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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 10 février 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relatif à la concession du chemin de fer d’Anvers à
Neeritter (Rodenbach)
2) Projet de loi portant approbation
de la convention de commerce conclue avec la France
3) Projet de loi apportant des
modifications aux droits sur les sucres (Malou)
4) Rapports sur des demandes
en naturalisation
5) Projet de loi portant un
crédit spécial au budget du département de la guerre pour exécution de routes
et de travaux de fortifications militaires dans la Campine (Dupont,
de Garcia, Lys, de
Man d’Attenrode, (+servitudes militaires) de La Coste,
Savart-Martel, Vanden Eynde,
d’Hoffschmidt, Pirson, de Tornaco, Osy, (+servitudes militaires)
Dupont)
6) Projet de loi portant un
crédit supplémentaire au budget du département des finances pour le paiement
des pensions des fonctionnaires (Zoude, Malou)
7) Projet de loi portant le
budget du département de la justice pour l’exercice 1846 (d’Anethan)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 611) M. Huveners procède à l'appel nominal à 1 heure et
un quart.
La séance est
ouverte.
M. A. Dubus donne lecture du
procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le conseil communal
de Grobbendonck présente des observations en faveur de la demande en concession
d'un chemin de fer d'Anvers à Neeritter faite par M. A. Desfossés et comp. »
- Sur la proposition
de M.
Rodenbach, appuyée par M. Dubus, cette pétition est renvoyée à la
commission des pétitions.
_______________
« Le sieur François
Humbert, servant au 1er régiment de ligne, né dans le Luxembourg d'un père
français, mais ayant négligé de faire la déclaration nécessaire pour réclamer
la qualité de Belge, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
PROJET DE LOI PORTANT APPROBATION DE LA CONVENTION DE COMMERCE CONCLUE AVEC
LA FRANCE
M. le ministre des affaires étrangères
(M. Dechamps). présente le projet de loi relatif à la convention de
commerce conclue avec la France.
M. le président. - Il est donné acte
à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner
lecture. Ce projet, ainsi que l'exposé des motifs, sera imprimé et distribué
aux membres de la chambre.
Comment la chambre
désire-t-elle que ce projet soit examiné ?
Plusieurs voix. - Par les sections,
par les sections.
- Le projet de loi est
renvoyé à l'examen des sections.
PROJET DE LOI APPORTANT DES MODIFICATIONS AUX DROITS SUR LES SUCRES
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le projet de loi apportant
quelques modifications à la loi du 4 avril 1843 sur les sucres. Je demanderai à
la chambre la permission de lui lire le projet de loi, et d'y joindre quelques
courtes explications.
(Note du webmaster : Le texte intégral
de ce projet de loi, inséré ensuite dans les Annales parlementaires, n’est pas
repris dans cette version numérisée. Les explications données ensuite par le
ministre sont reprises ci-dessous).
(page 612) M.
le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le système de la loi
du 4 avril 1843 repose sur trois bases principales : le rendement légal
inférieur au rendement réel, une retenue de 4/10 au profit du trésor, et enfin,
quant au chiffre de l'accise, une différence de 25 fr. entre le sucre de canne
et le sucre de betterave. Le gouvernement propose de substituer à ces trois
bases le rendement réel, c'est-à-dire le rendement porte à 72 1/2 ; la
suppression complète des retenues au profit du trésor et une réduction de la
différence du taux de l'accise entre les deux sucres. Cette différence, qui
nominalement est aujourd'hui de 25 fr., serait réduite à 7 fr. ; mais elle
deviendrait réelle.
Telles sont les bases
du projet que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter, bases qu'il est
difficile de saisir à la lecture des articles, parce que le projet nouveau, au
lieu de fixer le rendement en centièmes, exprime le même fait par le taux de la
décharge.
La différence qui
existe actuellement entre les deux sucres est en grande partie nominale, à
cause de ce qu'on est convenu d'appeler la prime de mévente. La différence que
nous laissons par le projet, sera réelle, parce que cette prime dite de
mévente, viendra à tomber par suite de la nouvelle loi.
Le projet renferme
encore une disposition, qui établit l'égalité entre les deux sucres, quant à la
décharge pour l'exportation. Par suite de la différence qui existe aujourd'hui,
le sucre de betterave ne peut guère participer au mouvement d'exportation ; il
pourra y participer désormais.
Le but d'une
troisième disposition est de garantir les intérêts du trésor. Si, par suite de
l'exécution de la loi, il était démontré que le rendement de 73 p. c. est trop
inférieur au rendement réel ; et si le mouvement commercial prenait une très
grande extension, il en résulterait que le produit de l'accise diminuerait
proportionnellement à cette extension du mouvement commercial. Pour sauvegarder
le troisième intérêt engagé dans la question, nous avons établi une disposition
qui permet au gouvernement d'élever le rendement ou bien, en d'autres termes,
de réduire la décharge lorsque la recette serait tombée au-dessous de trois
millions. C'est ia une garantie réelle, une garantie qui sera efficace pour les
intérêts du trésor.
En donnant ainsi à
l'exportation des sucres une activité nouvelle, en améliorant notablement la
situation des deux industries sur le marché intérieur, nous avons cru devoir
ajouter, pour le sucre destiné à l'exportation, une disposition qui confère au
gouvernement quelques droits nouveaux. Cette exportation pourrait donner lieu à
des fraudes, des sucres non exportables d'après le vœu de la loi pourraient
être présentées à l'exportation. D'un autre côté l'expérience a démontré que
l'instabilité et les améliorations successives des procédés de fabrication du
sucre indigène laissent le gouvernement désarmé pour percevoir intégralement le
droit tel qu'il est
Nous avons demandé
d'une part les pouvoirs nécessaires pour constater la qualité du sucre présenté
à l'exportation, d'autre part pour suivre les changements qu'on pourrait introduire
dans la fabrication du sucre indigène et qui viendraient réduire le taux de
l'impôt tel qu'il est fixé par la loi.
Telles sont,
messieurs, les dispositions du projet que j'ai l'honneur de vous présenter. Je
me borne à les indiquer. Sous peu de jours, la chambre recevra l'exposé complet
des motifs, qui lui permettra d'apprécier, dans leur ensemble, le but et les
effets probables des diverses dispositions que je viens d'analyser.
M. le président. - Il est donné acte
à M. le ministre delà présentation du projet de loi dont il vient de donner
lecture.
Ce projet et les
motifs qui l'accompagnent seront imprimés et distribués aux membres et renvoyés
à l'examen des sections.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M. Van Cutsem. - J'ai l'honneur de
déposer divers rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront
imprimés et distribués.
La mise à l'ordre du
jour sera ultérieurement fixée.
PROJET DE LOI PORTANT UN CREDIT SPECIAL AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA
GUERRE POUR EXECUTION DE TRAVAUX MILITAIRES
Discussion générale
M. le ministre de la guerre (M.
Dupont). - Messieurs, je désire répondre aux interpellations
qui m'ont été adressées hier par M. de Villegas.
Cet honorable membre
m'a demandé 1° si les travaux projetés à Audenarde comprennent le redressement
de l'Escaut projeté avant 1830.
Il existait
réellement, avant 1830, un projet comprenant un redressement du cours de
l'Escaut à sa sortie d'Audenarde ; mais ce projet devait entraîner une dépense
considérable et hors de proportion avec les avantages qui en résulteraient pour
la défense. Le projet de redresser l'Escaut sur ce point, semble avoir
également été abandonné par l'administration des ponts et chaussées, attendu
que, depuis 1830, il n'en a plus été question.
2° Si le projet qu'on
exécutera est celui qui laisse le plus de terrain à l'intérieur de la ville.
En faisant son choix
entre les divers projets qui ont été présentés pour les travaux qui restent
encore à exécuter à Audenarde, le département de la guerre a eu certainement
égard aux convenances des habitants ; mais il a dû se régler, avant tout,
d'après les besoins de la défense, et c'est en ayant égard à toutes les
conditions à consulter, que ce département s'est décidé pour celui des deux
projets présentés qui laisse le moins de terrain à l'intérieur de la ville ;
mais il est à remarquer que même, dans ce projet, le terrain compris dans
l'enceinte se trouvera augmenté.
Ce dernier projet a
donc déjà l'avantage d'agrandir la ville.
Il est à observer
encore que l'excédant de terrain que l'autre projet laissait à l'intérieur,
n'aurait pas pu être utilisé en entier pour les destinations prévues par l'administration
communale d'Audenarde.
De sorte que la
différence entre les deux projets est en réalité moins défavorable aux vues de
cette administration qu'elle ne le paraît au premier abord.
Puisque j'ai la
parole, je crois devoir répondre à quelques observations qui ont été présentées
hier. On a parlé de l'absence de système. J'ai déjà eu l'honneur de faire
observer à la chambre que le projet concernant Aerschot se lie intimement à la
construction de la forteresse de Diest, qu'un système complet a été présenté en
1835 par mon honorable prédécesseur le général Evain. J'aurai l'honneur de
rappeler encore que la section centrale, qui a été chargée de faire un rapport
sur ce travail, mentionne nominalement le fort d'Aerschot. Depuis ce temps,
depuis 1837, vous avez annuellement voté les fonds pour la construction de la
forteresse de Diest. Le gouvernement avait l'intention de vous demander,
immédiatement après l'achèvement des travaux de cette forteresse, une
allocation pour Aerschot. J'ai eu l'honneur de dire hier à la chambre quelles
sont les circonstances qui ont fait changer la manière de voir du gouvernement.
On dit qu'aucun des
travaux préparatoires relativement à la tête de pont d'Aerschot n'ont été
effectués. Je dois rappeler d'abord que déjà depuis quelques mois des
ingénieurs ont été chargés de ces travaux. J'ajouterai qu'il existe un
avant-projet complet ; que les devis de cet avant-projet sont également
complets ; que c'est d'après ces devis que j'ai pu calculer la limite de ces
travaux et donner à la chambre l'assurance que les dépenses qu'ils
nécessiteraient ne monteraient pas au-delà de 1,500,000 fr.
Vous le voyez, cette
évaluation a été fixée d'après les études mêmes. J'ai dit hier à la chambre que
j'avais pris des mesures pour que les limites n'en fussent en aucun cas
dépassées.
Cet avant-projet, je
m'en suis muni pour le communiquer à la chambre, si elle le juge nécessaire,
ainsi que l'estimation des dépenses. Il est à remarquer que cet avant-projet
pourra être modifié dans quelques détails en l'exécutant, mais qu'il ne pourra
pas être augmenté et que, dans tous les cas, le maximum que j'ai indiqué ne
sera pas dépassé. Le projet complet sera présenté à la chambre quand il sera
fait une nouvelle demande de crédit pour ces travaux.
Je sens la nécessité
de répondre encore à quelques autres observations qui ont été faites. On
suppose que quand j'ai présenté ce projet à la chambre, il y avait ou devait y
avoir des intentions cachées. On a dit que ce projet présentait un caractère
d'inopportunité ; et même on a ajouté qu'il y avait de la maladresse à le
présenter.
Messieurs, ce qui m'a
le plus touché dans ces observations, c'est la supposition qu'il y aurait eu
des intentions cachées. Depuis que j'ai l'honneur d'être en relation avec cette
chambre, je ne l'ai pas habituée à suspecter (page 613) ma franchise et je n'ai autorisé qui que ce soit à
soupçonner que je fusse capable de chercher à venir enlever des voies par
surprise.
Quant à la question
dont il s'agit, que pouvais-je donc cacher ? Qu'y avait-il d'inconnu dans le
projet du gouvernement ? Cette construction dont je demande l'exécution a été
décidée depuis 11 ans, elle a dans tous les temps été présentée comme un
complément à la forteresse de Diest.
Lorsque j'ai demandé
un premier crédit, je n'ignorais pas que la commission viendrait me demander
les conséquences de ce crédit ? Ces conséquences, les ai-je cachées dans mes
relations, soit avec les membres de la commission, soit avec les membres de la
chambre avec lesquels j'ai eu occasion de parler du fort ? Ne me suis-je pas
empressé de faire connaître à la commission par une note précise toute la
portée de ce projet ?
Je crois encore
devoir exposer ici ce qui a donné naissance à la proposition du gouvernement,
et cela viendra à l'appui de ce que je viens d'affirmer.
La route d'Aerschot à
Zammel, voilà la véritable source du projet. Plusieurs membres m'en ont
entretenu ; ils m'ont dit que la construction de cette route présentait une
double utilité, en ce qu'elle serait favorable à l'agriculture et au commerce,
et qu'elle pourrait procurer du travail à la classe ouvrière.
Je répondis
immédiatement à ces honorables membres qu'une grande difficulté se présentait,
que cette roule était, au point de vue militaire, extrêmement dangereuse,
qu'elle nécessiterait la construction d'une tête de pont à Aerschot, que du
reste dans leur système ce serait un nouvel avantage en ce moment, puisqu'il
s'agirait non seulement de travaux occasionnés par la construction de la route,
mais encore des travaux militaires.
Admettant l'utilité
de ces travaux, je me suis enquis des autres parties du royaume que la même
question pouvait intéresser. Je me suis souvenu alors des propositions qui
avaient été faites relativement à la démolition des travaux de campagne
exécutés à Hasselt, en 1831.
D'un
autre côté, j'ai dû me souvenir qu’on avait laissé inachevés les travaux de la
place d'Audenarde, et ces travaux avaient aussi leur double but d'utilité.
