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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 4 juin 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1538) M. Huveners procède à l'appel nominal à 1 heure.

- La séance est ouverte.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Luc-Jean Dalleu, cultivateur et boulanger à Poppel, né à Waalwyck (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les sieurs Mairesse, L. et H. Brihay prient la chambre d'accorder au gouvernement le crédit qu'il s'est engagé de demander pendant la session actuelle, pour satisfaire à leurs prétendons à sa charge du chef de pertes essuyées par suite des inondations tendues aux abords de la place de Mons en 1815. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les candidats notaires de l'arrondissement de Mons demandent l'adoption du projet de loi sur l'organisation du notariat. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« La chambre des avoués, établie près la cour d'appel de Liège, prie la chambre de ne point se séparer avant d'avoir discuté le projet de loi qui modifie les tarifs en matière civile. »

« Même demande de la chambre des avoués établie près le tribunal de Louvain. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les fabricants de sucre indigène dans l'arrondissement de Tournay présentent des observations contre le projet de loi sur les sucres. »

M. Dumortier. - Messieurs, cette pétition est d'une grande importance pour la discussion qui va s'ouvrir ; vous savez que deux intérêts vont se trouver en présence, celui du sucre exotique et celui du sucre indigène. Je demanderai à la chambre de vouloir bien ordonner la lecture de cette pétition ; ou, si le temps manque pour cette lecture, d'ordonner l'impression de la pièce an. Moniteur, car il importe que chacun de nous puisse connaître les arguments qu'on fait valoir en faveur de l'industrie du sucre indigène.

M. le ministre des finances (M. Malou). - On pourrait imprimer en-même temps la pétition des armateurs d'Anvers ; ou aurait de cette manière le résumé des arguments présentés par les deux intérêts.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, hier on a décidé que la section centrale serait 'invitée à faire un rapport sur les diverses pétitions qui lui ont été renvoyées. Veut-on revenir sur cette décision ?

Un membre. - Non ! La proposition ne tend pas à infirmer cette décision.

- La chambre ordonne l’impression des deux pétitions au Moniteur ; elle ordonne en outre le renvoi de la pétition de Tournay à la section centrale, qui fera rapport sur celle pétition en même temps que sur les autres pétitions qu'elle a déjà reçues.

Motion d'ordre

Réclamations d'industriels relatives au chemin de fer

M. Delfosse. - Plusieurs industriels m’ont écrit pour se plaindre de ce que le département des travaux publics a laissé inachevé un débarcadère qui doit faciliter les communications entre la Meuse et la station du chemin de fer dite des Guillemins à Liége.

Il paraît que l’achèvement de ce travail, qui est commencé depuis longtemps, n’occasionnerait pas une très forte dépense et qu’il serait d’une grande utilité pour l’industrie ; dans l’état actuel des choses, les frais de chargement et de déchargement des matières pondéreuses, telles que les minerais, les fers, les fontes, les charbons, etc., sont extrêmement considérables.

Les mêmes industriels se plaignent aussi de ce que M. le ministre des travaux publics n’ait pas établi de tarif spécial pour la station de Dolhain-Limbourg ; on paye autant pour les transports de Dolhain à Liège que pour les transports d'Herbesthal à Liège, autant pour trois lieues de moins que pour trois lieues de plus ; cela n'est pas juste.

Je prie M. le ministre des travaux publics d'expliquer pourquoi il n'a pas donné suite aux réclamations pressantes qui lui ont été adressées à ce sujet.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je reconnais que la réclamation faite par l'honorable membre qui vient de se rasseoir, en ce qui concerne l'achèvement du raccordement de la station des Guillemins à la Meuse, est fondée. Il est à ma connaissance que les travaux sont exécutés en très grande partie, et qu'il ne reste que peu de chose à faire pour les achever.

Je reconnais aussi que cet embranchement serait très utile. J'ai demandé cet égard un rapport qui ne m'est pas encore parvenu. Si j'avais plus de latitude pour disposer de mon temps, je me serais rendu sur les lieux pour examiner l'état des choses et rechercher le moyen de lever les difficultés qui ont pu surgir.

Pour ce qui est du tarif à la station de Dolhain, je crois qu'il n'y a pas de mesure spéciale à prendre relativement à cette station. Le principe général en vigueur veut que le prix des transports pour les stations non tarifées soit celui de la station qui précède, au départ et celui de la station qui suit, à l'arrivée. Ce qui existe à Dolhain existe aussi sur d'autres points : je pense que pour être juste envers tout le monde, l'on ne doit modifier cet état de choses que par une mesure générale. Cette question a été soulevée dans la discussion du budget. J'ai dit qu'elle serait examinée et qu'elle serait tranchée dans la loi sur l'exploitation du chemin de fer.

M. Delfosse. - Puisque M. le ministre des travaux publics reconnaît l’utilité du débarcadère, j'espère qu'on ne tardera pas à remettre la main à l'œuvre pour l'achever. M. le ministre des travaux publics vient de nous dire qu'il n'a pas eu le temps de se rendre sur les lieux. Il me semble que quand on a du temps à consacrer à des fêtes, on devrait bien en avoir pour s'occuper des travaux que l'industrie réclame impérieusement.

Je reconnais avec M. le ministre des travaux publics que l'on ne pourrait guère établir un tarif pour la station de Dolhain, sans prendre la même mesure pour d'autres stations qui ne sont pas encore tarifées ; nuis je ne vois pas pourquoi une mesure juste serait écartée, parce qu'elle devrait s'étendre à plusieurs stations.

M. Lesoinne. - Je prie M. le ministre de faire en sorte que ce débarcadère provisoire ne nuise en rien à la traverse par la ville de Liége ; car ce débarcadère ne se rattache à aucun système, il est purement provisoire ; je demande qu'il soit achevé de manière à ne nuire à aucun des travaux projetés.

M. Osy. - La motion de l'honorable M. Delfosse me donne l'occasion de dire à M. le ministre que j'ai reçu encore des plaintes de la part du commerce à cause de manque de waggons à Anvers. L'honorable M. d'Hoffschmidt vous a parlé de la nécessite de transporter des céréales à bon compte dans le Luxembourg. On doit désirer la même chose pour Liège et le Hainaut. Les grains restent en plein air à Anvers parce que les waggons sont retenus à Malines et à Louvain. On aurait besoin de 100 waggons par jour à Anvers, et on en a tout au plus quinze ou vingt. Je désire que M. le ministre fasse accélérer le retour des waggons vides à Anvers pour le transport des marchandises et surtout des céréales dont le pays a besoin.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je n'ai reçu depuis longtemps aucune réclamation du chef du manque de waggons à Anvers ou ailleurs. Le travail de la répartition des waggons s'est beaucoup amélioré Quoi qu'il en soit, je prendrai des renseignements sur le fait qui m'est signalé par l'honorable membre, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour y faire droit.

L'honorable M. Delfosse s'étonne que je puisse avoir du temps à consacrer à des fêles et que je n'en aie pas pour me rendre à Liège.

Jusqu'ici, j'ai personnellement consacré fort peu de temps aux fêtes d'inauguration ; et c'est parce que je me trouvais dans l'impossibilité de m'occuper de cette affaire par moi-même que j'ai dû en déléguer le soin à d'autres.

Les fêtes de ce genre ne sont pas pour les ministres ou leurs agents un objet d'agrément ; c'est une nécessité qu'il faut savoir accepter quand elle se présente.

Je ferai remarquer du reste, que des fêtes de ce genre contribuent à nous maintenir de bonnes relations avec des voisins dont les sympathies ne peuvent nous être indifférentes.

Elles constituent un objet d'intérêt général. Mais elles ne sont une source d'agrément personnel ni pour le ministre, ni pour ses agents.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1846

Rapport de la section centrale

M. de Garcia, rapporteur, donne lecture du rapport suivant. - Messieurs, la section centrale du budget de la guerre pour l'exercice 1846 m'a chargé de vous faire la communication suivante.

Sur la demande de diverses explications, le chef du département de la guerre s'est rendu au sein de la section centrale.

Il lui a fait connaître qu'il présente, comme amendement au budget de 1846, forme par son prédécesseur. les différences existant entre le budget de 1847 et celui de 1846, sauf à compléter ultérieurement ces demandes.

M. le ministre de la guerre a communiqué en outre à la section centrale des tableaux relatifs aux vivres et fourrages et à l'augmentation de la gendarmerie, qui sont de nature à augmenter le chiffre du budget (page 1539) de l’exercice 1846 d’une somme de cinq cent soixante et seize mille francs (576,000 francs).

Cette somme est indispensable si ce budget est voté en détail, puisque, dans ce cas, le ministre est tenu de se renfermer dans les allocations votées pour chaque article Mais si la législature était disposée à accorder un crédit global jusqu'à concurrence de 28,000,000 de fr., le gouvernement pourrait s'engager, au moyen de cette allocation, à subvenir à tous les besoins de l'exercice courant, et même à appliquer à cet exercice les changements proposés au budget de 1847.

Les crédits provisoires accordés au département de la guerre expirent le 15 de ce mois, et si le crédit global dont s'agit n'est pas accordé, le court espace qui nous sépare de cette époque nécessitera la présentation d'une nouvelle demande de crédit provisoire. Il est à observer aussi que la chambre est saisie du budget de la guerre pour l'exercice 1847, et que, si les sections veulent s'en occuper incontinent, il fournira à ta législature l'occasion de traiter prochainement les questions qui peuvent se rattacher au département de la guerre.

L'on doit ajouter que l'exercice actuel est tellement engagé, que, tout en le votant article par article, il serait très difficile, pour ne pas dire impossible, qu'il reçût une exécution complète sous divers rapports, et notamment au point de vue de la réduction de la solde.

La section centrale, après avoir délibéré sur cette question, décide que l'alternative du budget de 1846, voté par articles, ou de crédit global avec l'économie mentionnée plus haut, sera soumise à la chambre.

Elle décide aussi qu'elle proposera à la chambre l'adoption d'un crédit global de 28,000,000 de francs pour l'exercice 1846.

(page 1540) M. le président. - Quand la chambre veut-elle en fixer la discussion ?

M. de Tornaco. - Apres le projet de loi sur les sucres.

M. de Garcia. - Comme j'ai eu l'honneur de le faire connaître, il est urgent que la chambre s'occupe de cette proposition. Car si elle décidait qu'il faut voter le budget pour l'exercice courant, article par article, la section centrale devrait se livrer incontinent à l'examen des articles.

M. de Brouckere. - Je voulais faire précisément l'observation que vient de présenter M. le rapporteur. Je crois qu'il est urgent que la chambre s'occupe de la proposition qui lui est faite par la section centrale, car, si vous n'adoptiez pas le système d'un crédit global, il faudrait que la section centrale se mît immédiatement à l'œuvre et fît l'examen détaillé du budget, afin que nous puissions le discuter avant la fin de la session.

Je crois donc que cet objet devrait venir à l'ordre du jour immédiatement après celui dont nous allons nous occuper.

M. de Garcia. - L'observation que vient de présenter l'honorable M. de Brouckere se trouve appuyée par une autre considération ; c'est que vous n'avez voté des crédits pour le département de la guerre que jusqu'au 15 de ce mois, et que si vous ne vous occupez pas immédiatement de la proposition qui vous est faite, il faudra voter de nouveaux crédits provisoires. Je propose donc de fixer la discussion des conclusions du rapport que je viens de vous présenter après la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer du Luxembourg.

- La proposition de M. de Garcia est mise aux voix et adoptée.


M. le président. - M. Vandensteen, par suite de l'événement malheureux survenu dans sa famille, demande une prolongation de congé.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi acocordant un crédit supplémentaire au budget du ministère dees finances

Discussion de l’article unique

M. Osy. - Messieurs, je vois avec plaisir qu'on va enfin s'occuper de la monnaie qui depuis bien des années n'a pour ainsi dire pas été occupée.

Je veux bien adopter le crédit qui nous est demandé par M. le ministre des finances, mais je ne puis approuver la marche suivie par ce membre du cabinet.

En 1837, l'honorable M. d'Huart a présenté un projet de loi sur la fabrication de la monnaie d'or. Dans la session dernière, l’honorable M. Cogels nous a fait un rapport contraire à ce projet. Depuis lors, M. le ministre des finances a formé une commission qui vient de terminer son travail, et nous en connaissons le résultat.

Il y a eu dans cette commission partage des voix, ou au moins, il y a eu une majorité et une minorité. Quelques-uns des membres ont été d'avis qu'il fallait battre de la monnaie d'or, d'autres s'y sont refusés ou n'ont pas voulu adopter les chiffres proposes par la majorité.

M. le ministre des finances propose de mettre ce projet de 1837 et le projet de la commission en discussion dans quelques jours. Nous avons, messieurs, ici la seconde édition de ce qui s'est passe pour le projet de loi sur l'instruction moyenne. Nous avons demandé au gouvernement de connaître son opinion sur cette question avant de nous en occuper. Le gouvernement n'a pas voulu s'expliquer. La majorité des sections a insisté, et aujourd’hui le gouvernement nous propose ses amendements.

Je demande, messieurs, que le gouvernement nous fasse aussi connaître son opinion en ce qui concerne la fabrication de la monnaie d'or ; qu'il nous dise s'il se rallie à l'avis de la majorité de la commission, ou à l'avis de la minorité, afin que, lorsque le jour de la discussion sera venu, nous sachions au moins sur quoi nous discutons. Je demande donc que le gouvernement veuille bien nous présenter soit son projet nouveau, soit les amendements qu'il entend proposer au projet présenté par M. d'Huart, en 1837. Je crois que M. le ministre trouvera cette marche plus rationnelle.

Du reste, comme j'espère que nous pourrons faire quelques changements à la loi de 1832, je voterai le crédit demande pour qu'au moins l'hôtel des monnaies soit prêt au moment où nous pourrons battre de la monnaie d'or. Mais je dis que la marche que M. le ministre propose de suivre ne convient nullement, car les membres de la chambre ne sauront pas sur quoi s'appuyer lors de la discussion.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, dans diverses occasions, lorsque des projets présentes par le gouvernement ont été mis en discussion, j'ai soumis à la chambre, au début de la discussion, les amendements qui me paraissaient nécessaires. C'est ainsi, pour ne citer que deux lois, que j'ai agi pour les lois relatives aux entrepôts et à la comptabilité ; et l’expérience même de nos débats a prouvé qu'il n'en résultait aucun embarras. Je me propose, messieurs, en ce qui concerne la monnaie d'or, d'agir de la même manière. La discussion s'établira naturellement sur le projet du gouvernement dont la commission a proposé le rejet et sur les amendements que j'aurai l'honneur de proposer au début de la discussion.

Cependant, messieurs, puisque l'honorable membre le désire, je dirai que si je n'avais pas une opinion conforme à celle de mon honorable prédécesseur et ami M. d'Huart, je n'aurais pas demandé la mise à l'ordre du jour de ce projet, en présence du rapport de l’honorable M. Cogels. Je me propose donc de défendre devant la chambre le système de la majorité de la commission nouvelle que j'ai instituée, sauf quelques points accessoires, en d'autres termes, de défendre le système qui permettra à la Belgique d'avoir une monnaie d'or.

