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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 février 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Dumont.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 637) M. Huveners procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners donne lecture d'une lettre de la cour des comptes, par laquelle elle transmet à la chambre ses observations sur le compte définitif de l'exercice 1841.

- Ces observations seront imprimées et distribuées.

M. le président. - M. Vilain XIIII m'a fait connaître qu'une indisposition l'empêchait d'assister à la séance.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre, pour travaux militaires

Second vote des articles

Article premier

M. le président - La discussion est ouverte sur l'article premier qui a été adopté comme amendement et qui est ainsi conçu ;

« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit spécial de cent cinquante-trois mille francs (153,000 fr.), pour être appliqué aux travaux d'achèvement des ouvrages de fortification et de reconstruction à la forteresse d'Audenarde et de démolition de ceux de Hasselt, ainsi qu'à payer pour moins-value des terrains occupés par les ouvrages de cette dernière place, à remettre aux propriétaires après la démolition. »

M. A. Dubus. - J’ai demandé la parole pour faire une interpellation à M. le ministre de la guerre. Je regrette qu'il ne soit pas ici pour y répondre ; du reste il en aura connaissance par le Moniteur.

Je désire connaître de M. le ministre quels seront pour la Campine les résultats du vote émis avant-hier par la chambre. Je désire savoir si le génie militaire s'opposera encore à la construction immédiate de la route d'Aerschot à Zammel par Hasselt.

L'allocation du crédit demandé pour les ouvrages de défense à Aerschot a été, je pense, simplement ajournée. Si des travaux militaires sont indispensables (page 651) à la défense du pays, et si ces travaux de défense doivent permettre la construction de routes dans la Campine, dans cette partie du pays si longtemps abandonnée, je prie le gouvernement de s'occuper le plus tôt possible d'un système complet de défense, comme l'ont demandé, il y a deux jours, quelques honorables membres de la chambre.

Les sommes employées à des travaux militaires en Campine ne seront pas perdues pour l'Etat ; je suis persuadé que les routes dont la construction sera autorisée par le département de la guerre feront élever à un tel point la valeur des bruyères, et en général de toutes les terres, que l'Etat recouvrera, par la voie indirecte des impôts, tous les frais de construction de forteresses.

Je citerai un exemple à l'appui de cette assertion. Vous avez décidé, il y a une année, la construction d'un canal reliant la ville de Turnhout au canal de la Campine. La plus-value des propriétés rurales a été telle, par suite de ce travail qui est loin d'être achevé, que, dans un seul bureau d'enregistrement du district, il a été reçu au profit du trésor, pendant les huit derniers mois de l'année dernière, une somme bien supérieure à celle de douze mois de l'année précédente.

Je désire donc connaître quelles sont les intentions de M. le ministre de la guerre à l'égard des routes réclamées depuis si longtemps par les habitants de la Campine.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, il existe, comme la chambre le sait, un arrêté royal qui décrète la construction d'une route d'Aerschot à Zammel. On a reproché à M. le ministre de la guerre d'entraver de son autorité privée l'exécution d'un arrêté royal. Il n'en est rien, et jamais cette intention n'a été celle de l'honorable ministre de la guerre ni de ses collègues. L'arrêté royal ordonnait la construction de la route, mais en même temps il subordonnait cette construction à des prescriptions à indiquer par le département de la guerre.

M. Manilius. - En ce qui concerne le tracé.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je vous demande pardon ; il ne s'agissait pas du tracé ; il s'agissait de prescriptions à imposer par le département de la guerre. Les termes sont généraux. M. le ministre de la guerre a pensé que la prescription la plus sage était la construction d'une tête de pont à Aerschot. La chambre s'est opposée à cette construction en rejetant le projet de loi qui lui était présenté.

La question, messieurs, se présentera maintenant de savoir quelles sont les autres prescriptions à l'aide desquelles le département de la guerre voudra remplacer celle qu'il n'a pu obtenir de la chambre. Mon honorable collègue, qui vient d'entrer, vous fera probablement connaître les moyens qu'il va employer pour parvenir à l'exécution de l'arrêté royal, en décrétant les mesures que l'intérêt de la défense du pays réclame.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, le gouvernement vous avait fait une proposition qui levait toutes les difficultés relativement à l'exécution de la roule de Zammel à Aerschot. Cette proposition n'a pas été admise. Dans cet état de la question, je ne puis consentir, pour le moment, à la construction de la route.

Je vous ferai remarquer que c'est un grand intérêt, l'intérêt de la défense du pays, qui s'y oppose ; mais je vous ferai remarquer aussi qu'il ne s'y oppose, selon moi, que momentanément. Je ne renonce pas à l'espoir de voir la chambre adopter soit une nouvelle proposition dans le genre de celle qui vous a déjà été soumise, soit toute autre proposition qui pourra résulter d'un nouvel examen auquel je me vois obligé de me livrer par suite même de la discussion et du vote de la chambre.

M. de La Coste. - Messieurs, je voterais contre ce qui reste du projet de loi, si j'y appliquais rigoureusement les motifs qui ont été donnés pour en écarter une des dispositions principales. Car, je l'avoue, je ne suis pas plus éclairé au sujet de la nécessité de démolir les ouvrages existant à Hasselt pour les remplacer par d'autres ou pour laisser cette place sans défense ; pas plus éclairé au sujet de la nécessité de terminer les travaux de défense d'Audenarde, que vous ne l'êtes quant à Aerschot.

Mais, messieurs, je respecte la décision de la chambre, et elle ne me fera pas voter contre le projet de loi, parce qu'étant disposé à voter pour le tout, je ne dois pas me prononcer contre la partie.

Messieurs, je désire que l'on ne conserve pas l'opinion que quelques membres semblent avoir conçue, qu'il s'agissait de voter un million et demi pour que l'arrondissement de Louvain eût deux lieues de pavé. Nous ne sommes pas habitués à des générosités de cette espèce.

Je pense, messieurs, et je crois qu'au besoin, M. le ministre de la guerre confirmerait cette assertion, qu'indépendamment de la route dont il s'agit, le département de la guerre était persuadé qu'il fallait à Aerschot des ouvrages de défense. Je pense que la proposition du gouvernement était indépendante de la route dont il s'agit, et que l'on a simplement cru pouvoir accélérer cette proposition pour des motifs et par des sentiments dont, pour ma port, je suis bien loin de blâmer le gouvernement, dont je le remercie et je le félicite.

Mais, messieurs, s'il est vrai que le point d'Aerschot ait besoin, dans l'intérêt de la défense du pays, d'être fortifié indépendamment de la construction de la route, alors il me semble que la conduite la plus naturelle de la part du département de la guerre serait de lever son opposition. Après cela, messieurs, dans un temps opportun, on vous ferait une proposition ; on l'appuierait de preuves et de détails qui ont pu manquer ; et c'est peut-être ce qui a nui au succès de la loi, aussi bien que le silence de quelques ministres qui étaient en meilleure position que moi pour faire valoir les motifs que j'ai développés en faveur du projet de loi.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demande la parole.

M. de La Coste. - Messieurs, je n'adresse pas cette observation à l'honorable ministre de la justice. Car en vérité, je ne sais ce que la justice aurait de commun avec des fortifications. Je l'adresse plutôt aux ministres qui ont une influence tout à fait politique sur le cabinet. Je pense que quand un projet de loi a été adopté par le cabinet, les ministres sont solidaires de ce projet et que, s'il présente un côté politique, c'est surtout aux ministres qui ont la plus grande influence politique dans le cabinet à en prendre la défense.

Au reste, ceci est une observation purement incidente. Le motif pour lequel j'ai pris la parole, a été de faire valoir cette considération que, dans la position où le département de la guerre s’est trouvé placé, la marche la plus régulière pour lui, la plus favorable à ses vues, est de lever une interdiction que tous les orateurs de la chambre, excepté l'honorable M. Pirson, ont combattue. Après cela, en temps utile, quand la question sera suffisamment mûrie, le gouvernement la représentera, s'il le juge encore nécessaire, appuyée de tous les documents qui ont manqué. Alors même la route exécutée sera un motif de plus pour que la chambre adopte la proposition que lui fera le gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, j'avais demandé la parole, parce que j'avais pensé, d'après quelques paroles prononcées l'année dernière par l'honorable M. de la Coste que c'était à moi qu'il avait fait allusion, en blâmant le silence des membres du cabinet.

Messieurs, le projet qui vous a été soumis avait été délibéré en conseil comme tous les autres projets de loi. Mais il entrait particulièrement dans les attributions de M. le ministre de la guerre de le défendre, et il me semble que les détails dans lesquels mon honorable collègue est entré, les arguments qu'il a fait valoir, n'ont rien laissé à désirer, qu'il n'était pas nécessaire, pour que la loi fût complétement défendue, qu'aucun de ses collègues vînt se joindre à lui dans cette discussion.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, mon intention n'est pas de rentrer dans la discussion du fond. Je désire seulement faire observer à la chambre que différents intérêts sont ici en présence. Il s'agit d'abord et avant tout de l'intérêt de la défense du pays ; en second lieu vient l'intérêt d'une localité ; en troisième lieu se présente un intérêt momentané, qui est celui du travail à procurer à la classe ouvrière ; enfin il importe de donner suite à un arrêté royal. Messieurs, ces différents intérêts n'ont pas été perdus de vue jusqu'ici ; ils continueront à être pris en sérieuse considération. Je viens de promettre de me livrer à un nouvel examen de la question. Cet examen sera immédiat, et j'espère qu'il aura pour résultat de me permettre de soumettre, dans un bref délai, une proposition à la chambre.

M. Manilius. - Il est vraiment regrettable, messieurs, que nous soyons en quelque sorte obligés de rouvrir la discussion sur une question à laquelle M. le ministre de la guerre semble ne plus pouvoir tenir. Je ne pense pas, en effet, qu'il peut songer encore à défendre le projet d'établir une forteresse à Aerschot ; je crois qu'il ferait bien d'abandonner ce point à la solution qui résulte du vote émis par la chambre, dans une précédente séance. Mais on soulève la question de l'exécution de l'arrêté royal du 21 mai, question qui me semblait définitivement résolue. M. le ministre de la justice nous dit que l'arrêté subordonne l'exécution de la route à certaines prescriptions à émaner du département de la guerre ; eh bien, messieurs, je vais avoir l'honneur de vous les lire quelques lignes qui constituent l'arrêté en question et vous verrez qu'il ne renferme aucune réserve en vertu de laquelle on puisse refuser de donner suite à cet arrêté.

Voici, messieurs, ce que porte l'article premier :

« Art. 1er. Il sera construit, aux frais de l'Etat, avec le concours des provinces de Brabant et d'Anvers et des localités intéressées, une route pavée destinée à relier la ville d'Aerschot à la route provinciale de Heyst-op-den-Berg à Zammel, en passant par Hersselt, suivant le tracé proposé par l'administration des ponts et chaussées et les prescriptions qui seront indiquées par le département de la guerre.

Eh bien, messieurs, les prescriptions à indiquer par le département de la guerre ont figuré dans l'enquête et elles consistent tout simplement dans un détour que la route doit faire à l'approche du fort projeté. Voilà toutes ces prescriptions. C'est une ligne tracée, qui est parfaitement connue de ceux qui ont obtenu la concession, et qu'ils suivront.

Il n'y a donc rien là qui puisse autoriser le département de la guerre à s'opposer aux travaux ; il y a, au contraire, dans cette stipulation une obligation pour le département de la guerre, de surveiller l'exécution de la route, de voir si le tracé indiqué dans l'enquête est exactement suivi.

Je ne comprends donc pas, messieurs, que M. le ministre de la guerre vienne nous déclarer qu'il ne lève pas son interdit. Il faudrait d'abord que M. le ministre nous indiquât la loi qui constitue ce pays sous la servitude militaire ; pour qu'il nous dit : « Je ne veux pas », il faut qu'il y ait une loi qui l'autorise à ne pas vouloir. Qu'il nous cite donc celle loi, mais je pense qu'il n'en fera rien par impossibilité.

Puisque j'ai la parole, messieurs, je saisirai cette occasion pour renouveler l'expression du désir que j'ai témoigné dernièrement et pour faire une interpellation directe à M. le ministre de la guerre et à M. le ministre de la justice. Voyez, messieurs, ce qui arrive des servitudes militaires que l'on n'a même pas, et jugez par là des conséquences qui résulteraient de l'extension de ces servitudes à une grande partie du pays ! L'honorable M. Dubus convie, en quelque sorte, le gouvernement à présenter un projet relatif aux fortifications, afin de favoriser la construction de routes dans la Campine.

(page 652) Eh bien moi, je prie M. le ministre de la guerre et surtout M. le ministre de la justice qui a la direction de législation dans ses attributions, de vouloir bien peser quelles sont les dispositions défavorables de la loi de 1791 en ce qui concerne les servitudes militaires, et défaire en sorte qu'en nous présentant un système général de fortifications, ils puissent nous présenter en même temps des dispositions législatives modifiant les servitudes militaire de manière à les mettre en harmonie avec l'esprit de notre Constitution, avec l'esprit du siècle, avec nos mœurs, avec les besoins de l'industrie qui ne doit pas être entravée dans les progrès qu'elle est appelée à faire encore. Il ne faut pas non plus sacrifier tous les intérêts du pays aux exigences de ceux qui ne semblent songer qu'à une défense à outrance.

J'espère bien que, lorsqu'il s'agira d'un système général de fortifications, quelques explications nous seront données sur la nécessité de cette défense extrême, sur le point de savoir en quoi nos intérêts sont menacés assez sérieusement pour exiger une semblable dépense, et toutes les entraves qu'elle porterait à sa suite.