Je le répète, il n'y
a eu aucune arrière-pensée dans mes propositions. J'ai agi par la conviction
qu'il s'agissait d'un grand intérêt du pays, d'un devoir à remplir.
Je ne m'inquiète pas
si l'on dit que j'ai rempli mon devoir avec adresse ou non.
Je ferai, toutefois,
observer que ce reproche est directement opposé à celui de défaut de franchise
; car la maladresse consisterait dans un excès de franchise.
M. de Garcia. - Je crois devoir
dire quelques mots pour motiver mon vote sur le projet de loi en discussion.
Je n'userai pas de
précautions oratoires pour chercher à établir que ce vote sera consciencieux.
Pour ceux qui me connaissent, ce serait inutile. Pour ceux qui voudraient
supposer que je suis sous l'influence de certaines préoccupations, ce serait
également inutile. A ces derniers je n'ai qu'une réponse à faire, c'est qu'en
règle générale on ne suppose chez les autres que les sentiments dont on est
susceptible.
Abordons la question.
La loi qui nous est soumise est-elle accompagnée des éléments nécessaires pour
en apprécier la portée, tant au point de vue de la défense du pays, qu'au point
de-vue financier ? Sous ce double rapport, le projet est tout à fait incomplet,
et ne peut être apprécié par la législature. Dès lors, tout en laissant intacte
la question du fond, il doit être ajourné.
Pour combattre cette
pensée qui déjà a été produite, on nous dit qu'il y a un avant-projet et un
devis. Mais cet avant-projet, ce devis, pour être sainement apprécié, auraient
dû être soumis à la commission, et communiqués d'avance à la législature.
Ne supposez pas,
messieurs, qu'à cette occasion je veuille adresser au chef du département de la
guerre ni reproche de subtilité ni de maladresse. Telle n'est et telle ne peut
être ma pensée. Ici je ne veux voir que les faits et les choses.
Dans la séance
d'hier, l'honorable ministre vous a dit qu'il ne s'agissait dans cette affaire
que d'une petite forteresse, qui ne coûterait pas plus d'un million et demi.
Mais rattachez cette observation au discours qu'a prononcé l'honorable général
Goblet ; vous verrez que cette petite forteresse n'est qu'un chaînon de la
ligne de fortifications qui doit garantir votre frontière du nord. Dès lors, le
fait qu'on vous demande de poser, est un acheminement à d'autres ouvrages, à
d'autres dépenses, dont vous ne pouvez, dans l'état actuel, mesurer toute
l'étendue. Prenez-y garde, messieurs, quand vous aurez cette petite forteresse,
on vous dira : C'est incomplet. Si vous ne faites pas tel ou tel autre fort, le
pays n'est pas couvert. Il ne faut donc pas s'y tromper, et c'est ce que prouve
le rapprochement des paroles prononcées par M. le ministre de la guerre et par
M. le comte Goblet ; vous devez être convaincus que l'adoption du projet de loi
vous entraînerait à des dépenses considérables que votre état financier ne
comporte peut-être pas.
A ce dernier point de
vue, il est une autre considération que je ne puis me dispenser de vous
rappeler.
D'après le traité de
Paris, une masse de forteresses était imposée au royaume-uni des Pays-Bas.
L'entretien, l'armement et la défense de ces forteresses étaient à la charge de
ce pays, qui avait des ressources considérables.
Par le traité de
Londres, on a réduit cette charge, parce qu'on ne l'a pas supposée en harmonie
avec les ressources du pays, et la destruction de cinq ou six de ces
fortifications fut décrétée.
Jusqu'à ce jour
aucune mesure n'a été prise à cet égard et vous conservez ces forteresses dont
l'entretien vous coûte considérablement. Conçoit-on que, dans une situation
semblable, on nous propose d'en créer de nouvelles et qu'on nous propose ainsi
d'augmenter une source de dépenses que les puissances alliées elles-mêmes ont
considérées comme n'étant pas en harmonie avec l'importance du pays ?
Comme l'a fait
observer l'honorable M. Lebeau, noire système de défense nationale doit être
coordonné et correspondre à nos ressources. Si nous votons ou si nous
conservons des forteresses au hasard, l'une par ci, l'autre par-là, nous ne
pourrons assurer ni la défense ni même l'entretien ni des unes, ni des autres.
Les ressources du pays n'y suffiront pas. Pour le prouver, je n'aurais qu'une
question à faire : Les forteresses du pays sont-elles garnies du matériel
nécessaire ? Je n'hésite pas à dire que non. A peine sont-elles restaurées.
Pourquoi dès lors parlez-vous de faire des forteresses nouvelles ?
Qu'on nous présente
un ensemble. Qu'on fasse un devis de ce qu'il coûtera au pays. La chambre alors
pourra décider en connaissance de cause et dans les véritables intérêts de la
défense de la pairie auxquels je défie qui que ce soit de porter plus
d'affection que je n'en porte.
Je passe à une autre
question.
L'examen du projet de
loi est-il opportun ? Il est présenté avec une sorte de passeport qui se trouve
dans le paragraphe premier de l'exposé des motifs ; le voici :
« Le gouvernement,
dans le but de procurer du travail à la classe ouvrière pendant la mauvaise
saison, a formé le projet de faire commencer l'exécution de plusieurs travaux
militaires que l'insuffisance des crédits ordinaires a forcé d'ajourner
jusqu'ici. »
Donner de l'ouvrage à
la classe ouvrière ! Mais l'honorable M. Lys a prouvé à l'évidence que ce
travail ne peut être fait dans un temps calamiteux et pour donner de l'ouvrage
à la classe ouvrière.
On dit que
l'insuffisance des crédits ordinaires a forcé jusqu'ici à ajourner ces travaux.
Mais c'est la première fois que j'entends dire que notre état financier actuel
comporte ces dépenses. L'état de nos finances est plus mauvais qu'il ne l'a
jamais été, en raison des dépenses extraordinaires qu'il vous a fallu faire, en
raison des circonstances malheureuses où le pays a été placé par suite du
manque de substances alimentaires.
Je ne puis donc
concevoir comment notre état financier actuel comporte, plus que par le passé,
la dépense qu'on propose.
Au surplus, les
considérations extrêmement justes, présentées par l'honorable M. Manilius, me
dispensent d'en dire davantage.
Je ne touche pas à la
question du fond ; je ne veux pas l'examiner d'après ces considérations. Je
crois que la chambre sentira la nécessité d'ajourner le projet de loi.
J'appuie donc l'ajournement
et par suite l'amendement de l'honorable M. Lys.
M. Dumont remplace M. Liedts
au fauteuil.
M. le président. - M. Lys a la parole
pour développer l'amendement suivant qu'il vient de présenter :
« Art. 1er. Il est
ouvert au département de la guerre un crédit spécial de 153,000 fr. pour être
appliques aux travaux d'achèvement des ouvrages de fortification et de
reconstruction à la forteresse d'Audenarde et de démolition de ceux de Hasselt.
»
M. Lys. - Je demande la
parole pour développer l'amendement que j'ai présenté et qui rectifie celui que
j'ai déposé à la séance d'hier.
J'avais cru, dans le
premier moment, ne pas devoir m'occuper des travaux à faire à Audenarde et à
Hasselt. Je pensais qu'il vaudrait mieux s'en occuper dans la discussion du
budget de la guerre, et que le ministre de la guerre ne s'y serait pas opposé.
Mais comme on pense aujourd'hui que les travaux à faire à Hasselt sont
nécessaires, sont urgents, dans l'intérêt de nos finances j'ai présenté
l'amendement dont il vient d'être donné lecture.
Je présente donc une
disposition nouvelle qui formera l'article premier de la loi, et par lequel une
somme de 153,000 fr. sera employée à l'achèvement des fortifications
d'Audenarde et à la démolition des fortifications de Hasselt.
Quant à l'amendement
que j'ai présenté hier, il formerait l'article 2 de la loi, et je crois l'avoir
suffisamment justifié lors de sa présentation.
M. de Man
d'Attenrode, rapporteur. - Messieurs, avant d'aborder, comme rapporteur, la
défense des propositions du gouvernement, vous me permettrez de dire un mot de
ma position toute spéciale dans ce débat. Cela devient nécessaire après les
paroles qui ont été prononcées dans la séance d'hier par un honorable député de
Gand.
D'après cet honorable
collègue, il semblerait que le projet en discussion n'a été présenté que dans
l'intérêt des représentants de l'arrondissement de Louvain, que M. le ministre
de la guerre ne s'est opposé à la construction des routes, auxquelles notre
mandat nous obligeait de nous intéresser, que pour arriver plus facilement à
ses fins, qu'il y aurait eu un accord entre lui et nous.
Je pense, messieurs,
qu'il suffira, pour vous convaincre qu'il n'en est rien, de vous déclarer qu'il
n'y a eu aucune connivence entre le ministre de la guerre et nous.
Voici, dans toute sa
simplicité, l'origine de ce projet de loi.
La ville d'Aerschot
était en possession, depuis des siècles, d'un marché considérable, en
possession du transit du commerce de la Campine vers Louvain et vers le centre
du pays. Un système de routes fut étudié et s'exécuta dans la Campine, il y a
quelques années. Il résulta de ce système, que le mouvement du commerce de la
Campine, au lieu de se faire par Aerschot et Louvain, se fit par Malines vers
la capitale.
J'administrais
l'arrondissement de Louvain quand cette espèce de dépossession frappa cette
contrée. Je fis à cet égard des remontrances fréquentes au gouvernement, et
depuis lors j'en entretins plusieurs fois la législature.
Notre devoir était de
tâcher d'obtenir une route qui réparât le mal que causait pour la ville
d'Aerschot la situation nouvelle.
(page 614) Après bien des efforts, nous avons obtenu qu'on étudiât
la construction d'une route d'Aerschot vers Westerloo. qu'on fit les plans
elles devis. Entre-temps, le conseil provincial avait arrêté la construction
d'une route d'Aerschot vers Tirlemont.
Il s'agissait,
messieurs, de faire les fonds, et ce n’était pas la chose la plus facile. Nous
obtînmes que le gouvernement contribuât à la dépense pour un tiers ; la
province devait faire un autre tiers et les communes intéressées firent le reste.
Les ouvriers étaient
la bêche à la main ; ils allaient se mettre à l'ouvrage (car un arrêté royal
avait décrété la construction de la route), quand tout à coup le génie
militaire vint s'opposer à son exécution.
Notre devoir était
nécessairement d'engager M. le ministre de la guerre à revenir de sa décision.
Toutes nos représentations furent inutiles.
Telles sont les
circonstances, messieurs, qui ont amené une demande de fonds pour faire une
tête de pont à Aerschot.
J'avoue, messieurs,
qu'il me serait impossible de blâmer M. le ministre de la guerre d'avoir agi
comme il l'a fait. L'honorable général Goblet nous disait hier, à la fin de son
discours, que le gouvernement avait peut-être oublié ce qu'il devait à la
sûreté nationale en permettant la construction de routes nombreuses, sans
exiger en même temps l'établissement de moyens de défense. Je suppose que M. le
ministre de la guerre n'aura pas voulu qu'une accusation pareille pesât sur son
administration, et je crois que nous ne pouvons que l'en louer. C'est, de sa
part, de la fermeté ; c'est du dévouement aux intérêts du pays, et ces qualités
sont trop précieuses, trop rares pour ne pas être appréciées.
Tous les honorables
collègues qui ont pris la parole, se sont associés à la pensée de donner de
l'ouvrage à la classe ouvrière. Je leur en sais infiniment de gré, mais il me
paraît que leurs conclusions ne répondent guère à leurs paroles ; car, pour
donner du travail à la classe ouvrière, il faut vers des crédits ; et
quelques-uns d'entre eux appuient l'ajournement des travaux proposés par le
gouvernement.
L'honorable M. Lys
nous a dit hier que lors même que nous adopterions le projet en discussion,
cela ne donnerait pas de l'ouvrage à la classe ouvrière en temps utile, parce
qu'il resterait encore plusieurs formalités à remplir, que le projet devrait
être examiné par le sénat, que l'on devrait procéder à des adjudications, que
dès lors les constructions ne seraient commencées que dans la saison où les
ouvriers seraient pourvus suffisamment d'ouvrage. Messieurs, c'est la une
erreur. Si vous accordez le crédit demande pour faire les travaux de défense à
Aerschot, dès que le principe sera voté, on pourra mettre la main à l'exécution
des routes. Car, comme je l'ai dit, on n'attend que la levée de l'opposition du
génie militaire ; les fonds sont faits, les ouvriers attendent la pelle à la
main qu'on leur permette de travailler. C'est donc donner du travail à la
classe ouvrière, et en donner immédiatement, que d'adopter au moins le principe
du projet présenté par le gouvernement.
L'honorable M.
Lebeau, l'un des premiers orateurs qui ont parlé sur cette question, nous a
déclaré qu'il ne refusait pas au gouvernement les moyens de défense qu'il
jugeait utiles, que cependant il désirerait l'ajournement du projet en discussion,
parce qu'il n'était pas suffisamment éclairé sur la nécessité de la dépense, et
sur le montant de la somme à laquelle elle s'élèverait. Lorsque l'honorable M.
Lebeau a parlé, l'honorable général Goblet n'avait pas encore prononcé le
discours remarquable que nous avons entendu hier, et qui, je n'en doute pas,
aura fait disparaître toutes les incertitudes de l'honorable député de
Bruxelles, et l'aura convaincu de la nécessité des travaux de défense que l'on
veut établir à Aerschot.