M. Pirmez. - Je dois, messieurs, renouveler l'observation que j'ai faite il y a quelques jours. Nous avons sur le même billet de convocation un projet qui tend à faire frapper une nouvelle espèce de monnaie et un projet de crédit pour préparer des instruments nécessaires à la fabrication de la monnaie ; n'était-il pas naturel de voter le projet qui a pour objet la création des instruments, après la loi qui permettra de frapper une nouvelle espèce de monnaie. Et cette observation, messieurs, n'est pas aussi futile qu'elle pourrait le paraître au premier abord. Lorsque nous donnons notre assentiment à un projet de loi, nous sommes parfois mus par des considérations différentes ; ainsi, par exemple, quelques-uns d'entre nous pourraient dire : Puisque nous avons déjà voté 80,000 fr. pour établir un affinage de métaux précieux, puisque nous avons fait cette dépense, nous battrons de la monnaie d'or. Cette considération pourrait induire quelques membres à voter en faveur du projet relatif à la monnaie d'or.

Je ne vois pas quel inconvénient il peut y avoir à ajourner de deux ou trois jours l'emploi du crédit de 80,000 fr. : dans deux ou trois jours, vous vous occuperez de la question de savoir si vous voulez, oui ou non, qu'il soit frappé une nouvelle espèce de monnaie, et il serait raisonnable de ne statuer sur le crédit de 80,000 fr. que lorsque vous aurez décidé cette question. Remarquez, messieurs, que quand vous examinerez la question de la monnaie d'or, vous vous occuperez probablement en même temps de plusieurs questions qui touchent à la fabrication de la monnaie d'argent.

Vous traiterez une foule de questions dont la solution peut exercer une grande influence sur le projet de loi de crédit de 80,000 fr. Je ne vois donc pas pourquoi l'on veut absolument voter ce crédit avant le projet relatif à la monnaie d'or.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, les observations que vous venez d'entendre, ont déjà été produites, et malgré ces observations, la chambre a maintenu le projet à l'ordre du jour, à la place qu'il y occupe ; je pourrais donc proposer la question préalable. J'insiste, parce que je crois à l'urgence des travaux d'appropriation de la Monnaie, dans toute hypothèse, soit qu'on rejette, soit qu'on adopte la fabrication de la monnaie d'or.

En effet, je ne pense pas qu'un grand nombre, de membres de cette chambre soient d'avis de mettre en contestation le système monétaire tout entier, de se demander s'il est nécessaire pour la Belgique d'avoir de la monnaie d'argent et de la monnaie de cuivre. Or, en supposant même qu'il ne fallût à la Belgique que des monnaies d'argent et de cuivre, le crédit demandé serait nécessaire, parce que, dans l'état actuel des choses, il est impossible de rien faire. J'ai vu par moi-même la Monnaie ; beaucoup d'ustensiles, pour qu'on puisse fabriquer, doivent être renouvelés en tout ou en partie. Le crédit est donc nécessaire, dans toute hypothèse.

Quant aux motifs d’urgence, j'ai déjà eu l'honneur de les indiquer ; le sénat se réunit aujourd'hui ; il est probable qu'une autre réunion n'aura lieu que beaucoup plus tard. Or, le projet de loi relatif à la monnaie d'or, en supposant qu'il ne soit pas primé ultérieurement par d'autres projets de loi plus importants, se trouve à l'ordre du jour après la loi des sucres. Il ne s'agirait donc pas d'un retard de deux ou trois jours, mais d'un retard, en quelque sorte, indéfini.

M. Lebeau. - Messieurs, je voulais aussi présenter l'observation que vous a faite l'honorable M. Pirmez. Je reconnais pourtant que sur la motion de M. le ministre des finances, la chambre a passé outre, et a maintenu l'ordre du jour qui était demandé par lui. M. le ministre vient de déclarer itérativement que, dans tout état de cause, il faut des frais d'appropriation à l'hôtel de la Monnaie, ne fût-ce que pour continuer la fabrication de l'argent et du cuivre. Il ne me semble pas indifférent, cependant, pour la fixation du taux du crédit, de savoir si l'un fabriquera ou non de la monnaie d'or, car en cas d'affirmative, il en résulterait un accroissement de dépenses, et le crédit à accorder devrait s'en ressentit.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Ces dépenses sont comprises dans le crédit.

M. Lebeau. - Si elles y sont comprises, c'est prématurément ; c'est préjuger le vote de la chambre, quant à la fabrication de la monnaie d'or. Si elles n'y sont pas comprises, il faudra donc un crédit supplémentaire.

Du reste, je n'insiste pas sur cette observation.

Je dois appeler l'attention de M. le ministre des finances sur un autre point. J'ai entendu divers négociants émettre une idée que je crois devoir porter à cette tribune ; ces négociants ont pensé que la translation de l'administration des postes à l'hôtel de la Monnaie serait fort utile pour ceux qui ont des relations avec cette administration. Les relations avec l'hôtel actuel de l'administration des postes sont difficiles ; l'hôtel est situé dans une rue étroite, encombrée de voitures, tandis que l'hôtel des monnaies est admirablement disposé pour une administration des postes ; l'approche en est très facile ; et il se présente une circonstance tout exceptionnelle qui paraît futile au premier abord, mais qui n'est pas sans importance : c'est que, si je suis bien informé, personne n'est logé à l'hôtel de la Monnaie en ce moment. (Interruption.) Je ne croyais pas que la partie de l'hôtel des monnaies affecte au logement du directeur, fût déjà occupée ; on m'avait dit le contraire.

Quoi qu'il en soit, j'ai cru devoir me rendre l'écho des réclamations que j'ai entendues de la part d'un certain nombre de négociants de Bruxelles, ces négociants, je le répète, se plaignent de la situation actuelle de l'hôtel des postes, et ils pensant que puisqu’il s'agit de faire des dépenses d'appropriation à l'hôtel de la Monnaie, on pouvait très bien saisir cette occasion pour déplacer la Monnaie, et pour céder l'hôtel qu'elle occupe maintenant, à une administration qui doit être dans une situation tout à fait centrale, puisqu'elle est en rapport continuel avec un public nombreux.

(page 1541) M. Rodenbach. - Lors de la discussion du budget des finances, je me suis élevé très souvent contre le chiffre des traitements qu'on accordait au président et aux membres de la commission des monnaies. J'ai dit que la besogne de ces fonctionnaires n'était pas proportionnée à leur salaire ; j'ai également critiqué la demande qu'on fait annuellement, d'allocations très considérables pour la fabrications de coins, livraisons de coussinets, etc. ; or, avec une administration immensément chère, nous avons battu seulement environ deux millions par an ; deux millions par an, cela ne fait à peu près que 40,000 fr. par semaine. La monnaie de Lille bal jusqu'à 5 à 400,000 fr. par semaine.

Il me semble donc que si nous voulons, comme dans les pays voisins, conserver un hôtel de Monnaies, nous devons voter les 80,000 fr. qu'on nous demande, pour ne pas perdre le fruit des sommes énormes que nous avons déjà dépensées depuis 13 ans.

Ces 80,000 fr. ne sont pas seulement destinés à l’établissement d'un atelier d'affinage ; il faut encore d'autres travaux d'appropriation. Si je suis bien instruit, le président directeur s'est plaint souvent, à juste titre, que le ministère ne l'a pas suffisamment soutenu pour introduire des améliorations et établir un atelier d'affinage. Nous avons voulu une monnaie, nous devons être conséquents avec notre vote, et nous devons voter les 80,000 fr.

Messieurs, si le directeur doit faire affiner de l'argent en France, il a à supporter des frais d'affinage et de transport ; il est impossible qu'il soutienne la concurrence ; je crois qu'il est d'autant plus nécessaire de voter 80,000 fr. que sous peu, je pense, la monnaie de Lille sera supprimée ; c'est en motif de plus pour que nous battions enfin véritablement de la monnaie en Belgique. Car la suppression de la Monnaie de Lille contribuera à la prospérité de la nôtre.

Ces diverses raisons justifient le crédit demandé. Ou a parlé de la monnaie d'or ; je pense que le système que propose le gouvernement pour en battre triomphera et que nous aurons également de la monnaie d'or dans le pays.

Un honorable membre a exprimé dans la section centrale l'opinion qu'on pourrait se passer en Belgique d'un hôtel de Monnaie. C'est une théorie spéculative, j'aurais été porte à l'admettre si je n'avais vu que dans tous les pays on bat monnaie. Mais si le système français qui existe en Belgique peut s'exécuter en France, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas l'exécuter chez nous.

D'ailleurs, d'après la convention, insérée dans l'exposé du projet de loi, passée entre le directeur et le ministre des finances, le directeur s'engage à battre de l'argent plus tard ; quand le projet de loi qui est déjà à l'ordre du jour sera voté, tout porte à croire que nous pourrons battre de l'or.

Je pense qu'il est de la dignité du pays d'en battre, d'autant plus que nous avons fait d'immenses dépenses pour n'avoir fabriqué en tout que 24 millions en treize ans, tandis qu'à Lille, je le répète, on bat parfois pour 4 à 500 mille fr. par semaine. Il est ridicule d'avoir un établissement qui coûte des sommes énormes en émoluments, car les commissaires et une foule d'autres employés doivent être payés annuellement quelque minime que soit la somme de monnaie qu'on batte. C'est pour ces divers motifs qui je voterai les 80,000 francs.

M. Pirmez. - M. le ministre des finances vous a dit qu'il y avait urgence de voter le projet qui nous occupe ; M. le ministre des finances sait fort bien qu'avec le système français et le voisinage de la France, nous n'aurons ni plus ni moins de monnaie d'or et d'argent, que nous en battions ou que nous n'en battions pas. Ainsi il n'y a pas urgence à faire passer cette loi avant l'autre.

On a dit que dans la section centrale j'avais prétendu que nous pouvions nous passer d'hôtel des monnaies. J'ai pu dire que si nous n'avions pas d'hôtel de monnaie, notre système étant le système français, nous n'aurions pas un franc monnayé de plus ou de moins en Belgique et que nous épargnerions les frais ou primes de fabrication. Si je n'ai pas dit cela en section centrale, je le dis ici ; mais je n'ai pas prétendu pour cela que nous ne devions pas avoir d'hôtel des monnaies. On attache généralement une idée de dignité nationale à battre de la monnaie, et je ne l'ai pas attaquée.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Les dépenses qu'il s'agit de faire à la Monnaie, d'après l'exposé des motifs et le devis, consistent, d'une part, en appropriation de locaux, en bâtisses, et d'autre part, en renouvellement ou amélioration du matériel qui, aujourd'hui, appartient à l'Etat. Ce serait une erreur de croire que même, quant au matériel, la solution qui sera donnée par la chambre à la question de la fabrication de la monnaie d'or, puisse avoir quelque influence. On conçoit que dans un pays comme la Belgique, la simultanéité de la fabrication de la monnaie d'or et d'argent pendant une année entière, est presque impossible. Ainsi, la presse qui servira aux pièces d'un et de deux francs, servira aussi à faire, s'il y a lieu, des pièces d'or. Ainsi, qu'on frappe de l'or ou qu'on n'en frappe pas, le renouvellement du matériel est nécessaire en toute hypothèse. Quant aux instruments d'affinage, c'est presque exclusivement pour la fabrication de la monnaie d'argent qu'on les établirait. Il n'est pas d'usage, m'assure-t-on, d'affiner l'or. Quand il est à un titre inférieur ou supérieur au titre monétaire, on l'y amène en y ajoutant soit de l'alliage soit de l'or pur. L'affinage est donc surtout nécessaire pour la fabrication de la monnaie d'argent.

Je viens à un autre point, l’hôtel de la poste est rue de l'Evêque presque vis-à-vis de l'hôtel des monnaies. Si l'hôtel des monnaies pouvait être transformé en hôtel des postes, l'accès en serait plus facile et le commerce y trouverait quelque avantage.

Je me suis occupé du transfert de l'hôtel des postes dans un autre local, parce que celui où il se trouve est tenu à bail et que nous trouvions quelque difficulté à renouveler ce bail. Il m'a été impossible d'arriver à une solution.

Je me proposais d'atteindre un autre but, auquel je ne désespère pas cependant de parvenir, le voulais réaliser quelques économies en réunissant dans un seul hôtel les bureaux dissimulés dans un certain nombre de locaux à Bruxelles. Je continuerai à agir dans ce sens. Si je réussis, le résultat sera l'acquisition d'un immeuble où je pourrai réunir les différentes administrations disséminées dans la ville de Bruxelles et qui occasionnent des dépenses trop considérables.

Le bail de l'hôtel de la poste est renouvelé, le transfert de l'administration de la poste à l'hôtel de la Monnaie et de la Monnaie à l'hôtel de la poste ou ailleurs occasionnerait une dépense considérable, car il y a une foule de dépenses en constructions qui devraient être faites à l'hôtel des postes, et on ne pourrait pas faire de pareilles dépenses dans un hôtel dont l'Etat serait seulement locataire.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne suis pas partisan de la loi qui vous est présentée. Je regarde la dépense qu'on vous propose d'autoriser comme devant être faite en pure perte. Quel est le principe en matière de fabrication de monnaie ? Que la dépense du matériel et tous les frais de fabrication doivent être supportés par l'entrepreneur. Il a les bénéfices, il doit faire les dépenses. Sous le gouvernement hollandais, c'était M.de Bourgogne qui était directeur de la Monnaie.

Il avait fait des dépenses pendant sa direction ; quand il a cessé d'être directeur, l'honorable M. de Brouckere a repris, sur inventaire, le matériel qui avait été payé par M. de Bourgogne. L'honorable M. Ch. de Brouckere retiré des fonctions de directeur, son successeur a repris également de son prédécesseur le matériel sur inventaire. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement viendrait faire des dépenses qui incombent au nouveau titulaire.

Vous avez une entreprise du Moniteur, fournissez-vous à l'imprimeur les presses et les caractères ? Quand il aura fini son contrat, il cédera son matériel à son successeur. De même, vous avez la poste, fournissez-vous les écuries et les chevaux à celui qui a entrepris les transports de la poste ?

Il a le bénéfice de l'opération ; il doit également en supporter la perte. Les dépenses dont il s'agit doivent donc incomber au directeur de la monnaie. Lorsqu'il cessera ses fonctions, il présentera l'inventaire à son successeur qui en payera le montant. Voilà comment les choses se sont passées jusqu'à présent. Il n'y a aucun motif pour innover à cet égard.

Les opérations de la fabrication de la monnaie, quand elles sont bien conduites, donnent d'énormes bénéfices. En France, la plupart des directeurs des monnaies ont fait de très grandes fortunes. Un homme, éminent en matière de finances, me disait il y a peu de jours que s'il n'était pas à la tête de plusieurs opérations, il aurait sollicité la direction de la monnaie, attendu qu'en faisant une dépense de 60,000 fr. pour l'établissement d'un atelier d'affinage, il était sûr de gagner annuellement de 60 à 80 mille fr. '

D'après cela je ne vois pas pourquoi l'Etat ferait pour le directeur de la monnaie la dépense de rétablissement d’un atelier d'affinage, évidemment à la charge de ce dernier. Il y a un arrangement à forfait. Le gouvernement ne fait pas les bénéfices ; il ne doit pas supporter les dépenses.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Les raisonnements de l'honorable préopinant seraient parfaitement justes, si les faits étaient tels qu'ils les présente.

Mais d'abord, quant à la nature du contrat entre le gouvernement et le directeur de la monnaie, l'honorable membre est dans une erreur complète. Le bénéfice de la fabrication de la monnaie de cuivre appartient à l'Etat ; le budget de cette année en offre la preuve. D'après le projet présenté par l'honorable M. d'Huart, projet que je défendrai en principe, le bénéfice de la fabrication de l'or appartiendrait également à l'Etat. Quant à l'argent, en Belgique, comme dans d'autres pays, on a jusqu'à présent admis que le directeur de la monnaie fabriquait à son compte. Cependant ce n'est pas un principe invariable.

