
seulement des droits de douane, le sucre exotique paye presque autant que le
sucre de betterave paye du chef des droits d'accise ou de consommation.
C'est donc bien
du côté du sucre exotique que se trouvent les intérêts du trésor, et par conséquent
les droits de douanes actuels constituent, il faut l'avouer, une protection
plus que suffisante pour le sucre brut indigène.
Le sucre de betterave
ne fait, quant à l'agriculture, que substituer une culture à une autre, ne fait
que substituer la culture de la betterave à celle des céréales, si nécessaire
cependant dans notre pays et à laquelle la culture de la betterave enlève en
outre des engrais ou les lui fait payer beaucoup plus cher.
Enfin, s'il est
vrai que la fabrication du sucre de betterave emploie une grande quantité de
houille et d'autres produits industriels du pays ainsi qu'un grand nombre de bras,
il en est au moins de même des raffineries de sucre exotique, et celles-ci
emploient en plus un grand nombre de navires, en outre du puissant secours dont
elles sont pour notre commerce et pour toutes les industries du pays.
Il suffit, messieurs,
d'avoir ainsi mis vis-à-vis les uns des autres les arguments présentés, dans
l'intérêt respectif de leur cause, par les producteurs de sucre de betterave et
par les raffineurs de sucre exotique, pour être convaincu que les droits de
douane ou de protection existants à l'importation du sucre brut exotique sont
plutôt trop élevés que trop peu élevés et que, sous le rapport des droits
d'accise ou de consommation, il faut mettre les deux sucres tout à fait sur le
même pied.
En ce qui concerne
maintenant le système de législation ainsi que le taux du droit d'accise et de
la décharge à l'exportation à établir dans les mêmes conditions pour les deux
sucres, nous ne devons pas perdre de vue que nos raffineurs ont à lutter, au
bénéfice du commerce, de l'industrie et de l'agriculture belges, contre les
raffineurs du royaume des Pays-Bas, où le système des lois de 1819 et 1822 existe
encore, sauf l'augmentation de ce que l'on appelle improprement le rendement et
sauf une retenue de 5 p. c. établie au profit du trésor sur les droits pris en
charge à l'importation du sucre brut.
Nous devons donc
nous garder de ne pas trop nous écarter du système de 1819-1822 ; nous devons
donc ne nous en écarter que dans une sage mesure, en raison des progrès qu'a
faits chez nous le raffinage du sucre exotique ; et nous ne pouvons même aller
aussi loin que dans la nouvelle loi décrétée en Hollande ; car il est évident
que les raffineurs hollandais n'ayant été soumis comme nous à aucune des
perturbations continuelles qui ont malheureusement causé plus d'un sinistre déplorable
chez nous, ont pu se livrer avec plus de sécurité à des perfectionnements de
toute espèce, il est évident que pour pouvoir les suivre dans ces
perfectionnements et lutter sur des marchés où, grâce à leur meilleure législation,
ils nous ont supplantés ou devancés, nos raffineurs ont besoin maintenant, du
moins pendant quelque temps, d'une législation plus favorable ; il est évident
enfin que les Hollandais jouissant de faveurs considérables à l'importation des
riches sucres de leurs possessions coloniales et n'ayant pas à lutter sur le
marché intérieur contre le sucre de betterave qu'ils ont eu le bon esprit de ne
pas laisser prendre pied chez eux, il nous serait difficile de lutter contre
eux sur les marchés étrangers, si nos raffineurs n'obtenaient pas, dans la loi
que nous allons voter, des conditions meilleures, sous certains rapports, que
celles qui existent dans la nouvelle loi hollandaise.
Voulez-vous savoir,
messieurs, quelle est notre infériorité vis-à-vis de la Hollande, en fait de
mouvement maritime et commercial, produit par la législation sur les sucres ?
Voulez-vous savoir combien notre législation et la faute que nous avons commise
de laisser le sucre de betterave se produire en Belgique, causent de préjudice
à notre commerce extérieur ? C'est à l'aide de documents officiels que je suis
prêt à communiquer à tous les honorables membres de cette chambre, qui me les
demanderont, que je vais en établir le bilan.
(Note du webmaster : Le tableau statistique
annoncé n’est pas repris dans la présente version numérisée).
Je suis loin de
prétendre qu'en présence des 4,000,000 de kilog. de sucre produits annuellement
au moins par nos fabricants de sucre de betterave, et enlevés à la consommation
intérieure, il nous eût été possible d'atteindre en 1844 et eu 1845 un chiffre
aussi élevé de mise en fabrication qu'en Hollande, et cela malgré notre nombre
double de consommateurs.
Mais si cela eût
été possible, et si l'on avait pu en même temps organiser le système de la loi
de telle manière, non pas qu'un dixième du droit d'accise eût été retenu au profil
du trésor, mais qu'un dixième eût été réellement perçu ; il en serait résulté
qu'un droit moyen de douane, de 1 fr. 50 c., aurait produit, pour 60,000,000 de
kilog. de sucre brut, mis en fabrication en 1844, une recette de 720,000 fr.,
et pour 68,000,000 de kilog., mis en fabrication en 1845, une recette de
816,000 fr., tandis que le sucre de betterave n'a payé au trésor, en 1844 et
1845, qu'un peu plus de 448,000 fr. du chef du droit d'accise de 20 fr. dont il
est frappé ; en sorte que du chef du droit de douane seul dont est frappé le sucre
exotique, on eût perçu, terme moyen, 768,000 fr., et, par conséquent, à 128,000
fr. près, le double de ce que l'on a perçu du chef du droit d'accise sur le
sucre de betterave.
On aurait, en
outre, perçu, dans l'hypothèse que je pose, un dixième du droit d'accise de 45 fr.
les 100 kilog., dont se trouve frappé le sucre exotique, ce qui aurait produit,
sur 60,000,000 de kil. de sucre brut mis en fabrication en 1844, une somme de
2,700,000 francs, et sur 68,000,000 de kil. mis en fabrication en 1845 une somme
de 3,060,000 fr., lesquelles sommes ajoutées à celles perçues du chef des
droits de douane eussent présenté une recette totale, au profit du trésor, de
3,420,000 fr. pour 1814 et de 3,876,000 fr. pour 1815.
Maintenant si
vous considérez qu'en Hollande, on a exporté, en 1844, 35,000,000 de kil. de sucres
raffinés et mis en fabrication une quantité de 60,000,000 de kil., vous arrivez
à constater que le mouvement commercial et maritime a été de 95,000,000 de
kil., tandis qu'en Belgique il n'a été, pour la même année, que de 21,453,746
kil.
Pour 1845, les
Hollandais ont exporté 42,500,000 et mis en raffinage 68,000,000 de kil., le
mouvement commercial et maritime a donc été de 110,000,000 de kil., tandis qu'en
Belgique il n'a été que de 14,140,394 kil.
Je crois, messieurs,
qu'en présence de pareils résultats, obtenus en Hollande à l'aide du système
d'exportation avec décharge franchement exécuté, nous n'avons
pas à hésiter, Nous devons certainement, comme on vient de le faire en
Hollande, tenir compte, en faveur du trésor, des perfectionnements apportés
aujourd'hui au raffinage ; nous devons, par conséquent, élever les chiffres des
quantités de sucres raffinés à exporter pour pouvoir jouir de la décharge du
droit d'accise, inscrit au débet du raffineur, par 100 kil. de sucre brut qu'il
a importé ; mais nous ne pouvons, par les motifs que j'ai donnés, aller aussi
loin dans cette augmentation de ce que l'on appelle le rendement. Nous devons
fixer celui-ci de manière à ce que nous puissions à la fois augmenter, comme en
Hollande, le chiffre de nos exportations et celui de notre consommation, en
même temps que nous assurons au trésor la perception d'une certaine quotité du
droit d'accise appliqué à toutes nos importations de sucre brut. C'est alors
que la loi belge sera véritablement, comme nous le voulons, toute commerciale,
industrielle et financière. Elle sera commerciale, parce que nos importations
de sucre brut et nos exportations de sucres raffinés augmenteront ; elle sera
industrielle, parce que la fabrication des sucres raffinés augmentera, et elle
sera financière, parce que, si le trésor ne percevra qu'une certaine quotité du
droit d'accise, il percevra cette portion du droit d'accise sur une beaucoup
plus grande quantité de sucres, et il percevra, en outre, les droits de douane
en entier comme aujourd'hui, mais également sur une beaucoup plus grande
quantité de sucres importés.