Quant au montant de
la dépense, M. le ministre de la guerre s'est engagé à ne pas dépasser la somme
de 1,500,000 fr. Mais je désirerais qu'il voulût prendre de nouveaux
engagements à cet égard ; car il paraît que plusieurs honorables collègues ne
sont pas entièrement rassurés. Je ferai remarquer cependant qu'une dépêche sur
ce point a été adressée à la commission, qu'elle se trouve annexée au rapport,
et qu'elle est de nature à donner toute espèce d'apaisements. Je crois,
messieurs, que nous pouvons avoir toute confiance dans l'honorable ministre de
la guerre, et que la déclaration qu'il a faite devrait suffire. Cependant
puisqu'il paraît qu'il n'en est pas ainsi, j'insisterai pour qu'il veuille bien
prendre de nouveaux engagements.
Vous me permettrez
aussi, messieurs, de vous faire connaître mon opinion sur la question de
l'utilité de la dépense.
Avant 1830, sous le
gouvernement des Pays-Bas, la Hollande avait sa frontière du midi défendue par
une ligne de forteresses formidables. Devant cette ligne de forteresses, se
trouvait tout un pays peu cultivé et dépourvu de routes. Les deux seules
chaussées qui existassent étaient celles d'Anvers vers Breda et celle de Liège
vers Bois-le-Duc. Malgré sa ligne de forteresses, le gouvernement des Pays-Bas
croyait encore nécessaire, pour la défense des provinces septentrionales, de ne
permettre la construction d'aucune route nouvelle. Il en résulta que la Campine
fut condamnée à une espèce de stérilité, à un véritable abandon.
Depuis 1830, les
choses ont changé. Nous avons désiré faire en quelque sorte de la Campine une
province nouvelle. Les réclamations ont été tellement vives que le gouvernement
s'est vu obligé de permettre la construction d'une foule de routes, avant
d'avoir exécuté les travaux de défense qu'elles nécessiterait. Le gouvernement
a donc été en quelque sorte débordé.
Cependant, messieurs,
notre position est bien différente de celle de la Hollande ; nous n'avons pas,
comme elle, une ligne de forteresses formidables, et il me paraît impossible
qu'on ne reconnaisse pas l'utilité, la nécessité de nous créer quelques moyens
de défense en présence de ces forteresses. Je crois que celles-ci présentent
une ligne offensive et que nous devons leur opposer une autre ligne, qui, si
elle n'est pas aussi formidable, donne au moins quelques garanties au pays.
J'ajouterai,
messieurs, une autre considération. Souvent, en m’adressant à des officiers du
génie, je leur ai demandé : Pourquoivous opposez-vous à la construction de
routes pavées dans la Campine ? Cette contrée n'offre pas des chemins si
mauvais ; c'est un fond de sable et l'on peut y passer en toute saison. Or,
voici les raisons pour lesquelles le génie militaire s'oppose à la création de
ces routes. La frontière étant très rapprochée du centre du pays, les questions
de temps sont ici extrêmement graves. Dans un grand pays comme la France,
l'ennemi peut impunément faire une pointe de 25 lieues ; plus tard l'armée peut
changer les conditions de la guerre. Mais il n'en est pas de même en Belgique ;
que l'ennemi y fasse une pointe de 25 lieues, et il occupe la capitale. Vous
concevez donc qu'il est très important que des routes ne viennent pas rendre le
trajet plus facile, et conséquemment plus court. Or quand un matériel passera
sur un fond de sable, il avancera moins vite que sur des routes pavées.
Je crois donc,
messieurs, qu'on ne peut contester l'utilité des travaux de défense qu'il
s'agit d'établir à Aerschot. En 1835, l'honorable général Evain, homme spécial en
cette matière, l’une des notabilités militaires du grand empire, a présenté un
système de fortifications pour notre frontière du nord. Tous ses successeurs au
ministère ont été d'accord pour soutenir ce système. Une commission de la
chambre lui a donné sa sanction à l'unanimité moins un membre qui s'est
abstenu. Le rapport a été fait par un des officiers les plus distingués de
notre armée, officier dont nous regrettons encore la perte. L'inspecteur
général des fortifications, que nous possédons dans cette enceinte, se prononce
aussi pour ce système. Je ne crois pas, en présence de cette unanimité, qu'il
soit encore possible de mettre en doute la question de nécessité.
Après l'honorable M.
Lebeau, un honorable député de Verviers est venu proposer l'ajournement du
projet. Il s'est basé sur ce que nous n'avons ni plans ni devis, et il a ajouté
qu'en adoptant le projet on ne donnerait pas d'ouvrage aux ouvriers. Je puis
vous déclarer, messieurs, que cette dernière assertion n'est nullement fondée
et que si vous l'adoptez, vous donnerez de l'ouvrage aux ouvriers dans la
huitaine. Je conviens que nous n'avons ni plans ni devis détaillés, mais le
gouvernement vous a déclaré cependant quelle était la nature des travaux qu'il
se propose de faire construire à Aerschot. Il nous a dit qu'il ne s'agissait
pas d'une enceinte fortifiée, qu'il ne s'agissait que d'une tête de pont. Or
tout le monde sait ce que c'est qu'une tête de pont ; il ne faut ni plans ni
devis pour apprécier un ouvrage de cette nature. Il nous dit ensuite qu’il veut
un barrage, et c'est encore là un ouvrage dont on peut aisément se rendre
compte. Ainsi, messieurs, par les détails fournis à la commission, nous savons
parfaitement quelle est la nature des travaux à exécuter.
Je ne comprends pas
d'ailleurs pour quel motif on serait plus difficile en cette circonstance qu'on
ne l'a été dans d'autres. L'année dernière, il s'agissait d'une dépense de 5 à
6 millions pour l'exécution d'un canal de Liège à Maestricht ; il n'y avait ni
plans ni devis ; rien n'était arrêté et cependant la chambre a volé le projet.
A-t-on demandé des plans pour les travaux du chemin de fer ? En a-t-on demandé
pour l'immense station qui se construit à Bruxelles au débarcadère du Nord ?
M. Brabant. - On a eu tort.
M. de Man d'Attenrode. - J'avoue que là il
eût été utile d'exiger des renseignements détaillés, puisqu'il s'agissait
d'ouvrages que les membres de la chambre peuvent apprécier, mais il en serait
tout autrement pour des travaux de fortifications. Je vous le demande en effet,
messieurs, quel est celui d'entre nous, à l'exception peut-être de l'honorable
général Goblet, qui puisse se déclarer compétent pour émettre une opinion sur
des travaux de cette nature ?
L'honorable M. Mast
de Vries a paru un peu plus favorable au projet. Seulement il a manifesté la
crainte que la dépense ne dépassât de beaucoup les prévisions ; et, d'un autre
côté, il aurait voulu que le gouvernement nous présentât un système général.
Sous ce dernier rapport, messieurs, je renverrai l'honorable membre au système
qui a été élaboré par des hommes tout à fait compétents, et à l'exécution d'une
partie duquel nous avons déjà consacré cinq ou six millions. Je veux parler des
travaux faits à Diest, et dont ceux-ci ne sont que la suite, la conséquence
nécessaire.
L'honorable M. Mast
de Vries désirerait savoir ce qu'on entend faire à Lierre. M. le ministre de la
guerre lui donnera, je l'espère, des éclaircissements à cet égard.
Quant aux craintes
manifestées par l'honorable membre sur le chiffre de la dépense à résulter de
la tête de pont qu'il s'agit de construire à Aerschot, il a fait remarquer que
la dépense faite à Diest s'est élevée au double de ce qu'on prévoyait. Voici,
messieurs, l'explication naturelle de ce fait. D'après les évaluations de la
commission, la dépense devait s'élever à 5 millions pour Diest, et à 5,600,000
fr. pour Zammel, mais le gouvernement a abandonné, paraît-il, la pensée de
fortifier Zammel ; if a conçu un projet nouveau, d'après lequel les travaux que
l'on voulait d'abord exécuter à Zammel se trouvaient remplacés par des ouvrages
plus considérables à établir à Diest, c'est-à-dire que tout ce qui devait être
fait à Diest et à Zammel a été reporté sur la seule place de Diest. Eh bien,
messieurs, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le dire, l'ensemble des
travaux qu il s'agissait d'abord de construire, était évalué à 8 millions 600
mille francs ; les dépenses faites jusqu'à présent, en exécution du nouveau
projet, s'élèvent à 5,766,217 67 ; il reste encore à faire des travaux pour
1,800,000, ce qui élèvera la dépense totale à 7,506,217 67. De sorte qu'elle
restera de 1,003,782 33 inférieure aux prévisions de la commission.
J'arrive, messieurs,
aux observations présentées par un honorable député de Gand, celui de mes
adversaires qui a traité cet intérêt avec le (page 615) moins de ménagement. Cet honorable membre a contesté
entièrement l'utilité de travaux de cette nature et il n'a vu dans la question
qu'un simple intérêt de localité ; il a dit qu'il ne consentirait à des travaux
de fortifications qu'en temps de guerre.
Je vous avoue,
messieurs, que je ne comprends pas ce raisonnement ; lorsque la guerre éclate
ou qu'elle est sur le point d'éclater,on n'a plus le temps de faire des
fortifications, à moins que l'honorable M. Manilius, par une espèce
d'enchantement, ne connaisse le moyen de faire sortir les murs et les bastions
de terre et de les faire pousser comme des champignons.
L'honorable M.
Manilius s'est élevé aussi contre les servitudes. Je conviens avec lui que ces
servitudes sont pénibles pour les propriétaires, mais c'est un sacrifice qu'ils
doivent faire dans l'intérêt de la défense du pays. Mais puisque l'honorable
membre est si susceptible en ce qui concerne l'intérêt des propriétaires,
j'aurais désiré qu'il eût aussi témoigné quelque sollicitude pour les intérêts
si importants des localités dont il s'agit en ce moment. Ces localités
subissent une servitude bien autrement onéreuse : on les empêche de participer
au mouvement qui existe dans tout le reste du pays sous le rapport des voies de
communication. et vous conviendrez, messieurs, que cette situation n'est pas
tolérable.
Il
s'agit donc, messieurs, de voter une somme de 300,000 fr. pendant quatre ou
cinq ans, ce qui couvrirait la dépense nécessaire pour délivrer une partie
importante du pays des obstacles qui s'opposent à ce que des routes y soient
construites, car des notabilités militaires m'ont assuré que dès que l'on aura
construit le petit fort dont il s'agit, le génie ne s'opposera plus à la
construction de routes dans la Campine. Si maintenant la chambre ne veut pas
voter le crédit demandé, alors j'espère, au moins, qu'elle m'aidera à obtenir
du gouvernement qu'il lève l'interdit qui pèse sur cette contrée. La chambre,
il est vrai, assumera là une grave responsabilité et elle en déchargera le
ministre de la guerre ; ce sera la conséquence nécessaire du rejet du projet de
loi, car il est impossible que l'on s'oppose plus longtemps à l'amélioration
des communications de la partie du pays que je défends en ce moment. Quant à
moi, cette responsabilité ne pourra pas m'atteindre, car j'ai fait tous mes
efforts pour engager la chambre à voter au moins le principe du projet. Mais,
je le répète, si ce projet est repoussé, il faut que la chambre fasse en sorte
que dans tous les cas la route soit construite. Je termine, messieurs, en
émettant le vœu que vous ne m'imposerez pas la dure nécessité de plaider en
faveur de ceux qui m'ont envoyé siéger dans cette enceinte aux dépens des
intérêts de la défense du pays.
M. de La Coste.
- Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. Manilius a qualifié
la part que prennent à ce débat les députés de l'arrondissement de Louvain,
d'une manière que je ne pouvais accepter. L'honorable M. de Man d'Attenrode lui
a déjà répondu en partie. Cependant, puisque j'ai la parole j'en profiterai
pour passer en revue quelques-unes des objections qui ont été faites.
Je ne prétends pas
lutter avec l'honorable membre auquel je réponds principalement, en ce genre
d'éloquence incisive qu'il manie si facilement ; je considère la chose comme
grave, comme sérieuse, non pas grave relativement à la somme à dépenser, car
s'il s'agissait de quelques travaux qui intéressassent les Flandres, qui
intéressassent telle autre province, on n'y ferait pas attention, on
s'étonnerait que quelqu'un voulût y réfléchir un moment ; mais la chose est
grave, messieurs, parce que bien que restreinte dans un cadre très étroit, elle
touche à tout ce qu'il y a de plus grave, à tout ce qu'il y a de plus sacré ;
elle touche au travail, à l'existence des classes laborieuses, elle touche à la
justice de la chambre, elle touche à la défense et à l’honneur du pays. Je
continuerai donc, messieurs, à la traiter avec gravité, tout en me servant des
arguments que l'honorable membre auquel je réponds, a bien voulu me fournir.
Messieurs, un autre
orateur, l'honorable M. Lys, a dit qu'il était inutile de faciliter les moyens
de travail dans cette partie du pays, de la manière dont on se propose de le
faire, parce que cela arriverait trop tard. L'honorable M. de Man d'Attenrode a
déjà répondu à cette objection et j'ajouterai à ce qu'il a dit, que les
véritables difficultés, les véritables embarras, quant aux subsistances, ne se
présentent pas maintenant, qu'ils se présenteront dans un mois, dans deux mois.
