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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 9 février 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre
2) Projet de loi portant un
crédit spécial au budget du département de la guerre pour exécution de travaux
de routes et de fortifications militaires dans la Campine (Lebeau,
Mast de Vries, Goblet, de La Coste, Dupont, de Villegas, Dupont, Lys, (+servitudes militaires) (Manilius,
Dupont))
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 603) M. Huveners procède à l'appel nominal à 2 heures et
quart.
M. de Villegas
donne lecture du procès-verbal de la séance d'avant-hier ; la rédaction en est
approuvée.
M. Huveners présente l'analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Fortuner,
pharmacien à Bruxelles, demande une loi réglementaire de l'exercice de la
médecine et de la pharmacie. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
________________
« Le sieur
Vanderhoost, ancien candidat notaire, demande des modifications à la loi sur
l'institution du notariat. »
- Même renvoi.
________________
« Le sieur Mouton,
administrateur de la société charbonnière de Bernissart, demande que la
chambre, lors de la révision de la loi du 4 avril 1843, prenne des mesures de
protection en faveur de l'industrie du sucre indigène. »
« Même demande de
plusieurs habitants de Boussu. »
- Renvoi à la
commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
PROJET DE LOI PORTANT UN CREDIT SPECIAL AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE
POUR EXECUTION DE TRAVAUX DE FORTIFICATIONS MILITAIRES
Discussion générale
La discussion est
ouverte sur le projet de la commission, auquel le gouvernement se rallie.
M. Lebeau. - Je sympathise
avec le gouvernement et sans doute avec toute la chambre dans les efforts qui
ont pour but de venir, dans de malheureuses circonstances, au secours de la
classe ouvrière, au secours des localités où le travail manque le plus en ce
moment.
Sous ce rapport, le
projet de loi obtiendra mon approbation, d'autant plus qu'à côte de la dépense,
figure la recette.
Mais cette
observation générale ne peut s'appliquer qu'à ce qui concerne les dépenses
relatives aux places de Hasselt et d'Audenarde.
Je ne voudrais pas
accorder par un vote dont les fortifications semblent être l'accessoire, la
sanction demandée par le gouvernement pour les fortifications d'Aerschot, et
cela sans documents quelconques, sans devis estimatif, sans qu'on pût dire, si
ce n'est par approximation, pendant combien d'années la dépense se continuera,
à quel chiffre elle s'élèvera.
On sait quelle part
il faut faire à l'imprévu dans des dépenses de cette nature : l'élévation des
sommes consacrées et qui restent à consacrer encore aux fortifications de la ville
de Diest le prouve assez.
Dans ce moment, je
crois qu'on ne peut voter du projet rien de ce qui concerne les fortifications
d'Aerschot. Je crois qu'il conviendrait d'abord que la chambre fût complétement
édifiée sur la nécessité et sur le montant de la dépense. La chambre ne sait à
quoi elle s'engage. On demande aujourd'hui 300,000 fr. Mais cela constituerait
de notre part l'obligation de voter au moins un million et demi, dans le délai
de cinq ans ; car les fortifications qu'il s'agit de construire, coûteraient au
minimum (je crois pouvoir me servir de cette expression, puisqu'il s'agit d'une
évaluation purement approximative, sans bases connues), un million et demi,
dont le vote de 300,000 fr. serait la sanction anticipée.
Je suis incompétent,
surtout dans l'étal actuel de la discussion. Je ne me prononcerai pas sur la
nécessité de fortifier la localité d'Aerschot. Je suppose que M. le ministre de
la guerre pourra ultérieurement démontrer la nécessité de ces fortifications.
Dans tous les cas, la chambre en sera juge. Mais je ne pense pas qu'à propos de
ce projet de loi, qui a un caractère spécial, qui est tout de circonstance, qui
a pour but principal de venir au secours de la classe ouvrière, nous puissions
empiéter sur la discussion relative au système de fortification du royaume.
Je crois que ce
système doit, comme le système d'organisation de l'armée, avoir les honneurs
d'une discussion spéciale, approfondie. Si l'on trouvait un inconvénient
quelconque à ce que cette discussion eût lieu en public, je veux bien qu'on
fasse pour le système de fortification ce qu'on a fait pour le système des
droits différentiels qui aurait pu être discuté en public, avec beaucoup moins
d'inconvénient que tout ce qui touche à la défense du royaume.
Je crois que, quand
il s'agira de cette discussion, nous aurons à nous occuper non seulement de ce
qui doit être érigé ou conservé, mais encore de ce qui doit être démoli. Il se
rattache des questions d'une nature si grave au système de défense extérieure,
que cette question vaut bien l'honneur d'une discussion solennelle,
approfondie. Le ministère viendra avec des plans, avec des devis, avec les
délibérations du conseil supérieur de défense ; il donnera des renseignements
qui militeront en faveur du système de défense du pays, tel que le gouvernement
l'aura conçu.
J'ai donné assez de
preuves (M. le ministre de la guerre peut en témoigner) de ma sympathie pour
tout ce qui tient à la défense du pays, pour qu'il soit sûr qu'en faisant la
réserve que j'apporte à mon vote, je n'ai en aucune façon l'intention
d'atténuer les moyens de défense de notre territoire.
Je propose donc sans
scrupule l'ajournement de tout ce qui concerne la localité d'Aerschot.
M. Mast de Vries. - Lorsque le
gouvernement propose à la chambre de fortifier un des points du pays, il est
très difficile à la chambre de refuser une allocation pareille, puisque le
gouvernement vient dire que la sûreté du pays en dépend. Sous ce rapport, la
position où nous nous trouvons pourrait nous obliger à voter la dépense qui
nous est soumise.
Mais lorsque, dans un
projet antérieur, le gouvernement a proposé un système général de
fortification, dans lequel il voulait fortifier la ligne d'Anvers à Hasselt, et
que dans ce système on demandait plusieurs millions pour le mettre à exécution,
l'on a droit à concevoir des craintes ; car pour fortifier une seule place,
celle de Diest, il en coûtera le double de la dépense à laquelle avait été
évalué l'achèvement de tout le système.
Je crois donc que la
chambre doit y regarder à deux fois. Car quand vous aurez voté les 300,000 fr.
demandés pendant cinq années, il en sera pour les fortifications d'Aerschot,
comme pour celles de Diest. Le premier pas sera fait et de crédits en crédits
vous irez encore à plusieurs millions.
En 1835, on demandait
3 millions. Les fortifications de Diest ont coûté 5,700,000 fr., et elles ne
sont pas achevées ; on parle encore de 1,800,000 fr. pour l'achèvement de la
citadelle de cette même place. Si pour Aerschot on doit suivre les mêmes
proportions, il y aura encore de nouvelles dépenses qu'il faudra ajouter pour
de nouvelles fortifications auxquelles on ne songe point aujourd’hui.
D'après le projet de
1835, il y avait d'autres localités qui devaient être fortifiées ; ainsi l'on
avait demandé 400,000 fr. pour Lierre. J'ai entendu raisonner à cet égard
divers officiers qui entendaient parfaitement la défense du pays, et qui
croyaient qu'il n'était pas possible de fortifier un seul point, mais qu'il
fallait fortifier la ligne entière.
A différentes
reprises, lorsqu'il s'est agi du budget de la guerre, on a été étonné des frais
énormes que la place de Diest avait déjà coûté et qui surpassaient de beaucoup
toutes les allocations demandées en 1835. Eh bien, messieurs, après ces
précédents, ne sommes-nous pas en droit de demander à M. le ministre de la
guerre quel sera le système qu'il compte exécuter ? Ce n'est pas avec 1,300,00
fr. à dépenser à Aerschot, que l'on complétera le système de 1835 ; il faudra
plus tard encore beaucoup de millions.
Je
voudrais qu'on nous dît positivement ce qu'on se propose de faire :
abandonne-t-on le système de 1831, ou bien veut-on le continuer ? Si ou veut le
continuer qu'on nous le dise franchement ; qu'on nous dise : nous allons
continuer, le système de 1835, et nous vous demandons à cet effet un premier
crédit, parce que les classes ouvrières se trouvent dans une position pénible
et que, dès lors, nous croyons utile de commencer les travaux en ce moment. Toutefois,
messieurs, si c'est là ce qu'on veut, alors je crois qu'une demande générale
devrait être faite, et que la question de notre système de forteresses devrait
avoir les honneurs d'une discussion spéciale. Je partage à cet égard l'opinion
de l'honorable M. Lebeau.
Nous devons savoir où
nous irons ; sans cela les millions viendraient s'entasser les uns sur les
autres. En votant le crédit qui nous est demandé aujourd'hui, nous nous
engagerions d'avance à allouer toutes les sommes qui nous seraient demandées à
l'avenir pour la place d'Aerschot.
J'attendrai les
explications de M. le ministre, mais si je n'obtiens pas mes apaisements, je ne
pourrais pas adopter le projet.
