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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 3 mars 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative au chemin de fer de Louvain à la Sambre (de Garcia)
2) Projet de loi sur la comptabilité
publique. Discussion des articles. société générale et caissier de l’Etat,
définition des ordonnateurs et des comptables de l’Etat, nomination des comptables
par le ministre des finances, agents du chemin de fer et de la poste et/ou
contrôle par la cour des comptes ((+cohésion gouvernementale) de Garcia, Mercier, Malou, Mercier, Rogier,
Lebeau, Malou, de
Man d’Attenrode, Lebeau, de Man d’Attenrode,
Malou, Desmet, Veydt),
privilège du trésor sur les biens des comptables, et notamment du caissier de
l’Etat (société générale) (Desmet, Malou,
Desmet, Malou, de
Garcia, Rogier, Malou, Mercier, Verhaegen, Malou, Mercier), responsabilité des
comptables en matière de recouvrement (de Garcia, Malou, de Garcia, Vanden Eynde, Malou, Mercier, de Garcia, Malou), contrôle des comptables par l’administration des finances
(de Bonne, Malou, de Corswarem, Malou),
interdiction de procéder à une dépense avant le vote préalable des crédits (Lebeau), interdiction d’accroître les dépenses au-delà des
crédits ouverts par le budget (Desmet, Malou),
ordonnancement et centralisation par le ministre des finances, visa préalable
de la cour des comptes et/ou liquidation par la société générale (système dit
de la « cascade ») (Rogier, Malou,
de Man d’Attenrode, Rogier, Malou, Mercier, Desmaisières, Lebeau, de Man d’Attenrode, Lebeau, d’Huart, Malou, de,
Garcia Osy, Rogier, Malou), dépenses urgentes à faire
en l’absence de crédits (Malou, Verhaegen,
Malou)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 850) M. de Villegas procède à l'appel nominal à midi et quart.
M. Huveners donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ;
la rédaction en est approuvée.
M. de Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les régisseurs de la wateringue du poldre de Maldegem
prient la chambre de rejeter le projet de loi sur la dérivation des eaux de la
Lys. »
« Même demande des régisseurs de la wateringue
de Moerkerke, au-delà de la Lieve. »
- Renvoi à la section centrale chargée
d'examiner le projet.
« Le conseil communal de Gembloux prie la
chambre de s'occuper au plus tôt du projet de loi concernant des modifications
à la concession du chemin de fer de Louvain à la Sambre, et d'imposer à la
compagnie concessionnaire l'obligation de commencer immédiatement les travaux
dans les différentes sections de la ligne concédée. »
M. de Garcia. - Messieurs, le projet de loi dont parle cette
pétition se trouve à l'ordre du jour. Cette pétition est donc en quelque sorte
inutile ; mais je demanderai qu'elle reste déposée sur le bureau, afin
d'écarter, au besoin, tout retard à la discussion de la loi de concession du
chemin de fer dont s'agit. Plus tôt vous vous prononcerez sur cet objet, plus
tôt vous donnerez du pain à des malheureux, au nom desquels les notables et
l'administration communale de Gembloux réclament du travail.
- Le dépôt de la pétition sur le bureau pendant
la discussion du projet de loi qu'elle concerne est ordonné.
Discussion des articles
Chapitre II. - Comptabilité générale
§ 1. Recettes
Article 7
La discussion continue sur l'article 7.
M. de Garcia. - Messieurs, l'article 7, comme on vous l'a dit,
est un des plus importants de la loi. Cet article, tel qu'il est amendé par M.
le ministre des finances, recevra mon assentiment. Selon moi, il réunit tous
les principes qui peuvent concourir à assurer une bonne comptabilité, à assurer
l'état régulier des finances du pays.
Contre cet article, messieurs, on a plutôt
opposé des scrupules que des attaques directes.
On s'est demandé si, dans notre système
financier, cet article, qui était emprunté à la législation française, cadrait
avec les principes généraux de nos lois financières.
En France, a-t-on dit, il existe des receveurs
généraux ; en Belgique, la Société Générale remplit leur office ; ne doit-on
pas craindre que cet ordre de choses différent ne produise des contradictions
dans l'application de ces principes ?
Je ne pense pas, messieurs, qu'à ce point de vue
on ait rien à craindre, et j'ai la conviction que les principes consacrés par
l'article en discussion sont tout à fait en harmonie avec le système suivi
jusqu'à ce jour en Belgique.
Souvent il m'est arrivé de présenter des
considérations tendant à démontrer que le contrat fait entre le gouvernement et
la Société Générale ne présentait pas des garanties suffisantes pour les
deniers de l'Etat ; mais l'article 7 rapproché de l'article 8, remplit, au
moins en partie, le but que je me proposais. J'ai toujours désiré que l'Etat
eût un privilège sur l'avoir de la Société Générale, et ce but est atteint.
Que cette observation, au surplus, soit prise à
sa juste valeur. Je n'entends en aucune manière, comme je l'ai dit à
différentes époques, jeter du discrédit sur la Société Générale ; mais je veux
que, rentrant dans les principes ordinaires et réguliers d'une bonne
comptabilité, l’Etat ait un privilège sur tous les biens de son caissier.
On s'est demandé, messieurs, si la Société
Générale accepterait cette condition. Ceci m'importe peu. Il me suffit que la
loi établisse le principe ; que ce soit la Société Générale ou tout autre
individu qui détienne les deniers publics, la conservation de ces deniers sera assurée
par la règle posée dans la loi.
Si le caissier actuel de l'Etat refuse ces
conditions, le gouvernement devrait aviser à le remplacer en se conformant aux
dispositions de la loi, et en exigeant toutes les garanties pour que les
intérêts du trésor ne soient jamais compromis. Les principes établis dans
l'article en discussion me semblent devoir réaliser ce but, et c'est une des
considérations essentielles qui me déterminent à l’adopter.
Pour attaquer cette disposition de la loi, en
général, on a dit qu'elle n'était pas complète, on a dit qu'on ne statuait rien
de définitif, quant au caissier actuel de l'Etat. Je ne puis concevoir la
portée de l'objection. Selon moi, l’individu n'est rien, le principe est tout.
Si la Société Générale n'acceptait pas toutes les conditions que le
gouvernement jugerait utiles aux intérêts du trésor, le gouvernement devrait
pourvoir au service qu'elle remplit en se conformant à la loi, ou nous
présenter une loi à l'effet de créer des receveurs généraux ou tout autre mode
d'établir la perception générale des impôts.
On a dit aussi que le moment n'était pas
favorable pour discuter la loi actuelle ; que le cabinet se trouvait dans un
état de crise. Ces considérations ne me paraissent avoir rien de sérieux pour
la loi que nous discutons. Je ne sais pas ce qui se passe à cet égard ; je ne
sais pas si le ministère restera ou ne restera pas, mais peu m'importe, je ne
vois que l'intérêt du pays ; peu m'importe qui siège aux bancs ministériels, je
veux que les ministres, quels qu'ils soient, aient leurs règles et leurs
attributions réglées par la loi. La loi actuelle a été incessamment réclamée
depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte ; à plusieurs reprises
d'honorables membres de cette assemblée, très estimables, ont signalé les
graves inconvénients qui résultaient du défaut d'une loi sur la matière, ont
fait sentir que dans cet état, les finances du pays et le trésor public
n'avaient pas les garanties suffisantes, et il faut le dire, jusqu'à ce jour la
nécessité d'une loi semblable n'a jamais été contestée.
On
a observé, d'un autre côté, que pour discuter une loi de cette nature, il
faudrait que tous les ministres fussent présents, parce que chaque département
aurait en quelque sorte une partie financière dans ses attributions. Ici je
crois qu'il y a erreur ou abus. En effet, selon moi, il faut que le ministre
des finances ait dans ses attributions tout ce qui tient aux finances ; c'est
ce qu'indique suffisamment le titre de son département. Enlevez les finances à
ce département, que lui restera-t-il ? Si vous voulez attribuer à chaque
département la partie financière qui les concerne, il faudrait supprimer le
ministère des finances, qui ne serait qu'une sinécure. Je ne crois pas qu'il
puisse en être ainsi, et dans l'intérêt général du pays, dans l'intérêt bien
entendu de la comptabilité d'un Etat, il faut que toutes les règles financières
aboutissent à un seul département. A ce point de vue, je me félicite de la
déclaration faite hier par M. le ministre des finances, que le cabinet tout
entier partage ces vues en donnant son adhésion au projet de loi qui nous est
soumis.
M. Mercier. - Messieurs, le deuxième paragraphe de l'article 7 n'est
guère que le développement du deuxième paragraphe de l'article 6 du projet du
gouvernement, en ce qui concerne l'action du ministre des finances sur les
comptables de l'Etat. Sans doute, nous devons regretter, comme on l'a fait
observer dans la séance d'hier, que la loi, par suite des amendements présentés
par le gouvernement, doive offrir quelques lacunes. Toutefois, il ne faut pas
perdre de vue que les amendements qui établissent des exceptions renferment
eux-mêmes leur correctif en ce qu'ils déterminent des époques fixes avant
lesquelles des projets de loi devront être présentés pour régler les deux
points qui ont été réservés à l'avenir.
Le projet renferme d'ailleurs certaines
améliorations, puisque le cautionnement du caissier général sera exigé en vertu
de la loi el qu'en outre l'Etat aura privilège sur les biens de ce caissier.
Je n'examinerai pas si M. le ministre des
finances peut avoir quelque intérêt à augmenter ses attributions, je me
placerai uniquement au point de vue de l'intérêt public, et il me semble qu'a
ce point de vue il est indispensable que le ministre des finances ait une
action sur ceux, qui sont chargés du maniement des deniers de l'Etat.
Un honorable député d'Anvers a fait observer que
la disposition de. l'article 7 est empruntée à une ordonnance française, cela
est vrai ; mais cette même mesure existe dans tous les Etats bien constitués ;
dans le gouvernement des Pays-Bas, par exemple, le ministre des finances est
chargé de tout ce qui concerne les recettes el la gestion des comptables de
l'Etat, qui tous sont placés sous ses ordres.
Le même honorable membre a reproché au
gouvernement de n'avoir pas fait attention, en empruntant au règlement français
l'article qui est en discussion, aux différences qui existent dans la situation
des deux pays, c'est-à-dire, sans doute, aux dispositions différentes qui
régissent la matière sous d'autres rapports ; il a cité le visa préalable de la
cour des comptes, qui est exigé ici et qui ne l'est pas en France ; j'avoue,
messieurs, que je ne comprends pas en quoi cette circonstance peut se rapporter
à la surveillance que le ministre des finances doit nécessairement exercer sur
toutes les caisses publiques. Le visa préalable concerne bien plus
l'ordonnateur, le ministre qui fait la dépense, que le comptable qui doit
seulement se dessaisir de la somme ordonnancée ; ce n'est pas sur l'ordonnateur
de la dépense que le ministre des finances exercera son contrôle eu vertu de
l'article 7, c'est sur la caisse du dépositaire des deniers publics ; le contrôle
est nécessaire pour prévenir ou réprimer les abus et pour établir une parfaite
régularité dans la comptabilité de l'Etat.
L'honorable membre nous a fait remarquer aussi
que l'organisation de la banque de France diffère de celle de la Société
Générale dans ses rapports avec l'Etat ; ici encore, je ne vois guère en quoi
cette distinction devrait nous porter à repousser l'article 7 du projet qui
établit la surveillance du minisire des finances sur ceux qui sont chargés du
maniement des fonds du trésor ; cette seconde différence signalée par
l'honorable membre ne peut donc avoir aucune influence dans la solution de la
question qui est agitée en ce moment. Remarquez bien, messieurs, que ce que le
gouvernement propose n'est pas une innovation et que dans tous les Etats bien
organisés, le ministre des finances a la surveillance générale des comptables.
L'honorable M. Rogier a parlé d'une espèce de
comptables qui se trouvent dans une position tout à fait exceptionnelle : ceux
qui sont chargés directement par un ministre de faire quelques payements ; il y
aura lieu d'examiner séparément quelles seront les mesures à adopter en ce qui
les concerne. C'est à cause de leur caractère particulier que la disposition
qui les concerne n'est pas comprise dans le projet de loi sur la comptabilité,
el se trouve dans celui qui concerne l'organisation de la cour des comptes.
S'il est nécessaire d'adopter a leur égard une disposition différente de celle
(page 851) de l'article 7, cette
disposition aura sa place naturelle à l'article 13 de la loi sur l'organisation
de la cour des comptes ; je pense donc qu'il n'y a pas lieu de nous occuper en
ce moment de ces agents tout spéciaux, et que cette question doit être réservée
jusqu'au moment de la discussion du projet dont je viens de parler.
M. le président. - A la fin de la séance d'hier, je crois avoir
compris que M. Rogier posait par motion d'ordre la question de savoir s'il
convenait de s'occuper, à l'occasion de l'article 7, des exceptions que
d'autres dispositions du projet apportent au principe de cet article. Il serait
bon que la chambre se prononçât sur ce point, qu'elle décidât si les exceptions
seront discutées en même temps que l'article 7 ou bien si la question de ces
exceptions sera réservée.
M. le ministre des finances (M.
Malou). -
Il me paraît impossible de discuter en même temps l'article 7, les articles
transitoires et l'article 13 de la loi sur l'organisation de la cour des
comptes. Le principe de l'article 7 n'a, jusqu'à présent, été contesté par
personne ; l'on pourrait fort bien voter cet article. Si j'ai bien compris la
motion que l'honorable M. Rogier a faite hier, elle tendait à faire discuter
séparément et en premier lieu la question relative au caissier de l'Etat. Si ce
mode de discussion était proposé, je ne m'y opposerais pas, mais la discussion
serait extrêmement confuse si l'on examinait à la fois cinq ou six dispositions
différentes.
M. Mercier. - M. le ministre des finances nous a fait observer,
dans notre dernière séance, qu'il pouvait y avoir d'autres exceptions que
celles dont il est fait mention dans le projet de loi. Par conséquent les mots
: « sauf les exceptions établies par la loi, » qui doivent commencer l'article
d'après l'amendement de M. le ministre des finances, pourraient s'appliquer
également à ces autres exceptions. Je citerai celle qui pourrait être établie à
l'égard des comptables dont a parlé l'honorable M. Rogier, ceux qui sont
chargés par le ministre de faire certains payements sous réserve de
justification ultérieure.
M. Rogier. - J'ai présenté hier une observation à M. le
ministre des finances. Je lui ai demandé son opinion sur la meilleure marche à
suivre dans la discussion. Si l'on veut réserver toutes les questions relatives
aux exceptions à l'article 7, je ne m'y opposerai pas ; alors l'article ne
présentera plus grande importance, et son adoption devient beaucoup plus
simple.
Est-il entendu que la question de la régie du
chemin de fer se trouve réservée ? Est-il entendu aussi que la question
relative aux comptables spéciaux qui appartiennent aux divers départements se
trouve également réservée ? Est-il bien entendu enfin que la question du
caissier de l'Etat se trouve réservée ?
S'il en est ainsi, je crois que le principe posé
par l'article 7 ne peut plus donner lieu à contestation.
Mais je ferai remarquer que toute la discussion
qui a eu lieu sur les questions réservées, se reproduira nécessairement à la
fin de la loi.
M. le ministre des finances (M.
Malou). -
Pourquoi pas ?
M. le président. - Il serait entendu que toutes les dispositions
exceptionnelles seraient réservées.
- La chambre, consultée, décide qu'elle ne
s'occupera dans ce moment que de l'article 7.
M. le président. - La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau. - D'après la résolution que vient de prendre la
chambre, je suis disposé à renoncer à la parole.