On paraît croire,
messieurs, que si le besoin de travail se fait sentir d'une manière très
spéciale dans les Flandres par exemple, on ne l'éprouve pas dans les localités
dont il s'agit en ce moment. Eh bien, j'ai encore sous la main une lettre que
j'ai reçue d'Aerschot, à la fin de décembre et où l'on insiste beaucoup sur
l'exécution de la route vers Zammel, parce que, porte cette lettre, « il y a
ici beaucoup de pauvres sans ouvrage, que l'on pourrait employer, et que par ce
moyen on pourrait soulager la misère publique. » Cette lettre, messieurs, émane
d'une personne très respectable, qui demeure sur les lieux et qui n'a pas
d'autre intérêt dans l'affaire que l'intérêt d'humanité qui lui a dicté les
paroles que je viens de citer.
Il me semble,
messieurs, que dans cette discussion l'on confond souvent deux choses tout à
fait différentes : on confond les motifs que nous pouvons avoir d'accélérer une
résolution avec les motifs de la résolution même.
Ceux que je viens
d'indiquer, n'ont aucun rapport au fond de la question, mais ils justifient le
gouvernement d'avoir désiré qu'elle fût à la fin résolue ; ils justifient les
députés de Louvain d'avoir insisté pour que la chambre s'en occupât ; ils
justifient enfin la chambre de s'y être décidée ; car la chambre a décidé
qu’elle s'en occuperait en mettant l'affaire à l'ordre du jour malgré
l’opposition qui a été faite contre cet ordre du jour.
Messieurs, on a dit
qu'il serait inopportun de travailler à des ouvrages de défense dans un moment
où nous avons un négociateur à la Haye. Ceci n'est pas sérieux. Le gouvernement
des Pays-Bas fait de son côté, et dans le but de donner de l'occupation à la
classe ouvrière, accélérer les travaux des nouvelles fortifications qui font
face à la Belgique. Voilà ce que nous ont appris les journaux, il y a déjà
assez longtemps. Le gouvernement des Pays-Bas n'a pas cru qu'il prenait par là
une position hostile vis à-vis de la Belgique. Personne n'a songé, ni de la
part du gouvernement, ni dans cette chambre, à réclamer contre cela, à demander
des explications. Il me semble donc que cette objection, comme je l'ai dit, n'a
rien de sérieux. Je ne désire pas, messieurs, que dans nos relations internationales
nous prenions une attitude de jactance, de forfanterie ; mais je ne voudrais
pas qu'une prétendue prudence descendît jusqu'à l'humiliation.
Messieurs, s'il était
possible d'assigner à l'affaire qui nous occupe une influence quelconque sur les
négociations, je dis qu'il faudrait faire le raisonnement contraire. En effet,
messieurs, si la loi était rejetée, que pourrait-on dire ? « Voilà un
point de la ligne de défense de la Belgique qui est tellement vulnérable que
l'on craindrait d'y établir une route ; le gouvernement a demandé, pour
fortifier ce point, une somme de 1,500,000 fr. à répartir sur cinq années,
somme qui se réduira même à 1,200,000 fr., à cause des aliénations de terrain ;
eh bien, on prend si peu d'intérêt à la défense du territoire que cette
allocation a été refusée. » Je pense que prendre en ce moment une telle
position, ce serait en prendre une mauvaise et qui ne nous convient pas, tandis
qu'on ne saurait considérer comme une menace de mettre la main à un ouvrage qui
ne doit être terminé que dans cinq ans.
Messieurs, j'en
conviens, je crois de mon devoir de défendre l'intérêt local, précisément parce
qu'il a peu de défenseurs. Ce que Flandre veut, Dieu le veut ; ce que
l'opposition veut, le ministère le veut souvent. L'intérêt des localités
auxquelles j'appartiens demeure isolé. Il faut bien que nous le recommandions à
votre attention, à voire justice ; mais si je considérais la question
uniquement au point de vue de l'intérêt local, je m'associerais entièrement aux
vues de l'honorable M. Manilius.
L'honorable membre me
donne bien plus que le ministère et à meilleur marché. L'honorable M. Manilius
s'endort sur l'oreiller des 24 articles. Qu'avons-nous besoin d'ouvrages de
défense ? N'avons-nous pas les 24 articles ? Ne sommes-nous pas neutres ?
Au point de vue de
l'intérêt local, voilà tout ce qu'il me faut. Si la chambre admet ce principe,
tous les ouvrages qu'on nous refuse maintenant doivent être exécutés. Si le
point est vulnérable, il est couvert par les 24 articles. Qui donc pourrait
empêcher d'y faire passer une route ?
Ainsi le rejet de la
loi, ou ce qui revient au même, l'adoption de l'amendement de l'honorable M.
Lys, dicté par de semblables considérations, comblerait les vœux des localités.
Il est évident qu'après un tel vote, le ministère ne pourrait plus avoir aucun
motif de s'opposer aux travaux que nous demandons. La responsabilité ne
pèserait plus sur lui, la chambre l'aurait assumée.
Convenons-en,
messieurs, ce rejet ne serait pas un ajournement, il serait probablement
définitif ; difficilement nous reviendrions sur cette décision, plus
difficilement encore nous embrasserions dans une discussion générale tout notre
système de défense. Déjà, messieurs, nous avons voulu le faire, déjà nous avons
voulu subordonner l'organisation de l'armée à la solution de cette question. Eh
bien, après avoir entendu toutes les observations qui ont été échangées à ce
sujet, avons-nous ajourné la discussion de la loi de l'organisation de l'année
? Non, nous avons voté l'organisation de l'armée, sans exiger que cette
condition fût préalablement remplie.
Quant à moi, quelque
intérêt que je prenne à notre armée, ce n'est pas uniquement un vote de
sympathie pour elle, encore moins un vote destiné à capter sa sympathie, que
j'ai émis, lorsque j'ai donné mon assentiment à la loi de l'organisation de
l'armée ; je n'ai pas voté cette organisation pour offrir une avant-garde à une
armée envahissante, dans le cas d'une conflagration générale en Europe ; j'ai
voté cette organisation, pour que nous puissions mettre, au besoin, un poids
dans la balance de nos propres destinées, et surtout pour que nous puissions
nous mettre à l'abri de quelques-unes de ces subites insultes qui, sans décider
de la destinée d'un peuple, laissent après elles la honte et des désastres.
Quoique j'aie
professé très sincèrement mon incompétence dans cette question militaire, c'est
une incompétence relative ; je n'abdique pas les droits du bon sens, et le mien
me dit que c'est manquer à ce que nous devons à la défense du pays, que de
disposer les choses de manière que cette armée que nous avons voulu organiser,
lorsqu'elle aurait à manœuvrer parallèlement au Démer, présentât un flanc
découvert à nos adversaires, tandis qu'il faudrait, au contraire, ce me semble,
que lorsque nos adversaires auraient à manœuvrer perpendiculairement à cette
ligne et voudraient la dépasser, ce fussent eux qui se trouvassent obligés à
nous prêter le flanc.
En
négligeant ces considérations nous imiterions la faute des Etats Généraux de
Hollande, sous la direction du grand pensionnaire de Witt, faute qui a amené
une invasion dans le sein de la Hollande. Nous semblerions prendre au sérieux
l'ironie d'un grand écrivain français, de M. de Chateaubriand, lorsqu'il
écrivait que nous n'avions plus désormais qu'a nous livrer à des têtes
flamandes, couronnes de pampres et de houblons.
Messieurs, ce que
j'ai dit, non pas au point de vue local, mais à un point de vue très général,
je le livre à l'appréciation de l'orateur qui a ouvert la discussion. Si, par
un de ces revirements qui appartiennent au jeu de nos institutions, cet
honorable membre ou ses amis politiques se trouvaient au banc des ministres, il
sentira alors qu'il est de sa responsabilité de soutenir la thèse que je
défends maintenant : il regrettera peut-être que l'occasion ne s'en présente
plus ; il verra qu'il n'est pas toujours facile de bâtir avec les décombres
qu'on a faits.
M. Savart-Martel. - Messieurs, pour
moi, il reste vrai que les travaux proposés ont un but d'utilité réelle pour la
défense du pays. Les raisons données (page
616) par l'honorable ministre de la guerre, et par notre honorable collègue
le général Goblet, sont des autorités d'autant plus respectables, qu'elles
émanent des fonctionnaires les plus compétents. Mais entre l'utilité et la
nécessité actuelle, il y a loin ; or c'est cette nécessité actuelle que je
viens contredire ici.
S'il est vrai que la
guerre soit un fléau, qu'on ne puisse pas plus prévoir que la peste et la famine,
encore peut-on dire, avec quelque certitude morale, que ce fléau est éloigné de
nous : car la politique des nations qui nous environnent, c'est la paix, la
paix à conserver au prix même de grands sacrifices. Les cabinets savent qu'on
ne pourrait guerroyer aujourd'hui en Europe, sans ébranler tous les trônes, et
compromettre le sort de tous les Etats.
D'autre part, notre
pays est destiné, si l'on en croit les traités, à une neutralité perpétuelle.
Ce n'est pas que j'aie dans ces traités une confiance aveugle ; mais qui donc
nous ferait la guerre ? Serait-ce une puissance du premier ordre. Les millions
qu'on vous demande de dépenser à ce jour, ne remédieraient à rien, quand bien
même vous y joindriez d'autres millions encore. Serait-ce une puissance d'un
ordre inférieur ? L'intérêt des grands Etats y mettrait un veto qui
s'accorderait parfaitement avec la garantie qu'ils nous ont promise.
Sans doute, nous
pourrions être entraînés dans une guerre générale malgré nous ; mais alors on
doit s'attendre qu'il surgirait des événements qui dépassent toutes les
prévisions humaines ; et peut-être les travaux, que nous ferions à ce jour,
nous seraient-ils plus nuisibles qu'utiles.
En raisonnant donc
d'après les probabilités humaines, les travaux dont il s'agit ne paraissent
point urgents en ce moment.
La société court
d'autres dangers que la guerre ; il y a des périls plus imminents... Vous les
connaissez...
Au surplus,
l'honorable ministre de la guerre semble avoir reconnu lui-même ce défaut
d'urgence ; car il a invoqué un but philanthropique, celui d'occuper en ce
moment nos ouvriers ; mais l'observation très judicieuse de l'honorable M. Lys
est restée sans réponse. Il est évident que lors même que nous voterions
aujourd'hui les fonds demandés, il s'écoulerait encore deux à trois mois avant
que les ouvrages puissent être commencés ; en sorte que nous nous trouverions
précisément au moment où l'industrie et l'agriculture réclament tous les bras,
au moment où les travaux de chemins de fer seront dans leur plus grande activité.
Le but invoqué par
l'honorable ministre ne prouve qu'une chose (dont moi je n'ai jamais douté) ;
c'est que les talents et les vertus militaires s'accordent parfaitement avec la
philanthropie et les vertus civiques.
Notre honorable
collègue, M. Manilius, s'est plaint, et avec justice, des servitudes légales
(c'est le mot technique) qu'entraînent les travaux militaires ; et il a profité
de la circonstance pour appeler l'attention du gouvernement à cet égard.
L'honorable ministre
lui a répondu par les lois et la jurisprudence qui consacrent ces servitudes ;
mais c'est précisément ce qui prouve que l'honorable collègue est dans son
droit, car il ne prétend pas que le ministre agit illégalement, mais il désire
une révision de cette partie de la législation qui me cadre plus avec nos
mœurs. Au surplus, je pense que, comme moi, il sera persuadé que cette révision
qui présente de graves, de très graves difficultés, ne peut avoir lieu
incidemment, mais devrait être l'objet d'une loi particulière. J'ai eu occasion,
messieurs, d'étudier tout particulièrement cette partie de notre droit, et je
vous avoue qu'on y rencontre des difficultés presque inextricables.
Mais si les travaux
militaires imposent des servitudes légales très onéreuses au droit de
propriété, servitudes qui pourraient ruiner le plus bel établissement, c'est
une raison de plus, pour ne confectionner les travaux militaires qu'avec une
extrême circonspection. Il ne faut pas vexer d'avance les enfants du pays, par
crainte d'un ennemi qui n'existe pas encore, et qui peut être n'existera
jamais.
Il ne faut pas
sacrifier le présent à des éventualités, d'ailleurs fort incertaines et très
éloignées.
La pensée que j'émets
ne doit pas être prise dans un sens absolu. Je sais que, pour se mettre en état
de défense, on ne peut attendre le péril imminent ; mais entre ce péril, et
l'état actuel de l'Europe, il y a une énorme distance.
Et d'ailleurs, la
question de finances n'est-elle donc rien ? Croyez-vous que le contribuable,
que vous devrez grever encore de nouveaux impôts, pourra toujours en supporter
la charge ?
Chaque jour on nous
présente des projets de loi pour obtenir des crédits, c'est-à-dire grever le
peuple ; jamais il n'en arrive aucun pour le soulager. Au lieu d'un
gouvernement à bon marché, nous trouvons le gouvernement le plus exigeant de
l'Europe, comparaison gardée avec la fortune de ses administrés.
Aujourd'hui on vient
nous demander des sommes, qui finiront par se composer de plusieurs millions.
Demain, ce sera des
sommes à voter pour une superfétation politique, appelée conseil d'Etat.
Après-demain, ce sera
une remise (juste peut-être) pour l'importation de sucre, postérieure à la loi
du 14 janvier 1844.
Viendront ensuite les
lois de philanthropie, qui se traduiront en sommes plus ou moins fortes que
demandera le gouvernement.
Viendra peut-être,
enfin, la loi sur l'instruction secondaire, laquelle, si elle ressemble à sa
sœur aînée, grèvera de nouveau et le trésor public et les provinces et les
communes.