M. Lebeau. - Je n'ai plus que très peu de choses à dire après les observations que vient de présenter l'honorable préopinant. Il est évident qu'on ne saurait attribuer à l'arrête royal concernant la route de Zammel à Aerschot le sens que lui ont successivement donné MM. les ministres de la justice et de la guerre. Il est évident que cet arrêté ne fait allusion qu'aux prescriptions à suivre pour le tracé de la route, et qu'il n'y est nullement question d'une citadelle à établir à Aerschot. Il est évident qu'en procédant à l'instruction de cette nouvelle voie de communication, on a fait ce qu'on a fait pour tous les projets de routes et de canaux ; qu'on a entendu, dans une enquête préalable, tous les intéressés et, parmi ces intéressés, le département de la guerre ; c'est lorsque toutes les oppositions ont été faites, lorsque tous les intérêts ont été entendus, c'est alors seulement que le gouvernement autorise l'exécution de la route. La restriction introduite à l'arrêté qui concède l'établissement de la route ne concerne évidemment que le tracé. S'il en était autrement, on ferait jouer au gouvernement un rôle ridicule, un rôle absurde. Comment ! on subordonnerait l'exécution d'un arrêté royal, non pas à un fait dépendant du ministre de la guerre, ce qui serait déjà fort étrange, mais à un fait qui dépend du vote des deux chambres ; on subordonnerait l'exécution d'une route de deux lieues, non seulement au jugement du département de la guerre, lorsque la signature royale a été apposée après une enquête dons laquelle ce département a été entendu, mais on la subordonnerait encore à l'éventualité du vote des deux chambres relativement à l'établissement d'une citadelle, qui doit coûter un million et demi, alors que la route pourrait se faite au moyen d'une somme de 100,000 fr. ! Evidemment, messieurs, entendre de cette manière l'arrêté dont nous avons donné lecture, ce serait lui donner une interprétation que je ne pense pas qualifier trop sévèrement en l'appelant ridicule et absurde.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Ne croyez pas, messieurs, que je sois mû par un sentiment d'obstination irréfléchie dans la solution que je donne à cette question. Je ne consulte ici, comme je le fais toujours, que mon devoir, mon impérieux devoir.

D'après les lois existantes, lorsqu'il s'agit de la construction d'une route, le département de la guerre est consulté. Le département de la guerre a été également consulté avant que l'arrêté royal dont il s'agit ait été porté, mais le sens que le gouvernement a attaché à la réserve qui se trouve dans cet arrêté est tout différent du sens qu'y a attaché l'honorable M. Manilius. Dans la pensée du gouvernement, il a toujours été entendu que la question dominante serait celle de l'intérêt de la défense du pays. C'est cette question que j'ai eue en vue avant tout, sans cependant perdre de vue les autres intérêts ; mais ceux-là, je ne puis les considérer que comme secondaires.

M. Dubus (aîné). - Il me semble aussi, messieurs, que l'arrêté royal dont on nous a donné lecture tout à l'heure emporte que la route sera exécutée, en suivant, pour le tracé, les prescriptions du département de la guerre, mais point du tout que l'exécution de cette route pourra être subordonnée à l’exécution d'un autre ouvrage, d'un ouvrage considérable, devant coûter un million et demi, à l'érection d'une forteresse. Il me paraît qu'une semblable condition était trop importante pour ne pas être insérée positivement dans l'arrêté ; à moins qu'on ne dise que l'arrêté ait été destiné à tromper tous ceux qui attendaient cette route depuis si longtemps, comme un moyen de fertilisation de leurs terres.

Si on avait eu l'intention de tromper ainsi l'espoir de nombreuses populations, je comprendrais qu'on eût rédigé l'arrêté de cette manière ; mais il n'est pas possible d'admettre une semblable supposition, et dès lors je pense que l'arrêté doit être entendu comme je l'ai expliqué tout à l'heure. Je crois donc qu'on ne peut se dispenser d'exécuter l'arrêté royal dont il s'agit, à moins qu'on ne le révoque, et cette révocation produirait dans la Campine un véritable scandale.

Du reste, les considérations tirées de la défense du pays ne doivent point retarder l'exécution de la route. S'il est nécessaire d'ériger une forteresse, et j'admets cette nécessité, je pense que la chambre ne reculera pas devant la dépense, du moment où la nécessité sera bien établie.

M. le ministre de la guerre ne peut pas conserver le moindre doute à cet égard ; ce qui a été dit dans la discussion doit le rassurer pleinement. La chambre voulait seulement connaître exactement et avec certitude le mentant de la dépense ; cette connaissance, il lui était impossible de l'obtenir puisque, de l’aveu de M. le ministre de la guerre, les études ne sont point terminées.

M. le ministre de la guerre croyait que la dépense totale n'excéderait pas un million et demi, mais beaucoup de membres ont conservé des doutes à cet égard, puisque les études n'étant pas achevées, le gouvernement ne pouvait pas leur présenter les devis de toutes les dépenses. Dans cet état de choses la chambre a voulu ajourner son vote jusqu'au moment où M. le ministre pourra lui dire que les études sont entièrement terminées et que la dépense s'élèvera précisément à une telle somme. On ne peut pas donner un autre sens à la décision de la chambre ; cette décision n'est véritablement qu'un ajournement, et n'est pas du tout une déclaration implicite que les fonds nécessaires à l'érection de la forteresse ne seront pas accordés. Je suis convaincu que lorsque la question de cette forteresse sera instruite d'une manière complète, la chambre la décidera conformément aux intérêts de la défense du pays, et dès lors je ne vois pas pourquoi M. le ministre persisterait à mettre obstacle à l'exécution de la route d'Aerschot à Zammel. M. le ministre a dit lui-même, dans la discussion, que déjà plusieurs routes ont été exécutées dans la Campine, dans la supposition que le système de défense qu'il propose, aurait été adopté.

A-t-on regretté d'avoir laissé exécuter ces routes ? N'est-il pas prouvé qu'elles ont été extrêmement utiles, que c'eût été un malheur public d'en différer l'exécution jusqu'au moment où l'on aurait complété cette ligne défensive du nord ? Or, ce serait également un malheur public de différer l'exécution de la route que nous réclamons. Je ne puis donc que conjurer M. le ministre de la guerre de renoncer à toute opposition à l'exécution de cette route.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Mon opposition n'est pas indéfinie ; ce n'est qu'un ajournement ; j'ai dit que j'allais me livrer à un nouvel examen de la question, et que j'en soumettrais le résultat à la chambre dans le plus bref délai possible.

M. de Mérode. - Messieurs, M. le ministre de la guerre s'occupe exclusivement de la défense du pays, et je suis loin de lui en vouloir ; mais cependant, il ne faut pas outrer le zèle de manière à vouloir défendre le pays malgré lui-même. Car, enfin, la défense du pays serait encore mieux assurée s'il n'y avait pas de route du tout se dirigeant vers la capitale dans une zone de plusieurs lieues autour des frontières. Mais il n'appartient pas exclusivement à M. le ministre de la guerre d'apprécier ce qui concerne la défense du pays ; c'est une affaire qui concerne la représentation nationale avec le gouvernement. Il est impossible d'établir qu'au ministre de la guerre seul appartient le droit de régler ce qui concerne la viabilité de la Belgique.

Je suis très disposé, sans doute, à soutenir M. le ministre de la guerre dans ses bonnes intentions en toute circonstance ; mais, cette fois, je ne puis être d'accord avec lui. Je demande que, puisque un arrêté royal règle les conditions de l'exécution de la roule dont il s'agit, on construise cette route suivant les prescriptions de l'arrêté. Nous serons toujours à même de voir ensuite, d'accord avec le gouvernement, s'il y a lieu de construire une tête de pont à Aerschot ; si cette nécessité est prouvée, nous nous y soumettrons : mais si elle n'est pas prouvée, nous ne nous y soumettrons pas. C'est là notre affaire ; si nous voulons périr, faute de la tête de pont d'Aerschot, nous périrons, et M. le ministre de la guerre n'en sera pas responsable.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, ce n'est pas seulement au point de vue de la fortification qui doit être élevée à Aerschot que je vais me livrer à un nouvel examen complet de la question ; je ne perdrai pas de vue les autres intérêts. On préjuge déjà le résultat de cet examen. Mais ce résultat vous entraînera-t-il immédiatement à un million et demi de dépenses ? Ce résultat ne pourra-t-il pas être un acheminement vers cette dépense qui, ainsi que plusieurs honorables membres l'ont déjà exprimé, ne doit pas être considéré comme définitivement rejetée par la chambre ?

M. de La Coste. - Messieurs, la différence d'opinion entre M. le ministre de la guerre et les membres qui viennent de parler, se réduit à ceci : c'est que M. le ministre de la guerre semble vouloir subordonner l'exécution de l'arrêté royal à un acte qui devrait être posé par la chambre. C'est alors qu'on pourrait dire, avec plus de raison, aux députés qui prennent intérêt à cette exécution : « Vous n'êtes pas libres ; on vous présente un projet de loi, pour lequel vous devez nécessairement voter. » C'est une position que nous n'accepterions pas.

J'apprécie les intentions loyales de M. le ministre de la guerre et l'importance des devoirs qui pèsent sur lui ; mais je pense que l'arrêté doit s'exécuter avec les conditions de tracé que M. le ministre de la guerre pourra juger nécessaires, de concert avec son collègue du département des travaux publics. Qu'après cela, M. le ministre de la guerre étudie la question, et s'il juge que quelques ouvrages soient nécessaires, qu’il en fasse l'objet d'une proposition tout à fait indépendante, proposition qu'on appréciera alors avec plus de liberté d'esprit, et à laquelle on ne viendra pas opposer les objections qu'on a adressées, dans la discussion précédente, aux défenseurs du projet.

M. Pirson. - Messieurs, je ne m'attendais pas, et mon intention n'était plus de prendre la parole aujourd'hui ; mais quelques orateurs, malgré les observations qui ont été présentées lors du premier vote de la loi, ayant jugé convenable de réclamer encore l'exécution de la route de Westerloo à Aerschot, je me vois de nouveau, bien à regret, dans la nécessité d'insister pour que le gouvernement ne cède pas et qu'il s'oppose à la construction de cette route. Quoi qu'ait pu dire tout à l'heure un honorable préopinant, les dispositions à prendre pour la défense nationale sont essentiellement dans les attributions du gouvernement qui est responsable de la sûreté du pays. J'engage, en conséquence, M. le ministre de la guerre à ne pas oublier qu'entre Diest et Anvers, notre frontière du nord n'est défendue que par des inondations que l'on peut tendre, et l'absence de routes perpendiculaires à cette frontière. La chambre a ajourné à un autre moment l'examen de la nécessité d'une fortification à Aerschot. Eh bien ! aussi (page 653) longtemps qu'une décision définitive n'aura pas été prise à cet égard, il serait très imprudent d'autoriser la construction d'une route pouvant, dans certaines circonstances, livrer à l'ennemi un passage libre vers les chaussées qui conduisent le plus directement à la capitale du royaume. Si ces circonstances se présentaient, on ne pardonnerait pas au gouvernement d'avoir sacrifié le présent et peut-être l'avenir du pays, d'avoir sacrifié l'intérêt général au bien-être momentané et passager de quelques localités. La route de Turnhout à Diest peut être considérée comme à peu près perpendiculaire à la frontière, il est vrai, mais elle est interceptée par la forteresse de Diest. Aussi longtemps qu'Aerschot ne sera pas fortifié, on ne pourrait sans danger pour la défense du territoire et sans danger pour la capitale du royaume, autoriser une autre route perpendiculaire aboutissant à ce pont.

Je prie toutefois les honorables collègues que je suis obligé de combattre, de croire, combien, par l'intérêt que je porte moi-même à la Campine, je suis peiné d'être forcé de me séparer d'eux en cette occasion. Pour m'y résoudre, il me faut toute la force que donnent une profonde conviction et l'accomplissement d'un devoir. Persuadé que la route projetée, sans être commandée par des ouvrages militaires, pourrait dans certains cas donnés être funeste au pays, même livrer Bruxelles, je ne puis me dispenser d'engager énergiquement le gouvernement à ne pas autoriser son exécution.

M. A. Dubus. - Messieurs, je n'ai qu'une seule observation à faire à l'honorable M. Pirson, c'est qu'il existe déjà une route qui conduit directement de Turnhout sur la capitale.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, si la route de Zammel à Aerschot doit livrer Bruxelles à l'ennemi, il faut reconnaître que Bruxelles est dès maintenant livré à l'ennemi ; car, entre ces deux points, il y a des bruyères d'un accès très facile et qui n'ont jamais arrêté une invasion.

L'observation de l'honorable membre tendrait donc à établir la nécessité de la fortification dont il s'agit, nécessité qui existerait dès maintenant et dans tous les cas. Or, s'il en est ainsi, on ne peut douter que la chambre ne vote les fonds nécessaires, lorsqu'elle aura été suffisamment éclairée sur ce point. Du reste, j'opposerai à M. le ministre de la guerre ce que lui-même a fait connaître dans la discussion ; c'est qu'il fallait un délai de cinq années au moins pour construire la fortification dont il s'agit ; que si la chambre voulait voter le premier crédit, il consentait de suite à l'exécution de la route ; il n'y a donc pas, de son aveu, de danger immédiat ; ce n'est que dans un avenir éloigné qu'on peut apercevoir un danger. Pourquoi donc retarder l'exécution de la route alors qu'il est certain que, du moment où l'on justifiera complétement devant la chambre, la nécessité des travaux de défense proposés, la chambre votera les crédits nécessaires ?

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - L'honorable M. Dubus dit que la question de la forteresse devait être résolue dans un terme de cinq années ; que par conséquent, la chose importante était d'arrêter le principe de la construction de ce fort. Cela est très exact, mais je dois dire que ce principe n'est pas arrêté ; qu'il est possible que j'aie une proposition à faire à la chambre, qui établisse ce principe, sans donner lieu pour le moment à une grande dépense ; que j'aie à faire à la chambre une proposition qui satisfasse les divers intérêts. Ainsi, dans les travaux à faire à Aerschot, il y a d'abord des travaux de barrage et d'élargissement du déversoir à exécuter ; ces travaux offriraient des avantages incontestables et seraient un acheminement utile vers un système de défense plus étendu.

- La discussion est close.

L'article premier, tel qu'il a été adopté lors du premier vote, est mis aux voix et définitivement adopté.

Article 2

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à aliéner les terrains militaires, désignés dans le tableau annexé à la présente loi, en se conformant au principe de rétrocession établi par l'article 23 de la loi du 17 avril 1835, ou en procédant à l'adjudication publique. »

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, le principe de rétrocession se trouve mentionne dans cet article. Or, relativement à quelques terrains environnant la place de Gand, je dois dire qu'il y a une espèce d'engagement envers la ville de Gand, c'est de lui donner la préférence. Je pense donc que rien ne s'oppose dans cet amendement à ce que la préférence soit donnée à la ville de Gand. Ces terrains lui sont nécessaires pour étendre ses boulevards.

- L'article 2 est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble de la loi.

68 membres répondent à l'appel.

61 membres répondent oui.

5 membres répondent non.

2 membres se sont abstenus.

En conséquence, la chambre adopte le projet de loi ; il sera transmis au sénat.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M. de Breyne. - Je me suis abstenu parce que je n'ai pas assisté à la discussion.