J’ai de grandes réductions à opérer sur les bénéfices que l'on suppose avoir été réalisés par le directeur de la monnaie. Ces bénéfices ont été parfaitement nuls. C'est-à-dire que le prix de l'argent et la position de la Belgique relativement aux marchés de métaux a été telle, que pour avoir de la monnaie d'argent, pour fabriquer seulement 21 millions de monnaie d'argent dans l'espace de quatorze années, il a fallu accorder des primes au directeur de la monnaie.

Ce malin, j'ai vu le compte d'une fabrication considérable. Il résulte de ce compte que, malgré la prime payée par l'Etat, le directeur, sur une fa-bricalioridel,500,0t,0 fr., a perdu environ 5,000 fr. Voilà ces énormes bénéfices que l'on prétend avoir été faits depuis 18501

Vous voyez de quelle manière est faite la répartition des bénéfices. Pour deux espèces de monnaie, le bénéfice revient au gouvernement ; pour l'argent, si bénéfice il y a, il revient au directeur.

Le matériel est également partagé. Il existe à la Monnaie deux matériels : l'un cédé par M. de Bourgogne a M. de Brouckere, l'autre appartenant à l'Etat. Ce dernier est presque exclusivement celui qui est établi à demeure fixe ; les presses, la machine à vapeur sont les objets les plus importants.

Le contrat passé avec le nouveau directeur, maintient la distinction dans la propriété du matériel, telle qu'elle existe en Belgique et ailleurs.

Ainsi le nouveau directeur s'est engagé à compléter et à améliorer la partie du matériel appartenant au directeur de la fabrication de la monnaie ; le gouvernement s'est engagé de son côté à compléter et améliorer le matériel qui lui appartient. Je le répète, c'est en général le matériel qui tient à perpétuelle demeure à l'hôtel des monnaies.

Une autre dépense doit être faite. Je ne comprends pas comment on pourra l'imposer au directeur de la monnaie, qui est un fonctionnaire (page 1542) révocable. Il s'agit de changer l’état des locaux, de bâtir un atelier d’affinage. Evidemment, cette dépense ne peut être imposée au directeur.

M. Dumortier. - Quel est le montant de cette dépense ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - Voici l'emploi approximatif du crédit tel qu'il est indiqué à la page 2 de l'exposé des motifs :

« Démolition partielle et reconstruction pour l’atelier d'affinage : fr. 30,000

« Déplacement des essayeurs et graveurs, fr. 8,000

« Rehaussement d'un bâtiment pour la commission, fr. 6,000

« Réparation et renouvellement partiel des machines (cylindres, presses, machines à vapeur, etc.), fr. 36,000

« Total : fr. 80,000. »

Il ne résulte pas de là que le gouvernement va créer un atelier d'affinage pour le nouveau directeur de la monnaie, mais seulement que le gouvernement va créer le local pour l'affinage. Le nouveau directeur, pour mettre l'atelier en activité, devra faire, de son côté, une dépense qu'on évalue de 75 à 80 mille francs.

Après avoir fait ces dépenses, le. directeur qui est révocable, qui peut renoncer à son mandat, conservera la propriété de cette partie du matériel, comme aussi la propriété du matériel qu'il a repris à son compte.

J'ai relu, depuis quelque temps, les discussions qui ont eu lieu à diverses époques sur la fabrication de la monnaie en Belgique. Presque toujours ou a ajouté foi à des bénéfices immenses sur la fabrication de la monnaie. La réalité ne répond pas à ces appréciations.

La liberté de l'industrie existe en Belgique ; s'il est vrai qu'un atelier d'affinage dont l'établissement coûte 80,000 fr. puisse donner un bénéfice de 60 à 80,000 fr. par an, c'est-à-dire rembourser le capital en un an, je m’étonne que personne n'ait jusqu'à présent établi un affinage, puisque la création en est évidemment libre.

On m'a assuré, au contraire, que la société générale, qui avait établi, avant 1830, un atelier d'affinage, avait été bien loin d'y trouver ces énormes bénéfices.

M. Dumortier. - Je répondrai d'abord à la dernière observation de M. le ministre des finances. Il demande comment, avec la liberté d'industrie, on n'a pas encore construit un atelier d'affinage qui rapporterait annuellement la somme de 60,000 fr. qu'il coûterait à établir. La raison en est simple, c'est qu'un atelier d'affinage est une dépendance d'un établissement de fabrication de monnaie. Si la Société générale n'a plus son atelier d'affinage, c'est précisément parce qu'elle ne bat pas monnaie.

Dans tous les pays l’établissement d'affinage est attaché à la monnaie, et dans tous les pays l'établissement d'affinage, comme le reste de la monnaie, est à la charge de l'entrepreneur. C'est une entreprise à forfait, dans laquelle l’entrepreneur doit trouver des bénéfices, mais dans laquelle il doit aussi supporter la perte.

Mais, dit M. le ministre des finances, ces bénéfices ne sont pas aussi considérables qu'on le prétend : ils ne sont que négatifs. Messieurs, je n'ai certainement pas entendu parler des bénéfices qui auraient pu être faits depuis 1830.Vous savez tous que depuis 1830 c'est à peine si l'on a battu monnaie en Belgique, ce qu'il faut surtout attribuer à ce que nous n'avons pas d'établissement d'affinage. C'est à cette absence d'un établissement d'affinage qu'il faut attribuer la position d'infériorité dans laquelle la Monnaie de Belgique s'est constamment trouvée vis-à-vis des autres établissements du même genre. Mais que fallait-il faire en concluant un nouveau contrat ? Il fallait faire de la création d'un établissement d’affinage une condition de l'entreprise.

On a aussi parlé d'une perte de 3,000 fr. sur 1,500,000 fr. de monnaie battue, qu'aurait éprouvée l'ancien directeur de la monnaie. Messieurs, je conçois très bien cette perte. Alors qu'il s'agissait de la conversion de 1,500,000 fr. de vieilles monnaies de billon, un établissement d'affinage devenait surtout nécessaire ; il n'en existait pas. Que fallait-il faire ? Il fallait envoyer les lingots à l'étranger pour les affiner ; et il en résultait des frais considérables. Du reste, messieurs, cela ne prouve qu'une choc : c'est qu'il faut avoir en Belgique un établissement d'affinage, mais cela ne prouve pas que le gouvernement doive en supporter les frais.

On dit encore : il y a deux inventaires : l'un pour le matériel du gouvernement, l’autre pour le matériel de l'entrepreneur. Mais je ne vois pas de motifs d'augmenter l'inventaire de l'Etat. Que l'entrepreneur augmente le sien. S'il ne reste que quelque temps à la tête de l'établissement, il passera son matériel à son successeur qui lui en payera le prix. Si, au contraire, il reste longtemps à la tête de l'établissement, si celui-ci marche bien et s'il y a réduction sur la valeur de ce matériel par suite de détérioration, cette réduction sera couverte et au-delà par les bénéfices. Dès lors, je le répète, je ne conçois pas comment on fait supporter des frais à l'Etat pour l'établissement d'une entreprise qui n'est autre chose qu'un forfait. Je maintiens que cette dépense doit incomber au directeur ; et quoi qu'on en puisse dire, en France et en Belgique les directeurs des monnaies ont fait d'assez beaux bénéfices pour croire que cette opération est bonne lorsqu'elle est bien dirigée et lorsque celui qui est en charge en fait son unique affaire.

M. Manilius. - Messieurs, je ne m'occuperai pas de la question de savoir si c'est le directeur de la monnaie ou le gouvernement qui doit aviser aux moyens d'établir les usines peur l'affinage. Mais une déclaration faite tout à l’heure par M. le ministre des finances me préoccupe tout particulièrement, et je me lève pour lui demander des éclaircissements sur cette déclaration.

Il semble que dans l'opinion du gouvernement l'hôtel actuel des postes ne répond pas suffisamment à sa destination, ou tout au moins qu’il se trouve placé dans une rue fort incommode. Il semble aussi que, d’après un examen auquel s’est livré M. le ministre des finances, l’hôtel de la monnaie conviendrait parfaitement pour y établir les bureaux de la poste, pour lesquels il cherche un nouveau local.

Dans cette situation, messieurs, je ne crois pas qu'il serait prudent, que ce soit pour le compte du directeur de la Monnaie ou pour celui du gouvernement, de faire de bâtisses et des dépenses considérables, et par conséquent de voter le crédit de 80,000 francs, dans l'incertitude où nous sommes si la dépense ne se fera pas inutilement.

Je pense donc que nous ferons bien de ne pas voter aujourd'hui le projet, sans pour cela repousser le principe de la création d'un établissement d'affinage, et d'attendre que le gouvernement ait trouvé un local convenable soit pour y établir la Monnaie, soit pour y établir les bureaux de la poste.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je me serai sans doute mal expliqué, car les observations que j'ai faites à la chambre tendaient précisément à démontrer qu'il n'y avait aucun avantage à déplacer la Monnaie et qu'il en résulterait de grandes dépenses.

Messieurs, si je poursuivais le déplacement de la Monnaie et si je vous demandais en même temps l'autorisation de construire de nouveaux locaux pour l'affinage, je ferais (pardonnez-moi cette expression, puisqu'elle s'adresserait à moi-même), deux choses contradictoires et parfaitement absurdes. C'est donc en prenant pour point de départ le fait dès à présent acquis, que la Monnaie doit rester où elle est, que je viens demander ce crédit.

Mes recherches ont eu un tout autre objet ; c'était, ainsi que je l'ai dit, de procurer à l'Etat une économie, en trouvant un local où l'on puisse établir des bureaux et diverses administrations éparses aujourd'hui et qui coûtent au gouvernement beaucoup plus qu'ils ne doivent coûter. Ce projet, je le rattachais, au déplacement des bureaux de la poste, déplacement pour le moment abandonné puisque le bail est renouvelé.

Les inconvénients que présente le local actuel ne sont d'ailleurs pas très grands. A peine y a-t-il quelques pas de distance entre l'entrée de l'hôtel des monnaies et l'entrée de l'hôtel des postes. La circulation, ainsi que l’a fait remarquer l'honorable M. Lebeau, serait à la vérité beaucoup plus facile, si les postes étaient transférées dans l'hôtel des monnaies. Mais ce motif n'est pas décisif, loin de là, puisqu’il en résulterait une dépense immense et qu'aujourd'hui la poste a une position centrale, la seule que le commerce doive désirer.

L’honorable M. Dumortier pense que si l'on n'a pas établi d'affinage en Belgique, c'est parce qu'on n’avait pas le droit de faire battre monnaie au moyen de l'argent ou de l'or produit par l'affinage. Je me bornerai, en réponse à cette observation, à vous donner lecture de l'article 27 de la loi monétaire du 5 juin 1832 : « Il ne pourra être exigé de ceux qui porteront des matières d'or ou d'argent à la Monnaie que les frais de fabrication. Ces frais sont fixés à 9 fr. par kilogramme pour l'or et à 3 fr. par kilogramme pour l'argent. »

Vous voyez donc que si l'on avait pu compter, en créant un établissement d’affinage, de couvrir les frais d'établissement en un ou deux ans, on ne se serait pas fait faute de le créer, puisqu'on aurait pu porter tous les jours à la Monnaie les lingots affinés pour les faire convertir en pièces d'or ou d'argent.

L'opération dont j'ai parlé n'est pas du tout celle qui a suivi la démonétisation des anciennes monnaies. Cette opération date du premier semestre de1835 ; il s'agissait exclusivement de la conversion des lingots en pièces de 5 francs ou autres monnaies d'argent.

J'ai déjà indiqué à la chambre les motifs de la division du matériel telle qu'elle existe. Ce motif est précisément le partage des bénéfices. Les bénéfices pour la fabrication du cuivre et pour la fabrication éventuelle de l'or appartiendront à l'Etat, et le directeur aura seulement le bénéfice éventuel de la fabrication de l'argent.

M. Verhaegen. - Il résulte, messieurs, des discours qui viennent d'être prononces (et d’ailleurs cela est conforme à la loi sur notre système monétaire), que la fabrication de la monnaie, au moins des espèces d'argent, est une opération purement matérielle, purement mercantile, une entreprise ordinaire en un mot. Mais si c'est une opération purement matérielle, à laquelle sont attachés des bénéfices considérables, au dire d'un honorable préopinant, pourquoi donc cette opération ne fait-elle pas l'objet d'une adjudication publique, comme toutes les autres opérations qui se font pour le compte de l'Etat ? Pourquoi ne cherche-t-on pas, au moyen d'une mise au rabais, à concilier les charges qui incombent au gouvernement, relativement à la fabrication des espèces de cuivre et des espèces d’or, avec les avantages qui résultent pour l'entrepreneur de la fabrication des espèces d'argent.

Aujourd'hui, messieurs, le gouvernement est tenu de remplir certaines obligations très onéreuses sans compensation aucune ; le crédit de 80.000 fr. qu'on nous demande est même destiné à doubler les bénéfices de l'entrepreneur ; pourquoi ne ferait-on pas cesser cet étal de choses ? Pourquoi dans un cahier des charges dans lequel le gouvernement stipulerait d'ailleurs toutes ses garanties, ne pourrait-on pas concilier les obligations de l'Etat avec les avantages accordés à l'entrepreneur ? De cette manière rien ne serait laissé dans le vague : les droits du gouvernement et ceux de l'entrepreneur seraient établis par le cahier des charges ; et celui qui, dans l'adjudication publique, offrirait le plus d'avantage au gouvernement obtiendrait la préférence.

Je comprends, messieurs, qu'il eût été difficile de prendre une semblable mesure, lorsqu’il y avait un directeur en titre, un directeur qui aurait succédé à feu M.de Bourgogne ; qu'il eut été difficile de déplacer l'homme qui était là, envers lequel on était lié par contrat ; mais ce directeur ayant donné sa démission, il y avait table rase et dès lors, on pouvait, sans inconvénient, tenter la voie d’adjudication publique, toujours favorable à l’Etat.

Ainsi que vient de le dire M. le ministre, une partie du matériel appartient au gouvernement, et c'est pour augmenter cette partie qu'il demande un crédit de 80,000 fr. ; une autre partie du matériel appartient à (page 1543) l'entrepreneur ; l'entrepreneur n'est chargé pour son compte que de la fabrication des espèces d'argent, le gouvernement se réserve la fabrication des espèces d'or et des espèces de cuivre et c'est pour la fabrication dis espèces d'or et de la monnaie de cuivre que le gouvernement doit avoir son matériel.

Il me semble qu'on pourrait stipuler dans un cahier des charges que l'entrepreneur serait chargé à forfait pour compte du gouvernement de la fabrication que le gouvernement s'est réservée, en même temps qu'il exécuterait l'entreprise dans son propre intérêt, pour les espèces d'argent ; dans ce cas, le gouvernement n'aurait plus besoin de matériel, et des économies assez notables seraient la conséquence de cette mesure.

Du reste, messieurs, si l'entreprise de la monnaie présente tant d'avantage, je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne prendrait pas pour cette entreprise l'offre la plus avantageuse, pourquoi il ne tenterait pas l'adjudication publique.

Nous avons malheureusement, messieurs, un grand vice dans plusieurs de nos administrations, et ce vice porte des fruits amers, c'est qu'on substitue toujours les arrangements particuliers à l'adjudication publique.