M. de La Coste. - Je ne suivrai
pas l'honorable préopinant dans les nombreux renseignements, dans les calculs
compliqués qu'il nous a présentés ; il m'a été impossible de saisir tout le fil
de son raisonnement, et de juger jusqu'à quel point les chiffres qu'il a
produits sont admissibles et concluants. Mais j'ai cru remarquer qu'il renouvelait
contre le sucre indigène des reproches un peu surannés, reproches que je
croyais, permettez-moi de le dire, enterrés avec le fameux système des 4/10
dont, quant à moi, je me lave entièrement les mains ; au moins si j'ai été coupable
d'un vote en sa faveur, ce dont je ne me souviens pas, ce n'a été qu'à mon
corps défendant et sous protestation.
Le sucre de betterave,
suivant l'honorable député de Gand, a commis un grand crime ; il n'a rien payé,
quand on ne lui demandait rien ; voilà un des reproches les plus graves. C'est
encore la faute du sucre de betterave que, dans un temps où le sucre exotique
fournissait toujours à la consommation 9 à 10 millions de kilog., ces 9 à 10
millions de kilog. payaient moins d'un million d'accise.
Je ne me
plaindrai pas que l'honorable préopinant ait contre le sucre de betterave ces
répugnances que rencontrent toutes les grandes innovations ; mais du moins
qu'il ne fasse pas de celle-ci une sorte d'invention exotique, comme le produit
qu'il protège ; qu'il ne nous dise pas que ce sont les Français qui en sont les
auteurs en Belgique ; les Français n'ont rien à faire ici ; les industriels
auxquels nous nous intéressons, comme à tous les industriels du pays, sont des
Belges, et il faut leur laisser l'honneur qui leur revient dans l'importation
de cette industrie.
(page 1634) Sauf quelques opinions isolées,
il me semble cependant que la question a marché pour le sucre indigène, comme
sous le rapport de la véritable appréciation des intérêts de l'autre industrie.
Mais, il y a trois
ans, on regardait encore le sucre indigène comme une espèce de préparation
chimique qui ne pouvait en aucune façon remplacer le sucre des colonies. Eh
bien, messieurs, maintenant l'association commerciale d'Anvers assure qu'on ne
peut distinguer le sucre raffiné de betterave du sucre raffiné de canne, et
déjà l'année dernière notre commission d'industrie, par l'organe de l'honorable
M. Smits, disait que l'on obtient, du produit indigène, un sucre de la plus
grande beauté.
On craignait,
il y a trois ans, qu'en admettant le sucre indigène à l'exportation, on ne compromît
la réputation de nos raffineries ; maintenant on l'y invite, on l'y appelle.
On regardait alors
cette industrie comme factice, comme sans avenir ; maintenant on la juge tellement
assurée de son avenir qu'on soutient qu'elle peut se passer de ce dont aucune
de nos industries ne se passe, d'une protection convenable.
On la déprimait
; on l'exalte, peut-être, il est vrai, dans le même dessein ; car, si on la
couronne, c'est pour l'immoler.
C'est là, du reste,
l'histoire de toutes les industries qui ont été importées dans un pays.
Certes, le commerce
est d'un immense intérêt. Personne ne rend plus hommage que moi aux services
que le commerce rend, non seulement à la prospérité nationale, mais encore à la
civilisation. C'est le lien des peuples. Mais le commerce n'est pas la seule
puissance qui préside à la prospérité matérielle du pays : il y a la force
créatrice, le travail national.
Le commerce, son
rôle est de voir surtout des produits à nous apporter. Mais l'industrie, le travail
national voient dans ces produits autre chose ; ils y voient des modèles à
imiter.
C'est ainsi qu'en
France, malgré les conseils d'un célèbre homme d'Etat, du sage Sully, malgré
les préjugés d'hommes moins distingués, on a introduit le mûrier, le tissage de
la soie qui est devenu une des gloires industrielles, une des sources de la
richesse de la France.
C'est ainsi que
l'Angleterre a enlevé aux Indes le tissage du coton qui s'est également naturalisé
dans notre industrieuse ville de Gand ; l'on y a été jusqu'à expédier à Java
les étoiles que les indigènes fabriquaient auparavant eux-mêmes.
Ils regardaient
soigneusement si le dessin correspondait exactement des deux côtés du tissu ;
car cette régularité leur eût annoncé que l'ouvrage n'était pas fait à la main
et ils n'en auraient pas voulu. Nos fabricants allaient au-devant de l'objection
et les Javanais retrouvaient sur l'étoffe jusqu'à la marque de leur fabrique.
De même nous sommes
parvenus à remplacer le fer de Suède, que le commerce nous apportait autrefois,
en perfectionnant le nôtre.
De même encore
le tabac, plante américaine, a été transporté en Europe et il croit et multiplie
en Flandre, en bénissant le nom de notre honorable collègue, aujourd'hui
ministre des finances.
De même, enfin,
nous avons extrait le sucre d'un végétal qui convient à notre climat, comme la
canne à celui des tropiques.
Ainsi, s'établit
entre le commerce et l'industrie, comme entre les diverses industries, une
noble lutte qui développe l'intelligence, l'activité morale et physique d'un
peuple, qui fait qu'il ne reste pas attaché à la glèbe de telle industrie, de
telle culture, mais qu'il s'essaye à tout, qu'il embrasse tout, autant que les
forces humaines le comportent.
Un
gouvernement doit-il rester spectateur passif d'une semblable lutte ou doit-il
y intervenir ? Que faut-il choisir, la protection ou la liberté ? Faut-il nous
ranger sous la bannière qu'élève en ce moment un grand homme d'Etat, en
Angleterre, ou rester sous celle que nous avons suivie jusqu'à présent ?
Quant à moi, quoique
l'adoption trop brusque, trop rapide d'un système de liberté me semblât présenter
de très grands dangers, j'ai une si haute opinion de l'intelligence des Belges,
de la fertilité de leur sol, des richesses qu'il renferme dans son sein, de
leur esprit d'ordre et d'économie, de leur activité et de leur persévérance,
que je considérerais la liberté comme un bienfait pour nous. Ce serait aussi un
bienfait pour l'humanité ; car voyez la Flandre ! D'où viennent ses misères ?
Du système protecteur qui domine en France. Mais pour adopter un semblable
système il faudrait qu'il eût des garanties de durée, il faudrait une sorte de
concert européen, il faudrait du moins l'exemple des grandes puissances
limitrophes ; sans cela vos voisins jouissant exclusivement d'un vaste marché
pourraient anéantir l'une après l'autre chaque industrie qui existe ou qui
surgirait chez nous. Je crois, tant par ce motif que par beaucoup d'autres qui
tiennent à la situation des esprits, que nous appartenons encore, pour un temps
que je ne prétends pas définir, au système protecteur. Or, messieurs, pour un
gouvernement, pour une nation, la justice consiste à appliquer aux intérêts
divers qui se débattent dans son sein, qui tous concourent, à sa puissance, à
sa prospérité, de leur appliquer, dis-je, un même principe.
Notre principe
est la protection. Il faut qu'il s'applique d'une manière sage, équitable, à
tous les intérêts. Dans le système protecteur, il y a plusieurs moyens
d'application, entre lesquels il y a une très grande différence. Le moyen le
plus ordinaire, c'est un droit protecteur. Ce droit protecteur a pour effet de
porter les capitaux et le travail national vers une industrie. Par-là on
encourage le développement, et successivement, par la concurrence qui s'établit
dans le sein même de l'industrie ainsi encouragée, le prix de ses produits
diminue, et le consommateur profite de cette baisse. La prime, au contraire,
est toujours payée par le trésor ou par le consommateur ; plus l'industrie
favorisée se développe, plus le trésor perd ou plus le consommateur paye. Je
conçois qu'on ait recours à ce moyen momentanément pour créer ou pour sauver
une industrie, mais hors de là c'est un système très dangereux.