Je voulais faire remarquer que ceux mêmes qui
poussent le plus à l'adoption de l'article 7, ne sont pas d'accord sur le sens
qu'il présente. Ainsi, l'honorable M. Mercier, qui peut en parler en
connaissance de cause, puisqu'il est l'auteur du projet, ne paraît pas d'accord
avec l'honorable rapporteur de la section centrale sur le sens qu'il faut
attribuer au mot comptable ; il ne lui donne pas une extension aussi grande que
l'honorable M. de Man d'Attenrode. Il ne considère pas comme constitué
comptable un employé du ministère, parce fait seul qu'il aurait été chargé,
sous la responsabilité du ministre, de payer certaines dépenses.
J'aurais aussi des observations à faire si cet
article n'était pas purement provisoire et si, comme amendement, il n'était pas
soumis à un double vote, sur l'extension prise dans un autre sens, que
l'honorable M. Mercier a donnée au mot comptable.
Il vous a dit que dans tous les pays, en France,
probablement en Allemagne, en Angleterre, par le fait seul d'un maniement de fonds,
on appartient au département des finances.
Eh bien, je ferai remarquer qu'en France même,
où ces dispositions ont été adoptées, les exceptions sont nombreuses Ainsi dans
cette ordonnance royale dont la section centrale a extrait les dispositions qu'elle
présente, ordonnance qui se compose d'environ 700 articles, il y a à côté de ce
principe que vous voulez établir, de nombreuses exceptions qui ne sont pas dans
votre projet.
Ainsi exception pour la guerre, exception pour
la marine, exception pour une foule d'administrations spéciales ; et ces
exceptions vous ne les introduisez pas dans votre loi.
Il me serait donc impossible d'admettre ce que
vous a dit l'honorable M. Mercier. Il n'est pas vrai qu'en France
l'administration du département de la guerre appartienne au ministère des
finances ; il n'est pas vrai que l'administration du département de la marine
appartienne au département des finances, pas plus que chez nous
l'administration du chemin de fer n'appartient au département des finances.
Je
ne pense pas que les officiers payeurs de l'armée française soient nommés par
le ministre des finances et dépendent de lui.
Je veux bien, messieurs, que le ministre des
finances exerce une action. Je crois que, sans une centralisation financière,
il n'y a pas de responsabilité possible ; mais entre une centralisation,
c'est-à-dire l'obligation pour chaque collègue de M. le ministre des finances,
de le mettre au courant du mouvement de fonds qui se fait dans son département,
et l'abandon à M. le ministre des finances de la nomination des employés
comptables de la guerre, de la marine, et de l'administration centrale de
chaque département, il y a une très grande différence.
Du reste la discussion a beaucoup perdu de son
importance, puisque toutes les questions que soulève l'article 7 sont réservées
et seront examinées plus tard.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, de ce que les questions
exceptionnelles soient réservées, il ne s'ensuit nullement que l'article 7 perde
son importance. Pour ce motif, je tiens à définir comment cet article me paraît
devoir être compris.
Il y a trois manières de faire sortir les fonds
du trésor public : sur visa préalable, par ouverture de crédit ou par forme
d'avance.
Lorsque la dépense se fait sur visa préalable,
dans la demande de payement même, le créancier de l'Etat est désigné ; la cour
des comptes vise et le créancier reçoit. Tout est consommé quant à ce mode.
Il y a, en second lieu, les dépenses par forme
de crédit ouvert. C'est celle qui est employée notamment pour l'armée. Alors,
messieurs, des formalités sont prescrites pour la justification de l'emploi des
crédits.
Les intendants militaires sont-ils des
comptables ou sont-ils des ordonnateurs ? Voilà ce dont il faut se rendre compte.
Les comptables militaires sont les administrations des régiments, et les
intendants militaires sont des ordonnateurs secondaires.
Le troisième mode que j'ai indiqué, c'est celui
dont il est question dans l'article 13 du projet primitif relatif à la cour des
comptes et l'article 15 du projet de la section centrale. Là il se fait une
avance, et l'avance constitue plutôt un débiteur de l'Etat qu'un vrai
comptable. Ainsi l'article 15 du projet de la section centrale limite ces
avances à la somme de 20,000 francs et défend de faire une avance nouvelle
avant qu'il n'ait été rendu compte de la première. Nous examinerons, lorsque
nous arriverons à la discussion de la loi relative à la cour des comptes, s'il
faut donner une définition de ce qui constitue le comptable. Mais il me semble
que l’article 7, tel qu'il est conçu, ne préjuge pas que celui à qui il aura
été fait une avance dans la limite du projet relatif à la cour des comptes,
soit par ce fait même un comptable à la nomination du ministre des finances.
M. Lebeau. - C'est ce que décide l'article 7.
M. le ministre des finances (M.
Malou). -
L'article 7 ne le déclare pas, parce que l'article 7 ne définit pas ce qu'il
faut entendre par comptable. L’article 7 ne déclare pas non plus que tous les
agents qui sont chargés du maniement des deniers publics seront nommés par le
ministre des finances. Il décide seulement qu'il y aura un concert préalable
entre le ministre des finances et celui de ses collègues auquel cet employé
ressortit impérialement. C'est, messieurs, ce qui se fait en France. Il y a un
lien établi, une affinité, comme le disait hier l'honorable rapporteur de la
section centrale, entre toute personne qui manie les deniers publics et le
département des finances. Cela est nécessaire pour l'unité de la surveillance,
pour l'unité de contrôle ; et, comme je l'ai déjà fait remarquer, il n'en
résulte pas un déplacement d'attributions.
Je pense donc qu'il ne peut y avoir de doute sur
le sens de l'article 7 ; il pose un principe qui, jusqu'ici, n'a été contesté
par personne ; il laissé ouverte la possibilité d'établir non seulement les
deux exceptions que j'ai cru devoir indiquer dès à présent, mais encore les
autres exceptions dont l'utilité serait reconnue par la suite.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, à entendre l'honorable M. Lebeau,
il semblerait qu'il y aurait dissidence entre l’opinion que j'ai exprimée hier
et celle qui a été développée aujourd'hui par l'honorable M. Mercier, d'avoir
déclaré hier qu'à mon avis, les agents des départements ministériels qui
manient momentanément des fonds de l'Etat, ont le caractère de comptables. On a
cru qu'il résultait des termes de l’article 7 que ces comptables rentreraient
dans les attributions de M. le ministre des finances. Il me semblait avoir
expliqué d'une manière assez claire qu'il n'en était pas ainsi. Ceci
s'expliquera mieux par le texte de la disposition française. En voici le texte
:
Les deux premiers paragraphes sont à peu de
chose près semblables à l'article 7 proposé par la section centrale.
Mais l'ordonnance française se compose de plus
d'un paragraphe additionnel, rédigé en ces termes :
« Toutefois, pour faciliter l'exploitation des
services administratifs, régis par économie, il pourra être fait aux agents
spéciaux de ces services sur les ordonnances du ministre, ou sur les mandats
des ordonnateurs secondaires, l'avance d'une somme qui ne pourra excéder 20,000
fr., à la charge, par eux, de produire au payeur, dans le délai d'un mois, les
quittances des créanciers réels. »
Cette disposition établit une exception aux deux
paragraphes qui précèdent, en faveur des services régis par économie. Le mot
toutefois est formel.
Les premières dispositions ont été portées dans
le projet de comptabilité ; la dernière, qui déroge aux deux premières, a été
portée au budget d'organisation de la cour des comptes.
Voilà la cause des difficultés que la chambre a
éprouvées pour fixer la portée de l'article 7.
On a perdu de vue la disposition dérogatoire, et
c'est ce que j'avais déjà indiqué dans mon discours d'hier.
(page 852) L'honorable M. Mercier a donc
fort bien fait de dire, que cette question devait être réservée, et qu'à
l'occasion de l'article 13 du projet concernant la cour, on pourrait déterminer
d'une manière claire le caractère des agents ministériel qui manient
momentanément des fonds de l'Etat.
Hier, messieurs, j'ai critiqué l'amendement de
M. le ministre des finances, et j'avais demandé la division, me proposant de
voter contre l'amendement. Tout ce que j'ai entendu ne m'a pas fait changer
d'avis : M. le ministre des finances pense que des exceptions sont nécessaires
à la règle établie par l'article 7 ; ces exceptions, on les a proposées, nous
les connaissons ; si nous les jugeons utiles, nous les adopterons. Mais à quoi
bon cette espèce de pierre d'attente qui appelle les exceptions, les
dérogations à un grand principe, qui est des plus salutaires ?
C'est en quelque sorte préjuger la question des
amendements ministériels, et cet égard, l'amendement est dangereux. J'espère
que la chambre se ralliera à la proposition de la section centrale.
M. Lebeau. - Messieurs, si l'honorable M de Man s'était rallié
à l'article transitoire proposé par M. le ministre des finances et au correctif
qui consiste à établir la possibilité d'exception, assurément je n'aurais pas
demandé la parole ; mais il me paraît impossible que la chambre vote le
principe, sans le correctif indiqué par M. le ministre des finances.
L'article est d'une généralité si complète et si
étrange que non seulement il ferait passer sous la juridiction du ministère des
finances tous les comptables de l'armée, mais il irait encore jusqu'à rendre
les questeurs de la chambre justiciables du même ministre, car ils manient des
fonds et ils sont obligés d'en rendre compte.
Il me semble que quand on fait une loi, on la
fait sérieusement. Or, laisser l'article 7 dans la généralité de ses
expressions, c'est faire rentrer sous la juridiction du ministre des finances
les questeurs de la chambre, les greffiers des tribunaux, les intendants
militaires, les officiers payeurs, les officiers de marine, etc. On pourrait
multiplier les exceptions.
L'honorable M. de Man persiste dans ce singulier
système que, par le fait seul d'une manutention, quelque minime et quelque
temporaire qu'elle soit, de deniers de l'Etat, l'individu, chargé de cette
manutention, doit être déclaré comptable, et comme tel soumis à un
cautionnement.
Ainsi,
dans chaque administration, il y a un fonctionnaire chargé de la comptabilité.
Si le ministre mandate quelques milliers de francs au nom de ce fonctionnaire
pour solder de menues dépenses d'un département, voilà ce fonctionnaire
constitué comptable ; je conçois qu'il soit déclaré comptable, au point de vue
de sa responsabilité vis-à-vis de son ministre et de la cour des comptes, mais
il ne doit pas rentrer sous la juridiction du ministre des finances, et ne doit
pas non plus déposer un cautionnement. La plupart de ces employés n'acceptent
cette délégation que par obéissance pour le ministre, ils ne demanderaient pas
mieux que de ne pas manier de fonds. C'est une responsabilité pour laquelle ils
ne sont pas même indemnisés et qui les effraye plus qu'elle ne leur plaît.
Voilà le véritable caractère de ces comptables
dont l'honorable M.de Man s'effraye tant. Ce sont des comptables par
obéissance, par ordre ; ils ne demanderaient pas mieux, je le répète, que de
n'être pas comptables.
M. de Man
d’Attenrode, rapporteur. -
Pas plus que l'honorable préopinant, je ne veux que les questeurs de la
chambre, les quartiers-maîtres des régiments, etc., passent sous les
attributions du département des finances. Mais il me semble que vous pouvez
voter sans inconvénient l'article 7 de la section centrale purement et
simplement. Adoptez d'abord cet article qui pose un grand principe, et vous
voterez ensuite les exceptions, s'il y a lieu. On pourra me dire qu'une des
exceptions est posée dans l'article 13 du projet de loi concernant la cour des
comptes, et que si la loi de comptabilité était promulguée avant celle de la
cour des comptes, la règle trop absolue de l'article 7 sortirait ses effets
sans être tempérée par l'exception que doit poser l'article 13. Le projet de la
cour des comptes n'est qu'un chapitre de celui de la comptabilité, comme l'ont
répété plusieurs honorables membres. Dès lors, le gouvernement pourra
promulguer les deux lois en même temps, et l'inconvénient signalé n'existera
pas.
M. le ministre des finances (M.
Malou). -
Messieurs, il me semble que les mots « sauf les exceptions établies par la loi,
» sont véritablement nécessaires, d'après l'ensemble de la discussion ; je
regrette que l'honorable rapporteur n'admette pas une addition qui, après tout,
ne peut nuire.
M. Desmet. - Messieurs, je ne puis admettre l'amendement de M.
le ministre des finances. Si vous voulez avoir une garantie sérieuse, un
palladium pour la comptabilité, vous devez adopter purement et simplement le
projet de la section centrale. Je voterai pour cet article.
M. Veydt. - Messieurs, l'article 7 du projet de la section
centrale est la reproduction d'une disposition de l'ordonnance française ; dans
cet article on a supprimé, au paragraphe 2, ligne 5, la particule
« ces » devant le mot « deniers » ; dans l'ordonnance
française, on lit : « ces deniers », c'est-à-dire les deniers du
trésor public ; cette particule ne se trouve pas dans le projet de la section
centrale. Je demande le rétablissement de cette particule dont l'absence
pourrait faire croire qu'il s'agit encore d'autres deniers que des deniers de
l'Etat, par exemple, des deniers communaux.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - L'honorable membre a raison ; il faut
rétablir cette particule dans l'article 7.
- La discussion est close.
L'amendement de M. le ministre des finances, mis
aux voix, est adopté.
L'addition du mot « ces » est mise aux
voix et adoptée.
Article 8
« Art. 8 (nouveau). Aucun titulaire d'un emploi
de comptable de deniers publics ne peut être installé dans l'exercice de ses
fonctions qu'après avoir justifié de sa prestation de serment et du versement
de son cautionnement, dans les formes et devant les autorités à déterminer par
les lois et règlements. »
- Adopté.
« Art. 9 (nouveau) proposé par M. le ministre
des finances. »
« Le trésor public a privilège, conformément à la
loi du 15 septembre 1807, sur les biens de tout comptable, caissier,
dépositaire ou préposé quelconque, chargé de deniers publics. »
M. Desmet. - Messieurs, je donnerai certainement mon
adhésion à cet article, mais je ne le crois pas applicable à une société
anonyme ; la loi de 1807, d'après moi, ne s'applique pas aux sociétés anonymes
; elle le fait bien, si vous le voulez, aux biens de la société ; mais vous ne
pouvez pas atteindre les personnes ni actionnaires, ni gérants, ni
administrateurs. Tandis que la principale garantie que donne la loi de 1807,
c'est la garantie personnelle ; elle s'étend même jusqu'à l'épouse du comptable
; d'ailleurs, dans une société les comptables ne sont pas très exactement
désignés, et peut-on bien croire que le mot de comptable, consacré dans la loi
de 1807, soit applicable à une compagnie, à une société, où, on peut le dire,
on ne connaît pas de personne et on ne voit qu'un objet réel, celui de l’avoir
de la société ? Et vous savez, messieurs, que l'essence de la société anonyme
est qu'il n'y a aucune responsabilité personnelle, à charge de qui que ce soit
de la société, soit actionnaire, soit gérant ; si la déconfiture se déclare,
personne n'a quelque chose à sa charge ; s'il reste quelque avoir, il est
employé pour satisfaire les créanciers en tout ou en partie de leurs créances ;
mais il n'y a pas d'autre recours. Je crains donc que le privilège qu'on veut
faire accorder au trésor, n'aura pas une grande portée, que la garantie ne sera
pas très satisfaisante. D'ailleurs, pour qu'un tel privilège puisse avoir lieu,
il faut absolument que les statuts de la société n'y soient pas contraires. Je
borne ici mes observations ; mais, comme je l'ai dit, je vote très volontiers
la disposition de cet article ajouté.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, une société anonyme est une
association de capitaux ; c'est un être moral capable d'exercer dans la société
des droits et de contracter des obligations ; je ne vois pas pour quel motif
les hypothèques et des privilèges qui sont, d'après le droit civil, des causes
de préférence entre des créanciers, ne pourraient pas exister à l'égard de cet
être moral qui est constitué sous la forme d'une société anonyme.