Quand donc nous
présentera-t-on une loi de dégrèvement ? Jamais ; parce que chaque département
ministériel trouvera toujours des choses utiles à son administration, et qu'à
ses yeux l'utilité équivaut à la nécessité.
Et puis, comme l'a
très bien dit l'honorable M. Mast de Vries en répondant au ministre, « nous
devons savoir où nous irons, sans cela les millions viendraient s’entasser les
uns sur les autres. En votant le crédit qu'on nous demande à ce jour, nous nous
engageons d'avance à allouer toutes les sommes qui nous seraient demandées à
l'avenir pour la place d'Aerschot. » Au reste, les explications que vient de
nous donner l'honorable rapporteur de la section centrale, me font voir qu'il
s'agit ici bien moins de l'intérêt général, que de l'intérêt de quelques
localités qu'on voudrait indemniser au moyen des travaux qu'on nous propose, et
dont l'urgence, je le répète, ne m'est point démontrée.
Qu'il me soit permis
d'ajouter (dans la prévision que l'état de guerre est loin de nous) que l'on
doit agir avec d'autant plus de circonspection, que nous sommes dans un moment
où les chemins, les routes, les canaux, et surtout les voies ferrées reçoivent
des changements qui pourraient faire regretter les travaux militaires que nous
nous empresserions d'ordonner.
Et lorsqu'à ces moyens vous joignez les raisons qu'a
développées l'honorable M. Lebeau, je n'oserai me décider en faveur du projet.
Attendons que notre
état financier soit plus heureux ; il le sera quand vous le voudrez absolument.
Je finirai en priant
M. le ministre de nous dire, si faire se peut, à qui appartiennent les remparts
de la ville de Tournay, et s'ils sont au nombre des terrains qu'il se propose
de vendre ; et si mes demandes ne peuvent recevoir réponse à ce jour, car
M. le ministre n'a pas dû les prévoir, sous peu il y pourrait satisfaire ; car
le doute compromet chaque jour l'intérêt de voisins.
M. Vanden Eynde. - Messieurs, comme le
disait hier l'honorable général Goblet, le projet de fortifier les villes de
Diest, d'Aerschot, de Malines et de Lierre, ainsi que le point de Zammel, date
de 1835. A cette époque, le gouvernement avait résolu de fortifier ces villes,
la province d'Anvers insistant alors vivement, pour obtenir l'autorisation de
construire des routes dans toute l'étendue de cette province, qui en était
dépourvue. Le gouvernement subordonnait la construction de ces grandes routes,
qui devaient se diriger de Turnhout vers Diest, Malines, Lierre et Herenthals,
à l'exécution d'ouvrages de fortification dans les villes que je viens de
nommer, et à la construction d'un fort au point de Zammel : dépense qui devait
s'élever à 5 millions.
Je ne sais pourquoi
ni comment le gouvernement a abandonné ce système ; il a autorisé la
construction des principales routes. Ainsi, depuis plus de deux ans, la route
de Turnhout vers Herenthals, celle de Turnhout vers Lierre et celle de Turnhout
vers Malines sont construites ; il en est de même de la route de Turnhout vers
Diest, qui est le seul point vers lequel les fortifications sont achevées du
côté de la Campine.
Aujourd'hui, à
l'occasion d'un arrêté royal qui décrète un embranchement de deux lieues,
lequel doit relier la ville d'Aerschot à la route de Turnhout vers Malines, le
département de la guerre, auquel cependant cet arrêté avait réservé un rôle
très important pour la détermination du tracé ; le département de la guerre, ne
tenant aucun compte de l'arrêté royal, vient faire opposition, et le
département des travaux publics a la faiblesse de ne pas exécuter un arrêté
publié au Moniteur, et qui, par conséquent, donne un droit acquis aux provinces
et aux communes qui contribuent pour les deux tiers environ dans les dépenses
de construction de la route. Vous sentez, messieurs, que cette conduite du
gouvernement a lieu de surprendre les habitants de la Campine et du Brabant,
qui sont intéressés à l’exécution d'une route qui est d'une importance majeure,
non seulement pour la Campine, mais encore pour le débouché des provinces
méridionales. Car, vous le savez, c'est des provinces méridionales que la
Campine doit tirer son charbon, sa chaux, ses pierres de taille, et c'est dans
ces provinces qu'elle doit verser le grains qu'elle récolte et tous ses
produits.
A la première vue du
projet que le gouvernement propose, j'ai examiné la question de savoir s'il y
avait nécessité ou tout au moins utilité à faire un fort au nord d'Aerschot.
J'ai déjà eu l'honneur de m'expliquer en partie sur l'opinion que j'ai arrêtée
à l'égard de ce fort ; pour ma part, je ne crois pas qu'il y ait nécessité de
construire un fort à Aerschot pour empêcher l'entrée des Hollandais.
L'honorable général Goblet est venu établir hier que j'avais parfaitement
raison. Il a reconnu que l'intérêt majeur qu'avaient les populations de la
Campine de se mettre en relations directes avec les provinces méridionales
était plus grand, plus pressant que l'intérêt de la défense du pays, de ce
côté, contre une prétendue invasion des Hollandais. C'est ce qui a déterminé le
département de la guerre a ne pas s'opposer à la construction des routes
principales, actuellement achevées.
Eh bien, cet intérêt
si majeur, pourquoi n'existerait-il pas pour l'embranchement de deux lieues
seulement qui doit relier la route de Heist-op-den-Berg à Westerloo, à la ville
d'Aerschot ? Pourquoi cet intérêt majeur des habitants de ces contrées
n'existerait-il pas pour ce petit embranchement, aussi bien que pour les autres
routes de 8 a 10 lieues, dont je viens de vous parler ? Je prouve par-là que
l'opposition du gouvernement à laisser construire cet embranchement avant la
construction du fort d'Aerschot, est mal fondée.
Il importe que
j'examine aussi la question d'utilité de la construction d'un fort à Aerschot.
Si je m'en rapportais à certains auteurs fort remarquables qui ont traité cette
matière, je dirais que la construction de fortifications pour arrêter l'ennemi
est une chose abandonnée dans la stratégie militaire. Pour ma part, moi qui me
reconnais tout à fait incompétent dans les question de stratégie, je dirai
seulement que l'utilité d'un fort à Aerschot me paraît démontrée ; car il est
toujours utile d'opposer une barrière à l'ennemi quand il vient envahir le
pays. Je voterai donc les fonds que demande le gouvernement pour établir un
fort au nord de la ville d'Aerschot. Mais une question plus importante me
préoccupe. M. le ministre a dit que ce (page
617) fort était spécialement destiné à construire des barrages pour opérer
l'inondation de la vallée et à défendre ces barrages.
Or, vous vous
rappellerez combien de fois j'ai dû vous signaler les désastres que la vallée
du Démer et de la Dyle a éprouvés depuis la construction des fortifications de
Diest ; elles occasionnent des inondations fréquentes et détruisent une grande
partie des récoltes de foins et de grains.
Je demande que M. le
ministre s'explique avec détail sur les travaux hydrauliques qu'il se propose
de faire à Aerschot. Je demande s'il s'est mis en relations avec le département
des travaux publics qui, l'année dernière, a fait exécuter des travaux,
notamment aux environs de Malines, pour procurer un écoulement aux eaux de la
vallée du Démer et de la Dyle. Je demande si le département de la guerre s'est
concerté avec le département des travaux publics relativement aux ouvrages à
faire pour les barrages, afin que ces barrages et les travaux militaires ne
nuisent pas à l'écoulement des eaux de la vallée.
Messieurs, je ne
m'oppose pas, ainsi que je viens de vous le dire, à la construction d'un fort
au nord de la ville d'Aerschot, alors surtout que le ministre vient affirmer
que le comité des fortifications croit cet ouvrage indispensable pour la
défense du pays ; mais je ne reconnais pas le droit au département de la guerre
de s'opposer à l’exécution d'un arrêté royal qui décrète une route et de
s'arroger ainsi un pouvoir exorbitant ; alors surtout que cet arrêté royal
stipule que le tracé arrêté par le corps des ponts et chaussées sera soumis au
département de la guerre. Je ne comprends pas qu'il puisse appartenir à ce
département, quand un arrêté royal a décrété l'exécution d'une route, de mettre
opposition à cette exécution. Si de telles choses étaient tolérées, il y aurait
anarchie, abus de pouvoir ! il y aurait désordre dans l'administration ;
l'exécution d'un arrêté royal serait suspendue par une simple dépêche envoyée
par le département de la guerre au ministre des travaux publics ! Je proteste
contre une pareille conduite, contre un pareil état de choses. Je demande
formellement que le ministre s'explique sur la conduite qu'il entend tenir en
pareille circonstance. Une loi a été invoquée, c'est celle du 8 juillet 1791.
Cette loi réserve une part à l'action de la défense du pays, quand il s'agit de
construire des routes qui traversent le rayon soit des places de guerre, soit
des postes militaires. Cette loi, dans son article 29, oblige le département
des travaux publics à se concerter avec celui de la guerre dans le cas où il
s'agirait de construire une route devant passer dans le rayon d'une place forte
qui est de 500 toises ou d'un poste militaire qui est de 300 toises.
Rien de cela n'existe ici ; Aerschot n'est ni une
place forte ni un poste militaire. L'opposition du département de la guerre est
donc mal fondée, illégale, inconstitutionnelle, en ce que le ministre de la
guerre veut empêcher l'exécution d'un arrêté royal, porté par le Roi dans les
limites de son pouvoir constitutionnel.
Je désire que le
gouvernement s'explique sur ces points. J'attendrai pour voir si j'ai à lui
répondre.
M. le
ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai
demandé la parole quand l'honorable préopinant est venu accuser le département
des travaux publics d'avoir mis de la faiblesse dans l'exécution d'un arrêté royal
pris l'année dernière.
D'abord, je ne pense
pas qu'on puisse établir ainsi un antagonisme entre les divers chefs des
départements ministériels. Le gouvernement est un et n'est pas divisé entre des
parties destinées à se combattre mutuellement.
Ainsi les décisions
prises sur les questions qui peuvent diviser momentanément les chefs des
départements ministériels sont prises par le gouvernement entier.
C'est ainsi que le
projet qui vous est soumis a été décidé par le cabinet. D'ailleurs l'arrêté relatif
à la construction de la route d'Aerschot à Zammel porte une réserve qui
obligeait le département des travaux publics à se soumettre aux perceptions du
département de la guerre pour la construction de la route. En effet, voici
comment cet arrêté est conçu : «Il sera construit aux frais de l'Etat... etc. »
Par suite de cette
réserve, quand il s'est agi de donner suite à l'arrêté royal, le département
des travaux publics a dù s'adresser au ministre de la guerre. Eh bien ! le
département de la guerre a constamment fait connaître au département des
travaux publics, qu'il considérait l'exécution de cette route comme de nature à
nuire à la défense du pays. Il a constamment protesté contre l’établissement de
la route dont il s'agit, aussi longtemps qu'un fort ne serait pas construit à
Aerschot. Quand un intérêt aussi grave, qui doit dominer tous les autres, quand
l'intérêt de la défense du pays est mis en avant, on conviendra que le
département des travaux publics ne peut pas se mettre au-dessus de l'opposition
du département de la guerre, à moins de démontrer qu'elle n'est pas fondée sur
des raisons suffisantes.
Or, tous les débats
que nous avons eus depuis que la loi est en discussion, démontrent au contraire
que l’établissement de fortifications à Aerschot est de la plus grande utilité.
Les personnes compétentes ont été constamment d'accord sur ce point depuis
1835. Le discours de l'honorable général Goblet l'a démontré hier de la manière
la plus complète.
Dès lors, il est
évident qu'aussi longtemps que le ministre de la guerre viendra déclarer que la
construction de la route dont il s'agit serait de nature à compromettre la
défense du pays, et qu'il faut auparavant qu'on établisse des ouvrages de
défense à Aerschot, le département des travaux publics se trouvera dans
l'impossibilité de donner suite à l'arrêté royal du 21 mai dernier-Vous voyez
donc, messieurs, que le projet de loi qui vous est soumis a d'abord eu pour but
de permettre l'exécution d une route regardée par les localités intéressées
comme d'une très haute utilité. Ce n'est pas seulement cette route à laquelle
s'oppose le génie militaire aussi longtemps que les travaux de défense ne
seront pas faits à Aerschot, mais il y a encore une autre route, celle de
Tirlemont à Aerschot, dont la deuxième section est également frappée
d'interdiction.
Vous voyez donc qu'il
importe d'adopter la proposition qui vous est faite si l'on ne veut pas priver
cette partie du pays de communications vivement réclamées et pour lesquelles je
reçois des demandes réitérées et de nombreuses députations.
Ce n'est pas, du
reste, le seul intérêt que le projet de loi ait en vue ; l'intérêt principal et
qui domine tous les autres, c'est celui de la défense du pays. Or, l'utilité
d'une tête de pont à Aerschot, on l'a fort bien démontré, ne peut plus être
révoquée en doute aujourd'hui. Nous avons sur ce point l'avis de tous les
hommes compétents dans la matière, la déclaration précise de M. le ministre de
la guerre. Nous avons eu en 1835 celle d'un homme très capable dans ces questions,
du général Evain, celle d'une commission du génie nommée à cette époque et même
l'opinion d'une section centrale de la chambre, qui avait pour rapporteur un
des hommes les plus distingués de l'arme du génie, le colonel de Puydt.
En présence de cette
unanimité d'opinions, on ne peut révoquer en doute l'utilité, pour la défense
du pays, de l'ouvrage proposé.