M. Goblet. - Messieurs, quoique
ce soit avec raison que M. le ministre de la guerre ait avancé, dans l'exposé
des motifs du projet de loi en discussion, que tous les travaux dont il s'agit
sont d'une utilité bien constatée, il pourrait se faire que cette utilité ne
parût pas évidente à tous les yeux.
Je n'entends point
faire ici allusion aux travaux à exécuter à Hasselt et à Audenarde (ceux-là
peuvent se justifier en peu de mots), mais bien à ceux plus importants que l'on
se propose d'établir au défilé d'Aerschot, sur le Demer.
Il y a précisément
onze années, messieurs, que la chambre des représentants a eu à s’occuper de la
proposition de l'établissement d'une frontière défensive permanente au nord du
royaume ; il y a onze années, qu'une commission d’hommes très distingués pris dans
son sein a soigneusement étudié cette question et fait un rapport qui ne
laissait point de doute sur son utilité et son opportunité.
Le temps qui s'est
écoulé depuis lors peut faire considérer comme chose utile de remonter, à
l'origine de cette question, sur laquelle l'attention de la chambre est appelée
de nouveau.
Avant 1830,
messieurs, diverses causes avaient privé la Campine des voies de communication
indispensables a sa prospérité ; des vues plus libérales ont présidé depuis
lors aux destinées de cette contrée.
On sait, en effet,
dans quel état elle se trouvait encore, il y a dix années : une étendue de
territoire d'environ deux cents lieues carrées était dépourvue de canaux et de
routes pavées. Aussi longtemps que la Belgique ne fut que l'appendice d'un Etat
plus considérable, on sentit moins qu'aujourd'hui la nécessité de favoriser
l'agriculture et l'industrie d'une population (page 604) laborieuse et digne d'être secondée dans son courage et
sa constance à fertiliser un sol ingrat.
D'ailleurs, la politique
des puissances auxquelles la Belgique fut successivement réunie, dut les
éloigner de l'idée de faire disparaître dans les voies de communication de la
Campine une lacune qui rendait les opérations militaires plus difficiles et qui
suppléait, jusqu'à un certain point, à l'absence de places fortes sur la
frontière septentrionale de notre pays.
Durant l'existence du
royaume des Pays-Bas, le roi Guillaume lui-même ne voulut jamais consentir à ce
que les deux grandes divisions de ses état fussent unies par d'autres chaussées
que celles qui existaient alors et dont l'une conduisait d'Anvers à Breda, et
l'autre de Liège à Bois-le-Duc. Il suffisait de jeter les yeux sur la carte
pour être frappé du soin que l'on avait pris, malgré les vœux des populations, de
ne point prolonger dans la Campine les autres routes pavées qui partaient de
l'intérieur de la Belgique ; ces routes s'arrêtaient, en effet, à Turnhout,
Lierre, Aerschot, Diest et St-Trond.
Tel était encore
l'état des choses, lorsqu'en 1830 la Belgique fut violemment détachée de la
Néerlande.
A partir de cette
époque, de gouvernement belge eut donc à se préoccuper des moyens de réaliser
deux résultats différents, mais également importants pour notre patrie. Les
gouvernements précédents avaient sacrifié le bien-être de la Campine aux
nécessités de la défense ; le nouveau régime se proposa de concilier ces deux
grands intérêts. Il s'appliqua par conséquent à constituer vers le nord du
royaume, entre la Meuse et l'Escaut, une bonne frontière défensive conciliante
avec un système de routes et de canaux propre à favoriser un territoire victime
jusqu'alors d'une politique ombrageuse. Il était d'autant plus indispensable de
faire marcher de front ces deux ordres d'idées, qu'on ne pouvait se dissimuler
que la majorité de la conférence de Londres s'était appliquée, dans le traité
du 15 novembre 1831, à laisser ou à donner à la Hollande la frontière la plus
avantageuse possible sous le rapport militaire, et qu'il en était résulté pour
la Belgique une situation défensive très défavorable. L'art, la nature et les
traités, ont tout fait pour s'opposer à ce que nous puissions porter avec
succès nos armes au cœur des Pays-Bas, tandis qu'en l'absence des travaux d'art
la nature et les traités donneraient à nos adversaires les plus grandes
facilités pour fixer le théâtre des hostilités au sein de la Belgique.
Cette situation
désavantageuse attira de tous temps la plus sérieuse attention du département de
la guerre ; mais constamment animé du désir de ménager et même de favoriser les
intérêts matériels de la Campine, ce département fut loin de poursuivre d'une
manière exclusive le but militaire qu'il était dans ses devoirs d'atteindre :
il se montra toujours prêt au contraire à réaliser, par une combinaison
convenable des travaux civils et des travaux militaires, les progrès dont cette
portion du pays paraissait susceptible.
Porter ses espérances
jusqu'à trouver un système qui pût permettre de sillonner en tous sens la
partie septentrionale du royaume par des voies de communication de toute
nature, ne fut jamais dans la pensée du département de la guerre ; mais il crut
en 1835 être parvenu à faire la part de tous les intérêts et, dans l'espèce de
transaction qui intervint alors, les autorités militaires furent bien loin de
pouvoir être accusées de cette rigidité de principes qui, dans la plupart des
autres pays, fait taire toute considération étrangère à la sûreté du
territoire, et qu'on avait si rigoureusement appliquée a la Campine sous les
gouvernements antérieurs.
Vous pouvez en juger,
messieurs, par l'énumération de toutes les voies de communication qui purent
être établies, les unes sans aucune réserve de la part du département de la
guerre, les autres de son assentiment conditionnel.
Mais avant de vous en
donner le délai, je dois faire connaître les principes généraux qui furent
posés à cette époque, dans le double but que j'ai indiqué.
D'une part, il
fallait arrêter les éléments qui devaient constituer militairement la frontière
du Nord entre la Meuse et l'Escaut.
Et de l'autre, fixer
les idées sur l'ensemble des communications dont la Campine pouvait être
successivement dotée.
Un travail avait été
fait par l'administration des ponts et chaussées pour ce dernier objet.
Une commission
militaire fut chargée de son côté d'examiner et de sanctionner le projet d'un
système de défense de la frontière du Nord. Elle fui d'avis qu'il y avait
nécessité d'établir les travaux suivants :
1° La fortification
de Lierre, comme camp retranché.
2° La construction
d'une tête de pont à Malines.
3° La construction
d'un fort défendant le défilé d'Aerschot.
4° La fortification
de Diest.
5° La construction
d'une forteresse près de Westerloo, au confluent de la Grosse Nèthe et de la
Laeck (à Zammel).
6° Postérieurement
aux travaux précédents, la fortification de la position de Hasselt.
Comme j'aurai
l'occasion de le faire observer ci-après, il est essentiel de ne pas confondre
l'ouvrage permanent dont il est ici question avec les fortifications passagères
élevées autour de cette ville et qui n'ont jamais été destinées à être
conservées.
La commission
militaire, dans l'hypothèse que tous les travaux que je viens d'énumérer
seraient exécutés, exprima l'opinion, que les nombreuses routes projetées par
l'administration des ponts et chaussées devaient, sous le point de vue
défensif, être divisées en trois catégories,
La première
comprenait les routes qui, favorables à la défense en toute hypothèse,
pouvaient être construites préalablement à tous nouveaux travaux militaires,
savoir :
1° La partie de la
route de Malines à Beeringen, comprise entre Maline et Heyst op-den-Berg.
2° La route de Lierre
à Aerschot.
3° Celle de Diest à
Hasselt.
La seconde catégorie
embrassait les routes qui, assujetties à passer par des points destinés à être
fortifiés, ne seraient plus nuisibles après la fortification de ces points,
c'étaient :
1° La route de
Turnhout à Aerschot par Zammel.
2° La partie de la
route de Malines à Beeringen par Heyst-op-den-Berg et Zammel, comprise entre
Heyst-op-den-Berg et Beeringen.
Il avait été décidé
qu'aucune considération relative à la défense du pays ne s'opposerait à la
construction des deux routes précédentes quand Zammel serait fortifié.
3° La route de Lierre
à Gheel.
Cette roule, qui,
d'après le projet, devait passer par Herenthals, ne pouvait être tracée
directement de cet endroit vers Gheel, mais bien se diriger sur Zammel pour
venir se réunir à la grande communication de Turnhout à Diest.
La partie de cette
route entre Herenthals et Lierre était considérée comme pouvant être exécutée
sans inconvénient quand on aurait amélioré la fortification de cette dernière
ville, tandis que la partie entre Herenthals et Zammel ne pouvait l'être que
lorsque la fortification de ce dernier endroit aurait reçu un commencement
d'exécution.
4° La route de
Hasselt à Beeringen, et
5° Celle de Hasselt à
St-Trond.
Il avait été décidé
que les deux routes précédentes pourraient être construites quand la position
de Hasselt serait dans un état de défense respectable par la construction d'une
forteresse de troisième classe indépendante de la ville.