L'honorable M. Desmet dit que dans la loi de
1807 on parle de l'épouse du comptable ; eh bien, cette disposition sera
appliquée quand le comptable aura une épouse. Mais de ce que cette disposition
se trouve dans la loi de 1807, il ne résulte pas que l'hypothèque ou le privilège
qui est de la même essence ne pourrait pas exister à l'égard de la société
anonyme ou de la société en nom collectif ou de toute autre société, quelle que
soit sa forme. Cela est tellement clair, que dans le contrat de 1823, dont j'ai
parlé hier, on avait spécialement déclaré qu'à raison du cautionnement fourni,
le gouvernement renonçait au privilège.
Il
reconnaissait donc que le privilège aurait existé à l'égard de la société
anonyme, si on ne l'en avait pas dispensée.
Voici ce que porte le n° 6 de la convention de
1823 :
« Par suite de ce cautionnement, le
gouvernement, renonce à l'égard de la société et des membres compoant sa
direction, à l'application des articles 2098 et 2121 du code civil actuellement
en vigueur. »
L'article 2098 du code civil réserve le
privilège du trésor public et l'article 2121 du même code l'hypothèque légale.
M. Desmet. - Je sais aussi bien que M. le ministre des finances
que ceux qui ne sont pas mariés n'ont pas d'épouse. Quand ce n'est pas un
individu, mais une société qui est comptable, il est impossible qu'on atteigne
les biens du mari aussi bien que ceux de l'épouse ; la loi de 1807 dit que ce
sont les biens immeubles du comptable qui sont le privilège du trésor. Que
devient une société anonyme quand elle a perdu ses actions ? Plus rien, il n'y
a plus ni directeur, ni administrateur, ni receveur. Les actionnaires changent
tous les jours.
On
me dit : les biens de la société sont là. C'est, sans doute, une garantie, mais
la loi de 1807 parle d'un privilège personnel, je crains que sa disposition ne
soit pas applicable aux biens d'une société anonyme, car vous n'avez pas là de
garantie personnelle, et je crois que nous pouvons soutenir que la principale
garantie consacrée dans la disposition de la loi de 1807, est la responsabilité
personnelle et la contrainte par corps, que certainement vous n'avez pas par
une société anonyme. Nous savons très bien que, si la société possède des
biens, ils doivent servir à l'acquittement des dettes ; il en est de même du
capital social ; mais vous avez, el je ne puis assez le dire, que, pour ce qui
concerne la conservation des deniers de l'Etat, la responsabilité personnelle
donne plus de garantie et de certitude que les fonds publics ne seront pas
détournés. Et comme je l'ai déjà dit. je demanderai si les statuts de toutes
les sociétés anonymes permettent d'accorder un tel privilège à l'Etat. Je n'en
dirai pas plus, l'occasion se présentera à l'article 57 pour en dire plus, mais
dans tous les cas je voterai très volontiers l'article présenté.
M. le ministre des finances
(M. Malou). -
Messieurs, les comptables peuvent être des individus ou des êtres collectifs.
Ici, le comptable, je m'empresse de le déclarer, puisque l'honorable membre m'en
fournit l'occasion, c'est la société anonyme ; ce ne sont pas les
administrateurs de cette société, parce que les administrateurs ne sont
responsables que de l'exécution du mandat qu'ils ont reçu, comme les
actionnaires ne sont passibles que de la perte du montant de leurs actions. Il
ne s'ensuit pas que le trésor public ne puisse acquérir un droit de préférence
(car le privilège n'est pas autre chose) sur les autres créanciers de la
société anonyme. C'est cette préférence que nous stipulons vis-à-vis du caissier,
parce que le contrat ne suppose pas qu'il rentre dans les dispositions de la
loi de 1807 a (page 853) que le
contrat de 1823 portait renonciation au privilège, résultat de l'article du
code civil que j'ai cité.
M. de Garcia. - Les observations que vient de présenter M.
le ministre des finances rendent, en quelque sorte, inutile la réponse que je
voulais faire à un honorable préopinant. Sans doute, dans le cas dont il
s'agit, on n'aura pas d'action sur les personnes ; mais sur les biens meubles
et immeubles l'action et les privilèges de l'Etat seront entiers. A ce point de
vue, la société anonyme, caissière de l'Etat, sera vis-à-vis du gouvernement
dans la même position qu'un citoyen. L'honorable M. Desmet, qui semble
contester ce principe, n'allègue aucune raison ni aucune disposition de droit
contraire à une vérité, qui me paraît incontestable. Dès lors, je ne puis
concevoir les motifs qui portent à attaquer la disposition proposée, dont le
but certain est d'améliorer la position du trésor. L'Etat aura ici un privilège
légal semblable à celui que pourrait avoir l'épouse dont un propre aurait été
aliéné à la Société Générale. A la vérité, les actionnaires ne pourront jamais
être tenus que jusqu'à concurrence de leurs actions, mais il n'en restera pas
moins une garantie puissante, que vous n'avez pas aujourd’hui ; il n'en restera
pas moins, dis-je, une garantie puissante pour le trésor, sur tous les biens
meubles et immeubles de la société anonyme. Ce point me paraît tellement simple
et clair que je ne conçois pas qu'il s'élève la moindre objection.
M. Rogier. - Il importe de s'expliquer sur la portée de
l'article 8. M. le ministre des finances a-t-il entendu que la question du
caissier de l'Etat restât provisoirement en dehors de l'article 8 comme de
l'article 7 ? Ou ! bien, le caissier tombe-l-il immédiatement sous
l'application de l'article 8 et de l'amendement de M. le ministre ? Est-ce
ainsi qu'il entend cet article ? Si c'est ainsi qu'il l'entend, il faut qu'il
introduise des modifications dans la convention existante avec la Société
Générale. De la même manière qu'en vertu de l'article 7, il faudrait que les
agents comptables de la Société Générale, considérés comme caissiers, fussent
nommés par M. le ministre des finances ; il faudrait, en vertu de l'article 8,
que la Société Générale consente à accorder le privilège que cette disposition
attribue au trésor sur ses biens.
Je demande à M. le ministre s'il pense que le
caissier actuel acceptera ces conditions, et s'il est disposé à les introduire
dans une convention à intervenir.
M. le ministre des finances
(M. Malou). -
Avant que la loi qui nous occupe ne fût mise à l'ordre du jour, j'ai eu soin de
me concerter avec le chef de l'établissement financier qui remplit les
fonctions de caissier de l'Etat ; c'est à la suite de ces conférences que j'ai
formulé les propositions qui font l'objet de l'article 8 et des articles
transitoires. Ainsi, je réponds très directement à la question qui m'est posée.
L'article 8 étend le privilège du trésor, non seulement aux comptables,
proprement dits, mais aux caissiers quels qu'ils soient, la Société Générale ou
tout autre. Je ne puis pas douter, bien qu'il n'ait pas été passé de
convention, cela étant subordonné au vote de la loi, que ces conditions qui ont
fait l'objet de mes conférences avec le gouverneur de la Société Générale ne
soient acceptées.
M. Mercier. - Il ne sera peut-être pas inutile de rappeler
que quand l'honorable chef de l'établissement dont on vient de parler siégeait
dans cette chambre, il a déclaré que, dans son opinion, l'Etat avait un
privilège sur les biens de la société. Pour moi, je ne croyais pas, aux termes
de la législation existante, pouvoir partager cette opinion ; maintenant l'Etat
aurait ce privilège d'une manière incontestable d'après la disposition amendée
par M. le ministre des finances. La conséquence de l'adoption de cette
disposition serait-elle d'établir un privilège sur les agents de la Société
Générale et de faire nommer ces agents par le gouvernement, comme le pense
l'honorable M. Rogier ? En aucune façon ; ces agents ne sont pas en rapport
avec l'Etat ; ils sont simplement les commis de la société anonyme sur les
biens de laquelle le trésor aura privilège en vertu de l'amendement de M. le
ministre des finances.
La conséquence dont parlait l'honorable député
d'Anvers, ne découle aucunement de la disposition proposée ; je ne pense pas d'ailleurs
qu'il soit utile que le gouvernement ait action sur les agents de la Société
Générale, caissière de l'Etat, qui seule doit rester responsable vis-à-vis du
trésor.
M. Verhaegen. -La
question de savoir si on peut obtenir hypothèque ou privilège sur les biens
d'une société anonyme ne peut pas être douteuse ; l'être moral est mis à cet
égard, sur la même ligne que l'individu ; mais la seule question qui puisse
offrir des difficultés sérieuses se rattache aux conditions requises pour la
validité de cette hypothèque, de ce privilège. L'administration d'une société
anonyme, en se chargeant de la recette des fonds de l'Etat, soumettra-t-elle,
par cela même, les biens de la société au privilège qu'établit l'article en
discussion ? Oui, si les statuts ont donné aux administrateurs le pouvoir
spécial de se charger d'une pareille recette ; non, si les statuts sont muets
sur ce pouvoir, car il est impossible d'admettre que les biens d'une société
puissent être engagés par privilège sans l'assentiment formel ou tacite des
actionnaires.
Voilà, messieurs, la véritable question de
principe que soulève l'article en discussion et qui est digne de fixer toute
l'attention du gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je partage l'opinion émanée par l'honorable
M. Mercier. La loi pose un principe général d'après lequel le trésor aura un
privilège sur la Société Générale, non
sur ses agents, car ces agents ne sont pas ceux de l'Etat et ne sont responsables
que vis-à-vis de la Société Générale ; si l'un d'eux vient à faire faillite, la
Société Générale tient le trésor indemne des résultats de cette faillite ;
c'est ce qui est arrivé déjà et c'est ce qui arriverait encore.
La question soulevée par l'honorable M.
Verhaegen ne me paraît pas offrir de grandes difficultés. Nous faisons une loi
dans laquelle nous déterminons à quelles conditions des comptables pourront
exister, à quelles conditions les deniers publics pourront être confiés au
caissiers de l'Etat.
Il existe aujourd'hui entre le gouvernement et
la Société Générale une convention que l'une et l'autre partie peut dénoncer un
an d'avance. De deux choses l'une : ou d'après les statuts les administrateurs de
la Société Générale croiront devoir consulter les actionnaires, ou ils croiront
avoir des pouvoirs suffisants. S'ils croient devoir consulter les actionnaires,
ceux-ci accepteront les conditions légales et la caisse de l'Etat leur sera
maintenue ; ou bien ils repousseront ces conditions et la conséquence en sera
que la banque déclarera qu'aux conditions posées par la loi, elle ne peut
continuer les fonctions de caissier de l'Etat.
Si
les administrateurs, d'après l'examen des statuts, d'après les pouvoirs que ces
statuts leur donnent, croient qu'il est inutile de consulter l'assemblée
générale, le privilège existant sera reconnu d'après les statuts eux-mêmes.
Je ferai seulement remarquer qu'il ne faut pas
croire qu'en décidant à l'égard du gouvernement qu'aucune caisse ne peut être
confiée, si ce n'est moyennant le privilège de la loi de 1807, nous décidons
une question à l'égard des actionnaires. Les actionnaires décideront si les
conditions légales sont telles qu'ils veulent conserver la caisse de l'Etat.
M. Mercier. - Les observations qui ont été faites par
l'honorable député de Bruxelles me paraissent fort sérieuses. Je pense, comme
vient de l'expliquer M. le ministre des finances, que les administrateurs de la
Société Générale auront d'abord à se prononcer, mais qu'en outre le
gouvernement devra, de son côté, examiner la question ; et si, après un mûr
examen, il trouve que les pouvoirs de l'administration ne sont pas suffisants,
c'est à lui qu'il incombera d'exiger une réunion des actionnaires de la Société
Générale pour apporter à ses statuts telle modification qui serait jugée
nécessaire.
- La discussion est close.
L'article nouveau est mis aux voix et adopté. Il
formera l'art. 9.
« Art. 9 devenu art. 10. Tout comptable est
responsable du recouvrement des capitaux, revenus, péages, droits et impôts
dont la perception lui est confiée.
« Avant d'obtenir décharge des articles non
recouvrés, il doit faire constater que le non-recouvrement ne provient pas de
sa négligence, et qu'il a fait en temps opportun toutes les diligences et
poursuites nécessaires.
« Quand un comptable a été forcé en recette, et
qu'il a payé de ses deniers les sommes dues et non renseignées, il est subrogé
de plein droit dans les créances et privilèges de l'Etat à la charge des
débiteurs. »
M. de Garcia. - Messieurs, je désire simplement demander une
explication ou plutôt je désire lever tout doute sur l'application de la loi.
C'est sur le paragraphe 3 que tombe mon observation.
Lisons d'abord le paragraphe 2 :
« Avant d'obtenir décharge des articles non
recouvrés, il doit faire constater que le non recouvrement ne provient pas de
sa négligence, et qu'il a fait en temps opportun toutes les diligences et
poursuites nécessaires. »
« § 3. Quand un comptable a été forcé en recette
et qu'il a payé de ses deniers les sommes dues et non renseignées, il est
subrogé de plein droit dans les créances et privilèges de l'Etat à la charge
des débiteurs. »
Il
est subrogé de plein droit dans les créances et privilèges de l'Etat. Ou sait
que l'Etat a le privilège de faire le recouvrement des fonds qui lui sont dus
au moyen de contraintes. Je demande à M. le ministre des finances si le mot
privilège comprend ce mode de procéder. Ordinairement les particuliers ne
peuvent pas agir par voie de contrainte. Je demande si, en vertu de cet
article, le comptable, qui aura dû parfaire ce qui manque à la caisse, aura non
seulement le privilège proprement dit résultant des lois civiles, mais s'il
aura aussi le droit qu'à l'Etat de poursuivre par voie de contrainte.
Quant à moi, je crois que cela ne devrait pas
être. Cependant je désire que M. le ministre des finances s'explique sur ce
point.
M. le ministre des finances
(M. Malou). -
La question posée par l'honorable M. de Garcia se trouve résolue, ce me semble,
par le texte même et par les principes généraux du droit.
On pourrait soutenir que le paragraphe 3 est
inutile, parce que, d'après les dispositions du code civil, la subrogation
aurait lieu, indépendamment des dispositions insérées dans la loi actuelle.
Il me semble d'ailleurs que lorsque cette
subrogation a lieu de plein droit et conformément au droit commun, elle emporte
le droit quant au recouvrement, mais pas quant au mode de recouvrement. L'Etat
agit seul par la voie de contrainte, mais le particulier, lorsque la
subrogation de plein droit a lieu, doit agir selon le droit commun.
M. de Garcia. - Je suis satisfait de cette explication. Je
ne l'ai demandée que pour que les tribunaux qui auront à appliquer cette
disposition sachent dans quel esprit la loi est faite, et si le comptable dont
s'agit ici n'aura, pour poursuivre le contribuable, que la voie ordinaire. A
défaut d’une explication positive sur ce point, la manière dont est rédigée la
disposition laisserait une grave difficulté à résoudre eu justice réglée.
M. Vanden Eynde. - Je dois cependant faire une observation à M.
le ministre des finances.
Il y a beaucoup de receveurs qui, devant verser
par mois, font des avances et attendent la moisson avant de faire payer les
campagnards.
Je demanderais si le receveur qui aura fait ces avances
n'aura pas le droit de poursuivre le recouvrement des contributions par la voie
de la contrainte. Il me paraît qu'il y aurait injustice à lui refuser ce droit.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'article ne s'applique pas du tout au cas
que vient de citer l'honorable M. Vanden Eynde. Il s'applique (page 854) exclusivement lorsqu'un
comptable a été forcé en recette, parce qu'il n'a pas fait des recouvrements
qu'il devait faire : lorsqu'il verse par anticipation en quelque sorte, les
recouvrements qu'il fait n'ont plus pour origine un forcement en recette, mais
une dette envers l’Etat, et il peut agir par tous les moyens de droit.
M. Mercier. - Messieurs, je ne puis partager l'opinion de M. le
ministre des finances sur le sens de ce paragraphe.