Enfin
le projet de loi présente un troisième but d'utilité publique, c'est de
procurer de l'ouvrage à la classe ouvrière dans cette partie du pays où il
paraît que c'est fort nécessaire.
Ainsi ce projet de
loi est réellement d'une haute utilité. Je crois que la chambre fera bien de
l'adopter, si l'on veut qu'on donne suite aux routes dont a parlé l'honorable
préopinant et au système de défense qu'on a voulu établir sur la ligne du Démer
lorsqu'on a commencé les fortifications de la ville de Diest.
M. Pirson. - Avant de motiver
mon opinion sur la question d'ajournement soulevée par l'honorable M. Lebeau...
M. Lebeau. - Je n'ai pas
proposé l'ajournement.
M. Pirson. - Votre proposition
d'examiner tout le système de défense du pays équivaut à l'ajournement.
Avant de m'expliquer
sur ce point et sur l'objet du projet de loi que nous discutons, je crois
devoir réfuter le principe avancé par l'honorable M. Vanden Eynde, que
l'utilité des fortifications est aujourd’hui abandonnée par la stratégie
militaire.
Sans vouloir traiter
à fond la question de l'utilité ou de l'inutilité des forteresses, il me semble
cependant nécessaire de répondre quelques mots aux observations développées par
l'honorable M. Vanden Eynde, dans la crainte que ses paroles n'exercent une
certaine influence sur la délibération que vous êtes appelés à prendre en ce
qui concerne les fonds demandés pour l'exécution de travaux de défense à
Aerschot.
A notre époque,
messieurs, l'opinion de l'honorable M. Vanden Eynde ne peut se soutenir
sérieusement, et cet honorable membre sera fort embarrassé, je crois, de citer
à l'appui du principe qu'il a énoncé, un seul commencement d'application dans
quelque pays civilisé que ce soit. Il est hors de doute que ceux qui voudraient
proscrire les fortifications se priveraient d'une force et d'un moyen
auxiliaire jamais nuisibles, toujours utiles et souvent indispensables.
Sans le secours des
positions fortifiées, et de tous les moyens supplémentaires de l'art de
l'ingénieur, comment serait-il possible de manœuvrer avec des forces
inférieures à celles de l'ennemi ? Aussi toutes les puissances de l'Europe et
autres parties du monde, bien loin de se relâcher du soin de fortifier leurs
frontières, s'appliquent au contraire à l'envi à étendre et à améliorer leurs
lignes défensives. Ces puissances, messieurs, qui ont fait dans toutes les guerres
et principalement dans les dernières, une expérience décisive de la valeur des
places fortes, ont consacré depuis trente ans des sommes considérables non
seulement à renforcer celles qui existent, mais encore à en créer de nouvelles.
et pour vous citer quelques faits, c'est ainsi que sur le Rhin, par exemple, à
Cologne (Prusse), depuis 1815 l'ancienne enceinte a été réparée, et qu'on a
élevé de nouveaux forts et de nouvelles redoutes ;
Qu'à Coblence
(Prusse) le fort Ehrenbreitstein a été reconstruit depuis 1815 ;
Qu'un passage
souterrain a été établi entre les forts Alexandre et Constantin depuis 1830 ;
Qu'on a travaillé au
fort François, élevé des tours et de nouvelles redoutes pour relier tout le
système de la défense ;
Qu'à Mayence (Prusse)
depuis 1830 on a réparé l'ancienne enceinte, démoli les vieux forts pour en
construire de nouveaux ; qu'on y a mis un approvisionnement considérable en
matériel de guerre ;
Qu'en 1831 on a
construit sur la rive droite du fleuve de nouveaux forts ;
Que sur l'Elbe, à
Torgau, en Prusse, à Kœnigstein, en Saxe, la défense de ces places a été
complétée par des ouvrages additionnels considérables ;
Que sur le Danube, à
Ingolstadt (Bavière), à Passau (Bavière) appelé le Coblence du Danube, à Lintz
(Autriche), avec ses tours maximiliennes, le système de défense de ces places a
été considérablement renforce par des fortifications nouvelles ;
Que sur l'Adige, à
Vérone (Autriche)., a fortifié avec des
tours et des redoutes ; C'est ainsi encore qu'en Prusse de nouvelles constructions
ont été établies à Saarlouis et à Erfurt, et que le gouvernement a disposé de
7,000,000 de th. pour élever une fortification à Posen, fortification qui doit
être terminée en cinq, ans, c'est-à-dire en 1851 ; que dans le duché de Bade on
construit dans ce moment une nouvelle forteresse à Rastadt ; qu'en Bavière on a
augmenté les fortifications de Landau et que l'on a construit une nouvelle
forteresse (page 618) à Gemersheim,
forteresse qui a été terminée il y a deux ans, et armée l'année dernière avec
des canons fondus a la fonderie royale de canons à Liége ;
Qu'en Autriche on a
fortifié Salzbourg et que l'on a construit depuis 1830 une forteresse des plus
formidables à Brixen, où se croisent les grandes routes du Tyrol, forteresse
qui a été commencée en 1830 et terminée en 1838 ;
Qu'à Ulm en
Wurtemberg on construit en ce moment une nouvelle place forte ;
Qu'en Russie, on a
fortifié de nouveau Varsovie et Dunabourg sur la Dwina ;
M. Rogier. - Et en France ?
M. Pirson.- Je remercie
l'honorable M. Rogier de vouloir bien me venir en aide dans la nomenclature que
je suis occupé à faire. Qu'en France donc, pour répondre à l'interruption de
l'honorable M. Rogier, outre les fortifications de Paris et de Lyon, on est
occupé à remettre en bon état toutes les forteresses des frontières, qu'en 1842
la législature a accordé des fonds considérables pour de nouvelles
fortifications au pas de Calais, qu'en 1844 elle en a accordé pour les
fortifications du Havre, et que, si je suis bien informé, il est question de
construire une nouvelle forteresse à Reims ;
C'est ainsi encore,
vous le savez, messieurs, qu'en Angleterre on est occupé à réparer toutes les
fortifications des côtes.
Mais, mon Dieu,
messieurs, en Asie même, en Turquie, depuis dix ans on s'est occupé des
forteresses et on a considérablement renforce et étendu celles qui se trouvent
sur le Bosphore et les Dardanelles. En Amérique aussi, il y a quatre ans ; dans
la Nouvelle-Ecosse, au Canada, et aux Etats-Unis, on s'occupait activement
d'améliorer et de perfectionner le système de fortification.
Vous le voyez donc,
messieurs, en suivant les détails des immenses travaux de fortifications qui,
depuis trente ans, s'exécutent tant en France, qu'en Prusse, qu'en Saxe, que
dans le Duché de Bade, qu'en Bavière, qu'en Wurtemberg, qu'en Autriche, qu'en
Russie, qu'en Angleterre, qu'à Constantinople, qu'à Halifax, qu'à Québec, qu'à
New-York, que partout enfin, on peut affirmer qu'il n'est pas un principe
militaire qui depuis trente ans ait reçu une consécration aussi importante et
aussi significative que celui de l'utilité des places fortes. Tous ces faits,
plus puissants que des théories d'ailleurs très contestables, sont là pour
réfuter victorieusement l'opinion émise par l'honorable M. Vanden Eynde.
Cet incident terminé,
j'en viendrai à l'examen du projet de loi en discussion. Avec quelques
honorables orateurs qui ont pris la parole dans la séance d'hier et même dans
celle d'aujourd'hui, il me semble aussi que l'exposé des motifs du projet de
loi qui nous est soumis, nous représente l'accessoire comme le principal, et le
principal comme l'accessoire. Cependant, messieurs, s'il restait démontré que
la fortification d'Aerschot est non seulement utile, mais même indispensable, y
aurait-il lieu de rejeter le projet de loi parce que l'exposé des motifs
pécherait par la forme ? Je ne le pense pas, messieurs, et, à cet égard, je
fais appel aux sentiments de véritable patriotisme qui ont toujours animé tous
les membres de cette assemblée, chaque fois que, dans cette enceinte, il s'est
agi de discuter des questions qui, comme celle-ci, intéressent aussi vivement
l'avenir du pays, dans le maintien de son indépendance.
Si la conservation de
toutes nos places fortes actuelles ou la démolition de quelques-unes d'entre
elles pouvaient exercer quelque influence dans la question de savoir s'il faut
fortifier oui ou non Aerschot, je m'associerais à la proposition d'ajournement
de l'honorable M. Lebeau.
M. Lebeau. - Mais je n'ai pas
proposé l'ajournement.
M. Pirson. - L'honorable M.
Lebeau me dit qu'il n'a pas proposé l'ajournement ; cependant si j'en réfère
aux paroles prononcées hier par cet honorable membre, il me semble que cela est
bien évident. Voici comment s'est exprimé l'honorable M. Lebeau : «. Je ne
pense pas qu'à propos de ce projet de loi, qui a un caractère spécial, qui est
tout de circonstance, qui a pour but principal de venir au secours de la classe
ouvrière, nous puissions empiéter sur la discussion relative au système de
fortification du royaume. Je crois que ce système doit, comme le système
d'organisation de l'armée, avoir les honneurs d'une discussion spéciale,
approfondie. » Eh bien ! je vous le demanderai, messieurs, ces paroles
n'impliquent-elles pas un ajournement ?
Si donc, je le
répète, la conservation de toutes nos places fortes actuelles ou la démolition
de quelques-unes d'entre elles pouvaient exercer quelque influence dans la
question de savoir s'il faut fortifier ou non Aerschot, je m'associerais à la
proposition d'ajournement soulevée par l'honorable M. Lebeau. Mais l'objet de
l'incident, très grave, je le reconnais, soulevé par cet honorable membre, ne
peut être de réagir en rien sur la délibération que vous êtes appelés à
prendre, et il me suffira de vous indiquer le nom de toutes nos places fortes
pour vous le prouver.
Sur notre frontière
du nord, qui s'étend depuis Ostende jusqu'à un peu plus loin que Hasselt, nous
n'avons que deux places fortes, celle d'Anvers et celle de Diest. Je crois,
messieurs, qu'il n'entrera jamais dans la pensée de personne de demander la
démolition de la forteresse d'Anvers. En ce qui concerne Diest, notre place
forte nationale, comme l'a baptisée hier l'honorable M. Manilius, place forte
que vous élevez en ce moment, son utilité a été trop généralement appréciée,
pour qu'il puisse y avoir le moindre doute à cet égard, et je ne pense pas que
jamais personne demande non plus la démolition de cette forteresse.
Voyons maintenant
quelles sont toutes les autres places fortes du pays, et leur effet sur la
défense de la frontière du nord ?
Sur notre frontière
de l'est, nous avons Liège, Huy, Namur et Dinant. Or, vous conviendrez avec
moi, messieurs, que ces forteresses ne peuvent absolument rien pour défendre
notre frontière du nord, contre un ennemi qui nous attaquerait du nord.
Sur notre frontière
du midi, nous avons Charleroy, Mons et Ath, et de plus la forteresse de Namur
qui se trouve à cheval sur la Meuse et qui est destiné à relier la ligne de
défense de la Meuse à celle de la Sambre. Eh bien, évidemment encore, ni
Charleroy, ni Mons, ni Ath ne peuvent rien pour la défense de notre frontière
du nord contre un ennemi venant du nord.
Sur cette même
frontière, en avant de cette ligne de défense, nous avons Philippeville,
Marienbourg et Bouillon, forteresses qui peuvent avoir une destination spéciale
; mais qui toutefois ne peuvent encore rien pour la défense de notre frontière
du nord contre un ennemi venant du nord.
A l'ouest nous avons
Tournay, Menin et Ypres ; plus loin, la côte maritime est défendue par Nieuport
et Ostende. Evidemment encore, ni Tournay, ni Menin. ni Ypres, ni Nieuport, ni
Ostende ne peuvent rien pour défendre notre frontière du nord contre un ennemi
venant du nord.
Enfin, nous avons,
dans l'intérieur du pays, un très-grand fleuve qui passe par les parties les
plus fertiles du royaume, fleuve qui vraisemblablement, dans toutes nos
opérations militaires, sera notre base d'opération, l'Escaut ; l'Escaut, à son
entrée dans le pays, est défendu par Tournay, ensuite par Audenaerde, puis par
Gand et Termonde, et, à son embouchure, par Anvers. Eh bien, évidemment encore
toutes ces places fortes ne peuvent rien pour défendre la partie de notre
frontière du nord comprise entre Anvers et Diest. Voilà, messieurs, quelles
sont toutes nos places fortes, je les ai toutes citées sans exception, et il me
semble qu'il suffit de se représenter eu imagination quelle est leur position
pour être convaincu qu'elles ne peuvent en rien concourir à la défense de la
partie de notre frontière du nord comprise entre Anvers et Diest.
Mais, en France,
messieurs, dans la session de 1812, si je me le rappelle bien, le gouvernement
a présenté aux chambres un projet de loi pour fortifier ou plutôt pour étendre
le système de fortification de Calais ; en 1844, il a également présenté un
projet de loi ayant pour objet les fortifications du Havre, projet de loi dont
le résultat devait être une dépense de 18 à 20 millions. Eh bien, lorsqu'il
s'est agi de cette question si importante, il n'est venu à l'esprit d'aucun des
membres des deux chambres de demander à discuter le système complet de défense
du pays, avant d'accorder les fonds nécessaires pour la construction de ces
fortifications, et si la mémoire m'est fidèle, les fonds ont été votés en une
ou deux séances.