En général on avait
reconnu que les cinq routes précédentes ne seraient plus nuisibles à la défense
du pays, après l'exécution de certains travaux militaires, et la commission
était d'avis que le département de la guerre ne devait en autoriser la
construction que lorsqu'il aurait acquis la certitude que Diest, Aerschot et
Zammel seraient fortifiés.
La troisième
catégorie comprenait les routes proposées par le département de l'intérieur qui
ne pouvaient pas être comprises dans les deux catégories précédentes, parce que
dans tout état de choses leur exécution était préjudiciable à la défense du
territoire, à moins d'adopter un système de points fortifies beaucoup trop
étendu.
Passant ensuite à
l'examen des projets de canaux à établir d'après les intentions du département
de l'intérieur, qui alors avait les travaux publics dans ses attributions, la
commission décida qu'il n'y avait pas de motif suffisant pour s'opposer à leur
construction.
Telles étaient les
conclusions prises par la commission. Vous voyez, messieurs, que dès ce moment
des principes étaient posés pour l'avenir. Un système de défense était arrêté
pour la partie de la frontière correspondant à la Campine, en même temps que le
système de routes compatibles avec la défense se trouvait déterminé pour cette
contrée.
Aussi, messieurs, à
l'ouverture de la session de 1835, le discours du trône annonça-t-il aux
chambres que le gouvernement présenterait des projets sur les mesures
nécessaires pour donner au pays une ligne défensive vers le Nord.
Remplissant cette
promesse, le général Evain vint, dans la séance de la chambre des représentants
du 24 mars 1835, présenter un projet de loi pour faire face aux frais des
ouvrages à établir sur divers points de la frontière du Nord, dont la
fortification venait d'être arrêtée en principe.
Par l'adoption de ce
projet, l'exécution d'une grande partie du système de voies de communication
dont l'utilité avait été reconnue simultanément devenait possible désormais.
Les motifs sur
lesquels M. le général Evain fondait cette demande de crédit n'étaient pas
exclusivement des raisons militaires.
« Vous savez,
messieurs, disait il, avec quelles instances les provinces d'Anvers et du
Limbourg réclament, pour la partie de ces provinces connue sous le nom de
Campine, l'établissement de nouvelles communications sur leur territoire ; vous
savez aussi combien celles-ci sont indispensables au développement de la
richesse agricole, commerciale et industrielle de cette contrée, appelée à
partager un jour la prospérité générale du pays.
« Les réclamations a
ce sujet se sont renouvelées et multipliées depuis qu'il a été décidé qu'une
roule de fer traverserait la Belgique et lui assurerait bientôt un nouveau et
puissant moyen d'activer son commerce et d'exploiter tous les éléments de
richesse qu'elle renferme.
« Le
gouvernement, appréciant l'importance de ces réclamations, s'est occupé de
l'examen de cette question, afin d'arriver à une solution qui conciliât les
intérêts de cette contrée avec les intérêts généraux du pays : vous connaissez,
messieurs, les divers motifs qui, jusqu'à présent, s'étaient opposés à la
réalisation de ces projets.
« Il a en conséquence
fait étudier le système complet des communications à ouvrir dans le pays :
divers projets ont été préparés et discutés, et le département de l'intérieur a
définitivement adopté un système général de routes et de canaux qui devront
bientôt traverser la Campine et qui lui donneront les moyens d'augmenter et
d'améliorer ses cultures et ses produits, en lui procurant ceux de les exporter
et de les livrer au commerce.
« Les voies nouvelles
à établir sont, les unes dirigées de l'Escaut vers la Meuse, pour les
communications entre ces deux fleuves et pour en établir de directes entre les
villes de Malines, Aerschot, Lierre, Diest et Hasselt ; les autres doivent être
perpendiculaires aux premières et se diriger de la frontière vers le centre.
(page 605) « Mais, pour accorder de pareilles routes, qui mèneront,
par des chaussées pavées, à la capitale et au centre du pays, il est évident
que vous ne pouvez adopter ce système, à moins de renoncer aux règles de la
plus commune prudence, sans, en même temps défendre le passage par ces routes
et couvrir ainsi la capitale par de nouveaux moyens de défense.
« Le département de
la guerre aurait donc été contraint, pour la conservation des intérêts généraux
du pays, de s'opposer à l'exécution des travaux projetés dans le but
d’améliorer l'état actuel de la Campine, si vous ne lui accordiez pas les
moyens d'assurer la défense de cette frontière et par suite celle du pays
même. »
Ainsi s'exprimait,
messieurs, le chef du département de la guerre au mois de mars 1835.
Vous voyez,
messieurs, que la double question de la ligne de défense à organiser vers le
Nord et des voies de communication à ouvrir dans la Campine, est loin d'être
nouvelle ; elle a été mûrement examinée par le gouvernement et de concert entre
les deux départements qu'elle concernait.
Cette même question a
été résolue en outre par la commission que la chambre nomma pour examiner le
crédit demandé par le général Evain. Cette commission se composait de MM.
Jullien, président, Corbisier, Desmaisières, de Nef, d'Hane, Desmanet de Biesme
et de Puydt, rapporteur.
Ce qui prouve bien
avec quelle sollicitude cette commission étudia le sujet qu'elle avait mission
de traiter et qui doit être représente aujourd'hui à l'attention de la chambre,
c'est qu'elle consacra une séance entière à entendre la lecture de différents
mémoires communiqués par le ministre de la guerre qu'elle avait fait appeler
dans son sein.
Ces mémoires
traitaient de la question d'utilité des travaux projetés et déterminaient les
principes d'après lesquels les positions à fortifier étaient choisies.
L'opinion qui alors
fut exprimée à cet égard par la commission de la chambre étant entièrement
applicable à la partie du crédit réclamée aujourd'hui pour établir une tête de
pont à Aerschot, je demande à la chambre la permission de citer quelques
passages du rapport remarquable présenté par M. le colonel de Puydt dans la
séance du 4 mai 1835.
Je me bornerai pour
épargner votre temps, messieurs, aux passages qui ont un intérêt tout à fait
d’à-propos.
« Sans lever le
voile, dit le rapporteur, dont le gouvernement a jugé prudent de couvrir
l'exposé du détail des ouvrages de fortification proposés, la commission a
cependant cru nécessaire de communiquer d'une manière générale à la chambre les
principaux motifs qui rendent ces ouvrages indispensables. Mais des deux
questions développées dans les mémoires, la commission a pensé qu'il était
opportun de n'en examiner qu'une, celle de l'utilité.
« En effet, les
dispositions à prendre pour la défense du pays, sont essentiellement dans les attributions
du pouvoir exécutif et subordonnées, d'ailleurs, à des applications entièrement
du domaine d'agents spéciaux du gouvernement ; il n'entre pas dans les
attributions des chambres d'en critiquer les détails.
« Faut-il une
frontière défensive ? Telle est la question que la commission s'est posée. Elle
l'a résolue affirmativement, en partageant à cet égard les opinions émises dans
les mémoires qui lui ont été soumis.
« La Belgique,
devenue Etat indépendant, doit subir inévitablement toutes les conditions
inséparables de sa position ; il est nécessaire qu'elle se constitue
militairement, non pour prendre l'offensive, mais pour être en mesure de se
défendre en cas d'attaque. Veut-on que son état militaire soit économique ? Il
importe que la force de son armée se combine avec des moyens de défense
matérielle qui en augmentent la puissance, c'est-à-dire, avec des postes
fortifiés.
« L'existence
des places de Breda, Bois-le-Duc, Berg-op Zoom, Maestricht, nous fait une loi
d'opposer à cette ligne menaçante, une ligne sinon égale, au moins capable d'en
paralyser l'effet et doter à notre adversaire toute idée de recommencer la
guerre. La frontière hollandaise, dans son état actuel, est une frontière
offensive, une base d'opération dangereuse contre nous. En fortifiant davantage
quelques murs de nos villes, en établissant des postes nouveaux, la frontière
hollandaise n'est plus qu'une ligne défensive : la plus grande partie de la
force morale de l'armée hollandaise tombera devant nos travaux, et l'agression
ennemie perd ses avantages.
« Or, si cette
considération d'intérêt national rend urgente l'organisation de la frontière
belge, entre Anvers et la Meuse, combien de projets d'améliorations dans les
voies de communication demandées pour la Campine, ne doivent-ils pas faire une
loi au gouvernement d'opposer à l'ennemi des obstacles propres à
contrebalancer, s'il est possible, les facilités qu'on va lui donner en
pratiquant des routes là où il ne se trouvait que sable et fondrières, là où
jusqu'à présent il eût rencontré bien peu de ressources en voies et moyens de
transports !
« La combinaison d'un
certain nombre de forteresses rapprochées, liées entre elles par des
communications faciles, donnera à la plus faible armée belge le moyen de
conserver le pays intact. La réduction du personnel de notre force militaire
est donc une conséquence de son organisation matérielle.