Ne nous y trompons
pas, messieurs, il serait très facile de concilier les intérêts du trésor et
ceux du sucre indigène, s'il n'y avait pas d'autre intérêt en cause ; car
l'exemple de la France prouve que le sucre indigène peut supporter un droit fort
élevé. En France, l'année prochaine, il supportera un droit qui, avec le décime,
ira jusqu'à près de 50 francs. Il pourrait le supporter également en Belgique ,
il suffirait de le protéger suffisamment contre le similaire étranger, comme on
fait pour les autres industries ; mais le raffinage qui s'applique aux sucres
exotiques en vue de l'exportation ne peut exister qu'au moyen de primes qui
sont toujours une déduction du revenu du trésor, tandis que le droit protecteur
est une addition au revenu.
Messieurs, ce
n'est donc pas dans l'intérêt du sucre indigène qu'existe le droit différentiel
d'accise que l'honorable préopinant lui reproche ; ce n'est pas non plus dans son
intérêt qu'existe la restitution que contient la prime. C'est uniquement parce
que l'intérêt du sucre exotique appelle ce système préférablement à l'autre.
Le sucre indigène
a besoin de participer à cette restitution quand le sucre exotique y participe.
Il a besoin d'un droit différentiel d'accise à défaut de protection douanière.
Mais ce n'est pas du tout dans son intérêt qu'est adopté le système qui exige
la différence d'accise, la restitution avec prime. C'est pour lui un pis-aller.
Ce que son intérêt appelle, c'est un droit protecteur suffisant, et après cela
il admettrait fort bien une accise égale sans restitution.
Messieurs, l'honorable
préopinant a traité une question que j'aurais désiré éviter, parce qu'il est
toujours pénible de heurter des intérêts, de détruire des illusions. Mais,
messieurs, il y a aussi un danger à laisser la nation sous l'empire d'une illusion,
à laisser chercher un remède là où n'est point le remède.
Je suis donc obligé,
messieurs, d'examiner cette question, de rechercher quelle est pratiquement
l'influence du raffinage de sucre exotique pour l'exportation, sur notre
prospérité en général, sur nos exportations, sur notre navigation.
Messieurs, je
commencerai par faire observer que je me sers à dessein de cette expression « raffinage
pour l’exportation ». Car il ne s'agit pas ici du commerce naturel des
sucres. Il s'agit de cette espèce de commerce artificiel qui consiste à faire
venir aux raffineries le sucre exotique et à le revendre à l'étranger, souvent
pour le même prix que le sucre brut, moyennant la prime que paye le
contribuable ou le trésor.
Je crois avoir
entendu dire hier par l'honorable M. Osy que depuis que cette industrie était
souffrante, le commerce de sucre brut souffrait également. Messieurs, je pense
que c'est une erreur. Car je remarque que c'est au contraire depuis que la
raffinerie a moins d'activité, que nous avons commencé à exporter des sucres bruts.
Ainsi, messieurs,
depuis 1830 qui est l'année où l'on peut considérer notre commerce comme ayant
pris une assiette fixe, jusqu'à 1842, nous n'avons pas exporté de sucres bruts.
En 1842 nous avons exporté à peu près un demi-million de sucre brut ; en 1843,
un peu plus de 2 millions, en 1844,13 millions et demi.
Ainsi, messieurs,
en 1840 qui est dans cette série d'années la plus favorable pour les raffineurs,
il n'y a eu qu'un mouvement total de sucre de 39 millions et demi ; et en 1844,
qui est une des années les plus défavorables, il y a eu un mouvement total de
sucre de 45 millions.
Vous voyez donc
que ce sont là deux choses différentes : commerce des sucres, et mouvement des
sucres excité par le raffinage moyennant prime d'exportation.
Messieurs, ce
système est né, je le crois, par hasard.
Dans la loi de
1822, qui avait été non pas sollicitée par le commerce, mais arrachée par les
réclamations des provinces méridionales, qui voulaient que l'on taxât les produits
coloniaux, dans la loi de 1822 on a voulu glisser un léger avantage pour les
raffineurs, comme une sorte d'adoucissement, de consolation , mais jamais on
n'a prévu que cela emporterait les revenus.
Rappelons, messieurs,
nos souvenirs. Comment cette loi a-t-elle été accueillie par le commerce ? Nous
savons ce qui est arrivé au ministre des finances d'alors, lorsqu'il s'est
rendu à Rotterdam à cette époque. Si les récits qui ont circulé alors méritent
quelque confiance, on s'approchait de lui, on le serrait, on lui demandait :
« A combien le sucre ? A combien le café ? »
Il paraît que
cet empressement n'avait rien de fort amical. Ce qui semble certain, c’est que des
amis ont cru prudent de soustraire le ministre à cette sorte d'ovation.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - J’espère que
cette forme d'opposition n'existe plus.
M. de La Coste. - Ce serait
vraiment une chose trop heureuse, mais qui n'est guère croyable qu'en faisant ainsi
faire la navette, si je puis m’exprimer ainsi, à une certaine quantité de sucre,
qu’en dépensant de la sorte quelques millions de primes, on augmentât indéfiniment
la prospérité d'un pays. La Hollande serait donc la première puissance
industrielle de l'Europe ? Or vous savez bien, messieurs, qu'il n'en est rien,
vous savez bien que ce n'est qu'à grand-peine et à force de protection qu'elle
est parvenue à élever quelques fabriques.
L'Angleterre verse
aux Antilles et au Brésil pour dix millions de tissus de lin et elle n'y prend
pas de sucre, parce qu'elle ne prend pas le sucre (page 1635) qui est le produit du travail des esclaves, ou, au moins,
qu'elle ne le prend qu'à des droits très élevés.
Messieurs, il
est certainement utile pour l'armateur de pouvoir, quand il fait des expéditions
dans les pays lointains, prendre du sucre en retour, mais le Cuba nous avons
des retours pour une valeur sextuple, du Brésil pour une valeur quadruple de
nos exportations, et cette proportion sera encore augmentée par l'effet des
droits différentiels, car l'effet des droits différentiels est qu'une plus
grande quantité de sucre nous arrive directement. Par conséquent la marge sera
encore plus grande.
Le sucre raffiné
entre dans nos assortiments pour certaines expéditions. Je le veux ; mais je
crains une chose, et il me semble qu'en appliquant à cela les principes rigoureux
de l'économie politique, on en viendra à cette conclusion : Je crains que le
sucre raffiné ne prenne dans nos exportations la place d'autres produits, car
enfin, si vous admettez que le commerce se résout en échanges, les quelques
millions que nous enverront les autres pays en échange de leurs marchandises,
sous la forme de sucre raffiné, doivent remplacer d'autres produits que nous y
enverrions sans cela. Ce qu'il y a de certain (et je n'avancerais pas cela, si
ce n'était le résultat auquel m'ont conduit les statistiques, les chiffres, qui
n'ont ni passion, ni intérêt), ce qu'il y a de certain, c'est que nos
exportations de sucre ne paraissent pas exercer une influence favorable, ni sur
nos exportations en général, ni sur l'exportation de nos fabricats. Je citerai
seulement quelques exemples à l'appui de cette assertion.
En 1841, il y
a eu, sur les mises en consommation ainsi que sur les expéditions de sucre raffiné,
une grande réduction.
Sur les mises
en consommation, la diminution a été de sept millions de kilos ; elle a été de 5
millions de kil. sur l’expédition du sucre raffiné : vous allez croire sans doute
qu'il en est résulté une diminution équivalente dans l'exportation de nos produits
en général et dans l'exportation de nos fabricats en particulier. Eh bien,
détrompez-vous ; au lieu d'une diminution il y a eu une augmentation de quinze
millions sur la valeur totale de nos exportations et une augmentation de quatre
millions et demi sur nos exportations de fabricats.
En 1842,
messieurs, il y a eu une reprise pour le commerce de sucre dont je parle ; il y
a eu, dans les mises en consommation, une augmentation de quatre millions ;
quant à l'exportation du sucre raffiné, elle est restée ce qu'elle avait été
l'année précédente, eh bien il y a eu dans le chiffre total de nos exportations
une diminution de douze millions, et l'exportation de nos fabricats a diminué
de 8 millions.