Le forcement en recette a aussi pour conséquence
un versement par anticipation de la part du receveur.
Je
suppose que le receveur ait négligé la perception d'une cote. On lui en fait
verser immédiatement le montant. N'est ce pas là aussi un versement par
anticipation ?
Ensuite, messieurs, il me semble qu'il faut
avoir plutôt égard à la nature de la créance qu'a la personne qui doit exercer
directement le droit de créancier. C'est pour donner un privilège tout spécial
au receveur forcé en recette, qu'une disposition dérogeant au droit commun a
été jugée nécessaire.
En matière de contributions directes, il serait
bien difficile pour un receveur de faire des poursuites autrement que dans la
forme établie pour le recouvrement des comptes.
Je désirerais donc que l'article fût interprété
dans ce sens ; c'est ainsi d'ailleurs qu'on a toujours agi. Quand un receveur
est appelé à faire des avances soit par un forcement en recette, soit par
d'autres circonstances, on l’a considéré comme substitué sous tous les rapports
aux droits du trésor public.
M. de Garcia. - Messieurs, l'explication que j'ai demandée
prend un caractère important. Le ministre actuel des finances et son prédécesseur
sont complétement en désaccord sur le sens à donner au paragraphe 3 de l'art.
8. Suivant le premier, le receveur forcé en recette n'aurait contre le
contribuable que l'action ordinaire, et suivant le second, il aurait la voie
privilégiée de la contrainte.
Il faut le reconnaître, messieurs, l'on ne peut
conserver à une loi un caractère aussi problématique. La loi doit être claire
avant tout ; l'on ne peut prétendre que les tribunaux puissent faire une juste
application d'une loi sur le sens de laquelle le législateur lui-même ne
s'entend pas. Il est donc indispensable qu'on s'entende parfaitement sur la
portée à donner au mot « privilège », employé dans la disposition en
discussion.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je pense que, d'après la rédaction soumise à
la chambre, la subrogation a lieu pour le droit lui-même, mais que réellement
lorsque le receveur qui a été forcé en recette, agit, il agit pour recouvrer
une créance ordinaire et d'après le droit commun.
Cependant, messieurs, je dois avouer que
l'opinion de l'honorable M. Mercier me fait hésiter dans cette interprétation.
La question est imprévue pour moi et j'espère que la chambre me permettra de
l'examiner plus mûrement d'ici au second vote. Nous pourrons alors la résoudre
non seulement d'après le texte et la modifier s'il y a lieu, mais d'après les
antécédents et les diverses considérations qui peuvent s'y rattacher.
- L'article est mis aux voix et adopté.
Article 10
« Art. 10. Tout receveur, caissier, dépositaire
ou préposé quelconque, chargé de deniers publics, ne pourra obtenir décharge
d'un vol, s'il n'est justifié qu'il est l'effet d'une force majeure, et que les
précautions prescrites par les règlements ont été prises.
« En attendant l'arrêt de la cour des comptes,
et sans y préjudicier, le ministre des finances peut ordonner le versement
provisoire de la somme enlevée on contestée. »
La section centrale propose d'ajouter après le
mot « vol », ceux : « ou perte de fonds. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me rallie à cet amendement..
- L'article ainsi amendé est adopté.
Article 11
« Art. 11. Annuellement, il est porté une
allocation spéciale au budget, pour recevoir l'imputation et la régularisation
des pertes résultant de déficits et d'événements extraordinaires.
« Les pertes qui seront imputées sur
l'allocation ci-dessus mentionnée, seront consignées par l'administration des
domaines dans ses sommiers ; elle fera les diligences nécessaires pour en
assurer le recouvrement sur les cautionnements el biens des débiteurs. »
-Adopté.
Article 12
« Art. 12. Si, pendant cinq années consécutives,
à compter de la date de l'arrêt de la cour des comptes, une créance ouverte
pour cause de déficit ou de tout événement de force majeure n'avait pas été
recouvrée, l'impossibilité du recouvrement sera constatée par un procès-verbal,
lequel sera reproduit à l'appui du compte général de l'Etat ; une expédition du
même procès-verbal sera jointe au compte du comptable chargé du recouvrement du
déficit. »
- Adopté.
« Art. 13. Les fonctionnaires chargés
spécialement et directement de la surveillance des comptables et du contrôle de
leur comptabilité, sont responsables de tout déficit irrécouvrable qui pourrait
être occasionné par un défaut de vérification de la gestion du comptable en
déficit. Un arrêté royal fixe, sur la proposition du ministre des finances, le
montant ou la partie du déficit dont le fonctionnaire est, dans ce cas, rendu
responsable. »
La ' section centrale propose d'ajouter le mot
« motivé » après ceux : « arrêté royal ».
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me rallie à cet amendement.
M. de Bonne. - Messieurs, dans la discussion générale j'ai proposé
la suppression de l'article 11 du projet de loi du gouvernement, formant
l'article 13de la section centrale.
C'est par erreur que j'ai parlé de l'article
entier ; ma suppression ne s'étend qu'au dernier paragraphe ainsi conçu :
« Un arrêté royal fixe, sur la proposition du ministre des finances, le
montant ou la partis du déficit dont le fonctionnaire est, dans ce cas, rendu
responsable. » Voici les motifs de ma proposition ; la décision de ces
affaires, de ces cas doit appartenir à la cour des comptes.
Pour quelles raisons le gouvernement pourrait-il
affranchir, libérer en tout ou en partie, un inspecteur, un contrôleur, un
surveillant de la responsabilité résultant de sa négligence, de
l'inaccomplissement de ses devoirs ? Par cela seul que les fonctions sont plus
élevées, la faute est-elle plus grande, et la punition (qui n'est qu'une
responsabilité) est-elle plus méritée ?
Pourquoi faire l'exception en faveur des hautes
places et maintenir la rigueur du principe vis à vis des inférieurs ?
On sait combien est grande l’influence, pour ne
pas dire le pouvoir, d'un supérieur vis-à-vis des subalternes : dans un besoin
pressant, ne peut-il pas arriver que ce supérieur en abuse pour se faire
remettre, à titre d'emprunt, des fonds de l'Etat ?
Eh bien, d'après cette disposition, de l'article
13, le subalterne sera soumis à toute la sévérité de la loi, et le supérieur
peut-être excusé, pardonné en tout ou en partie. Conserver cette disposition
c'est ouvrir la porte à des abus qu'un ministre n'est pas toujours à même
d'éviter. De grandes protections, de hautes recommandations, de pressantes
sollicitations, sont des moyens de séduction dont l'emploi est fréquent pour
faire placer des hommes incapables et sans connaissance des devoirs, des
fonctions qu'ils recherchent. Quelle que soit donc la force de caractère, la
sévérité de principes d'un ministre, c'est un homme, il peut succomber et il
pourra nommer des hommes incapables et sans connaissances.
J'admets que M. le ministre actuel soit exempt
de pareille faiblesse, mais la loi que nous faisons est une loi de principes,
elle a de l'avenir, et nous devons prévoir que d'autres ministres n'auront pas
la même vertu.
Les dangers, les inconvénients que je viens de
signaler ne sont plus à craindre, lorsque la loi renferme une règle sévère dont
on ne peut s'écarter.
Le
retranchement que j'ai l'honneur de proposer aura pour effet de ne faire nommer
que des hommes capables, d'une moralité reconnue, et offrant toute garantie par
leurs antécédents.
J'ajouterai une dernière considération.
Pouvons-nous indirectement faire ce que nous ne
pouvons directement ? La Constitution nous donne pouvoir de voter des dépenses,
exécution de travaux, appointements, etc. Mais nous permet-elle de dispenser
les débiteurs d'Etat d'acquitter leurs dettes, de remplir leurs obligations,
leurs engagements ? Je ne le pense pas, je suis même pénétré de l'opinion
contraire. Je maintiens donc ma proposition de supprimer la dernière partie de
l'article 13, commençant par les mots : « un arrêté royal, etc. ».
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la portée de l'article 13 ne me
paraît pas avoir été bien saisie par l'honorable préopinant.
Voici ce que porte cet article : « Les fonctionnaires
chargés spécialement, et directement de la surveillance des comptables et du
contrôle de leur comptabilité, sont responsables de tout déficit irrécouvrable
qui pourrait être occasionné par un défaut de vérification de la gestion du
comptable en déficit. »
Je m'arrête ici. Il résulte de ce texte qu'il
s'agit de fonctionnaires qui ne sont pas comptables, mais qui sont chargés de
surveiller les comptables et qui, n'ayant pas exercé cette surveillance avec
assez de soin, ont produit une lésion pour le trésor, c'èst-à-dire un déficit
qui n'a pu être recouvré.
Les fonctionnaires supérieurs chargés du
contrôle des comptables, ne tombent sous l'application de cet article que
moyennant le concours de deux circonstances : que le comptable qui, seul, est
légalement responsable du payement du déficit, et comme tel justiciable de la
cour des comptes, n'ait point soldé ce déficit ; en second lieu, qu'il y ait eu
faute de la part de l'agent supérieur chargé de contrôler le comptable.
Ce principe me paraît très utile.
On dit, en fait d'administration financière, que
la plupart des déficits, surtout des déficits irrécouvrables, proviennent de la
négligence de la part de ceux qui sont chargés de surveiller le comptable.
Le
but de l'article est de les rendre plus vigilants par la responsabilité en
quelque sorte supplémentaire, qui leur est imposée, et qui couvre l'Etat des
pertes qu'il éprouverait lorsque la responsabilité directe des comptables est
insuffisante.
Les fonctionnaires chargés de la surveillance,
sans être comptables eux-mêmes, ne peuvent être de ce chef justiciables de la
cour des comptes ; la mesure autorisée par cet article est une punition
administrative pour n'avoir pas rempli leur devoir. Il ne s'agit donc pas de
dispenser un débiteur de l'Etat du payement d'une dette qui existerait
légalement. Il s'agit, au contraire, d'autoriser le gouvernement, lorsque la
responsabilité directe à l'égard du comptable ne produit pas le remboursement
du déficit, à imposer celui-ci en tout ou en partie, par mesure de discipline
administrative, à l'agent qui, par sa négligence, a laissé former ce déficit.
M. de Corswarem. - Messieurs, il me paraît qu'ici il y a un
doute sur le point de savoir quel fonctionnaire sera responsable. Il est dit
que celui qui est directement chargé du contrôle de la comptabilité, est
responsable ; ce serait donc, en matière d'enregistrement, le vérificateur.
Mais le vérificateur ne vérifie les bureaux que lorsqu'il est envoyé par le
directeur.
Je prends un exemple. Je suppose que, sur
l'enregistrement d'un acte, le receveur fasse une fausse réception, que le
bureau n'ait pas été vérifié dans les deux ans (au bout de deux ans la
prescription est acquise au (page 855)
bénéfice du débiteur qui n'a pas payé intégralement les droits) et que ce ne
soit qu'après les deux ans que la fausse perception soit constatée. Sera-ce le
vérificateur, qui était directement chargé du contrôle, ou sera-ce le
directeur, qui a négligé d'envoyer le vérificateur en temps utile pour constater
cette fausse perception, qui sera responsable ?
Voilà un doute qui, peut-être, n'en est pas un
pour ceux qui comprennent mieux que moi la loi. Mais je voudrais que M. le
ministre des finances nous donnât quelques explications à ce sujet.
(page 858)
M. le ministre des
finances (M. Malou). - La disposition que nous discutons ne s'applique
pas à ce cas. S'il y avait un article prescrit, il y aurait forcement en
recette. Mais la disposition dont nous nous occupons s'applique exclusivement
au cas où le comptable déclaré en déficit ne rembourse pas ce déficit, et alors
on peut agir contre le supérieur qui a négligé d'exercer son contrôle.
Quant au point de savoir quels seront les
fonctionnaires spécialement et directement chargés de la surveillance et qui,
comme tels, pourront être déclarés responsables, c'est un objet qui doit être
déterminé dans le règlement général qui formera le complément de la loi
actuelle. Il y aura, suivant les administrations à établir, à bien faire connaître
aux fonctionnaires quelle est la responsabilité qu'ils encourent, lorsqu'ils
n'exercent pas la surveillance qui leur est confiée en vertu de la loi.
- La discussion est close.
M. le président. - D'après la proposition de M. de Bonne, je mettrai
l'article aux voix par division.
« Les fonctionnaires chargés spécialement et
directement de la surveillance des comptables et du contrôle de leur
comptabilité, sont responsables de tout déficit irrécouvrable qui pourrait être
occasionné par un défaut de vérification de la gestion du comptable en déficit.
»
- Cette partie de l'article est adoptée.
« Un arrêté royal motivé fixe, sur la
proposition du ministre des finances, le montant ou la partie du déficit dont
le fonctionnaire est, dans ce cas, rendu responsable. »
- Cette seconde partie de l'article est
également adoptée.
- L'ensemble de l'article est adopté ;
M. le président. - M. le ministre des finances propose de mettre
avant l'article 14 l'intitulé : « § 2. Dépenses. »
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Ces mots ont été omis par erreur dans le
projet de la section centrale.
- Cet intitulé est mis aux voix et adopté.
Chapitre II. - Comptabilité générale
§ 2. Dépenses
(page 855)
« Art. 14. La loi annuelle des finances ouvre les crédits nécessaires aux
dépenses présumées de chaque exercice.
« Toute demande de crédit faite en dehors de la
loi annuelle des dépenses doit indiquer les voies et moyens qui seront affectés
aux crédits demandés. »
M. Lebeau. - Messieurs, cette disposition, empruntée à
l'ordonnance française du 31 mai 1838, me paraît très bonne. Seulement je
crains qu'elle ne soit trop souvent éludée par la facilité avec laquelle, lorsqu'il
s'agit de dépenses extraordinaires, on a recours aux bons du trésor. De cette
manière on obéirait au texte beaucoup plus qu'à l'objet de l'article en
discussion.
Je ne ferai pas de cette observation l'objet
d'un amendement ; mais j'invite M. le ministre des finances et mes honorables
collègues de la chambre à examiner, avant la fin de la session, s'il n'y aurait
pas moyen de nous imposer à tous une espèce de frein moral qui rendrait cet
article tout à fait efficace. Car, je le répète, je crains bien que par la
facilité avec laquelle on augmente la dette flottante, cet article n'ait qu'une
valeur purement nominale.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 15. Les ministres ne peuvent faire
aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux.
« Ils ne peuvent accroître par aucune ressource
particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services
respectifs.
« Lorsque quelques-uns des objets mobiliers ou
immobiliers à leur disposition ne peuvent être réemployés, ou sont susceptibles
d'être vendus, la vente doit en être faite avec le concours des préposés des
domaines, et dans les formes prescrites. Le produit de ces ventes est porté en
recette au budget de l'exercice courant.
« Il est également fait recette sur l'exercice
courant de la restitution au trésor des sommes qui auront été payées indûment
ou par erreur sur les ordonnances ministérielles, et généralement de tous les
fonds qui proviendraient d'une source étrangère aux crédits législatifs. »
M. Desmet. - Messieurs, je désirerais savoir s'il n'y a
pas lieu d'établir des exceptions à cette disposition générale.
Je vais m'expliquer par un exemple. Est-ce que
le fumier des régiments de cavalerie, les effets dégradés de l'infanterie seront
considérés comme des objets appartenant à l'Etat et devront être vendus
conformément à l'article en discussion ? Je pense qu'aujourd'hui ces objets ne
sont pas vendus dans la forme que prescrit l'article, et que le produit de la
vente ne figure pas aux recettes de l'Etat. Ne serait-il pas nécessaire de
faire pour ces objets une exception analogue à celle qui se trouve dans le
règlement français ?
Il est encore d'autres objets qui ne se vendent
pas conformément aux prescriptions de l'article. Ainsi je citerai le fumier des
haras de l'Etat, dans les stations particulières où se trouvent les étalons
pendant la saison des saillies.