« L'ensemble de
ces motifs et leurs développements, formant la substance des mémoires soumis à
M. le ministre de la guerre, a porté la commission à abonder dans le sens du
gouvernement et à admettre la nécessité de pourvoir, sans plus tarder, à
l'organisation militaire de la frontière septentrionale du royaume. »
C'est dans la séance
du 4 mai 1835 que s'exprimait ainsi le rapporteur de la commission spéciale.
On pouvait s'attendre
alors à une prompte décision sur les travaux militaires dont il démontrait si
bien l'utilité et sans l'exécution desquels la Campine devait rester privée
d’un grand nombre de routes qu'elle attendait avec impatience.
Mais il ne fut plus
question de ce rapport ; le jour de la discussion n'arriva pas ; ce ne fut que
deux ans plus tard, au budget de l'exercice 1837, qu'un crédit fut porté pour
commencer les travaux de fortification projetés sur la ligne du Demer.
Mais dans l'intervalle,
les réclamations des habitants étaient devenues tellement vives que le
département de l'intérieur ne crut pas pouvoir empêcher l'exécution même de
certaines routes qui d'après les bases admises n'auraient pas dû se construire
sans le commencement simultané des travaux militaires. Par-là, la
responsabilité du département de la guerre se trouvait gravement exposée.
Plusieurs fois il crut devoir protester contre des concessions dangereuses pour
la sûreté du pays, et qu'il avait été convenu de subordonner aux garanties
qu'exigeaient les intérêts de la défense : en effet, non seulement toutes les
routes placées dans la première catégorie, c'est-à-dire que non seulement
celles qui étaient indépendantes de tous travaux militaires, sont construites
aujourd'hui, mais encore qu'une grande partie de celles de la deuxième
catégorie, qui étaient, comme je l'ai dit, subordonnées à ces travaux, sont
achevées en ce moment, bien que les conditions mises à leur exécution n'aient
pas été remplies jusqu'à ce jour.
Les routes de cette
deuxième catégorie étaient au nombre de cinq ; deux sont achevées. deux sont en
exécution et il n'en reste qu'une en projet.
Mais on ne s'est
point borné à faire ces routes, dont le mauvais effet sur la défense du pays
pouvait être neutralisé par les travaux militaires dont on a précédemment fait
mention ; on a même procédé à l'exécution d'une grande partie de celles que la
commission, consultée sur la défense de la frontière septentrionale, avait
placées dans la troisième catégorie, c'est-à-dire parmi celles qui, dans tous
les cas, nuiraient à la sécurité du pays. Les routes de cette troisième
catégorie étaient au nombre de huit. Eh bien ! trois sont déjà achevées, deux
sont en exécution, et trois seulement ont été abandonnées.
Certes, en cette occasion,
si l'on peut exprimer quelque regret, c'est que le gouvernement ait trop mis en
oubli à ce qu’il devait a la sûreté nationale.
Mais là ne
s'arrêtèrent pas encore les concessions faites aux vœux de la Campine. En
effet, depuis 1835, c'est-à-dire depuis que l'on avait cherché à concilier
autant que possible les intérêts de la défense et ceux de la prospérité du
territoire, de nouvelles demandes, de nouvelles prétentions ont surgi et la
construction de sept nouvelles routes a été décidée, toujours en prenant aussi
peu de souci de la responsabilité du département de la guerre. Parmi ces
nouvelles routes achevées ou en construction, plusieurs ont encore été
décrétées en opposition au système de défense adopté pour la frontière
septentrionale.
En
présence d'un tel état de choses, c'est à juste titre, il faut le reconnaître,
que le département de la guerre s'inquiète d'aussi grands sacrifices, faits aux
intérêts du moment et dont on pourrait se repentir dans l'avenir ; et c'est
sans doute parce que M. le ministre est profondément convaincu qu'il est temps
de s'arrêter dans cette voie dangereuse qu'il vient aujourd'hui vous demander
des fonds pour établir une tête de pont à Aerschot.
Ce n'est, en effet,
qu'en donnant une certaine force à cette position, que la route nouvelle qui,
du côté de la Hollande, viendra y aboutir, ne sera point nuisible à la défense
du pays. La proposition qui vous est faite â ce sujet n'est donc qu'une
nouvelle application des principes généraux que j'ai eu l'honneur de vous
rappeler et dont l'esprit n'est autre que de concilier en toute circonstance
les intérêts de la défense avec ceux de la prospérité du pays.
M. de La Coste.
- Un des honorables préopinants vous a dit, messieurs, que dans le projet
soumis à vos délibérations, les fortifications ne semblaient qu'un accessoire ;
que l'objet principal semblait être d'offrir du travail à la classe ouvrière.
Messieurs, ce dernier
objet a paru tellement important dans un autre pays, qu'en ce moment on propose
au parlement anglais de faire abandon d’un de ses privilèges pour accélérer la
construction de routes ferrées et notamment en Irlande.
Les mêmes motifs,
messieurs, peuvent certainement vous disposer à accueillir favorablement le
projet soumis à vos délibérations. Mais, messieurs, il faut avouer que, toutes
les fois qu'il est question de la défense du pays, de l'indépendance nationale
et par conséquent de la défense de tous les intérêts si nombreux qui s'y rattachent,
cette question doit primer toutes les autres.
Il est encore une
autre question, messieurs, qui, à mes yeux et sans doute aussi aux yeux de la
chambre, prime également les autres, c'est la question de justice.
L'honorable M. Lebeau
vous a dit, messieurs, que dans l'état actuel de l'instruction de l'affaire, il
se reconnaissait incompétent pour juger de la nécessité des ouvrages de défense
qu'on propose d'établir à Aerschot. Quant à moi, messieurs, j'irai beaucoup
plus loin, je dirai qu'en tout état d'instruction de cette affaire, je serai
forcé de me reconnaître incompétent pour résoudre une telle question. Cette
compétence appartient, selon moi, au département de la guerre. (Interruption). J'entends un honorable
membre réclamer contre l'opinion que j'émets, et je suis prêt à lui donner
raison, lorsque la question de défense se mêle à des questions historiques, à
des questions politiques que nous sommes à même d'apprécier, et, sous ce
rapport, je serais parfaitement d'accord avec l'honorable M. Lebeau, que s'il
s'agissait, par exemple, du maintien ou de la suppression de certaines autres
forteresses, ce serait un point que nous devrions examiner très mûrement, et en
comité secret. Mais, messieurs, dans le cas actuel, et surtout (page 606) d'après les faits que vous a
rappelés l'honorable général Goblet, je pense que la question est bien plus
simple. Cependant, je le répète, je me sens tellement incompétent à cet égard
que je n'ai voulu qu'appeler en peu de mots votre attention sur l'autre
question que j'ai indiquée, sur celle de justice.
Messieurs, qu'est-ce
qui se passe ? L'honorable M. Goblet vient de vous le dire. Parmi les routes de
la seconde catégorie, c'est-à-dire les routes qui ne pouvaient être construites
que dans le cas où leur construction aurait été précédée de celle de certains
ouvrages de défense, la plupart sont construites ou en voie de construction. On
a été plus loin, on en a autorisé qui, selon le département de la guerre,
n'auraient pas dû, dans l'intérêt de la défense du pays, être établies, et
d'autres qui n'étaient pas prévues au moment de cette classification et qui
présentent les mêmes désavantages.
Cependant, messieurs,
voilà un point du pays où une route décrétée par le Roi, l'année dernière, ne
peut être construite, la route d'Aerschot vers Zammel, et où une autre route
décrétée par le gouvernement entre Aerschot et Tirlemont ne peut être terminée.
Il y a plus : je m'attends à ce que les mêmes difficultés vont s'opposer à ce
qu'un chemin de fer puisse passer par ce point. Car je ne vois pas pourquoi un
chemin de fer trouverait grâce, si les routes pavées sont proscrites. Eh bien,
je pose à la chambre ce dilemme : ou l'interdiction dont on frappe cette partie
du territoire est un acte d'odieuse partialité, et vous devez y mettre un terme
; vous devez vouloir qu'on agisse envers cette partie du pays, comme
l'honorable général Goblet vous a dit, qu'on avait agi à l'égard de plusieurs
autres localités ; ou vous devez admettre que ce point est tellement important,
que l'on ne peut se dispenser d'y faire les constructions demandées.
Voilà, messieurs, ce
qui me paraît évident, et comme cependant je ne crois pas que la chambre
veuille prendre sur elle la responsabilité de déclarer qu'il sera passé outre à
l'opposition du département de la guerre ; comme je ne crois pas qu'elle
veuille s'immiscer assez avant dans les détails qui sont réservés à la
connaissance du génie militaire, pour décider que le point dont s'agit n'exige
pas d'être fortifié, je pense qu'il ne nous reste qu'à adopter la seconde
partie de l'alternative, c'est-à-dire à accepter la proposition qui vous est
faite.