M. de Villegas. - Dans le cours de la première discussion, j'avais l'intention de voter le crédit pétitionné par M. le ministre de la guerre pour le parachèvement de la place d'Audenarde. Mais il résulte des explications données par M. le ministre, que pour la confection des travaux il a cru devoir rejeter le plan que le conseil communal d'Audenarde avait vivement appuyé. Il me répugne de sanctionner par mon vote l'adoption d'un plan qui contrarie les vues et les intérêts de cette administration communale. D'un autre côté, je n'ai pas voulu empêcher de donner du travail à la classe nécessiteuse. Voilà pourquoi je me suis abstenu.

Ont répondu non : MM. Pirson, Rodenbach, de Chimay, Desmet et Dumortier.

Ont répondu oui : MM. Orban, Osy, Rogier, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Wallaert, Biebuyck, Castiau, Clep, Coppieters, d'Anethan, de Bonne, de Brouckere, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, Desmaisières, de Terbecq, d'Huart, Donny, Dubus aîné, Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Kervyn, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Mast de Vries et Liedts.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1846

Discussion générale

M. Lebeau. - Messieurs, une question très délicate a été soutenue hier ; la manière dont elle a été traitée atteste, de la part de l'honorable député qui l'a élevée, un grand esprit de recherche. Je n'ai pas besoin de rappeler à la chambre combien, dans les développements qu'il a donnés à son opinion, il a su conserver de mesure, comment il a su se conformer rigoureusement à toutes les convenances. J'ai été quelque peu surpris qu'en réponse à une opinion exprimée avec tant de réserve, tant de force et tant de modération, l'organe du gouvernement ait opposé une défense qui n'était pas exempte de quelque dédain et, si j'osais le dire, d'un peu de suffisance. Il me semble que les développements dans lesquels est entré l'honorable M. de Bonne, que le caractère qu'il a su conserver constamment à cette discussion délicate, méritait mieux que la réponse et surtout les formes de la réponse qui lui a été adressée de la part du gouvernement. (Interruption.)

Cette question n'est pas si simple, M. de Mérode ; elle n'est pas si claire qu'on semble l'avoir trouvée au banc ministériel.

M. de Mérode. - Il y en a beaucoup, de questions qui ne sont pas claires.

M. Lebeau. - Je prie l'honorable M. de Mérode, au lieu de m'interrompre, ce qui ne fait avancer en aucune façon les affaires, d'apporter, comme il le fait ordinairement, son contingent de lumières, car ce n'est pas en interrompant qu'il fera avancer la discussion. Je n'ai pas la prétention de plaire à tout le monde, mais j'ai le droit de compter au moins sur le silence de tout le monde. Je demande en grâce de n'être plus interrompu ; sinon je devrai invoquer l'autorité de M. le président.

Je dis que cette question n'est pas si simple qu'on paraît le croire. Elle est si peu simple qu'elle a déjà retenti devant les tribunaux et que là, à une époque un peu éloignée, il est vrai, elle a reçu une solution toute contraire à l'opinion exprimée hier par M. le ministre de la justice. Que feriez-vous, disait hier l'honorable M. Verhaegen, si, par un abus de pouvoir peu probable mais dont il nous est permis de poser l'éventualité, si le saint-siège révoquait un évêque ? Que feriez-vous, dirai-je à mon tour, dans le cas de révocation d'un doyen par son évêque ? souscririez-vous aveuglément à une telle décision, qui serait cependant en opposition formelle avec le droit canonique, avec les droits et garanties que vous reconnaissez vous-mêmes aux évêques et aux doyens ? Evidemment vous ne pourriez pas répondre dans le sens des observations d'absolue incompétence que vous exposiez hier à la chambre, en ce qui concerne les desservants.

Remarquez qu'il peut s'agir, à propos d'une question de révocation d'évêque, de doyen, de desservant, d'une pure question de droit civil, d'une pure question d'argent. Quoi que vous fassiez, vous n'empêcherez pas qu'il n'y ait là quelque chose qui ressemble à une question qui de prime abord paraît être de la compétence des tribunaux. Vous plaiderez l'incompétence, dites-vous ? Peut-être serais-je, dans sa position, de l'avis de M. le ministre de la justice. Soit, vous plaiderez l'incompétence ; mais si les tribunaux ne partageaient pas votre opinion, s'ils se déclaraient compétents, si devant les trois degrés de juridiction la compétence était reconnue, s'il y avait arrêt passé en force de chose jugée, déclarant que ce n'est pas à Pierre, qui est porté sur les états, mais à Paul dont le nom n'y figure point, que le traitement doit être payé, oseriez-vous dire d'avance que vous ne tiendrez aucun compte des décisions de la justice ? Un ministre de la justice peut-il ériger en système du haut de cette tribune le mépris des décisions judiciaires ? J'aime à croire qu'on n'ira pas jusque-là. J'ai déjà dit que ce n'est point là une pure hypothèse et qu'à une autre époque, sous l'empire d'autres institutions, il est vrai, : une cour souveraine belge a décidé que, malgré la révocation d'un desservant, ce desservant avait droit à continuer de percevoir le traitement alloué par le trésor public et de plus à conserver le logement affecté au titulaire de la succursale. Voilà ce qui a été décidé, si je ne m'abuse.

Maintenant si mes renseignements sont exacts, les tribunaux vont être saisis d'une contestation analogue. Je tiens pour certain qu'un desservant, récemment révoqué par le chef d'un de nos diocèses, est disposé à porter devant les tribunaux sa réclamation, sous le double rapport de la continuation de la jouissance du traitement et du logement.

Vous ferez plaider l'incompétence ? Il se peut que vous ayez raison ; peut-être qu'à votre place, comme je le disais tout à l'heure, j'en ferais autant.

Mais je ne m'explique plus aussi bien comment vous décideriez la question si vous succombiez devant toutes les juridictions. Cela doit se prévoir, cela s'est vu et peut se voir encore. Il faut convenir pourtant qu'il y a beaucoup plus de chances, sous l'empire des institutions actuelles, de faire prévaloir le système d'incompétence des tribunaux qu'il n'y en avait avant 1830, je le reconnais.

(page 654) Messieurs, croyez-le bien, j'ai assez prouvé, par la réserve que je me suis toujours imposée dans les questions de cette nature, que je ne suis pas partisan du scandale ; croyez bien que ce n'est pas ici, pour moi, une question de parti, quoique je ne répudie nullement la qualité d'homme de parti ; c'est une question de principe, c'est parce que je la juge ainsi, parce que je la crois importante, opportune, que je la traite. Pour moi, tout le clergé, quelle que soit la diversité des juridictions, a droit à mon respect, à mes sympathies, quand il se renferme dans son saint ministère. Mais tout le clergé, pour moi, n'est pas dans l'épiscopal ; il y a en Belgique au-delà de trois mille prêtres qui, pour être prêtres, n'en sont pas moins nos concitoyens.

Il y a en Belgique trois à quatre mille de nos concitoyens qui sont, quant à leur indépendance de position, dans une situation plus mauvaise que le dernier employé civil.

Le dernier employé civil, révocable à volonté par le gouvernement, a au moins la grande garantie morale de la publicité. L'arbitraire, que les nécessités de la politique ont dû laisser dans les mains du gouvernement, à l'égard d'un grand nombre de fonctionnaires, est tempéré par l'intérêt même du gouvernement, par les dispositions habituelles (je le reconnais volontiers) du gouvernement ; cet arbitraire trouvera toujours un frein puissant dans la publicité.

Mais dans le monde ecclésiastique, dans la hiérarchie ecclésiastique, la garantie de la publicité n'existe pas à un pareil degré ;ces habitudes de publicité n'y existant pas, il serait désirable que quelques garanties vinssent relever un peu, et à leurs propres yeux et aux yeux de ceux qui les entourent, la position des trois à quatre mille citoyens dont j'ai l'honneur d'entretenir la chambre en ce moment.

Je dirai plus, c'est que c'est peut-être la seule classe de la population, une des plus intéressantes assurément et des plus estimables en général, qui n'ait pas gagné à la révolution en garantie et en liberté.

Tout le monde a gagné ; mais la position des desservants est restée après 1830 ce qu'elle était avant 1830. C'est une sorte d'esclavage, qui n'est tempéré que par la prudence et la modération des supérieurs.

La position du clergé belge est plus mauvaise, sous ce rapport, que la position du clergé autrichien, du clergé espagnol, du clergé irlandais, du clergé polonais, et même du clergé italien. Du clergé italien ! Tous les desservants des pays que je viens de nommer sont, par l'effet des lois canoniques, à l'état d'inamovibilité. Je ne crois pas que ces faits puissent être contestés par personne. Pourquoi en est-il autrement en Belgique ? Est-ce par l'effet du Concordat ? Non, messieurs ; personne n'osera le dire. J'ai sous les yeux en ce moment le texte de la convention du 26 messidor an IX ; elle se compose seulement de 17 articles. Il n'en est pas un seul d'où l'on puisse induire qu'il y aurait novation, quant aux rapports existant à l'époque où cette convention a été faite, entre le clergé inférieur et le clergé supérieur.

« Les évêques (dit l'article 10) nommeront aux cures.

« Leur choix ne pourra tomber que sur des personnes agréées par le gouvernement. »

Cette dernière disposition, on le sait, est abrogée par l'article 16 de la Constitution. L'intervention du gouvernement est écartée. Personne ne songe à la rétablir.

« Art. 14. Le gouvernement accordera un traitement convenable aux évêques et aux curés dont les diocèses et les paroisses seront compris dans la circonscription actuelle.»

Voilà, dans les 17 articles dont se compose la convention du 26 messidor an IX, le concordat, tout ce qui concerne le clergé inférieur.

Par le concordat, aucune modification n'a été apportée à la législation canonique, encore en vigueur dans tous les pays qui n'ont pas appartenu à l'empire français.

Sont arrivés ensuite les articles organiques du 18 germinal an X. Ceux-là sont beaucoup plus nombreux que les articles du concordat. Les dispositions sont au-delà de cent. On vous a cité ce qui concerne spécialement les desservants. Je crois inutile de rentrer dans cette partie de la discussion. Mais je crois pouvoir dire, en la rappelant, qu'il ne résulte pas d'une manière formelle des dispositions de la loi organique que l'amovibilité des desservants soit établie. L'honorable M. de Bonne a plutôt démontré le contraire.

Fût-il écrit dans le concordat même que les desservants sont amovibles, comme le concordai est abrogé, au moins partiellement, il n'y aurait pas lieu d'en argumenter dans la question actuelle.

Pour établir le principe que le concordat est en partie abrogé par la Constitution, il suffit de rappeler que, d'après le concordat, les évêques sont nommés par le chef de l'Etat. En France, ils sont encore nommés par le roi.

Or, cette disposition est incompatible avec l'article 16 de notre Constitution ; elle est donc abrogée. Aux termes du concordat, les évêques et les curés devaient prêter serment dans les mains du premier consul ou du préfet. Cette disposition est encore évidemment incompatible avec notre Constitution. Il y avait l'appel comme d'abus, la défense de quitter le diocèse, la défense de publier les bulles, la défense de se faire appeler monseigneur ; tout ce que pouvaient exiger les évêques d'après le concordat sous ce rapport, c'était de se faire appeler monsieur ou citoyen ; enfin il était défendu aux membres du clergé de porter d'autre costume que l'habit à la française.

Voilà toutes dispositions qui prouvent que le concordat est, sous beaucoup de rapports, en opposition avec les termes de notre Constitution.

Je dirai que même en France plusieurs de ces dispositions sont tombées en désuétude. J'ajouterai que le concordat conclu entre le roi Guillaume et le souverain pontife, le 18 juin 1827, modifiait sensiblement plusieurs dispositions du concordat de 1801.

Quant aux articles organiques, on vous a prouvé hier qu'ils étaient loin d'établir clairement l'amovibilité des desservants. Mais supposons que le texte des articles organiques soit aussi clair qu'il prête à la controverse, il est évident que nul ne peut argumenter de ces articles, et la cour de Rome moins que personne, car la cour de Rome a constamment protesté contre les articles organiques et les a toujours regardés comme l'abus de la force.

Voici ce qu'on vous disait hier sur ce point :

« Dans les travaux et discours de Portalis, l'un des négociateurs du concordat et rédacteur de la loi organique, on rappelle la lettre du cardinal Gonsalvi à M. Cacault, ministre de France à Rome, à laquelle celui-ci répondit dans une note verbale : « Quant aux articles organiques, vous avez prié de la modifier ; on ne les modifiera pas ; mais votre protestation va partir ; elle est décente, réservée dans les termes, et avec cela courageuse et déterminée au fond »

Il y a un document encore plus important, quant à l'opinion qu'avait toujours eue la cour de Rome sur la valeur des articles organiques, c'est la lettre du cardinal Caprara à M. de Talleyrand, ministre des affaires étrangères, sous la date du 18 août 1803.

En voici quelques fragments :

« Ils (les articles organiques) n'ont point été concertés avec le saint-siège ; ils ont une extension plus grande que le concordat, et ils établissent en France un code ecclésiastique sans le concours du saint-siège.

« Ce code a pour objet la doctrine, les mœurs, la discipline du clergé et les devoirs des évêques, ceux des ministres inférieurs, leurs relations avec le saint siège et le mode d'exercice de leur juridiction. Or tout cela tient aux droits imprescriptibles de l'Eglise.

« Sa Sainteté n'a donc pu voir qu'avec une extrême douleur qu'en négligeant de suivre ce principe, la puissance civile ail voulu régler, décider, transformer en loi, des articles qui intéressent essentiellement les mœurs, la discipline, les droits, l'instruction et la juridiction ecclésiastique. »

Ainsi, aux yeux de la cour de Rome, chaque fois qu'il lui a été permis de faire entendre une courageuse protestation, les articles organiques ont été considérés par elle comme n'ayant aucune valeur. Cette même opinion, je l'ai soutenue devant cette chambre lorsqu'il s'est agi de la loi qui met à la charge du trésor public les traitements des chapelains et des vicaires. J'ai soutenu que les articles organiques étaient l'abus de la force, que c'était une disposition unilatérale qui n'avait pas eu le pouvoir de modifier une convention synallagmatique, c'est-à-dire le concordat. J'ai soutenu cette opinion avec l'adhésion, hautement manifestée, de la plupart des membres qui siègent à droite. Je ne leur ferai pas l'injure de supposer que mon opinion leur a paru d'autant plus claire que la conséquence était une allocation annuelle de 4 ou 500,000 francs de plus en faveur du clergé.