Quant à l'hôtel de la Monnaie, je ne sais pas s'il pourrait convenir, plus que tout autre, à l'administration des postes, j’en doute ; c'est une question que je n'examinerai pas, mais ce qui me paraît certain, c'est que pour fabriquer de la monnaie, n'importe de quelle espèce de monnaie, il ne faut pas un grand hôtel situé au centre de la ville L'hôtel actuel des monnaies pourrait présenter de grands avantages au gouvernement ; s'il ne veut pas y placer la poste, il pourrait y donner bien d'autres destinations. C'est un établissement d'une valeur considérable, et je ne vois pas qu'un semblable établissement soit nécessaire pour y faire des opérations purement matérielles. On peut fabriquer de la monnaie n'importe à quel bout de la ville, à la porte de Hal, par exemple, tout aussi bien que dans un quartier du centre, où les propriétés ont le plus de valeur Ce n'est pas pour avoir le plaisir de dire : « Nous avons un hôtel des monnaies », que nous devons faire des sacrifices de cette nature.

En résumé, messieurs, je pense que si l'on voulait réellement soigner les intérêts de l'Etat, on ferait une adjudication publique ; alors celui qui offrirait le plus d'avantages aurait l'entreprise. Je pense ensuite qu'il n'est pas nécessaire, pour fabriquer de la monnaie, d'avoir un hôtel comme celui que nous avons maintenant. Cet hôtel, si on ne veut pas y transférer la poste, pourrait recevoir toute autre destination.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la question n'est pas seulement de savoir si l'hôtel des monnaies doit être au centre de Bruxelles ou s'il ne doit pas y être. Si la monnaie n'était pas où elle se trouve, je ne viendrais très probablement pas proposer à la chambre de l'y mettre ; mais l'on doit se demander quelle somme il en coûterait à l'Etat, pour la déplacer, Pour faire les bâtiments nécessaires à la Monnaie, alors même qu'on les établirait dans un quartier où les terrains sont le moins cher, à la porte de Hal, par exemple, en supposant qu'il fût prudent de placer la Monnaie à l'extrémité de la ville, je pense que la dépense totale serait à peu près d'un million, et j’engagerai les honorables membres qui en doutent à aller voir l'hôtel des Monnaies.

Je suis en principe grand partisan de l'adjudication publique des travaux public- ; mais je pense que ce serait un principe tout nouveau à introduire dans notre législation que de mettre des fonctions publiques en adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur. Or, messieurs, je dis que les fonctions du directeur de la monnaie sont réellement des fonctions publiques ; le directeur de la monnaie est fonctionnaire, prête serment comme tel, a ses obligations définies comme tel ; et s'il n'est pas fonctionnaire public comme tous les autres, c'est parce qu'il y a des arrangements particuliers pour le payement des salaires et pour les droits qui sont accordés au public à l'égard du directeur de la monnaie. Ainsi, par exemple, toute personne peut aujourd'hui porter des matières à la monnaie, à des conditions que la loi détermine.

Maintenant, le gouvernement a le bénéfice de telles opérations, le gouvernement a le bénéfice de telles autres espèces de fabrication ; mais c'est là une espèce de traitement qui est accordé au directeur et cette convention qui est, du reste, révocable même quant à l'argent, n'a nullement pour effet d’ôter au directeur le caractère de fonctionnaire public.

J'ai écouté attentivement les observations de l'honorable M. Verhaegen, et il m'a été impossible de comprendre sur quoi porterait l'adjudication ; l'adjudication porterait-elle exclusivement sur la reprise du matériel de l'Etat ? Si l'adjudication ne porte pas sur ce point, portera-t-elle sur les conditions légales de la fabrication ? Mettra-t-on en question, par un cahier des charges, les principes de la loi de 1832 ? Si l'on ne fait ni l'un ni l'autre, je ne sais plus sur quoi on adjugera.

L'honorable M. Verhaegen suppose que la division du matériel est faite de telle façon que le matériel du gouvernement serve aux fabrications qui profitent au gouvernement, et que le matériel du directeur serve aux autres fabrications. Eh bien, cela n'est pas ainsi, la distinction est faite d'après la nature du matériel, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le faire remarquer ; ainsi les presses et la machine à vapeur qui appartiennent au gouvernement servent également et pour les opérations dont le gouvernement retire le bénéfice direct et pour les autres opérations, comme le matériel du directeur sert aussi à préparer la monnaie qui est fabriquée pour le compte et au bénéfice du gouvernement.

M. Lebeau. - Messieurs, un honorable préopinant vient de faire remarquer avec raison, et c'est une circonstance qui m'avait échappé, que rien n'oblige à avoir pour la fabrication de la monnaie une espèce de palais, placée au centre de la ville ; la fabrication de la monnaie peut très bien se faire dans tout autre quartier et dans des parties de la ville où il est facile de se procurer des locaux à bon marché.

S'il est vrai qu'on puisse indifféremment placer la Monnaie dans telle ou telle localité, cela n'est pas vrai pour la poste ; il est certain que la poste qui est en rapport continuel avec la partie; la plus nombreuse et là plus riche de la cité, il est évident que la poste doit être nécessairement au centre ; cela est incontestable. Eh bien, voyez dans quelle situation vous étés placés quant à la poste !

Vous n'avez pas de local ; vous êtes locataires, et vous êtes locataires avec un bail à court terme, si je ne me trompe ; vous pouvez d'un instant à l'autre être congédiés de l'hôtel de la Poste ; or. en pareil cas, je demande s'il sera facile au gouvernement de trouver, dans le centre de la ville, un local qui soit aussi merveilleusement adapté au service de la poste que l'hôtel de la Monnaie. M. le ministre des finances dit qu'il faudrait peut-être une dépense d'un million pour créer un établissement destiné à la fabrication de la monnaie ; cela me paraît extraordinairement exagéré ; mais ce que M. le ministre ne prévoit pas, c'est ce qui arrivera le jour où nous serons congédiés de l'hôtel de la poste que le gouvernement ne détient qu'à titre précaire ; le gouvernement paye 10,000 francs ; et je crois savoir que dans l'administration des postes, tout le monde est d'accord que le local est insuffisant. Encore une fois, si vous étiez propriétaire de l'hôtel actuel de la Poste, vous pourriez vous prévaloir de la proximité du centre, mais vous devriez encore tenir compte des embarras de la circulation, de la difficulté que présente aujourd'hui l'accès de l'hôtel de la Poste, tandis que l'hôtel des Monnaies est merveilleusement disposé pour un accès continuel, facile, à toutes les distributions de la poste ; il est en dehors de la circulation des voitures et des chevaux ; il est dans une situation analogue à celle des hôtels des Postes dans différentes villes, et notamment à Francfort.

Je me demande pourquoi on ne prendrait pas en considération les observations que j'ai présentées à cet égard, et je ne vois pas qu'on y ait répondu d’une manière satisfaisante.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, sans doute je voudrais bien qu'on mît les postes à l'hôtel de la Monnaie, pourvu que l'honorable membre me dît où l'on placera la Monnaie ; c'est la seule question que je me permets de lui faire.

M. Lebeau. - Où mettez-vous les postes ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - Avant de déplacer la Monnaie je dois savoir où je l'établirai, et combien me coûterait le transfert. J'admets un instant que la dépense d'un million, que j'ai indiquée, soit exagérée ; prenons seulement 800,00 fr. ; n'est-ce pas là une dépense considérable, lorsque nous sommes aujourd'hui en possession d'un hôtel dont la loyer est de 10,000 fr.

On me demande ce que je ferai lorsque le bail de l'hôtel des postes expirera ; le gouvernement fera ce qu'il a fait jusqu'ici ; il renouvellera le bail, et s'il ne peut pas le renouveler, il cherchera aux abords de la Place de la Monnaie un hôtel assez vaste pour y placer les postes. Il y a ici deux choses distinctes ; il ne faut pas croire qu'il sort nécessaire de réunir dans un hôtel tous les bureaux qui se trouvent dans le bâtiment que le gouvernement a loué.

Ainsi, pour être sûrs de pouvoir résilier un bail de 10,000 fr., nous irions faire une dépense de 800,000 fr. ; je livre une semblable opération à l'appréciation de la chambre ; je ne croirai pas devoir la proposer : je rencontrerais certainement une plus forte opposition que celle qui repousse le crédit de 80,000 francs demandé pour pouvoir faire de la monnaie en Belgique.

J'ai entendu dire, il y a longtemps, que des plaintes avaient en lieu, lorsque l'hôtel des postes était situé Place des Wallons, au-delà de la Grande Place, dans la direction de la station des Bogards : s'il y a des plaintes depuis que l’hôtel des postes a une situation centrale, j'avoue qu'elles me sont inconnues.

La différence entre ce qui est et ce que désire l'honorable membre, c'est que maintenant on fait vingt pas de plus dans une rue moins large et moins commode ; mais la situation actuelle de l'hôtel des postes satisfait aux intérêts des habitants de Bruxelles et du commerce ; je désire qu'on puisse la lui conserver toujours. :

M. Verhaegen. - Je ne sais si M. le ministre des finances ne m'a pas compris eu s'il n'a pas voulu me comprendre.

Je vais tâcher de m'expliquer d'une manière plus claire. M. le ministre trouve extraordinaire que je veuille mettre en adjudication publique les fonctions publiques.

Il ne s'agit pas, messieurs, du tout de cela. Le directeur des monnaies, tel qu'il est d'après la loi, n'a aucune autorité. Nous avons notre commission des monnaies ; c'est la commission des monnaies qui veille aux intérêts du gouvernement, qui contrôle les actes de l'entrepreneur ; nous ne pouvons donc pas donner au directeur de la monnaie la qualification de fonctionnaire public.

Messieurs, je n'aurais pas pris part à cette discussion, si je n'avais pas entendu l’honorable M. Dumortier parler de bénéfices considérables pour l’entrepreneur et de cirages lourdes imposées au gouvernement ; mais, en entendant ces paroles, je me suis dit : « S'il y a des bénéfices considérables pour l'entrepreneur, et des charges lourdes pour le gouvernement, ne serait-il pas possible, au moyen d’un plan bien combiné, de compenser ces charges avec ces bénéfices, c’est-à-dire de battre monnaie sans qu’il nous en coûte un obole ?

Vous me demandez comment je formulerais mon cahier des charges, le voici : Je dirais que je vais mettre la fabrication de la monnaie, pour les pièces d'argent, en adjudication publique. J'aurais des conditions générales dans lesquelles j'établirais convenablement des garanties pour le gouvernement ; puis, je dirais que l'entrepreneur devrait avoir le matériel nécessaire, en lui laissant toutefois l'usage du matériel qui appartient aujourd’hui à l’Etat.

Quant à la fabrication des espèces d'or et de cuivre, il établirait un prix (page 1544) à forfait, en stipulant toutes les garanties nécessaires dans l’intérêt du gouvernement.

Après avoir fait mon cahier des charges, je ferais une adjudication publique ; je mettrais au rabais le prix de la fabrication des espèces d'or et de cuivre. Celui qui offrirait le prix le plus bas en calculant les avantages qu'il aurait sur la fabrication des espèces d'argent, serait adjudicataire, sous réserve encore au gouvernement du droit d'approuver et de ne pas approuver.

Par ce moyen nous aurions notre fabrication des espèces d'or et de cuivre pour rien, parce que les frais seraient compensés par les bénéfices que l'entrepreneur ferait pour son compte particulier sur la fabrication des espèces d'argent. Nous n'aurions pas besoin de demander de crédit pour la fabrication de notre monnaie, et notre bénéfice serait clair et net.

Je crois cette fois m'être suffisamment fait comprendra et j'ose espérer que M. le ministre saura tirer profil de mes observations dans l'intérêt de l'Etat.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je comprends maintenant un peu mieux l'innovation proposée par l'honorable membre. La Belgique en aurait l'initiative dans l'univers entier depuis qu'on bat monnaie. Le directeur de la monnaie n'est pas un fonctionnaire, dit l'honorable membre ; sans doute il est sans juridiction ; en ce sens l'observation est fondée, mais d'après la nature de ses fonctions, c'est un agent de l'Etat. Si l'honorable membre le veut, je dirai un employé plutôt qu'un fonctionnaire. Mais une pareille position, bien qu'elle ne donne pas de juridiction, exige des garanties : elle exige qu'il existe, entre le gouvernement et le directeur de la monnaie, ce lien hiérarchique qui se trouve entre le gouvernement et ses agents. Sous un autre rapport, les vœux de l'honorable membre sont dépassés de beaucoup.

Nous avons en Belgique les combinaisons analogues à celles qui existent dans les pays où l'on bat monnaie, et l'Etat fait celle année même un bénéfice assez important.

Le budget des recettes pour la fabrication de la monnaie de cuivre contient un produit de 300 mille francs, tandis qu'au budget des dépenses figure seulement une somme de 210,000 fr. Un bénéfice de 90 mille fr. sur 300 mille est assez important. Si nous parvenons à fabriquer de la monnaie d'or, comme je l'espère, les bénéfices seront bien plus considérâmes.

Que la chambre me permette d'ajouter un mot encore, bien que cette discussion ait été assez longue. Je ne vois qu’une seule alternative : il faut déclarer nettement qu'on ne veut fabriquer de la monnaie d'aucune espèce ou mettre le gouvernement en mesure de donner à la fabrication de la monnaie une activité telle que les bénéfices soient réels et que l'Etat trouve dans l'établissement de la monnaie nationale l'utilité qu'il doit en attendre. Telle est donc l'alternative : ou décréter la suppression de la Monnaie ou mettre le gouvernement en mesure de la faire marcher avec une activité qu'elle n'a pas eue jusqu'aujourd'hui.

- La discussion est close.

Sur la proposition de M. Osy, la chambre ordonne la réimpression et la distribution du projet de loi relatif à la fabrication de la monnaie d'or présenté le 10 octobre 1837.

Vote sur l’ensemble du projet

« Article unique, il est ouvert au département des finances (exercice 1846), un crédit supplémentaire de quatre-vingt mille francs (fr. 80,000), pour appropriation des locaux de l'hôtel des monnaies à l'établissement d'un affinage et pour réparation et renouvellement partiel des machines.

« Ce crédit formera l'article unique du chapitre VIII du budget des finances pour l'exercice 1846. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi ; en voici le résultat :

62 membres sont présents.

1 (M. Jonet) s’abstient, parce qu'il n'a pas assisté à toute la discussion ;

61 prennent part au vote.

47 votent pour l'adoption.

14 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l'adoption : MM. Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Brabant, Clep, Coppieters, de Breyne, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de La Coste, d'Elhoungne, de Man d Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Naeyer, de Roo, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Huveners, Kervyn, Lange, Lejeune, Loos, Malou, Mast de Vries, Osy, Orban, Orts, Pirson, Rodenbach, Rogier, Simons et Thienpont.

Ont voté contre : MM. Troye, Verhaegen, Biebuyck, de Bonne, Delfosse, de Renesse, de Tornaco, Dumortier, Lebeau, Lesoinne, Lys, Manilius, Pirmez et Sigart.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au ministère des affaires étrangères

Discussion de l’article unique

M. Osy. - Par le budget de 1845, le gouvernement avait demandé au chapitre VI pour les missions extraordinaires une somme de 50,000 fr. Sous l'administration de l'honorable général Goblet, on lui a fait observer que celle somme était peut-être trop considérable ; il avait donc consenti à réduire la somme à 40,000 fr. Aujourd'hui, le gouvernement nous demande sur le même chapitre VI une augmentation de 39,000 fr.