Je laisse à M. le
ministre à répondre aux questions qu'a soulevées l'honorable M. Lebeau, quant
au montant total de la dépense. Celle-ci s'effectuera successivement, et le
département de la guerre lèvera son opposition, dès l'instant où il pourra
commencer les travaux de fortifications ; une fois le principe posé, la
responsabilité du département de la guerre se trouvera à couvert, et alors
cette partie du territoire sera assimilée à toutes les autres où l'on a permis
l'exécution de routes. Ce sera un simple acte de justice.
On a parlé, messieurs
(je ne sais si cette question se reproduira), des servitudes militaires qui
résultaient des fortifications.
Je ne sais quelle
conséquence on veut tirer de cet argument. Si l'on veut attaquer la manière
dont le gouvernement entend l'application de la loi de 1791, c'est une question
que je ne puis ni ne veux empêcher d'honorables membres de traiter, mais qui ne
se lie point à celle qui nous occupe ; c'est une question sur laquelle je
pourrais fort bien être de l'avis de ceux qui ne partagent pas l'opinion du
gouvernement, mais sans que cela ait la moindre influence sur mon vote en ce
qui concerne le projet actuel.
Au
surplus, si l'on trouve onéreuses les servitudes militaires résultant des
fortifications existantes (et certainement c'est un sacrifice qui est demandé
en faveur du pays), que doit-on dire alors d'une servitude qui pèse sur une
grande partie non seulement de l'arrondissement de Louvain, mais aussi de la
Campine, en faveur de fortifications qui n'existent pas, de la servitude de ne
pouvoir faire aucune route dans le rayon d'une forteresse qui n'est pas
construite et qui ne le sera jamais, si la chambre ne veut pas accorder les
fonds nécessaires ? Je le répète, je fais un appel à la justice de la chambre
pour que, de façon ou d'autre, elle replace ce territoire dans les mêmes
conditions que le reste du pays, dans les mêmes conditions que les parties du
pays où les routes sur lesquelles pesait un interdit semblable sont en voie de
construction ou sont déjà terminées.
M. le ministre de la guerre (M.
Dupont). - Messieurs, à en juger par les discours des premiers
orateurs, il semblerait qu'il s'agit ici d'une question tout à fait nouvelle et
que, dans le projet de loi qui vous a été présenté, il y eût quelque chose de
caché. L'honorable général Goblet vous a déjà exposé que la question date de
1835, qu'à cette époque elle avait été présentée, avec tous les développements
qu'elle comporte, à votre section centrale. L'honorable membre vous a rappelé
aussi que le projet de fortifier Aerschot était compris dans le système général
de défense de la frontière du nord, qui faisait alors l'objet de la proposition
de mon honorable prédécesseur, M. le général Evain, et que ce projet était
nominalement mentionné dans le rapport de l'honorable M. de Puydt. Dès lors,
messieurs, les explications qui accompagnent ce projet pouvaient être moins
étendues.
On a demandé pourquoi
cette proposition semblait déguisée sous le prétexte de l'opportunité de donner
du travail à la classe ouvrière. Je dois rétablir les faits, et déclarer que
les intérêts de la défense du pays sont ceux qui dominent dans le projet qui
vous est soumis.
L'honorable
préopinant vient de vous rappeler qu'il était question d'établir une route de
Zammel à Aerschot. Nous avons dû examiner quels étaient les inconvénients que
pourrait présenter sa construction, et nous avons été frappes de l'utilité du
projet de M. le général Evain, d'établir des ouvrages de défense en avant
d'Aerschot. J'examinerai brièvement les motifs sur lesquels se fonde cette
opinion.
La zone centrale du
pays, celle qui est comprise entre la Meuse et l'Escaut, présente trois voies
de communication qui se trouvent perpendiculaires à notre frontière du nord. La
première est la route de Bréda à Anvers ; la seconde est la route qui passe à
Turnhout et ensuite à Diest ; la troisième est celle qui va de Bois-le-Duc à
Hasselt.
La première de ces
routes est commandée par la place d'Anvers. La seconde l'est aujourd'hui par la
place de Diest. Mais il s'agit de donner un embranchement à cette route,
embranchement qui conduirait, en évitant Diest, par Aerschot à Louvain et même
à Bruxelles.
Cet embranchement
satisferait à de grands intérêts commerciaux, industriels et agricoles ; mais
il y a en même temps, ici, de grands intérêts militaires qui se trouvent
engagés ; non seulement cette route deviendrait la voie la plus directe de
Turnhout à Louvain et à Bruxelles ; mais elle irait aussi en rencontrer
d'autres qui traversent le centre de notre pays, perpendiculairement aux deux
frontières du nord et du midi.
Nous avons été
frappés de la nécessité d'avoir une position militaire sur cette route. Or,
quelle était la position la plus favorable, si ce n'est le point d'intersection
entre cette route et le Démer ?
Notre projet est en
outre des plus économiques ; car il s'agit, non pas de faire d'Aerschot une
place entièrement fortifiée, mais d'établir, en avant de cette ville, un fort
qui commanderait en même temps et la route à construire et la route d'Aerschot
à Lierre.
L'ouvrage que nous
vous proposons de construire, messieurs, a encore un autre avantage, c'est de
défendre les barrages du Démer, de défendre, par conséquent, les inondations.
Sans doute, messieurs, les inondations à étendre sur les Nèthes et sur le Demer
contribueraient fortement à la défense du pays ; mais il faut observer que si
les barrages ne sont pas couverts par des fortifications il sera très facile à
l'ennemi de les rompre et de saigner les inondations. Il résulte de la que les
inondations du Démer en amont d'Aerschot ne peuvent être assurées que par un
fort de la même manière que celles en amont de Diest le sont par cette place ;
sans ce fort, les inondations du Démer seront interrompues et par conséquent
encore sous ce rapport l'ouvrage que nous nous proposons d'établir à Aerschot
est une conséquence des ouvrages pour lesquels les chambres ont voté depuis
nombre d'années des allocations, je veux parler des fortifications de Diest.
L'utilité de cet
ouvrage consiste encore à maintenir libres les communications entre Diest et
les places de Malines, d'Anvers et autres.
D'après
les observations qui vous ont déjà été faites, cette fortification d'Aerschot
non seulement est jugée nécessaire aujourd'hui, mais elle a déjà été reconnue
l'être en 1835. Elle a été trouvée nécessaire alors, aussi bien par mon
honorable prédécesseur le général Evain que par le comité du génie et par votre
section centrale.
La conclusion a
toujours été la même, savoir que cet ouvrage doit être exécuté.
La seule question est
celle-ci : Sera-t-il exécuté demain ou le sera-t-il aujourd'hui ? Eh bien,
messieurs, il y a des raisons très fondées de le faire exécuter de préférence
aujourd'hui. Ces travaux eux-mêmes procureront de l'occupation à la classe
ouvrière, ce qui sera très utile dans ce moment et en second lieu, toutes les
difficultés étant levées on pourra en même temps procéder à la construction de
la route.
M. de Villegas.
- Messieurs, les observations critiques que l'on a dirigées en ce qui concerne
l'utilité des travaux militaires sur la ligne du Démer ne s'appliquent pas au
projet de parachèvement des travaux à exécuter à Audenarde. Il ne s'agit ici
que fermer la place en aval de la ville et de continuer les ouvrages
interrompus depuis les événements de 1830.
D'après les
renseignements que j'ai obtenus, les dépenses n'excéderaient pas la somme de
80,000 fr.
L'opportunité de ces
dépenses est incontestable. Le district d'Audenarde a droit à toute la
sollicitude de la chambre. C'est par le travail que l'on doit s'évertuer à
soulager la misère affreuse et sans cesse croissante qui. existe dans la
presque totalité des communes.
Aussi n'ai-je pas
demandé la parole pour m'opposer au crédit pétitionné. Je ne me suis levé que
dans l'intention d'adresser quelques interpellations a M. le ministre de la
guerre.
Avant 1830, le génie
hollandais, d'accord avec le waterstaat, avait projeté la rectification de
l'Escaut, en aval d'Audenarde, dans l'intérêt de la navigation et de la défense
de la place. Ce projet avait reçu un commencement d'exécution. Depuis la
révolution, on l'a abandonné.
L'intention du
département de la guerre est-elle de renoncer définitivement à ce projet de
rectification mis en harmonie avec la défense de la place ?
Pour couvrir la
totalité des dépenses, on se propose de vendre entre autres les terrains sur la
hauteur de Bevere évalués par approximation à la somme de 68,250 fr.
Là le terrain a été
remué en tous sens et a été préparé pour établir un fort. Pourquoi n'en
ordonne-t-on pas le nivellement avant de l'exposer en vente, ou de le
rétrocéder, en vertu de la loi de 1835 ?
Si ce nivellement
avait lieu, la valeur vénale serait augmentée et l'on ferait ainsi une dépense
productive, par le travail donné à la classe ouvrière, Si mes renseignements
sont exacts, ces parcelles de terre situées à proximité de la ville appartiennent
à la première classe et pourraient être vendues jusqu'à 10,000 francs par
hectare. Au lieu de réaliser 68,000 fr., le prix de la vente s'élèverait ainsi
à 130,000 fr. et l'excédant compenserait amplement les frais de nivellement.