L'arrêté de 1836, qui a été pris par l'honorable
M. d'Huart, prescrit la même forme que l'article en discussion. Cependant je crois
qu'il n'a jamais été appliqué aux objets que je viens de citer et qui se
vendent au profit des régiments.
(page 858)
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Je me rallie à la proposition, qui a été faite
par la section centrale. Je ferai cependant remarquer qu'au troisième
paragraphe, il faut remplacer le mot « ou » par le mot
« et », et dire : « réemployées et sont susceptibles,
etc. »
Le principe de l'article est très bon. En règle
générale il faut que les ventes se fassent dans les formes qui sont indiquées
par cette disposition. Je dois avouer cependant que j'ignore quels sont les
règlements militaires actuellement en vigueur en ce qui concerne les objets que
l'honorable M. Desmet a désignés. S'il y a nécessité d'une exception à cet
égard, je la présenterai au second vote. Mais je pense que les règlements sont
tels que la vente, comme elle se fait aujourd'hui, pourra être continuée malgré
les dispositions actuelles.
(page 855)
- L'article est mis aux voix avec la substitution du mot « et » au
mot « ou » dans le troisième paragraphe, et adopté.
« Art. 16. Le ministre des finances n'autorise
le payement d'une ordonnance que lorsqu'elle porte sur un crédit ouvert par la
loi. »
M. le ministre des finances (M. Malou) propose le paragraphe additionnel suivant :
« Aucune sortie de fonds ne peut se faire sans
son concours et sans le visa préalable et la liquidation de la cour des
comptes, sauf les exceptions établies par la loi. »
(page 858)
M. Rogier.
- Nous ne faisons pas seulement une loi pour garantir la bonne gestion des
finances de l'Etat, pour y établir la clarté, la régularité, pour s'assurer que
toutes les recettes, que toutes les dépenses se font régulièrement, toutes
choses excellentes en soi ; mais nous faisons aussi une loi dans le but de
faciliter la marche de l'administration. Or, messieurs, qu'est-ce en général
qu'administrer les affaires du pays ? C'est consacrer les ressources du budget
à des applications reconnues utiles. Sous ce rapport le ministre des finances
est absolument sur la même ligne que ses collègues des autres départements. Il
n'a, de ce chef, aucune espèce d'autorité, de contrôle à exercer sur la marche
des autres ministères. Tout ministre, du moment qu'il a obtenu des crédits,
doit être maître d'en disposer sous sa responsabilité. L'article 14 donne au
ministre des finances le droit de refuser le payement d'une ordonnance émanée
d'un de ses collègues si, dans son opinion, cette ordonnance excède le crédit
ouvert par la loi : « Le ministre des finances n'autorise le payement d'une
ordonnance que lorsqu'elle porte sur un crédit ouvert par la loi. » D'abord le
ministre des finances a-t-il à (page 859)
autoriser le payement d'une ordonnance, alors que cette ordonnance est
régulière, alors surtout qu'elle a été revêtue du visa préalable de la cour des
comptes ? Il faut, messieurs, tenir compte de cette grande garantie donnée aux
finances de l'Etat par le visa préalable de la cour des comptes. Ajouter à cela
l'ordonnancement préalable de la dépense par le ministre des finances, c'est,
il ne faut pas se le dissimuler, imposer une nouvelle gêne et de nouvelles
lenteurs dans le service des administrations, Suivez un moment par la pensée le
chemin que doit faire un mandat de payement pour arriver à son destinataire et
vous serez étonnés des nombreux détours qu'il doit faire.
Or, il est de bonne règle administrative, que
dès qu'une dette a été reconnue liquide, le créancier soit payé le plus tôt
possible, alors, surtout que le trésor, comme c'est le cas chez nous, ne tire
aucun intérêt des fonds qui s'y trouvent. Eh bien, qu'arrive-t-il dans l'état
actuel des choses ? Le ministre a obtenu des chambres son crédit ; il a un
payement à faire ; il doit adresser sa demande de payement à la cour des
comptes, en y joignant toutes les pièces justificatives ; si la cour des
comptes trouve qu'il manque telle ou telle formalité, telle ou telle pièce, que
tel ou tel article du budget n'admet pas l'imputation, elle refuse le visa
préalable et le payement se trouve suspendu. On sait la correspondance étendue
à laquelle donnent lieu aujourd'hui les discussions presque continuelles qui
s'établissent entre la cour des comptes et l'administration. Plusieurs employés
sont fréquemment occupés à débattre les prétentions du ministère avec la cour
des comptes. La cour des comptes remplit sa mission avec sévérité, et elle a
raison, je ne l'en blâme pas ; le ministre lutte contre la cour des comptes, et
je ne l'en blâme pas non plus. Voilà donc le premier obstacle qui s'oppose à ce
que l'argent aille trouver avec promptitude le créancier.
Supposons cette première barrière franchie, et,
après discussion ou sans discussion, le visa de la cour des comptes obtenu.
Croyez-vous, messieurs, que le mandat va passer directement entre les mains du
créancier ? Point du tout : il faut d'abord qu'il passe au ministère des
finances pour être revêtu de l'ordonnance de payement. Du ministère des
finances le mandat revient chez le ministre ordonnateur. Le ministre
ordonnateur, si le créancier demeure à Bruxelles, le lui fait parvenir, mais le
créancier, ainsi muni du mandat, peut-il le recevoir chez le caissier de l'Etat
? Non, messieurs, il doit se présenter chez le directeur du trésor, car c'est
sur le directeur du trésor que le mandat a été fait. Enfin, la directeur du
trésor donne une assignation sur la caisse où l'intéressé va toucher enfin son
argent.
Vous voyez, messieurs, combien tout cela est
compliqué, combien tout cela occasionne de lenteurs. Ces lenteurs contribuent à
rendre les marchés plus onéreux, car l'entrepreneur doit tenir compte de toutes
les difficultés qu'il éprouvera avant d'être mis en possession de son argent.
Il suffit d'avoir été pendant quelque temps en rapport avec l'administration
pour être frappé des complications qui s'opposent à ce que l'argent parvienne
sans de trop longs retards aux créanciers de l'Etat, alors même qu'ils se sont
mis parfaitement en règle. Cela donne lieu à des spéculations de plus d'un
genre.
Ainsi, messieurs, n'es4-il pas connu de vous
tous qu'il existe à Bruxelles des agents spéciaux qui font métier de
poursuivre, de filière en filière, la liquidation des mandats destinés aux
créanciers de l'Etat, et qui sont constamment dans les bureaux du ministre
ordonnateur, de la cour des comptes, du ministère des finances, jusqu'à ce
qu'enfin ils obtiennent le mandat qui ne coûterait pas au destinataire les
mêmes frais de diligence s'il pouvait le recevoir plus directement.
C'est en ce sens, messieurs, que j'ai pu dire
dans une discussion précédente, que tout en stipulant des garanties plus
sévères pour la conservation de nos finances, il fallait aussi songer aux
facilités nécessaires à la bonne marche de l'administration. Aujourd'hui, on ne
peut pas se le dissimuler, il y a des complications, des retards préjudiciables
et souvent inutiles dans le mode de payement.
Eh bien, avec l'article 14 rigoureusement
appliqué, n’allons-nous pas créer de nouveaux obstacles ? La cour des comptes
aura liquidé un mandat ; elle l'aura trouvé régulier ; le mandat passera
d'après l'usage à la trésorerie, et là, on pourra contester la légalité du
mandat, car « le ministre des finances n'autorisera le payement de l'ordonnance
que lorsqu'elle porte sur un crédit ouvert par la loi. » D'abord je demanderai
s'il est bien nécessaire qu'un mandat émis par un ministre et revêtu du visa de
la cour des comptes, reçoive encore la formule de l'ordonnancement du ministre
des finances ?
Je pense, messieurs, que les besoins bien
entendus de l'administration peuvent fort bien s'accorder avec la remise des
mandats directement aux intéressés, après qu’ils ont été revêtus du visa de la
cour des comptes et qans qu'ils passent par l'ordonnancement du ministère des
finances. C'est ainsi que les choses se font en France, et là, messieurs, on
n'a point cependant cette garantie du visa préalable de la cour des comptes. Le
ministre qui a obtenu son budget, mandate sur son budget ; il donne une assignation
sur le caissier ; le caissier examine si le mandat est accompagné des pièces
justificatives ; il peut faire des observations, mais si le ministre insiste,
le caissier doit payer.
Ici, messieurs, le ministre ne peut pas
ordonnancer directement sur le payeur, parce que le mandat doit d'abord être
revêtu du visa de la cour des comptes ; mais il me semble qu'une fois le visa
préalable obtenu, on pourrait éviter une filière que je considère comme à peu
près inutile ; il me semble que le mandat, revêtu du visa de la cour des
comptes, pourrait être payé directement par le caissier, sans devoir être
ordonnancé par le ministre des finances.
Ensuite, messieurs, dans la disposition qui nous
occupe, je vois bien les droits du ministre des finances, mais quant à ses
obligations, les auteurs de la loi les ont passées sous silence. Cette loi de
comptabilité, je persiste à le dire, intéresse tous les ministres ; elle les
intéresse à un haut degré. Eh bien, cette loi a été préparée tout entière dans
les bureaux du ministère des finances, je n'en fais point du doute, et elle
sent parfaitement son origine. Aussi, les droits du ministre dos finances sont,
je le répète, très bien, établis ; mais ses obligations, il en est peu
question. Dans le règlement français, auquel on a emprunté la disposition de
l'art. 16, les obligations du ministre des finances sont également déterminées.
Voici une disposition de ce règlement que je proposerai à là chambre de
substituer à l'article 16 : « Le ministre des finances pourvoit à ce que toute
ordonnance qui n'excède pas les limites du crédit sur lequel elle doit être
appliquée, soit acquittée dans les délais et dans les lieux indiqués par
l'ordonnateur. »
Le but de cet amendement est de faciliter les
relations de l'administration avec tous les intéressés qui ont affaire à elle,
et de porter un premier remède aux inconvénients, pour ne pas dire aux abus
inhérents au régime actuel. Ces abus sont de notoriété publique.
Il
faut veiller, messieurs, à ce que les dépenses régulièrement faites soient
payées avec promptitude et facilité. C'est là le devoir du ministre des
finances qui dispose des ressources du trésor, non pas suivant son bon plaisir,
mais suivant les besoins de l'administration. C'est à lui qu'il appartient de
pourvoir à ce qu'il soit fait convenablement face aux dépenses des différents
départements, et sous ce rapport il doit se soumettre (car il n'est pas ici
omnipotent), il doit se soumettre aux nécessités des autres administrations.
Voilà, messieurs, quel est le but de mon
amendement ; Il y aura des arrangements à prendre entre les divers départements
pour régler l'application de ce principe, mais ces arrangements seront faciles
et, puisqu'on a emprunté à la loi française différentes dispositions, on ne
refusera probablement pas de lui emprunter encore celle-ci qui est tout à fait
dans l'intérêt du service de l'administration.
Quant à l'ordonnancement de la dépensé par le
ministre des finances, j'attendrai les explications de M. le ministre.
(page 855)
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Messieurs, la loi que nous discutons en ce
moment a été préparée dans les bureaux du ministère des finances par une
commission dans laquelle la cour des comptes se trouvait représentée ; lorsque
l'avant-projet était terminé, il a été envoyé à l'examen de chacun des
départements ministériels, et lorsque les observations des différents
départements ministériels ont été remises au ministère des finances, on a fait
un nouvel examen, une nouvelle étude ; on a établi une nouvelle discussion sur
toutes les dispositions du projet avant de le soumettre au conseil des
ministres qui l'a examiné à son tour avant qu'il ne fût transmis à la signature
du Roi. Si donc, messieurs, le projet présenté avait un caractère envahissant,
ce serait parce que, dans toutes les épreuves que je viens d'énumérer, la
nécessité de lui donner ce caractère aurait été unanimement reconnue.
Faut-il conserver l'ordonnancement de toutes les
pièces par le ministre des finances ? Telle est la question soulevée par
l'honorable M. Rogier. Je me demande d'abord comment il serait possible que le
ministre des finances connût la situation réelle s'il ne recevait pas
communication, pour l'enregistrement de toutes les demandes de payement, de
toutes les dépenses à faire.
Je me demande, en deuxième lieu, comment il
serait possible que le ministre des finances fît le compte général des finances
de l'Etat, s'il n'enregistrait pas toutes les demandes de payement. Je me
demande, enfin, comment il serait possible que tous les fonds fussent faits en
temps utile sur tous les points du royaume, pour faire face à tous les
payements, si chaque ministre disposait, à l'insu du ministre des finances, qui
d'un million sur Arlon, qui de deux millions sur Anvers et ainsi sur d'autres
points du royaume.
Les formalités, telles qu'elles existent
aujourd'hui, sont lentes ; mais, messieurs, peut-on, dans une administration
financière quelconque, avoir un contrôle sans formalités, et le contrôle
n'est-il pas d'autant plus fort, que les formalités sont plus nombreuses et
plus sévères ?
Il y a quelques retards, mais demandons-nous
d'où ils proviennent, et si en supprimant l'ordonnancement par le ministre des
finances, on les ferait cesser. Ainsi que l'honorable préopinant vient de le
dire, ces retards proviennent en très grande partie des difficultés que tous
les ministres ont souvent rencontrées, quant au visa préalable de la cour des
comptes ; c'est là et seulement là que se trouve la cause de la lenteur de
certains payements. Or, le visa préalable est constitutionnel, il est
nécessaire et dès lors cette formalité, cause unique, pour ainsi dire, des
retards, ne peut être supprimée. Les demandes de payement viennent au ministère
des finances ; cela est très vrai, mais elles ne font qu'y passer ; je crois
d'ailleurs avoir déjà démontré que cette mesure est nécessaire pour plusieurs
motifs.
Ce n'est pas tout à fait ainsi que les choses se
passent en France. La disposition que nous discutons est empruntée à la loi
française, mais le ministre des finances a, en France, à l'égard de ses
collègues une action beaucoup plus forte, beaucoup plus étendue. Ainsi la
distribution des fonds se fait pir douzièmes, par mois ; le ministre des
finances, si l'on me permet cette expression, distribue à ses collègues la manne
du budget ; ici les différents ministres disposent non pas sur des douzièmes
que leur ouvre le ministre des finances, mais ils disposent dans la limite des
crédits.
Ce serait une erreur de croire qu'il puisse
résulter da là quelque froissement entre les départements ministériels ; mais
il est impossible aussi d'admettre que s'il était démontré au ministre des
finances que, malgré le visa ou en l'absence du visa dans les cas spéciaux où
il n'est pas nécessaire d'après les lois ; que, s'il était démontré, dis-je,
que les crédits ouverts ont été dépassés, par suite d'une erreur de
comptabilité, il ne serait pas permis au ministre des finances de faire
remarquer cette erreur et qu'il serait en quelque sorte forcément associé à la
violation de la loi du budget. Jamais, je pense, il ne s'est élevé de
froissement ; jamais il n'y a eu de retard, à cause de cette disposition toute
d'ordre, toute de bonne comptabilité.
Des abus sont possibles dans tous les systèmes,
et un système n'est mauvais que lorsque les abus restent impunis. Ainsi
l'honorable M. Rogier a cité des abus qui ont amené celui qui les a commis
devant la cour d'assises. Or quelque loi de comptabilité que vous fassiez, on
pourra toujours commettre des abus qui amèneront devant les tribunaux ceux qui
s'en seront rendus coupables.
Je reviens à ce qui se passe en France. Le
ministre des finances distribue les crédits dans les limites du budget ; il les
distribue par douzièmes. Il fait plus, il pourvoit à ce que les fonds soient rendus
sur les lieux où les payements doivent être faits, et c'est là la disposition
que l'honorable membre propose
d'introduire en Belgique, où elle n'est pas susceptible d'application.