Ainsi, au lieu de 50,000 fr. qui vous avaient été demandés précédemment, somme qui avait été réduite à 40,000 fr., la dépense s'élèvera à 80,000 francs. M. le ministre dit dans l'exposé des motifs : « Cette somme a été insuffisante aux besoins du service, par suite des négociations commerciales avec la France, de la conclusion et de l'échange de plusieurs traités, conventions, etc. »

La section centrale, dont j'ai l'honneur d'être rapporteur, s'est fait produire les étals ; elle a trouvé qu'au lieu de 39,000 fr., pour la convention avec la France, on n'avait dépensé que 28,000 fr. Reste une somme de 28,000 fr. sur laquelle on a alloué 7,920 fr. à notre envoyé au Mexique. qui a fait un détour par Santo-Thomas. Ce diplomate a fait le voyage par un navire de l'Etat. Nonobstant, on demande pour son voyage une somme de 80,000 fr.

En outre, nous avons trouvé que les dépenses extraordinaires s'élèvent à des sommes excessives.

En outre, pour le seul transport des meubles d'un de nos agents diplomatiques de Berlin à La Haye, on a payé 6,000 fr., alors que, d'après l'état, on paye largement les frais de voyage.

Déjà dans le rapport qu'a fait l'honorable M. Dedecker sur le budget de 1845, il est dit :

« M. le ministre s'est engagé à rédiger un nouveau règlement pour fixer les frais de voyage des agents diplomatiques, règlement qui pourra être mis à exécution en 1846. Il est permis d'espérer que ce nouveau règlement apportera quelques économies au chiffre du chap. VI.

Loin de là, vous voyez qu'il y a eu de grandes augmentations.

Je dois engager M. le ministre à remplir les promesses de ses prédécesseurs, de faire paraître l'arrêté, pour que chacun sache ce qu'il a à recevoir pour ses frais de voyage. Aujourd'hui que l'Europe est sillonnée de chemins de fer et de bateaux à vapeur, on ne peut accorder des frais de séjour aussi considérables. D'après l'état qui a été mis sous nos yeux, il a été alloué pour un séjour de 56 jours, jusqu'à 80 fr. par jour. Le règlement qui a été promis peut seul mettre fin à ces abus. Sinon il n'y aurait, pour contraindre le gouvernement à réduire les dépenses, d'autre moyen que de rejeter les crédits demandés.

Lors du budget. on promet de réduire les dépenses. Puis on présente des crédits supplémentaires.

Je demande donc à M. le ministre s'il est enfin décidé à faire paraître, dans le courant de l'année, un règlemenl non seulement pour les frais de voyage, mais aussi pour les frais de séjour de nos agents diplomatiques.

Messieurs, l'année dernière je vous ai présenté quelques observations relativement à notre agent diplomatique près la cour de Hanovre. Cet agent était en même temps accrédité auprès des villes hanséatiques. Mais si je suis bien informé, on veut introduire dans cet état de choses une modification d'où il résultera encore de nouvelles dépenses. Car au lieu de laisser la mission du Hanovre attachée à celle des villes hanséatiques, on veut l'en séparer pour la réunir à celle de la Haye : et, dès lors, au lieu de payer les frais de voyage et de séjour d'un chargé d'affaires, vous devrez payer les frais de voyage et de séjour d'un ministre plénipotentiaire.

On pourra me répondre que le Hanovre avait à Bruxelles un ministre plénipotentiaire et non un chargé d'affaires. Mais je viens de voir, dans le Moniteur, que le Hanovre fait des économies, et qu'il nous envoie plus qu'un chargé d'affaires. Je demande donc que la mission du Hanovre reste réunie à celle des villes hanséatiques.

Messieurs, nous avons voté l'année dernière une très forte somme pour un envoyé au Mexique. Vous savez que la guerre est déclarée entre ce dernier pays et les Etats-Unis. C'est donc le moment pour notre envoyé de se trouver à son poste, au lieu d'être dans cette misérable colonie de Santo-Thomas. Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères si les excursions de cet agent arriveront bientôt à leur terme et si nous pouvons espérer de le voir prochainement à son poste. Car si nous payons un diplomate pour nous représenter au Mexique, c'est dans ce pays qu'il doit se trouver et non dans une colonie.

Je demanderai des renseignements sur ces divers points.

(page 1550) M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l'honorable M. O-y a rappelé qu'on avait réduit en 1845 le chiffre de 50,000 fr. à celui de 40,000 fr. que mon honorable prédécesseur avait jugé suffisant pour couvrir les dépenses de cette nature. Je ferai d'abord une remarque générale : c'est qu'à mesure que les relations extérieures de la Belgique s'étendent, on devrait croire que les frais des missions extraordinaires auraient dû s'augmenter dans la même proportion. Mais, messieurs,, le contraire est arrivé. En 1840, les dépenses imprévues et pour missions extraordinaires se montaient à 84,000 fr. et en 1841, à 50,000 fr. C'est alors, messieurs, que mon honorable prédécesseur a consenti à ce que ce chiffre fût réduit à la somme de 40,000 fr. Mais déjà j'avais eu l'honneur, de dire à la chambre, lors de la discussion du budget, qu'à cause des négociations commerciales avec la France et avec d'autres Etals, de l'échange de diverses ratifications et de quelques missions extraordinaires qui avaient été ordonnées, je serais dans l'obligation de demander à la chambre un crédit supplémentaire pour ces dépenses qui déjà étaient effectuées. Sans ces circonstances tout à fait exceptionnelles, le chiffre de 40,000., fr. aurait suffi.

Je veux seulement faire cette remarque, c'est que ces dépenses ont plutôt été en diminuant qu'en augmentant depuis 1840.

L'honorable M. Osy a examiné quelques-uns des détails dont il s'agit dans ce projet de loi.

Il a trouvé exorbitante la somme de 7,920 fr. qui était demandée pour couvrir les frais de la mission extraordinaire, confiée à M. Blondeel, à Santo-Thomas et à Guatemala. Messieurs, déjà dans le rapport de l'honorable M. Osy, la chambre a pu voir que cette dépense avait été payée sur déclaration appuyèe par des pièces justificatives et conformément au tarif du 28 décembre 1838.

Du reste, messieurs, la chambre sait que dans ces contrées de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud, la vie est extrêmement chère, que les dépenses sont à un taux tel qu'aucun point de comparaison ne peut être pris dans nos usages européens. Ainsi pour ne citer qu'un fait, les transports à l'intérieur dans ces contrées se font tous à dos de mules, et exigent par conséquent des dépenses considérables. Messieurs, j'ai voulu m'assurer moi-même, par des renseignements que j'ai pu puiser récemment, que ces dépenses n'avaient rien d'exagéré. Les officiers de la marine royale qui avaient été envoyés dernièrement dans ces parages, ont justifié de dépenses qui sont correspondantes à celles de notre envoyé.

L'honorable M. Osy a aussi attiré l'attention de la chambre sur un chiffre qui lui paraissait élevé, concernant le transport du mobilier de notre ministre de Berlin à La Haye, et qui se monte à une somme de 5,512 fr. Encore là, messieurs, ces dépenses ont été faites sur déclarations ; des pièces justificatives ont été soumises au gouvernement à l'appui de ces déclarations, et elles ont été liquidées en vertu de l'arrêté de 1838.

Du reste, messieurs, je ferai remarquer à la chambre, en ce qui concerne les transports du mobilier, qu'en France, par exemple, les agents diplomatiques ont la coutume, lorsqu'ils quittent leur résidence pour se rendre dans une autre, de vendre leur mobilier dans leur ancienne résidence. Mais, messieurs, en France comme dans d'autres pays, les agents diplomatiques oint, pour chaque déplacement, des frais de déplacement nouveaux, frais qu'on n'accorde pas en Belgique aux agents du corps diplomatique.

Messieurs, j'avais fait la promesse à la chambre, comme l'a rappelé l'honorable M. Osy, de faire paraître un tarif sur des bases nouvelles, pour fixer les frais de voyage et de séjour des agents du corps diplomatique. J'ai en effet fait préparer un projet, et ce n'est qu'à cause des circonstances qui se sont passées depuis la discussion du budget, circonstances à l'intérieur, négociations à l'extérieur qui ont pris presque tout mon temps, que ce travail n'est pas encore termine. Mais je puis ratifier la promesse que j'ai faite, et sous très peu de temps ce tarif sera publié.

Messieurs, notre envoyé au Mexique a en effet été chargé d'une mission spéciale à Guatemala et à Santo-Thomas.

Je pense que cette mission était dans les vœux de la chambre. La chambre a témoigné plusieurs fois le désir, que le gouvernement du reste a (page 1551) partagé, de connaître quels étaient les faits relatifs à cette colonie de Santo-Thomas. Sous très peu de jours, demain ou après-demain, je déposerai la première partie du rapport que M. Blondeel a soumis au gouvernement, et la chambre pourra connaître, à la lecture de ce rapport, que celle mission n'a pas été sans résultat.

L'honorable M. Osy a attiré l'attention de la chambre sur la question relative à notre mission à Hanovre.

Messieurs, voici les faits tels qu'ils se font passés. Après le départ de M. Dujardin de Hanovre, on a jugé qu'il était convenable, pour user d'une complète réciprocité envers le Hanovre, de charger notre ministre à La Haye, de représenter la Belgique près de ce gouvernement. Je dis, messieurs, que c'était pour user d'une complète réciprocité. En effet un ministre plénipotentiaire, M. de Kielmansegg, était accrédité en même temps à La Haye et à Bruxelles. Sa résidence ordinaire était La Haye, sa résidence exceptionnelle était à Bruxelles. Usant de réciprocité, comme c'est d'usage relativement au rang des agents diplomatiques, le gouvernement belge a cru qu'il était de son devoir, que les convenances exigeaient que notre ministre plénipotentiaire à La Haye fût chargé aussi de représenter la Belgique à Hanovre. C'est la raison pour laquelle cette décision a été prise, et la chambre reconnaîtra qu'elle est parfaitement justifiable.

L'honorable M. Osy a fait connaître un fait nouveau et tout récent ; c'est le remplacement de M. le comte de Kielmansegg par un chargé n'affaires, accrédité en même temps près des cours de La Haye et de Bruxelles. Messieurs, je dois dire d'abord que le départ de M. de Kielmansegg n'est nullement dû à des motifs politiques ; qu'il n'est dû qu'à des raisons de famille. Les seuls motifs du remplacement de ce ministre plénipotentiaire par un chargé d'affaires sont des difficultés personnelles que l'on a rencontrées dans le Hanovre pour trouver dans le corps diplomatique un membre de ce corps, ayant des titres suffisants pour être nommé ministre plénipotentiaire près des cours de La Haye et de Bruxelles. C'est là la seule cause pour laquelle un ministre plénipotentiaire a été remplacé par un chargé d'affaires auprès des cours de La Haye cl de Bruxelles, et dès lors il n'y a là aucun acte de désobligeance envers les deux cours de Bruxelles et de La Haye ; le choix récemment fait est dû à une cause toute exceptionnelle et purement personnelle.

Ainsi, messieurs, si le gouvernement belge avait fait ce que conseille l'honorable membre, s'il avait chargé le général Willmar de présenter ses lettres de rappel, il aurait attaché un caractère politique à un acte qui n'a nullement ce caractère ; il aurait donné à cet acte des proportions qu'il a cru ne pas devoir y donner.

Voilà, messieurs, le motif pour lequel rien n'a été changé en ce qui concerne la mission de notre ministre à La Haye près de la cour de Hanovre.

M. Osy. - L'honorable M. Dujardin était accrédité dans le temps à Hambourg et à Hanovre en qualité de chargé d'affaires ; je ne conçois réellement pas pourquoi l'on a changé cet état de choses, alors surtout que Hambourg et le Hanovre ne font presque pas de dépenses. Je crois qu'il y a là une économie réelle à faire ; et, sans vouloir faire ici de l'administration, j'appelle sur ce fait toute l'attention de M. le ministre.

(page 1544) M. Lebeau. - Je ne puis m'empêcher de faire remarquer à la chambre que le ministère finit toujours par avoir raison des résistances qu'elle lui a opposées dans la discussion des budgets ; il finit par en avoir raison au moyen de la ressource des crédits supplémentaires. Il y a vraiment un singulier contraste entre l'esprit d'économie, je ne voudrais pas dire de parcimonie, avec lequel on discute parfois les traitements et les dépenses diplomatiques lorsqu'il s'agit des budgets, et la facilité avec laquelle, quand il s'agit de crédits supplémentaires, on vote ces mêmes dépenses, bien qu'elles concernent la partie la moins populaire de nos budgets.

Ainsi, messieurs, on resserre dans les proportions de la plus sévère économie les traitements de nos envoyés à l'étranger, et je n'hésite pas à dire que dans quelques localités ces traitements sont même au-dessous de ce qu'exige le rang que doivent tenir ces fonctionnaires et au-dessous de ce que commande l'importance du pays, mise en rapport avec beaucoup d'autres pays qui accréditent des agents chez nous ; mais il arrive, d'un autre côté, que la chambre se prête avec une merveilleuse facilité à voter, sous le titre de crédits supplémentaires, de véritables augmentations de traitement, ou tout au moins des augmentions considérables dans les frais d'une légation. Ainsi, lorsqu'il s'agit, par exemple, de la mission la plus importante que notre diplomatie ait à remplir, lorsqu'il s'agit de la conclusion d'un traite de commerce, presque toujours une légion d'envoyés extraordinaires vient au secours de nos ambassadeurs ou de nos ministres plénipotentiaires. C'est (page 1545) précisément au moment où ceux-ci sont appelés a remplir un rôle pratique, utile, qu'on semble les considérer comme n'étant à leur poste que pour représenter.

Vraiment à la vue d'un tel spectacle on est conduit à croire que notre diplomatie n'a à s'occuper ordinairement que de représentation, et que dès le moment où elle deviendrait utile, il faut que le titulaire s'efface et abandonne sa besogne aux diplomates qu'on lui envoie en quelque sorte ad hoc. Il en résulte que dans le pays on sera de moins en moins disposé à faire aux diplomates à résidence la position qui leur convient et que d'autre part vous diminuez aux yeux des cours auprès desquelles ces diplomates sont accrédités, et à leurs propres yeux, l'importance du râle qu'ils tiennent de la confiance du gouvernement. Il semble véritablement, je ne saurais assez le redire, qu'ils ne sont à l'étranger que pour représenter, et que quand il y a quelque chose d'utile à faire, ils reçoivent une sorte de brevet d'impuissance de la part du gouvernement. Dès lors, je le répète, l'on risque de porter atteinte à leur considération auprès des gouvernements étrangers ; on les déconsidérer à leurs propres yeux ; vous les indisposez contre le gouvernement, vous les blessez ; et je dois le dire, j'ai été quelque fois témoin de ces dispositions de quelques titulaires de nos légations.

Il est, messieurs, quant aux autres objets du crédit supplémentaire, des réflexions qui naissent tout naturellement, mais sur lesquelles il est difficile de s'appesantir parce qu'elles touchent à des questions de personnes. Ces réflexions, du reste, se présentent à peu près à tous les esprits. L'honorable M. Osy a parlé de la nécessité d'adopter un tarif des frais de voyage pour nos agents diplomatiques. M. le ministre des affaires étrangères est tout prêt, dit-il, à préparer et à promulguer un pareil tarif ; mais il y a autre chose, messieurs, à réformer que le tarif, c'est la manie de déplacer les agents, c'est la facilité avec laquelle les déplacements ont lieu, non pas, j'en suis convaincu pour mon compte et cette opinion n'est pas exclusivement la mienne, je la crois assez générale dans cette chambre ; ce n'est pas toujours dans l'intérêt du pays, dans l'intérêt du gouvernement, mais plus souvent pour obéir à des convenances personnelles, que ces déplacements, ces permutations ont lieu.