En troisième lieu, je
désire savoir quel est le plan de parachèvement des travaux définitivement
adopté par l'administration de la guerre ?
L'un de ces plans
renfermait le projet d'étendre l'enceinte de la ville. Lui a-t-en accordé la
préférence ? Le conseil communal d'Audenarde a fortement appuyé l'adoption de
ce plan et a transmis au département de la guerre des observations fort justes
sur l'utilité d'un projet destiné à agrandir (page 607) l'enceinte de la ville resserrée au dedans et traquée au
dehors par les servitudes défensives. Cette extension était demandée dans
l'intérêt de l'avenir commercial ou industriel de la ville et dans la prévision
d'établir à l'intérieur la station du chemin de fer projeté de Gand à
Audenarde. J'aime à croire que le département de la guerre a eu égard à ces
réclamations et a saisi avec empressement l'occasion de faire chose agréable à
la ville d'Audenarde et de réparer le tort qu'il lui a fait éprouver. M. le
ministre de la guerre comprend parfaitement bien l'allusion que je fais. Ne
doit-il pas, en effet, se rappeler que c'est à l'excitation du département de
la guerre que la ville d'Audenarde a fait des dépenses énormes pour la
construction de ses casernes de cavalerie, que l'Etat lui a fait des avances et
qu'immédiatement après avoir construit à grands frais un superbe manège, sur la
foi des promesses ministérielles, sa garnison de cavalerie lui a été retirée et
demeure retirée, malgré les réclamations les plus pressantes. M. le ministre de
la guerre n'a pas tellement perdu le souvenir de ces douloureux sacrifices, que
nous désespérions d'obtenir justice de sa loyauté.
Je
ne dirai que quelques mots relativement à la question des servitudes
militaires, dont a parlé l'honorable M. de la Coste. Cette question a été
indiquée par l'honorable M. Manilius dans une séance précédente, alors qu'il
s'est agi de la fixation à l'ordre du jour du projet de loi en discussion.
Cette question de servitudes militaires est extrêmement grave. Je ne la
traiterai pas ici. Je me contenterai de signaler à l'attention de M. le
ministre de la guerre la nécessité généralement reconnue de modifier la
législation qui régit la police des fortifications, et de tempérer la rigueur
de cette législation en étendant, comme on l'a fait en France, la tolérance
spécifiée par l'article 30 de la loi du 10 juillet 1791, à toute espèce de
bâtiments ou clôtures situés hors des places ou postes militaires.
M. le ministre de la
guerre (M. Dupont). - L'honorable préopinant m'a adressé différentes
interpellations au sujet desquelles je ne puis pas lui fournir une réponse
immédiate parce que je n'ai pas ici tous les documents nécessaires. Je puis
cependant lui donner quelques indications sur les principaux points.
En ce qui concerne le
nivellement des terrain de Bevere, c'est une question qui a été examinée par le
génie, et il a trouvé qu'il n'est pas de l'intérêt de l'Etat de niveler ces
terrains avant de les vendre ; il a trouvé qu'il valait mieux les vendre tels
qu'ils sont.
Quant au plan de la
place, il avait été arrêté et exécuté en partie avant 1830. Depuis lors il y a
été introduit plusieurs modifications, mais ces modifications ont été adoptées
en grande partie dans l'intérêt de l'Etat, pour diminuer la dépense sans pour
cela compromettre l'intérêt de la défense.
En ce qui concerne la
garnison de cavalerie qui a été retirée de la place d'Audenarde, je dois faire
observer que la caserne a été construite lorsque l'armée se trouvait sur le
pied de guerre, lorsque nous avions un effectif considérable. Depuis cet effectif
a été réduit d'une manière notable, et il en est résulté qu'il a fallu réduire
une partie des garnisons C'est la seule raison pour laquelle on a retiré la
cavalerie de la ville d'Audenarde. Du reste ceci a été fait depuis plusieurs
années ; c'était avant mon arrivée au département de la guerre.
M. Lys. - Je ne viens pas,
messieurs, soutenir qu'il n'y a pas lieu de construire des fortifications à
Aerschot ; je ne veux pas, en ce moment, en contester la nécessité ; mais je
viens m'opposer à ce que l'on accorde le crédit demandé, avant que le
gouvernement ne nous ait fourni les plans et les devis estimatifs.
Non seulement,
messieurs, ces documents ne nous ont pas été fournis, mais M. le ministre a
déclaré lui-même que les études n'étaient pas achevées Or, si, dans cet état
des choses, vous accordiez le crédit, vous tomberiez dans la même erreur qui a
déjà été commise. Quand il s'est agi des chemins de fer, vous avez admis des
plans qui n'étaient pas parfaitement étudiés, et de là il y a eu lieu à
beaucoup de mécomptes, et de grandes difficultés sont survenues. Mais, dans la
position actuelle, il n'y a pas de plan arrêté, il n'y a pas de devis estimatif
; des études sont peut-être à peine commencées.
Je citerai un fait
qui établit déjà la perte que l'Etat peut faire et fait réellement. Il y a ici
des quantités de propriétés que vous avez à vendre et qui ont été expropriées
par le gouvernement. Si les études avaient été bien faites, vous n'auriez pas
tous ces terrains à vendre ; et remarquez-le, vous ne trouverez pas un prix de
vente proportionné à celui que l'objet vous a coûté II arrivera souvent que
vous revendrez pour une bagatelle des terrains que le gouvernement a dû
acquérir pour des sommes considérables. Pour les terrains que l'on a expropriés
pour la forteresse de Diest, on a dépensé la somme énorme de 1,400,000 fr. On
ne vous demandait pour toutes les forteresses que trois millions, et
aujourd'hui les dépenses sont déjà fixées à 7,500,000 fr.
Ainsi, les ventes de
terrains que vous avez à faire aujourd'hui, résultent de la manière incomplète
dont on avait fait les études. Eh bien, on avoue aujourd'hui qu'il n'y a pas
encore de plan et de devis ; vous pouvez donc encore tomber dans la même
erreur.
Le ministre ne peut pas
venir se borner à nous dire : « Vous pouvez faire aujourd'hui les travaux. »
Pour faire une semblable déclaration, il y a une obligation préliminaire qui
incombe à M. le ministre ; il devait se présenter avec des études parfaitement
faites, avec des plans et un devis estimatif ; mais M. le ministre ne peut pas
venir nous demander des fonds, sans produire aucune de ces pièces.
C'est en présence de
charges extraordinaires qui ne sont pas couvertes par vos budgets qu'on vient
nous demander des fonds. Et que vous dit-on pour les obtenir ? Il faut
satisfaire aux besoins de la classe ouvrière, en lui procurant du
travail !
Messieurs, ce sont là
des mots et rien de plus. Le projet de loi n'est pas destiné à venir en aide à
la classe ouvrière. En effet, le projet de loi ne pourra être adopté par les
deux chambres avant la fin du mois de février ; l'achèvement des études et du
plan vous conduira jusqu'à la fin de mars ; puis viendront les adjudications
publiques, et vous arriverez nécessairement à la fin d'avril ; la classe
ouvrière aura alors assez de travaux ; elle n'est donc pour rien dans le projet
actuel, et la considération qu'on invoque, à l’appui du projet, n'est donc pas
fondée.
Maintenant, rien
n'empêche la construction des routes qui sont déjà décrétées. Une fois les
études faites de la part du gouvernement, la direction des routes est certaine,
et rien ne peut plus s'opposer à l'exécution.
M. le ministre de la
guerre nous dit : Je veux avoir la certitude que mes ouvrages se feront ; mais
M. le ministre demandant 400,000 fr., ne propose pas la somme nécessaire pour
ces ouvrages ; il faut une somme beaucoup plus considérable qu'il faudra
demander plus tard. Or, la chambre l'a déjà déclaré plus d'une fois elle n'a
pas le droit de s'obliger pour l'avenir. En obtenant aujourd'hui ce qu'il
demande. M. le ministre de la guerre n'obtient aucune garantie pour le restant
de la dépense ; tout ce qu'il peut faire, c'est de faire faire les études ; de
celle manière, les routes pourront se construire. Il y a d'ailleurs des
précédents qui établissaient que la chambre a confiance dans M. le ministre de
la guerre ; M. le ministre doit donc compter sur le dévouement de la chambre,
pour tout ce qui concerne l'intérêt ; du pays ; elle sera toujours très
disposée à voter les fonds nécessaires que pourra exiger le système de défense
de la Belgique.
M. le ministre de la
guerre ne peut donc pas venir nous lier aujourd'hui par un crédit qui n'est
qu'une très faible partie de la dépense totale qu'il sera nécessaire de faire
de ce chef.