Si maintenant
vous comparez l'année 1844,qui a été très mauvaise pour les raffineurs, avec l'année
1840, qui leur a été très favorable, vous trouvez une diminution de 10 millions
dans les mises en consommation, une diminution de 7 millions dans l'exportation
du sucre raffiné et, d'un autre côté, une augmentation de 35 millions dans nos
exportations en général, et de 8 millions dans l'exportation de nos fabricats.
Dans l'augmentation les étoffes de laines sont comprises pour 5 millions, les
verreries y figurent pour 3 millions et les armes pour 1 million.
L'exportation
de nos toiles a diminué pour des raisons particulières que nous déplorons. Mais
persuader à cette industrie qu'en doublant, triplant le mouvement factice des sucres,
on lui rendra la vie, ce serait ressembler à certains chirurgiens qui, lorsqu'ils
ont à faire une amputation, commencent par magnétiser le patient.
Messieurs, de
ce que je viens de dire, je ne veux pas tirer la conclusion que, plus le raffinage
du sucre destiné à l'exportation se restreindra, plus nos autres industries
prospéreront ; je veux seulement en conclure qu'il n'est pas démontré que la
prospérité du raffinage favorise autant qu'on le suppose l'exportation de nos
produits. Je ne veux en tirer qu'une simple preuve négative.
Quant à la navigation,
remarquez, messieurs, que notre pavillon ne nous apporte que le tiers des
sucres de la Havane et du Brésil, mis en consommation ; pour les sucres
raffinés, en 1844 notre pavillon en a exporté moins d'un demi-million sur une
exportation totale de 5,700,000.
Pour que notre
pavillon eût intérêt à l'augmentation du raffinage, il faudrait d'abord qu'il
s'emparât des deux autres tiers des importations et des onze douzièmes restant
de nos exportations.
Je renouvelle
ici, messieurs, l'observation que les droits différentiels doivent augmenter la
proportion des quantités de sucre arrivant directement et que, par conséquent, il
est d'autant moins nécessaire, dans l'intérêt de notre pavillon, d'augmenter l'importation
totale.
Savez-vous, messieurs,
comment cette année le sucre nous a été apporté ? Il vous a été importé à
Anvers, avec cargaisons complètes par 1
navire hollandais, 5 espagnols, 1 suédois, 2 américains, 1 français, 1 anglais,
1 brémois, ; et 1 belge portant 158 caisses.
Messieurs, on
a dit : Pour faire des traités de commerce avec le Brésil, avec la Havane, il faut
d'abord y avoir un grand marché de sucre. Je dirai, moi, qu'il faut d'abord se
trouver dans des conditions telles qu'on puisse faire des concessions. Or, vous
ne pouvez pas faire des concessions avec le principe de l'égalité de l'accise ;
pour pouvoir faire des concessions, il faudrait avoir un droit de douane qui
pût varier ; de cette manière vous pourriez peut-être obtenir des traités avec
le Brésil, avec la Havane.
Je ne sais dans
quel état les choses se trouvent maintenant, mais il y un an ou deux, sur une
interpellation de M, de Haerne, M. Nothomb répondit qu'il ne voyait pas de chances
de conclure un traité avec l'Espagne, relativement à la Havane. Pour le Brésil,
je crois, moi, qu'on pourrait obtenir un traité avec ce pays, si l'on avait un
droit de douane sur le sucre, droit qu'on pût, sans nuire au sucre indigène,
modifier en faveur des puissances qui nous feraient également des concessions.
Maintenant le droit de douane n'est plus qu'un privilège de pavillon et
d'entrepôt.
Messieurs, j'ai
dit que je n'entrais qu'à regret dans cette question. ; je n'y ai été appelé
que parce qu'on s'est fait contre l'industrie indigène, contre la justice qu'on
lui doit, une arme des allégations dont il m'a dès lors fallu peser la valeur.
Messieurs, je
suis loin de vouloir attaquer dans son existence cette industrie dont j'ai expliqué
le mécanisme, cette industrie du raffinage qui s'applique au sucre étranger
pour l'exportation au moyen de primes. Je dirai même que je lui ai été plus
favorable que beaucoup de ses défenseurs ; car, messieurs, lorsqu'on a introduit
le système des 4/10, j'ai représenté qu'il tendait à restreindre l'exportation
et l'importation ; et voici une observation que j'y ajoutais.
« : Je ne puis
comprendre pourquoi l'on préfère le système des retenues à une augmentation de
rendement. Est-ce une sorte de crainte superstitieuse de toucher au rendement ?
Y a-t-il là quelque intérêt privé en jeu ? »
Dans une séance
suivante, je disais :
« Vous avez vu
combien est animée la malheureuse rivalité entre ces deux classes d'industriels.
Elle deviendra encore plus ardente, car vous avez resserré le cercle dans
lequel la lutte s'exerçait. »
Dans ce temps-là
on ne trouvait pas ces observations fort à son gré ; on me répondait en latin,
on me jetait le fameux Timeo Danaos ; eh bien, tout ce que je disais, est
reconnu maintenant par le commerce ; voici, entre autres, ce qu'on lit dans le
mémoire de l'association commerciale :
« Quelques
raffineurs seuls, se fondant sur la supériorité de leur fabrication sur celle de
leurs confrères, se firent illusion sur la portée de la loi. Ils savaient bien
que la première conséquence de cette loi était l'amoindrissement de leur industrie,
qu'on lui traçait désormais un cercle étroit et fatal au-delà duquel il ne lui
était plus permis de s'étendre sans perturbation ; mais ils espéraient ainsi
qu'à côté des victimes il y aurait des élus et qu'ils seraient du nombre, sinon
les premiers de ces élus.
Vous voyez, messieurs,
que l'association commerciale se sert presque des mêmes expressions que j'avais
employées, et donne la réponse à cette question que j'avais posée : « Y
a-t-il quelque intérêt en jeu ? » L'association dit oui : il y avait
l'intérêt de quelques raffineurs qui voulaient faire crouler les fabriques de
leurs confrères, pour s'élever sur leurs ruines.
Je répète donc
ce que j'ai dit en commençant, il y a évidemment progrès ; la question a fait
un pas sous le rapport de la véritable intelligence des intérêts de l'industrie
du raffinage. Mais je crois que le commerce s'arrête dans ce progrès, le
commerce veut un rendement trop bas ; là, selon moi, où il y a erreur, ou il y
a quelque chose de semblable à ce que dit l'association commerciale dans son
mémoire. Il doit y avoir là quelque intérêt que je veux croire de bonne foi,
qui se fait illusion, niais qui est contraire à l'intérêt d'Anvers, à l’intérêt
du travail des raffineries, à l'intérêt du mouvement du port.
Messieurs, je
dois faire ici une rectification. On a fait observer, dans une pièce qui a été rendue
publique, que dans une note insérée dans le travail de la section centrale, on
avait allégué un rendement cité par l’association commerciale, comme étant le
rendement belge, tandis qu'il s'agissait du rendement constaté en Hollande.
Effectivement,
il y a là erreur, et je prierai l’honorable M. Loos de se rappeler avec quelle insistance
il a désiré que cette note fût faite promptement ; je pense que cette
circonstance explique assez une erreur. D'ailleurs, je regarde cette erreur
comme très insignifiante ; l'association commerciale elle-même cite le rendement
qu'a obtenu la société nationale ; eh bien, ce rendement diffère extrêmement
peu du rendement hollandais ; et remarquez que c'est une moyenne prise sur 40
années ; or, la raffinerie a fait de grands progrès ; par conséquent, cela doit
donner un chiffre inférieur à celui qui représente l'état actuel des choses.
En Hollande, le
ministre des finances considère le rendement de 72 à 73 comme satisfaisant même
les réclamations de l'industrie arriérée ; dans cette discussion, plusieurs
membres, et M. le ministre des finances lui-même ont indiqué un rendement de 80
pour les raffineries bien organisées.
En France, le
ministre des finances a parlé comme d'une chose connue de tout le monde, mais je
m'empresse d'ajouter, il ne s'agissait pas précisément du sucre dont nous parlons
ici, il s'agissait du premier type français (le premier type c'est le type
inférieur). Le ministre des finances, dis-je, a indiqué le rendement de 68 comme
le plus bas, de 85 comme le plus haut, et de 76 comme mitoyen.