Ainsi il est très difficile de faire comprendre comment, au point de vue du l'intérêt général, il y a eu nécessité d'opérer, l'année dernière, un déplacement de diplomate qui a entraîné peut être une dépense supérieure à un traitement de ministre ; car enfin si pour transporter des meubles d'un de nos employés d'une ville d'Allemagne à une autre destination, il a fallu 5,500 fr., il est évident que pour transporter les meubles de celui qui est allé remplacer ce titulaire, il a fallu une somme à peu près pareille ; joignez à cela les frais de transport des ministres et de leurs familles qui ne se transportent pas, comme des meubles, par des voitures de rouage, mais par de bonnes voitures de poste ; et vous arrivez à une dépense de 20,000 fr. peut-être... pour faire une chose utile au pays ? Non, ou bien, je serais dans la plus complète erreur sur ce point ; mais pour faire une chose utile, selon l'opinion générale, à quelques convenances personnelles.

Voilà comment on rend difficile la tâche de ceux qui ont toujours cherché à défendre ici, dans l'intérêt du pays, les allocations destinées au service de la diplomatie, tâche qu'on rendra plus difficile que jamais, si ou ne se hâte pas de sortir d'un pareil système.

Et puisque je parle de convenances personnelles, je dirai encore un mot d'un fait qui vient d'être porte à ma connaissance, et j'ai hâte de le dire, ce n'est point par l'intéressé.

Il y avait, depuis cinq ou six ans, dans une légation fort lointaine un homme estimable qui représentait la Belgique près d'un gouvernement que nous avions blessé, avec lequel nous avons eu le malheur de signer deux traités de commerce que nous avons laissé tomber en désuétude. Grâce à ses relations, à son caractère conciliant, à l'estime dont il avait su s'environner, notre envoyé est parvenu à triompher des légitimes préventions de ce gouvernement, et à opérer un rapprochement qui a permis à notre cabinet de conclure un nouveau traité. Ce traité nous a été soumis, nous l'avons approuvé tout d'une voix ; et pour récompenser le négociateur qui avait tout au moins prépare les voies, on donne son poste à un autre et on l'envoie à plus de deux mille lieues de là, dans un poste au moins aussi délicat, sinon plus difficile ; on l'y envoie malgré lui, et malgré le gouvernement auprès duquel il était accrédité et qui a vainement réclamé pour le conserver.

Voilà, si je ne me trompe, des abus ; ces abus engendrent des dépenses, et c'est pour faire face à ces dépenses souvent inutiles qu'on demande des crédits supplémentaires.

Je le répète, personne n'est plus convaincu que moi de l'utilité de la diplomatie. Je crois qu'une diplomatie, bien organisée, convenablement rétribuée, peut rendre de grands services à un pays qui ne peut pas en imposer par sa population, par ses armées ; mais je crois que par la complaisance avec laquelle on accueille des exigences purement personnelles, des exigences souvent étrangères au bien du service en rend presqu'impossible en Belgique la tâche des défenseurs de la diplomatie.

(page 1551) M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l’honorable préopinant s'est plaint de ce que les ministres cherchaient dans les crédits supplémentaires une ressource contre la résistance qu'ils rencontraient dans les chambres lors de la discussion des budgets. Messieurs, pour ce qui me concerne, je n'ai pas trouvé de résistance, lors de la discussion du budget, sur l'article dont il s'agit maintenant, et qui se rapporte aux missions extraordinaires et aux dépenses imprévues. Connaissant les dépenses qui forment l'objet du crédit supplémentaire, j’ai pris soin alors d'avertir la chambre que le chiffre devrait être augmenté par cette demande de crédit supplémentaire. Veuillez remarquer, messieurs, que cette dépense résulte de faits qui, en partie, ont précédé mon entrée au département des affaires étrangères ; il s'agit de frais de voyage qui ont eu lieu en vertu de missions confiées à nos agents à l'étranger, missions dont l'utilité n'est pas contestée, et la chambre ne peut pas se dispenser d'en ordonner la liquidation par le vote du crédit supplémentaire.

Du reste, je partage l’opinion de l'honorable membre, qu'il faut tâcher d'éviter les demandes de crédits supplémentaires ; mais je ferai observer que la réduction qu'on a opérée sur ce littera du budget en 1845, a créé la nécessité de cette demande de crédit. Réduire le chiffre des dépenses extraordinaires et imprévues à un taux trop restreint, c'est poser la cause des demandes de crédits de ce genre.

L'honorable M. Lebeau a semblé blamer l'envoi des commissaires spéciaux près de nos agents à l'étranger, lorsqu'une négociation importante est entamée entre la Belgique et ces gouvernements ; il a cru que l'envoi des commissaires spéciaux était de nature à discréditer, pour ainsi dire, nos agents diplomatiques.

Messieurs, dans toutes négociations, l'envoi de commissaires spéciaux est une nécessité. On comprend qu'un diplomate, quelle que soit sa capacité, quelles que soit ses connaissances spéciales, ne peut pas mener une négociation difficile où les questions de détail dominent, sans l'adjonction de commissaires spéciaux ; on ne donne pas pour cela un brevet d'ignorance à nos ministres plénipotentiaires ; car la nécessité de cette adjonction résulte de la nature même des choses.

Ainsi dans le cours de nos négociations à Londres, on a envoyé dans cette ville des hommes les plus éminents, MM. Nothomb, Devaux, etc., pour être adjoints à notre ambassadeur à Londres : a-t-on donné par là un brevet d'impuissance et d'incapacité à M. Van de Weyer ?

M. Lebeau. - M. Van de Weyer n'était pas alors ministre à Londres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - C'est une erreur ; pendant la mission de M. Van de Weyer à Londres, des commissaires spéciaux lui ont été adjoints plusieurs fois. Je pourrais citer d'autres précédents relatifs à nos négociations avec la Hollande où MM. Smits, Dujardin et d'autres encore ont été envoyés, à nos négociations avec la France en 1833 et en 1841. Les autres pays en usent toujours ainsi.

L'honorable préopinant a parlé des déplacements qui ont eu lieu dans le personnel de la diplomatie. La chambre me permettra de protester contre l'allégation de l'honorable membre, à savoir que ces déplacements auraient été opérés plus en vue de convenances personnelles que par des motifs d'intérêt public. Il est impossible de discuter de pareilles questions à la tribune ; mais le gouvernement pourrait certainement faire valoir des raisons d'intérêt public pour justifier complétement les déplacements qui ont eu lieu.

L'honorable membre a fait allusion à un fait que j'ignore ; il a affirmé que notre ministre au Brésil....

M. Lebeau. - Ce n'est pas à lui que j'ai fait allusion.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - J'ai dès lors mal compris. Du reste, je le répète, il est impossible de porter à la tribune une discussion sur les motifs qui ont nécessité tels ou tels déplacements dans le corps diplomatique.

Je regrette d'avoir dû présenter cette demande de crédit supplémentaire ; je ne l'ai fait que pour couvrir des dépenses effectuées pour des missions dont personne ne conteste l'utilité, et ces dépenses sont constatées par les pièces justificatives exigées par l'arrêté de 1838.

M. Osy. - Je prie M. le ministre de nous dire si la mission à Guatemala finira bientôt et si notre agent retournera à son poste au Mexique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Cette mission sera bientôt terminée, je pense ; la première partie du rapport de notre agent a été communiquée au gouvernement, elle sera déposée sur le bureau. Le gouvernement attend la deuxième partie de ce rapport, qui comprend la question commerciale.

Je ferai observer que notre ministre qui a été chargé de cette mission a été malade assez longtemps à Santo-Thomas, ce qui ne lui a pas permis de terminer sa mission aussi vite que lui-même l'avait espéré. Cette mission avait assez d'importance pour ne rien négliger afin de la rendre sérieuse.

(page 1545) M. Lebeau. - Je veux seulement dire que je n'ai pas blâmé en principe, quand il s'agit de négociations difficiles et compliquées, l'envoi de commissaires spéciaux ; je n'ai pas entendu me livrer à une pareille exagération. Toutes les fois qu'il s'est agi de négociations complexes, difficiles, il a fallu entourer le négociateur principal d'hommes spéciaux ; mais je me suis récrié contre ce que je crois l'abus de ce système ; pas la moindre négociation ne s'engage sans que notre plénipotentiaire à l'étranger ne reçoive un renfort considérable. C’est ainsi que nous avons, il y a quelques années, malgré la présence d'une haute capacité sur les lieux, une ambassade commerciale extraordinaire, organisée avec un luxe qui a étrangement contrasté avec l'inanité des résultats obtenus.

Voilà les abus que j'ai voulu critiquer.

Vote sur l’ensemble du projet

M. le président. - Je vais mettre aux voix par appel nominal l'article unique du projet qui est ainsi conçu :

« Il est ouvert au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire de trente-neuf mille six cent dix-huit francs huit centimes (fr. 39,618 08 c), destiné à couvrir des dépenses arriérées de 1845.

« Cette somme sera ajoutée à l'allocation votée pour le chapitre VI. article unique, du budget de 1845, intitulé : Allocation extraordinaires, traitements d'agents politiques et consulaires en activité et dépenses imprévues. »


Voici le résultat du vote :

53 membres répondent à l'appel.

33 membres répondent oui.

20 membres répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.

Ont répondu non : M.M. Verhaegen, Cans, de Bonne, Delfosse, d’Elhoungne, de Meester, de Renesse, de Tornaco, Dubus (Albéric), Eloy de Burdinne, Fleussu, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lys, Orts, Osy, Rogier et Sigart.

Ont répondit oui : MM. Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Zoude, Biebuyck Brabant, Clep, Coppieters, de Breyne, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Naeyer, Desmet, de Terbecq, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dubus (aîné), Fallon, Huveners, Loos, Mast de Vries, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Simons, Thienpont et Vilain XIIII.

Projet de loi autorisant la concession du chemin de fer du Luxembourg

Discussion générale

M. Pirson. - Messieurs, les faits sont là qui les constatent, la révolution de 1830 a imprimé à la Belgique une bien grande énergie ; elle a donné aux esprits et aux bras une bien grande activité. Depuis 1830, la Belgique, sous la direction éclairée du chef de la dynastie appelée désormais à la gouverner, a montré ce beau spectacle d'une nation développant au plus haut degré sa prospérité matérielle, tout en fondant son indépendance. Au milieu des embarras, des difficultés, des périls même qui l'entourèrent dans les premières années de son émancipation politique, on l'a vue alors calme déjà, sage, prudente, laborieuse, et conseillée par un de ces hommes de cœur dont le dévouement lui était bien connu, compléter son œuvre de régénération, par la réunion du perfectionnement industriel, à la conquête de ses libertés. Et parmi les causes qui firent si rapidement progresser son industrie, s'il en est une surtout qui a contribué à amener ce résultat, c'est ce réseau de chemins de fer qui couvre son territoire, c'est ce beau système de voies de communication qu'elle doit à l'initiative persévérante de l'un de nos honorables collègues, de l'honorable M. Rogier. Honneur au Roi et à la Belgique, qui surent si habilement faire fructifier cette grande conception, honneur ensuite au conseiller dévoué et intelligent qui sut si utilement inspirer son Roi et son pays. Je m'estimerais bien heureux, si je pouvais adresser des compliments, également mérités, à tous les ministres qui se sont occupés de questions importantes de chemins de fer, et si, pour l'acquit consciencieux de mon mandat, je ne me trouvais dans la position désagréable de devoir, comme je serai obligé de le faire tantôt, critiquer sévèrement la conduite d'autres ministres des travaux publics.

Admirateur aussi, partisan zélé des voies ferrées, parce qu'elles sont un auxiliaire puissant pour étendre les relations internationales et intérieures et faciliter les transactions commerciales ; parce qu'elles profitent à tous et principalement aux classes moyennes et aux basses classes, il faudrait des circonstances particulières et exceptionnelles pour que je pusse me déterminer à voter contre une demande de concession de chemin de fer sérieuse. Cependant, avant d'octroyer à une compagnie les pouvoirs immenses, les espèces de privilèges que d'ordinaire les entrepreneurs de ces compagnies réclament en échange de leurs peines et de leurs risques, nous avons, nous législateurs, des devoirs à remplir, des précautions à prendre pour nous assurer que les intérêts du pays seront sauvegardés. Croire que parce que l'Etat n'exécuterait pas, nous ne devrions pas nous préoccuper des intérêts généraux, qui nous devrions accepter au hasard tous les projets qui nous seraient présentés par les compagnies, serait une grave erreur qui pourrait avoir des suites funestes pour le pays. Lorsqu'il s'agit d'une question aussi importante que celle d'une concession de chemin de fer d'une certaine étendue, nous avons beaucoup de choses à examiner ; et si nous imitions l'exemple de l'Angleterre si souvent un bon modèle à suivre, nous agirions avec plus de circonspection que nous l'avons fait jusqu'à présent. Ce ne serait pas en une ou deux réunions que les sections centrales termineraient l'examen d'une concession importante, et ce ne serait pas non plus sans une discussion approfondie que nous prononcerions l'adoption d'une semblable concession.

En Angleterre, ce n'est pas sur des études ébauchées, sur des projets incomplets, sans données statistiques aucunes, sans renseignement sur le chiffre de la population, sur la circulation des voyageurs et sur le mouvement des marchandises que les comités et les chambres adoptent une demande de concession.

Non, messieurs, dans ce pays on comprend très bien que les chemins de (page 1546) sont plutôt destinés à faire fructifier la civilisation qu’à la créer, que leur objet principal doit être de rapprocher les producteurs des consommateurs, qu’avant toute autre considération, ils doivent être faits pour les populations, et que pour être autre chose qu’un moyen d’agiotage, que pour avoir des conditions d’existence, ils doivent être placés là où se trouvent des populations et non dans des lieux déserts.

Partant de ces principes, le parlement anglais, lorsqu'on soumet à sa sanction des demandes de concession, ne se borne pas à examiner les dépenses probables d'un chemin du fer ; il en examine aussi les recettes probables. Et relativement au chemin de fer du Luxembourg, quand je considère qu'on ne nous a pas donné le moindre renseignement sur ses produits, que vraisemblablement il y a préméditation dans cet oubli, quel que soit mon désir de voir réaliser son exécution, s’il doit être avantageux au pays,, je ne puis ne pas craindre que cette exécution soit problématique, je ne puis ne pas appréhender une grande déception.

Je vous ai dit tout à l’heure qu’en Angleterre, la législature ne procédait pas à l'examen des projets de concession de chemins de fer, avec la même précipitation qu'en Belgique.

Pour vous le prouver, permettez-moi de vous donner lecture d'un extrait des conditions que le parlement exige de la part des compagnies qui sollicitent des concessions. Dans un bill du 1er mars 1835 on trouve:

Il est ordonné que les comités de la chambre sur les chemins de fer constatent :

« 1° Les fonds de la compagnie qui demande la loi ;

« 2° Le montant des emprunts proposés ;

« 3° Le nombre des actions ;

« 4° La somme mise en dépôt par chaque actionnaire ;

« 5° Les noms et les domiciles des directeurs et des comités provisoires ;

« 6° Le nombre des actions appartenant à chaque directeur ;

« 7° Le nombre des actionnaires intéressés au terrain par où doit passer le chemin ;

« 8° Le nombre de leurs actions ;

« 9° Le nombre des autres actionnaires ;

« 10° Le nombre de leurs actions ;

« 11° Le nombre des actionnaires qui souscrivent pour 50,000 francs et au-delà, leurs noms, leurs domiciles et la somme que chaque individu souscrit ;

« 12° La suffisance ou l’insuffisance des voies de transport actuelles sur la ligne proposée, pour l'agriculture, le commerce, les manufactures et pour autres demandes ;

« 13° Le montant, le prix et le temps des moyens de transports actuels ;

« 14° Le nombre des voyageurs, le poids et l'espèce de marchandises qu'on propose de transporter par le chemin de fer ;

« 15° Les revenus anticipés de ce chemin ;

« 16° La proportion entre les revenus anticipés des frais des voyageurs et des frais des marchandises :

« 17° L'espèce de marchandises sur lesquelles le calcul est le plus fondé ;

« 18° Si le chemin de fer projeté finit à la ligne proposée, ou si on propose de le prolonger, si une prolongation est rentable, et jusqu’à quel point les profits sont calculés sur la ligne ultérieure.