Du reste, ce que j'ai fait alors, je le ferais encore aujourd'hui. Je saisirai toujours avec empressement, chaque fois que notre situation financière le permettra et que des besoins véritables seront constatés, l'occasion d'améliorer la position du clergé.

Ainsi partout ailleurs que dans les pays qui ont fait partie de l'empire français, dans les pays où les articles organiques n'ont pas été promulgués, il n'y a pas eu de dérogation aux lois canoniques. L'inamovibilité de tous les prêtres à charge d'âmes est restée la règle.

Aujourd'hui l'on argumente, pour établir le principe contraire, l'amovibilité, non pas du concordat même, mais d'une disposition contre laquelle l’Eglise a constamment protesté, disposition évidemment nulle, puisqu'elle excédait les pouvoirs de celui qui avait signé la convention bilatérale du 26 messidor an IX.

Cette argumentation, en principe, n'est pas soutenable.

La preuve que la question paraît au moins douteuse à tout le monde, c'est qu'on en a référé à la cour de Rome, c'est que l'épiscopat lui-même a cru devoir la soumettre à la décision de l'autorité souveraine. Je reconnais que la réponse est dans le sens de la consultation, bien que l'on puisse équivoquer sur les termes. J'entends que l'on va dire que dès lors tout est fini, que c'est le dernier mot de la question, que nous sommes désormais incompétents pour y voir. Je le veux bien ; mais empêcherez-vous un pouvoir, devant lequel on prendra son recours, d'examiner à son tour la question ?

Il y a des considérations d'une autre nature qui se rattachent à cette grave question et que je crois dignes au plus haut point de l'attention de la chambre et surtout de celle du gouvernement.

Le chef d'un de nos diocèses a porté, par une encyclique, à la connaissance de ses subordonnés, la décision du souverain pontife. Si mes renseignements sont exacts, il leur a été demandé, en outre, d'adhérer par écrit à la doctrine renfermée dans l'encyclique ; et si mes renseignements sont encore fondés sur un autre point, il y a eu des refus d'adhésion.

Tout ce que je puis dire, c'est qu'il y a eu dans le diocèse où ce document a reçu sa première publicité, un assez grand émoi dans les rangs du clergé inférieur. Je ne crains pas de dire qu'il a été à ce point que le mot de schisme a été prononcé. (Réclamations.)

Faut-il s'étonner qu'un pareil mot ait erré sur quelques lèvres ? Dans des temps où la foi était le plus vive, l'Eglise n'a-t-elle pas été troublée par des divisions de cette nature ? Croit-on un schisme impossible aujourd'hui ? Si on le proclamait impossible, ne serait-ce pas en quelque sorte déclarer que l'indifférence religieuse est devenue trop générale pour voir se reproduire un tel phénomène ? Réfléchissez-y donc bien ; qu'on y réfléchisse surtout après ce qui vient de se passer en Allemagne, dans une partie très importante, très respectable de la catholicité.

Je ne veux pas ici prendre une couleur dont vous pourriez plus ou moins suspecter la sincérité. Je ne veux pas dire que je porte à la considération du clergé plus d'intérêt que mes honorables collègues qui siègent à droite. (page 655) Je n'ai pas l'habitude d'employer de pareils moyens ; mais ce dont nous pouvons nous préoccuper, quelles que soient nos opinions, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, c'est de tout ce qui peut porter atteinte à la paix publique, de tout ce qui peut devenir la cause de quelque trouble dans le pays. Il est bien rare que des dissensions religieuses qui éclatent dans le sein d'une Eglise, ne finissent pas par retentir dans le monde civil. Voilà sous quels rapports nous pouvons, nous législateurs, nous hommes politiques, nous préoccuper parfois de ce qui se passe dans la société ecclésiastique.

On me demande quelles sont mes conclusions ? Une intervention officielle, ; je ne l'admets pas, je me hâte de le déclarer, M. le ministre de la justice peut en prendre acte ; je suis sur ce point de son avis.

Mais est-ce à dire, parce qu'une intervention officielle semble impossible, c'est-à-dire, dans mon opinion, incompatible avec les termes et avec l'esprit de la Constitution, est-ce à dire pour cela qu'un gouvernement doive se croiser les bras et que des chambres législatives doivent fermer les yeux devant les difficultés qui pourraient se présenter ? Qu'ils doivent fermer l'oreille à des réclamations qui ne se produisent que timidement, mais qui cependant se sont fait assez jour pour être parvenues à quelques-uns d'entre nous ? Non. Personne n'est plus partisan que moi de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. C'est, à mon avis, une des plus grandes, une des plus belles conquêtes de la philosophie moderne. J'ai poussé, au congrès, l'observation de ce principe jusqu'à des conséquences où beaucoup de mes amis politiques ne m'ont pas suivi ; car j'ai été jusqu'à soutenir alors que la disposition d'après laquelle le mariage civil doit précéder toujours le mariage religieux, était incompatible avec le principe de la séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat. Je dois reconnaître qu'en cette circonstance le clergé a peut-être été au-delà de ses principes, et qu'en tout cas, il a fait preuve d'un grand esprit de concorde et de modération, en souscrivant à la transaction admise à cet égard par la Constitution.

Mais, messieurs, la séparation n'est pas l'indifférence. Certes, les deux grandes sociétés, la société spirituelle, la société temporelle, doivent éviter les empiétements respectifs qui conduiraient à de grands malheurs. Mais permettez-moi de vous dire que nous devons désirer tous, quelles que soient les opinions que nous professions, une entente cordiale (c'est l'expression du jour) entre le monde religieux et le monde civil.

C'est donc d'une intervention officieuse qu'il pourrait s'agir seulement ici. Eh ! messieurs, si nous n'avions que des rapports publics de pouvoir civil à autorité ecclésiastique, je demanderais pourquoi nous entretenons un ministre à Rome ? Je demanderais pourquoi il y a un nonce à Bruxelles ? C'est évidemment pour parvenir aux moyens qu'on a reconnus les plus efficaces de maintenir, entre les deux pouvoirs, l'harmonie, les bons procédés, l'esprit de concession.

Vous en avez eu, messieurs, récemment un exemple. Je le rappelle, non pour blesser d'honorables collègues qui ont agi dans toute la sincérité de leurs convictions, avec le courage toujours honorable de son opinion, mais pour rendre hommage à la sagesse de la cour de Rome, lorsqu'elle a, par suite de l'effet de l'intervention officieuse du gouvernement, déclaré qu'une proposition qui avait vivement agité le pays, devait disparaître du programme de nos débats.

Voilà, messieurs, où l'intervention officieuse peut être utile, et dans cette question que je ne rappelle pas, je le répète, pour aigrir nos débats, dans cette question mon opinion avait l'avantage, si je suis bien informé, d'être d'accord avec celle d'un homme très sincèrement catholique, et en même temps d'un caractère des plus honorables, un des hommes qui, malgré nos dissidences d'opinion, a conservé toute mon estime, je veux parler de notre ancien ministre à Rome.

Messieurs, il n'y a pas de question qui préoccupe plus les bons esprits du clergé, les bons esprits de l'épiscopat lui-même, que celle que nous traitons aujourd'hui. Je pourrais fournir des preuves diverses attestant que cette question est une des premières qui occupent l'épiscopat français. Je me bornerai à une seule autorité sur ce point, c'est celle du respectable évêque du diocèse de Digne.

L'évêque de Digne a publié récemment, sous le titre d'institutions diocésaine, un recueil de statuts et de documents précédés de réflexions qui ont fixé en France l'attention publique, et qui, je dois le dire, ont été accueillis par toutes les opinions avec respect, avec sympathie.

Voici, messieurs, ce qu'il dit sur la question qui est spécialement agitée en ce moment ; et remarquez bien que c'était peu de temps après la conclusion du différend qui avait existé entre deux prètres français et le chef d'un autre diocèse, je veux parler des frères Allignol.

« Comme nous le faisons remarquer dans la lettre pastorale qui sert de proœmium à nos Statuts, il était sans doute très sage et très nécessaire au début de l'organisation du culte en France, après une révolution qui ne laissait que des débris, de concentrer tout l'exercice du pouvoir ecclésiastique entre les mains de l'évêque et de ne soumettre cet exercice à aucune forme déterminée qui eût pu en gêner l'action. Mais il est évident aujourd'hui que cette situation est pleine de périls, et tout le monde fait effort pour en sortir. Il n'est aucun de nos vénérables collègues qui ne soupire aussi ardemment que nous après le jour où il sera permis aux évêques de s'assembler en concile, afin d'échanger pour ainsi dire leur volonté propre contre la volonté de ces saintes assemblées. On en voit plusieurs s'environner d'institutions empruntées à l'ancienne discipline, et qui ont pour but de diminuer autant que possible leur terrible responsabilité, et en même temps de répondre à cette injuste accusation d'arbitraire avec laquelle les ennemis du pouvoir épiscopal cherchent à le discréditer et à le ruiner. Dans la plupart des diocèses, des documents officiels font foi que l’évêque a constitué un conseil administratif sans l'avis duquel il n'entreprend rien de grave. On en a vu quelques-uns encore, tout récemment, créer ou compléter des officialités, assembler des synodes.

« Ces faits n'ont pas besoin de commentaires. Ils prouvent très bien que les évêques comprennent les difficultés de la situation présente et qu'ils s'efforcent, autant qu'ils peuvent, de la modifier peu à peu. Ils comprennent que moins un pouvoir est limité, plus il s'use vite ; ils comprennent surtout la vraie nature du gouvernement ecclésiastique, non seulement toujours paternel, mais essentiellement tempéré. Ils savent que si, dans certaines circonstances, il a été plus utile à l'Eglise que les évêques exerçassent toute leur autorité par eux-mêmes et d'une manière absolue, les temps actuels sont bien peu favorables à un semblable exercice de la puissance épiscopale. La société religieuse et la société civile, quoique fondées sur des principes différents, ne pourraient pourtant pas demeurer en un tel désaccord que, lorsque l'une offrirait partout des libertés et des garanties, l'autre semblât les redouter et les exclure.

« L'absence de formes tutélaires, déterminées d'avance, dans le gouvernement ecclésiastique, serait d'autant plus choquante qu'on ne manquerait pas de remarquer avec vérité que c'est à l'esprit chrétien en général et aux formes du gouvernement ecclésiastique en particulier, que les sociétés modernes sont principalement redevables de ce qu'il y a de plus libéral dans leur constitution et de plus humain dans leurs lois. La procédure criminelle, par exemple, n'est-elle pas fondée en grande partie sur la procédure canonique ? Il ne s'agit donc pas maintenant d'emprunter à la société civile des formes qui répugnent à la nature de la société ecclésiastique. Il s'agit, au contraire de rétablir certaines règles qui sont autochtones dans l'Eglise, si je puis parler ainsi, que les Canons avaient déterminées, et qui émanent toutes de ces principes chrétiens qui ont modifié les principes de la société soit romaine soit barbare, et produit l'état actuel de nos mœurs publiques.

« Les règles sont la garantie des supérieurs autant que de ceux qui leur sont soumis. L'autorité trouve dans leur observation la meilleure défense. Il est facile de dénaturer les intentions, mais il ne l'est pas de dénaturer les faits et surtout les faits publics.

« Il faut donc en revenir, dans l'intérêt de tous, à des règles canoniques et à des formes déterminées d'avance. L'esprit de l'Eglise y pousse aujourd'hui comme il y a poussé autrefois ; c'est un besoin senti par tout le monde, et par les évêques les premiers, ainsi que nous le disions tout à l'heure ; car portant le poids de tous leurs actes, ils s'effrayent à bon droit de la terrible responsabilité qu'il leur faut assumer, et ils accueillent avec faveur tout ce qui est de nature à la diminuer.

« Nous nous associons pleinement à ces tendances. Nous les séparons avec soin de tous les mouvements désordonnés qui émanent d'un principe de révolte et qui viennent récemment d'affliger le corps ecclésiastique. Il y a de justes concessions qui peuvent prévenir des révolutions imminentes. Nous voudrions, s'il est possible, et nous croyons inutile de le dissimuler, enlever, pour ce qui nous touche, non seulement tout motif, mais même tout prétexte à cet esprit d'insubordination qui commençait à gagner dans l'Eglise et qui, s'il n'était réprimé, amènerait peut-être de graves désordres dans un avenir prochain.

« C'est surtout ce sentiment qui nous a dicté nos nouveaux Statuts capitulaires et le règlement de l'officialité diocésaine qui les suit. »

Ces paroles, messieurs, sont très-belles, et, je me hâte de le dire, elles n'ont pas été stériles, les faits y ont complétement correspondu dans la juridiction du respectable prélat dont je viens de lire les réflexions. Voici ce qui est dit dans la disposition première du règlement instituant une officialité diocésaine à Digne.

« Officialité diocésaine de Digne

« Règlement.

« Art. 1er. Notre sollicitude pastorale nous détermine, dans l'intérêt de la religion et pour mieux assurer le maintien de la discipline ecclésiastique, à séparer, suivant l'exemple de nos prédécesseurs, l'exercice de notre juridiction contentieuse de celui de notre juridiction volontaire.

« Art. 2. Nous déléguons en conséquence notre juridiction contentieuse à un official, pour qu'il l'exerce en notre nom et sous notre surveillance avec les prêtres de notre choix que nous lui auront adjoints, conformément aux règles que nous allons établir.

« Art. 3. L'official et les prêtres qui lui sont adjoints pour l'exercice de notre juridiction contentieuse constituent notre officialité diocésaine.

« Art. 4. Cette officialité est la fois un conseil de discipline pour le maintien de la police ecclésiastique, et un tribunal pour le jugement des causes spirituelles qui lui seront déférées.

« Art. 5. Soit comme conseil de discipline, soit comme tribunal, notre officialité ne peut prononcer que des peines disciplinaires et canoniques.

« Art. 6. Quoique les pouvoirs des membres de notre officialité soient révocables de droit, nous voulons cependant assurer autant qu'il est en nous, leur indépendance et l'équité de leurs jugements, et c'est pourquoi nous déclarons qu'outre les garanties qui seront données par les formalités de la procédure, telles que nous les traçons plus bas, nous choisirons au moins la moitié des membres de notre officialité parmi les ecclésiastiques munis déjà d'un titre inamovible.

« Art. 7. Notre officialité se compose :

« 1° D'un président qui a seul le titre d'official et qui en exerce toutes les fonctions ;

(page 956) 2° D'un vice-président qui est vice-official ;

3° De quatre juges assesseurs.