Mais, messieurs,
tout cela est plus ou moins indifférent, car le rendement dépend de deux
choses, il dépend des procédés qu'on emploie, et il dépend aussi des qualités
dont on se sert. Si on voulait différencier, suivant les qualités, il y aurait
un moyen : il faudrait établir des droits différents à l'entrée. Mais cela
n'étant pas, qu'arrive-t-il ? c'est que le raffineur, lorsqu'il prend des qualités
inférieures, se rattrape sur le bon marché.
Quant aux procédés,
lorsqu'on emploie des procédés qui extraient moins de sucre raffiné, qu'arrive-t-il
encore ? C'est que les bas produits ont (page
1636) beaucoup plus de valeur, c'est qu'il y a des cassonades qui se vendent
presque au même prix que le sucre raffiné.
Ainsi,
messieurs, il ne faut pas confondre, comme on le fait constamment, la quantité
obtenue en sucre cristallisé, avec ce qu'obtient réellement le raffineur ; lors
même qu'il exporte la totalité du sucre raffiné, il lui reste les bas produits
qui entrent dans la consommation, chargés d'une certaine partie du droit qui
lui sert de prime. Un homme extrêmement au fait de ces matières, dans des
pièces qui ont été publiées, établit pour système que le sucre cristallisé
devrait être entièrement exporté, et que les bas produits devraient constituer
la prime du raffineur.
Ainsi, par exemple,
si l'on admet le rendement de 68, je pose en fait que le négociant conserve à
peu près un cinquième de la valeur de sa marchandise, qu'il conserve 18 à 20 p.
c. environ de la valeur totale qu'il a extraite de ses 100 kil.
Eh bien, si vous
lui donnez cela indemne, c'est toujours une prime de 8 à 9 fr. que vous lui
accordez en supposant que l'impôt se répartisse d'après la valeur marchande des
produits. Cette prime de 8 à 9 fr. sur les 68 fr. qu'il exporte revient à 12
fr. par 100 kilog de raffinés livrés à l'exportation.
Dans une brochure
qui paraît faite avec beaucoup de soin, on évalue à 1,300 mille fr. le bénéfice
qu'une exportation de 20 millions de kilogrammes produit au port qui fait
l'exportation. La prime, sur le pied que je viens d'indiquer, s'élèverait donc
au double à peu près de ce que la ville d'Anvers gagnerait à une semblable exportation.
Je crois que c'est
faire tort à notre industrie, à notre commerce que de supposer qu'une prime
aussi forte soit nécessaire. Qu'arrive-t-il quand on accorde une prime trop
forte ?
Messieurs, ce
singulier commerce a un caractère tout spécial. Il a besoin d'une certaine prime,
d'une certaine faveur ; mais quand les bornes sont excédées, elle périt entre
ses mains, il ne peut pas la retenir ; car cette prime doit se prélever sur la
vente des produits indemnes, à l'intérieur ou sur leur exportation avec décharge
d'accise au moyen d'achat de droits ; or quand les excédants sont trop considérables
la concurrence fait baisser les produits, ou établit la prime de mévente, qui
jette la perturbation dans le commerce. Dès qu'un raffineur retire en prime
plus qu'il ne faut pour l'exportation, un autre raffineur consentira à sacrifier
quelque chose de sa prime pour faire écouler plus facilement ses produits sur
le marché intérieur ou extérieur. Tous le feront successivement ; les droits
seront plus demandés qu'offerts et la prime de mévente s'établira.
Comme l'a déjà
fait remarquer M. le ministre des finances, quand vous ne vous bornez pas à
atteindre cette limite nécessaire pour qu'il y ait exportation, quand vous établissez
le rendement à un chiffre inférieur à celui que cette limite indique, le
mouvement commercial est restreint par-là même ; or, si, jusqu'à un certain
point, l'intérêt du raffineur est d'avoir un rendement bas, c'est le mouvement
commercial qui constitue l'intérêt d'Anvers.
Je m'étonne donc
que l'honorable M. Osy ait parlé d'un rendement de 65 à 66 p. c. Je crois que
ce serait contraire aux intérêts de la grande ville commerciale qui l'a envoyé
dans cette enceinte.
Messieurs, je
regrette donc qu'on insiste pour la réduction du rendement. Dès l'instant que je
me place, et je le fais volontiers, au point de vue de la coexistence des deux
industries, je dois admettre un rendement tel que le raffinage puisse exister ;
mais aller plus loin, c'est réintroduire dans la loi la cause de la perturbation
que nous voulons écarter, l'encombrement qui est plus encore la conséquence
d'un bas rendement que de la retenue des dixièmes.
Messieurs, j'aurais
encore beaucoup d'observations à vous présenter, que je réserve pour une autre
occasion, si je suis appelé à prendre de nouveau part à cette discussion.
J'avais pris quelques notes pour établir quelle est la situation du sucre
indigène, quelle est la protection dont il jouit sous la loi actuelle.
Je ne suis pas
d'accord, à cet égard, avec M. le ministre des finances. J'aurais de plus désiré
établir la situation du sucre indigène en France qui est beaucoup plus brillante
qu'en Belgique. Mais ceci m'entraînerait trop loin : je me bornerai à quelques
observations qui me conduiront à l'examen des derniers amendements présentés
par M. le ministre des finances. Je crois que parlant du système de coexistence,
admettant l'encouragement donné au raffinage pour l'exportation, c'est une
bonne mesure que d'accorder une restitution égale aux deux sucres ; elle aura
pour effet de diminuer l'encombrement du marché.
Mais il me semble
qu'en ce qui concerne le sucre indigène, le ministre donne à cette mesure une
trop grande portée ; pour le sucre indigène, il n'y aura pas d'exportation
réelle, régulière : les fabriques sont éloignées des ports, elles sont disséminées
dans le pays, il est naturel qu'elles travaillent pour la consommation
intérieure. Si elles voulaient entrer en concurrence avec les raffineurs des
ports, elles devraient passer par les courtages, les commissions et tous ces
frais que ne connaissent que trop les industriels et qui trop souvent font pour
eux d'une bonne affaire une mauvaise. Elles n'exporteront donc
qu'exceptionnellement ; mais, dira-t-on, elles feront des transferts. Cet avantage
se réduit à bien peu de chose. De deux choses l'une, en effet, ou il y aura
prime de mévente, ou il n'y en aura pas. S'il y a une prime de mévente, elle
réagira sur la protection, la différence de l'accise ; s'il n'y en a pas, il
n'y a aucun profit à vendre des droits sans prime.
Quand la prime
de mévente existe, comme tous les raffineurs en jouissent, elle a pour effet de
faire baisser le prix général des sucres ; il n'y a pas d'avantage réel pour le
raffineur, mais seulement pour les consommateurs. S'il y avait prime de mévente
sous le régime de la loi en discussion, voici dans quelle proportion elle
réduirait l'avantage accordé dans la supposition de l'adoption de l'amendement
de M. le ministre des finances. Si la prime était de 15 p. c, le droit de 45
fr. serait réduit à 38-25, le droit de 50 fr. serait réduit à 25-50, et la
protection de 15 fr. se réduirait ainsi à 12-75. Si l'on suppose une forte
prime, comme celle qui a existé il y a quelque temps, une prime de 50 p. c. par
exemple, le droit de 45 fr. se réduira, pour le consommateur, à 22-50, le droit
de 30 fr. à 15, et la protection ne sera plus que de 7-50.
Vous voyez , messieurs,
que si la raffinerie exotique n'a , dans un rendement trop bas, qu'un intérêt
passager que je dois qualifier d'égoïste, un intérêt contraire à celui des
localités, à celui des populations, comme à celui du trésor, il n'est pas moins
contraire à l'industrie indigène, puisqu'en amenant la mévente il lui enlève la
protection légale. Vous voyez ainsi que l'égalité de restitution n'est point
pour le sucre indigène une source de profits, mais une compensation partielle
des inconvénients de la mévente.