« 19° Si des chemins de fer rivaux à celui qui est projeté existent déjà ou sont proposés ;

« 20° Quelles sous les bases de supériorité du chemin proposé ;

« 21° Quelles sont les distances où les machines accessoires seront indispensables pour franchir des hauteurs.

« 22° Quelles sont les difficultés spéciales du terrain pour les ingénieurs, et quels sont les moyens proposes pour vaincre ces difficultés ;

« 23° Quelle est la longueur, la largeur, la hauteur des tunnels, quels font les moyens de leur ventilation, et quel est le genre de terrain qu’ils percent ?

« 24° Si les pentes et les courbes sont généralement favorables ou non ?

« 25° Quelle est la rapidité exacte de la pente la plus escarpée, indépendamment des pentes où les machines seront indispensables ?

« 26° Quelle est la longueur ou rayon de la courbe la plus courte ?

« 27° Quelle est la longueur de la ligue principale proposée, et celle des embranchements ?

« 28° Si le tracé proposé est avantageux pour le chemin de fer à l'égard des facilités du travail ?

« 29° Si on propose de traverser une des grandes routes publiques à son niveau, cette circonstance doit être expliquée particulièrement à la Chambre ;

« 30° Les frais calculés jusqu'à ce que le chemin de fer soit fini, et si les bases de ces calculs sont satisfaisantes ;

. « 31° Les frais d’entretien du chemin de fer, et s'ils sont calculés avec habilité ;

« 32° Si les rapports ont été prouvés être assez considérables pour couvrir les frais, et pour donner des bénéfices suffisants aux entrepreneurs.

« 33° Le nombre des individus qui soutiennent le chemin de fer proposé, de ceux qui s'opposent, et de ceux qui sont neutres, parmi les propriétaires des terrains que traverse ce chemin. Dans ces listes il faut distinguer les propriétaires des locataires. Si un second projet change le tracé, les listes additionnelles seront faires pour les nouvelles lignes.

« 34° Les noms des ingénieurs qui déposent en faveur de la ligne proposée, et de ceux qui déposent contre cette ligne.

« 35° Les arguments principaux des pétitions remises au comité en opposition aux bases du projet, ou à ses dispositions particulières, et les comités doivent déclarer si les arguments ont été le sujet d’un examen spécial ; autrement pourquoi les comités n'ont pas voulu les examiner.

« 36° Le secrétaire de chaque comité doit noter le nom de chaque membre qui assiste à ses séances, et les noms des votants sur chaque chef des résolutions ci-dessus présentées. Il doit distinguer l'opinion pour et contre les conclusions du comité. Les listés des noms doivent être rapportées à la chambre avec le rapport général du comité. »

Si, messieurs, l'on comparaît cette nomenclature de conditions avec notre mode de procéder, ce serait, dans certains cas, une critique fondée peut-être de ce qui se passe dans le sein de vos sections centrales, quand il s'agit de l'examen des demandes de concession de chemins de fer. Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne le chemin de fer du Luxembourg, il doit être avantageux au pays et si la compagne qui en demande la concession est constituée dans des conditions qui en permettent l’exécution, ne voulant pas chercher à retarder cette exécution, surtout si elle est possible avec une direction meilleure que celle qui nous est soumise, je me bornerai à présenter quelques considérations sur son tracé et à réclamer de M. le ministre des travaux publics deux explications qui devront être satisfaisantes toutefois, pour que je puisse adopter le projet de loi en discussion.

Je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir répondre d'une manière catégorique aux deux questions suivantes :

1° M. le ministre s'est-il assuré, de manière à en avoir une conviction profonde, que la société étrangère sollicitant la concession du chemin de fer du Luxembourg n'est pas une société d'agioteurs, qu’elle n'est pas une société constituée pour faire la fortune de quelques faiseurs, de quelques directeurs, de quelques administrateurs, de quelques privilégiés, de quelques amis, au détriment des actionnaires qui, venant plus tard à refuser le concours de leurs fonds, empêcheraient l'exécution du chemin de fer projeté ; mais au contraire que cette compagnie, ainsi que je le désire et l'espère, est une compagnie puissante, recommandable, considérée et donnant des garanties telles que l'on puisse avoir foi dans l'exécution pleine et entière de son contrat ?

2° La seconde question est celle-ci : M. le ministre des travaux publics peut-il prendre l’engagement qu'un chemin de fer parlant de la vallée de la Meuse de Namur à la frontière française, et venant aboutir au railway du Luxembourg sur la partie comprise de Ciney à Neufchâteau pourrait être exécuté, sans que la compagnie fût en droit de réclamer le bénéfice de la clause prohibitive insérée dans l'article 47 du cahier des charges.

J'espère que M. le ministre des travaux publics est en position de pouvoir répondre d'une manière nette et satisfaisante à ces deux questions.

Maintenant, messieurs, député d'un arrondissement que le chemin de fer du Luxembourg doit traverser, je crois qu'il est dans mon rôle, qu'il est de mon devoir de chercher à vous éclairer sur le moyen de faire produire à ce railway l'utilité la plus grande. C'est dans ce but que je vous présenterai quelques observations sur son tracé, afin que vous exigiez celui qui favorisera le plus d'intérêts possible, celui qui lésera le moins d'intérêts possible.

Ainsi que vous l'aurez lu dans l'exposé des motifs du projet de loi déposé le 4 mars dernier par celui de nos honorables collègues, alors ministre des travaux publics, le chemin de fer du Luxembourg n’est pas une de ces voies de communications modestes, destinées simplement à réunir quelques provinces. Non, messieurs, le railway du Luxembourg a pour objet principal un but bien plus grandiose ; c'est, dit l'exposé des motifs, un chemin de fer qui a sa place assignée dans la ligne européenne de la mer du Nord à l'Adriatique ; c'est un chemin de fer qui, après avoir traversé la Belgique, se prolongeant par la France ou par la Prusse, puis par le duché de Bade, le Wurtemberg, la Bavière, la Suisse, la Lombardie, franchissant les chaînes de montagne et les grands fleuves, est destiné à relier la mer du Nord à la mer Adriatique. Tel est, d'après l'exposé des motifs du projet de loi, l'objet principal du chemin de fer du Luxembourg.

C’est un chemin de fer européen, c'est un railway anglo-continental dont le point de départ est Londres et le point d'arrivée Trieste. Dans le rapport de votre section centrale, les proportions de ce chemin de fer grandissent encore, c’est bien plus qu’un chemin de fer européen, c’est, dit l’honorable rapporteur de votre section centrale, « un chemin de fer dont le but principal est de mettre Londres, centre du commerce du monde, en communication avec les Indes orientales, en empruntant le territoire de la Belgique, comme la voie la plus courte pour arriver à Triste, d’où, saluant l’Europe, il se dirigera vers les Indes. » C’est donc un chemin de fer en quelque sote universel qui de Trieste, mis en rapport avec l’Egypte, l’isthme de Suez, la mer Rouge, la mer des Indes, arrive à Bombay, puis à Calcutta et finit par atteindre la Chine. C’est un chemin de fer commun aux deux hémisphères du globe. Faire disparaître les barrières qui nous séparent des pays lointains, rompre au moyen de nos locomotives cette grande muraille qui protège le Céleste Empire, battre une brèche dans cette célèbre enceinte jusqu’aujourd’hui presque intacte, faire venir directement les Chinois en Belgique, à Bastogne, et je voudrais même à Dinant, c’est là, sans contredit, un projet gigantesque, c’est un projet conçu avec grandeur, c’est là une grande raison pour nous déterminer à adopter le projet de loi qui nous est présenté.

Aussi, messieurs, de même que l'honorable ministre qui a déposé le projet de loi que nous discutons, de même que l'honorable rapporteur de votre section centrale, la convention provisoire du 25 février 1846, envisagée de cette manière, me séduit beaucoup, et peut-être n'aurais-je eu que des éloges à adresser à l'honorable ministre qui l'a signée, si cet honorable ministre, trop absorbé par la grande raison dont je viens de vous parler, n'avait pas négliger une de ces raisons probablement imperceptible, au point de vue exclusif où il s'était placé, mais qui ne peut être ni secondaire, ni sans (page 1547) importance au point de vue d’un député belge. Cette raison si petite, i infime pour l’honorable ministre signataire de la convention du 26 février 1846, si grande cependant pour l’un des principaux arrondissements du pays, c’est la direction du tracé entre Namur et Ciney, c’est l’omission volontaire dans la convention que nous discutons des conditions avantageuses pour le pays qui s trouvaient insérés dans les conventions primitives des 17 mai et 8 août 1845. L’honorable ministre signataire de la convention du 26 février 1846, trop ébloui par l’idée grandiose de mettre Londres en relation directe avec Pékin, s’est, je ne sais comment, laissé aveugler par l’éclat de ces deux astres qui ne brillent cependant pas sur notre firmament, et, se préoccupant trop des intérêts étrangers, ne s’est pas assez préoccupé des intérêts nationaux. C’est ce qui résulte des modifications apportées par lui à la convention conclue par son honorable prédécesseur.

En effet, messieurs, aux termes des deux conventions conclues d’abord avec la compagnie sous les dates des 17 mai et 8 août 1845, le chemin de fer du Luxembourg, de Namur. On y devait longer la vallée de la Meuse sur une étendue d’environ 3 lieues 1/2, jusqu’à village d’Yvoir, puis remonter la vallée du Boucq et avoir un embranchement sur Dinant. Ces conditions y éraient obligations. Si l’on modifiait ces conventions, l’on aurait dû s’attendre que c’eût été dans l’intérêt du pays, que c’eût été pour faire jouir une plus grande fraction de nos populations des avantages que procurent les chemins de fer. Eh bien ! pas du tout, messieurs, les modifications introduites dans la convention du 26 février 1846 ne peuvent s’expliquer que par des considérations favorables, car dans cette convention on a supprimé la clause d’un embranchement obligatoire sur Dinant, et l’on a rendu facultatif le tracé par la vallée du Boucq, d’obligatoire qu’il était aussi dans la première convention.

Je suis fondé à dire que le ministre signataire de la convention du 26 février 1846, ne s'est pas montré le défenseur intelligent et consciencieux des vrais besoins du pays, et je le prouverai. D'après cette convention, « de Namur le tracé de la ligne du Luxembourg sera conduit sur Arlon, par Ciney et Recogne », et d’après les explications données dans l'exposé des motifs, page 3, pour la partie comprise entre Namur et Ciney, il n’est question que de deux tracés, l'un direct vers Ciney, qui paraît être celui qui sera adopté par la compagnie, l’autre longeant la Meuse jusqu’au village d’Yvoir et remontant la vallée du Boucq. Ce dernier tracé beaucoup plus favorable au pays que le premier, et qui était obligatoire dans les conventions des 17 mai et 8 août 1845, a été non seulement rendu facultatif dans sa convention du 26 février 1846, mais semble aujourd’hui abandonné par la compagnie. Une troisième tracé qui, longeant la Meuse, aurait eu son point de départ au faubourg de Leffe près de Dinant, trace qui sans contredit aurait été le plus avantageux au point de vue de l’intérêt général, n’a pas même été étudié par les ingénieurs du gouvernement.

Il l’a bien été par les ingénieurs de la compagnie qui ont déclaré que ce tracé ne serait pas plus long que celui par la vallée du Bourg, parce qu’il présenterait moins de sinuosités et de difficultés de terrain. Mais quant au ministre signataire de la convention du 26 février 1846 qui aurait dû l’imposer ou tout au moins maintenir celui qui avait été exigé par son prédécesseur, ne voyant plus sur la carte que des lignes droites, depuis qu’on lui avait parlé des Indes et de la Chine, satisfait d’avoir obtenu pour la province du Luxembourg deux nouveaux embranchements, l’un vers l’Ourthe, l’autre dans un désert de Recogne, à Bastogne, il n’a pas cru devoir s’éclairer sur l’importance ce qu’il pouvait présenter, sur la nécessité qu’il pouvait y avoir de le suivre. C’est un des oublis contre lesquels je viens protester, et j’en développerai les motifs.

En conduisant le chemin de fer de Namur à Arlon par le faubourg de Leffe et la vallée de ce nom, on rattachait la ville de Dinant à ce railway, et assurément cette considération n’aurait pas dû être négligée.

De Namur à Arlon et au-delà, sur une étendue de plus de 32 lieues, Dinant est le plus grand centre de population, de production et de consommation.

Voici la description exacte de sa position, description que mentionne la pétition qui vous a été adressée par l’administration communale de cette ville.

Dînant, qui a une population de 6 à 7,000 âmes, est située sur la Meuse, est la seconde ville de la province de Namur, est entourée de communes populeuses et dont plusieurs sont pour ainsi dire ses faubourgs, possède un pont reliant les deux rives du fleuve, est le point de jonction de cinq grandes routes.

Son territoire est couvert d'usines, de manufactures, de papeteries et de cartonneries, de scieries et de polissoires à marbre, de carrières de pierres et de marbre, de forgeries, de moulins à farine et à écorces mus par l'eau, de moulins à farine et à chicorée, mus par la vapeur, de tanneries et de corderies, etc., etc., etc.

On peut affirmer, sans crainte de blesser la vérité, qu'il n'y a pas en Belgique de cours d'eau pareils a ceux qui se rencontrent à Dinant et dans les environs.

En effet, les eaux qui activent ses usines présentent ensemble une force de 825 chevaux environ ; sur le ruisseau de Leffe seul, territoire de Dînant, elles ont une forte de 200 chevaux.

Cette force motrice représente une dépense annuelle de 400 mille francs.

Dinant seul, par son mouvement commercial fait, année commune, des cendres dans le restant de la Belgique, des marchandises ouvrées et non ouvrées présentant un poids de plus de 40,000,000 de kilogrammes.

De son côté, Dinant reçoit aussi beaucoup de marchandises. Il présente donc tout ce qui doit faire fructifier un chemin de fer.

De Namur à Ciney, la distance n’est pas plus grande, en suivant le projet dinantais qu’en suivant la vallée du Boucq, à cause des nombreuses sinuosités qu’elle présente ; par cette vallée, il y aurait à faire des travaux d’art extrêmement dispendieux, dont on serait dispensé par les fonds de Leffe.

Si ensuite on fait attention au mouvement commercial de Dinant et de ses environs, au nombre des voyageurs qui y arrivent de France et descendent en Belgique, on sera convaincu qu’il sera évidemment de l’intérêt des entrepreneurs du chemin de fer d’adopter le tracé par Dinant.

On ne peut méconnaître, messieurs, que ces considérations sont telles que, sous tous les rapports, le tracé par Dinant satisfait mieux aux besoins généraux des populations, de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Vous ne l’ignore pas, les meilleures lignes sont celles qui satisfont au plus grand nombre d’intérêts, sont celles qui se rattachent aux points les plus importants du territoire, sont celles enfin qui produisent le plus d’utilité possible.