« Nous pourrons nommer, s'il en est besoin, des suppléants-assesseurs »

Je passe les dispositions dérivant des principes qui viennent d'être posés, et j'arrive à la procédure. J'en extrais quelques dispositions qui suffiront pour nous en faire connaître le caractère véritablement libéral.

« Art. 52. Deux copies du procès-verbal d'enquête sont faites par le greffier. L'une nous est adressée, l'autre est adressée à l'inculpé par la voie administrative.

« Art. 53. Un délai de huit jours lui est accordé pour donner de nouvelles explications et faire, s'il y a lieu, une contre-enquête.

« Art. 54. L'inculpé doit, dans ce délai, fournir au promoteur tous les renseignements qu'il croit utiles à sa cause.

« Art. 55. Le promoteur les examine, nous fait un rapport de toute l'affaire, et décide s'il y a lieu à accusation devant l'officialité.

« Art. 56. Les débats ne peuvent commencer que huit jours après que l'accusé a reçu l'assignation, sauf le cas où il demanderait lui-même un plus bref délai.

« Art. 56. Nul ne peut être jugé sans au préalable avoir été entendu, ou du moins canoniquement appelé pour se défendre ; et chacun a le droit de plaider et de faire verbalement ou par écrit les observations nécessaires à sa cause, soit par lui-même, soit par un défenseur de son choix, qui sera ecclésiastique.

« Le président pourra néanmoins autoriser, suivant les circonstances, l'accusé à se faire défendre par un laïque.

« Art. 67. Les débats sont publics.

« Nous entendons par la publicité des débats l'admission des ecclésiastiques à l'audience.

« Pour ce qui regarde l'admission des laïques, la permission de l'official sera requise.

« Art. 69. L'accusé peut, dans la première audience, demander un délai pour la préparation de sa défense. Ce délai est accordé et fixé par l'official.

« Art. 71. Après la lecture de l'acte d'accusation, s'il n'y a pas de renvoi, on entend les témoins, lorsqu'il y en a d’assignés soit par le promoteur soit par l'accusé.

« Art. 72. L'acte d'accusation lu, et les témoins entendus, s'il y a lieu, le promoteur donne ses conclusions qu'il peut accompagner de tous les développements jugés par lui utiles.

« 3rt. 75. On entend ensuite la défense de l'accusé.»

Voici maintenant, messieurs, des dispositions qui feraient honneur au code d'instruction criminelle de la nation la plus avancée :

« Art. 77. La culpabilité de l'accusé pour un fait entraînant une peine, ne pourra être déclarée qu'à l'unanimité des suffrages.

« La peine sera appliquée par l'official, selon les règles prescrites au titre des délits et des peines, après avoir pris l'avis des juges assesseurs.

« Art. 80. Les votes sur la question de culpabilité sont recueillis par l'official. Ils sont le résultat de la conviction consciencieuse du juge, de quelque manière que cette conviction se soit formée.

« Art. 85. Les motifs du jugement précèdent la sentence chaque fois que les débats ont été publics.

« Quand les débats auront eu lieu à huis clos, il ne sera fait qu'une énonciation prudente et générale des griefs constatés.

« Art. 87. Dans le cas de condamnation, le jugement doit toujours exprimer la faculté d'appel.

« Art. 89. L'appel, lorsqu'il sera interjeté, devra l'être dans les trois mois qui suivront la signification du jugement. Cet appel sera signifié au promoteur.

« Art. 91. L'appel a lieu de l'évêque au métropolitain, et du métropolitain au pape.

« Art. 95. L'appel est de sa nature suspensif. »

Je crois avoir fait remarquer que la culpabilité ne peut être déclarée qu'à l'unanimité des suffrages.

Voilà, messieurs, des dispositions qui restreignent singulièrement l'arbitraire, dont le respectable évêque de Digne se montra si effrayé.

Il y a ensuite un titre intitulé ; « des délits et des peines », où tout est défini de la manière la plus claire. Je n'en lirai qu'une seule disposition pour ne pas abuser des moments de la chambre :

« Art. 122. Les peines portées par l'officialité sont :

« 1° L'avertissement ;

« 2° La réprimande ;

« 3° L'envoi pour un temps dans une maison de retraite ;

« 4° La suspense temporaire des fonctions ;

« 5° L'interdit temporaire à sacris ;

« 6° La suspense perpétuelle ;

« 7° L'interdit perpétuel ;

« 8° Enfin l'excommunication.»

Je prie la chambre de remarquer avec quelle libéralité l'échelle de ces peines est graduée, quel esprit de modération et de charité a généralement présidé à la rédaction de ces dispositions.

Eh bien, messieurs, je le demande, serait-ce blesser la cour de Rome, si notre gouvernement, dans ses rapports officieux avec elle, l'engageait à porter sa bienveillance et son attention paternelle sur le sort tout exceptionnel des desservants de la Belgique ? Serait-ce se montrer bien exigeant que de demander que l'autorité à laquelle ils ressortissent les place dans les conditions où se trouvent les curés autrichiens, espagnols, irlandais, polonais, italiens ? Certes, messieurs, la cour de Rome ne peut avoir deux poids et deux mesures ; le souverain pontife est le père commun de tous les pasteurs placés sous sa surveillance et sous ses ordres.

Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Je répète qu'aucun sentiment autre que ma sollicitude pour une portion nombreuse et respectable du clergé belge, ne m'a porté à appuyer de quelques considérations les observations faites avec tant de convenance et de réserve par mon honorable collègue M. de Bonne. Dans toutes les circonstances où il s'est agi de montrer de la bienveillance pour notre clergé, je me suis constamment prononcé en sa faveur. Si les finances du pays le permettaient, et s'il s'agissait de rétribuer des places dont l'utilité fût incontestable, je serais encore prêt à améliorer la situation du clergé inférieur. Je voudrais, par exemple, qu'au moyen d'une amélioration apportée à sa position, il fût possible d'obtenir de l'autorité compétente l'abrogation du casuel qui, surtout dans les classes les moins aisées de la population, ne laisse pas de porter quelque atteinte à la considération du clergé. Cette suppression, dans tous les cas, l'élèverait ainsi aux yeux du public en même temps qu'à ses propres yeux. Tout ce qui sera raisonnablement possible pour améliorer la position morale et matérielle du clergé, je le ferai, parce que je suis convaincu que l'exercice du sacerdoce dans toutes les localités, mais surtout dans celles où les populations sont le plus exposées aux tentations de la misère est éminemment utile ; que l'autorité de nos pasteurs peut s'exercer avec le plus grand avantage pour la paix publique elle-même. Je répète aujourd'hui ce que j'ai dit dans une autre circonstance : un bon curé, aimé, estimé de ceux qui l'entourent, ayant la confiance de tous, vaut mieux pour concourir au maintien de l'ordre public, que cent gendarmes.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Lebeau a fait un éloge mérité de la convenance observée hier par l'honorable M. de Bonne, dans le discours qu'il a prononcé ; mais je suis fâché que cet éloge ait empêché l'honorable M. Lebeau d'être juste à mon égard, lorsqu'il a dit que j'avais mis dans ma réponse de la suffisance et du dédain...

M. Lebeau. - Je retire ces expressions ; je reconnais qu'elles sont peu parlementaires.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je remercie l'honorable M. Lebeau de retirer ces expressions ; j'en aurais appelé à la chambre. Je lui aurais demandé si j'avais mérité un semblable reproche. La chambre sait qu'en toute circonstance, je me tiens dans les limites des plus strictes convenances ; je désire les observer envers tous les membres de cette assemblée, comme je désire aussi qu'on les observe envers moi.

L'honorable M. Lebeau, dans le discours remarquable que vous venez d'entendre, a dit, messieurs, que d'après lui le ministre de la justice a fait, dans cette circonstance, ce qu’il devait faire ; « je pense, a-t-il dit, que si j'étais à sa place, que si j'étais, comme lui, attrait devant les tribunaux pour être condamné à payer le traitement d'un desservant révoqué, je soutiendrais également l'incompétence du pouvoir judiciaire. » Dès lors, messieurs, ma conduite est entièrement justifiée aux yeux même de l'honorable membre ; dès lors j'ai bien fait de soutenir, contrairement à ce qu'a dit l'honorable M. de Bonne, que je devais refuser le traitement du desservant révoqué, que je devais le refuser dès l'instant où la révocation était notifiée régulièrement au gouvernement et à l'individu qui en était frappé. L'honorable M. Lebeau s'est principalement préoccupé des difficultés qui peuvent se présenter ; il a demandé au gouvernement de quelle manière il agirait si un curé inamovible était révoqué par l'évêque, de quelle manière il agirait si, d'une manière illégale, contrairement au droit canonique, un évêque était renvoyé par le pape. Messieurs, je ne pense pas que nous devions, en ce moment, nous occuper d'éventualités aussi peu probables. L'honorable membre lui-même reconnaît que la solution de ces questions, dans l'état actuel de noire législation, est très difficile ; dès lors je demande pourquoi nous les aborderions, sans aucune utilité actuelle.

Je pourrais demander, à mon tour, à l'honorable membre ce qu'il ferait en pareille circonstance. La séparation des pouvoirs, qu'il a rappelée lui-même, interdit évidemment toute action au gouvernement, pour faire tomber une révocation, quelque injuste et illégale qu'on puisse la supposer.

Tout en disant que le gouvernement avait raison de faire plaider l'incompétence devant les tribunaux, l'honorable membre a dit : « Cette demande du desservant se résume cependant dans une question d'argent, et si les tribunaux maintenaient le desservant dans la possession du presbytère, si le gouvernement était condamné à payer le traitement, que ferait le ministre de la justice ? Le ministre de la justice irait-il proclamer qu'il ne faut pas respecter les arrêts de la justice, et que la chose jugée ne recevra aucune exécution ? »

Je répéterai ce que je disais tout à l'heure, que ferait l'honorable membre, s'il était au pouvoirs dans le cas où le gouvernement, après avoir destitué un fonctionnaire, serait condamné par les tribunaux à payer le traitement de ce fonctionnaire. L'honorable membre croirait-il violer la chose jugée, en ne demandant pas des fonds au budget pour le payement de ce traitement ? Les deux cas ne sont-ils pas identiques, et permettra-t-on aux tribunaux de juger les motifs de la démission d'un desservant, si on leur refuse le droit d'apprécier les motifs de la révocation d'un fonctionnaire public ?

L'honorable M. Lebeau nous a fait connaître que les tribunaux avaient déjà décidé qu'ils étaient compétents pour condamner le gouvernement, dans certaines circonstances, à payer le traitement d'un desservant révoqué.

J'ignore à quels arrêts l'honorable membre a fait allusion ; mais je pense avoir compris que l'affaire dont il a parlé remontait à une époque antérieure à 1830...

(page 657) M. Fleussu. - L'arrêt a été rendu depuis la révolution ; c'est l'affaire du curé Firet, à Liège.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ignore les détails de cette cause ; il faudrait voir si ce desservant ne demandait pas le paiement des termes de son traitement, échus avant la révocation. Car je ne concevrais pas comment il serait possible, en présence de l'article 16 de la Constitution, qu'un tribunal se crût compétent, pour examiner les raisons canoniques qui ont déterminé un évêque à destituer un desservant.

L'honorable membre a témoigné des sentiments de vive sympathie que je partage entièrement, pour le clergé inférieur, sans plaindre ses membres, comme l'a fait l'honorable préopinant. L'honorable M. Lebeau soutient que la position des 4,000 prêtres du clergé inférieur est moins favorable que celle des employés de l'Etat. « Ces employés, a-t-il dit, peuvent être révoqués, il est vrai, mais la publicité est pour ces employés une garantie suffisante, que le gouvernement n'abusera pas du droit de révocation. » Eh bien, je pense que nous devons avoir assez de confiance dans l'épiscopat belge, pour être convaincus que les membres du clergé supérieur n'abuseront pas non plus du pouvoir qui leur est accordé. Pour établir les raisons de cette confiance, il suffit de rappeler le peu de difficultés qui ont existé depuis 1830 entre l'épiscopat et le clergé inférieur ; en effet, depuis cette époque, il n'est survenu que deux affaires, l'une dans le Hainaut, l'autre dans le diocèse de Liège, et ces affaires n'ont, d'ailleurs, présenté aucune difficulté, aucune contestation sérieuse.

La position du clergé inférieur est changée depuis 1801, a dit M. Lebeau ; avant le concordat, tous les curés quelconques étaient inamovibles ; je dis tous les curés quelconques, parce qu'avant 1801, il n'existait pas de desservants.

Messieurs, il y a plusieurs observations à faire, relativement à la nécessité dans laquelle on s'est trouvé en 1801, de modifier ce qui existait antérieurement. Les évêques avaient à cette époque un pouvoir autrement grand que celui qu'ils ont maintenant ; ils avaient à leur disposition un foule de moyens disciplinaires dont ils ne peuvent plus user aujourd'hui. Or, du moment où l'on privait les évêques de l'emploi de ces moyens, on ne pouvait, d'un autre côté, laisser les ecclésiastiques inférieurs dans une position d'indépendance absolue, position dont ils auraient pu abuser. Ainsi, la dépendance plus grande dans laquelle se trouve le clergé inférieur depuis 1801 a été la conséquence de la diminution de pouvoir qu'on a fait subir aux évêques, à la même époque.

La nomination des curés et des desservants, l'inamovibilité des uns, la révocabilité des autres sont des matières qui rentrent dans le droit canonique, dans la discipline ecclésiastique, et dont nous n'avons pas à nous occuper officiellement.

Je n'ai pas invoqué les articles organiques comme décidant la question. Je ne reconnais pourtant, pas avec l'honorable M. Lebeau, que ces articles n'ont plus aucune valeur : certaines dispositions de ces articles sont encore en vigueur et appliquées tous les jours. Mais si des dispositions des articles organiques sont en opposition avec le concordat ou avec la Constitution, il est évident qu'elles n'ont plus aucune force.

Du reste, pour décider la question dont nous nous occupons, je n'ai pas besoin de recourir aux articles organiques, il me suffit de savoir quelles sont les règles canoniques admises et appliquées ; il me suffit de voir l'opinion du saint-père, exprimée dans la lettre adressée par lui à l'évêque de Liège. Je ne conçois pas qu'en présence d'une semblable décision, le moindre doute puisse exister.