On
a dit qu'il y avait un système arrêté pour la défense du pays. Mais je crois
que le canal de la Campine a quelque peu changé ce système de défense. Ce canal
est, selon moi, une ligne de défense. Je ne suis pas assez compétent pour
raisonner ex professo sur cette matière, mais je crois que le canal de la
Campine a amélioré le système de défense du pays.
Par ces
considérations, je proposerai de supprimer l'article premier du projet de loi
et d'ajouter à l'article 2, qui deviendrait l'article unique de la loi :
« En se conformant au
principe de rétrocession établi par l'article 23 de la loi du 17 avril 1835, ou
en procédant à l'adjudication publique. »
M. Manilius. - Messieurs, la
chambre est sans doute convaincue que cette loi que M. le ministre de la guerre
nous a présentée comme très innocente n'est pas aussi restreinte qu'on l'a
prétendu. Il ne s'agit de rien moins que de l'intervention d'un honorable
général, député de Tournay, pour nous développer tout le plan stratégique qui a
été conçu en 1835.
Ce plan stratégique
de 1835 date d'une époque où nous étions en guerre avec la Hollande. Je ne
pense pas que sérieusement il s'agisse de la continuation de ce plan ; il n'en
est rien ; car s'il était question de continuer le plan de 1835, il ne
s'agirait pas de poser aujourd'hui le principe. C'est ce que nous a fort bien
montré l’honorable M. de la Coste.
Pour nous tirer de
l'incertitude où nous nous trouvons, faites donc connaître votre principe ;
nous ne demandons que cela ; déclarez qu'il s'agit aujourd'hui d'un nouveau
plan stratégique, qu'il s'agit d'une combinaison nouvelle. Et, en effet, il
doit s'agir d'une combinaison nouvelle. Aujourd'hui nous sommes en paix avec la
Hollande, nous avons des traités qui garantissent notre indépendance et notre
neutralité ; notre siluation est actuellement tout autre qu'elle n'était en
1835.
Je dois regretter que
M. le ministre de la guerre vienne ainsi, d'une manière détournée, agiter une
question aussi sérieuse, en laissant à la chambre et à lui-même si peu de temps
pour étudier cette grave question. En effet, à la suite de demandes qui lui ont
été posées par la commission, M. le minisire de la guerre a été contraint de
dire que les plans n'étaient pas achevés.
Quoi ! les plans
ne sont pas achevés !... et l'on veut que la chambre consacre le principe
d'une dépense nouvelle qui doit s'élever à des millions.
Vous voyez donc,
messieurs, que le projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre est
des plus graves, et je crois qu'en adhérant à la proposition de l'honorable M.
Lebeau, nous ferons acte de sagesse et de prudence.
Le projet de loi a
trouvé des défenseurs. Ces défenseurs sont, entre autres, les députés de
l'arrondissement de Louvain. Mais cette adhésion a-t-elle bien pour objet l'intérêt
de la défense du pays ? Non, messieurs ; en effet, l'honorable M. de la Coste
s'est borné à signaler la nécessité de faire cesser l'espèce d'asservissement
dans lequel son canton se trouve vis-à-vis du département de la guerre.
Comment ! M. le
ministre de la guerre s'oppose à l'exécution de routes qui ont été décrétées
par arrêté royal ; il s'oppose à cette exécution, non pas parce qu'elle n'entre
pas dans le plan de sa tête de pont ; mais il s'y oppose parce qu'il voulait
avoir dans cette chambre quelques voix de plus pour sa forteresse. Il faut que
ces députés votent ma forteresse, s'ils veulent avoir leur route ! Voilà
le motif de l'opposition de M. le ministre de la guerre. Eh bien, je dis que M.
le ministre de la guerre n'a pas le droit de s'opposer à l'exécution de routes
qui ont été décrétées par arrêté royal.
Je n'entrerai pas
dans d’autres détails.
Je ne suis pas
compétent non plus pour parler du système de défense qui convient le mieux au
pays, mais je suis compétent comme député pour traiter cette grave question de
fortifications non dans ses détails, mais dans son ensemble et dans ses
rapports avec la situation du pays et avec la législature.
Messieurs, nous avons
dans notre pays une quantité de forteresses. Nous en avons de toutes les couleurs
: nous avons des forteresses espagnole, des (page 608) forteresses françaises, des forteresses prussiennes et
anglaises, bavaroises, que sais-je ? Nous avons aussi des forteresses
hollandaises. Nous avons aussi une forteresse nationale que la législature
belge a votée ; c'est la forteresse de Diest. C'est la seule qui ait été faite
dans l'intérêt de la révolution belge, dans l'intérêt de la défense de la
Belgique.
Lorsqu'on veut avoir
un système de défense, on ne vient pas, par une demande faite d'une manière
maladroite, s'exposer à voir discuter le système des forteresses ; on vient
avec un plan arrêté qu'on développe franchement sans détour ; voilà ce que nous
exigeons du ministère, et alors ce serait le moment de voir si nous pouvons
voter les dépenses que l'on justifierait pour la défense nationale, et s'il est
nécessaire de voter tous les ans dans le budget des dépenses énormes pour
l'entretien de ces forteresses portées au chapitre du matériel du génie et de
l'artillerie, crédits que l'on réclame pour des forteresses qui n'ont pas la
couleur nationale, pour des forteresses destinées tantôt contre la France,
tantôt contre je ne sais qui, situées au cœur du pays, disséminées sans être
rattachées au système de défense de notre royaume nouveau, mais se rattachant à
des séries de forteresses appartenant à d'autres puissances réunies et alliées
entre elles.
Je le répète, ce
n'est pas le moment d'entrer dans ces détails, je craindrais d'aller trop loin
si je donnais libre carrière à mes pensées. Cette question doit être traitée
avec calme et prudence, quand les circonstances le. demanderont. Ces
circonstances pouvaient exister en 1835, elles ne le peuvent pas aujourd'hui,
surtout quand nous sommes en état de paix avec la Hollande. Il est vrai que
nous avons une petite guerre de tarif, mais le moment est mal choisi, quand
nous avons un ministre plénipotentiaire à la Haye pour la faire cesser, de
demander des fonds pour fortifier notre ligne contre la Hollande.
Comme je l'ai dit en
commençant, je ne voterai pas pour la partie du projet relative aux
fortifications d'Aerschot. Je me rallierai, dans l'intérêt de la classe
ouvrière, à la demande faite pour les déblais à opérer à Hasselt et les
quelques travaux à exécuter à Audenarde.
L'honorable député d'Audenarde,
en prenant la parole dans cette discussion, a dit que j'aurais fait entrevoir
l'intention d'examiner la question des indemnités et des servitudes militaires.
Je ne m'étendrai pas à cet égard, je dirai seulement que les lois sur cette
matière n'ayant pas été faites au même point de vue que les lois fondamentales
que la Belgique s'est données, il est urgent de les modifier pour les mettre en
harmonie avec notre droit public. Déjà ces lois ont donné lieu à des procès
qui, de première instance, ont été portés en appel et jusque devant la cour de
cassation. Qu'est-il arrivé ? En cassation, on a décidé que les servitudes
militaires pouvaient être utiles dans l'intérêt public et devaient être
reconnues en vertu de la loi de 1791, décret de 1811 et arrêté-loi de 1815.
Quand on a opposé la loi fondamentale de 1815 et la constitution de 1830 qui
prescrivent que quand on exproprie on doit payer une indemnité, on s'est trouvé
dépourvu de loi pour régler la manière d'indemniser ; paice que le pouvoir
judiciaire s'est trouvé en présence de lois d'un autre siècle, de lois de la
république, de lois d'un peuple conquérant qui voulait gouverner l'univers, qui
ne voyait que guerres et conquêtes. Ce sont ces lois qui doivent encore régler
la matière. Si nous voulons organiser un système de défense, établissons des
forts aux frontières qui en sont dépourvues, mais ne laissons pas au cœur du
pays des forteresses inutiles dont les charges, les servitudes sont nuisibles à
l'industrie, nuisibles aux propriétaires, nuisibles à notre ordre social,
incompatibles avec notre pacte fondamental.
Tous
les jours, dans la série de sessions législatives que nous avons eue, le
gouvernement est venu proposer des modifications aux anciennes lois qui nous
régissent. Naguère nous avons consacré 12 ou 15 jours à apporter des
modifications à la loi de 1669 sur la chasse, loi en vertu de laquelle on
n'aurait osé intenter un procès, tandis qu'on ne propose pas de changement à la
loi de 1791 qu'on applique tous les jours, bien que ce soit une loi de la
révolution française, de la république, une loi faite pour le temps des grandes
guerres.
Messieurs, mon
observation ne doit aboutir qu'à un vœu, mais je préviens M. le ministre de la
guerre, que ce vœu je le renouvellerai chaque fois que l'occasion s'en
présentera pour qu'un ouvre enfin les yeux sur la contradiction,
l'incompatibilité qui existe entre la Constitution et les lois relatives aux
places fortes, aux servitudes militaires et au classement des places fortes.