En Belgique, ainsi
que vous l’a rappelé tout à l'heure l'honorable M. de la Coste, lorsqu'il s'est
agi de l'organisation de l'armée, discussion dans laquelle le système général
de fortification pouvait avoir une influence bien plus grande que dans celle
dont nous nous occupons aujourd'hui, vous avez jugé prudent d'écarter du débat
la question brûlante du maintien de toutes nos places fortes ou de la
démolition de quelques-unes d'entre elles, et ce faisant, messieurs, vous avez
fait chose sage, chose utile, et chose avantageuse pour le pays.
Aujourd'hui, dans une
question où il me semble que le système complet des fortifications n'exerce aucune
influence, j'espère que la chambre agira de même, et je la conjure de prendre
une pareille détermination. En agissant de la sorte, elle fera de nouveau chose
sage, chose utile, et chose avantageuse pour le pays.
J'aborderai
maintenant, messieurs, plus directement l'objet de la discussion du projet qui
nous est présenté.
Ainsi que vous l'ont
fait observer hier et aujourd'hui les honorables MM. de la Coste, Vanden Eynde
et de Man, il y aurait, ce me semble, injustice à placer le territoire si
étendu de la Campine, dans des conditions autres que celles où se trouvent les
autres parties du pays. L'appel que ces honorables députés ont fait aux
sentiments de générosité et d'équité de cette chambre, ne sera, je pense,
repoussé par personne. Dès lors, en ce qui concerne la tête de pont d'Aerschot,
toute la question se réduit à celle-ci : Examiner si l'on peut permettre
l'achèvement des voies de communication de la Campine, sans fortifier leur
point de jonction pour commander ces routes et en fermer le passage au besoin.
Hier, M. le ministre de la guerre et l'honorable député de Tournay, M. le
général Goblet ont, me paraît-il, démontré à l'évidence la nécessité
indispensable de fortifier ce point de jonction des voies de communication de
la Campine. Cependant cette nécessité ayant été contestée tout à l'heure par
l'honorable M. Vanden Eynde, et désirant aussi, en ma qualité de militaire,
motiver mon vote dans la question en discussion, quelque inférieures que
puissent être mes observations, je me permettrai cependant d'en présenter
quelques-unes dans le même but.
Messieurs, presque
toutes les illustrations militaires, et parmi elles, je citerai Vauban,
Coehoorn, Cormontaigne, Jomini, Napoléon même (car ses maximes de guerre et ses
annotations sur l'ouvrage du général Sainte-Suzanne sont là pour l'attester),
presque toutes les illustrations militaires, dis-je, et de nos jours presque
tous les hommes d'Etat, les hommes politiques, et les meilleurs généraux sont
d'accord qu'il faut fortifier les points de jonction des grandes communications
terrestres et fluviales et qu'en oulre il faut aussi établir des fortifications
sur toutes les roules principales qui, de la circonférence d'un Etat,
conduisent à son centre, a sa capitale.
Cette théorie,
messieurs, me paraît s'appliquer parfaitement à la position d'Aerschot qui est
situé sur le Démer, et où les routes construites et à construire viennent et
viendront aboutir. Ces routes sont : les chaussées d'Aerschot à Louvain,
d'Aerschot à Diest, d'Aerschot à Turnhout, d'Aerschot à Lierre, d'Aerschot à
Tirlemont.
D'un autre côté,
lorsqu'on doit défendre un pays, il est un point essentiel (page 618) qu'on ne doit pas perdre de
vue, c'est d'aviser aux moyens de garantir et de couvrir la capitale le mieux
possible.
Vous n'ignorez pas,
messieurs, que généralement la capitale d'un pays comprenant tous les rouages
les plus importants, renfermant tous les ressorts qui font mouvoir la machine
publique, c'est sur elle aussi que les plus grands efforts militaires sont
dirigés, parce qu'en s'en emparant, on frappe le pays au cœur, on l'atteint
dans le centre de toutes ses forces.
Par opposition donc à
ce système d attaque qui consiste à marcher le plus rapidement possible sur la
capitale, lorsqu'on veut défendre un pays, c'est donc aussi principalement la
capitale qu'il faut chercher à couvrir.
Sous ce rapport, la
nôtre, Bruxelles se trouve dans une situation extrêmement défavorable, car elle
n'est pas fortifiée, et en outre elle n'est éloignée que de 2 à 3 journées de
marche de plusieurs de nos frontières et notamment de notre frontière du nord.
Dans cette position,
que faut-il faire pour garantir, pour couvrir Bruxelles de la manière la plus
efficace contre une attaque venant du nord ?
Evidemment,
messieurs, chercher les moyens d'éloigner cette attaque le plus longtemps
possible, forcer l'ennemi à un détour, le contraindre à une attaque
excentrique, éviter l'attaque directe sur la capitale. Pour obtenir ce
résultat, jetons les yeux sur la carte et voyons quelle est la situation de
Bruxelles, relativement à la frontière du nord. Par rapport à cette frontière
qui s'étend d'Ostende jusqu'à l'autre côté de Hasselt, pour la partie comprise
entre la mer et l'Escaut, Bruxelles se trouve bien défendue par plusieurs
rivières et canaux, par les places d'Ostende et d'Anvers, et par les places
intermédiaires de Gand et de Termonde.
Sur cette partie, on
ne peut guère supposer une attaque, à moins que l'ennemi ne veuille passer par
les lenteurs d'un siège, ce qui n'est pas présumable. Les chaussées de Breda et
de Turnhout qui débouchent sur cette partie sont interceptées par la place
d'Anvers. Entre Anvers et Lierre, la Nèthe inférieure présenterait un obstacle
très sérieux à vaincre et l'ennemi devrait en quelque sorte passer sous le
canon de la forteresse d'Anvers. De Lierre à Diest, partie la plus vulnérable
de notre frontière du nord, on peut tendre une inondation continue.
Eh bien, messieurs,
je ne crois pas trop m'avancer en disant que la ligne formée par l'Escaut, le
Ruppel, la Dyle et le Démer, est infranchissable pour une armée, à moins
qu'elle ne soit maîtresse des routes qui débouchent les unes à Diest, les
autres qui déboucheront à Aerschot si le gouvernement en autorise la
construction. Dans la situation actuelle, et depuis la construction de la forteresse
de Diest, l'ennemi venant du nord, à moins de se soumettre à la lenteur de
plusieurs sièges, ne peut faire une attaque directe sur la capitale, et se voit
contraint à une attaque excentrique a l'autre côté de Diest par la chaussée qui
de Bois-le-Duc aboutit à Hasselt par Eindhoven. Eh bien, messieurs, c'est, dans
l'intérêt du pays, ce que nous devons vouloir, et vous comprendrez facilement,
je pense, maintenant, que si l'on permettait la route de Westerloo à Aerschot,
sans fortifier ce dernier point, ce serait donner à l'ennemi la facilité
d'entrer jusqu'au centre du pays, jusqu'à Louvain, sans éprouver d'entraves ;
et le gouvernement, qui est responsable de la sûreté du pays, ne peut accorder
semblable autorisation.
Je ne crois pas,
messieurs, pouvoir développer plus longuement le système que je viens seulement
d'indiquer. Je me résumerai donc en disant qu'il me paraît évident que
l'intérêt de la défense du pays, en ce qui concerne la frontière du nord, nous
fait une obligation de rechercher tous les moyens de rejeter l'ennemi sur notre
droite, vers la Meuse, de manière à ce qu'il ne puisse arriver en deux ou trois
jours à Bruxelles ;
Que, sur la partie la
plus vulnérable de notre frontière du nord, un système d'inondation y étant
établi, ce serait compromettre la sûreté du pays que d'y établir des passages
sans les commander ;
Que,
par suite des routes construites et à construire dans la Campine, il est devenu
indispensable d’élever à Aerschot au moins une tête de pont qui soit telle
qu'on ne puisse l'enlever de vive force, et qu'elle nécessite pour s'en emparer
l'emploi de l'artillerie de siège ;
Que la nouvelle route
que l'on veut construire de Westerloo à Aerschot affaiblirait considérablement
la défense de notre frontière du nord déjà amoindrie par la construction de
plusieurs morceaux de route, si l’on n'élevait des ouvrages défensifs à
Aerschot ; et ces considérations jointes à celle-ci : que les voies de
communication réclamées pour la Campine sont indispensables au développement de
la richesse agricole, industrielle et commerciale de ce pays, me détermineront
à donner mon assentiment au projet de loi qui nous est présenté.
M. de Tornaco. - Messieurs, la
discussion a déjà été fort longue ; je tâcherai de ne pas la prolonger encore,
parce que je suppose que la chambre désirera entendre également quelques autres
membres qui se proposent de prendre la parole.
Souvent, messieurs,
on entend dire dans cette enceinte et au dehors que, lorsqu'il s'agit de
dépenses minimes, la chambre se montre difficile, épineuse, et que, quand il
s'agit de dépenses considérables, la chambre se montre très facile, se montre,
pour ainsi dire, complaisante.
J'ignore, messieurs,
si le résultat de cette discussion sera de donner quelque fondement de plus à
cette observation générale ; mais, pour ma part, j'ai trouvé l'observation
tellement juste, que je me suis proposé de la mettre à profit, et c'est ce que
je compte faire lorsqu'il s'agira de voter sur le projet en discussion.
L'occasion est belle, messieurs ; car il faut avouer qu'on n'a pas mis la
chambre à même de connaître l'objet sur lequel elle est appelée à émettre un
vote ; on nous propose purement et simplement de voter en principe une dépense
de 2 à 3 millions, sans que nous puissions apprécier ni la portée ni les
conséquences de notre vote ; on nous demande de voter en aveugles, si je puis
m'exprimer ainsi.
Plusieurs honorables
membres se sont étendus longuement sur l'utilité des fortifications qu'il
s'agit de faire construire. Quant à moi, je rie veux pas contester l'utilité de
construire un fort ou une forteresse à Aerschot, mais je crois que l'honorable
M. Lebeau a parfaitement posé la question, lorsqu'il a dit qu'avant de voter
des fortifications nouvelles, il fallait établir une discussion générale sur
l'ensemble de notre système de défense. L'honorable M. Pirson, tout en voulant
combattre cette opinion, vient d'en prouver jusqu'à l'évidence toute la
justesse.
En effet, messieurs,
qu'a fait l'honorable M. Pirson ? Il s'est étendu sur le système général des
fortifications de notre pays et tout en parlant de notre ligne défensive du
nord, il a parlé non seulement du système entier des fortifications de notre
pays, mais de toutes nos forteresses qu'il a en quelque sorte nommées l'une
après l'autre. Il a prouvé par-là que lorsqu'il s'agit de fortifications
nouvelles, il faut absolument que la chambre étende ses regards sur le système
général de défense de notre pays.
L'honorable membre
vous a parlé de la ligne de l'est, qu'il a confondue avec la ligne du nord ; il
vous a parlé de la ligne de la Meuse. Mais, messieurs, il pouvait aller
beaucoup plus loin qu'il n'a été dans ses appréciations, il pouvait vous dire
que cette ligne n'existe plus ; depuis qu'on nous a enlevé Luxembourg et
Maestricht, notre frontière, du côté de la Prusse, est complétement dégarnie.
Depuis Liège jusqu'à la frontière de France on peut dire qu'il n'existe plus
aujourd'hui que des bicoques, à l'exception de Namur. Il y a plus, messieurs,
si aujourd'hui un corps d'armée devait partir de la Moselle pour se diriger
vers Liège ou vers Bruxelles, je crois qu'il ne rencontrerait pas le moindre
obstacle.
Messieurs, il résulte
de ces simples observations que notre système de fortifications a été complétement
bouleversé par les événements de 1830. Eh bien, qu'avons-nous à faire pour
remédier à ce mal ? C’est d'examiner ce système dans son ensemble et d'émettre
ensuite un vote en connaissance de cause ; l'honorable membre, on peut le dire
d’après les détails dans lesquels il est entré, l'honorable membre était seul
préparé à cette discussion. Quant à nous, aucun plan, aucune carte ne nous ont
été fournis, et on ajoute même derrière moi qu'aucun renseignement de ce genre
n'a été fourni à la section centrale.
M. le ministre de la
guerre (M. Dupont). - La section centrale a reçu tous les renseignements
qu'elle a demandés.
M. de Tornaco. - Si la section
centrale n'a pas demandé des plans, cela ne prouve pas que nous soyons à même
de juger en connaissance de cause.
Messieurs, je
bornerai là mes observations ; je crois que ce que je viens de dire est
généralement senti par la chambre, et d'ailleurs le gouvernement a trop peu de
défenseurs dans cette occasion pour que j'entre dans de longs développements
contre le projet qui vous est soumis.
M. Osy. - Comme l'honorable
député de Louvain, je désirerais beaucoup, messieurs, voir construire enfin la
route d'Aerschot à Zammel. Il y a trop longtemps que toute cette partie du pays
est privée de voies de communication ; mais je crois que les moyens employés
par le gouvernement ne sont pas convenables. Il est vrai qu'en 1835 un système
de fortifications a été étudié par l'honorable général Evain, et dans la séance
d'hier, l’honorable M. Goblet nous a présenté de grands détails à cet égard ;
mais, messieurs, depuis 1835 notre situation a complétement changé : en 1841 et
en 1842, on nous a proposé la construction d'un canal qui se dirige de la Meuse
vers Lierre et Anvers, et dans la discussion qui a eu lieu à cet égard, lorsque
l'honorable M. Desmaisières était au ministère des finances et l'honorable M.