Sera-ce parce que quelques desservants ou vicaires du diocèse de Liège auront refusé d'adhérer à l'encyclique de l'évêque, qu'on pourra déclarer qu'il y a doute sur la valeur de la lettre du saint-père ? Il ne dépend pas de quelques ecclésiastiques de dire : « Nous n'acceptons pas la position qu'on nous fait, quoiqu'elle soit la nôtre depuis 1800 ; il est plus agréable pour nous d'être inamovibles, et nous refusons d'adhérer à l'encyclique de l'évêque. »

Avant ce débat, j'ignorais qu'il y eût eu une encyclique de l'évêque et une demande d'adhésion ; du reste, je regarde cette demande comme parfaitement inutile ; les desservants reçoivent un mandat temporaire, ils acceptent cette condition, en acceptant la nomination.

L'honorable M. Lebeau a fait valoir des considérations d'un ordre élevé, dans le but d'engager le gouvernement à user de son influence, pour que la paix soit maintenue dans l'Eglise. Mais les faits répondent au désir de l'honorable préopinant : en présence de l'accord constant qui a régné depuis 1831 entre l'épiscopat et le clergé inférieur, peut-on raisonnablement craindre que quelque conflit ne s'élève et ne vienne troubler l'harmonie ? Quoi ! parce que dans un diocèse, un prêtre, frappé de révocation, aura adressé ses doléances aux journaux, au saint-père, à son évêque, au ministre, dira-t-on que la paix est menacée dans l'Eglise ! Dira-t-on qu'un pareil état de choses est intolérable et qu'il faut au plus tôt y porter remède ! Je pense que la situation actuelle est très satisfaisante, et que, dans tous les cas, le gouvernement ne pourrait rien faire officiellement pour l'améliorer, ainsi que l'a reconnu lui-même l'honorable M. Lebeau.

Messieurs, en terminant, l'honorable membre vous a cité un passage d'un ouvrage qui a été publié par un respectable prélat français. Les paroles de M. l'évêque de Digne, paroles dictées par un sentiment que tout le monde doit respecter, ne seront certes pas répudiées par les membres de l'épiscopat belge.

Nous pouvons avoir pleine confiance dans les évêques de notre pays, et on leur rendra sans doute la justice de reconnaître qu'ils ne le cèdent ni en vertus ni en talent au prélat dont l'honorable M. Lebeau a fait l'éloge. Nous pouvons également avoir pleine confiance dans la sagesse de la cour de Rome, sagesse que l'honorable M. Lebeau a proclamée avec tant de raison. La cour de Rome est informée de ce qui se passe chez nous et par les évêques et par les relations diplomatiques que nous avons avec le saint-siège.

La cour de Rome sait quels sont les besoins de la religion, quels sont les devoirs et les droits du clergé ; et je pense que nous pouvons en toute sécurité nous en rapporter à elle du soin de tous ces intérêts.

M. de Haerne. - Messieurs, je tâcherai aussi de ne rien apporter d'irritant dans ce débat, et si quelques paroles m'échappaient qui pussent déplaire à quelques membres de la chambre, je les rétracte d'avance.

Messieurs, il me semble que l'honorable M. Lebeau, dans le discours remarquable qu'il vient de prononcer, a déplacé la question, c'est-à-dire qu'il ne l'a pas traitée du tout au point de vue auquel elle avait été placée hier.

Hier vous avez entendu de la bouche d'un honorable membre, des raisonnements qui tendraient, s'ils étaient fondés, à faire croire qu'un évêque belge aurait dépassé ses pouvoirs en révoquant un ecclésiastique, ou desservant.

On a contesté ce droit à ce dignitaire ecclésiastique ; on a invoqué d'un côté le droit canonique, le concordat, les articles de la loi organique, la Constitution même, pour prétendre que cet évêque n'était pas dans son droit. Aujourd'hui, il s'agit de tout autre chose. La question a été présentée d'une manière toute différente ; seulement on s'est demandé s'il n'y aurait pas moyen de rendre la position des desservants meilleure, de la rendre inamovible. La question change ainsi complétement de nature.

Je suis d'accord avec l'honorable M. Lebeau, qu'en présence de la Constitution, le concordat ne doit pas être invoqué quant à la distinction entre les curés amovibles et les curés inamovibles ; je pense aussi qu'il est incontestable qu'on ne doit pas se fonder sur les articles de la loi organique ; je suis d'accord avec l'honorable membre sur ce point que le saint-siège a constamment protesté contre ces articles organiques ; mais là ne gît pas la question. La révocation des ecclésiastiques qu'on appelle desservants a été admise par suite du concordai, par des circonstances auxquelles M. le ministre de la justice vient de faire allusion et qu'il serait inutile, je crois, d'exposer ici.

Nous n'avons pas à considérer si cette nouvelle discipline est meilleure que celle qui existait précédemment ; nous avons seulement à constater, en fait, si cette nouvelle discipline existe, si cet usage constant a prévalu. Que le concordat ait été aboli ou qu'il subsiste encore dans quelques-uns de ses parties, ce fait existe ; c'est un usage généralement reconnu, qui a force de loi, et sur lequel est fondée la réponse faite par le saint-siège à la demande qui lui a été adressée par un prélat belge.

Or, en présence de ce fait généralement reconnu, de cet usage qui a force de loi, fallait-il agir en sens contraire ?

Si l'épiscopat belge ou français avait voulu déroger à ce fait, rentrer dans le droit canonique antérieur au concordat et déclarer inamovibles les desservants aussi bien que les curés proprement dits, je suis persuadé qu'en France comme en Belgique, il y aurait eu, de la part de certaines personnes, de vives réclamations contre cette conduite du clergé. Peut-être dans cette enceinte, aurions-nous entendu un langage tout à fait contraire à celui que nous avons entendu hier.

Il faut le reconnaître, dans une pareille matière, dans une matière aussi délicate, l'épiscopat et le saint-siège ne procèdent pas avec légèreté.

Le fait qui paraît avoir donné lieu à la discussion actuelle vous a été présenté hier : un évêque a jugé à propos, pour des motifs à lui connus et que je dois respecter, de révoquer de ses fonctions, non un ecclésiastique belge, comme on l'a dit, mais un prêtre étranger qui, d'après ce que j'ai appris, avait éprouvé dans son pays des difficultés à l'égard des autorités ecclésiastiques supérieures et qui, à la suite de ces difficultés, s'était rendu en Belgique, avait demandé l'hospitalité à monseigneur l'évêque de Liège et s'était mis sous sa protection. Monseigneur l'accueillit avec bonté, le nomma vicaire, puis curé desservant ; puis, plus tard, survinrent quelques faits que je ne dois qualifier ni apprécier, mais que je dois croire assez graves, assez fondés, pour qu'un dignitaire ecclésiastique ait tout à coup changé de conduite à l'égard d'un ecclésiastique qu'il avait si bien accueilli d'abord. Je dis que cette manière d'agir ne peut être taxée par personne.

L'évêque de Liège doit avoir eu des motifs graves pour se conduire de cette manière. Après cela, on vient prétendre qu'il n'était pas dans son droit ; on soutient, d'après le droit canonique, le concordat, les lois organiques, la Constitution même, que sais-je, on soutient que ce desservant était devenu inamovible, que l'évêque ne pouvait pas le révoquer. On a soutenu ensuite qu'il y avait doute sur la question de la part des évêques, puisque l'évêque de Liège s'est adressé à Rome pour avoir une solution de la question.

D'abord, je ne dirai pas que c'est à ce sujet que ce dignitaire ecclésiastique s'est rendu dans la capitale du monde chrétien. Il y a conféré avec le saint-siège sur ce sujet. Fallait-il qu'il y eût doute de sa part pour provoquer cette explication ? Il suffisait qu'il existât un doute chez quelques ecclésiastiques, pour que dans l'intérêt de la paix, et par esprit de modération, un évêque allât demander une décision ou seulement une manifestation d'opinion de la part de l'autorité supérieure, pour imposer silence aux réclamations de ceux qui ne voulaient pas admettre cette opinion.

Voilà comment je comprends la question, comment je crois devoir expliquer la démarche qui a été faite par ce prélat.

La question devient très simple à mes yeux, quand on l'examine d'après les faits. Il ne s'agit pas même de savoir si d'après les lois antérieures, d'après le (page 658) concordat ou d'autres dispositions législatives, les desservants sont amovibles oui ou non. Il s'agit seulement de savoir de quelle manière aujourd'hui, soit en Belgique, soit en France, les desservants sont nommés réellement par les évêques. Or la nomination d'un desservant porte toujours pour condition qu'il est révocable à la volonté de son supérieur. Le desservant nommé, il accepte ces conditions, il intervient une espèce de contrat entre l'évêque et chaque desservant. Je vous demande après cela, quand l'évêque vient à exécuter les conditions du contrat intervenu, comment celui qui a accepté le contrat peut avoir des motifs de se plaindre. Tel est le fait ; ceux qui prétendent contester à l'évêque le droit d'agir ainsi, contreviennent à l'article 16 de la Constitution qui dit, de la manière la plus formelle, que l’Etat ne peut pas intervenir dans la nomination des membres du clergé.

En effet, n'est-ce pas une intervention des plus flagrantes que de vouloir empêcher un évêque de nommer à sa manière un desservant ? L'évêque nomme à condition, vous ne voulez pas qu'il mette de condition à sa nomination, donc vous intervenez, donc vous agissez contrairement à la Constitution qui proclame que cette intervention ne peut pas avoir lieu.

Je dis donc que le fait est là, que tout le débat peut se résumer dans cette simple question et que lorsqu'on l'examine de cette manière, elle est claire, elle n'est pas susceptible de présenter la moindre difficulté. Quant aux considérations canoniques, elles sont en dehors de notre compétence.

Messieurs, je regrette de devoir revenir encore sur certaines opinions qui ont été émises hier par l'honorable membre qui le premier a mis en avant cette question irritante que, pour ma part, j'aurais voulu pouvoir éviter. Il a dit : Un évêque a été à Rome ! Il est allé à Rome pour négocier ; et cela, sans l'intervention du gouvernement. Peut-on ainsi aller décider des questions qui se rattachent à un contrat bilatéral ?

Je demanderai d'abord si ce voyage ne peut pas s'interpréter autrement ; si un évêque qui se rend à Rome va nécessairement négocier, traiter des questions diplomatiques. N'y a-t-il pas d'autre moyen d'expliquer ce voyage ? Rome n'est-elle pas toujours le centre d'attraction du monde catholique, la capitale du monde chrétien ? Tout catholique ne désire-t-il pas aller se prosterner devant les tombeaux des apôtres qui ont vu s'incliner devant eux tant de têtes couronnées depuis Constantin jusqu'à Pierre le Grand et l'empereur Nicolas, et rendre hommage au pasteur des pasteurs, qui par ses seules qualités personnelles commande la vénération au monde ?

Un catholique, un prêtre, un évêque ne se rendent-ils pas plus utiles à la société, au point de vue religieux et moral, en allant puiser des inspirations à la source sacrée de la vérité religieuse ?

Cela me suffit pour expliquer la démarche de l'évêque, si cette démarche avait besoin d'explication. Il y a, dit-on, passé cinq mois ! et s'il y avait passé un an, deux ans peut-être, que serait-il arrivé ? On s'est adressé à M. le ministre de la justice ; on lui a demandé gravement si, dans un cas semblable, le gouvernement consentirait à payer le traitement de l'évêque qui oublierait à ce point ses devoirs. Je dirai d'abord qu'un évêque absent ne cesse pas pour cela d'administrer son diocèse, aussi bien que des têtes couronnés qui, dans l'intérêt de l'Etat, par des raisons politiques ou de haute convenance, s'absentent de la pairie et ne laissent pas cependant de tenir avec fermeté et honneur les rênes du gouvernement. De telles absences sont utiles à la nation. De même l'évêque peut aussi, par de telles absences, rendre à son diocèse des services qu'on attendrait en vain de lui s'il ne quittait pas ses foyers.

Je demanderai ce qu'on ferait dans le cas de maladie. Si un évêque était, par suite de maladie, incapable d'administrer son diocèse, ne faudrait-il pas continuer de lui payer son traitement ? Personne ne dira le contraire. Cependant il arriverait souvent dans tel cas qu'un évêque pourrait encore bien moins administrer son diocèse que dans le cas d'absence.

Je suppose qu'un membre de la chambre dût s'absenter pendant longtemps : faudrait-il continuer à lui payer l'indemnité ? S'il se présentait seulement ici un jour par mois, aurait-il droit à l'indemnité ? Je crois qu'oui, d'après la Constitution. et cependant il ne pourrait pas se faire remplacer ni remplir en aucune manière ses fonctions. J'entends dire à d'honorables membres que ce serait aux électeurs à en faire justice. Mais si les électeurs s'obstinaient à renvoyer ce membre à la chambre, il faudrait bien par continuation lui payer l'indemnité.

Vous dites : C'est une supposition impossible. Je dis que la supposition que vous faites qu'un évêque oublierait à ce point ses devoirs est tout aussi outrée. Si un évêque s'absentait pendant des années, le saint-père, le chapitre, le clergé, l'opinion publique ne seraient-ils pas là pour faire leurs observations ? Et puis la presse qui certes ne resterait pas en défaut !

Ce sont des suppositions que nous ne devons pas admettre, pas plus pour les évêques que pour les membres de la chambre ; car lorsque nous voulons établir des hypothèses pareilles, il n'y a rien qui ne soit sujet à critique.

On vous a demandé aussi si le saint-père pouvait, de son autorité, intervenir dans les affaires du pays, décider chez nous et sans nous. Oui dans les matières spirituelles.

On a dit : Si le roi de Prusse, si l'empereur de Russie, si la reine d'Angleterre, se mêlaient des affaires de notre pays, sans nous, faudrait-il le permettre ? Oui, en matière spirituelle. et c'est ce qui a lieu à l'égard du culte anglican. Les ministres anglicans sont admis en Belgique, en vertu d'une délégation de l'autorité supérieure d'Angleterre, qui dépend elle-même du pontife suprême de l'anglicanisme qui est la reine.

Ainsi, en vertu de la constitution, la reine d'Angleterre intervient spirituellement dans notre pays ; elle agit chez nous et sans nous.

Faut-il blâmer ce fait ? faut-il s'élever contre un tel résultat de la liberté proclamée en Belgique ? Ah ! non, messieurs ! J'applaudis de grand cœur à ces principes et aux beaux résultats de. Notre pacte fondamental, qui a été, en plusieurs circonstances, l'objet d'éloges que nous avons reçus de l'étranger.

Ainsi, dans le parlement anglais, on a parlé avec distinction de la Belgique, de ses belles institutions, de sa tolérance et des subsides accordés au culte anglican, dans l'intérêt des Anglais qui se trouvent dans le pays.