L'article reproduit par l'honorable M. Rogier se rapporte au système des
receveurs généraux ; cet article n'est exécutable que dans ce système, qui
existe en France.
Dans ce pays, le ministre des finances, lorsque
les crédits ont été ouverts est chargé de veiller à ce que, par exemple, une
somme de 20 ou 30 millions se trouve à tel jour donné sur tel point du
territoire.
En Belgique, au contraire, d'après le système du
caissier de l'Etat le ministres des finances donne simplement avis à la Société
Générale qu'un mandat a été émis payable en tel endroit, et c'est le caissier
général qui, d'après son contrat, doit prendre les mesures nécessaires pour
qu'au jour indiqué les fonds soient rendus à l'endroit où le payement doit être
opéré. Comment, d'ailleurs, celle mesure serait-elle applicable en Belgique ? «
Le ministre des finances pourvoit à ce que toute ordonnance qui n'excède pas la
limite du crédit sur lequel elle doit être imputée, soit acquittée dans les
délais et dans les lieux déterminés par l'ordonnateur. »
Comment
le ministre des finances pourrait-il veiller à cela alors qu'il se borne à
viser les mandats et à les renvoyer au département qu'ils concernent ? Le
ministre des finances serait donc responsable de ce que le mouvement de la
« cascade indiqué tout à l'heure aurait été ralenti par une
cause quelconque, qui lui est étrangère, qu'il ne peut empêcher ?
L'amendement de l'honorable M. Rogier se
rattache donc au système français, et il est inexécutable dans le système qui
existe en Belgique. Si, après l'époque transitoire que j'ai indiquée pour le
service actuel du caissier de l'Etat on substituait au caissier de l’Etat le
système des receveurs généraux, alors, messieurs, mais seulement alors, le
ministre des finances devrait veiller à ce que les fonds fussent faits et l'on
pourrait admettre la proposition de l'honorable M. Rogier ; l’on devrait, comme
l’honorable membre le fait remarquer, y ajouter les exceptions qui sont admises
en France. Mais aujourd'hui, je pense que l'amendement doit être considéré
comme puisé dans un autre ordre d'idées, comme n'étant pas applicable à ce qui
existe en Belgique.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, le système de comptabilité du
gouvernement des Pays-Bas était extrêmement défectueux ; cependant il contenait
quelques bons principes. Le projet de loi que nous discutons en a emprunté
plusieurs. Ainsi le principal, qui tend à (page
856) n'établir qu'un seul ordonnateur a été emprunté au règlement de 1824.
Sous le régime de ce règlement qui est encore en vigueur, non seulement le
ministre des finances tient à lui seul la clef du trésor, il est seul
ordonnateur, mais il a droit d'examiner si les marchés ne sont pas trop élevés
et d'exercer enfin un véritable contrôle sur la manière dont se font les
dépenses. Celle dernière prescription n'a cependant plus été observée depuis
1830
je pense que l'ordonnancement unique par M. le
ministre des finances offre de grands avantages ; il tend à mettre le ministre
des finances à même d'être toujours au courant de l'état de la caisse du pays.
Les dépenses se régularisent plus promptement à la trésorerie. Il en résulte
que le compte général peut se dresser en moins de temps. Les discussions de ces
jours derniers ont prouvé qu'on attachait du prix à la prompte rédaction du
compte général, et on avait des motifs fondés pour le désirer.
En France, tous les ministres sont ordonnateurs
; il n'y a pas de visa préalable de la cour des comptes ; ils ordonnancent sur
la caisse les payeurs auxquels le ministre des finances assigne les fonds qui
sont nécessaires pour faire marcher les services. Ce système est indispensable
dans un pays aussi grand que la France, mais je pense que le système d'un
ordonnateur unique peut s'exécuter sans inconvénient dans un pays aussi petit
que le nôtre ; nous en avons une assez longue expérience.
L'honorable M. Rogier n'a signalé qu'un seul
inconvénient. D'après lui c'est parce que toutes les créances passent par
l'ordonnancement de ministre des finances que les créanciers de l'Etat
éprouveraient du retard dans les payements qui leur sont dus ; je pense que
l'obligation de faire ordonnancer toutes les créances par le ministre des
finances, n'est pas de nature à occasionner un grand retard. M. le ministre des
finances avait dit que le visa préalable était en quelque sorte la seule cause
des retards. Je conviens que le visa peut occasionner des retards ; mais ces
retards, je ne le regrette pas ; cette formalité établit un contrôle précieux
et nous donne la garantie que les payements s'effectuent avec régularité
conformément aux prescriptions de la loi des crédits.
L'honorable M. Rogier ne s'est pas rendu compte,
je pense, des véritable causes des retards qu'éprouvent les créanciers de
l'Etat dans le payement de leurs créances. Cela résulte du système actuel du
caissier de l'Etat. D'après cette organisation, les mandats sont payés par les
agents du caissier général en province. Ces agents n'étant pas comptables, le
gouvernement a été obligé d'établir des agents qui font de la comptabilité
fictive appelés directeurs du trésor ; les ministres ouvrent la dépense, la
cour des comptes vise et le ministre des finances ordonnance. Les mandats
passent ensuite aux directeurs du trésor ; comme ces directeurs n'ont pas de
caisse, ils délivrent des assignations en retour de ces mandats. Cela
occasionne des retards très considérables pour les créanciers de l'Etat. C'est
encore un des inconvénients, mais qui n'est pas le plus grave, qui résultent du
système de caissier par une banque.
Je suppose un créancier de l'Etat, habitant une
commune de l'arrondissement de Louvain ; il reçoit un mandat, il est obligé
d'abord de se rendre à Bruxelles, chez le directeur du trésor ; s'il arrive
après deux heures, il est obligé de passer la nuit hors de chez lui, de faire
des frais.
Le lendemain, il retourne chez le directeur du
trésor où il échange son mandat contre une assignation ; cette assignation, il
ne peut pas l'échanger contre des espèces chez le caissier général à Bruxelles,
il faut qu'il fasse un second voyage, il faut qu'il se rende au chef-lieu de
l'arrondissement, et c'est là seulement qu'il trouve enfin le montant de sa
créance ; puis il a à reprendre le chemin de sa commune.
Ces
retards sont extrêmement onéreux pour les créanciers de l'Etat, surtout pour
les petits pensionnaires, pour les anciens militaires qui n'ont qu'une modique
pension de 100 tr. Il en est résulté qu'il s'est formé dans tous les
chefs-lieux de province des agents d'affaires qui prélèvent encore un tantième
sur cette misérable pension. C'est un très grand abus ; et cet abus seul me
porterait à être plus ou moins l'adversaire du système de l'abandon du trésor à
une société anonyme. En France, les créances se payent sans déplacement, le
trésor est partout où réside un percepteur des deniers publics ; les deniers
passent ainsi facilement et promptement de la main du contribuable dans celle
du créancier de l'Etat ; je forme des voeux pour qu'il en soit de même en
Belgique.
Il me reste à déclarer que la chambre fera fort
bien de maintenir dans la loi une des rares dispositions que nous avons
empruntées au système de comptabilité du royaume des Pays-Bas.
(page 858)
M. Rogier.
- Messieurs, je croyais, d'après ce qui nous a été dit, qu'on faisait une loi
de principe, on a été même jusqu'à soutenir qu'on faisait une loi constitutive
de la comptabilité.
Aujourd'hui l'on vient objecter contre ma
proposition qu'elle n'est pas en harmonie avec l'état actuel des choses,
qu'elle ne pourrait pas se concilier avec l'existence du caissier de l'Etat.
Tout à l'heure cependant, on posait des principes, sans s'inquiéter s'ils
pourraient se concilier, oui ou non, avec l'existence du caissier de l'Etat.
M. le ministre des finances, pour répondre à mes
observations, relativement à l'autorité trop grande que, selon moi, la loi lui
attribue dans plusieurs articles, nous dit que cette loi a été soumise à tous
ses collègues, ët qu'il y a eu le plus parfait accord pour l'adoption de ces
dispositions, Nous ne demandons que l'harmonie entre nos ministres ; la marche
des affaires ne peut qu'y gagner. Mais qu'il me soit permis cependant de dire
une seule chose, c'est que les ministres, préoccupés peut-être d'autres
questions, auront pu examiner avec un certain laisser aller les dispositions de
ce projet de loi. Du reste, l'accord même des ministres sur le projet ne serait
pas une objection absolue contre les améliorations qui pourraient y être
introduites, dans l'intérêt de l'administration générale.
M. le ministre des finances me dit que ma
proposition, quant à la délivrance des mandats de payements, n'est pas
acceptable ; je n'ai pas fait de proposition sur ce point, mais voici l'opinion
que j'ai exprimée ; j'ai dit qu'il était désirable que les mandats, délivrés
par les ministres ordonnateurs, pussent être remis aux intéressés, sans devoir
passer par la formalité de l'ordonnancement au ministère des finances. M. le
ministre déclare que l'ordonnancement préalable par son administration est
indispensable, afin que le ministre puisse toujours être tenu au courant de
l'état des budgets, et enregistrer tous les faits de dépense. Eh bien, cela
n'est pas impossible dans le système que j'indique ; le ministre, dans ce
système, sera tenu au courant des faits de dépense ; il suffira, pour cela, que
chaque ministre qui enverra des mandats à la cour des comptes, adresse le
bordereau de ces mandats au ministre des finances.
L'opinion que j'exprime relativement aux mandats
directs, n'a rien de nouveau, même dans le pays. Les députations des provinces
mandatent directement sur les directeurs du trésor ; les mandats de payement,
émanés des députations permanentes, sont envoyés au visa préalable de la cour
dés comptes ; puis le gouverneur, président de la députation, mandate
directement sur le directeur du trésor, sans l'ordonnancement préalable de M.
le ministre des finances. Ce que font les députations, je ne vois pas pourquoi
chaque ministre ne pourrait pas le faire.
J'espère que M. le ministre des finances, ni les
fonctionnaires de son département, ne verront rien d'hostile dans mes
observations.
Nous parlons comptabilité, nous parlons
administration, je reconnais qu'il faut de la régularité, de la sévérité,
beaucoup de sévérité dans l'administration des finances de l'Etat, je serais
désolé d'avoir pu contribuer par une proposition, par une opinion quelconque à
y jeter la moindre perturbation ; je veux qu'il y ait régularité et
responsabilité, mais aussi je veux pouvoir concilier les droits du trésor avec
les besoins généraux de l'administration.
Des abus existent aujourd'hui ; il n'est pour
ainsi dire pas d'intéressé qui, ayant affaire avec l'administration, n'ait pas
eu à se plaindre des lenteurs qu'éprouvent les payements.
Il en résulte de grands inconvénients ; ce sont
des collusions possibles avec certains employés ou des exigences trop fortes
dans les marchés, en raison des difficultés qu'on éprouve pour le payement. La
Belgique est un (page 860) pays dont
la situation financière est toujours à jour, où les caisses sont toujours
suffisamment pourvues, tout doit concourir à faciliter au créancier de l'Etat
le payement des fournitures qu'il a faites. Du moment qu'il est reconnu qu'un
service a été régulièrement fait, il faut se hâter de payer. C'est le moyen
d'avoir de bonnes fournitures et au meilleur compte possible. L'axiome que qui
paye bien est bien servi, est vrai pour une nation comme pour un individu. Il
est de l'intérêt d'une nation comme d'un individu, de ne pas laisser des fonds
dormir sans emploi dans ses caisses. Aujourd'hui entre la date d'un mandat de
payement et son encaissement par l'intéressé, il s'écoule parfois plusieurs
mois, à moins qu'on n'ait recours à des intermédiaires pour poursuivre le
mandat à travers les nombreuses filières par lesquelles il doit passer.
Eu résumé donc, je pense que si l'on parvenait à
supprimer cette filière, que je considère comme inutile, c'est-à-dire
l'ordonnancement du ministre des finances appliqué aux mandats de ses
collègues, on ferait chose utile. Aujourd'hui, cette formalité n'existe pas en
France où l'on n'a pas cependant le visa préalable de la cour des comptes. Le
ministre ordonnateur remet un mandat sur le payeur, celui-ci paye à
l'intéressé, et il ne semble pas qu'on trouve à cette manière expéditive de
procéder aucun inconvénient.
Quant à l'article que je propose, il ne suppose
pas la suppression de l'ordonnancement préalable. Cette dernière question que
j'ai été amené à traiter simultanément avec l'autre, peut être réservée pour un
des articles suivants.
Je demande seulement en ce moment que le
ministre des finances pourvoie à ce que toute ordonnance, qui n'excède pas la
limite du crédit sur lequel elle doit être imputée, soit acquittée dans les
délais et dans les lieux déterminés par l'ordonnateur.
On objecte que cette marche n'est pas
conciliable avec le système actuel.
Cette déclaration m'étonne de la part de M. le
ministre des finances. Je pensais que, dans l'état actuel des choses, M. le
ministre des finances était libre de prescrire des mouvements de fonds d'une
caisse à l'autre, suivant les besoins des dépenses. M. le ministre des finances
a sans doute le droit d'ordonner au caissier général de faire des fonds là où
il le juge nécessaire. Dès lors, comment peut-on dire que mon système n'est pas
conciliable avec l'état actuel des choses ? Ce système impose au ministre l'obligation
de faire des fonds là où les besoins de la dépense se font sentir. Tantôt ce
sera sur le caissier général, tantôt ce sera sur les receveurs des
contributions, comme la chose se pratique déjà pour certaines dépenses, et
notamment pour les traitements des membres de l'ordre judiciaire, dans les
sièges des tribunaux où ne réside pas un caissier. Je voudrais que M. le
ministre des finances fût tenu de donner à ses collègues cette facilité de
pouvoir mandater, là où le payement peut se faire de la manière la plus utile
pour les intéressés et pour l'administration, et je soutiens que le système
actuel ne s'oppose pas à cette opération.
Quant
au contrôle que M. le ministre des finances peut exercer sur les dépenses, je
ne le supprime pas entièrement. Mon système suppose que le payeur pourra
s'assurer que la dépense ne dépasse pas le crédit. M. le ministre des finances
ouvrira des crédits à ses collègues, il leur recommandera naturellement de ne
pas dépasser les limites de ces crédits. Je ne veux pas écarter tout contrôle
sur ce point, mais je veux qu'en même temps qu'il exerce son contrôle, il leur
fournisse les moyens de payer là où les besoins de l'administration l'exigent.
Il peut le faire dans l'état actuel des choses ; s'il ne le peut pas, il faut à
plus forte raison déposer dans la loi le principe qui portera ses fruits plus
tard, comme d'autres qu'on y a déjà inscrits.
(page 856)
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Le moment est venu, ce me semble, de discuter
cette question, car si nous ajournons l'article 14, il faut ajourner aussi les
autres articles qui supposent le principe décrété. Décidons s'il faut maintenir
le principe d'après lequel le ministre des finances vise, enregistre,
ordonnance les mandats qui émanent de ses collègues. Je crois avoir établi les
raisons qui démontrent la nécessité de maintenir cette formalité. Je crois
avoir établi en second lieu que ce n'est pas cette formalité qui occasionne les
retards qu'éprouvent les payements des créances de l'Etat.
L'amendement concerne une mesure de répartition
des fonds. La Société Générale est obligée de faire à ses frais ces mouvements
de fonds ; il ne faut pas en conclure que le ministre ne puisse pas se mêler de
ces mouvements quand il le juge nécessaire.
L'abus
signalé, et qui consiste dans la retenue des mandats, n'a été possible que pour
le ministère des finances ; quand un mandat du département de la justice, je
suppose, m'a été envoyé, aussitôt que je l'ai fait enregistrer, je le renvoie à
ce département ; si l'employé chargé de le remettre au créancier de l'Etat,
abuse de sa position pour le faire capituler, ce ne sera ni la disposition
nouvelle, ni toute autre qui rendra cet abus impossible.