Dechamps au ministère des travaux publics, on nous a toujours dit que ce canal
serait très utile à la défense du pays. Je désirerais que M. le ministre de la
guerre voulût bien s'expliquer sur ce point.
Je crois qu'il serait
réellement imprudent de voter aujourd'hui, pour rendre possible l'exécution
d'une route, une somme de 300,000 fr. qui n'est que la cinquième partie de
celle qu'on nous annonce devoir être nécessaire. Il faut que maintenant nous
arrêtions le système définitif de la défense du pays.
Le
génie militaire est très souvent difficile pour la construction de routes.
C'est ainsi qu'à Anvers, on avait demandé une route qui devait relier un
faubourg à l'autre, le ministre de la guerre s'est opposé à la construction de
cette route pendant trois ans ; cependant les difficultés ont été levées, la
route a été construite, et cependant l'on n'a pas fait un seul travail pour la
défense de la place. Je crois que l'on pourrait également laisser construire la
route de Zammel vers Aerschot, sans mettre en péril la sécurité du pays, si on
ne construit pas en même temps les fortifications que l'on demande.
Je prierai donc M. le
ministre de la guerre de vouloir bien nous dire si, depuis la conclusion de la
paix avec la Hollande, et la construction du canal de la Campine, le système de
défense du pays ne doit pas être changé.
M. le ministre de la guerre (M.
Dupont). - Messieurs, beaucoup d'objections ont de nouveau
été présentées dans le cours de cette discussion, et je vais tâcher de
rencontrer les principales d'entre elles.
L'honorable M. Vanden
Eynde vous a dit que la construction de plusieurs routes a été autorisée et
qu'il n'y a pas de raison de s'opposer à l'exécution de la route de Zammel vers
Aerschot.
Je crois devoir faire
observer que de toutes les routes qui ont été construites, aucune ne présente
le degré d'importance qu'offre la route de Zammel à Aerschot.
(page 620) En effet, une partie de ces routes sont transversales ;
d'autres aboutissent à la forteresse de Diest. Quant aux routes transversales,
celle de Heist-op-den-Berg vers Malines, par exemple, elles présentent moins de
danger que les routes directes. Lorsqu'un corps ennemi s'engage sur ces routes
transversales, il expose son flanc ; sa retraite est également exposée. Les
routes directes n'offrent pas ces inconvénients pour l'ennemi, et, comme j'ai
eu l'honneur de le faire observer, la route dont il s'agit en ce moment, n'est
pas seulement perpendiculaire au centre de la frontière, mais elle est encore
une des routes qui conduisent directement à la capitale du pays.
Ce n'est pas par
caprice que je fais opposition à la construction de cette route, ou plutôt que
je demande que cette construction soit accompagnée de celle de quelques travaux
militaires. Je l'ai dit et je le répète, cette question a été mûrement étudiée
; elle l'a été, depuis de nombreuses années, par l'inspecteur général du corps
du génie, par le comité du génie et par toutes les autorités compétentes. Tous
ont unanimement proclamé la nécessité de fortifier au moins un point de cette
route.
J'aurai peu de chose
à ajouter à ce qu'a dit M. le ministre des travaux publics, relativement à
l'arrêté royal qui est intervenu pour la route de Zammel à Aerschot. Cet arrêté
a été pris dans un intérêt local ; mais l'exécution de la mesure touche
également aux intérêts généraux, et surtout au plus grand de ces intérêts, à
celui de la défense du pays. Ces différents intérêts, messieurs, nous cherchons
à les concilier, dans la construction de la route dont il s'agit.
L'honorable M. Pirson
a suffisamment réfuté le système soutenu par l'honorable M. Vanden Eynde, système
d'après lequel les forteresses n'auraient plus d'importance aujourd'hui. Il
vous a démontré que l'opinion contraire domine dans tous les pays. Je crois
inutile d'entrer dans de nouveaux développements à ce sujet.
L'honorable M. Vanden
Eynde vois a parlé des barrages qu'il s'agit d'établir à Aerschot. D'après lui,
ces barrages tendraient à produire des inondations, et partant à occasionner
des dommages.
Mais, messieurs, ce
sont là des désastres de guerre inévitables, des malheurs auxquels il faut consentir,
pour éviter des calamités plus grandes. Quand il s'agit de défendre
l'indépendance de son pays, on ne doit pas reculer devant de pareils
sacrifices. Or, la nécessité du barrage d'Aerschot est fondée sur la
supposition de cette défense.
J'aurai l'honneur de
faire observer à l'honorable membre que si, en temps de guerre, les ouvrages
dont il s'agit doivent occasionner des dommages, il sont conçus de manière à
éviter, au contraire, dans d'autres temps, une partie des dommages que cette
contrée éprouve par les inondations naturelles du Démer. En effet, il n'est pas
seulement question d'établir un barrage sur le Démer, il est question d'en
établir également un sur le déversoir du Démer.
Or, le projet
d'établissement de ce barrage est accompagné du projet d'élargissement du
déversoir ; et dès lors, par là, seraient diminuées les chances des dommages
occasionnés par les inondations naturelles du Demer.
L'honorable M. Vanden
Eynde m'a demandé si je m'étais entendu à cet égard avec M. le ministre des
travaux publics. Mon collègue et moi, nous n'avons cessé de nous entendre sur
cette question. Les ingénieurs militaires ont constamment été en rapport avec
les ingénieurs civils, pour ce qui regarde, non seulement la route, mais même
les fortifications, et la dérivation du Démer.
Messieurs, on est
encore revenu sur la question des servitudes militaires ; l'on s'est plaint de
la législation qui nous régit. Je crois devoir entrer dans quelques nouvelles
explications, uniquement pour prouver à la chambre que cette législation n'est
pas plus rigoureuse que celle qui existe dans d'autres pays.
Toutes les
législations qui règlent ce point, supposent différentes zones. Dans la
première de ces zones, il est défendu de bâtir ; dans la seconde, on ne peut
élever des constructions qu'en matériaux combustibles. Une troisième zone a été
établie par un décret impérial de 1811. Cette zone, beaucoup plus étendue que
celles qui avaient été admises précédemment, s'étendait jusqu'à une distance de
1,000 mètres, en deçà de laquelle il n'était permis de faire aucune élévation
de terrain et aucune excavation. La loi de 1791 donne à la première zone une
rayon de 195 mètres ; à la seconde zone, un rayon de 487 mètres ; elle n'admet
pas de troisième zone. Le décret de 1811 poitait la première zone à 200 mètres,
laissait la seconde zone à 487 mètres, et portait la troisième zone à la
distance que nous avons indiquée. Ce régime a été changé en France par la loi
de 1819 ; mais en Belgique il avait déjà été révoqué, eu quelque sorte, dès
l'année 1815, par un arrêté royal. En effet, cet arrêté établit une seconde
zone à la distance de 520 mètres, ce qui diffère très peu de la disposition de
la loi de 1791.
Je ferai observer que
la loi française de 1819 est, en quelque sorte, plus sévère que la loi de 1791,
actuellement applicable dans notre pays. En effet, la loi de 1819 a porté la
première zone de 195 m. à 250 m. ; la seconde zone, à 500 m. Ainsi, la première
zone, où les servitudes sont les plus dures, a été augmentée d'une étendue de
55 mètres. Je dois dire cependant que, dans la loi française, on a établi une
espèce de compensation à cette augmentation de zone ; cette compensation a
consisté dans la création de ce qu'on appelle « polygones
exceptionnels », c'est-à-dire qu'on s'est réservé d'examiner si, dans une
zone quelconque, il n'existait pas tel ou tel emplacement où les constructions
peuvent ne pas offrir d'inconvénient.
Quelques autres
observations ont encore été présentées ; l'honorable M. de Tornaco vous a fait observer
que la ligne de défense de l'est n'existe plus, et il a demandé quelles étaient
les dispositions que vous prendriez pour la défense de cette frontière.
Mais, messieurs, la
chambre n'exigera pas que nous exposions ici tous les travaux et le plan de
campagne qui ont été faits dans la supposition d'une guerre. Nulle part cela
n'a été exigé, et sous ce rapport la chambre belge n'a pas l'habitude de se
montrer plus exigeante que d'autres chambres législatives. Dans la défense de
la ligne de l'est, comme dans la défense de toutes les lignes, il y a à
combiner les moyens de défense matériels et ceux qui se rapportent à l'armée
active. Dire ici quelle est la part que l'armée active prendra dans toutes les
circonstances, quelle est la base d'opérations qu'elle adoptera, quelles sont
les lignes d'opération qu'elle suivra, quel est le champ de bataille qu'elle
tâchera de choisir, serait une imprudence aux yeux du gouvernement. D'ailleurs
je pense qu'il y a assez d autres motifs pour justifier la construction que
nous avons demandée.
L'honorable M. Osy
nous a demandé si le canal du Nord ne pouvait pas nous faire renoncer à tout
autre système de défense. Je dois lui déclarer que non, que ce système de
défense exclusif par les canaux n'a été admis nulle part, que nous ne pouvons
pas l'admettre. L'honorable membre a parlé également d'une route aux environs
d'Anvers, à laquelle le département de la guerre s'était d'abord opposé et à
laquelle il a fini par consentir. Je vais vous faire connaître les motifs qui
ont déterminé le département de la guerre à consentir à cette construction ;
c'est que le dernier tracé remplit la condition de faire passer la route sous
le canon de la place d'Anvers. Cette condition remplie, le département de la
guerre a levé toute difficulté relativement à la construction de cette route.
Je dois faire
observer qu'en général tous les motifs que nous avons exposés pour justifier la
fortification d’Aerschot, n'ont pas été combattus au fond ; car on n'a fait
qu'y opposer des fins de non-recevoir. On a dit qu'il fallait discuter un
projet de défense du pays dans son ensemble, avoir un projet général
d'organisation de défense, non seulement de notre frontière du nord, mais de
toutes nos frontières.
Messieurs, la
nécessité des travaux d'Aerschot, permettez-moi de le dire, est indépendante de
ces grandes questions. Elle résulte, comme nous avons déjà eu l'honneur de
l'exposer à la chambre, de travaux qui ont été faits ou, qui sont en pleine
voie d'exécution, particulièrement des travaux de Diest, et qui ne seront
complets que quand ils auront été étendus à Aerschot. Ce fort est nécessaire
quel que soit le système qu'on adopte pour la défense de la frontière du nord.
On vous l'a déjà dit plusieurs fois, un système général a été présenté en 1835
; ce système peut se subdiviser en plusieurs parties.
D'abord la ligne du
Démer et la basse Dyle, qui comprend les fortifications de Diest et d'Aerschot
et, comme l'a dit l'honorable général Goblet, une tête de pont à Malines ;
l'autre partie comprendra les fortifications de Hasselt et les points fortifiés
sur les Nèthes, qui ont été indiqués par le comité du génie, Zammel et Lierre.
Permettez-moi de vous
dire que la première partie de ce système est la plus importante, et peut être
considérée comme complète, en ce sens, qu'elle peut suffire au besoin, avec les
places existantes, à la défense de la frontière septentrionale. La seconde
partie doit, être considérée comme très utile, mais n'offre pas le même
caractère d'urgence. Quant à la première partie, messieurs, on peut la
subdiviser encore, savoir : la ligne du Démer, composée de Diest et du fort
d'Aerschot.
Ces deux points
fortifiés sont les plus importants du projet de 1835.
Messieurs, la
véritable question est celle-ci : La tête de pont d'Aerschot a été jugée nécessaire
depuis 11 ans, mais on a pensé qu'on devait commencer par les fortifications de
Diest, qui est le point le plus important. Le gouvernement devait demander ces
allocations, non seulement jusqu'à l'achèvement de Diest, mais encore tôt ou
tard pour la tête de pont d'Aerschot.
Il s'agit de savoir
si les ouvrages d'Aerschot seront commencés dans 5 ans ou seront terminés dans
5 ans. Voilà la véritable question aujourd'hui.
Permettez-moi
maintenant de citer les systèmes suivis par d'autres nations.
Un grand nombre de voix. - A demain, à
demain !
M. le président. - La chambre paraît
disposée à renvoyer la discussion à demain. (Oui ! oui !)
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DES FINANCES POUR LE PAIEMENT DE PENSIONS
M.
Zoude. - Je demande la parole
pour présenter un rapport.
La
section centrale du budget des finances m'a chargé de vous présenter son rapport
sur la demande de crédit supplémentaire destiné à payer les pensions des
employés de ce département. La section centrale vous propose à l'unanimité
l'adoption de ce projet.
M. le président. - Ce rapport sera
imprimé et distribué.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Le projet sur lequel l'honorable M. Zoude vient de faire un rapport est très
urgent ; il ne donnera pas lieu à discussion ; je demande qu'il soit mis à
l'ordre du jour au commencement de la séance de demain. Si ce projet n'était
pas voté très prochainement, le payement des pensions devrait être suspendu en
partie ; la chambre en comprendra les conséquences.
M. le président. - Je mettrai ce
projet à la suite des objets déjà à l'ordre du jour, sauf la décision que la
chambre pourra prendre a la séance de demain.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR
L’EXERCICE 1846
M. le ministre de la justice (M.
d’Anethan). - Je demande que mon budget soit mis à l'ordre du
jour après la loi sur le conseil d'Etat ; mais dans tous les cas, je désire que
la discussion ne commence pas avant jeudi.
- Cette proposition
est adoptée.
La séance est levée à
4 1/2 heures.