Passons à un autre
point : on a beaucoup parlé de la fraude qui se commettrait par les fabricants
du pays. On a dit que les membres de la section centrale qui ont fourni une
note insérée dans le rapport avouaient que cette fraude était d'un quart, et on
a dit que cet aveu était naïf. Messieurs, nous ne sommes pas les avocats d'une
industrie quelconque ; nous sommes plutôt les juges appelés à prononcer sur le
conflit des diverses industries.
Pour ma part,
j'aurai toujours la naïveté de dire ce qui est contraire aux industries même avec
lesquelles je sympathise le plus, quand l'intérêt de la vérité l'exigera ; mais
nous n'avons rien avoué, parce que nous ne savions rien ; on n'avoue que ce
qu'on sait ; nous n'avions mandat de personne pour faire des aveux.
Voici ce qui s'est
passé : L'honorable M. Loos a dit que la fraude importait la moitié. Dans toute
autre occasion, je l'aurais cru sur parole. Dans ce cas-ci nous avons cru devoir
appliquer ce principe : qu'il ne faut croire que la moitié de ce que l'on dit.
Voici comment nous sommes arrivés à supposer qu'il pouvait y avoir pour le
trésor une perte d'un quart.
Mais prenons-y
garde, il ne s'agit pas ici d'une question isolée ; il s'agit d'un système
général de finances, de la différence de notre système financier avec le
système des droits réunis. Quelle est cette différence ? La voici en peu de mots
: Le système des droits réunis constate les produits et les atteint directement.
Le système belge,
voulant éviter les vexations et laisser à l'industrie une plus grande liberté,
ne les atteint qu'indirectement, par hypothèse. C'est ainsi que, pour les
distilleries, nous avons deux éléments, le temps c'est-à-dire la durée des opérations,
et la capacité de certains vaisseaux. Ce n'est là qu'une base hypothétique. On
sait très bien que jamais l'impôt ne sera parfaitement en rapport avec cette
supposition.
Or maintenant,
si l'on disait aux distillateurs : « Nous allons établir un système par
lequel vous payerez exactement d'après ce que vous fabriquez. Nous ne
reculerons devant aucune formalité, devant aucune vexation pour atteindre ce but.
»
En même temps,
si l'on disait à cette industrie : «Vous avez une protection dans l'élévation
de l'accise sur les eaux-de-vie, distillées à l'étranger. Cette protection,
nous allons la réduire de beaucoup. »
Il n'y aurait
qu'une voix dans cette chambre pour combattre une pareille accumulation de rigueurs.
Il résulte des
documents relatifs à l'établissement de l’accise sur le sucre indigène, il y
est admis qu'une certaine partie de l'impôt échappe à l'accise. Quelle est cette
partie ? voilà ce qu'il serait très difficile d'établir.
Quoi qu'il en
soit, il me semble que c'est un changement déjà bien sévère que de réduire de 25
à 15 fr. une protection qui, après de longs débats, a été accordée à l'industrie
indigène.
On ne se
borne pas là ; on dit : Si vous vous relevez de ce coup, si vous n'êtes pas
abattus du premier, nous vous en réservons un second que nous allons vous
assener.
Voyons quel serait
le résultat de l'amendement ? D'abord les plantations maintenant sont faites ;
on ne peut plus changer l'aménagement du sol ; on ne peut non plus laisser les
récoltes sur pied ; l'hiver prochain ne nous indiquera donc nullement les
effets de la nouvelle loi ; il ne fera que constater l'étal de choses actuel ;
il ne nous apprendra pas jusqu'à quel point la réduction de la protection à 15
fr. limitera les travaux de cette industrie.
Cependant on propose
d'augmenter le droit de 2 fr., pour une simple augmentation de 100,000 kilogrammes.
Cela ferait, réparti sur les 3,800,000 kilogrammes, limite du droit de 15
francs, une somme de 76,000 fr. C'est plus que la valeur des 100,000
kilogrammes, qu'on aurait fabriqués. Ce n'est point là une augmentation graduelle,
c'est une limitation absolue. L'impôt dépassant la valeur de l'objet produit,
est plus que la confiscation.
Un industriel
trop aventureux, trop hardi, pourrait, en se ruinant lui-même, compromettre tous
ses confrères par une augmentation de produits.
Je pense que l'honorable
ministre des finances, par la proposition qu'il nous a soumise, a voulu faire
une chose sérieuse, qu'il ne veut pas reprendre d'une main ce qu'il donne de
l'autre. Aussi, ces remarques, je le prie de ne les considérer ni comme une
attaque, ni comme une censure, mais comme des observations qui méritent d'être
posées. Il ne faut pas (page 1637)
que la moindre augmentation vienne priver l'industrie d'une grande partie de la
concession que M. le ministre veut lui faire.
Voici encore une
autre objection : le régime de la loi, quant à l'élévation graduelle du rendement,
ne sortira ses effets qu'à la fin du premier semestre de 1848, et la disposition
relative à l'augmentation sur le sucre indigène, pourrait sortir ses effets
immédiatement après ce qu'on appelle la prochaine campagne. Cela ne me paraît
pas équitable.
Les avantages
accordés des deux parts sous ce rapport devraient avoir la même durée. La transition
devrait aussi être plus ménagée. Avec une réduction si brusque que celle
proposée par M. le ministre des finances, de 2 fr. par 100,000 kilog., on n'arriverait
pas à une juste pondération. On s'exposerait à en dépasser la limite.
Il faut surtout
considérer la position des petits fabricants. En supposant que les grandes
fabriques pussent supporter quelque temps le régime proposé, profiter même de
la ruine des petites, ce serait encore là un de ces intérêts égoïstes que j'ai
signalés, et contre lesquels nous devons nous élever.
Je ne raisonne,
il est vrai, que dans une hypothèse ; car réellement que la fabrication
atteigne et dépasse 3,800,000 kilogrammes, c'est ce qui ne me paraît pas très
probable. Mais puisque c'est l'hypothèse dans laquelle on s'est placé, il me
semble qu'il faut poser pour cette hypothèse des règles équitables. Il faut
qu'il n'y ait pas dans les stipulations qu'on nous propose comme moyen de
conciliation, une tendance hostile. C'est à ce prix qu'est réellement la
conciliation. et je le répète, messieurs, mes observations ne tendent pas à
repousser absolument les moyens de conciliation proposés par M. le ministre,
elles tendent seulement à les faire mûrir, et j'espère bien qu'elles seront
prises en considération.
Messieurs, si l'on n'arrivait pas à une conciliation,
alors je pense que ce que nous aurions de mieux à faire, ce serait une loi
fiscale. Ce n'est pas, messieurs, une chose à dédaigner que 2 à 3 millions de
plus. Nous aurons peut-être dans quelque temps de la peine à mettre nos
dépenses et nos recettes en équilibre. Il y a des impôts onéreux qui pèsent sur
le peuple, il y a l'impôt sur le sel, nuisible aux pauvres, nuisible à
l'agriculture et que l'on pourrait diminuer. Il y a mille améliorations que nous
repoussons faute de fonds ; je citerai la diminution sur le port des lettres.
Nous sommes bien avares pour les arts, bien avares pour les lettres, et,
messieurs, avec une ressource semblable nous exécuterions de grands ouvrages
d'utilité publique, nous érigerions de grands monuments qui parleraient de nous
à la postérité.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs,
qu'il me soit permis de rendre hommage tout d'abord à la manière dont l'honorable
préopinant a étudié et envisagé la grande question qui nous occupe. C'est à ce
point de vue et non au point de vue d'autres orateurs que je me suis constamment
placé.
En effet, messieurs,
vous avez entendu à la séance d'hier et à la séance d'aujourd'hui plusieurs
honorables membres qui, envisageant fort bien la question, ne l'ont cependant
vue que d'un seul côté, se sont posés, les uns comme défenseurs exclusifs du
sucre indigène, les autres comme défenseurs exclusifs du raffinage et du
commerce du sucre exotique.