Se laissant aller à une fascination déplorable, on n'a voulu voir dans le railway du Luxembourg, que le chemin direct de Londres à Calcutta, comme si, sur notre territoire, il ne se trouvait pas des positions, des communautés importantes qui ne pouvaient être négligées et que le passage par Dinant pouvait seul seconder. C’est cette vue incomplète et tronquée de la question que j’attaque, parce qu’elle vicie le projet qui nous est présent. Avec des études mieux faites, plus sérieuses, plus approfondies, on se serait aperçu que Dinant étant le point de jonction de cinq routes de l’Etat, suivies par un roulage considérable, ne pouvait être délaissé, et qu’on se serait convaincu que le tracé que nous indiquons était le préférable.

J'ai lu quelque part, et cette comparaison est très juste, qu'un chemin de fer ne doit pas ressembler à une corde tendue, mais au contraire a une corde lâche, devant circuler entre les vallées et les groupes de population. Cette comparaison repose sur le principe élémentaire qu'un chemin de fer doit dévier de la ligne droite pour aller chercher les centres de population, principe dont vous avez fait l'application à tous les chemins de fer qui ont été exécutés en Belgique jusqu'à ce jour. Ainsi, le chemin de fer de Bruxelles à Anvers, point d'embarquement et de débarquement pour l'Angleterre, dévie de la ligne droite pour passer à Vilvorde, Duffel et Contich ; le chemin de fer de Bruxelles à Ostende, autre point d'embarquement et de débarquement pour l'Angleterre, dévie de la ligne droite pour passer à Malines, Termonde, Wetteren, Gand et Bruges.

Le chemin de fer de Bruxelles à la frontière de Prusse, railway international, dévie de la ligne droite pour passer à Louvain, Tirlemont, Waremme et autres localités ; le chemin de fer de Bruxelles à Valenciennes, aussi railway international, dévie de la ligne droite pour passer à Hal, Tubise, Braine-le-Comte, Soignies, Jemappes et Quiévrain.

Prenez la carte du pays et tout en consultant sa topographie, vous verrez que les chemins de fer que je viens de citer, comme tous les autres au reste, s'écartent de la ligne droite pour passer par les localités de quelque importance.

Pourquoi donc ferait-on une exception préjudiciable à la vallée de la Meuse supérieure et surtout à la ville de Dinant ? Pourquoi laisserait-on cette ville à l'écart ? Pourquoi condamnerait-on à une décadence certaine une localité aussi importante ?

J'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, je ne crois pas que le parcours par la vallée de la Leffe soit plus long que par la vallée du Boucq, et en ce qui concerne l'allongement du tracé par cette dernière vallée, voici l'opinion de M. l'inspecteur divisionnaire De Moor. Je l'extrais de son rapport du 6 février 1846, page 34 du projet de loi qui nous est soumis :

« Les plan indiquent plusieurs directions, entre le confluent du Boucq, à Yvoir et Arlon. La plus longue a 28 1/2 lieues de 5,000 mètres, qui, réunies à la distance de 3 1/2 lieues, d'Yvoir à Namur, porteraient à 32 lieues l’étendue du railway de Namur à Arlon, tandis que par la route ordinaire la plus courte, l'intervalle qui sépare ces deux chefs-lieux de province n'est que de 25 à 26 lieues. L'allongement est donc du quart au tiers du parcours.

« Cet allongement qui est moindre pour les autres directions étudiées, ne présente aucune exagération en Belgique, où il est :

« De près du quart, pour le chemin de fer de Mons à Tournay,

« De plus du tiers, pour le chemin de fer de Mons à Namur,

« De plus de la moitié, pour le chemin de fer de Bruxelles à Gand,

« De près des trois quarts, pour le chemin de fer de Bruxelles à Namur ;

« De près de trois quarts, pour le chemin de fer de Bruxelles à Louvain. »

Ainsi que l'écrit lui-même, M. l'inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées, vous voyez, messieurs, que l’allongement du parcours par la vallée de la Meuse et celle du Boucq ou celle du fonds de Leffe qui est à peu près la même, n'aurait rien d'exagéré. Je soutiens que le chemin de fer du Luxembourg comme tous les autres chemins de fer qui ont été exécutes dans le pays, doit dévier de la ligne droite, alors même qu'il devrait allonger un peu son parcours, pour venir chercher la ville de Dinant qui, de Namur à Arlon sur une étendue de 32 lieues, est la ville la plus importante. Je propose eu conséquence la rédaction suivante pour la deuxième paragraphe de l'article premier du cahier des charges :

« De Namur, le tracé de la ligne du Luxembourg sera conduit sur Arlon, par Ciney, Rochefort et Recogne, en passant par la vallée de la Meuse et en remontant soit la vallée du Fonds-de-Leffe, soit celle du Boucq.

« Le chemin de fer du Luxembourg aura deux embranchements obligés, l'un vers l'Ourthe, l'autre sur Bastogne ; s'il ne suit pas la direction de la (page 1548) vallée du Fonds-de-Leffe, un troisième embranchement sur Dinant, sera de plus obligatoire. »

Messieurs, il n’est pas une seule raison alléguée en faveur du tracé direct de Namur à Ciney, qui se rattache aux intérêts nationaux ; il n’y a que des considérations étrangères aux besoins du pays qui militent en faveur de ce tracé. Eh bien ! je vous le demanderai, ne sont-ce pas les intérêts généraux du pays que nous devons d’abord consulter, et irions-nous les sacrifier par pure condescendance pour l’étranger, pour que la malle de Indes arrivât pour être cinq minutes plus tôt à Londres ?

D’ailleurs, veuillez-le remarquer, le tracé direct de Namur à Ciney présente beaucoup d’inconvénients sous le rapport des conditions d’art. D’abord la lieue coûtera 1,800,000 francs, au lieu de 705,000 francs, terme moyen, ainsi qu’elle est estimée par la vallée de Boucq ;

Ensuite il y aura 742 mètres de souterrains de plus ;

Des tranchées de 25 à 30 mètres ;

Un parcours de 14,500 mètres avec une pente et contre-pente de 12 millimètres ;

Un autre parcours de 6,375 mètres avec 16 millimètres de pense et contre-pente ;

Les rayons de courbure ne se trouvaient pas indiqués sur le plan qui nous a été remis, de sorte que je n'ai pu les apprécier.

Or, vous ne l’ignorez pas, messieurs, les souterrains comme les grandes tranchées, les fortes courbures et les pentes rudes offrent toujours quelque danger, et de plus les pentes et contrepentes trop fortes diminuent beaucoup la vitesse des convois et par conséquent allongent le temps de durée du parcours.

Plus la question est examinée et retournée sur toutes ses faces, plus il est évident que les tracés longent la Meuse, et remontant soit la vallée de la Leffe, soit celle du Boucq avec embranchement sur Dinant, seraient les meilleurs.

Messieurs, Dinant est un point central autour duquel gravite un grand mouvement agricole, commercial et industriel. Le tracé vers lequel le gouvernement semble incliner, loin de favoriser ce mouvement, porte un préjudice notable à tous les intérêts existants. Il trouble toutes les relations actuelles, et tend à déplacer brusquement beaucoup d'intérêts en détruisant des positions anciennement et légitimement acquises ; il prive des localités importantes des avantages de leur position. Eh bien, je dis que l'intérêt purement belge doit l'emporter sur toute autre considération, que la vallée de la Meuse supérieure a des droits aussi à être reliée au railway du Luxembourg, qu'en conséquence il importe de prendre un tracé qui lui soit profitable et de l'imposer comme condition dans le cahier des charges.

Il y aurait injustice et imprévoyance à ne pas adopter l'un des tracés que nous vous proposons. Le gouvernement ne peut vouloir engendrer des inégalités choquantes entre des localités de même importance ; et ce qu'il a fait pour les voies ferrées précédemment exécutées, il doit le faire également pour le chemin de fer du Luxembourg. J'espère que. M. le ministre des travaux publics actuel verra, dans le projet qui nous est soumis, autre chose que deux points extrêmes hors du pays et le point intermédiaire de Bastogne. Ce n'est pas que je veuille attaquer l'embranchement de Recogne à Bastogne. Je félicite, au contraire, ces localités d'avoir obtenu une voie de communication qui leur sera si avantageuse. Mais je dis que si l'on inscrit dans la convention un embranchement obligé de Recogne à Bastogne, il y a cent fois plus de raison de faire passer le chemin de fer du Luxembourg par la vallée de Leffe, ou d'exiger aussi un embranchement obligé de Leffe au tronc principal ; mais je dis que si on retranche Dinant du railway du Luxembourg, c'est lui faire un tort incalculable ; ce à quoi nous ne devons pas concourir.

Mais je dis qu'on doit rattacher aux chemins de fer toutes les villes intermédiaires de quelque importance, et qu’en fait de chemins de fer, c'est une théorie aussi fausse que dangereuse de ne tenir compte que des points extrêmes.

Je dis que dans la direction des chemins de fer, on doit procéder avec la plus grande circonspection ; qu'un homme d'Etat, qu'un ministre doit veiller avec la plus grande attention à conserver les richesses acquises, et à ne pas porter inutilement le trouble et la perturbation dans les relations commerciales consacrées par le temps. Comment, M. le ministre signataire de la convention provisoire du 26 février 1846, avec l'intelligence qui vous distingue, vous ne pouviez ignorer combien les meilleurs chemins de fer froissent et déplacent d'intérêts, et à ces causes inévitables de perturbation, vous avez ajouté des causes de perturbation volontaires. De Namur à Ciney, modifiant la convention conclue par votre prédécesseur, vous avez abandonné le tracé par la vallée du Boucq qui était obligatoire, et non seulement vous l'avez rendu facultatif dans votre convention, mais encore on paraît se prononcer pour le tracé direct, tracé qui doit jeter une quantité de fortunes dans une véritable révolution. Vous vous êtes montré d'une générosité allant jusqu'à la prodigalité pour certaine localité, et la nécessité de relier la ville de Dinant à la ligne principale, non seulement ne vous est pas apparue, mais volontairement vous l'avez privé des avantages qui avaient été stipulés pour elle. C'est réellement inexplicable, car pour les deux localités si vous aviez examiné la densité et l'importante des populations, la circulation des voyageurs, le mouvement des marchandises, vous auriez trouvé des raisons décisives pour doter d’un railway la ville de Dinant tout aussi bien que la ville de Bastogne. Quelque pénible que cela me soit à dire, je ne sautais m’empêcher de le proclamer dans la question du chemin de fer du Luxembourg, vous ne vous êtes pas signalé par un esprit de justice distributive, par un esprit de véritable équité, et votre intelligence habituelle vous a fait défaut dans l'appréciation des vrais besoins du pays.

Messieurs, les intérêts agricoles, commerciaux et industriels de la vallée de la Meuse, depuis Namur jusque la frontière française, réclament l'un des tracés que nous vous proposons. Pour sacrifier les intérêts qui se trouvent concentrés dans cette province, il faudrait des considérations d'ordre supérieur d'une évidence qui convainque tout le monde. Je doute fort que les plus chauds partisans du projet de loi que nous discutons puissent faire passer cette conviction dans vos esprits. J'espère donc que vous adopterez mon amendement, parce qu'il rendra obligatoires les tracés propres à satisfaire les intérêts considérables et divers dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir.

Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

M. d’Hoffschmidt. - Je ne dirai que quelques mots à cause de l'heure avancée, mais je dois exprimer ma surprise et la peine que j'ai éprouvée en entendant le langage plein d'amertume que l'honorable préopinant a tenu envers mot, envers moi qui ai toujours eu avec lui de si bonnes relations. L'honorable préopinant aurait dû me connaître assez pour savoir que je suis au-dessus des suppositions qu'il a laissé percer. D’après M. Pirson, il semblerait que j'ai sacrifié l'intérêt du pays, en cette occasion, à je ne sais quel intérêt.

Messieurs, je ne crains pas de le dire, de pareilles insinuations ne peuvent pas m'atteindre. Mais, messieurs, un sentiment aussi bas que celui de sacrifier sciemment l'intérêt du pays à un intérêt particulier n'a pu approcher de mon âme.

Il me sera d'ailleurs facile de démontrer que la modification qu'a reçue la première convention et qui provoque une si vive irritation de la part du préopinant est entièrement dans l'intérêt du pays. L'intérêt du pays était d’assurer l'exécution de cette grande voie de communication. Eh bien, je n'hésite pas à le dire, sans les modifications apportées à la première convention, cette voie ne se serait pas exécutée ; et, par conséquent, quel avantage Dinant, cette ville qui semble si vivement intéresser l'honorable préopinant, ce dont je ne le blâme pas, aurait-il obtenu ? D'après la première convention, le chemin de fer du Luxembourg devait aboutir d'un côté à un petit village de la vallée de la Meuse, au village d'Yvoir, et de l'autre à Arlon. Sans entrer dans la discussion des détails, ce que je ferai demain, il suffit de citer ce fait pour que le simple bon sens fasse reconnaître qu'une pareille voie de communication ne pouvait avoir aucun avenir. Par les raisons mêmes qu'a avancées l'honorable préopinant, si on n'avait pas donné plus d'extension à cette convention, elle aurait inévitablement échoué. Je pourrai à ce sujet citer les paroles d'un honorable membre dont l'opinion doit avoir un très grand poids dans cette question : il vous disait naguère que le gouvernement ne devait accorder que des concessions présentant des avantages réels aux actionnaires, parce que, sans cela, elles devaient nécessairement échouer dans l'avenir. C'est cette considération puissante qui m'a déterminé à modifier la convention. Je n'ai aucun intérêt à chercher à empêcher Dinant d’obtenir les avantages qu'elle désire.

Mais, messieurs, Dinant sera relié au chemin de fer de l'Etat et à celui de la société. La compagnie du chemin de fer de Namur à Liége a le droit de prolonger son chemin de fer jusqu'à Dinant, et si je suis bien informé, son intention est d'user de ce droit.

Dinant aura donc son chemin de fer. Il possède déjà une grande voie de communication, la Meuse ; il a de plus une route qui le relie à Namur, un chemin de fer, dès lors je ne vois pas que Dinant soit à plaindre, et que surtout son intérêt doive grandement peser dans la balance lorsqu'il s'agit d'une voie de communication destinée à traverser les trois quarts du royaume, et à être prolongée jusqu'à l'Adriatique ! Oui, messieurs, jusqu'à l'Adriatique ! Croyez-vous que des capitalistes étrangers viendraient exposer 75 millions de francs pour construire un chemin de fer dont le principal mérite serait de rattacher Dinant au réseau de l'Etat ? Mais n'en déplaise à Dinant, cette perspective ne leur suffirait pas.

Je m'arrête, messieurs, et je borne à ce peu de mots que j'avais à dire pour le moment. Demain j'entrerai dans les détails de la question.

J'ajouterai cependant quelques mots de réponse à une question qui a été adressée au ministre des travaux publics.

On a demandé si les hommes qui sont à la tête de l’entreprise étaient des hommes considérables ; si ce n'étaient pas des hommes n'ayant d'autre but que l'agiotage. Je dirai que le gouvernement n'a reçu sur ces hommes que les renseignements les plus favorables. Ceux qui ont conçu cette grande entreprise sont des hommes considérables de l'Angleterre, des hommes d'une grande puissance financière.

Ces hommes s'exposent à des pertes peut-être pour créer des voies de communication éminemment utiles dans notre pays ; nous devons leur en savoir gré, et gardons-nous surtout de les décourager par des paroles amères. Quant aux calculs qu'ils ont pu faire vis-à-vis de leurs amis, je n'ai pas à m'en occuper, ils ne me concernent pas.

- La séance est levée à 5 heures.