Un membre. - Ce sera une cascade de moins !
M. le ministre des finances (M. Malou). - On dit : Ce sera une cascade de moins ; mais
cette cascade n'entraîne qu'un retard de cinq à six jours.
Un membre. - C'est beaucoup qu'un retard de six jours.
M. le ministre des finances (M. Malou). - S'il doit en résulter pour le ministre une
connaissance parfaite de la situation du trésor, s'il en a besoin, et pour
former le compte général des finances exigé par la loi, et pour donner au
caissier général les instructions nécessaires pour la répartition des fonds,
l'on ne doit pas craindre cette formalité qui n'est pas la cause des retards
inévitables occasionnés surtout par le visa de la cour des comptes.
M. Mercier. - Je ferai remarquer d'abord que c'est contre une
disposition qui existe depuis bien longtemps, qui est sanctionnée par
l'expérience, que l'honorable député d'Anvers vient de s'élever. Cette
disposition est-elle inutile ou donne-t-elle lieu à de graves inconvénients dans
son exécution ? A mon avis elle est essentiellement utile ; entre autres pour
établir de l'unité et de la régularité dans les imputations et les payements ;
très souvent le ministre des finances, dans l'intérêt de la bonne marche du
service, a fait à ses collègues des observations dont ils ont reconnu le
fondement ; elle a aussi pour effet de centraliser la comptabilité mieux et
avec plus d'exactitude que ne le feraient de simples bordereaux.
A-t-elle donné lieu à des retards ? Il ne s'est
pas élevé de plaintes à ce sujet. L'ordonnancement se fait avec beaucoup de
célérité au département des finances. L'honorable membre vous a exposé les
divers retards qu'un mandat peut éprouver, mais il n'a pas démontré que ces
retards fussent le résultat de la mesure que le projet tend à maintenir ;
souvent quand il y avait urgence, l'ordonnancement a eu lieu dans le jour même,
M. Rogier. - Quand des solliciteurs assiégeaient les bureaux.
M. Mercier. - Il est vrai que des solliciteurs et les intéressés
eux-mêmes assiègent souvent les bureaux ; cela provient de la facilité avec
laquelle on y pénètre aujourd'hui. Quand il fallait attendre six ou huit mois
pour obtenir le payement d'une créance à charge de l'Etat, on ne sollicitait
pas, parce qu'on n'était pas reçu. Aujourd'hui que les mandats de payement sont
délivrés après deux mois, quelquefois dans un moindre espace de temps, on
sollicite, on devient parfois si pressant qu'on voudrait assister à chacune des
formalités que le mandat doit subir et qu'on laisserait à peine à l'employé le
temps de faire l'enregistrement des pièces. Si l'on était parvenu à faire
opérer la liquidation des créances dans les 15 jours, on réclamerait bientôt
pour que le délai soit réduit à 8 jours. On ne peut donc s'appuyer sur quelques
réclamations, d'ailleurs peu nombreuses, pour condamner un système qui présente
sous d'autres rapports de grands avantages..
Du reste, ce que je voulais faire observer,
c'est que les retards qui ont été signalés ne viennent pas de l'ordonnancement,
mesure d'ordre très utile, qui n'a pas donné lieu à des réclamations et qui
jamais à ma connaissance n'a fait naître de conflits entre les chefs des
différents départements.
Quant à la proposition que l'honorable M. Rogier
veut substituer à celle du gouvernement, je ne puis l'adopter en aucune
manière. Elle pourrait être comprise dans un règlement, mais serait à mon avis
déplacée dans une loi. Conçoit-on en effet qu'un ministre ordonnance un
payement et ne fasse pas les fonds à l'endroit spécifié sur l'ordonnance même ?
Il
me semble, messieurs, qu'une telle éventualité ne doit pas être prévue par la
loi ; que la loi ne doit pas dire au gouvernement : Vous payerez vos dettes et
plus encore : Vous payerez vos dettes après les avoir reconnues, après avoir
indiqué vous-même à l'intéressé que vous payeriez à tel endroit ; la loi ne
peut renfermer une pareille disposition. Comment ! le gouvernement délivre
le mandat, il indique le lieu où le montant pourra en être touché, et on suppose
que le ministre des finances ne prendra pas les dispositions nécessaires pour
que des fonds suffisants se trouvent au bureau désigné. Messieurs, il s'agit
ici, pour le ministre des finances, d'une obligation qui dérive de la nature
même de ses attributions, et qu'il serait plus que surabondant d'écrire dans la
loi.
M. Desmaisières. - Messieurs, la proposition de l'honorable M.
Rogier, si je la comprends bien, porte sur deux points.
D'abord, cet honorable membre voudrait avec
raison voir imprimer une plus grande célérité au payement des créances sur le
trésor, qui ont été liquidées et visées par la cour des comptes. Mais,
messieurs, ainsi que viennent de vous l'expliquer les honorables préopinants,
cette célérité existe aujourd'hui autant qu'on peut le désirer. Car vous avez
tous pu voir des mandats, des demandes de payement visées par la cour des
comptes et ordonnancées par le département des finances sur le trésor, et vous
aurez toujours remarqué qu'il n'y a jamais que cinq ou six jours entre la date
du visa de la cour des comptes et celle de l'ordonnancement par le ministre des
finances. Vous voyez donc que, si des plaintes peuvent s'élever sur le retard
qu'éprouverait le payement île dépenses liquidées, ce retard ne provient pas
des formalités auxquelles sont astreintes les créances en ce qui concerne
l'ordonnancement par le département des finances.
D'un autre côté, l'honorable membre pense qu'il
ne faut pas accorder au ministre des finances une sorte de suprématie sur ses
collègues. Messieurs, je reconnais qu'il ne doit pas y avoir suprématie
proprement dite ; mais je crois que le ministre des finances doit être, avant
tout, le suprême régulateur, le directeur de tous les mouvements du trésor,
tant en recettes qu'en dépenses. Il faut qu'à chaque mouvement qui s'opère, il
en soit instruit, et qu'il en soit instruit a priori et non postérieurement.
L'honorable membre a dit : Mais tous les
ministres des finances ont souvent averti leurs collègues, et je ne m’oppose pas
à ces sortes d'avertissements. (page 857)
Messieurs, remarquez bien, je vous prie, que si l'ordonnancement sur le trésor
par le département des finances n'est pas exigé, ces avertissements viendront
trop tard ; il arrivera même souvent que le ministre des finances, ignorant les
dispositions sur le trésor de ses collègues, n'aura pas pu avoir soin de faire
en sorte que la caisse de l'Etat soit suffisamment fournie.
On a parlé de la France ; on a dit qu'en France
le ministre des finances n'avait pas cette suprématie. Je vais, messieurs, vous
lire trois articles du règlement général de comptabilité de France, et vous
reconnaîtrez que l'on a aussi jugé, dans ce pays, qu'il fallait donner, sous le
rapport du mouvement des fonds du trésor, une certaine suprématie au ministre
des finances.
Voici ce que dit l'article 38 : « Chaque mois,
le ministre des finances propose au Roi, d'après la demande des autres
ministres, la distribution des fonds dont ils peuvent disposer dans le mois
suivant. »
A
l'article 15 : « Le ministre des finances ne peut, sous sa responsabilité,
autoriser des payements excédant les crédits ouverts à chaque ministère.»
Et à l'article 59 : « Toute ordonnance, pour
être admise par le ministre des finances, doit porter sur un crédit
régulièrement ouvert, et se renfermer dans les limites des distributions
mensuelles de fonds. »
Vous voyez donc, messieurs, qu'en France on a
jugé qu'il était nécessaire, dans l'intérêt public, que le ministre des
finances eût la suprême direction de tous les mouvements du trésor, aussi bien
en ce qui concerne les dépenses qu'en ce qui concerne les recettes.
(page 909)
M. Lebeau.
- Je remarque, messieurs, que l'on n'est pas d'accord sur les droits que l'on
veut accorder au ministre des finances. Il faudrait que la chambre connût bien
la portée de la disposition que l'on veut mettre aux voix.
A entendre M. le ministre des finances, c'est
une simple formalité qui équivaut à une information. Il s'agit de donner au
département des finances la faculté de prendre pour information les mandats
délivrés par les autres départements ministériels. Suivant l'honorable M. de
Man (et ses paroles doivent avoir quelque poids, puisqu'il est rapporteur de la
section centrale), il s'agirait même pour la moralité de la dépense, d'un degré
supérieur à celui des ministres ordonnateurs. Ainsi il dépendrait du ministre
des finances, avant de donner sa signature à l'ordonnance qui lui est soumise,
d'examiner, en supposant, par exemple, qu'il s'agît d'adjudications, si les
prix ne sont pas trop élevés. Ainsi voilà M. le ministre des finances qui
serait investi, à l'égard de ses collègues, d'un droit qui est refusé à la cour
des comptes !
M. de Man d’Attenrode. - Je demande la parole.
M. Lebeau. - Si j'ai mal interprété vos paroles, vous pouvez
les rectifier à l'instant ; car je ne voudrais pas bâtir mes raisonnements sur
des hypothèses. Mais je pense que vous avez dit qu'en cas d'adjudication, le
ministre des finances aurait le droit d'examiner si les prix ne sont pas trop
élevés.
M. de Man d’Attenrode. - Je demanderai à l'honorable orateur de me
permettre de m'expliquer, car je pense qu'il n'a pas saisi le sens de mes paroles.
Peut-être me serai-je mal exprimé. Quel en est le sens ? J'ai dit que la
disposition que nous discutions était extraite du règlement de 1824 et que,
d'après ce règlement, non seulement le ministre des finances était seul
ordonnateur, mais que même, d'après les articles 242 et suivants, il avait à
contrôler les marchés et à vérifier si les prix des travaux ou fournitures
n'excédaient pas ceux payés par des particuliers.
C'est une disposition qui est encore en vigueur
aujourd'hui ; mais elle est tombée en désuétude. Vous avez pu remarquer
d'ailleurs que ni le gouvernement ni la section centrale ne l'ont portée dans
le projet de loi. Il n'est donc pas question, comme le pense l'honorable M.
Lebeau, de la reproduire.
M. Lebeau. - J'ai cru, messieurs, que l'honorable rapporteur
avait non pas dit, mais laissé supposer qu'il attribuait à la disposition en
discussion le sens que je lui ai donné tout à l'heure ; c'est que le ministre
des finances serait jugé non seulement de la constitutionnalité, mais aussi de
la moralité d'une défense ordonnée par un autre ministre. J'ai dit que c'est là
une dictature dont M. le ministre des finances ne voudrait pas et qu'aucun de
ses collègues ne consentirait à subir. Car le ministre des finances exercerait
à l'égard de ses collègues, je le répète, un droit supérieur à celui de la cour
des comptes.
Messieurs, s'il est vrai que M. le ministre des
finances ne veuille pas exercer un contrôle, et qu'il se borne à vouloir être
informé, comme cela doit être, d'une manière régulière, sans retard, de
l'émission des différentes ordonnances émanées des autres départements
ministériels, il y a un moyen extrêmement simple, c'est de faire que le mandat
soit double, et que la cour des comptes, en renvoyant le mandat au ministre
ordonnateur, en expédie le talon au ministre des finances. C'est la chose la
plus facile. C'est une mesure analogue à celle qui a été adoptée pour les
recettes.
Si l'on veut même, pour éviter que le ministre
des finances ne soit pris au dépourvu, on peut très bien ordonner que le
ministre ordonnateur, en envoyant les mandats à la cour des comptes, en informe
immédiatement le ministre des finances, qui sera ensuite informé officiellement
par la cour des comptes par le renvoi du mandat double.
On dit, messieurs, que les retards ne sont que
de six, sept, huit, dix jours. Mais d'abord ces retards, quelque minimes qu'ils
soient, sont déjà très incommodes et sont assez préjudiciables pour les
créanciers de l'Etat. S'il s'agissait surtout d'une somme considérable,
d'allocations à jour fixe, d'entreprises de travaux publics, il est certain
qu'un retard de huit ou dix jours peut mettre l'entrepreneur dans la position
la plus fausse, la plus pénible ; et si ces retards sont inutiles, je crois
qu'il est de l'intérêt public de les écarter.
Plusieurs membres de cette chambre, l'honorable
M. de Man lui -même, et en cela je suis tout à fait d'accord avec lui, se sont
plaints du circuit que les mandats de payement doivent faire lorsqu'ils sont
remis même aux particuliers. Ainsi la partie prenante, au lieu de pouvoir se
présenter chez le caissier de l'Etat, est tenue de passer par les mains du
directeur du trésor.
Je ne sais pas si dans la nouvelle convention à
faire avec la Société Générale, en supposant que le gouvernement et cet
établissement se mettent d'accord, il n'y aurait pas moyen d'obvier à cet
inconvénient, s'il ne serait pas possible de faire payer, comme cela a lieu en
France, directement par les agents de la Société Générale.
Je ne sais pas l'utilité qu'il y a, lorsqu'un
mandat a été ordonnancé par le ministre, lorsqu'il a été visé par la cour des
comptes, lorsqu'il y a double preuve que les titres du créancier et la légalité
de la dépense ont été parfaitement examiné, à ce que celui qui est muni
de ce mandat doive aller chez le directeur du trésor prendre un nouveau papier
à l'aide duquel il est payé à la Société Générale ou chez ses agents.
Je ne fais pas
d'amendement, mais j'attire l'attention de M. le ministre des finances sur ce
point. Il est certain, quoi qu'on en dise, qu'il y a des plaintes générales sur
les retards que l'on éprouve, lorsque le gouvernement s'est mis en règle de ce
côté, à se faire payer et pour le déplacement et sur la dépense auxquels on est
tenu pour arriver au payement d'une somme souvent minime.
Je demande donc
à M. le ministre des finances s'il ne pourrait pas purement et simplement supprimer
l'article 16 du projet de la section centrale, qui est l'article 14 du projet
du gouvernement.
Quant à l'amendement
de l'honorable M. Rogier, je crois qu'il perdrait son importance, si M. le
ministre des finances consentait à retirer la disposition dont je viens de
parler.
M. d’Huart, ministre d'Etat. -
Messieurs, je crois qu'il serait dangereux de se borner, comme le demande
l'honorable préopinant, à faire transmettre au ministre des finances un simple
avis des dépenses qui doivent être soldées pour compte des autres départements
; en effet, il ne suffit pas que le ministre des finances fasse prendre note
des mandats de payement dans les écritures de la trésorerie, mais il faut qu'il
ne les délivre que lorsqu'il s'est assuré de l'existence des fonds pour les
acquitter. Il m'est arrivé plusieurs fois, messieurs, lorsque j'étais ministre
des finances, d’avoir de ces mandats provenant de mes collègues, pour 10 ou 12
millions, alors qu'il y avait tout au plus 5 à 6 millions en caisse. Voyez ce
qui serait avenu, si le ministre tuteur du mandat avait ordonné le payement
immédiat ; on se serait présenté chez le caissier, il aurait manqué de fonds
pour payer, et le gouvernement pouvait être constitué en banqueroute par un
simple protêt.
Il faut donc que
le ministre des finances n'ordonnance que lorsqu'il est sûr que des fonds suffisants
existent en caisse ; sans cela l'Etat serait exposé aux plus graves inconvénients.
La situation dont
je viens de parler, messieurs, peut se présenter très souvent au commencement
de l'année ; les divers départements mandatent alors pour de fortes sommes,
tandis que les caisses sont dépourvues de fonds, attendu que les contributions
directes ne sont point encore en recouvrement.