Telle n'est pas,
messieurs, la position que le gouvernement a prise et qu'il désire conserver ;
tel ne doit pas être, ce me semble, et j'espère faire passer cette conviction
dans vos esprits, le point de vue de la législature. Si nous devions porter une
loi qui dût ne satisfaire que l'un des trois intérêts, je pense, comme
l'honorable M. de la Coste, que le premier, le plus grand, le plus vital des
intérêts qui sont en cause, est l'intérêt du trésor public. Si nous ne faisons
pas une loi qui soit commerciale et industrielle en même temps que financière,
faisons, messieurs, mais franchement une loi financière. Ainsi faite, la loi
pourrait s'expliquer et se justifier ; mais s'il s'agissait de sacrifier à
l'une des deux industries qui sont en cause l'intérêt du trésor et l'industrie
rivale, nous n'aurions fait qu'un acte de mauvaise législation.
Au point de vue
de la coexistence des deux sucres et d'une certaine recette assurée au trésor,
cherchons, messieurs, quels sont les moyens d'arriver d'une part à la recette
la plus satisfaisante, d'autre part au développement commercial et industriel
le plus étendu.
Permettez-moi,
messieurs, de résumer en quelques mois les systèmes exclusifs.
L'honorable M.
Osy , qui a ouvert hier cette discussion , demande un rendement de 65 à 66 avec
un maximum de 72,58. Il demande que sur le sucre indigène on établisse sans
aucune gradation un impôt de 40 fr.
L'honorable comte
de Renesse demande que la différence d'accise soit fixée au moins à 20 fr. , et
que le rendement sur le sucre exotique soit porté au rendement réel. Toutefois
je pense qu'il n'a pas indiqué de chiffre.
M. de Renesse. - Au rendement
aussi réel que possible.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs,
si l'on veut une loi qui ait le triple caractère que j'ai déjà défini, il faut rester
dans le système de la loi de 1822 , tempéré jusqu'à un certain point pour
garantir les intérêts du trésor. En effet, messieurs, la Belgique, pour le commerce
des sucres, ne peut pas faire la loi au monde. Elle subit nécessairement
l'influence de la législation d'autres peuples.
Si vous voulez
avoir un commerce de sucre qui n'ait pas pour objet exclusif d'alimenter votre
consommation intérieure, qui n'est pas très grande, si, en d'autres termes,
vous voulez avoir une loi commerciale, il faut que les conditions faites par
cette loi soient telles que, mises en rapport avec la législation d'autres
peuples, ce commerce soit réellement possible.
Et ici, messieurs,
j'arrive encore une fois à la question de concurrence avec l'industrie
hollandaise, qui, seule, je puis le dire, nous fait, peut nous faire une active
concurrence sur les marchés étrangers.
L'honorable M.
Osy a fait remarquer qu'en Hollande il existe un rendement différentiel entre
le sucre candi et les autres espèces de sucre exportable. Déjà, messieurs,
j'avais prévenu cette objection en faisant remarquer qu'en tenant compte des
quantités de candis et des quantités d'autres sucres exportés en Hollande, le
rendement moyen ne différait du rendement le plus élevé que de 7/100. Ainsi, le
rendement pour les candis est de 65,85 ; pour les autres il est de 72,97,et en
faisant la moyenne, eu égard aux quantités, le rendement moyen est de 72,90.
Vous voyez donc,
messieurs, qu'en Hollande le rendement différentiel a fort peu d'intérêt comme
chiffre moyen.
J'ai entendu à
cet égard les intéressés eux-mêmes et ils m'ont démontré que le rendement différentiel
n'était pas nécessaire, qu'il pouvait au contraire être nuisible.
En Belgique, la
quantité de candis exportés est relativement, je le reconnais, plus considérable
qu'en Hollande. Cependant la différence entre le rendement moyen et le
rendement le plus élevé, est seulement de 84/100 d'après le calcul que j'ai
fait.
Raisonnons donc
d'après le rendement unique qu'il s'agit d'établir en Belgique et d'après le
rendement moyen qui existe en Hollande, et prenons, non pas l'état de transition
dans lequel se trouve aujourd'hui le commerce hollandais, mais l'état définitif
qui résulte de la loi du 1er avril.
Le rendement moyen,
en Hollande, est donc de 72,90. J'ai eu l'honneur de proposer hier à la chambre
d'établir un rendement de 69,23 : la différence, je le répété encore, est de 3
kil. 67 p. c.
Voici donc, ce
me semble, pour notre industrie, toute autre considération mise de côté, un moyen
certain de lutter contre l'industrie étrangère.
J'ai étudié depuis
hier encore, messieurs, quelle était la force de l'objection que l'on tire
également de la valeur intrinsèque du sucre mis en raffinage. Je dois faire
remarquer d'abord, que si le sucre Havane entre en Belgique dans les mises en
raffinage pour une quotité évaluée à peu près à 64 p. c, d'un autre côté, en
Hollande, le sucre autre que le Java entre pour un quart environ des importations
totales.
J'ai comparé encore,
messieurs, les prix du sucre brut en entrepôt, tant en Hollande qu'à Anvers, et
j'ai trouvé qu'à nuances égales, le sucre Havane était d'une valeur intrinsèque
supérieure à la valeur du sucre Java.
Si même, messieurs,
la comparaison des nuances ne devait pas être faite, s'il fallait descendre
d'une nuance , en quelque sorte, composer la qualité de Java supérieure à la
qualité immédiatement inférieure en sucre Havane, il y aurait encore une
différence de prix dans la valeur intrinsèque des deux sucres.
Il me semble,
messieurs, que dans de telles conditions, avec l'activité, avec les capitaux dont
nos industriels disposent, il leur sera, je ne veux pas dire facile, mais possible,
de reconquérir sur les marchés étrangers une grande partie de la position qu'y
occupent aujourd'hui nos concurrents en industrie.
Il ne faut pas,
messieurs, se faire illusion sur le caractère de cette loi. L'honorable M. de
la Coste a parlé tout à l'heure de la sollicitude qu'il fallait porter aux petites
fabriques ; eh bien, messieurs, l'existence des petites fabriques, travaillant
avec de petits capitaux, dans de mauvaises conditions, n'est pas possible avec
une loi ayant le triple caractère que je désire lui donner. Il faut, dans l'intérêt
de l'industrie et du commerce, qu'il s'opère, à la suite de cette loi, une transformation,
une amélioration des procédés, une amélioration des produits. Autrement la loi
ne serait pas faite en vue du progrès ; la loi serait faite en quelque sorte
pour conserver ce qui existe et si, en fait de commerce de sucres, il fallait
faire une loi pour conserver l'état actuel du commerce des sucres, ce ne serait
vraiment pas la peine de faire une loi nouvelle.
Pour l’une comme
pour l'autre des deux industries, en tenant compte de cette nécessité de la
concurrence, j'ai fait entrer dans mes calculs une amélioration des procédés,
une amélioration considérable des produits. Cette amélioration sera provoquée
par la loi, et elle profitera directement à ceux qui transformeront ainsi leur
industrie pour jouir des bénéfices que la législation leur assurera.
Un autre honorable
préopinant, l'honorable M. Mast de Vries , a présenté, dans la séance d'hier,
un système entièrement différent de celui qui existe. C'est une idée séduisante,
au premier abord, que d'imposer chaque qualité de sucre brut importé d'après la
richesse en produits fins ; mais, messieurs, il resterait un problème pratique
à résoudre et, c'est à la solution de ce problème que l'on travaille depuis
longtemps dans plusieurs pays, sans que l'on soit parvenu encore jusqu'à
présent à l'obtenir,
La richesse du
sucre brut importé est variable, non seulement comme le dit M. de La Coste, d'après
les procédés et d'après la qualité du sucre, mais elle est encore variable
jusqu'à un certain point d'après les conditions faites à l'industrie par la
législation. Quant à la qualité du sucre, le fait est aujourd'hui reconnu, il
est évident, on sait que tel sucre est beaucoup plus riche que tel autre ; mais
ce que personne ne peut dire, c'est la partie de sucre fin que l'on peut
retirer d'une qualité de sucre donnée, personne n'est d'accord sur ce point.
Les procédés ! Mais, messieurs, la discussion qui a eu lieu en Hollande a
montré quelle pouvait être l'influence des procédés. On paraissait généralement
d'accord dans cette discussion que de bonnes fabriques, travaillant à la
vapeur, pouvaient de certains sucres obtenir un rendement de 89, tandis que, si
je ne me trompe, on (page 1638)
n’obtenait des mêmes sucres, avec d'autres procédés, qu'un rendement de 75 à
peu près.