Comme je viens de le
dire, je ne voterai le projet de loi qu'autant qu'on en retranche ce qui est
relatif aux fortifications d'Aerschot.
M. le ministre de la guerre (M.
Dupont). - L'honorable préopinant vient de dire que nous
sommes dans une situation différente de celle de 1835, que par conséquent nous
ne devons pas songer à prendre des mesures de défense. Cette doctrine n'est pas
celle qui est généralement admise par les nations qui attachent du prix à leur
indépendance.
En effet, si nous
jetons un coup d'oeil sur ce que font nos voisins, nous voyons la France, en
plein état de paix, s'occuper activement de fortifications ; l'Angleterre est
préoccupée de la même question, et permettez-moi de vous le dire, nous voyons
la Hollande s'en occuper également.
Ce pays, qui a sa
frontière du nord déjà fortement défendue par deux lignes d'inondation : la
ligne du Wahal et la ligne de la Meuse, et en outre par de nombreuses places
fortes du Brabant septentrional ; ce pays, dis-je, a encore jugé nécessaire de
construire des ouvrages de fortifications, savoir : un camp retranché à Vucht
en avant de Bois-le-Duc et des ouvrages à Tilbourg, à cheval sur cette même
route, sur laquelle nous demandons à placer un fort.
L'on a fait observer
que la question d'Aerschot n'était pas suffisamment instruite. J'ai déjà
rappelé de quelle manière la question s'est présentée.
Il s'agissait de
faire faire une route le plus tôt possible afin de fournir du travail à la
classe ouvriers. Nous avons cru de notre devoir d'examiner sans retard ce projet,
et l'intérêt du pays nous a conduits à venir vous dire : Cette route rend
indispensable la construction de quelques ouvrages de fortifications au point
d'Aerschot. Nous avons en même temps envoyé des ingénieurs sur les lieux pour
faire les études nécessaires. Il existe un avant-projet, mais le plan définitif
n'est pas adopté,et je ne pense pas que cela importe beaucoup à la discussion ;
car ne perdez pas de vue, messieurs, qu'il ne s'agit que d'un simple fort pour
lequel je ne vous demande qu'un premier subside. Je me suis engagé à ne pas
dépasser la somme totale d'un million et demi, et je prendrai toutes les
mesures pour arriver à ce résultat.
On m'a dit que, pour
Diest, la dépense prévue a été de beaucoup dépassée. Mais il y a une grande
différence entre les travaux de Diest et ceux-ci. A Diest on a fait une
forteresse complète. Les travaux ont été étendus successivement ; cependant le
devis en a été définitivement arrêté en 1837, et ce devis ne diffère pas de
cent mille francs de la somme qui a été dépensée. Je crois devoir rappeler, à
ce sujet, que le ministre de la guerre en 1841, a présenté à la section
centrale chargée de l'examen du budget de la guerre, des notes justificatives
de toutes les dépenses qui ont été faites.
Si l'on n'a pas pu se
circonscrire dans ces travaux, on le peut dans ceux dont il s'agit, et c'est ce
que nous avons déjà fait. L'avant-projet nous a paru trop étendu ; en
l'examinant, nous avons craint que la somme d'un million et demi ne fût
dépassée. C'est pour cette raison que nous l'avons renvoyé à l'inspecteur
général du génie, pour l'examiner avec le comité de cette arme en lui
recommandant de ne pas perdre de vue qu'il devait rester au-dessous d'un
million et demi dans le devis estimatif, et que toutes les mesures devaient
être prises pour que cette somme ne fût pas dépassée lors de l'exécution des
travaux.
Il nous sera d'autant
plus facile de restreindre l'étendue de ce fort que, d'après le projet qui
existe, les deux routes de Zimmel et de Lierre doivent être réunies en avant du
fort, de sorte qu'il n'aura à défendre qu'une seule partie de route.
Vous voyez donc qu'à
propos de cette forteresse d'Aerschot il ne sera pas, dépensé des millions et
des millions comme le disait l'honorable M. Manilius.
Quand j'ai proposé à
la chambre d'élever un fort à Aerschot, j'ai rempli un devoir. Il s'agissait
d'un grand intérêt public. Je me suis trouvé dans l'obligation, comme je l'ai
fait tantôt, de dire à la chambre : Telle route offre tel danger, tant que vous
n'y aurez pas placé un ouvrage fortifié. Je me suis vu dans la nécessité de
dire à la chambre : Ces millions dépensés dans la forteresse de Diest l'auront
été en grande partie inutilement, si vous n'admettez pas ce simple fort. C'est
un devoir que j'ai rempli. et en venant le remplir, je me suis souvenu de cette
sollicitude de la chambre qui s'attache à tous les intérêts publics, les
intérêts militaires y compris.
J'espère que la
chambre, avant de repousser ce projet de loi, vaudra bien en peser mûrement
l'importance.
L'honorable M. Lys
nous a fait aussi quelques objections relativement aux parcelles de terrains
dont nous avons projeté la vente. Nous avons indiqué les places auxquelles ces
parcelles appartiennent. C’était assez vous dire que ces terrains ont été
acquis il y a plus de quinze et même de vingt-cinq ans.
Depuis lors, ces
parcelles n'ont pas été perdues, elles ont été mises en location ; et le
produit en a été porté annuellement au budget des votes et moyens.
Je ferai observer
d'ailleurs que, depuis que ces terrains ont été acquis, les propriétés ont en
général éprouvé une grande augmentation de valeur, et qu'ainsi les parcelles
dont il est question seront, selon toutes les probabilités, vendues beaucoup
plus cher qu'elles n'ont été achetées.
Cependant je dois
faire une restriction ; car je crois qu'il serait de toute justice d offrir la
préférence à celui qui a été exproprié dans le temps.
Je vous avoue,
messieurs, que lorsque j'ai eu l'honneur de présenter ce projet de loi, je ne
me suis nullement attendu à ce qu'on soulevât, à propos de la construction
d'une simple forteresse, une question de droit aussi grave que celle des
servitudes. La matière des servitudes a été réglée par des lois. Ces lois ont
non seulement occupé l'attention du département de la guerre, mais leur application
a été discutée devant de nombreux tribunaux, depuis quelques années. Ces
tribunaux et la cour de cassation ont trouvé que ces lois étaient d'accord avec
notre Constitution. Dès lors, le gouvernement a jugé qu'il n'était pas
indispensable de venir soulever une question de cette importance.
Permettez-moi de vous
faire observer que les servitudes militaires sont la suite inévitable de
l'établissement des forteresses. Du moment qu'on conserve des forteresses, il
est nécessaire qu'on prenne des mesures pour que le terrain environnant reste
libre, n'offre pas de couvert qui mette les attaquants à l'abri des feux de la
place. Ces servitudes ne sont donc pas nouvelles et elles ont été fixées,
depuis de longues années, par des lois.
En France on avait
déjà une loi dès l'an 1670.
En Belgique, nous
avons eu les placards de Marie-Thérèse dès 1771.
En France, la loi de
1670 a été remplacée d'abord par la loi de 1791, ensuite par le décret impérial
de 1811 ; elle a subi une nouvelle modification par la loi de 1819. Mais cette
loi de 1819 n'a pas toute la portée que certains orateurs ont semblé lui
attribuer.
Cette matière est
réglée dans notre pays par la loi de 1791,et par l'arrêté de 1815.
Les principes sur
lesquels ont été basées les lois concernant les servitudes sont ceux-ci : La
servitude n'est pas la dépossession ; elle est une gêne, une dépréciation
peut-être, mais tout au profit d'un grand intérêt public.
Dans toutes les
législations que j'ai citées, il a été établi qu'on ne devait pas d'indemnité
pour ce genre de servitude. Je l'ai déjà dit, cette question a (page 609) été agitée devant plusieurs
tribunaux et cours d'appel et devant la cour de cassation qui a confirmé le
principe,
S’agit-il de changer
la législation actuelle tout exprès pour le fort d'Aerschot ? D'abord
relativement à cette forteresse, cette servitude n'offre pas une grande
importance.
Les places de
troisième classe et les forteresses n'ont qu'une seule zone, ne s'étendent qu’à
195 mètres.
Ensuite, si vous
admettiez une législation nouvelle pour la place d'Aerschot, quel en serait le
résultat ? C'est qu'on nous demanderait d'appliquer cette législation à toutes
les autres places fortes du royaume. Eh bien, messieurs, c'est alors que cette
mesure entraînerait à des millions et des millions comme l'a dit l'honorable M.
Manilius, et je ne pense pas que la chambre soit disposée, en ce moment, à
voter tous ces millions. Je ne pense pas, d'un autre côté, que, dans cette
attente, toutes les questions de fortifications doivent rester indécises, et je
demande de nouveau que la chambre veuille bien se prononcer sur le projet des
fortifications d'Aerschot sans attendre la solution de la question soulevée par
l'honorable M. Manilius.
- La séance est levée
à 4 heures et 1/2.