Vous voyez donc, messieurs, qu'il y aurait de très
grands dangers à admettre qu'il sera simplement donné avis au ministre des
finances des sommes qui doivent être payées ; il importe, au contraire, qu'il
soit mis en position par l'ordonnancement des mandats, de ne laisser parvenir
ceux-ci aux intéressés que quand il est certain des fonds pour les payer. Dans
l'ordre habituel des choses, il n'y a qu'un retard de cinq ou six jours ; or,
c'est là un bien léger inconvénient à côté des inconvénients sérieux qui
pourraient résulter de l'innovation proposée, innovation dont la proposition
n'est justifiée du reste par aucune plainte fondée dont le département des
finances aurait été l'objet à cet égard. On l'a déjà dit, les retards,
lorsqu'il y en a de quelque longueur, proviennent uniquement des explications
que la cour des comptes juge nécessaire de demander avant d'accorder son visa
et de la correspondance que nécessitent ces explications.
Je pense donc,
messieurs, qu'il est important d'adopter la disposition présentée par M. le
ministre des finances, laquelle consacre simplement le maintien de ce qui se pratique
actuellement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs,
le principe déposé dans l'article 16 me paraît utile d'après la discussion qui
vient d'avoir lieu ; du reste, cette discussion portera ses fruits en ce sens
que dans le règlement qui devra être fait en conséquence de la loi, le
gouvernement prescrira toutes les mesures propres à améliorer autant qu'il sera
reconnu possible le payement des créances à la charge de l'Etat. Si je n'admets
pis dans la loi la simplification si grande qui est proposée, c'est qu'il en
résulterait, au point de vue des intérêts généraux, des inconvénients beaucoup
plus graves que ceux qui pourraient résulter, pour les créanciers de l'Etat,
d'un retard de quelques jours.
M. de Garcia. - Ce que
vient de dire M. le ministre des finances me dispense en quelque sorte de
prendre la parole. Je voulais précisément demander que le gouvernement examinât
s'il n'y a pas moyen d'accélérer la délivrance des mandats aux créanciers de
l'Etat. A cet égard, il a été présenté des considérations fort justes. Souvent
le créancier de l'état attend très longtemps le payement d'une somme qui lui
est due, et cet inconvénient est plus grave qu'on ne le pense, car dans toutes
les entreprises qui se font par adjudication, les fournisseurs calculent sur le
retard que leur payement doit éprouver et le gouvernement paye plus qu'il ne
payerait si ce retard ne pouvait pas avoir lieu. Je pense toutefois que la loi
ne peut rien faire à cet égard. C'est au gouvernement à prendre des mesures, et
je pense qu'il ferait bien d'imposer à chaque administration l'obligation de
délivrer les mandats de payement dans un délai déterminé. Ainsi, messieurs, il
y a quatre degrés ; c'est d'abord l'ordonnancement de la dépense ; c'est
ensuite le visa de la cour des comptes, et en ce qui concerne la cour des
comptes il serait fort difficile de lui assigner un terme dans lequel elle
devrait apposer son visa ; elle est juge d'une question de fait et de droit ;
elle doit examiner toutes les pièces ; elle doit examiner la loi qui autorise
la dépense et souvent il s'élève sous ce rapport des questions très difficiles
; il serait donc fort dangereux de fixer un terme dans lequel la cour des
comptes devrait donner son visa ; mais vient ensuite l'ordonnance de payement
qui est délivrée par le ministre des finances et la délivrance du mandat au
créancier. Sous tous ces rapports je pense que le gouvernement peut faire
quelque chose pour accélérer le payement des créances dues par l'Etat. Il
faudrait surtout mettre un terme au scandale qu'on a signalé ; il faudrait ici.
comme cela se pratique ailleurs, justice parfaite ; il faudrait que le droit
passât avant les obsessions et les importunités dans les bureaux des
administrations (page 910) centrales
; il faudrait, en un mot, que tout créancier de l'Etat obtînt à tour de rôle et
dans le plus court délai possible la délivrance des mandats de payement qui lui
sont dus.
Une
autre observation a été présentée par l'honorable M. Lebeau et je la crois
juste.
Aujourd'hui l'agent du trésor délivre un mandat
pour aller toucher chez le caissier de l'Etat ; M. Lebeau s'est demandé si on
ne pourrait faire disparaître ce circuit. Cela occasionne des courses
parfaitement inutiles, et j'espère que si cette mesure peut être simplifiée, M.
le ministre ne perdra pas de vue cette observation, et qu'il aura aussi égard à
toutes les considérations présentées pour accélérer et simplifier autant que
possible les formalités à remplir pour obtenir le payement des créances à
charge de l'Etat.
(page
857) M. Osy. - Messieurs, je ne pourrais pas donner mon
assentiment à la proposition de l'honorable M. Rogier, mais je le remercie
beaucoup d'avoir soulevé la question, car j'espère qu'il en résultera que le
gouvernement prendra des mesures pour empêcher les retards dont les créanciers
de l'Etat ont souvent à se plaindre et dont l'inconvénient est beaucoup
augmenté par les solliciteurs auxquels on a fait allusion. En effet, ces.
solliciteurs font croire qu'ils peuvent accélérer les payements et ils se font
remettre de ce chef une rétribution plus ou moins forte. Maintenant, par suite
de la discussion qui vient d'avoir lieu, chacun saura que le gouvernement
accélérera les payements autant que possible, et j'espère qu'on évitera à
l'avenir de recourir à l'intermédiaire de ces solliciteurs, ce qui sera un
grand avantage pour les créanciers de l'Etat.
Quant au visa du ministre des finances, je
crois, messieurs, qu'il est indispensable, car c'est le ministre des finances
seul qui connaît la situation du trésor, et s'il se présente des moments où la
caisse est peu fournie, il faut qu'il puisse ralentir le payement des mandats ;
il faut aussi qu'il puisse prévenir le caissier de l'Etat, que telle somme est
à payer tel jour en tel endroit, afin que le caissier, comme il y est tenu
d'après son contrat, envoie à ses frais les fonds sur les lieux.
Si
chaque ministre mandatait directement, il pourrait arriver à chaque instant que
les caisses fussent dépourvues ; il y aurait beaucoup d'argent en caisse par
exemple, à Anvers, à Bruxelles et d'autres villes de premier ordre, tandis que
dans telle ou telle localité secondaire où un payement devrait se faire, les
fonds ne seraient pas prêts. Je crois donc qu'il est indispensable de maintenir
l'ordonnancement par le ministre des finances.
Peut-être, pourrait-on faire payer les mandats
directement par les agents du caissier de l'Etat ; mais en ce qui concerne les
pensionnaires dont a parlé l'honorable M. de Garcia, il faut nécessairement
qu'ils s'adressent au directeur du trésor chez lequel se trouvent les états de
payement.
Ainsi, messieurs, j'accepte la proposition de M.
le ministre à l'article 16, mais je suis persuadé que la discussion qui vient
d'avoir lieu portera ses fruits et je remercie l'honorable M. Rogier de l'avoir
soulevée.
M. Rogier. - La déclaration faite par M. le ministre des
finances me satisfait jusqu'à un certain point, et je puis considérer mon but
comme en partie atteint. M. le ministre des finances a dit que la discussion
portera ses fruits, qu'il avisera avec ses collègues aux moyens de faciliter et
d'accélérer les payements aux intéressés. J'ai signalé, comme c'était mon
devoir, les inconvénients du système actuel.
S'il résulte de la discussion que MM. les
ministres prennent l'engagement de prendre, dans les règlements à intervenir,
les mesures nécessaires pour assurer la promptitude et la régularité dans le
payement des dépenses, alors nous ne nous serons pas livrés à une discussion
inutile, et d'après les assurances que M. le ministre des finances nous a
données à cet égard, je puis retirer mon amendement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai déjà reconnu l'utilité de la discussion
; j'ai dit que le principe de l'article est utile et que dans le règlement
organique, il faut prendre toutes les dispositions compatibles avec les
exigences d'une bonne comptabilité, pour que les payements se fassent les plus
promptement possible ; mais je crois qu'il n'est pas possible de supprimer
l'intermédiaire du ministre des finances.
- L'art. 16 proposé par la section centrale est
mis aux voix et adopté.
Le paragraphe additionnel à cet article, proposé
par M. le ministre de finances, est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 17 (nouveau). Dans des circonstances
extraordinaires et en l'absence des chambres, les ministres peuvent disposer
pour des services urgents et avec le visa préalable de la cour des comptes, des
crédits ouverts par ordonnance du roi sur l'avis du conseil des ministres.
« Ces ordonnances sont contresignées par le
ministre qui crée la dépense, et par celui des finances, et insérées au
Moniteur.
« Ces ordonnances sont réunies en un seul
projet de loi pour être soumises par le ministre des finances à la sanction des
chambres dans les huit (page 858)
premiers jours de leur plus prochaine réunion et avant la présentation des
budgets. »
M. le ministre des finances a proposé la rédaction
suivante :
« Art. 47 (nouveau). En l'absence des chambres,
le Roi peut, sur la proposition du conseil des ministres, ouvrir des crédits
pour faire face à des besoins imprévus et urgents,
« Les dépenses imputées sur ces crédits sont
soumises au visa préalable de la cour des comptes.
« Les arrêtés sont contresignés par le ministre
qui crée la dépense et par celui des finances et insérés au Moniteur.
« Ces arrêtés sont réunis en un seul projet de
loi qui est présenté par le ministre des finances aux chambres à la plus
prochaine session et avant la présentation des budgets. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la disposition proposée par la
section centrale est empruntée, comme plusieurs autres, à la législation
française. En France, messieurs, il existe quatre variétés de crédits ; les
crédits législatifs, les crédits supplémentaires, les crédits extraordinaires
et les crédits complémentaires.
Les crédits législatifs se définissent
d'eux-mêmes, c'est la loi de budget ; les crédits supplémentaires sont ceux qui
sont ouverts par une ordonnance du roi, pour des services prévus, mais
lorsqu'il y a insuffisance dans les crédits législatifs ; les crédits
extraordinaires sont ceux qu'ouvrent des ordonnances du roi, pour des services
extraordinaires et urgents dont la dépense n'a pas été comprise dans les
budgets.
Enfin les crédits complémentaires sont ceux qui
servent à couvrir les insuffisances reconnues lors de la clôture de l'exercice.
Le projet de loi que nous discutons supprimera
la faculté qui existe aujourd'hui, pour le ministre des finances, de mandater
directement sur le caissier de l'Etat, de faire sortir du trésor des fonds pour
les besoins imprévus et urgents. Je pense qu'il peut se présenter telle circonstance
où le ministre des finances ne devrait pas hésiter à user du pouvoir qu'il a,
de mandater directement sur le caissier de l'Etat, sauf à encourir la
responsabilité de cet acte.
Mais, il faut bien le dire, il y a dans la
disposition qui donne ce pouvoir au ministre des finances un danger sérieux,
pour les finances du pays. C'est ainsi qu'en France, dans une circonstance
assez récente, l'avenir du pays a été grevé d'une manière très considérable,
par l'usage du pouvoir d'ouvrir des crédits supplémentaires.
Je
crois qu'il suffit ici que, moyennant les garanties indiquées dans l'article
nouveau, le gouvernement ait le pouvoir d'ouvrir des crédits pour les besoins
urgents et imprévus, et que ce soit en l'absence des chambres avec le visa de
la cour des comptes, et de l'avis préalable du conseil des ministres ; ces
garanties et surtout l'obligation de faire ratifier ces mesures par les
chambres doivent ôter toute crainte, que les finances du pays, dans un moment
d'entraînement, ne soient grevées de charges trop onéreuses ; il n'est pas à
craindre non plus que le gouvernement, obligé de faire face à des événements
non prévus par la loi du budget, se trouve dans l'impossibilité de faire sortir
des fonds du trésor.
J'ai cherché, dans la rédaction nouvelle que
j'ai eu l'honneur de proposer, à employer les expressions les plus
restrictives. Si dans le cours de la discussion, il en était indiqué qui
fussent plus restrictives encore, mais qui me permissent à moi et à mes
successeurs de faire sortir des fonds du trésor, lorsqu'un besoin réel l'exige,
je me rallierais volontiers à ces changements de rédaction pourvu que l'intérêt
que j'ai voulu protéger, restât sauf.
M. Verhaegen. - Messieurs, cette question est très grave. Il
serait bon de la méditer jusqu'à demain. Il s'agit de donner au gouvernement le
pouvoir de disposer de tous les fonds du trésor, par arrêté royal. Je crois
qu'un tel pouvoir offre plus de danger, quand il s'agit de dépenses
extraordinaires et imprévues, que quand il s'agit de crédits supplémentaires.
Dans ce dernier cas, tout se borne à parfaire la somme nécessaire pour un objet
déjà spécifié dans le budget ; mais dans l'autre cas, tout est laissé à
l'arbitraire du gouvernement.
Une
pareille disposition existe, dit-on, en France. D'abord il ne suffit pas qu'une
semblable disposition existe en France, pour qu'on l'adopte chez nous. Ensuite,
je ne sais pas si en France on n'a pas restreint ce pouvoir dans une certaine
limite. (Interruption.) Dans tous les
cas, fallût-il admettre en Belgique une semblable disposition, il faudrait au
moins poser une limite précise à l'exercice de cette faculté. Sinon, on
pourrait épuiser en un jour tout le trésor public, au moyen d'un arrêté royal,
sauf à venir rendre compte ensuite à la législature. Ainsi je suppose qu'un
beau jour on s'avise encore une fois d'acheter plusieurs navires, et de
disposer de sommes sur le trésor public pour payer le prix de ces navires ;
l'ordonnancement aura lieu, et l'on viendra plus tard dire à la chambre : « Nous
avons fait telle chose. » La chambre critiquera, mais le mal sera fait. Autre
supposition : On aura jugé à propos d'établir une colonie quelque part, on aura
retrouvé un second Guatemala, et le gouvernement, parce que, selon lui, il y
aura eu urgence, pourra disposer de millions peut-être sur les fonds du trésor,
sauf ensuite à soumettre la question à la chambre qui pourra ne pas partager
l'avis du gouvernement, mais encore une fois le mal sera irréparable.
La disposition me semble donc mériter un sérieux
examen, et je pense qu'on devrait la remettre à demain.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne m'oppose pas à cette remise
; cependant je demande à ajouter un mot.
En citant ce qui se passe en France, j'ai voulu
démontrer que nous ne voulions pas faire ici ce qui est permis en France. Ce
sont les crédits supplémentaires qui, en France ont donné lieu à des dépenses
très considérables. Ici, au contraire, des quatre variétés de crédits qui
existent en France, nous proposons, dans les termes les plus restrictifs, d'en
admettre une seule, celle des crédits extraordinaires pour les besoins imprévus
et urgents. D'après cette définition même, l'on ne pourra faire les dépenses
dont a parlé l'honorable préopinant. Ce ne seraient pas là des besoins imprévus
et urgents, pour lesquels on ne pourrait attendre la réunion des chambres.
L'honorable M. Verhaegen s'effraye de ce que,
moyennant les garanties que nous proposons d'admettre, le gouvernement puisse,
par arrêté royal,, disposer de tout l'encaisse du trésor ; mais dans l'état
actuel des choses, le ministre des finances, par une seule signature, peut
disposer de l'intégralité de cet encaisse ; c'est ce qu'il faut détruire, et c'est
ce que la loi fait cesser. Mais en empêchant le ministre des finances de
disposer même d'un centime en dehors des crédits votés par les chambres,
faut-il que la réglé soit tellement absolue que, dans aucune circonstance,
quels que soient les événements, le ministre ne puisse faire sortir une somme
quelconque du trésor public, la nation dût-elle périr ? Je dis que non, il y a
une exception nécessaire ; c'est à définir cette exception, à la restreindre,
autant que possible, que je me suis appliqué. Je déclare de nouveau que si l'on
propose; des expressions plus restrictives encore, mais qui permettent
cependant au gouvernement, dans des circonstances réellement urgentes,, de
disposer, d'une partie des fonds du trésor, je me rallierai à ces restrictions.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures et un quart.