J'ajoute qu'il
y a une troisième cause qui influe sur le rendement, c'est la législation.
Ainsi, depuis
1843, et peut-être avant cette époque, l'on n'avait pas intérêt à retirer du sucre
brut mis en raffinerie toute la quantité de sucre fin qu'il renferme, on n'y
avait pas intérêt, parce que la législation était combinée de telle manière que
l’exportation était onéreuse en certaines circonstances, que le travail se restreignait
incessamment, et que les bas produits acquéraient une valeur exagérée sur le
marché belge.
Dans cette situation,
on avait parfois intérêt à ne pas retirer du sucre brut tout le sucre fin qu'il
renferme, mais à livrer à la consommation intérieure des bas produits plus
riches, et par conséquent d'une plus grande valeur.
J'ai dit, messieurs,
que toute la question soulevée par l’honorable M. Mast de Tries se réduisait à
une question de fait, à la question de savoir s'il est possible, dans l'état
actuel des connaissances pratiques, de constater le degré de richesse des
sucres. Dernièrement, messieurs, dans un pays voisin, où l’on a le même intérêt
que nous à résoudre ce problème, des expériences, des essais ont été faits. Le
Moniteur Belge du 25 et du 27 mars dernier contient le récit des expériences
qui ont été tentées en France, et, je dois le dire, ces expériences sont encore
dans un état tellement imparfait que, pour obtenir qu'elles fussent faites par
les employés belges, il faudrait préalablement transformer tous ceux-ci en
chimistes consommés.
La question est
encore purement scientifique, et des progrès bien plus grands doivent se réaliser
avant qu'elle puisse passer dans le domaine de l'application, avant qu'elle
puisse servir de base à la loi relative aux sucres. II est possible qu'un jour,
ces procédés venant à se simplifier, venant à acquérir un plus haut degré de
certitude, on puisse alors établir la législation sur la richesse relative du
sucre, sur la connaissance du rendement réel ; mais aujourd'hui, je n'hésite
pas à le déclarer, c'est un système qui ne peut pas encore passer dans les
faits.
J'ai écouté, messieurs,
avec beaucoup d'attention, le discours de l’honorable M. Desmaisières, et j'ai
toujours attendu que l'honorable membre nous fît connaître son opinion sur le
projet actuel. J'ai cru cependant comprendre qu'il admettait, lui aussi, le
principe de la coexistence des deux industries et qu'il ne défendait plus le
système des retenues, mais, messieurs, l'honorable membre se préoccupant trop,
je le crains, de l'un des trois intérêts qui sont en cause, a demandé l'égalité
des droits, l'égalité telle qu'elle existe en France.
Je ferai remarquer,
à cet égard, qu'il y a une grande différence entre l'égalité, telle qu'elle
existe en France, et l'égalité, telle qu'on proposerait de l'établir en Belgique.
En France il y a en réalité trois espèces de sucre ; le sucre indigène, produit
de la betterave, le sucre colonial français, et le sucre étranger ; l'égalité
existe en France, non pas avec le sucre étranger, mais entre le sucre colonial
français et le sucre indigène français ; or, messieurs, en réunissant la
production totale du sucre indigène français et du sucre des colonies
françaises, on ne peut pas encore satisfaire à toute la consommation de la
France. Il en résulte que les deux sucres français se trouvent en présence d'un
troisième produit, qui est surtaxé. Ainsi l'égalité nominale qu'on voudrait
introduire en Belgique, ne correspondrait pas avec l'égalité telle qu'elle est
établie par la dernière loi française.
L'égalité des
droits en Belgique serait, dans l'état actuel des choses, incompatible avec le principe
de la coexistence.
J'ai cru comprendre
aussi dans le discours de l'honorable M. Desmaisières, quelque crainte sur les
effets de la faculté laissée au gouvernement d'augmenter le rendement. Cette
crainte, je l'ai rencontrée ailleurs encore, et je tiens à la dissiper.
L'on dit : « Le
gouvernement ne pourrait-il pas un jour, en vertu de cette faculté, créer à l'industrie
des conditions telles que l'exportation devienne impossible ? Si, par exemple,
le rendement, en vertu de l'article 4, était élevé de 4 ou 5 pour cent, soit
au-delà du rendement hollandais, l'exportation serait impossible ; vous
n'auriez encouragé le développement de l'industrie que pour la détruire à un
jour donné. »
Messieurs, il
me semble que le système même de la loi résout cette objection. Si, en effet, le
trésor se contente d'une recette de 3 millions au lieu d'une recette de 5 millions
et demi, qu'il obtiendrait en percevant l'accise intégralement, il est évident qu'une
partie de cette recette est toujours sacrifiée à l'exportation, au système de
la loi, et que dès lors le rendement ne peut pas être élevé dans une proportion
telle que cette prime vienne à disparaître ; si en effet la prime avait
disparu, la recette serait, non pas de 3, mais bien de 5 millions et demi.
J'ai voulu pousser
plus loin mes recherches à cet égard ; je me suis demandé quel devait être le
développement du mouvement commercial pendant un semestre, pour qu'il y eût
lieu à une augmentation du rendement ; je me suis demandé s'il était possible,
dans une hypothèse quelconque, que l'augmentation du rendement, en vertu de la
disposition de la loi, pût être exagérée ; voici comment j'ai procédé :
Pour 100,000 fr.
de diminution de recette, il y aura diminution d'un franc dans la décharge de
l'accise, d'après le projet de loi ; lorsqu'il y aura, par exemple, une recette
de 2,900,000 fr., la décharge devra être diminuée d'un franc. Demandons-nous
donc quelle devra être l'augmentation du mouvement commercial, pour que la
recette fléchisse de 5 à 400,000 fr. en un semestre : ce mouvement est immense,
je dirai presque, il est impossible. Ainsi, dans une des hypothèses que j'ai
calculées, chaque million d'augmentation du mouvement commercial produit
seulement une diminution de 25,000 fr. de recette ; de sorte qu'il faudrait
quatre millions d'augmentation du mouvement commercial, pour qu'il y eût lieu à
la diminution d'un franc à la décharge ; il faudrait donc une augmentation,
dans un seul semestre, de 12 millions de mouvement commercial, c'est-à-dire la
presque totalité de notre mouvement actuel, pour qu'il y eût lieu à une
diminution de 3 fr. à la décharge.
Ayant fait ces
calculs, j'ai été complétement rassuré sur les effets que pouvait avoir l'augmentation
du rendement.
Le système, tel
qu'il vous est proposé d'après les amendements que j'ai eu l'honneur de soumettre
à la chambre, n'est pas un système nouveau, comme on a pu le croire. Comparé à
la législation antérieure, c'est à certains égards un retour aux principes de
la loi de 1822, avec une garantie plus forte, plus efficace, quant aux intérêts
du trésor.
Ce n'est pas non
plus un système nouveau, si on le compare au projet du gouvernement, tel qu'il
a été formulé au mois de février dernier. Seulement, ainsi que j'ai déjà eu
l'honneur de l'expliquer, j'ai cherché s'il n'était pas possible de faire à chacune
des deux industries des conditions meilleures, tout en sauvegardant les intérêts
du trésor et en modifiant ainsi quelques chiffres, j'ai soigneusement maintenu
ce que j'appellerai l'idée mère, le système du projet.
Les faits qui
se sont produits depuis l'ouverture de cette discussion sont entièrement analogues
à ceux qu'a provoqués la présentation du projet lui-même, c'est-à-dire que, de
part et d'autre, les personnes qui s'attachent plutôt à la défense d'un seul
intérêt qu'à l'ensemble du système, ont considéré la pondération comme
primitivement mal établie et aujourd'hui comme imparfaitement maintenue.
Pour moi, je n'hésite
pas à le déclarer, si je voyais que, dans les amendements que j'ai présentés,
j'eusse eu le bonheur de satisfaire complétement l'intérêt de l'une des deux
industries, je serais presque tenté de croire que je me suis trompé, que la
pondération n'existe plus.
- La suite de
la discussion est remise à demain à 1 heure.
La séance est
levée à 4 heures et demie.