A la tribune française, il n'y a pas longtemps, un député protestant, M. de Casparin, a parlé avec éloge des libertés de la Belgique. Il a demandé la liberté comme en Belgique, la liberté d'enseignement qui est la conséquence de la liberté des cultes. Il a dit que la Belgique faisait exception à toutes les nations, brillante exception, s'est-il écrié, à laquelle on ne rend pas assez hommage. Non ! l'on n'y rend pas assez hommage. Même dans cette chambre, souvent on oublie de rendre hommage à cette liberté, on la respecte moins que ne la respectent et ne l'admirent les peuples qui nous entourent et qui semblent être jaloux de cette noble prérogative qui est notre domaine, Ah ! messieurs, gardons-nous bien de répudier l'honneur qui est la vie des nations. Gardons-nous de perdre, par des inconséquences, la réputation que nous nous sommes acquise !

Pardonnez-moi, messieurs, si je me laisse aller à un peu de vivacité, un peu d'émotion, un peu d'enthousiasme, quand je traite ces matières ! C'est que cette liberté constitutionnelle je la porte au fond du cœur. C'est notre sauvegarde. Toutes les libertés se tiennent. Vous ne pouvez porter atteinte à l'une sans porter atteinte à l'autre.

Il faut respecter cette arche sainte, ne pas y porter témérairement la main. C'est notre ancre de salut. Sans la liberté, pas de Belgique ; pas d'indépendance. Ce n'est que par la liberté que la Belgique peut se maintenir.

M. Verhaegen. - La question est aujourd'hui sur le même terrain qu'hier ; rien n'est changé ; et l'honorable abbé de Haerne se trompe, lorsqu'il vous dit que dans la dernière séance, mon honorable ami et moi, nous avions contesté d'une manière indéfinie, aux évêques, le droit de révoquer les desservants.

Il semblerait, messieurs, d'après cette assertion que nous aurions voulu assurer aux desservants une impunité complète : tel n'a pas été, tel ne sera jamais notre système. Nous avons soutenu, d'accord avec toutes les lois canoniques, d'accord avec les lois civiles qui nous régissent encore, l'inamovibilité des desservants, comme l'inamovibilité des curés, sans jugement motivé.

Nous avons soutenu et nous soutiendrons toujours que les desservants régulièrement nommés, ne peuvent pas être révoqués sans cause légale de révocation, reconnue par jugement motivé.

Nous ne sommes pas même obligés d'aller jusqu'à prétendre qu'un tribunal ecclésiastique régulièrement composé, comme celui établi d'après les prescriptions de l'évêque de Digne, soit seul compétent pour apprécier les motifs de révocation ; nous admettons volontiers le jugement motivé des évêques eux-mêmes, après avoir entendu l'inculpé dans ses moyens de défense ; or il y a une grande différence entre la révocation après jugement et la révocation ad nutum, à laquelle probablement l'honorable préopinant, s'il était un jour promu au doyennat, ne voudrait se soumettre, pas plus que ne le veulent en ce moment la plupart des curés et desservants.

Si on admet qu'un curé, un doyen, un desservant peut être révoqué sans jugement motivé, alors toutes les positions ecclésiastiques inférieures sont abandonnées au bon plaisir des évêques.

Nous nous rappelons ce qui s'est passé naguère, à l'égard des curés et desservants conviés aux élections générales mandato episcopi, avec ordre de voter pour tels et tels candidats ; nous nous rappelons la défense qui, à certaine époque leur a été faite de s'abonner à certains journaux, qui quoique écrits dans un esprit purement catholique ne convenaient pas à l'évêque au point de vue politique : la révocation sans motifs et surtout sans motifs constatés par jugement était alors la sanction de l'ordre donné ou de la défense faite à l'inférieur par la supérieure ecclésiastique.

Voilà, messieurs, la conséquence de ce système vicieux à tous égards, avilissant pour le bas clergé ; et cette conséquence est importante non seulement dans l'intérêt de ceux que la chose concerne, mais même dans l'intérêt du pays tout entier, car l'intérêt du pays exige qu'aucun desservant ou curé ne puisse être révoqué sans jugement motivé ; tous nous sommes intéressés à l'indépendance du bas clergé ; bien souvent lorsque nous avons eu à nous plaindre de lui sur le terrain politique, c'est qu'il n'agissait que mandato episcopi.

D'après l'honorable M. de Haerne, nous n'aurions pas à examiner ce que portent les lois, mais bien et uniquement ce que portent les nominations : Messieurs, c'est la un bouleversement complet de toutes les idées sociales : Comment ! les lois ne sont plus obligatoires pour certains individus !

Quoi ! les évêques ne sont plus soumis aux lois en Belgique ! Les nominations qu'ils font l'emportent sur les lois !

M. de Haerne. - Oui, dans le cas actuel, parce qu'il n'y a pas de loi.

M. Verhaegen. - Vous êtes en contradiction avec vos premières paroles.

Il y a des lois et vous-même l'avez dit.

Je continue à répondre à l'objection. La question n'est pas, dit-on, de savoir ce que portent les lois, mais ce que portent les nominations : par les actes de nomination., non seulement les desservants, mais même les curés de certains diocèses se soumettent à la révocation, sans garantie aucune.

C'est à cette condition ainsi acceptée que l'honorable membre a fait allusion. Il ne me faut, messieurs, que cette assertion pour prouver qu'il existe en effet des lois qui défendent la révocation sans jugement et sans motif ; (page 659) car si le droit de révoquer était aussi certain qu'on le prétend aujourd'hui, si la question n'était pas au moins douteuse, il n'eût pas été jugé nécessaire par les chefs de certains diocèses d'ajouter dans les nominations la condition de révocations sans jugement et sans motif.

Mais les lois qu'on suppose ne pas exister, existent réellement : mon honorable and M. Lebeau a parlé de la loi organique, je parlerai moi, avant tout, des lois canoniques. Ces lois ne sont-elles pas obligatoires pour tous ceux qui sont dans le giron de l'Eglise catholique ? Seraient-ce par hasard des lettres mortes ? On vous a cité ces lois, MM. de la droite, et vous n'y avez pas daigné répondre.

Ce n'est certes pas faire honneur à cette législation qui est la vôtre, que de la mettre de côté pour ne vous occuper que des lois civiles dont vous tronquez toutefois le texte.

Quant aux lois civiles, il faut bien qu'une bonne fois on se mette d'accord sur la question de savoir si le concordat et la loi organique sont encore applicables aujourd'hui en tout ou en partie. D'un côté, j'entends dire : Non. De l'autre côté (et M. le ministre de la justice est de cet avis) j'entends dire : Oui.

C'est une manière très élastique de raisonner : lorsqu’on a intérêt à invoquer le concordat et la loi organique, on soutient qu'ils sont encore applicables, et lorsqu'un intérêt contraire se présente on les répudie.

M. le ministre de la justice nous a dit (et je pense qu'il a raison) que les articles de la loi organique sont encore applicables aujourd'hui, pour autant qu'il n'y ait pas été dérogé par les dispositions de la Constitution. On dit à mes côtés que c'est évident, et c'est également ce que je pense.

Dans cette loi organique, soit dit en passant, il y a un article qui mérite de fixer notre attention, c'est l'article 32 ; il porte :

« Art. 32. Aucun étranger ne peut être revêtu de fonctions ecclésiastiques sans le consentement du gouvernement. »

Je voudrais bien qu'on me dît si cet article est, oui ou non, abrogé par la Constitution.

M. le ministre de la justice ne peut pas se dispenser de me répondre sur ce point, et s'il considère l'article comme abrogé, il me citera sans doute la disposition constitutionnelle qui le déclare ainsi.

Je me permets de faire cette demande, parce que j'ai entendu dans le discours de l'honorable M. de Haerne, que le desservant qui a été révoqué par l'évêque de Liège, était un étranger. Cet étranger avait été d'abord accueilli favorablement par l'évêque, mais ensuite il a été éloigné pour des motifs qui, probablement, ajoute l'honorable membre, étaient légitimes : d'abord, comment un étranger a-t-il été revêtu d'une fonction ecclésiastique sans l'approbation du gouvernement ? serait-ce que l'article 32 est considéré comme abrogé ?

A cette occasion, puisque le mot étranger a été prononcé, je me permettrai de dire que le pouvoir illimité accordé aux évêques, quant à la révocation des curés et desservants est d’autant plus dangereux, qu'on semble admettre que les évêques eux-mêmes peuvent être étrangers.

Chose extraordinaire ! celui-là qui a renvoyé un desservant étranger sans motifs et sans jugement, est étranger lui-même. Je serais curieux de savoir quelle est l'opinion de l'honorable préopinant sur ce point.

Quoi qu'il en soit, messieurs, la loi organique est encore une loi de l'Etat pour toutes les dispositions qui ne sont pas abrogées par la Constitution. M. le ministre de la justice nous l'a dit et j'adopte son opinion.

Or, c'est par la loi organique que mon honorable ami vous a démontré hier que les desservants proprement dits, nommés par les évêques, n'étaient pas révocables par les évêques autrement que par jugement motivé.

S'il y a des doutes sur l'interprétation des articles 51 e 63 de la loi organique, et il doit y avoir tout au moins des doutes, puisque dans certains diocèses on ne fait de nominations que sous la condition acceptée par les titulaires de se soumettre à la révocation illimitée ; s'il y a des doutes * à qui incombait-il de les faire disparaître par une interprétation ? J'ai toujours pensé qu'il était de principe que ceux-là qui font les lois, ont seuls le droit de les interpréter. La conséquence nécessaire est, comme vous l'a dit mon honorable ami, qu'en demandant une interprétation à la cour de Rome, l'évêque de Liège avait empiété sur les droits du pouvoir législatif.

Vous voyez donc, messieurs, qu'indépendamment des lois canoniques que mon honorable ami vous a citées hier et qui doivent exercer leur influence, il y a encore les lois civiles en vigueur qui, lorsqu'elles laissent des doutes, ne peuvent cire interprétées que par la législature.

Mais, dit-on, il ne s'agit pas ici de l'interprétation de la loi ; les nominations sont tout ; et par suite on veut proclamer l'amovibilité sans jugement.

Remarquez bien, messieurs, car nous tenons à constater ce point, que nous ne soutenons pas l'absurdité qu'on nous prête, à savoir qu'un desservant ou un curé ne pourrait jamais être révoqué ni destitué, alors même qu'il aurait donné de justes motifs de révocation ou de destitution ; nous disons seulement qu'il ne peut l'être qu'après jugement, après jugement motivé. On ne peut, certes, enlever aux desservants cette garantie qui est donnée à tous les citoyens. Ainsi l'inamovibilité dont nous avons parlé, c'est l'inamovibilité sauf jugement motivé.

Si les nominations font tout et si les lois ne font rien, M. le ministre de la justice pourrait donc aussi, lorsqu'il nomme un conseiller de cour d'appel, suivre ce principe ? Il lui suffirait de mettre dans la nomination que le conseiller sera toujours amovible. Il pourrait tout aussi bien en agir ainsi que l'évêque qui nomme un desservant sous la condition de se laisser destituer à bon plaisir, ad nutum.

Un membre. - Et la Constitution ?

M. Verhaegen. - La Constitution ? Mais la constitution du clergé se trouve dans les lois canoniques interprétées par les conciles, et dans la loi organique du concordat : l'évêque se trouve placé, quant aux nominations qu'il fait, dans la même position que M. le ministre de la justice.

Messieurs, l'honorable M. Lebeau avait demandé à M. le ministre de la justice ce qu'il ferait si un doyen destitué par l'évêque, si un évêque destitué par le saint-siège, venait demander devant les tribunaux payement de son traitement.

La question, j'en conviens, était difficile à résoudre pour M. le ministre. Aussi, que répond-il ? Il ne répond rien, mais il adresse à son tour la même interpellation à l'honorable M. Lebeau.

Messieurs, ce n'est pas à l'honorable M. Lebeau à répondre, c'est à M. le ministre à nous dire ce qu'il ferait en pareille circonstance.

M. Dubus (aîné). - Le cas ne se présente pas.

M. Verhaegen. - Le cas ne se présente pas, dit l'honorable M. Dubus (aine) ; l'honorable membre se trompe : non seulement le cas peut se présenter, mais il se présente déjà, car les tribunaux sont en ce moment saisis de la question. Le cas d'ailleurs s'est présenté naguère pour feu M. le comte de Broglie : il y a eu contestation entre le gouvernement et les héritiers de l'évêque de Gand, et je ne pense pas que les tribunaux se soient déclarés incompétents.

Quant aux prétentions formulées par les desservants, elles sont soumises aujourd'hui aux tribunaux : les desservants révoqués illégalement réclament le payement de leur traitement et la jouissance de leur presbytère s'ils obtiennent gain de cause, que ferez-vous ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je l'ai dit.

M. Verhaegen. - Vous avez dit que vous soutiendriez l'incompétence de l'ordre judiciaire. Eh bien, moi je pense que les tribunaux sont compétents et j'espère bien qu'ils le déclareront ainsi, car il s'agit ici d'une question qui se résume dans la demande de payement d'une somme d'argent et par suite d'une simple question de droit civil. Que ferez-vous alors ? L'honorable M. Lebeau vous a fait une interpellation, et au lieu de lui répondre directement vous avez fait une supposition et vous avez dit : Si je destitue un fonctionnaire et si ce fonctionnaire soutenant l'illégalité de la destitution me fait un procès, j'opposerai l'incompétence ; si je succombe et si je suis condamné même en dernier ressort, je me garderai bien de demander à la chambre une allocation pour satisfaire à cette condamnation. Messieurs, cela revient à dire que M. le ministre de la justice n'est pas disposé à obéir à l'autorité judiciaire et spécialement à un arrêt passé en force de chose jugée.

Ainsi les tribunaux de première instance se seront déclarés compétents sur la demande formée par les desservants illégalement révoqués ; les cours d'appel auront jugé dans le même sens, et la cour de cassation aura confirmé leurs décisions, et M. d'Anethan résistera à des autorités si imposantes : c'est un ministre de la justice, j'en prends acte, qui vient faire une pareille déclaration au sein de la représentation nationale ; c'est maintenant pour a deuxième ou la troisième fois qu'il ose prétendre à la face du pays que l'autorité judiciaire en Belgique n'est rien et qu'il na pas à ses arrêts ! Messieurs, s'il en est ainsi, tous les liens sociaux sont rompus : il n'y a plus rien de sacré pour le peuple.

Encore une fois, c'est M. le ministre de la justice qui tient ce langage, lui, le gardien-né des attributs du pouvoir judiciaire, la seule sauvegarde de nos libertés constitutionnelles, lui qui devrait être le plus chaud partisan du respect qu'inspirent aux masses nos cours et tribunaux, et par suite le plus zélé défenseur de la force due à la chose jugée, lui enfin qui naguère occupant le fauteuil d'avocat général devant une de nos cours d'appel, a été appelé souvent à proclamer ces vérités ! Quantum mutatus ab illo !

On a demandé au gouvernement ce qu'il ferait si un évêque s'absentant du pays pendant plusieurs mois, voire même pendant des années, venait ensuite réclamer le payement de son traitement ? En vertu du même principe serait-il interdit au gouvernement de faire aucune objection ? Oui, a dit l'honorable abbé de Haerne, et pour le prétendre ainsi il a comparé les évêques aux têtes couronnées qui, nonobstant leurs fréquentes absences, touchent sans interruption les sommes qui leur sont allouées sous la dénomination de liste civile. Je ne sais pas, messieurs, si l'honorable membre a voulu faire une épigramme qui, dans tous les cas, sortirait des convenances parlementaires mais à coup sûr je ne le suivrai pas sur le terrain que très imprudemment il vient de choisir, je laisserai à d’autres le soin de répondre.

Messieurs, avec toutes les suppositions que l'on a faites, nous n'arrivons à aucun résultat et nous mettons de côté les prescriptions de la loi ; je le répète, je ne suivrai pas mes honorables contradicteurs sur le terrain où ils viennent de se placer, je me hâte de les ramener sur le terrain sur lequel nous nous trouvions hier, c'est-à-dire sur le terrain de la légalité. Ce sont les lois canoniques, vos lois à vous, messieurs, qui soutenez l'omnipotence de l'épiscopat, qui d'abord doivent exercer leur influence, puisqu'elles sont obligatoires pour vous comme pour nous ; ce sont ensuite les lois civiles en tant qu'elles ne sont pas abrogées par nos dispositions constitutionnelle, qui servent de complément aux lois canoniques.

Or, j'ai déjà démontré que, d'après ces lois civiles et canoniques, la question, tout au moins, présentait des doutes graves. Maintenant ces doutes pouvaient-ils être levés autrement que par une interprétation régulière et n'est pas un empiétement sur les droits de la législature que la démarche faite par le prélat auquel mon honorable ami, M. de Bonne, a fait allusion ? C'est là le point culminant de la discussion.

J'avais, messieurs, à répondre sur d'autres points à M. le ministre de la justice, mais, comme je ne veux pas confondre la question spéciale dont nous nous occupons en ce moment avec des objets qui y sont étrangers, je me réserve de traiter ces points dans la suite du la discussion.

M. de Mérode. - Messieurs, puisque l'honorable M. Lebeau m'a invité, pour une légère interruption, a parler sur la question qu'il a soulevée, (page 660) ou du moins qu'il a maintenue en discussion, parce qu'elle est plus ou moins ardue, je dirai quelques mots en réponse a ses observations. J'avancerai donc d'abord que personne plus que les membres du clergé n'est intéressé à cette question, et cependant parmi les trois mille membres qui le composent en Belgique, combien y en a-t-il qui réclament un changement aux coutumes admises ? Je n'en connais pas plus que je ne connais de bons officiers qui se soient plaints de la loi qui autorise le ministre de la guerre à mettre au traitement de réforme les officiers dont la conduite lui paraît mériter cette mesure.

Eh bien, je crois que la faculté d'en user a été des plus utiles au corps d'officiers, au maintien de l'ordre et de la discipline militaire.

Le même résultat se manifeste dans l’ordre ecclésiastique aujourd'hui, parce que bien des circonstances particulières à notre époque exigent le changement des desservants et rendent difficile leur inamovibilité. Ainsi la liberté communale moderne amène souvent des oppositions plus ou moins vives entre l'autorité civile locale et le titulaire de la paroisse. Souvent les oppositions ne peuvent cesser que par la transposition du prêtre, puisqu'il n'est pas praticable de transporter ailleurs les habitants laïques de la commune. Cependant ces changements ne sont pas fréquents dans la plupart des diocèses de la Belgique, et ce n'est que bien rarement que j'ai entendu des plaintes à ce sujet ; car le bon prêtre est un homme de dévouement et d'obéissance, et ne songe guère à discuter sur les droits de son supérieur et à chercher leur restriction ; cependant je ne conteste pas la convenance du système adopté par l'évêque d'un des diocèses du midi de la France. Je ne dis pas que le haut clergé belge doive être indifférent à ce sujet, et la preuve qu'il ne l'est pas, c'est le voyage à Rome entrepris par le chef du diocèse de Liège, et dont le but lui a été reproché.

Quant à nous, messieurs, devons-nous chercher à traiter des questions que des embarras réels ne rendent pas urgentes à résoudre ; car si nous nous plongeons dans toutes les hypothèses, pourrons-nous parvenir à terminer nos travaux qui sont si fort arriérés ?

Sans le pressant besoin de marcher, messieurs, j'aurais entendu avec plaisir la dissertation de l'honorable M. Lebeau, développée avec la facilité de langage qui lui appartient ; mais cette considération de la besogne qui nous reste à faire est assez grave, assez pratique pour que j'engage la chambre et chacun de mes collègues à éviter toutes les discussions qui n'ont pas un caractère d'urgence et qui ne réclament point notre attention immédiate et un vote pressant comme tant d'objets à l'ordre du jour et qui finiront par n'arriver jamais au jour, si nous soulevons toutes les questions qu'il est possible de soulever.

Pic de la Mirandole traitait de omni re scibili et quibusdam aliis ; nous, messieurs, contentons-nous d'expédier le plus tôt possible nos affaires actuellement sur le tapis parlementaire, déjà chargé outre mesure, et ne nous lançons pas dans les savantes suppositions.

Des membres. - La clôture !

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demande à la chambre de pouvoir répondre quelques mois à ce que vient de dire l'honorable M. Verhaegen ; j'y tiens d'autant plus qu'il m'a adressé des interpellations.

Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit hier, relativement à la révocabilité des desservants ; mes observations à cet égard n'ont pas été réfutées par l'honorable M. Verhaegen ; d'ailleurs, il est probable que nous conserverons chacun notre opinion sur ce point, et que nous discuterions longtemps sans mutuellement nous convaincre.

L'honorable membre approuvant ce que j'ai dit sur la force obligatoire des articles organiques, approuvant l'opinion que j'ai émise, que certains de ces articles sont encore en vigueur, à savoir ceux qui ne sont pas contraires à notre pacte fondamental ou au concordat, lui-même m'a demandé ce que je pensais de l'article 32. Cet article porte :

« Aucun étranger ne pourra être employé dans les fonctions du ministère ecclésiastique sans la permission du gouvernement. »

Eh bien, messieurs, il est de toute évidence, selon moi, que cet article se trouve abroge par l'article 16 de la Constitution, qui est ainsi conçu :

« L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre, etc. »

Ainsi, messieurs, le gouvernement ne peut s'immiscer, en quoi que ce soit, dans la nomination des ministres du culte ; il ne peut donc ni donner, ni refuser l'autorisation de nommer un étranger, pas plus qu'il ne peut donner ou refuser l'autorisation de nommer un Belge. Il est dès lors évident que l’article 32 est venu à tomber devant l'article 16 de la Constitution.

On me dira, peut-être, qu'aux termes de la Constitution, les Belges sont seuls admissibles aux fonctions publiques ; mais, messieurs, les fonctions ecclésiastiques ne sont pas des fonctions publiques dans le sens de l'article 16 de la Constitution, et il est évident que cette disposition de la Constitution ne les concerne en aucune manière.

Du reste, messieurs, la plupart des ministres des cultes dissidents sont étrangers ; les ministres anglicans, les ministres protestants, les ministres luthériens sont tous étrangers, et ils sont tous payés sur les fonds de l'Etat sans qu'aucune réclamation ait jamais été faite à cet égard. Et, en effet, aucune réclamation sérieuse ne pouvait s'élever en présence de l'article 16 de la Constitution.

L'honorable M. Verhaegen, mettant de côté les articles organiques, invoque le droit canonique, et il soutient qu'en vertu de ce droit, les desservants sont inamovibles.

Mais, messieurs, je demanderai si nous devons nous en rapporter à l'honorable M. Verhaegen, plutôt qu'au pape et aux évêques, pour l'interprétation à donner au droit canonique ? Comment le saint-siège déclare d'une manière formelle qu'aux termes du droit canonique les desservants sont révocables ; cette décision du saint-siège est acceptée depuis 1801 et exécutée en France, en Belgique et dans les Pays-Bas ; elle a été récemment renouvelée dans la déclaration faite par le pape à l'évêque de Liège, mais elle n'en est pas moins ancienne ; et maintenant à propos d'un desservant à l'égard duquel l'évêque de Liège a usé de la faculté que lui donne cette décision, on vient dire que le pape n'a pas interprété sainement le droit canonique ! Soutiendra- t-on que c'est aux chambres belges qu'il appartient de donner cette interprétation ? Messieurs, je ne pense pas que l'on puisse soutenir sérieusement que la décision du saint-siège, en cette matière, ne doit pas être respectée.

Encore un mot, messieurs, et je termine.

L'honorable M. Verhaegen m'a accusé d'avoir émis des opinions qu'il ne pouvait pas supposer chez un ministre de la justice et dont il a bien voulu prendre acte. J'ai dit, messieurs, que si un tribunal pouvait, en semblable matière, se déclarer compétent et condamner le gouvernement à payer le traitement d'un desservant révoqué par son évêque, ce serait une véritable nomination de desservant que ferait le tribunal, j'ai ajouté qu'un semblable jugement ne pourrait pas me déterminer à venir demander aux chambres un crédit pour satisfaire à cette condamnation.

Eh bien, messieurs, ce que j'ai dit je le répète et je le maintiens ; je ne pense pas qu'en faisant cette déclaration je manque à aucun de mes devoirs, ni que je méconnais les droits du pouvoir judiciaire. Chaque pouvoir doit rester dans ses attributions, et je ne suppose pas la possibilité de les voir outrepassées par la magistrature, pour laquelle j'ai autant de respect que l'honorable membre.

- La clôture est demandée.

Plusieurs membres. - Sur quoi la clôture ?

D’autres membres. - Sur l'incident.

M. le président - Il n'y a pas d'incident ; il n'y a que la discussion générale.

M. de Haerne. - Je m'oppose à la clôture, parce que je désirerais répondre à quelques observations que je puis considérer jusqu'à un certain point comme un fait personnel.

M. Delehaye. - Messieurs, s'il s'agit seulement de clore la discussion sur la question soulevée par l'honorable M. de Bonne, je ne m'y opposerai pas ; mais je ne pense pas qu'on puisse prononcer en ce moment la clôture de la discussion générale.

M. Wallaert. - Je m'oppose à la clôture, même sur la question de l'inamovibilité ou de l'inamovibilité des desservants. Je n'ai que de très courtes observations à présenter à cet égard, mais ces observations me semblent devoir être faites.

M. Dubus (aîné). - On a demandé s'il s'agissait de clore la discussion générale. Je crois que nous n'avons pas autre chose qu'une discussion générale ; seulement, au lieu de discuter le budget de la justice, on nous entraîne dans la discussion d'une question théologique tout à fait étrangère à la chambre, qui ne concerne la chambre sous aucun rapport. Cela me semble prouver qu'on n'a rien à dire dans la discussion générale du budget de la justice. Si des membres veulent réellement discuter le budget de la justice, qu'ils le déclarent, et qu'on mette fin à une discussion qui nous fait perdre en propos tout à fait oiseux le temps que nous devons consacrer aux affaires publiques.

M. Lebeau. - Je viens, messieurs, m’opposer à toute espèce de clôture. Chacun a le droit, dans la discussion générale, de discuter le budget à son point de vue, et vous ne pouvez pas, sans violer les droits de chaque membre de la chambre, lui prescrire des bornes dans lesquelles il doit se renfermer, aussi longtemps qu'il reste dans les matières qu'embrasse la discussion générale. Il s'agit ici du budget de la justice ; le budget de la justice renferme le chapitre des cultes, et dès lors la discussion soulevée par l'honorable M. de Bonne est parfaitement à sa place. D’ailleurs, à l'occasion de ce chapitre, chacun aurait le droit de rentrer dans la discussion que l’on veut terminer maintenant. Cela est incontestable.

Mais, messieurs, s'il en était autrement, chaque majorité qu'une spécialité de la discussion importunerait, qui trouverait cette partie de la discussion peu de son goût, pourrait toujours déclarer que cette partie est étrangère à l'objet qui est à l'ordre du jour et fermer ainsi la bouche à ses contradicteurs.

M. le président seul peut, aux termes de règlement, rappeler à la question l'orateur qui s'en écarte. Aucune partie de la chambre ne peut exercer ce droit envers l'autre.

Ce serait un révoltant, un intolérable abus de la force.

Ce serait l'oppression de la minorité par la majorité.

Je demande donc que, si la discussion continue, il soit déclaré que c'est la discussion générale, sauf à M. le président de rappeler à la question les orateurs qui s'en écarteraient. et pour le dire en passant, l'observation que vient de faire l'honorable M. Dubus, est la censure de la conduite de M. le président ; car l'honorable M. Dubus a reproché à une partie de cette chambre de gaspiller un temps précieux, en sortant de la question : si cela était vrai, si l'honorable membre avait raison, M. le président aurait manqué à ses devoirs, car le président est là pour rappeler à la question et maintenir aux débats de la chambre toute leur régularité.

M. Dubus (aîné), pour un fait personnel. - Messieurs, l'honorable préopinant prétend que j'aurais fait la critique de la conduite de M. le président ; rien n'a été plus loin de mes intentions. Je me suis borné à faire remarquer ce qui saute aux yeux d'un grand nombre de membres qui m'environnent, que réellement le débat actuel est tout à fait étranger a l'objet à l'ordre du jour, et que nous perdons un temps que nous devrions employer à l'examen des intérêts publics Si donc on est d'avis de continuer (page 661) la discussion, je fais la motion formelle qu'il soit mis fin à la discussion incidente qui a eu lieu sur la question d'inamovibilité et d'amovibilité des desservants, question qui ne nous regarde pas.

M. le président - Avant de mettre la clôture aux voix, je ferai observer de nouveau que la clôture porte, non pas seulement sur la discussion de l'incident, mais sur la discussion générale du budget de la justice.

- La chambre décide que la discussion générale continue. Elle remet à demain la suite de la discussion.

La séance est levée à 4 heures et demie.